Dominique Ferriot
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Dominique Ferriot
Musées et collections universitaires en Europe Par Dominique FERRIOT, professeur au CNAM, membre du bureau de l’ICOM-UMAC Musées et universités : a priori et, dans le langage commun, l’université est un lieu dynamique de production et de transmission des connaissances ; le musée un Conservatoire, parfois poussiéreux qui présente, du moins en Europe, une vision ordonnée du monde et des productions de l’homme dans les arts et les techniques. En fait musée et université ont une aventure commune depuis plusieurs siècles et le musée universitaire a, dès l’origine, une triple fonction de recherche, de formation et de conservation de collections. Ashmolean Museum Ouvert en 1683 et édifié dans le centre historique d’Oxford, l’Ashmolean Museum est communément reconnu comme le premier musée universitaire. En effet, il a été construit à cette fin pour rendre accessible au public la collection d’objets rares et curieux donnée à l’Université d’Oxford par Elias Ashmole. L’édifice, construit en 1683, est aujourd’hui le Musée d’histoire de la Science. Il a été récemment rénové et conserve une collection unique au monde d’instruments « mathématiques » (150 astrolabes, plus de 700 cadrans solaires). Revenons donc à l’époque de sa création qui s’inscrit dans un mouvement plus vaste qui eut une grande importance pour l’histoire des sciences. Le sous-sol du bâtiment était un laboratoire — le premier laboratoire universitaire d’Angleterre ; au-dessus de l’entrée de la galerie située à ce niveau était peinte l’inscription « Atelier de chimie ». Le niveau immédiatement supérieur était réservé à l’enseignement et comportait une salle de conférences et de démonstrations : au programme, l’étude de l’univers naturel grâce à des conférences accompagnées de démonstrations expérimentales. Tout au long du XVIII° siècle, les instruments destinés aux démonstrations seront plus nombreux et complexes. Ici, l’inscription peinte à l’entrée de l’étage était « Ecole d’histoire naturelle ». Enfin, au niveau supérieur se trouvait le Musée à proprement parler. Dans l’Ashmolean Museum (le terme même de « musée » a fait son entrée dans la langue anglaise par rapport à cette institution oxfordienne) était conservée, classée et exposée la première collection : un ensemble de « curiosités » tant naturelles qu’artificielles. Les spécimens d’histoire naturelle rivalisaient pour occuper l’espace avec des monnaies, des médailles, des modèles, des instruments et des œuvres d’art. Le musée du XVII° siècle était donc bien davantage qu’un entrepôt d’objets rares et précieux. C’était une institution dédiée à tous les aspects du nouveau savoir de l’époque, en quelque sorte un résumé de la « nouvelle philosophie ». Premier musée universitaire, l’Ashmolean Museum prenait la suite d’une histoire déjà longue, mais qui reste à redécouvrir, celle de la constitution en Europe des collections des universités. Préhistoire des musées universitaires Cette préhistoire des musées universitaires est racontée par Marta Lourenço dans un article à paraître dans La Revue du Musée des arts et métiers. En effet, les universités ont été parmi les premières institutions à rassembler des objets de façon systématique et dans un but précis, généralement l’enseignement. Certaines de leurs collections pouvaient cependant être présentées à un public plus large. Ainsi, en 1617, les collections d’Ulisse Aldrovandi et de Ferdinando Cospi sont exposées dans le Palazzo Publico de Bologne. À Leyde, les spectateurs étaient conviés à assister aux dissections pratiquées dans le théâtre anatomique, avertis qu’ils étaient par le son des cloches de l’église de la ville. Le but principal des collections universitaires était cependant de servir de support à l’enseignement et ceci dès le XIV° siècle en ce qui concerne les instruments de musique et les instruments mathématiques. L’enseignement de la médecine s’appuie sur les ressources du jardin botanique. En 1540 sont créés à Padoue et à Pise les premiers jardins botaniques. De nombreux autres suivront et, notamment en 1593, le Jardin des plantes de Montpellier, rattaché à la Faculté de médecine. Dans les jardins, les plantes étaient séchées puis mélangées à des fins médicales, donnant ainsi naissance aux herbiers et aux collections pré-pharmaceutiques. Au XVI° siècle apparaissent dans les collections des facultés de médecine les modèles en cire, exposés à côté du matériel ostéologique dans les théâtres anatomiques. Ces collections, destinées à l’enseignement, devaient être exposées dans des locaux particuliers et ces présentations préparent donc les esprits à la création des premiers « musées ». J’appelle ainsi des édifices construits dans le but d’accueillir un public plus large que les « étudiants » des universités. Cette préhistoire du « musée universitaire » ne concerne pas que les sciences. Le Christ Church College d’Oxford conserve la plus ancienne des collections universitaires d’œuvres d’art : la Picture Gallery fut en effet créée en 1546. Au XVII° siècle sont créées de nombreuses écoles des « beauxarts » qui collectionnent, à des fins d’enseignement, les moulages en plâtre, les maquettes et modèles pédagogiques mais aussi des œuvres d’art originales. Aujourd’hui, les collections des écoles d’art et d’architecture sont toujours plus importantes et l’un des problèmes de ces établissements est bien le devenir de ce qu’on appelle en anglais le « faculty art », c’est-à-dire les travaux et maquettes réalisés par les élèves dans le cadre de leur formation. À côté des collections d’enseignement se développent des collections destinées plus spécifiquement à la recherche. À la suite des très nombreuses collections d’étude privées qui prospèrent en Europe du XVI° au XVIII° siècles, se créent en effet de véritables collections de recherche à l’intérieur de l’Université. L’une des plus anciennes a été constituée par Ulisse Aldrovandi, professeur à l’Université de Bologne. Les collections de recherche se développent dans les disciplines fondées sur une production de connaissances à partir de l’objet lui-même, en zoologie, paléontologie, botanique, minéralogie, archéologie, anthropologie, médecine. La collection de recherche peut devenir collection de référence. Les universités conservent aujourd’hui un patrimoine exceptionnel mais très largement méconnu ; cependant, depuis quelques décennies, les responsables des universités comme les professionnels de musées marquent un nouvel intérêt pour le patrimoine architectural et les collections abritées par leurs établissements ; le patrimoine immatériel, les modes de transmission des savoirs, les traditions estudiantines et plus généralement la vie de l’université deviennent aussi objets de musée. Pourquoi ce nouvel intérêt et comment se manifeste-t-il dans différents types de projets en Europe ? Un état des lieux Il est très difficile de donner un état précis du nombre des musées et collections universitaires en Europe. Par universités, nous entendons plus largement les établissements d’enseignement supérieur et de recherche et donc, en France par exemple, aussi bien l’Ecole Polytechnique que le Conservatoire national des arts et métiers. Un inventaire récent conduit en Grande-Bretagne chiffrait à 400 le nombre de ces musées et collections. En Allemagne, la seule Université Humboldt à Berlin recense 28 collections différentes, 30 à Leipzig. Peut-être peut-on avancer le chiffre de 60 « musées universitaires » pour la France ; dans un article à paraître dans La Lettre de l’OCIM nous essayons, avec Marta Lourenço, de proposer une typologie de ces collections en fonction des missions des établissements : enseignement, recherche, communication. Mais cette typologie est difficile à établir puisque nous parlons de collections très variées : collections d’histoire naturelle, d’histoire de la médecine, jardins botaniques, patrimoine des observatoires astronomiques, collections d’instruments scientifiques mais aussi collections d’art contemporain (Université La Sapienza à Rome, Musée de l’université d’Alicante) ou même des maisons-musées comme la maison de Miguel de Unamuno à l’université de Salamanque. Des trésors à redécouvrir Ce qui est certain, c’est que les musées universitaires recèlent des trésors qui méritent absolument d’être redécouverts. Des initiatives récentes ont ainsi remis à l’honneur les collections du Palazzo Poggi à Bologne ou celles de l’université d’Uppsala rassemblées au Gustavianum. Riche de ses neuf siècles d’existence, l’Université de Bologne conserve des collections uniques qui sont maintenant regroupées dans un véritable musée universitaire qui présente les collections rassemblées dans l’Istituto delle Scienze fondé par Luigi Ferdinando Marsili en 1711. Le bâtiment a été magnifiquement restauré, notamment les fresques du XVI° siècle dues à Nicolo dell’Abate. Le visiteur redécouvre un monde ordonné et ses représentations du XVI° siècle, avec le théâtre de la nature de Ulisse Aldrovandi, au XVIII°siècle, avec le laboratoire de Luigi Galvani. Parmi les salles les plus spectaculaires, il faut citer la présentation des cires anatomiques créées par Anna Morandi et Giovanni Manzolini ou les plans-reliefs illustrant l’art militaire et les fortifications au XVIII° siècle. Les vitrines anciennes ont été retrouvées et restaurées ; des éditions avec des photographies de grande qualité sont proposées au visiteur de ce musée unique, ouvert régulièrement, y compris les dimanches malgré la fermeture de l’Université. Des musées d’enseignement Autre exemple : à Paris, le Conservatoire des arts et métiers, fondé en 1794 sous la forme d’un dépôt d’inventions « neuves et utiles » et dont les collections ont été régulièrement enrichies tout au long du XIX° siècle notamment à l’initiative des professeurs de l’établissement, Théodore Ollivier pour la géométrie descriptive ou Lucien Magne pour les arts appliqués. Le musée du CNAM est un modèle du « musée d’enseignement » conçu pour la démonstration de l’inventivité enfouie au cœur des machines et des instruments. « Panthéon des techniques » au XIX° siècle, le musée est oublié au XX° siècle et faillit à sa mission, d’ailleurs difficile à remplir, de conservation et de mise en valeur du patrimoine technique contemporain. Il faudra plus d’une décennie de patients travaux pour rénover un musée bicentenaire, dans le cadre des grands travaux de l’Etat français, et remettre à niveau une collection unique au monde. L’un des buts de cette rénovation était de renforcer la mission éducative première du Musée. Aujourd’hui, le Musée des arts et métiers dispose, avec la création de nouvelles réserves accessibles à tous ceux qui ont un projet d’étude, d’un formidable outil de recherche. La collection, entièrement informatisée, est visible dans des travées suffisamment vastes pour que les objets soient facilement déplacés vers les ateliers de restauration ou les locaux d’étude. Dans les galeries d’exposition, de nouveaux parcours font revivre une histoire des techniques ou plutôt de la pensée technique grâce à une muséographie fondée sur une pédagogie par l’objet et la médiation humaine. Le Musée a retrouvé ses publics et sa place au cœur d’un réseau de musées et de centres de culture scientifique et technique. Il reste à conforter une politique d’acquisition et de valorisation du patrimoine du XX° siècle, soulignant ainsi les relations fécondes entre recherche, formation, communication. Musées et Universités La question des « relations fécondes » entre le « musée » de l’université et « l’établissement d’enseignement et de recherche » dont il dépend n’est pas simple. En principe, les musées universitaires devraient être les musées idéaux : ils sont riches en hommes (les enseignantschercheurs de l’université), en objets réels, en laboratoires de recherche et d’enseignement. De fait, c’est souvent leur insertion dans les réseaux universitaires qui leur ont permis par exemple d’intégrer très vite les technologies dites nouvelles dans leur travail quotidien. Les technologies de l’information ont révolutionné les modes de gestion des collections et les musées universitaires ont été parmi les premiers à faire vivre des sites web d’autant plus riches que les établissements conservent d’importants fonds d’images et de documents audiovisuels. Pourtant, dans de trop nombreux cas, dès que la mission du musée peut sembler gêner les missions principales des établissements en matière d’enseignement et de recherche, les collections sont malmenées au mieux oubliées (citons la collection Delmas/Orfila/Rouvière à l’Université Paris V toujours en instance de déménagement). Conscients de cette situation paradoxale, les professionnels de musées ont souhaité la création au sein de l’ICOM, le Conseil International des Musées, d’un Comité international pour les musées et collections universitaires. Créé en 2001, l’UMAC comprend aujourd’hui près de 200 membres représentant plus de 30 pays. L’UMAC a ouvert de nombreux chantiers dont la création d’une base de données qui sera bientôt accessible en ligne. Les Actes des trois premières Conférences internationales de l’UMAC qui se sont déroulées à Barcelone, en Australie, aux Etats-Unis ont été édités grâce au travail éditorial conduit par Marta Lourenço pour la Revue Museologia du Musée d’histoire de la Science à Lisbonne. La prochaine conférence aura lieu en Octobre 2004 à Séoul et traitera plus particulièrement du patrimoine immatériel. Là encore, les musées universitaires peuvent, du point de vue de la prise en compte du « patrimoine immatériel », représenter des musées idéaux : ils se préoccupent depuis l’origine de la transmission des savoir-faire, des modes d’enseignement et des processus de recherche ; l’université peut faire réaliser des « histoires de vie » des enseignants-chercheurs qui documentent les objets ou les expériences créées (c’est le cas par exemple à l’Université de Nantes). Le patrimoine immatériel des musées universitaires, ce sont aussi les modes et les rites de la vie étudiante (ainsi, l’acte de brûler les rubans pratiqué avant les examens à Coimbra et dans de nombreuses universités portugaises) et plus généralement l’aventure de la connaissance et l’histoire de l’éducation. Il faut ajouter un autre élément constitutif du patrimoine universitaire : l’idée européenne et la transmission de valeurs communes, la liberté de pensée, de croyance et d’expression. Une culture européenne « L’Europe, un patrimoine commun », tel était le titre de la campagne lancée en 1999 par le Conseil de l’Europe. Dans ce cadre, le projet sur le patrimoine des universités européennes, conduit par Nuria Sanz et Sjur Bergan a donné lieu en 2000 à une publication qui permet de contextualiser l’apport des universités au patrimoine européen. Les communautés humaines dénommées Universités (universitas) sont nées en Europe au XII° siècle à Bologne puis Oxford et Paris. « L’université est bâtie en hommes » écrit un juriste français au XVI°siècle ; l’institution est un organisme vivant, capable de s’auto-administrer et les étudiants se déplacent à la recherche des enseignants répondant le mieux à leurs besoins et à leurs curiosités. Un modèle différent s’imposera au XIX°siècle en Allemagne avec la formation par le savoir, installée par Wilhem von Humboldt à Berlin en 1810. Aujourd’hui, la diversité des routes du savoir est encore grande, mais la Déclaration de Bologne de juin 1999 réaffirmait le rôle irremplaçable d’une Europe des connaissances pour le développement social et humain et la création d’une citoyenneté européenne. Le patrimoine matériel et immatériel conservé dans les musées et collections des universités est un socle irremplaçable pour la reconnaissance d’une identité commune y compris dans la mise en valeur des témoignages particuliers aux différents pays qui se sont associés pour la consolidation de cette Europe des connaissances. En témoignant des liens essentiels entre histoire et patrimoine, entre patrimoine et innovation, entre innovation, échanges et construction européenne, le musée universitaire est un musée porteur d’avenir et d’espoir pour nos communautés. Il est incontestablement l’un des avenirs du musée des sciences parce qu’il replace la relation entre science et société au cœur du débat citoyen. Il marque aussi fortement le développement de la cité, c’est pourquoi les responsables académiques et des collectivités publiques choisissent souvent une rénovation dans les lieux mêmes de sa création. Jardin des sciences à Strasbourg, MuseUM à Montpellier : autant d’initiatives qui nous seront présentées cet après-midi et demain marquant le caractère résolument interdisciplinaire des projets en cours. Ainsi, à Montpellier, sont rassemblées dans un espace exceptionnel au cœur de la cité des collections de science et d’art qui, à l’initiative des trois universités et dans le cadre du Pôle universitaire Européen de Montpellier et du Languedoc Roussillon, contribuent au rayonnement de la recherche et à une politique de culture scientifique et technique au bénéfice de tous. À Nice, l’Observatoire de la Côte d’Azur développe un projet muséal qui remet en valeur le patrimoine naturel, architectural, scientifique de cet observatoire idéal voulu par un mécène éclairé à la fin du XIX° siècle, construit par Garnier et Eiffel, au cœur d’un établissement de recherche qui redécouvre son histoire et ses responsabilités envers le public le plus large. Émotion et pédagogie La chance des musées universitaires, aujourd’hui c’est en effet l’intérêt de nouveaux publics que l’institution universitaire redécouvre patiemment. Les projets que nous avons cités, ceux qui nous seront présentés au cours de ces deux journées, misent sur l’intelligence de ces publics nouveaux, sur leur curiosité, leur envie de comprendre dont témoignait par exemple cette formidable aventure que fut en 2000 « L’Université de tous les savoirs » ou les nombreux débats et rencontres organisés partout en France et en Europe au cœur des universités. Ils donnent aussi une place à l’émotion qui reste l’un des moteurs de l’activité humaine et qui a si magnifiquement sa place dans les musés universitaires qui font revivre les objets, les expériences d’hier et d’aujourd’hui. Cette émotion est perceptible dans le document audiovisuel produit par le Musée des arts et métiers « Arts et métiers, renaissance d’un musée ». Ce document, au-delà de son aspect formel (10 minutes de film pour évoquer plus de douze ans de chantier matériel et intellectuel), fait ressentir aussi je crois la fragilité de nos initiatives dont le succès dépend d’efforts soutenus et constants quels que soient les aléas de la vie politique, universitaire, de la vie tout court. Rien n’est jamais acquis et les formes de la mise en valeur du patrimoine culturel sont toujours à réinventer ; les « traces matérielles » que sont les objets résistent cependant aux péripéties de la vie des institutions. En conclusion, je voudrais citer cette phrase du philosophe François Dagognet : « Le monde des objets, qui est immense, est souvent plus révélateur de l’esprit que l’esprit lui-même ». C’est cet esprit qui souffle au Conservatoire des arts et métiers, lieu de culture chargé d’une histoire millénaire et dont les mutations ne sont naturellement pas achevées.