Le franc fort donne un coup d`accélérateur à la consolidation

Transcription

Le franc fort donne un coup d`accélérateur à la consolidation
Page 13
Lundi 9 mars 2015
LundiFinance
Assurances
Le patron de PSA prône davantage de
coopération dans la branche Page 19
L’évolution de l’immobilier n’inquiète
pas le patron de Swiss Life Page 16
DR
Automobile
SMI
9080,03 +0,50%
Euro Stoxx 50
3617,62 –0,02%
Dollar/franc
0,9855
Euro/franc
1,0696
Baril Brent/dollar 60,04
Once d’or/dollar
1175
Le franc fort donne un coup d’accélérateur
à la consolidation bancaire
> Place financière
Les rachats et autres
fusions se succèdent
avec la fin annoncée
du secret bancaire
> Le franc fort, et son
impact sur les
marges, pourrait être
le «coup de grâce»
La consolidation bancaire fait
partie de ces thèmes récurrents qui
agitent la place financière. De ceux
que l’on évoque pour pointer du
doigt les menaces qui planent sur
son avenir. Et sur l’emploi en particulier.
A Genève, tout le monde en parle
depuis quatre ou cinq ans. Depuis
que la crise financière et le tour de
vis réglementaire qui s’ensuivit ont
réduit les marges des établissements bancaires. Les chiffres l’attestent: en six ans, leur nombre est
passé de 142 à 121 selon la Fondation Genève Place Financière. Soit
une réduction de 15%.
S’il n’y a pas encore eu d’annonce
fracassante en ce début d’année, la
place bruisse de rumeurs. Les événements pourraient donc se précipiter ces prochains mois, avec de
nombreuses ventes et fusions à la
clé. «Tous les prérequis sont réunis»,
souligne une source bien placée au
sein d’un établissement genevois.
La réglementation – et notamment
MiFID II dont l’entrée en vigueur est
prévue pour 2016 – pèse toujours
davantage sur les coûts des banques. Quant aux marges, elles sont
sous pression à mesure que la clientèle offshore – historiquement
moins chère à gérer car ne venant
voir son banquier qu’une fois par
année – fait place à une clientèle
onshore déclarée. Et plus regardante
sur les prix et les performances.
MARK HENLEY/PANOS
Sébastien Dubas
Banque Leumi. L’établissement israélien, qui a vendu ses activités de banque privée l’année dernière à Julius Baer,
fait partie des nombreux établissements étrangers qui ont récemment quitté la Suisse. GENÈVE, 13 FÉVRIER 2014
Cerise sur le gâteau: l’appréciation subite du franc en ce début
d’année, à la suite de l’abandon du
taux plancher, pourrait représenter, pour les établissements qui ont
des fonds sous gestion en dollars et
en euros, une baisse des revenus
d’au moins 10%, selon les experts.
Sans oublier les taux d’intérêt négatifs qui se répercutent eux aussi sur
les comptes des banques.
Jusque-là, le programme américain, qui doit permettre aux banques de régulariser leur situation
vis-à-vis des Etats-Unis, avait bloqué
un certain nombre de transactions
sur la place financière; les banques
préférant attendre avant de se lancer dans un long processus d’intégration. Mais celui-ci ne serait plus
un obstacle aussi important
aujourd’hui. C’est ce que confirme
Philippe Tischhauser, partenaire au
sein de la société de fusions et acquisitions The Corporate Finance
Group à Genève. «L’année dernière,
nous avions reçu un mandat de la
part d’un gérant indépendant qui
souhaitait reprendre une banque,
explique-t-il. La transaction ne s’est
finalement pas faite à cause d’interrogations concernant le programme américain et la clientèle de
la banque visée, poursuit-il. Or, les
banques se rendent compte
aujourd’hui qu’elles ont peut-être
exagéré ce risque.»
A l’écouter, la consolidation devrait donc s’accélérer. «Des négociations sont en cours sur un nombre
important de banques en Suisse, assure Philippe Tischhauser. Certaines pourraient être finalisées dans
les prochaines semaines, d’autant
plus que des petits établissements
réalisent, sur la base de leurs résultats 2014, que la situation n’est plus
pérenne.» Selon lui, il pourrait y
avoir autant de transactions en
2015 que l’année dernière. Si ce
n’est davantage. Et cela alors même
qu’il y avait «déjà eu beaucoup plus
de transactions en 2014 que lors
des années précédentes».
Le constat est le même du côté
d’Alexander Notter. La société de fusions et acquisitions CFM Partners,
dans laquelle il officie, ne manque
pas de travail. «Depuis deux ans
maintenant, nous sommes très occupés et sollicités de manière récurrente», explique-t-il. Et de citer une
liste de transactions auxquelles ils
Les «proies numéro 1»
semblent être
clairement identifiées
de l’avis des experts:
les banques étrangères
ont participé: le rachat d’un portefeuille de 10 milliards de francs appartenant à l’entité suisse de HSBC
par LGT Bank en juin 2014, l’acquisition d’une part substantielle des
activités de la banque privée Espirito Santo par la Compagnie Ban-
BNS: les nouveaux alchimistes
Plus d’un mois après la décision surprise de la Banque nationale suisse (BNS) de renoncer au
taux plancher du franc contre
l’euro, il est possible de tirer les
premiers enseignements de ce
coûteux exercice. C’est un euphémisme de dire qu’ils sont contrastés. Car au-delà des justifications
mal étayées de la BNS, les faits
récents donnent tort à cette
dernière.
A commencer par les chiffres:
on constate en effet que l’euro a
fortement chuté contre le dollar
en décembre et au début janvier,
de 1,25 à 1,12, soit avant l’an-
Les acheteurs potentiels sont eux
aussi plus ou moins connus. Les
grandes banques ne semblent pas
vraiment intéressées par des rachats. Même si des rumeurs avaient
circulé l’été dernier autour d’un
rapprochement entre Credit Suisse
et Julius Baer. «Elles n’ont pas d’utilité stratégique à faire une acquisition, souligne l’expert précédemment cité. De plus, elles en ont déjà
fait à l’étranger il y a une dizaine
d’années lorsqu’il s’agissait d’étendre leur présence à l’international.»
Les banques commerciales et cantonales ne figurent pas non plus, a
priori, au rang des acheteurs.
Restent les banques privées. Début janvier, juste après la fin du taux
plancher, le patron de Julius Baer
déclarait avec fracas qu’il était possible qu’il n’en reste plus que 100
d’ici à cinq ans. Contre 139 fin 2013.
Les plus petites pourraient être tentées de vendre ou de fusionner pour
atteindre une taille critique leur
permettant de subsister dans l’environnement actuel. Certains l’estiment à 10 milliards de francs.
D’autres à 20, voire 30 milliards.
Tout dépend bien évidemment de
leur clientèle. Dans une interview
au Temps fin février, Carlos Esteve,
patron de Banque Heritage à Genève (6 milliards sous gestion), n’en
faisait pas un secret: «Nous devons
doubler de taille pour avoir un avenir très serein», clamait-il. Tout en se
disant ouvert à un rapprochement
avec un autre établissement.
Les banques qui en ont les
moyens – on pense à UBP, Julius
Baer ou encore J. Safra Sarasin – sont
à l’affût. Et ne s’en cachent pas toujours. Même Pictet, qui n’a réalisé
aucune acquisition en 200 ans
d’histoire, se dit ouverte à toute
éventualité. Encore faut-il trouver la
perle rare. «Nous avons regardé
beaucoup de dossiers, explique Moreno Volpi, responsable de la communication de la banque Syz. Mais
nous n’avons encore trouvé aucune
opportunité qui corresponde à nos
envies: soit une clientèle complémentaire à la nôtre et des actifs de
qualité.»
Rachat de portefeuilles
Au cœur des marchés
François Gilliéron*
caire Helvétique un mois plus tard
ou la vente d’Hyposwiss par la Banque Cantonale de Saint-Gall en
2013.
«Tout le marché est en mouvement, souligne Alexander Notter.
Certains établissements cherchent
à vendre, d’autres à acheter, voire à
débaucher des équipes entières au
sein d’autres établissements.» Outre
la question des coûts, la vente peut
être due à des problèmes de successions ou avec la Finma, comme ce
fut le cas pour Espirito Santo, précise-t-il. Enfin, certaines banques, à
l’image de HSBC, préfèrent se recentrer sur un type de clientèle particulier, que ce soit par la taille de leur
fortune ou pour des considérations
d’ordre géographique.
De l’avis d’un expert connaissant
bien le secteur, un tiers des établissements en Suisse – 283 à la fin 2013
contre 327 en 2008 (–13,5%) – pourrait disparaître à terme. Dans ce
contexte, les «proies numéro 1»
semblent être clairement identifiées: les banques étrangères. «Elles
revoient leur stratégie, leur rôle
dans le private banking et réalisent
que les coûts et le risque sont démesurés par rapport à la rentabilité générée», souligne un haut placé au
sein d’une banque genevoise.
D’autant qu’en termes de réputation, elles se rendent compte – à
l’image de HSBC empêtrée dans le
scandale «SwissLeaks» – que leur
présence en Suisse n’est plus forcément synonyme de prestige.
Un coup d’œil aux récentes acquisitions suffit d’ailleurs pour le
constater: les banques étrangères
sont souvent à la place du vendeur.
En 2014, les activités de banque privée de l’israélienne Leumi ont été
reprises par Julius Baer, Valartis
Bank Suisse a été rachetée par la
Banque Cramer & Cie, Morgan
Stanley (Suisse) par J. Safra Sarasin
tandis que la britannique Standard
Chartered a cédé ses activités suisses à Banque Heritage. L’année précédente, UBP avait racheté Lloyds
(Suisse) et Julius Baer les activités de
banque privée hors Etats-Unis de
Merrill Lynch.
nonce du QE européen. En revanche, on notera que l’euro n’a plus
perdu de valeur contre le billet
vert depuis lors, car les marchés
avaient anticipé la décision de la
Banque centrale européenne. De
là à penser que les dirigeants de
la BNS ont paniqué au mauvais
moment, estimant que l’euro
allait entamer une plongée sans
fin, il n’y a qu’un pas.
Défendre le taux plancher
supposait de faire marcher la
planche à billets pour acquérir
des créances très importantes
libellées dans la monnaie des
pays qui nous entourent. En
matière d’exit strategy, cela signifiait soit rejoindre à terme l’euro –
impensable politiquement –, soit
se préparer à faire profiter le pays,
sous une forme ou sous une
autre, de cette manne imprévue.
Mais la BNS n’en voulait pas car,
disait-elle, il fallait garder ces
créances en liquide au cas où le
franc serait attaqué. Quelle myo-
pie! Car il ne s’agissait pas d’accumuler des billets de monopoly
mais bel et bien la devise de nos
principaux partenaires commerciaux, vis-à-vis de qui il est toujours plus favorable d’être créancier que débiteur.
Sur ce thème bien précis, un
homme a récemment tenu la
vedette en Europe: Wolfgang
Schäuble, le ministre allemand
des Finances. Question à cent
francs: vaut-il mieux être créancier ou débiteur face à cette tête
dure? – Et si vous ne le savez pas,
demandez son avis au peuple
grec, grand connaisseur en la
matière.
Autre question essentielle à
laquelle la BNS n’a pas répondu:
sommes-nous menacés par l’inflation ou par la déflation? Si
cette dernière se poursuit, il
conviendrait d’avoir une monnaie presque aussi faible que nos
voisins; donc suivre une politique
monétaire beaucoup moins
restrictive que celle à laquelle
nous sommes habitués depuis
des décennies.
Les faits sont têtus: l’euro a
regagné près de la moitié du
chemin perdu depuis l’annonce
du 15 janvier et le dollar a redécollé. Donc une moins mauvaise
solution aurait sans doute consisté à transformer le cours plancher de l’euro en cours «contrôlé»
mais flexible, vis-à-vis de l’euro et
du dollar cette fois; de surcroît, le
mix et le niveau exact auraient pu
être tenus secrets. De la sorte, la
BNS n’aurait pas écorné sa crédibilité au passage. Dommage que
ces gens-là ne sachent pas profiter d’aléas de la vie favorables. En
alchimistes d’un nouveau genre,
ils s’acharnent à transformer l’or
en plomb.
* Consultant indépendant
> Les banques ne veulent
pas se retrouver avec des
clients non déclarés
«Les banques qui souhaitent racheter veulent des clients déclarés,
tandis que celles qui vendent entendent se séparer de tous leurs
clients, y compris les non déclarés»,
résume un banquier genevois.
L’acheteur étant roi, une tendance
semble se dessiner sur le marché
des transactions ces derniers mois:
les établissements ne se rachètent
plus entre eux comme par le passé
mais préfèrent désormais mettre la
main sur des portefeuilles de clients
qui leur semblent intéressants d’un
point de vue stratégique.
Julius Baer a ainsi racheté en
juillet 2014 le fond de la clientèle de
Leumi Private Bank (Suisse). Le
même mois, c’est la Compagnie
Bancaire Helvétique qui a repris des
parts importantes de la filiale suisse
de Banco Espirito Santo. En début
d’année, Banque Heritage a acquis
les clients de Standard Chartered
qui désiraient rester en Suisse.
Cette stratégie permet non seulement de sélectionner les actifs repris, mais également de simplifier
l’intégration de la structure acquise. Et, surtout, de minimiser les
risques. «On ne peut plus dire à
l’acheteur c’est tout ou rien, comme
c’était encore le cas il y a dix ans»,
observe Alexander Notter.
Risque de réputation
«L’acheteur ne veut pas prendre
le risque de tout racheter et de se
retrouver avec des clients non déclarés qui pourraient lui causer des
problèmes juridiques avec certains
pays, précise Philippe Tischhauser.
Le dégât de réputation que cela
pourrait entraîner est la pire des
choses pour une banque.»
De leur côté, les établissements
vendeurs aimeraient pouvoir se défaire du capital-actions. Soit l’entité
dans son ensemble. «De la sorte, ils
échappent aux coûts de liquidation, explique Philippe Tischhauser.
Ils n’ont pas besoin de se séparer de
leurs collaborateurs – inclus dans la
vente – et ne se retrouvent pas avec
une structure vide.» S. Du.

Documents pareils