discours 8 mai.indd - Ville de Villeurbanne

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Intervention de Jean-Paul Bret
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70e anniversaire de la victoire des alliés
et de la reddition allemande
Nous sommes réunis pour célébrer le 70e anniversaire de la
fin de la deuxième guerre mondiale, avec la victoire des forces
alliées et la reddition de l’Allemagne nazie. Commencées le
7 mai 1945 à Reims, les négociations s’achèvent deux jours
plus tard, avec deux documents, dont il découlera deux dates
commémoratives, le 8 mai pour les territoires occidentaux,
le 9 mai pour l’Union soviétique. Cette séparation des dates
témoigne des tensions qui occupent, à l’époque les forces
alliées et qui accompagnent leur grand partage du monde,
préfigurant l’avènement de la guerre froide.
1945 est une année de chaos, d’espoir et de détresse, de liberté
reconquise et de rancœurs terribles.
Le 27 
janvier, l’armée soviétique entre dans le camp
d’extermination d’Auschwitz en Pologne. Il n’est pas le premier
camp qu’ils découvrent. Mais il est le plus gigantesque. 7 000
détenus sont encore là, les plus affaiblis et les plus malades,
abandonnés par les Nazis 9 jours plus tôt. Primo Levi, qui fait
partie des derniers prisonniers restés au camp, a raconté ce
qui s’était passé dans cet intervalle de temps, la peur avec
laquelle ses camarades et lui sortent de l’infirmerie et de leurs
baraquements, puis leur quête pour trouver quelque chose
à manger — ils tomberont sur des pommes de terre — et le
franchissement, enfin, des barbelés.
Devant l’avancée des forces alliées, à l’est et à l’ouest, les
responsables du camp tentent de transférer leurs prisonniers
vers le centre de l’Allemagne. Ils jettent sur les routes plusieurs
dizaines de milliers de femmes et d’hommes, dans une marche
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de la mort impitoyable, dont beaucoup ne reviendront pas,
abattus pour ne pas freiner le convoi dans sa fuite. Au fur et à
mesure qu’ils progressent, les Alliés découvrent des centaines
de camps, plus ou moins importants, libérant des centaines de
milliers de prisonniers squelettiques et affamés.
C’est à Torgau, sur l’Elbe, que les Américains et les Soviétiques
font la jonction entre leurs armées, le 25 avril 1945. S’il reste
encore des poches de résistance et des combats meurtriers —
notamment en France —, l’Allemagne nazie est vaincue.
Quelques semaines plus tôt, les Américains, les Britanniques
et les Soviétiques ont scellé leur accord d’après-guerre à Yalta.
Dans cette ville de Crimée, qui surplombe la mer Noire, se
tient en février 1945 ce qui deviendra le premier grand sommet
de la diplomatie contemporaine. La France, absente des
négociations, tire plutôt bien son épingle du jeu. Redoutant la
mainmise des Soviétiques sur l’Europe, les Britanniques et les
Américains imposent la France comme l’un des 4 acteurs de
l’après-guerre. Elle obtient ainsi le statut de membre permanent
à l’ONU. Elle obtient aussi le droit de participer à l’occupation
de l’Allemagne — divisée en quatre zones militaires. Fin juillet,
début août, à Potsdam, dans la banlieue de Berlin, les mêmes
décident de juger les criminels nazis. Les procès de Nuremberg
s’ouvrent le 20 novembre 1945. Dix ans plus tôt, dans cette
capitale symbolique de l’Allemagne nazie, le IIIe Reich avait
promulgué ses lois antisémites. Fin 1945 et jusqu’au 1er octobre
1946, 24 dignitaires sont jugés, avec 8 organisations dont la
Gestapo et la SS.
En Allemagne, la France, qui a établi son quartier général à
Baden-Baden, participe à la campagne de dénazification du
pays. Les citoyens sont soumis à un questionnaire en 150
points. Les réponses apportées permettent de mesurer le
niveau d’endoctrinement et d’engagement, ce qui se solde
par d’autres procès. En parallèle, des filières clandestines
s’organisent, via l’Autriche, la Suisse, l’Italie ou l’Espagne, pour
aider les criminels en fuite à échapper aux Alliés. Des milliers
d’entre eux trouveront refuge au Moyen Orient et en Amérique
latine. Josef Mengele, médecin tortionnaire d’Auschwitz, qui
embarquera pour Buenos Aires, sera de ceux-là. Mais, dans le
même temps, la traque aux nazis s’installe. Par la détermination
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de quelques-uns comme Simon Wiesenthal, les époux Klarsfeld
ou Ita-Rose Halaunbrenner (qui a vécu à Villeurbanne), Adolf
Eichmann et Klaus Barbie, seront arrêtés et jugés à Jérusalem et
à Lyon.
En cette année 1945, le paysage de l’Europe est celui d’un vaste
amas de ruines. D’ouest en est, des villes entières sont comme
rayées de la carte, pilonnées par les forces alliées pour faire fuir
l’ennemi ou le détruire. La guerre a fait 35 millions de morts
en Europe. L’Union soviétique a perdu près de 27 millions
de citoyens. Dans ce conflit, qui a duré six ans, les civils ont
été les plus touchés. Beaucoup ont été déplacés. Les familles
sont séparées. Les camps de concentration sont transformés
en camps de personnes déplacées, dont les administrateurs
sont submergés par la misère. Les rescapés, en plus d’un état
sanitaire déplorable, ne savent pas où aller. Ils attendent des
nouvelles. Ils attendent d’aller mieux. Ils attendent l’accord d’un
pays qui les accueillera. Transformé en centre de réfugiés, le
redoutable camp de Bergen-Belsen, où est morte Anne Frank
et d’où a été libérée Simone Veil, n’a définitivement fermé ses
portes qu’en 1951.
Dans cette Europe, qui a basculé dans l’horreur, il faut des années
pour que la paix s’installe, la faim se taise, la mort disparaisse,
la vie reprenne. Soixante-dix ans plus tard, beaucoup a été dit
et écrit. Pourtant, l’histoire conserve des secrets. Elle les livre
doucement, comme si, contre toute attente, le temps qui nous
sépare des faits apportait son lot de vérités. Des ouvrages
paraissent en France et en Allemagne sur les viols commis
par les soldats des forces alliées alors qu’ils libéraient ou
occupaient l’Allemagne, un sujet jusque-là tabou. Des familles,
séparées pendant la guerre, se retrouvent encore aujourd’hui. A
la nécropole de la Doua, il y a quelques jours étaient exhumés
les restes d’une victime supposée de la répression allemande
à Pau. Enregistrée en tant qu’anonyme, la dépouille pourrait
prochainement trouver son identité. C’est dire s’il faut du temps
pour se remettre d’un pareil conflit.
En ces premières années de paix qui succèdent à 1945, la
construction européenne donne des ambitions nouvelles au
Vieux Continent, à la fois un cadre institutionnel pour dépasser
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les nationalismes, et des accords économiques pour retrouver la
prospérité. Quand nous nous retournons sur les 70 ans écoulés,
cette route vers l’Europe semble naturelle, presque facile, tant
elle nous a tenus loin des vieilles lunes, des rancœurs séculaires,
qui n’avaient eu de cesse de nous détruire. Qui aurait cru à cette
ascension fulgurante de l’Europe en regardant les images des
charniers où les corps sont poussés par des pelles mécaniques ?
Qui aurait cru qu’après la Solution finale et Auschwitz, l’Europe
retrouve si simplement le chemin de la civilisation ? C’est
pourtant cette Europe, douloureusement acquise, chèrement
payée, qui interroge aujourd’hui, accusée d’être trop loin, trop
technocratique, trop sourde aux cris des peuples. Le défi d’hier
est devenu un défi d’aujourd’hui. Car c’est toujours la même
supplique qui est adressée à l’Europe, celle de protéger les
citoyens des systèmes et de leurs dérives, même si le contexte,
lui, bien sûr, a changé. C’est pourquoi notre cérémonie porte
ce double enjeu, celui de nous souvenir, mais aussi, à la
lumière du passé, celui d’écrire l’avenir de l’Europe sans en
trahir l’essence et les aspirations de 1945.
Jean-Paul Bret
maire de Villeurbanne

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