Les telenovelas, une passion brésilienne
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Les telenovelas, une passion brésilienne
02-05-2008 Lettre d'Amérique du Sud Les telenovelas, une passion brésilienne L'ignoble Marconi Ferraço va-t-il se retrouver dans les bras de la gentille Maria Paula ? Peut-il vraiment reconquérir la jeune femme qu'il a séduite, volée, puis abandonnée enceinte ? Difficile à croire. Et pourtant, la rumeur l'annonce, avec persistance, au Brésil. On sera fixé le vendredi 30 mai, quand prendra fin, sur la chaîne Globo, le feuilleton télévisé, Duas Caras (" Deux visages "). D'ici là, l'insoutenable suspense continue. Chaque soir, sauf le dimanche, des dizaines de millions de Brésiliens consomment leur telenovela, le principal produit culturel du pays. C'est un phénomène massif, durable, impressionnant, dans un pays où la tradition orale reste forte - quatre lycéens brésiliens sur dix disent vivre dans une famille possédant moins de dix livres - et où la télévision est devenue omniprésente. Entre 17 h 30 et 22 heures, Globo diffuse, à elle seule, quatre novelas. Dans les bars et les boutiques, où la télé marche à toute heure, elles accompagnent les débuts de soirée des clients. Téléphoner aux Brésiliens à l'heure du feuilleton est une faute de goût. Le football luimême, autre passion nationale, doit attendre. Il est impensable de donner le coup d'envoi des matchs nocturnes télévisés avant la fin de la novela. A la différence des soaps américains ou européens, les novelas ont une durée de vie limitée : environ 200 épisodes diffusés en sept à huit mois. Ce sont des mélodrames réalistes qui mêlent tous les ingrédients du genre. Amour, jalousie et trahison. Espérances, douleur et torrents de larmes. Suspense, tragédies et happy end. Depuis près d'un demi-siècle, la formule a beaucoup servi. Elle semble pourtant inusable. Au coeur de la principale intrigue, on trouve presque toujours un couple qui s'aime, et qui, pour assouvir sa passion, devra surmonter les mille obstacles érigés par ses ennemis. Il y a aussi dans les novelas des jeunes hommes riches épris de jeunes femmes superbes, mais pauvres ; des enfants adoptés qui retrouvent leur vrai père ; des fils disparus qui font leur réapparition. Au fil des jours, un feuilleton peut mettre en scène jusqu'à quatre-vingts personnages. Dans la banlieue ouest de Rio de Janeiro, le Hollywood brésilien abrite les studios de Globo, les plus grands d'Amérique latine, qui mobilisent mille cinq cents personnes. On y tourne les quatre novelas quotidiennes pour lesquelles la chaîne dispose d'un vivier permanent de six cent cinquante acteurs et actrices. Pour un artiste, participer à la novela de 21 heures, l'horaire noble, est un gage de renommée. Scénaristes, comédiens, musiciens : tous veulent en être. C'est le meilleur tremplin d'une carrière, le plus sûr moyen de lancer une chanson. La novela est une redoutable machine à faire de l'argent, un produit d'exportation lucratif. Quatrième network mondial, après les trois grands américains, Globo vend chaque année 45 000 heures de feuilleton à plus de cinquante chaînes étrangères. La novela est aussi un formidable support publicitaire. Elle fait tout vendre, dont les bijoux que portent les actrices. Elle impose les modes dans l'habillement, la cuisine, la coiffure, etc.. Actuellement, c'est la frange de Sylvia, un personnage de Duas Caras, qui fait fureur. " Mais attention, prévient le très sérieux hebdomadaire Veja, la frange ne convient pas à tous les visages de femme ! " La novela est un objet médiatique par excellence. La presse consacre au sujet des pages entières chaque semaine. Le souci du suspense n'empêche pas les suppléments télé hebdomadaires de publier à l'avance le résumé des sept feuilletons du moment. Avec surlignage des moments cruciaux. Le genre a acquis ses lettres de noblesse académique. Son meilleur spécialiste, Mauro Alencar est " docteur en telenovelas " de l'Université de Sao Paulo. La grande qualité technique des novelas - scripts, décors, prises de vue, musiques - explique leur pérennité. La description assez fidèle de la réalité sociale - Duas Caras se passe en partie dans une favela - facilite l'identification du public aux personnages. Le feuilleton du soir est l'un des rares centres d'intérêt communs aux riches et pauvres. Ces derniers, les plus nombreux, accèdent virtuellement à un statut social valorisant en copiant les attitudes et les modes des héros télévisés. Les novelas vont-elles jusqu'à modifier plus profondément les comportements sociaux ? C'est ce qu'affirme Eliana Ferrara, une chercheuse au Centre for Economic Policy Research de Londres et à l'Université Bocconi de Milan. Selon elle, la baisse du taux de natalité passé de 6,3 enfants par femme en 1960 à 2,3 en 2000 est partiellement dû à l'engouement pour les feuilletons qui ont popularisé une famille restreinte. Ces programmes influencent aussi " de manière frappante " le choix des prénoms des nouveaux-nés. La novela reflète-t-elle la société ou la transforme-t-elle ? Les deux sans doute. Depuis le premier baiser dans une novela, sur la bouche mais " lèvres fermées " - c'était en 1952 - bien des tabous sont tombés, y compris, en dernier lieu, celui de l'homosexualité. La force des feuilletons brésiliens tient à leur caractère interactif. Ce sont des oeuvres " en mouvement ", dont les scénarios intègrent en permanence les réactions du public, car on ne tourne qu'une quinzaine d'épisodes d'avance. "Je ne vais jamais contre les désirs du public ", observe Aguinaldo Silva, l'auteur de Duas Caras. Voilà pourquoi le méchant Ferraço, dont le public souhaite la rédemption, devrait finir par épouser Maria Paula. Jean-Pierre Langellier