jackalope burger

Transcription

jackalope burger
jackalope burger
— roman —
par
jim delarge
370 000 caractères (espaces compris)
65 000 mots
222 pages
© jim delarge 2003
[email protected]
34 rue Debelleyme
75003 paris
06 70 70 97 89
-1-
(…) chaque jour j’étais un peu plus en forme
ma belle allure me revenait, mon moral remontait et ainsi au total,
je vivais une époque heureuse.
Denis Johnson
Jesus’ Son
Aujourd’hui ? On est jeudi. Jeudi 19 décembre.
Année 2002. Et là je me retrouve à cinq minutes près au
dixième anniversaire de sa mort. Alors en rentrant chez moi
avec ma Valérie en tête je tape ce texto à 05h47 : « On
pense toujours à toi. Tu manques. M. »
Un palliatif que j’envoie à douze filles dont je tairai
les noms ici. De toutes façons aucune ne s’appelle Valérie.
Après ? Quelque chose ne colle toujours pas et je décide
d’en finir avec White Female #0 puisque la sculpture la nuit
a toujours fait partie de mes hobbies alors comme on dit
j’oublie tout et tout va mieux.
10h06. Je dors toujours et G une réalisatrice rousse
bonnet E me laisse ceci sur mon répondeur : « Oui. Mickey.
Comme réveille-matin à six heures du mat’ j’ai eu mieux je
te promets. On pense toujours à toi. Tu manques. Après le
reste est inaudible. Aime ? Mais alors pourquoi t’es pas venu
à ma projection petit lapin ? En tout cas ne me laisse plus
jamais ce genre de message. D’une voix métallique ça fait
peur. Ça me rend paranoïaque. Une voix de femme en plus.
D’ordinateur. Beurk. Utilise ta vraie voix Mickey c’est
beaucoup mieux comme ça. À très bientôt. Je t’embrasse
quand même. »
J’avais oublié que je n’avais que son fixe en mémoire
et qu’un nouveau service Orange ânonnait les sms.
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11h32. Le vidéaste François-Xavier Tulart alias Fix
ami de longue date fraîchement divorcé de son allemande
Elke ou Heike me réveille avec son
« merci de m’avoir enfin demandé pardon - la vie
n’est que la vie - le futur est déjà du passé »
texto incompréhensible puisque je croyais avoir
uniquement demandé pardon avant-hier à Fariba ma
décoratrice d’opéra au cul rebondi pour tout le mal que je
viens de lui faire. Spécifier : Fix et Fariba se jouxtent dans la
mémoire de mon Motorola. Simple erreur de curseur dans
un répertoire.
Vers midi ? Rage de dent. Excellente raison pour ne
répondre à qui que ce soit et après avoir fait le plus grand
des ménages je m’attable et fais des manières avec mon pied
pacqué de la veille à la fois trop caramélisé et saccageur
d’abcés.
En guise de dessert je renvoie le texto de la nuit à un
nouveau pack de douze mais cela avec de légères
modifications : « Encore totalement déchiré je pense à toi
(…). Je ne sais pas pourquoi. Tu manques. Mickey. »
J’insère cette fois-ci le bon prénom dans le (…) en
essayant de ne plus jamais intervertir mes destinataires. Ce
qui prend un temps assez long puisque ce n’est plus un
envoi en série mais douze envois de la copie avec insertion
de prénom. En habitué de la procédure je m’en sors haut la
main.
Une infirmière de quarante ans – on va dire : D –
brunette n°1 me tape presqu’aussitôt « appelle moi
maintenant ». Seule réponse décidément.
Du coup je veux bien l’appeler mais je me rends
compte qu’elle ne se souvient pas trop de moi et ne
comprend pas pourquoi elle est censée me manquer au bout
de deux ans puisque qu’il ne s’est jamais rien passé de
sérieux entre nous.
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Au bout d’un certain temps D me demande quand
même si j’ai une copine en ce moment. Je réponds :
« Pas tellement. Et toi t’es célibataire ?
— Oui je suis seule depuis quelques mois. »
Ainsi je peux réserver ma soirée d’après-demain
samedi 21 puisque je viens de donner rendez-vous à mon
infirmière esseulée à 21h00 à la Belle Hortense le bar
littéraire du 31 rue Vieille du Temple que j’affectionne
encore malgré tout le temps que j’y ai perdu.
17h00 et quelques les affaires reprennent. C’est une
seconde brunette mais à lunettes intra-pack n°1 26 ans dans
les ONG qui m’appelle. Ça fait un an que je n’ai pas
entendu sa jolie voix si claire et ça m’enchante maintenant.
Brunette n°2 se révèle très enjouée au téléphone et
commence même à diverger en parlant géopolitique et don
de soi alors il faut que je lui fasse sentir sans trop la brusquer
que je ne peux exceptionnellement pas trop discutailler là
c’est vrai je suis en train de courir à mon rendez-vous chez
ma dentiste rue Réaumur en tortillant à travers un vol assez
compact de jeunes pédés cultureux alors je lui dis en
bousculant l’une des taffioles que je m’excuse mais que là
vraiment j’ai les tympans qui tapent parce qu’hier soir j’ai
croqué un noyau d’olive si bien planqué dans le fromage
d’une pizza livrée que je m’en suis éclaté une sagesse et que
là donc il faut tout simplement que je fonce. On n’a
toujours pas eu d’aventure avec ONG mais ça a failli quand
elle m’a confié il y a un an qu’elle pouvait éventuellement
déverser un flot conséquent de cyprine au moment de
l’orgasme et qu’inquiète à ce propos à dix-huit ans elle était
allée voir un sexologue qui lui avait confirmé que comme
8‰ des femmes elle pourrait encore à l’avenir déplorer
noyer certains de ses petits camarades en cas de cunni ; ceci
grâce à deux glandes extrêmement rares et prolifères à ce
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stade dites de Sken situées de part et d’autre de ses petites
lèvres car mutante c’est bel et bien une femme fontaine. Il y
a un an je l’ai rassurée comme ça hey femme je crois bien
qu’un jour je boirai de ton eau. Ce temps-là étant enfin
venu j’exige de la voir le soir même. Mais comme elle a
beaucoup de travail et part demain dans le nord fêter Noël
chez sa grand-mère 8‰ me dit non alors on décide de se
voir le 30 décembre au soir à mon propre retour du sud où
je vais moi-même en famille festoyer comme un con.
20h et quelques alors que ma dentiste brunette n°3
mais version quinqua à lunettes a décrété il y a quelques
heures qu’elle ne peut rien faire ni pour ma dent éclatée ni
pour mon début d’abcès étant donné qu’elle n’opère pas à
chaud je commence donc à m’enivrer tout doucement avec
un blanc à vomir à la Belle Hortense sous Toprec antalgique
et Birodogyl antibiotique. La Belle Hortense ? La librairie
cave à vins à l’ambiance kaki très rasoir qui a su autoriser
certains de mes débordements pour une raison que je n’ai
toujours pas identifiée. Passablement excité je discute donc
avec les unes et les autres puis je me vois offrant des roses et
des verres en quantité à un savant mélange suédois gabonais
esseulé au comptoir avec une paire de nattes. La métisse
travaille au Centre Culturel Sarde. Une secrétaire qui se
définirait comme assistante de direction. Je viens de faire la
connaissance de brunette n°4. Quand elle est à point je lui
fais essayer mon Stetson noir ce qui lui donne un sacré air
de Comanche et nous rions beaucoup et minaudons jusqu’à
ce que tout haut je ne remarque au cours d’un baiser que
son haleine me rappelle étrangement l’odeur de cadavre à
l’anchoi d’une femme réglée. Incapable de mentir je suis et
cela me perdra. Bref devant mon aveu Métisse n°1 répond
je comprends et un peu dépitée elle part se coucher dès
minuit.
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Avant qu’elle ne déserte en la retenant assez fort pour
la rembrasser je lui garantis d’un coup de sourcil qu’on
pourra éventuellement se revoir un jour si mon emploi du
temps le permet. Elle tente cette expression ambiguë. Une
plèvre. Ou pliure de lèvres. De pieuvre. Et elle déserte.
Je rentre à la maison à la fermeture vers 02h et
quelques mais pas seul puisqu’avec ce coup-ci une assistante
de production autre secrétaire que je connais à peine et
arrivée par hasard au comptoir de la Belle H décidément.
Là : Imaginer Poil Châtain premier. Bigénaire au cul
très plat dont là je tairai le nom jusqu’au bout. Longs poils
beiges effilés au rasoir rebiquant à l’extérieur comme toute
pétasse sur plateau télé. Yeux beiges révulsés voulant baiser
ou biaiser. Tout ceci ton sur ton sur trench de cuir beige et
insistant pour me suivre même s’il n’a jamais été question de
coucher ensemble avant.
Après une nuit d’un chichiteux effarant ça m’arrive
souvent au coucher au lever à cause du côté quasi infâmant
de la situation vers 10h00 je savonne quand même Poil
Châtain Premier dans son bain. J’insiste sur les parties
vraiment salies de son corps – façon : oh ! mais que c’est sale
là – les seins la vulve l’anus. Les lui faisant mousser les
pinçant et les fourrageant de mes doigts gluants de Saforelle
un onguent périmé à pH neutre acheté par Zaza quatre ans
avant.
Zaza Bosch-Schwitters ? Encore une vidéaste mais
helvète platine et surdouée avec qui j’ai vécu un temps
certain puis rompu de façon radicale et dont j’ai pu
récupérer l’appartement du 9 rue Charlot en toute logique
donc quatre ans avant.
En sortant de son bain après avoir été frictionnée à
mort in Zazaland Poil Châtain Premier met du temps à
lever l’ancre.
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Ma baignoire comme d’habitude refuse de se vider
tant la squame zazaïste cimentée à ses cheveux en pâte en
bouche toujours les artères même quatre ans après et
remonte parfois comme là en caillots pour iriser par en
dessous la surface huilée d’une chose qui de toutes façons
refusera de siphonner. Frictionnée mais toujours un peu
moite PC1 fait encore un temps la chatte sur moquette.
Beige sur beige. Puis elle enfourche vite l’un de mes jean’s sa
culotte et le sien étant foutus pour l’instant et elle part
rejouer les assistantes de production. Docu. Fiction. Rien à
foutre. C’est à dire donner sa pauvre tonne de coups de fil
dans le monde entier. Je me repose tout ce qui reste de
matinée.
Mon après-midi entière est consacrée à Jackalope
Burger. Mon chef-d’œuvre. Réponse véritable à : « Mais
qui es-tu Miki ? ». Le soir dans mes draps pleins de miettes
je m’endors comme un bébé.
Samedi 21 décembre 2002.
De mon atelier meudonnais où j’œuvre en tant que
peintre sculpteur c’est selon on va dire presque
quotidiennement vers 16h00 je laisse ce message audio à
D : « Oui Daliah toujours ok pour 21h ? C’était Mickey.
Confirme-moi le truc. Je t’embrasse. » et Daliah –
nommons cette infirmière esseulée – ne me rappelle que
vers 18h?? pour me dire que non finalement puisqu’elle
préfère aller voir un narratif-industriel au cinéma avec une
copine et qu’elles rentrent toutes les deux dormir chez elle
direct mais qu’on peut se voir quand même même heure
même endroit demain soir dimanche 21h00 à la Belle
Hortense ou en face au Petit Fer À Cheval. Les affaires
périclitent.
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Le Petit Fer À Cheval ? C’est un minuscule petit café
très connu très cher toujours plein de gibier étranger et de
franchouillards dans le cinéma dont le comptoir est tout
simplement en forme de gros fer à cheval au 30 rue Vieille
du Temple en plein Marais oui mais dans l’îlot goy-hétéro
juste pilepoil face à la Belle H donc.
Là-bas dès 20h30 passablement énervé par Daliah en
revenant de mon atelier je dois aussi déplorer la présence de
Poil Châtain Premier esseulée en terrasse. Mon
innommable chatte sur moquette de la veille. Mais comme
j’ai rendez-vous au comptoir avec Zoran Zupancic un ami
marchand d’Art venu de Sarajevo je lui dis en la dépassant
qu’il faut à tout prix que je rejoigne le maffieux géant
chauve planté là à l’intérieur pour parler affaires. Urgent.
Urgent. Ici : c’est assez cocasse un instant en effarouchant
un amas de très jeunes merdes d’imaginer PCpremier
s’étrangler avec ses cacahuètes. Vers 21h+? avec Zoran
Zupancic en pleine palabre sur faut-il oui ou non que
j’attaque la galerie Haüser-Wirth de Zürich après la galerie
Kämpf de Bâle je vois arriver Lyson adorable petit chaton
platine de 14 ans aux yeux très bleus. Sorte d’oisillon
ébouriffé fraîchement tombé du nid faisant sa pose d’un
quart d’heure. Lyson répète une pièce du Claudel ou du
Büchner à l’Ange Magnetic le cours de théâtre privé d’à
côté. Alors ça devient très touchant entre nous car après
s’être plantée là entre mes genoux avec ses deux grands
yeux bleus de bébé la petite fille m’embrasse sur la bouche
puis me tend son sandwich au thon. Tandis que je croque
dedans puis mâchonne assis au comptoir en surjouant
devant mon camarade étranger elle ose venir me malaxer le
haut des cuisses et remonter encore. Assez près du but elle
stoppe net pour redécalotter sa cellophane d’un air ingénu
et rengloutir une énorme bouchée de son truc.
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Là ? Je ne peux pas m’empêcher de glousser tant ça
singe bien une pipe.
Fait-elle exprès ou bien : fait-elle exprès ? Mon rire
nasal est aussitôt communiqué à mon bosno-serbe de 46 ans
ZZ homme d’affaires écroulé qui me fait si honte à cet
instant que je décide de l’abandonner ce d’autant plus qu’il
n’a rien de très sérieux à me proposer. Et comme elle doit
retourner répéter je dis à Lyson que je vais l’accompagner
pour embêter également PC1 qui nous voit partir ensemble.
C’est vrai j’ai dit à cette conne hier matin dans son bain
qu’hélas j’avais un rendez-vous prévu avec une autre ce
samedi soir et qu’on ne pourrait donc pas se voir. Elle doit
penser que je devais voir Lyson alors que j’étais censé voir
Daliah. Je la salue à connard en sortant. PC1 me répond
d’un coup de sourcil et d’un mouvement de doigt à peine
esquissés qui ne veulent pas dire grand chose. J’abandonne
mon gentil alibi devant son cours de théâtre un peu plus
haut. Mais Lyson tient visiblement devant ses camarades
fumeurs de clopes à la pose à encore un peu m’embrasser
parfum thon sur le trottoir. Je me laisse faire.
Après ? Je remonte la rue Charlot pour faire quelques
courses chez mon vieil arabe.
En rentrant je tape « Vive demain » à Daliah.
Après avoir mangé paupiettes de veau purée salade
tout seul à la maison je me parfume la barbe pour qu’elle ne
sente pas trop le thon de Lyson. Dose massive de cK be.
Calvin Klein qui sent si bon la lessive ou le savon qu’il
génère chez tout suspect une sainte odeur de sanitaire.
J’anticipe à mon habitude sur toutes ces inconnues
apprêtées et jetées en pâture le samedi soir dans mon
quartier. 23h00. Après m’être suffisamment fait désirer je
me décide enfin à me rimmerger au Petit Fer. On ne sait
jamais.
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Évidemment mon géant chauve de bosno-serbe
maffieux est déjà parti vexé engloutir de grosses quantité
d’alcool et de nourriture ailleurs mais PC1 est toujours là en
terrasse ce coup-ci avec des amies à elle que je salue là
plutôt amicalement. J’entends : « Et ton rendez-vous ?
— C’est pas avec Lyson que j’avais rendez-vous c’est
avec Daliah mais elle a annulé. C’est pas grave. Je la verrai
demain.
— Alors voyons-nous à la fermeture.
— Yop. »
Et je retourne en face à la Belle H on ne sait jamais
où j’ingurgite une dose inhabituelle de vinaigre blanc. Or
vers 01h et quelques arrive hummm Emma Merlin longue
brunette n°5 fantasque quoiqu’en apparence quadra très
bourgeoise avec son tailleur et ses lunettes. Une vraie amie
psychiatre que je n’ai pas vue depuis fort longtemps et
bizarrement ça devient très tendre entre nous puisque
pratiquement nous ne jugeons pas très utile de parler. Je
veux dire qu’au prétexte d’une conversation très privée nos
fronts se rapprochent et que selon une logique interne on
commence à se lutiner et ce de plus en plus jusqu’à la
fermeture. Du coup à la sortie PC1 un peu ivre et esseulée
trouve le courage de venir me faire toute une série de
remontrances suite à une attitude incohérente et me menace
même d’un doigt qui se met à tournoyer sous mon nez.
Doigt que j’attrape très vite au vol et fais un peu craquer en
le lui tordant.
« Sois gentille. Heu. Radasse. OK ? Tu me laisses
tranquille dorénavant ».
Après avoir réglé ça je rejoins Emma Merlin qui
m’attend super sex un peu plus loin dans la rue et nous
allons prendre un dernier verre à la Feria un bar de nuit très
vulgaire de la rue du Bourg Tibourg où ça devient
n’importe quoi.
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Là-bas il y a aussi Lyson fraîchement sortie de sa
répétition je la serre très fort dans mes bras en arrivant et
l’embrasse aussi un peu derrière une colonne.
Je suis assez chaud car je lui prends la main et lui
présente Emma. On ne sait jamais. « Emma. Lyson. Lyson.
Emma. »
Lyson prend l’air pensif et nous quitte alors avec
Emma au comptoir on se saoule au Sancerre. Et se
murgeasse très concrètement.
Mais là je dois à tout prix aller aux toilettes et merde
je me sens tout broyé de l’épaule en me retournant trop vite
sur un colosse sous exposé qui vient passer sa commande.
Un mur ? Matelassé. À contre cœur je lui cède la place en
lui toisant les baskets. Après mon pipi sur lunette au retour
longtemps après car je me suis recoiffé je crois bien deviner
comme une Emma luminescente assise au comptoir
déchirée et sexuelle avec collées dessus plein de petites
bagouzes qui font des étincelles. Plus haut bascule dans son
décolleté le grand gros noir américain que je viens de
percuter mais avec là une langue extrêmement longue et
violacée qui en sort. Il y a un léger mouvement de foule
quand je montre deux incisives en me rapprochant. J’ai
saisis le large cou noir super glissant et ajouté un simple
mollard sur son œil blanc puis là maintenant je pousse le
tout à la ronde. Au milieu du désordre irrationnel bouteilles
tabourets déplacés très professionnelle mon ex-psychiatre
me traîne très vite par la main vers chez sa mère qui a un
très joli petit pied-à-terre pas loin. En boitillant un peu je
me laisse inviter impasse Saint Claude. On ne sait jamais.
Là-bas après un bain à deux quelques Bourbon et une
dose massive de reproches oui au cours un long débat dans
l’eau dans les draps léopard de sa mère à la sortie c’est
comme s’il était le plus normal du monde que par derrière
pour me faire pardonner je ne lui dévore sa croupe
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savonnée assez longtemps en hommage au passé. Les
couilles calées par ses jolis pieds. C’est la première fois. Je
finis par obtenir un orgasme un peu plus tard quand enfin
en retour mais un peu ralentie elle ne se retourne pour me
promener sa langue instruite sur le périnée le scrotum le
frein le méat et plus haut et plus bas en entonnant un air
Bushman ou Malawi. Comme si elle ne savait pas faire
autrement. L’Afrique. L’Afrique. L’Afrique. Le léopard reste
intact hummm vu que son palais en est tapissé. Après ? Je
ne l’entends pas recracher et assez logique je refuse d’être
embrassé d’autant plus que son portable ne cesse pas de
vibrer sur sa table de chevet.
Ce soir normalement j’ai rendez-vous avec
Daliah. C’est ce qui me trotte en tête au réveil vers 13h pfuit
dans les draps léopard de la mère d’Emma. Alors je me lève
et j’allume une cigarette. Mais comme je n’en ai presque
plus je me mets à angoisser devant une Emma entortillée
continuant de ronronner sur fond tacheté. Je cherche
comment faire du café mais il n’y a qu’une saloperie de thé
de fille sans théïne à la vanille alors je pars en laissant ce
mot : Emma je suis parti me faire un vrai café à la maison.
Rejoins-moi si tu veux. M. Bic bleu sur post-it rose de mon
écriture infantile du matin et je descends tournoyer comme
un fou pour trouver un tabac ouvert car Le Progrès tout
proche est évidemment fermé depuis peu le dimanche.
Chez-moi je me fais du café et peux donc aisément
aller à la selle. Un peu plus tard Emma me rejoint et nous
fumons beaucoup en parlant. Surtout elle. De son mari
gentil qu’elle ne quittera jamais car c’est son frère depuis
longtemps de ses amants successifs surtout le dernier un
vieux patient d’origine touareg. Rare : L’homme bleu tout
désintégré qui n’a pas arrêté de faire vibrer son portable
toute la matinée sans qu’elle n’ait décroché.
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Ce grand homme est censé être très sec jaloux et
violent tendance psychotique quand il sent que sa maman
n’est pas seule. Information inutile qui a là un peu trop l’air
de vouloir les valoriser tous les deux.
16h05. Avec Emma on a très faim et on va prendre
un tartare haricots verts au Petit Fer. Emma se met à
téléphoner non-stop à sa mère encore une psy à la retraite
qui veut en savoir plus sur moi. Si je n’ai pas trop sali ses
draps etc. Puis à une amie. Puis à son frère à propos du
cadeau de Noël à faire à son fils un surdoué qui mérite
certains égards et attentions. Ce qui prend un temps de fou.
À un moment jaloux je dois mettre des cendres dans ses
haricots verts. Puis au dessert je lui demande de me masser
les épaules et le cou car dos à l’entrée pendant qu’elle
appelait la terre entière j’ai attrapé un torticolis à force de
vérifier à droite à gauche qui rentrait au juste au Petit Fer.
Parallèlement j’ai dû aussi surestimer ma résistance au Saint
Martin. Vin blanc si déprimant que telle un ressort Emma
décide de me lâcher pour aller s’offrir un pantalon de cuir
beige rue des Francs Bourgeois puisque tout y reste ouvert le
dimanche et ce d’autant plus avant Noël. Elle me dit qu’elle
revient dans une heure et me conseille d’annuler mon
rendez-vous de ce soir avec Daliah ce qui serait plus smart si
ma connasse je cite doit se déplacer de loin.
Je lui promets que je trouverai le courage de le faire
mais des tas d’amis arrivent et j’omets.
Dans mes va-et-vient entre le Petit Fer et la BH mon
sempiternel verre de Saint Martin à la main rien à battre de
rien. Le Petit Fer ? La BH ? Fantastiquement disponible je
suis. Je peux même envisager en musardant si je veux cette
très jolie chef-op avec ce très bel arc jugal qui boit toute
seule mâchoire en avant un demi à la terrasse non chauffée
du Petit Fer.
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Vient-elle par hasard ou parce qu’elle fait partie de
ma deuxième salve de texto ?
Je ne le lui demande pas. Elle met quelques secondes
à me reconnaître avec la barbe et le Stetson roux que
j’arbore depuis peu. Je reste planté là devant elle le temps
que ces méninges travaillent et ça y est clac on s’embrasse
chaleureusement et je lui fais un gentil ça va ?. Jolie ChefOp me répond que ça ne va pas si bien puisqu’elle n’a plus
de boulot à part un vague projet pour une pub L’Oréal et
quelques courts métrages pas payés du tout. Alors je la
coupe pour lui dire que moi je suis au top puisque comme
elle peut le voir j’ai de quoi me déchirer comme il faut.
C’est vrai. Plein d’amis argentés s’offrent plein de tableaux
pour Noël depuis que je commence à exister du côté de
Basel et de fait je ne sais plus où fourrer mes billets de 100
de 200 et de 500. Je parle en Euros là et je le lui prouve en
dégainant une liasse. Ce qui n’est pas très classe. Mais après
un silence je suis obligé d’ajouter qu’au présent je suis
quand même moi aussi au plus bas puisque j’ai rendez-vous
connement avec deux nanas en même temps Emma et
Daliah en oubliant sur le moment que j’aie pu intégrer Bel
Arc Jugal dans mon petit jeu de sms. Intra-pack2. B.A.J. a la
délicatesse de ne pas relever.
Sur quoi synchro Emma revient me sauver dans son
pantalon de cuir beige. Je les présente et Baj dit qu’elle va
nous laisser. Mais je paye son verre et c’est Emma et moi
qui la laissons.
À la Belle Hortense avec une Emma Merlin toujours
aussi allumée je fais assez longtemps devant Séverine qui
sert au comptoir comme si on était réellement amoureux
pour qu’éventuellement elle le répète à sa meilleure amie
Fariba mon ex préférées fraîchement éjectée.
Fariba ? C’est je le répète ma décoratrice d’opéra à
poil très noir peau très blanche mais cul dément ultra
- 14 -
rebondi de négresse taille fine bassin large pas jolie pire
mortelle avec ce pur air d’iranienne froncée que Séverine
m’a présentée il y a un an. Or selon Sèv j’aurais été avec
Fariba il y a un mois un vrai salaud au point moi-même de
le regretter ; d’où le pardon aviné que j’ai cru lui demander
par sms il y a trois quatre jours. Pardon qu’elle n’a jamais
reçu puisque aviné je l’ai envoyé à Fix à qui d’une certaine
façon aussi je devais des excuses.
En pleine séance de mamours Merlinois pour encore
à distance par le biais omniprésent de Sèv la balance faire
souffrir cette Fariba-là je me réchauffe donc une main
concassée dans les beiges replis d’Emma. Mais prudent je
me cache aussi derrière mon Stetson vissé sur le front au cas
où Daliah franchirait le seuil. Heureusement Daliah
n’émerge pas. Alors avec Emma Merlin un peu esseulé on
décide de retourner chez sa mère. Chez moi ce n’est pas
assez cosy elle s’en est rendue compte quelques heures avant
à cause de pas mal de choses taxidermisées par mes soins
qui traînent un peu partout et qui selon elle puent encore la
mort : un lièvre avec fiché dedans des cornes de gazelle tout
ça un porte-bébé Dayak avec incrusté dedans un demi crâne
d’orang-outang tout ça et autres symboles de virilité
maternité fertilité venus des antipodes à base de peau et d’os
plus quelques vieux travaux porno plus spécifiques qui ne
sont pas trop son genre non plus question vision de la
femme. Bref retourner chez sa mère voir une vieille VHS
c’est le prétexte culturel Le Portrait de Dorian Gray 1944
devant lequel je m’endors en lui mordillant avec des
intervalles de plus en plus longs l’élastique un peu rance de
ses bas qu’elle vient de mettre exprès pour ça. Mais Emma
Merlin a très faim et après avoir tapé sur pause elle
commande une pizza chez Pizza Hut qui arrive trente
minutes plus tard.
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Le ding dong me réveille. Je la laisse payer et on
partage dans deux assiettes en carton le truc chaud pâte
américaine fraîchement atterri. Tout en dévorant je prends
garde aux éventuels noyaux expulsés de leur olive et si bien
planqués dans le fromage on ne sait jamais. Après le
soporifique Dorian et la pizza je daigne faire reluire une
dernière fois au dessert les parois internes du sexe instruit
Merlinois. Mais lundi 23 décembre vers 01h00 on décide de
chacun rentrer dormir chez soi histoire d’enfin se reposer
pour de vrai. J’escorte donc une Emma boitillante jusqu’à
ce qu’un taxi n’arrive boulevard Beaumarchais. On
s’embrasse parfum sexe clope et pizza et elle me remercie
pour le super week-end qu’elle vient de passer. Emma peut
donc rejoindre sans ambages dans le sixième son mari
sympa. Un peu dégoûté je rentre sans vraiment tituber. Sur
le trajet vers 01h09 mon testicule droit se met à vibrer vu
qu’on me laisse : « Allo Mickey bonsoir c’est Daliah je suis
désolée je me suis endormie j’étais très fatiguée je viens juste
de me réveiller je comptais te voir ce soir mais là c’est trop
tard il est une heure du matin ceci étant je ne te connais
vraiment pas assez et je trouve ça assez curieux de se voir
comme ça. Je voulais te dire que j’avais pas du tout envie de
baiser en ce moment comme ça et avec un inconnu en plus
voilà quoi mais si tu veux on peut se voir en tout bien tout
honneur je veux que ça soit de la pure amitié entre nous
voilà si t’es d’accord appelle-moi voilà Mickey je
t’embrasse et à très bientôt quand même j’espère »
En rentrant j’écoute ce message et je suis pris de
nausée. Ça doit être à cause de l’odeur froide du tas de
mégots d’Emma. J’aère jette les mégots et tout va beaucoup
mieux. Daliah ? Stop-Eject.
Je vais me coucher en enclenchant The Prophet’s
Game avec Dennis Hopper 1999 une histoire de Serial
killer grâce à laquelle je peux m’endormir.
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11h31. Vibrato sur mon matelas. Rien de spécial. Ma
mère me réveille pour me dire qu’il fait très beau dans le
sud et en grognant je lui dis super à ce soir.
Dès midi et demie Pc1 ou un huissier à moins que ce
ne soit la police Emma Viera ou Fariba est en train de
tapoter assez discrètement à ma porte. Oui. Ça dure depuis
une bonne demi-heure déjà. Avec de sacrés intervalles de
silence. Je n’ouvre pas. C’est l’un de mes jeux favoris
puisque ça développe chez l’intrus une forme d’instinct de
chat guettant les moindres signes de sa proie. En
l’occurrence : Moi. Je suis là ? Ou je suis pas là ? À toi de
deviner gentil chachat. Mais là je suis là puisque tout en
faisant joujou avec mon ordinateur Jackalope Jackalope
j’écoute Rancid à fond. Rancid ? Une formation punk 90
issue de la côte ouest des États-Unis et évoquant un savant
mélange de Ramones Buzzcocks Discharge et Disorder. Ce
qui ne peut qu’attester de ma présence. Puis enfin à un
moment plus de tapotements plus rien.
14h?? tout seul dans mon bain moussant je tapote à
mon tour car j’ai du temps à tuer : « Des fois Daliah je te
trouve un peu sérieuse comme fille c’est triste car la
première fois je t’avais trouvée plutot rigolote. Adieu
donc. »
En descendant ma valise à la main vers 16h06 pour
me rendre Gare de Lyon je peux constater en me viandant
que mes escaliers viennent juste d’être cirés alors je pense
que c’est peut-être la femme de ménage quadra reubeu pas
très jolie qui a tapé à ma porte pour réclamer ses étrennes.
J’ai bien fait de faire le sourd vu que j’étais encore avanthier sur mon compte courant à négatif de 1398 Euros et que
je ne me sens pas si enclin que ça à dilapider ainsi à tout
vent ma grosse liasse de grosses coupures au black.
Vers 17h25 dans le TGV Paris-Avignon Emma
Merlin me laisse ce message :
- 17 -
« Allo mon très cher Mickey Emma Merlin à
l’appareil. Je voulais encore te remercier pour ce week-end
c’était vraiment très très chouette non ? Sinon cadeau de
Noël il faut que tu passes chez Anna Glatz. Elle a une super
galerie rue Vieille du Temple. Je lui ai parlé de toi. Elle veut
te rencontrer à tout prix. C’est une nana super qui expose
des gens vraiment supers. Non c’est vrai elle est vraiment
pas mal et qui plus est elle promeut des artistes comme
(inaudible finissant en ski) et d’autres encore dans un esprit
vraiment sympa. De toute façon il faut que tu me rappelles
je t’en dirai plus. Allez joyeux Noël je t’embrasse très très
fort mon grand hahaha allez ciao-ciao. »
Mon grand hahaha ? Allez ciao-ciao. Je ne rappellerai
plus jamais Emma.
À Avignon il fait effectivement très beau. Souriants
mes parents m’attendent. On s’embrasse et on fonce vers
Oppède le Vieux où direct dans ma chambre je vais me
coucher avec mes BD.
Mercredi 25 décembre 2002.
Jour de Noël. Du réveil au coucher pas de
communication hors cellule familiale. Mamours. Mises au
point. Dispute. Festin.
Jeudi 26 décembre 2002.
Vers 11h37 Séverine la serveuse de la Belle Hortense
à poil très noir très lisse 2? ans peau très blanche et sourcils
très droits et fournis + cul comme on l’imagine me tape
« APRES LES CADEAUX DE NOFL JE TE SOUHAITE PLEIN DE BONNE
CHOSE POUR 2003 SANTE BONHEUR FRIC QUOI DAUTRE ? L’AMOUR
RETROUVÉ ? BISES. SEV. »
- 18 -
? Je n’aime décidément pas les
majuscules ni les coquilles dans les texto et je ne lui réponds
pas puisque je prends avec mon père dans notre parc à
Oppède un arbre mort à coups de hache et de
tronçonneuse.
Vendredi 27 décembre 2002.
CADEAUX DE NOFL
Vers 16h21 je laisse — tout en arpentant mes terres
familiales à la recherche de psilocybes même si ce n’est plus
trop la saison puisque je ne trouve que des inocybes et des
clitocybes pourrissant sur pied — un message audio à
8‰ONG qui doit me filtrer. Ceci pour avoir confirmation
de notre rendez-vous du 30 décembre au soir en lui
proposant le comptoir de La Palette rue de Seine 20h00 vu
que j’en adore les serveuses quinqua Mauricette la blonde
Françoise la brunette. N°7.
8‰ me rappelle dès qu’elle a pris connaissance de
mon message et sa voix claire et juvénile me ravit à nouveau
surtout quand elle me confirme notre rendez-vous du 30
puisqu’elle me rappelle étrangement la voix d’Olga quand
tout allait encore bien entre nous.
Olga ? C’était une très belle ex de 1993 sosie
héroïnomane et polonais mais sans accent d’une Helena
Bonham-Carter d’1m88 sans les talons. Olga ? Un
mannequin que j’ai jadis expulsée de mon deux pièces 10
rue des vertus dès que j’ai appris qu’elle était séropositive.
Elle a d’ailleurs pu se venger après de façon excessivement
outrancière on verra plus tard comment. Olga ? Tuée
depuis en moto vers 1997 sur l’A11 dans le 92 où renversée
par une Volvo elle a été décapitée eh oui par une glissière
d’autoroute.
Napo ? ou Nap Olivier est un grand ami d’enfance à
poil ras et comme moi de petite taille mais à œil bleu clair
de prédateur.
- 19 -
Il me défend souvent puisqu’il fait de la boxe Thaï dès
j’exagère un peu et qu’un inconnu veut m’éclater par
exemple le nez comme sans doute je le mériterais. Mais il est
aussi traducteur aux Éditions du Cherche Midi et
responsable de l’achat des droits pour leur domaine
étranger. De plus il fait vaguement le nègre de temps en
temps pour untel ou untel ce qui s’avère assez cocasse pour
un ex-skin. Par contre en arrivant à Paris il a très vite
abandonné son vieux look faisant un peu trop pédé du
Marais et du coup il a viré socialiste. C’est dire. Or vers
21h15 Napo me tape ceci : « tu es à paris ou pas ? sinon
tendresse et belles fêtes dans le sud! à bientôt donc. n. »
21h32. Je fais un prix de gros en tapotant à l’attention
du jeune couple fragile et fluctuant Farida-Napo ne pas
confondre avec ma Fariba à moi : « FN du sud je vous
embarrasse très fort. M » car j’aime bien le laconisme de
mes jeux de mots.
23h59. Vibre mon mobile sur ma table de chevet
tandis que je tente de m’abrutir avec Esquisse d’une
Sémiophysique de René Thom piqué à mon père. Je
regarde qui s’affiche et relis Napo. Je ne réponds pas à son
appel puisque je suis à Oppède dans le Luberon et qu’on ne
peut donc pas festoyer ensemble ce soir et qu’il ne faut
surtout pas insister. Mais une minute plus tard à 00h00
j’entends la vibration accélérée de ma messagerie car Napo
ou ce que je crois l’être vient de me laisser un message
extrêmement long ce qui n’est pas son genre et je dois donc
me résoudre à entendre ceci c.à.d une voix de fille du sud
très vulgaire quoiqu’assez mal imitée :
« Ouiii. Mickey. Tu me manques trop c’est trop
affreux la vie sans toi. Moi je veux pas continuer comme ça.
Hè ? Si tu pouvais me rappeler au plus vite parce que je
t’aime et que tu me manques. Je t’embrasse et même que je
- 20 -
mets toutes mes forces dans l’embrassement. Tu me
manques. Tu me manques. Tu me maaanques. »
Putain. Suit pendant au moins vingt secondes toute
une série de gloussements et d’éclats de rire brouhaha assez
typique de la Belle Hortense quand la fermeture approche.
Signe qu’Hélène dont j’ai pu reconnaître la voix
transformable par le vin n’a pas su éteindre correctement le
portable de Napo. Hélène Sillex ? Petite fille de Paule
Thévenin. Paule Thévenin ? Secrétaire ou éditeur - les
versions divergent - d’Antonin Artaud qui sut conserver
longtemps et déchiffrer aussi ses manuscrits à lui pour la
publication de sa presqu’intégrale à la NRF. Hélène Sillex ?
Vraie philosophe vraie brune innumérotable mais à la
frange trop courte et au nez retroussé de salope. Ex à moi et
ex de pas mal de mes amis mais également ex-assistante de
Derrida fraîchement revenue de Ljubljana totalement ivre
ce qui me fait glousser sur le coup tout seul dans mon lit.
Samedi 28 décembre 2002.
Journée morne et ensoleillée à couper du bois ça
délasse puis à faire joujou avec un chien errant qui effrayait
Léon et Léone mon vieux couple de paons.
Dimanche 29 décembre 2002.
Pas de communication hors cellule familiale sauf vers
19h05 quand une Hélène Sillex débarrassée de ses affêteries
de l’avant veille me laisse : « Oui Mickey c’était Hélène je
suis coincée à la maison avec un mal de dos incroyable à
cause de mon aménagement d’hier. Tente de me rappeler
mon nouveau numéro doit s’afficher. J’ai envie de te voir à
ton retour du sud de savoir à quel point ça va mal tout ça.
Bon rappelons-nous je t’embrasse très très fort. Baiser. »
- 21 -
Baiser ? J’enregistre le nouveau numéro d’Hélène on
ne sait jamais.
Lundi 30 décembre 2002.
Grand retour septentrional. Dents pétées en avant.
Crâne vert pâle fraîchement rasé. Barbe hirsute d’islamiste
branché. Long manteau de rat musqué au vieux Patchouli
puisque piqué à mon père période Hendrix Jimmy.
Vers 16h0+? 8‰ jolie brunette à lunettes avec ses
lèvres effroyables et son cul dément me laisse : « Oui Mickey
c’est moi j’espère que tu vas bien. Je t’embrasse très très fort
mon petit rat. À ce soir. »
Quelque chose ne colle pas. Mon petit rat ? Je ne lui
ai pas répondu puisque que je suis dans un endroit public
non fumeur côté fenêtre première classe en train de
m’assoupir sur États Voyous de Jacques Derrida dans Le
Monde Diplomatique et qu’il est hors de question que ma
voisine très grande et belle quinqua en tailleur violacé à
moitié déchaussée lisant Le Corps Quantique de je ne veux
savoir qui ne puisse extrapoler quoique ce soit sur moi à
partir de bribes de conversation insipides.
20h39. Hélène Sillex me laisse : « Oui ami très cher
c’est ton HS as-tu enfin réintégré la république
maraisienne ? »
HS ? Quelque chose colle trop. Je ne lui ai pas
répondu puisque je suis comme prévu de longue date avec
8‰ qui toute parfumée cheap à la framboise une sorte de
Gauthier qui pue et pimpante et poudrée et maquillée vient
d’arriver à la Palette avec ses lunettes carrées. Ses trentecinq minutes de retard m’ont permis de minauder avec mes
deux complices serveuses la blonde Mauricette et Françoise
la brunette mais surtout me mettre la tête à l’envers avec
seulement cinq Saint-Véran sur le super tapis antalgique
Toprec. Ce qui a été fort économique.
- 22 -
21h48. Hélène Silliex me laisse : « Oui. Mickey ?
C’est à nouveau Hélène. Je sais que t’es à Paris petit farceur.
Moi je suis au Petit Fer à Cheval avec Napo et Jip qui
aimeraient bien te voir. T’es où ? J’espère que tu auras ce
message. À tout de suite ». Jip ? À Paris ? Je n’ai pas
répondu à Hélène puisque je suis là à la terrasse chauffée du
bistro Mazarin avec mon sauté d’agneau et un 8‰
célibataire depuis deux mois avec qui je commence à
agoniser en buvant du Perrier car elle n’a pas trouvé mieux
que de me faire un tas de remontrances sur mon ébriété et
mon hygiène de vie en général. Echec. Minuit et quelques je
suis déjà tout seul dans mon lit et tente d’encore
m’endormir devant The Prophet’s Game quand Cendrillon
me tape : « t’es où ? ;-) » alors je tape « Home & fucked
up » mais vers 00h50 Cendrillon me retape « We see you
tomoro ? Helene’s back. » alors je retape « Œuf corse 9pm
@bh ». Cendrillon ? Le vieux trav opéré chez qui je bosse.
Non. Je plaisante encore une blondinette dans les films
expérimentaux. 10h29. Au réveil j’envoie en gros le même
message audio pitoyable à mes trois vieux amis — Napo :
Nap Olivier. Jip alias Rembrand Jean-Pierre. Et je n’ai pu
guère m’empêcher de l’envoyer aussi à Fix le FrançoisXavier Tulart du grand pardon octroyé sans qu’il n’ait été
demandé — ce message ? Le voici : « Ouais hello toi ça va
ici Mickey je reviens du sud chuis au courant de que dalle si
t’as un plan dément pour ce soir appelle-moi ciao. »
Aucun de ces traitres ne rappelle. 16h+? Hélène
Sillex me tape : « Ce soir :flash-back+surprise :reveillon
chez lulu lamy - 26 r de sévigné - code 13 abc - 5e ét - esc g
- rv bh 21h - HS. »
13ABC ? HS ? À 21h00 pile après avoir œuvré tel un
dément sur Jackalope Burger mon tout premier roman —
codicille à : mais à quoi donc sers-tu Mickey ? — dehors le
nez pour la première fois de la journée je mets.
- 23 -
C’est là sur le chemin de la Belle H que je dois croiser
cette belle antiquité immatriculée 666 YW 75.
Je me dis que ça peut être très mauvais signe et qu’il
faut que je me méfie à tout prix en cette fin d’année dans le
75 à Paris de tout ce qui peut être YW ou Yves et William à
la fois ou que sais-je avec un Y ou un W dedans durant ces
quelques heures qui nous restent pour achever 2002.
Extrait de Jeremiah Johnson avec mon nouveau
Stetson beige et mon long manteau de rat musqué ton sur
ton je pousse dès 21h07 la porte de la Belle Hortense.
Jambes arquées air barbu farouche à la recherche d’YW.
Pas de W en vue mais un Y(-van) très costaud à qui je
commence par broyer la main par principe. Sinon la
tendance générale étant au Yeeeeeeeee-rah ! j’embrasse le
reste c’est à dire très exactement douze personnes. Pas de
trace de Napo de Jip ou de Fix. Doit dans mon dos un
grand complot s’ourdir. C’est simple il n’y a aucune tête
inconnue et une Hélène Sillex que je n’ai pas vue depuis
deux ans suite à son départ pour Ljubljana toute
roucoulante sort des toilettes et s’approche dangereusement
en ondoyant vers moi. Là : visionner HS. Pin-up fifty’s à la
frange trop courte ou Betty Page juchée se dévissant les
chevilles vers soi dans de luisantes cuissardes lacées out of
date latex + talons aiguilles. Alors cette belle ex — apprêtée
vraie philosophe vraie brune — ex à moi et ex de pas mal
de mes amis — me serre très fort dans ses bras et
m’embrasse sur les joues de suite au moins cinq fois. « Mais
Mickey mais elle est où exactement ta monture ce soir ?
— Ma monture ? Ce soir ? C’est toi HS.
— Aaaaaaaahhh my gaaad. »
Et elle s’écroule sur place en singeant très bien la
pâmoison. Je commande une bouteille de Chablis et
Séverine nous apporte une bouteille de Sancerre pas trop
bouchonnée.
- 24 -
On se saoule donc avec Hélène en hommage au
passé. 21h34. C’est Jacques Aumont mon ex-professeur
d’anatomie générale – oui j’ai fait un peu de médecine trois
quatre mois – Jacques Aumont donc qui est encore l’un de
mes grands collectionneurs et aussi le père de Lyson –
Jacques Aumont donc qui me tape ceci « Cher Mickeytous
mes vœux siincéres et amicaux pour 2003ainsi que pour vos
parentsje pense à vousProfesseur J.A. »
Là visiblement PJA lui-même doit être HS et c’est le
moment où je veux lui répondre que choisit mon vieux
Motorola pour dysfonctionner lui aussi à sa façon puisque
mon LCD se met à vouloir afficher Orange F à l’envers
droite-gauche comme vu dans un miroir. Imaginer sa
propre tête devant –7 9çπδ7O. Je ne veux y voir aucun
signe néfaste vu que ça doit être un simple bug puisque
s’affiche aussitôt après Vérifier Carte mais ce coup-ci à
l’endroit. C’est ce moment du Grand Bug Universel que
choisit Jip mon presque frère pour entrer en scène. Jip mon
grand ami de toujours s’est métamorphosé pour la
circonstance en comment dire ? Sosie de Cendrillon oui
mais d’1m90 quand il est de dos car de face c’est autre
chose. Il arbore cette fois-ci de long cheveux blonds tout
neufs et décolorés qui sentent enfin vachement bon le
shampooing. Jip a changé. Selon la rumeur : À la fois
webmaster hacker motard business-angel et je ne sais plus
trop quoi dans l’art.
Il m’a pour ainsi dire à peine salué d’un coup de
menton quelques secondes avant mais devant mon
embarras il choisit de directement venir autopsier mon
vieux Motorola en lui ouvrant le capot. Alors je me crois
tout bonnement téléporté sept ans avant quand tout allait
encore bien entre nous trois avec Hélène et que nous
faisions alors comme tous les ados des films expérimentaux.
- 25 -
La batterie et la carte de mon mobile sont de fait
pleines de cendres de poils de grains de tabac et autres
micromiettes résolument infectes puisque je le fourre
toujours dans la poche couille droite de mon Diesel. Jeans
que je lave le moins souvent possible pour surtout ne pas
trop le décolorer. Jip démonte et dépoussière tout en
soufflant dans mon portable puis il ajoute quelques petites
manips à lui secrètes en fin de cérémonie.
Sur quoi on fait très exactement comme si on s’était
quitté la veille. S’enivrer en silence. Alors qu’on ne s’est pas
vu depuis 1996 et qu’on aurait pu au moins échanger
quelques infos en les magnifiant. Chose que l’on ne fait pas.
22h15. Hélène est à point et je l’embrasse assez
profondément en la tenant très fort devant Jip qui s’en
moque enfin car le temps a passé entre eux. C’est comme si
magnétisé et très tendre tout d’un coup je ne pouvais pas
réellement m’en décoller. Le nez dans ses nénés. Tandis que
toutes canines dehors plus haut et hurlant à la mort elle me
mordille mon beau nouveau chapeau. Hélène est en froid
avec son régulier encore un bosno-serbe mais là de
Slovénie. Inconnu avec qui elle vient d’aménager et qu’elle
a décidé de punir ce soir en passant son réveillon avec nous.
Comme j’ai déjà pris une bouteille de Sancerre puisque
selon Séverine le Chablis au frais n’est pas encore frais alors
que tout le monde est au Champagne tiède j’en commande
une seconde et je lui en verse un plein verre à ras bord pour
l’achever comme elle le mérite. Elle est déjà sous Myolastan
et Topalgic suite son mal de dos suite à son déménagement.
Moi sous Toprec et Birodogyl suite à mon nerf à vif suite à
on va dire l’olive. Et tout ça fait très vite l’effet escompté.
C’est donc dans cet état qu’on déserte la BH.
Quand mercredi 1er janvier 2003 à 00h03 une
quinzaine de jeunes gens à pied arrive chez Lulu Lamy
l’homo notoire du 13ABC 26 rue de Sévigné avec ces trois
- 26 -
minutes de retard là la cinquantaine d’inconnus est toujours
en train de se gameller pour se souhaiter la bonne année.
Alors on s’embrasse entre nous – on avait oublié – puis on
embrasse le reste ce qui nous prend dix vraies minutes
encore. Là : imaginer le bruissement de 8320 bises
échangées. 65x64x2 en 13 mn. Soit de tête un bon 10,666
bises-seconde de moyenne selon Jip. 666 ? Après avec
Hélène on se poste près de l’unique fenêtre ouverte du salon
histoire de respirer un peu après tous ces étages et échanges
bucaux mais surtout à cause de l’air ultra vicié. Mélange
latent de vieux sperme de shit de Gucci d’oignon et de
tabac. Dehors il fait très froid. Assis concassés à la fenêtre
nous nous jetons sur les tartines de foie gras à l’Époîsse et au
raisins muscat et nous ne cessons de nous lutiner goulûment
entre deux verres du Chablis frais amené par nous pendant
que Jip en belle blonde est au Champagne chaud et danse
serré avec Cendrillon son clone qu’à la BH je lui ai présenté
ainsi deux heures avant : « Cendrillon. Cendrillon.
Cendrillon. Cendrillon. »
Après ? Ça devient n’importe quoi car sous l’égide de
Lulu Lamy il y a eu distribution générale de Kétamine sur
mare d’alcools en tout genre. Plus tard je dois vouloir me
décontracter et la langue et la vessie et je me lève pour
musarder sur un nuage abandonnant une Hélène languide
et dépoitraillée sous le prétexte d’aller pisser. J’en profite sur
le chemin dégommant au ralenti trois quatre chamalows
pour faire se déchausser toutes les filles en escarpins que j’ai
envisagées. J’organise mon grand concours du plus beau
pied de la soirée. Cérémonie au cours de laquelle je me
retrouve à quatre pattes dans le vomi en train de lécher
croquer et masser les orteils ennylonnés tendus et humides
d’une foultitude de filles plus ou moins excitées tandis que
plus haut crépitent et ronronnent quelques flashes et dv.
- 27 -
Cendrillon déjipée en Général Custer du Little Big
Man fouaille une Farida vampirique et dénapoïsée en Sama
Hayek d’Une Nuit En Enfer. Elles sont donc mon duo
gagnant et récompensées par des trucs très délicats de ma
part comme quoi mes dés sont pipés puisque ce sont les
deux seules qui me font halluciner. Hélène jalouse dans ses
cuissardes en latex qu’elle n’a pas osé ôter s’est mise à
papoter avec deux types très beaux. Sortes de Warhol bruns
en pantalons et chemises à rayures assez serrées. Ce qui me
fait bien rire au retour du pipi longtemps après surtout
quand de loin je vois que tout en papotant théâtre par
devant avec Hélène eh bien par derrière ils n’arrêtent pas
de se trifouiller le séant. Visiblement Lulu organise dans une
back-room attenante sa grande partouze du nouvel an.
Truc tenant absolument à déborder dans le salon. Arrivent
donc chez le maître de céant de plus en plus de fiottes à
poils longs et raies de côté plaquées se trifouillant les
rayures. Indiscernables. Et avec Hélène parfaitement lassés
on décide ici de lever l’ancre nos verres à la main d’autant
plus que mon ex-duo gagnant tortille avec de parfaits
inconnus dans la mode ou le cinéma plutôt bi à pois. Jip
ayant disparu avec une styliste russe en tutu ridicule blouson
de fourrure et crête — tout ça beurk rose sur rose.
Rue des Francs Bourgeois je n’ai jamais vu Hélène
divaguer autant alors je lui demande si elle est ok pour me
suivre à la maison plus si loin pour fêter la revoyure. Entre
deux renvois je crois entendre cela : « Olala Mickey pas ce
soir là j’ai ma petite souris anti-dragon.
— Je comprends rien.
— Un truc horrible qui crache le feu avec une petite
queue blanche qui dépasse. T’as pas senti ? Olala Mickey
mes ragnagnas tu comprends mieux ça va ? »
- 28 -
Son ton condescendant ne me plaît guère et devant ce
mensonge je ne peux faire avec mon verre de Chablis que
ce grand geste de dépit dans la nuit. Zuip. Un peu trop
imprécis en direction de son cou. Revenir sur la carotide.
Bifurquer vers chez soi.
Arrière fond d’inquiétude quand j’entends encore HS
se viander tous les deux mètres environ.
Il n’est que 05h34 quand je rentre à la maison. Là je
mets un temps fou pour taper « troulove » à Vieira et Fariba
mes deux ex préférées de l’année défunte juste pour les
agacer encore une dernière fois. Je tape aussi un absurde
« alorsalorsalors ? » à mon vieil ami Jean-Marie Wyloschky
un créa dans la pub qui me doit 3000 euros et que j’ai à
peine entrevu avec sa Marie à lui chez Lulu Lamy.
Wyloschky ? C’était peut-être lui le WY ou YW dont il faut
à tout prix que je me méfie. Avec ceci hélas en tête j’ai dû
prendre la décision ultime d’aller escalader ma mezzanine
puisque dès 10h25 je m’y réveille quand même lové en plein
rêve montagnard où une inconnue très maigre et très
intelligente mais pas très jolie vient de m’y reprocher sous
une bise glacée d’aligner en gros trop de petits animaux
morts sur un rocher. La fille en capuche beigeasse m’y
enjoignait de surtout ne plus recommencer au risque que
par ma faute tel un mégot le soleil ne s’éteigne
définitivement. Ce qui me fait culpabiliser au réveil à en
chialer.
Dans ma mezzanine je me réveille donc seul et en
larmes à 10h25 le cœur battant puisque Jesu Christianni un
artificier corse ex-codétenu de Sainte Anne m’y réveille avec
son « Je te la souhaite bien bonne. Jesu ». Un texto qui fait
vibrer un peu trop près de ma tempe mon vieux Motorola
avec qui je passe tout seul mes nuits depuis un certain
temps.
- 29 -
11h28. Avec mon café au lait et mes doigts tout
nicotinés engourdis et tremblants qui puent à s’y méprendre
la rouille et le sang je réussis à lui taper en retour
« Meilleurs vents a toi dans cette tempete molle qu est la
vie la salope » et je tente de me préparer mais j’abandonne
très vite puisque j’ai pris juste avant une tonne de gélules
bicolores et que je préfère monter me recoucher.
17h04. Notre hôte de la veille Lulu Lamy agrégé de
philo nîmois vieil homo et ex comme par hasard de SainteAnne lui-aussi mais sympathique et très cultivé finalement
me tape « exxxcellente gueule de bois a toi mon gland. »
Mon gland ? Ce qui m’a offusqué. Sans doute et je le
souhaite un sms en série. Je lui tape en retour « Je
t’emmerde pedzouille tu me pourris la vie de longue. »
Un tas de grumeaux extrait de mon petit passé caillé
tient depuis quelques temps déjà à à tout prix se redélayer.
Quelques protagonistes saupoudrés : Ma Valérie en tête
avec ses dix ans d’omniprésence. Fix avec son pardon à la
ramasse. Puis Zaza zazaïsée. Olga volvoïsée. Et Napo. Jip.
Hélène. En seconds rôles. Et enfin là. Jesu. Lulu. N’en jetez
plus. Transmutés en tritagonistes ou troisièmes rôles si on
préfère.
Ça doit être ça le Purgatoire. Le Purgatoire ? Du
moins son avant-goût. Une sacrée gueule de bois dans une
sacrée salle d’attente. Gueule de bois assortie de plein de
petits flash-back entêtants où tous nos vieux amis ne
pourraient s’empêcher de nous asséner au seuil de la tombe
ça va aller ça va aller mon enfant. Seuls et eux-seuls battant
cette chamade endogène le système circulatoire l’intime et
l’interne tout ça alité avec ses grandes surprises arythmiques
connaissant déjà la réponse :
Il n’y a pas de pardon.
- 30 -
17h43. Fix la Résurrection me souhaite la bonne
année à sa façon : « La même mais mieux. La même mais
mieux ? La même. Mais mieux. La même ? Mais mieux ?
La même. Mais. Mieux. » Je ne lui réponds pas.
20h46. Fariba mon ex préférée de l’année défunte
N°1 — ne pas confondre avec Farida l’ex régulière de Napo
ni avec Vieira ex préférée de l’année défunte N°2 — un peu
allergique à mon « troulove » de la nuit me trace ce
splendide sourire Kabyle : « j’espère que ton année connard
et ta vie en général seront bien aussi dévastées qu’est
dévastante ta grotesque personne. » Je lui tapote aussitôt
« Inch’ Allah ».
20h53 je ne sais pas pourquoi je ne pense plus ce
vieux monde qu’en termes de R roulés québécois. J’allume
mon iMac et Miki me dicte ceci :
« Astèe d’tabelnacle. On m’a donné la vèe ? Melci du
cadeau. Et de ce tluc vous pensiez que j’n’allais lien en
faile ? Je suis là ècè maintenant poul me distlaile. Monde tu
es là uniquement poul me satisfaile. Je me lepais de toi cal je
m’ennuie. D’un ennuie à moulil. Je meuls. Je vès. Je suis la
lage qui te scèe le vèt. La page qui te plend le chou. La
hache qui t’sectionne l’genou. L’hibou qui t’ulule encule !
Les p’tèts cèseaux à ongles dolés qui ne songent qu’à te bien
découper les lèvles. Et caetela. Et caetela. Le caillou dans ta
chaussule. Labala-bala. Encole un jolè p’tè chou ? Louille.
Louille. Louille. J’è plante mon clou. »
Puis je décide de me masturber devant Sexy Toe Talk
un spécial foot-fetish en VHS droppée et je tente d’à
nouveau finir The Prophet’s Game mais j’endors avant.
Jeudi 02 janvier 2003
Pas de communication avec l’extérieur.
- 31 -
Extraction de la dent dure. Anesthésie. Atelier.
Peinture. Pas de biture.
Vendredi 03 janvier 2003
09h30. Je suis toujours au lit en train de tenter de voir
la fin The Prophet’s Game quand anonyme fait vibrer mon
Motorola. Allo c’est moi. J’ai vaguement pu reconnaître la
voix de ma voisine Vieira l’ex préférée de l’année défunte
N°2 qui m’appelle de Roissy complétement jetlaguée à son
retour du Mexique où elle a passé les fêtes avec son père
qu’elle n’a pas vu depuis eh bien six ans. Mon troulove de
l’avant-veille venant d’apparaître en zone française sur son
écran elle veut à tout prix passer à la maison dans une heure
boire un café. Je dis ouh yeah. The Prophet’s Game ? StopEject. Tel un ressort je me lève pour vite me faire un café
pour aller à la selle aussitôt possible avant qu’elle n’arrive.
Et je me mets Crass à fond puis Ministry pour me donner
du courage. Crass ? Vieille formation de punks de l’Essex
77/84 assez engagés qui crachaient si bien leur haine du
gouvernement Thatcher. Ministry ? Mur du son à chapeaux
texans industriel des années 90. Ici : Filthpig 1995 produit
par Hypoluxa & Hermès Panforlux. Je fais aussi un brin de
ménage à peine pour que ça ne se voit pas trop et je
planque certains trucs compromettants cessant ainsi
quelques secondes de gesticuler devant mon grand miroir
avec mes doigts éclatés en étoile et ma scie invisible. Et enfin
je cours dans la salle de bain me parfumer la barbe mais j’ai
trop la flemme de me doucher tant il y fait froid.11h pfuit et
quelques. On frappe à ma porte. Je ne suis toujours pas allé
à la selle ce qui me fait sursauter mais j’ouvre quand même
puisque là Vieira a pris rendez-vous. Là : imaginer Helena
Bohnam-Carter sur son palier. Oui mais de Mexico belle
barre de sourcils bruns peau très blanche.
- 32 -
Ne pas confondre avec feue Olga car ce coup-ci d’un
mètre cinquante. Mais un peu trop survoltée chargée
piquante ou élégante à mon goût. Une pile. On s’embrasse
très amicalement et en vire-voltant à travers mon salon elle
me complimente sur ma tonsure et ma jolie barbe vu que ça
me donne un sacré air mûr et terrible enfin. Je lui sers vite
une petite tasse de café réchauffé pour l’occuper le temps
d’inventer un contre-argument à l’attaque insidieuse qui ne
tarde pas à arriver :
« Alors franchement qu’est-ce qui t’as pris la dernière
fois ? Pourquoi tu m’as pas ouvert ?
— Mmmm ? C’est mon jeu habituel. Tu le sais. En
plus comme par hasard j’étais en train de visionner Panic
Room tu sais le dernier David Fincher alors j’ai pensé que
de ne pas t’ouvrir ça me ferait voir le film en 4d tu saisis ?
—…
— Ou en quadriphonie comme on dit. Home
cinéma. Non ?
—…
— Je me suis pris pour Jody Foster là tu comprends
mieux ? Quand les méchants braqueurs tentent de la
déloger de son abri en tapant à la porte comme des oufs. Tu
l’as pas vu ? Mets-toi un peu à ma place. Eureureur.
Tripant non ?
— Écoute Mickey faire ça aux autres filles je
comprends mais à moi ? Ça va pas non ? Je n’ai pas trouvé
ça très amical tu le devines je pensais vraiment que nous
avions une toute autre forme de relation. Ça m’a déçue. Ça
m’a beaucoup inquiétée aussi. Il pouvait t’être arrivé
quelque chose.
— Quelque chose ? Ah oui et quoi donc ? Par contre
tu sais les autres filles comme tu dis si bien sont très
sympathiques aussi il ne faut surtout pas que tu les méprises
comme ça. De plus taper pendant quarante minutes à ma
- 33 -
porte j’ai chronométré à un moment j’ai trouvé ça un peu
poussif comme tu dirais. Quant à hurler la puerte ! la
puerte ! pleurer éclater d’un rire absurde vouloir la défoncer
ou crâmer ma porte avec ton briquet je n’ai pas trouvé ça
très élégant non plus. »
Je lui ressers du café pour qu’elle continue de se taire.
Je la regarde sans doute d’un air sévère puisque j’ai ce coupci très envie d’aller aux wc alors Vieira se sent obligée de se
déchausser pour me décontracter. Graduellement ça se met
à puer la basket. Elle commence à me caresser le haut des
cuisses et le bas ventre de ses tout petits pieds ennylonnés. Je
suis assis. Elle aussi en face. Là : Ressentir une certaine
relaxation aux niveau du scrotum. Elle joue bien des orteils
comme je le lui ai appris mais hélas tout ceci est relativisé
par les essences au concentré de Mexique qui remontent là
raide me trouer les sinus.
« Sinon toi au fait comment ça s’est passé avec ton
père ?
—…
— Ouh ? Ouh ?
— Il est ruiné il n’a plus qu’une gouvernante. »
Elle continue à me stimuler super pro. Foot job.
« Un ami l’a escroqué d’un million de Dollards.
— Cool.
— Oui et l’ami est en prison maintenant à Miami
pour plein d’autres affaires. Du coup il ne peut pas
rembourser mon père qui déprime à fond. Je ne sais pas si
tu imagines bien ? Il n’a pu m’offrir pour la Corrida de Noël
qu’une place au soleil avec les indigents. Les places à
l’ombre étant trop onéreuses pour lui maintenant. Quoique
ça en y réfléchissant c’était plutôt drôle du coup.
— Ici ça serait pas plutôt le contraire. Non ?
Hummm. En hiver ? »
- 34 -
Après avoir d’un revers évacuer la paire de si jolis
petits pieds si odorifèrants insistant par à coups sans doute
un peu trop autour de ma vessie voire de mes intestins je
vais aux toilettes en mettant par pudeur le plus possible mon
jet en sourdine c’est à dire en visant les bords de la cuvette
voire la lunette ce qui est dur en triquant tandis que je
constate que de mon méat exsude en fin de miction un fin
filament transparent un peu gluant. C’est là que j’entends
Vieira monter sur ma mezzanine où il y a mon lit :
« Désolée Mickey je suis complètement jet-laguée il faut que
j’aille m’allonger. »
Quand je reparais dans le salon je vois qu’en fait elle
se frotte à mort en altitude l’entre-jambes à cheval sur ma
rambarde.
« Un pipi de garçon à entendre comme ça sporadique
avec tous ces pets refrénés et toutes ces interruptions tu peux
difficilement imaginer l’effet que ça me fait. On dirait une
vieille machinerie prête à exploser. Je suis toute mouillée
maintenant à cause de toi. »
Et bien que ça me traverse l’esprit je ne vais pas la
rejoindre là-haut et je préfère lui dire :
« Vieira tu ne voudrais pas plutôt aller faire joujou
chez toi et dormir un peu non ? D’autant plus que là il
faudrait franchement que j’aille à la selle à cause de tous ces
cafés et toutes ces cigarettes en série. Et je préferais être seul
franchement pour ça. Sinon c’est vrai ça me gêne. Et
d’autant plus si toi ça t’excite de m’écouter comme ça faire
mes besoins tout le temps. D’autant plus que là heu
franchement il faudrait que j’aille bosser. Franchement
franchement.»
Vieira arrête net de se frotter en propulsant son cul
très haut et elle redescend mettre ses espèces de sales
Converse grises à bouts écrus.
- 35 -
« Mais moi-aussi je dois y aller j’ai rendez-vous à La
Comète avec Lulu »
Sur quoi on embrasse et se dit : « À bientôt ». Sur le
seuil elle ne peut s’empêcher d’ajouter : « Non franchement
tu devrais enlever tes lentilles de temps en temps t’as plein
de petits grains de poussière incrustés dedans ça fait pas très
net au niveau du regard.
— Yop.
— Non sérieusement ça fait combien de temps que tu
les as pas enlevées ?
— Neuf mois.
— Non ? T’es dingue. Tu t’esquintes les yeux Mickey.
Ne fais plus ça.
— Eh oui. Ça fait très mal. Allez il faut que tu y ailles
maintenant. »
Et je lui ferme la porte au nez. Après ? Je vais
aisément vous savez où puis je me lave les parties génitales
avec soin au lavabo debout au gant car je n’ai pas très envie
de mouiller le reste vu le froid.
13h00 je vais à Montparnasse avec le bus 58 pour
prendre le train de banlieue qui me dépose chaque jour à
Meudon chez Cendrillon où il y a mon atelier. Ici :
Imaginer après un vieux portail en bois un grand jardin en
friche et derrière les frondaisons comme un gros gâteau rose
et blanc de deux étages – chez cendrillon donc – vacherin
au pied duquel serpente un petit chemin boueux qui tortille
entre divers hangards sous un labyrinthe de feuillus et
conifères racornies et mène après un mini champ d’orties
crotté de limaces au fin fond de tout à la maisonnette en
ruine qui me sert de base secrète pour mes essais chimiques
à moi : Polyuréthane acétone tu m’étonnes trichloréthylène
et pigments en poudre sur panneaux de mélaminé blancs
représentant en gros des sortes de pinnipèdes, des phoques,
- 36 -
des pingouins anthropomorphes proprement ravagés et
dévastés échelle un oui mais affublés de moustaches d’Hitler
et d’oreille de lapin. Merdouilles trash et poppy pour tout
public qui se prétend averti.
Mais là je décide d’œuvrer un peu sur la commande
que m’a faite Jean-Marie Wyloschky puisque là héhé je
voudrais bien être payé. La commande de Jean-Marie
Wyloschky ? Un panneau de mélaminé 130x130
représentant en gros un homme nu à genou à la peau grise
et glaireuse qui arbore un drôle de masque rouge avec plus
bas une queue tumescente (mais pendante) personnage en
train de fesser un splendide cul féminin émergeant d’on ne
sait où couleur chair très inspiré de celui de Fariba mon ex
marteau. Ne plus confondre avec Farida la future ex de
Napo. Bref enfin seul je peux œuvrer comme un fou en
oubliant les heures qui passent jusqu’à ce que la nuit ne
tombe de façon caricaturale et que je ne me décide un peu
meurtri à arrêter de m’exciter avec tous mes glacis sur cul
rebondi pour vite rentrer à Paris me coucher car là
franchement je suis mort.
Samedi 04 janvier 2003
12h05. Au réveil j’appelle aussitôt Cendrillon pour
me décommander in-extremis à son déjeuner à Meudon où
m’attend aussi un duo de quinqua divorcées en chaleur
« I’m so sorry Cend » — déjeuner où était prévu ce fameux
rôti de veau à la casserole projeté de longue date —
décommandement d’autant plus disons prégnant que ce
coup-ci il neige. Cendrillon ? L’hybride platinium en pleine
forme malgré son hémophilie grande amie chez qui je peins
mes obscénités depuis l’aube de l’humanité ou du moins
depuis qu’elle me prête cette jolie petite ruine au fond de
son grand jardin. Et comme il neige toujours à 14h43 je vais
me faire quelques petites courses gourmandes in Boboland
- 37 -
tout beau tout blanc rue de Bretagne le pays de Candy où
les quadra jouent les tri et les tri les bi avec leurs bonnets
leurs poussettes, leurs skates et leurs baskets. Je m’écroule
dès 17h00 lesté par mon propre rôti de veau à la cocotte oui
mais sauce café au lait de soja vanille pruneaux oignons
tapioca cannelle muscade. Je n’attends plus rien de ce
monde-ci.
Dimanche 05 janvier 2003
14h17. Fortement démoralisé au réveil puisque c’est
mon anniversaire je tape « Ce soir j’ai 29 ans. Bienvenu à la
Belle H 21h. Mickey. » que j’envoie pour être tranquille à
aucune ex c’est à dire seulement à une trentaine de mes
faux amis.
17h14. Fix me tape « Felicitad jy srai ptet ms tre to
car jai rendev apres sinon a+ »
19h13. Yvan Masson mon gros puto costaud dans
l’édition me tape « peu pa rentre tre tar a pari bonaniv biz
sinon on svoit biento » Personne d’autre ne confirme ou
n’infirme putain.
21h00 pile tout modeste j’arrive à la BH tête basse
m’attendant à une sorte de grand charivari mais je ne suis
accueilli que par Fix mon vidéaste foufou ne pas confondre
avec Jip l’homme des machines. Fix que je n’ai pas vu
depuis bien deux ans mais qui là fait du bruit pour dix vu
que là personne n’est encore là. Tels des frères réconciliés
nous nous embrassons. Je commande une bouteille de
Sancerre blanc et une bouteille de Guigal rouge et Sèv nous
les livre au comptoir dans un seau à glace en y ajoutant
toutefois une bouteille de Saint Martin blanc et une drôle de
boite de Camembert contenant en fait surprise plein de
petites bouteilles d’alcool en chocolat de sa part à elle. Là
dessus avec Fix nous soupirons d’abord bien de félicité en
nous revoyant ça faisait deux ans et deux ans avant ça
- 38 -
n’avait pas été le top puis invariablement on se met à bien
absurdiser la situation internationale à l’ancienne se
moquant très fort de Chirac Sharon Saddam Oussama
Dobeul You Atta l’Irak les Twins les States et nous croyons
donc faire scandale un moment auprès de belles inconnues
mais en vain. « Alors ? Enfin divorcé ? » C’est ce que je
lance comme pour nous réveiller.
« Oui mais on reste ami. Elle et moi. D’ailleurs elle
passera ce soir nous dire bonjour.
— Ouf ?
— T’inquiète. C’est cool. »
Là : (au ton) je devine que Fix et moi entamons enfin
ce qu’on pourrait appeler la phase la plus jazz de notre vie.
Là dessus arrivent Pacôme Thiellement rédac-chef de la
revue Spectre accompagné de Wacaco la jeune styliste
japonaise avec qui il vient de se réconcilier. Je les présente
« Fix. Pacôme. Pacôme. Fix. » oubliant Wacaco puis on
parle beaucoup de Poppermost le dernier opus de Pacôme
édité par Bastien Gallet de la revue Musica Falsa qui bosse
aussi à France Culture vu que c’est un protégé de Laure
Adler. Après ? J’interviewe rapidement Pacôme sur son
docu sur Purple la revue d’Olivier Zahm un autre ami
d’enfance à moi qui a décidément très très mal tourné
tandis que Fix pirate notre conversation en soutenant d’un
coup qu’Olivier Zahm n’a en gros rien inventé du tout
puisque c’est sa tante à lui Frederika je ne sais plus trop quoi
— portraiturée en 1983 par Jean-Michel Basquiat titre :
« Freddie » ( se souvenir d’une tête de mort en pull à rayure
jaune et noir) — Frederika qui a donc inventé cette
esthétique grisâtre des mannequins moches héroïnomanes
incolores et boutonneux et cela bien plus de dix ans avant la
revue Purple. Bref sur ces circonvolutions insipides vers
21h34 Cendrillon me tape « gros pbl scooter. j’essaie
- 39 -
encore. A+. xx c. » Pauvre Cendrillon. Là dessus arrivent
tour à tour 8‰ONG et Juliette lèvres de pieuvre. Alias
Femme Fontaine et Métisse n°1.
Ce sont précisément les deux non-ex que j’ai plutôt
envie de m’offrir ce soir et pour être poli je dois les présenter
l’une à l’autre et par conséquent les distraire un temps en
oubliant le duo Fix-Pacôme en pleine discussion. Ne parlons
plus de Wacaco qui semble en belle mutique hors champ
s’emmerder à la japonaise.
C’est durant ce grand moment de faiblesse — où ne
se pose pour moi que le problème du choix : Juliette ? 8‰ ?
8‰ ? Juliette ? Juliette et 8‰ ? — le temps les choses et les
êtres s’étirant de plus en plus et dans tous les sens —
qu’entre la seule chose au monde que je n’ai pas du tout
envie de voir en un soir comme celui-ci merde.
Planant très haut au dessus de la foule roide la momie
de Ramsès II 1m90. Une grande inconnue très laide que je
ne cesse de croiser depuis quelques années.
Ça me fait peur à force de la voir tout le temps
émerger dans mon présent quand je m’y attends le moins en
dépassant comme ça dans la rue de sa décapotable marron
son indécrottable sourire préhistorique au vent. Je n’avais
jamais pu la voir dépliée. Là ? C’est le parfait ptérodactyle
rouge et or qui vient de pousser la porte de la BH oui mais
assorti des plus belles longues papattes du monde. Une sorte
de long pantalon en serpent à pattes d’éléphant. Le soir de
mon anniversaire cette paire de gambettes moulées franchit
le seuil de mon qg — mâchoires carnassières collées à son
portable doré — où ignorant le monde à coups d’happy
new year à perpétuité elle converse avec un être vivant sans
doute à l’autre bout de sa Manche.
Vers 22h?? alors que Pacôme et Wacaco viennent de
partir pour se mieux réconcilier ma seule vraie complice
Cendrillon me retape « j’abandonne mon scout est naze
- 40 -
trop froid bises » tandis que graduellement la Belle Hortense
se remplit d’une foule compacte d’amis vociférants et se
tenant très très mal. Jip+Fix+Napo+ le reste du monde que
moi-même royal j’ignore totalement hypnotisé par le
serpent.
Je sens aussi que mon duo 8‰-Juliette se fait une
concurrence insoutenable et que nous triangulons mal alors
sous le prétexte de leur commander à boire pour les mettre
à niveau je m’approche de la grande inconnue certainement
plus riche plus mûre plus nocive assise toute seule au
comptoir avec son fume cigarillo.
Yolanda vient de se présenter à moi comme ça en
éclatant très fort d’un rire très triste en me reconnaissant
elle-aussi.
Une femme d’affaires anglaise Yolanda Wellington
Head of quelque chose International. Elle vient de me
tendre sa carte non je le crois pas comme si nous pouvions
d’une quelconque façon être en pool un jour tandis que
Juliette et 8‰ à qui j’ai bêtement offert des roses et des
verres en quantité vaquent à droite à gauche et se mettent
même éhontément à intéragir avec certains de mes amis
ravis.
À tel point qu’au total dans la périphérie je vois Fix
dégager avec 8‰ merde bras dessus bras dessous et plus
tard Jip avec Juliette bof tant pis tandis que ma longue
momie l’adhésif et tant attendu YW m’offre — elle est la
seule — une douzaine de roses très vite achetée à un petit
vendeur barbu.
« Happy birthday to you Miki »
Miki ? Bouquet piquant que je m’empresse de fourrer
complétement ivre dans mon pantalon histoire de bien
prouver à la foule compacte de mes amis restants que j’ai
bien la bite en fleur ce soir.
- 41 -
Là dessus avec Yolanda Wellington nous nous
enivrons abominablement. Assis en amoureux au comptoir
je lui mordille le crâne devant Séverine qui pourra
éventuellement le répéter à Fariba tandis que je demande de
temps en temps à la Mort de me trifouiller le bouquet de ses
longs doigts peints en mordorés vu que ses épines
déclenchent vers plus bas là où les tiges sont calées des tas de
réactions en chaine sur diverses régions de mon scrotum
malmené. Sur quoi le crâne n’arrête plus de me mordre et
la langue et les lèvres tandis que je lui broie plus bas très fort
ses cuisses de boa encastrées dans les miennes. Mais au
summum de la douleur lundi 06 janvier 2003 vers 00h45
front bombé alopécie galopante mâchoire et arc jugal
saillants la momie fraîchement déchaussée se raidit pire
encore et veut y aller puisque dès 7h00 demain matin elle
doit être à son bureau. Je dois faire la moue un quart de
seconde mais rectifie très vite « Ouh. Vas-y vite. Go. Go.
Go. Go. À un de ces dimanches Yol. On s’appelle. » Pour
une visite express d’atelier meudonnais car je lui ai appris
entre deux tortures que j’y avais de magnifiques œuvres à
dominante rouge-sang chose dont elle est censée être assez
marteau ces derniers temps.
J’accepte donc qu’YW m’y accompagne un de ces
dimanches puisqu’elle vient de s’offrir une nouvelle voiture
il y a peu car avec sa vieille Triomph 666 DCD 75 —
décapotable dans laquelle je n’ai cessé de la croiser ces
dernières années — eh bien j’aurais bien évidemment
refusé. Puis YW me quitte puisqu’elle s’en va. Après ? un
peu esseulé je dois minauder jusqu’à la presque fermeture
avec l’ex-épouse de mon grand ami Fix. Elke ou Heike. Elle
vient juste d’arriver à la BH sous anesthésie elle-aussi et
j’omets de lui dire que son ex-mari vient de se barrer avec
8‰. Je préfère l’accompagner dans les toilettes lui trifouiller
le sexe pendant qu’elle urine et en retour elle daigne pour
- 42 -
rire me prendre une seconde la verge dans la bouche pour
qu’éventuellement je le répète à son ex-mari. Heike ? C’est
un mannequin allemand très sympathique finalement fausse
brune si joueuse depuis qu’elle vient de divorcer. Mais pour
une raison inconnue elle aussi doit s’en aller. Après ?
Excessivement flottant et frustré je crois me rapprocher de
Geneviève Anoury ma délicieuse réalisatrice rouquine
libanaise à bonnet E que finalement je raccompagne à la
fermeture puisqu’elle habite sur mon chemin rue Barbette.
Là où nos routes se séparent Geneviève absurdise bien la
soirée venant de se tramer et rit beaucoup quand elle me
décrit par le détail tout ce qu’elle y a observé cela sans
m’embrasser le moins du monde vu que ça ne semble pas le
propos. Et après avoir envisagé par politesse jeudi prochain
une visite de mon atelier elle court monter ses escaliers car
avec le froid elle a une terrible envie de faire pipi alors on se
dit vite à jeudi à jeudi et je vais me coucher après avoir tapé
ce lamentable et plaintif « Ça y est. Tout seul. Tout triste. Et
clac tu manques à nouveau » que j’envoie à YW enfin je
connais son numéro d’embaumée équarrie puis à Geneviève
Anoury. Je n’ai évidemment pas le numéro de l’ex à Fix.
Elke. Non. Heike.
Affixe ?
Élément linguistique à éventuellement ré-incorporer
de temps en temps avant ou après le radical Fix pour en
modifier toute fonction. Et c’est en tête hélas avec ceci que
je m’endors.
Lundi 06 janvier 2003
14h32. Je suis à Meudon sur la commande de JeanMarie Wyloschky c’est à dire sur le cul de Fariba et alors
que je peste tout seul contre le prix des cigarettes qui vient
brutalement d’augmenter je filtre Vieira qui me redemande
- 43 -
en gros le contact d’Hélène pour lui reproposer je ne sais
plus trop quoi à rédiger pour le site de sa boite RVMR
(Re :Vieira Marketing Research).
16h01. Je lui tape « HeyV! Contact HS :
0669697121. »
16h15. Alors que je suis toujours sur la commande de
Jean-Marie c’est à dire sur le cul de Fariba en pestant contre
je ne sais plus trop quoi — 8‰ me laisse « Je t’aime
connard. » Malgré son hypothétique côté fontaine je ne
rappellerai plus jamais cette femme. Vu le retard. Et le reste.
En rentrant de Meudon directement à la maison sans
prendre d’apéro je me confectionne une sorte de pot au feu.
Un kilogramme de légumes avariés à l’épaule d’agneau dans
le court bouillon de poisson safranné qui me restait dans ma
cocotte sale. J’ajoute en fin de cuisson une tête de veau déjà
cuite sous cellophane sauce gribiche pour remplacer l’os à
moelle que je n’ai su trouver à cause de l’ESB. Le tout
touillé s’avérant délicieux et gluant à souhait. Je n’appelle ni
ne textote quiconque.
22h17. Je regarde Spider-Man un Sam Raimi loué
quand Juliette Anderson me tapote « Je veux le numero de
napo discretement merci. Ju. »
Je ne pensais pas que ce Sam Raimi serait aussi nul
alors je décide de visionner la fin de The Prophet’s Game
qui s’avére très décevante elle-aussi alors je décide de me
masturber devant Décadence Française un porno eighties
suédois que je n’ai jamais pu voir en entier puis tente de
trouver le sommeil devant L’Extravagant Monsieur Deeds
un Capra en vieille VF année 40 ce qui est assez dur tant je
me marre tout seul dans mon lit.
- 44 -
Mardi 07 janvier 2003
09h54. Pour lui faire croire que je ne suis pas si jaloux
je réponds « 06 84 54 41 53. Napo va être ravi. Cruelle. » à
Juliette qui est censée être avec Jip depuis mon anniversaire
comme si je plaisantais en faisant semblant d’être un peu
jaloux de Napo qui est censé être à nouveau avec Farida. À
Juliette que je ne calculerai donc plus jamais. Je passe ma
journée à bloquer devant la télé avec de vagues idées de
suicide excessivement tarabiscotées.
18h54. Je filtre Napo qui me laisse ce message audio
« Cher Mickey es-tu dans le quartier ? Moi je suis déjà à la
Belle je t’attends sale bavard faut qu’on se parle. »
22h34. Juliette me tapote « T’es un vrai pote bises
ju. »
Je passe ma nuit sans répondre à qui que ce soit avec
loués L’attaque Des Clones Descente À Paradise puis
Jennifer 8 devant lequel je peux m’endormir vraiment lassé
de ce monde.
Mercredi 08 janvier 2003
11h43. Pour une raison qui me concerne au réveil je
tape à une morte « Ici Mickey ! Comment vas-tu HS ?
Vieux rat t’a-t’elle appelée pour un nième texte à la con ? ».
No answer.
Tout en culpabilisant un peu puisque je ne peins plus
trop ces temps derniers je décide de continuer à m’acharner
sur Jackalope Burger étriture étriture délivrant une réponse
probable à : « Mais qui est donc Miki Ikillu ? » le reste
important peu.
Dans l’après-midi tout prend forme sous un certain
pli que je ne décrirai pas ici.
- 45 -
C’est sans doute ça l’inspiration de la bouillie car
Dieu lui aussi est mort certes mais son souvenir fort
ressemblant me pourrit encore la vie.
Dès 20h00 après relecture je trouve tout type de
développement si superfétatoire et non avenu que – ne-pasenregistrer – je referme mon dossier et me retrouve tout seul
dans mon lit glacé où tentant de me réchauffer auprès de la
Jeanne d’Arc de Besson fort enflammée je peux taper « Hey
point G ! Et si on remettait notre visite d’atelier à au moins
+5°C c-à-d quand ? chais pas ! Love. M le maudit » à
Geneviève Anoury dont j’ai enfin le n° de mob et avec qui
je suis bêtement convenu le jour de mon anniversaire d’une
éventuelle visite d’atelier demain jeudi 09.
20h55. Elle me tape : « hey bonnet m ok jtappel +tar
luv g. »
20h57. Je lui tape « But still ok 4 any drunk nite F
corse. » car j’aimerais bien me l’enfiler.
Mais vers 01h14 jeudi 09 janvier 2003 donc
Geneviève me retape « Still alive luv ? » mais là ça me
réveille.
Ça m’oblige à me repasser la fin de Jeanne d’Arc où
Milla Jovovich crâme en beauté pour à nouveau trouver le
sommeil ce qui est le cas.
Du lever au coucher écriture peinture puis vers 20h00
biture car après m’être bien occupé du cul peint de Fariba
tout l’après midi j’ai rendez-vous avec Napo au comptoir de
la Belle.
Là en l’attendant je suis obligé de sympathiser avec
une grosse inconnue avec piercing dans le pif exceptionnellement revenue de Brooklyn (Williamsburg) où elle vit et
dont je dois me moquer tant elle appartient à ce stéréotype
des petites françaises installée là-bas. C.à.d overbookée
entre trois quatre jobs différents comme médecine par
- 46 -
imposition des mains portant un nom chinois chant
assistante de prod dans le docu ou la fiction + je ne sais plus
trop quoi.
Là dessus arrive ohhh une Geneviève Anoury glacée
à qui je peux offrir un grog. Je les présente puis leur offre
une rose blanche chacune puisque mon petit vendeur de
roses barbu attitré venu d’un pays très lointain et musulman
et donc touché par les cataclysmes ne m’en laisse pas
vraiment le choix « Attention les filles blanche c’est le
mariage ok ? » et elle me répondent hahaha tandis que je
donne quatre euros à petit vendeur de roses barbu. Toutes
deux sympathisent si bien en faisant semblant de parler
anglais que ça me permet d’accueillir dans la minute qui
suit Napo plus tranquillement.
Nous entreprenons donc avec sérieux de nous saouler
comme il faut. Ma tournée. Ta tournée. Ma tournée. Ta
tournée. Et à un moment je peux glisser « Et avec Juliette ?
Comment ça se passe au fait ? » et il souffle très fort tel un
mec si las des turpitudes de ce bas monde qu’il s’en
dégonflerait.
« Elle ne me lâche pas. Regarde encore ce qu’elle
vient de m’envoyer. »
Et il me montre un texto au contenu explicite mais
dont le détail m’échappe car de près tout se brouille vu que
mes lentilles commencent là à vraiment déconner.
« Désolé. Je pensais que j’avais bien fait de lui refiler
ton numéro. Mais elle est plutôt bien comme fille. Non ?
— Oui mais elle est trop jeune 23 ans j’ai déjà donné.
Ça va.
— Tu as peut-être raison. »
Sur quoi arrive ce grand gros puto costaud bossant
chez Gallimard. Yvan est toujours d’humeur massacrante et
a là deux trois trucs à reprocher à Geneviève avec qui il est
- 47 -
censé sortir. Je ne savais pas. Avec Napo nous traversons
donc la rue pour voir au Petit Fer qui il y a exactement. On
ne sait jamais.
C’est là que je peux croiser Jip qui fait de même mais
dans le sens inverse et à qui je glisse donc au passage « Tu
vas à la Belle ? Peux-tu dire en douce à Geneviève que je
l’attends en face ».
Une fois que Geneviève a traversé la rue après s’être
un peu faite engueulée par Yvan pour son attitude en gros
volage envers le monde entier ce qui est faux malgré les
apparences mon portable se met à nouveau à vibrer. C’est
Viera ex préférée n°2 qui me propose bof pourquoi pas ? de
me rejoindre à la maison si je veux. Je réponds :
« Ok 23h00 dans 20 minutes avec le plus gland des
plaisirs Viera. »
Ce qui vient de sonner un peu comme déplaisir et je
dois m’excuser auprès de Geneviève et Napo que je salue.
Et j’y vais car là vraiment j’ai une furieuse envie de rebaiser.
Chez moi c’est à nouveau tout vicieux avec Viera
puisque nous faisons en gros vachement l’amour à la taré
prenons plein de bains chauds mangeons bien divers trucs
qui moississent dans mon frigo etc attrapons pleins de
torticolis et de crampes entre ceci et cela jusqu’au
lendemain vendredi 10 janvier 2003 19h00 où elle doit y
aller avec quelques rougeurs et en boitant un peu vu qu’elle
doit tous les jours quand même par autodiscipline s’occuper
de ses dossiers. On s’embrasse très fort puis se dit à très
bientôt.
Tandis que dans la minute qui suit je cours rue de
Bretagne — tout en téléphonant à mon grand
collectionneur Jacques Aumont le papa à Lyson qui reste ce
week-end à la maison car bloqué par la neige dans son
Loiret alors qu’il me doit 10000 Euros — au rendez-vous
que j’ai avec Jean-Marie Wyloschky et sa Marie à lui qui
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m’en doivent 3000 au Cochon à L’Oreille 15 rue
Montmartre où nous entreprenons de nous enivrer comme
prévu.
Moi au Saint-Véran sur pied de cochon farci plus
lentilles maisons. Jean-Marie et Marie au Morgon sur confit
pommes sautée pour lui. Darne de Saumon pour elle
accompagné de riz.
Et on a minaude à trois dans ce petit restaurant
charmant genre triolisme latent devant tous le monde ce qui
est un peu gênant vu que ce n’est pas mon genre. Mais je
tolère quand même très bien les pieds déchaussés de Marie
Juicy. Enfin je connais son nom de famille. Git ici ? Joue
ici ? Jouit ici ? Trop nul. Si jolie. Pieds voulant à tout prix
s’introduire dans les pans de mon pantalon tandis que plus
haut elle roule des gamelles au saumon à son Wyloschky
très très amoureux ça se voit. L’alcool montant tout
dégénère peu à peu. Marie J reprochant en gros à J-Marie
de jouer les amoureux avec elle qu’uniquement en ma
présence. Sur quoi pour les distraire je leur propose le Petit
Fer en guise de dessert alors J-Marie paie pour tout le
monde 96 euros et on y va.
Sur le chemin ça n’est pas très cool puisque Marie J
un peu ivre reproche à un moment donné à son W d’avoir
dégradé d’un coup de pied taquin près d’un abri-bus une
sorte de mobilier urbain. Il voulait se réchauffer une
Church’s sur une poubelle verte. Mais devant le sketch
civique de Marie un peu exagéré il est obligé de lui refiler
un petit coup de poing sur le nez. Avec le froid elle le prend
très mal. Le Petit Fer étant vide on va à la Belle. Marie
n’adresse plus du tout la parole à Jean-Marie et je vois bien
venir le moment où je vais l’amener chez moi.
Mais en finissant mon verre d’un trait et sentant que
ce n’est plus trop le bon soir pour solliciter mes 3000 Euros
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je baille et dis finalement que je vais aller me coucher en
payant la tournée.
Sur quoi le jeune couple fragile J-Marie-Marie-J est
bien obligé de se rabibocher en se filant encore quelques
petits coups dans la nuit en attendant le taxi qui les
ramènera à Neuilly.
Samedi 11 janvier 2003
14h26. Je ne sais pas pourquoi je tape au réveil :
« Jaune vié veut âne nourri » à Geneviève Anoury. Bonnet
E.
15h20. Anonyme se met à vibrer et très didactique je
suis obligé d’expliquer à Geneviève que vié signifie en gros
vit dans le sud. Ou mentule. Ou chibre. Verge autrement
dit. Comme dans l’expression hé mon vié madame Olivier
qui veut dire en gros hé mes couilles et que je n’ai pas osé
écrire jeune vié veut mais plutôt jaune etc eu égard à mes
vingt-neuf ans jaunissants. C’est là qu’elle m’apprend que
Maurice Pialat vient de mourir.
« Ah. Quand même. Des fois. Place aux jeunes.
Non ? » lui réponds-je l’air métaphysique car Geneviève est
je le rappelle une très jeune réalisatrice. Alors elle me
répond eh oui et ajoute qu’elle doit à tout prix aller
s’acheter ses cuissardes en daim dans le 6ième. Je me rappelle
que je lui avais promis un jour de l’accompagner pour la
conseiller vu que les magasins de pompes féminines du 6ième
c’est comme on dit mon truc. Mais là il s’avère que je
préfère rester à la maison pour écouter France Culture où il
y a une très bonne émission intitulée pourquoi restaurer les
œuvres d’art ? Il y est question de combattre pour ne pas
restaurer à tout prix car toute restauration est subjective et
contingente. De la grandeur à se priver des moyens dont on
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se targue. De logique paradoxale. Du fait qu’on ne doit pas
compresser le temps. Que ça éteint la jactance de l’œuvre et
autres conneries. Qu’améliorer l’état de surface en
supprimant les griffures du temps équivaut à une piètre
opposition à la mort nécessaires des choses. Oui mais que
ces interventions elles-aussi vieillissent et peuvent parfois
susciter de la nostalgie. Bref que le problème est d’ordre
déontologique voire moral. Et que la façon dont on restitue
au regard se révèle aussi le bulletin de santé d’une époque
voire d’une société et que ça aussi ça a de la valeur. Bref
vers 18h30 Geneviève m’appelle pour me donner rendezvous à la Belle dans une heure. Elle n’a pas trouvé ses
cuissardes en daim. Ni au Bon Marché ni ailleurs. Mais elle
semble très très gaie. Je me parfume la barbe. Et j’y vais.
Sitôt à la Belle je peux constater qu’elle vient de me
laisser un message tout frais que je n’ai pas senti vibrer en
marchant étonnant me disant que finalement elle se
décommande vu qu’elle est invitée au resto tôt par des amis
qui ont un enfant et qu’elle doit y aller direct mais qu’elle
me rappelle en sortant.
Sur quoi je minaude assez longtemps avec une très
jolie japonaise inconnue à qui j’offre une rose rose mais qui
hélas baille et dit qu’elle doit aller se coucher alors qu’il n’est
pas 21h00. Je lui dis : « Menteu-euse ». Mais comme j’ai
appris que c’était une voisine rassuré je la laisse partir
puisqu’elle habite rue des Gravilliers et que je la reverrai.
Après ? Un peu esseulé vers 21h?? j’envisage peu à peu
d’aller me faire quelques coucourses chez mon vieil arabe
vu que je n’ai plus de café ni lait ni eau ni Tropicana au
pamplemousse ni rien ni pour ce soir ni pour demain matin.
Mais 8‰ m’appelle pour me dire qu’elle est avec Fix dans
les environs et qu’ils passent tout de suite à la BH juste pour
me dire bonjour. Comme si je n’étais que ce pauvre pilier
de comptoir n’ayant que ça à faire : Être visité.
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Je lui réponds séchement que j’ai vraiment eu ma
dose de connerie pour aujourd’hui et que je dois y aller mais
qu’ils peuvent passer quand même tous les deux avec Fix vu
qu’il y a une super ambiance folle ici à la Belle ce soir. Ce
qui est faux. Juste pour qu’ils se déplacent pour des
clopinettes. Puis je raccroche et j’y vais. Mais vraiment
putain que Fix s’étouffe avec sa femme-fontaine.
Sur le chemin du reubeu je peux croiser deux belles
longues brunettes de 20 ans avec culs assez nerveux qui me
disent « Mikiiiiiiiiiiii ! Qu’est-ce que tu fais ce soir ?
— Rien chuis dégoûté je rentre ciao. »
Et j’y vais.
21h53. À la maison vibration dans mon pantalon.
Hummm. Surprise. Sur mon LCD Fariba s’affiche et
bêtement je décroche. Je peux alors ouir ce flot d’insultes
ultra-vulgaires en provenance de la Belle Hortense où elle
vient d’arriver. Séverine a bien travaillé pour moi en lui
rapportant l’étendue de mes frasques. Mais à un moment un
peu lassé par la déjection continue de gros mots je stoppe
tout net en exigeant qu’elle me rejoigne à la maison dans la
demi-heure. Le temps de me préparer un couscous congelé
au bain-marie car je n’ai rien avalé de la journée ce qui me
plombe littéralement l’humeur.
Vers 22h3? alors que je filtre une Geneviève qui sort
de son resto tôt débarque une Fariba toute neuve très
physique le crâne vert pâle fraîchement rasé ton sur ton
dans son treillis kaki. Elle arbore son air de tueur des
mauvais jours et redevient pour moi – comment dire ? – une
sorte de Valérie alors je marque un temps d’arrêt rote
parfum couscous et tout remonte puisque je lui arrache une
de ses Adidas orange qui se met à tournoyer puis là gicle sur
ma bibliothèque en dégommant tout au passage.
Entièrement déchaussée et bloquée par mes soins - Tiens ?
Des chaussettes résille ? - elle m’envoie de grands coups de
- 52 -
pieds que savamment je pare. Son treillis craque. Son
soustingue se délite. C’est que je la fous à poil en la
malmenant dans tous les sens. Mais tendue sur la moquette
à en exploser la grosse chauve aux seins fragiles ne trouve
pas mieux que de venir là me mordre l’aine.
La bave aux lèvres à moi d’y aller.
Car après lui avoir du coude écrasé la glotte pour
qu’elle ne lâche prise la salope je l’entraine avec fermeté
dans ma mezzanine où j’enclenche Fric-Frac avec Arletty
Fernandel et Michel Simon devant lesquels je l’encule à la
taré en me remémorant mon tableau. Bouge pas. Enfin se
concrétise la commande de Jean-Marie W.
Dimanche 12 janvier 2003
Tout à l’heure à 14h00 j’ai rendez-vous avec Yvan
Masson au Saint-Régis sur l’Ile Saint-Louis.
C’est ce qui me traverse l’esprit au réveil à 12h08
avec le ronron de Fariba à mes côtés. Après l’amour et le
café au lait elle m’offre tant c’est clinique et vicieux
Monstres Invisibles de Chuck Palahniuk qu’elle avait dans
son sac alors donnant-donnant je lui fais écouté Lunapark
#0.10 un CD belge compilateur de poèmes lus par leurs
auteurs eux-mêmes. Appollinaire sur le Pont Mirabeau va te
faire empapaouter Maïakovski Huelsenbeck Schwitters
Joyce Artaud Tzara Duchamp Cummings Gysin Dufrêne
Guyotat. Et devant tant de convictions déballées nous rions
beaucoup mais là j’ai mon rendez-vous professionnel dans
un quart d’heure avec Yvan Masson et sans même nous
laver et en puant le tigre nous y allons en se comme des
bossus marrant dans la rue à s’en gerber dessus.
- 53 -
Fariba a l’extrême gentillesse tant il fait beau de
m’accompagner en boitant jusqu’à l’Île Saint-Louis tout en
trainant son vélo ce qui est un peu handicapant surtout
quand on veut s’embrasser à cause des pédales qui nous
massacrent les tibias. Puis telle une chauve Janny Longo elle
y va de son côté pour vite rentrer œuvrer sur un projet de
déco pour lequel elle est assez charrette. Là : Voir le plus
beau cul du monde s’éloignant en pédalant de façon
arythmique. Pour tout le mal que je vais lui faire à l’avance
j’ai su lui demander pardon.
Yvan Masson n’est pas en retard et m’attend
narquois. Un gros puto costaud Leffe aux lèvres à la terrasse
non chauffée du Saint-Régis. Égal à lui-même. Je
commande direct un cassoulet et un verre de Sauvignon oui
mais du bon tandis qu’Yvan me lance « Houlà celle-là elle
est pas pour toi man ça se voit c’est quoi cette goudou ?
— La femme que j’aime » et il recommande
simplement une Leffe. Sans perdre une seconde nous allons
au vif du sujet. À savoir son compte rendu sur Jackalope
Burger version naze précédente puisqu’Yvan est devenu peu
à peu quelqu’un de très important à La Noire chez
Gallimard. Jackalope Burger ? Réponse sacrificielle à vous
savez quoi.
Là dessus durant une bonne heure au milieu des
saucisses et des haricots blancs refroidissant Yvan lui aussi y
va et ne m’épargne pas.
Mon style vulgaire poussif et empesé alourdit une
narration beaucoup trop resserrée sur mon héros focalisé et
mes second rôles trop nombreux n’y sont pour ainsi dire pas
du tout developpés et tout retombe comme ça tout creux
comme une coquille de noix. Telle quelle ma chose est
morte née.
Sibyllin je lui demande après une saucisse : « Tu n’as
pas peur dans la vie qu’un jour il ne t’arrive plus rien ? »
- 54 -
Ce qui aurait dû le sidérer tant ça venait à brûlepourpoint. Je sous-entendais qu’il ne lui arrive un
impondérable du genre définitif mais face à son manque
d’imagination je paye la tournée vu qu’Yvan a payé la fois
d’avant en exigeant toutefois une note au garçon pour que
ce rendez-vous reste strictement professionnel et déductible
des impôts. Puis on s’embrasse en se disant à la prochaine
on s’appelle et de loin j’entends encore Yvan dire bosse !
trouve un truc chais pas en brandissant le poing. J’adore ce
mec.
Un truc ? Je vais directement louer S.C.A.R. Avec
Chazz Palminteri et Stephen Baldwin. À Couteaux Tirés
avec Anthony Hopkins et Alec Baldwin. Et Sliver avec
Sharon Stone et William Baldwin.
22h05. Je viens enfin de changer de lentilles et tout
devient très très net.
Lundi 13 janvier 2003
Après S.C.A.R. À Couteaux Tirés et Sliver au bout
de quelques heures je peux heureusement m’endormir vers
04h?? sur Sale Nuit avec Mario Van Peebles fils de Melvin
Kevin Dillon frère de Matt et Ben Gazzara. Lui-même. Pas
de frère Baldwin à l’horizon.
Ce soir normalement j’ai rendez-vous à 22h00 aux
Cannibales avec Fariba.
C’est ce qui me traverse l’esprit au réveil dès 07h06
avec l’odeur de cumin sauvage de celle que j’aime sur mon
oreiller. 07h06 ? Les Cannibales est une cantine à bobo
tenue par une néo-zélandaise bonnet D fraîchement atterrie
dans le 11ème. Mais 07h06 me turlupine. Là ? 07h06 se
convertit en 6h66.
- 55 -
Tel un ressort je m’éjecte et avec cette trique d’un
type nouveau je vais pisser. C’est là qu’on agit M le maudit.
C’est là qu’on prend parti Miki.
Les signes ont enfin un sens. Velouté ? Ou émincé de
Fariba ? Pourquoi pas ? Ça doit être ça être possédé. Ça fait
appel à une pensée créatrice. C’est comme d’un coup
réappartenir à cette grande chaîne de l’Humanité. Origines
animistes. C’est ce que l’on nomme mâcher une mâchoire
ou écouter sa propre oreille. Vrombir. Un vrai circuit
fermé. La vie ? Comme Sainte Tautologie ? Ici : Pas de
dogme. Non. Un chemin paradoxal. En soi. Contrit l’initié
s’initie à lui-même assis sur son propre banc d’essai.
Alors du matin au soir très obéissant en tentant de
trouver un truc je trouve un truc et je ne trouve pas mieux
que de faire Hara-Kiri en coupant tout en deux.
Et ce n’est qu’après ce gigantesque copier-coller et le
plus grand bordel de foutoir de couper-coller dans tous les
sens que Jackalope Burger devient cela :
- 56 -
et j’ai persévéré jour après jour
dans une existence que je crois être
absolument remarquable.
Denis Johnson :
Le Nom Du Monde
jackalope burger
Là ? Je n’étais plus que ce singe. Je vire-voltais en
rougeoyant dans ma nuit mais sans trop y croire j’entendis
un bruit mat et mouillé. Aujourd’hui-aujourd’hui vola en
éclats. Pas de douleur afférente. J’en fus presque surpris.
Déçu je me tassai encore un peu plus en m’enfonçant
dans le volant. Incandescente la vieille Volvo hoqueta. Une
foule de petites idées en profita pour s’égrener sur le parebrise puis à peine un peu plus loin sur le platane dans une
sorte de pluie ou mise à plat. L’une d’elles voulut surnager
quelques temps. Un vague regret. Oui j’aurais dû épargner
ce lapin à cornes qui avait traversé. Après ? Il n’y eut pas
grand chose.
- 57 -
Un grésillement de guêpe malvenu presque
harmonique. Bruit blanc rosissant. L’auto-radio s’était
enclenché.
Dans la mesure où des prégnances évoluent et
ondoient dans un même espace-substrat je compris dès lors
à quel point l’une d’elles pouvait s’intriquer dans la
propagation d’une autre.
Je retrouvais mon grand modèle dit des catastrophes.
Les actes qui les induisaient — comme pour une proie son
ingestion par un prédateur — deux font un — s’y révélaient
topologiquement isomorphes à l’émission d’un actant
descendant à partir d’un vagin — un fait deux. Tout
s’éclairait. Seule la flèche du temps différenciait ces deux
morphologies.
J’étais en paix. Impardonnable mais en paix.
Mon secret ? L’abrutissement.
Ces symptômes on les connaitrait tous. On avait lu des
revues scientifiques. Le déni de réalité ? On savait ce que ça
signifiait.
Plus concrètement PP1 était à l’œuvre. Cette enzyme efface
quand il le faut nos données encombrantes. La Protéïne
Phosphatase #1 agit au sein même d’un mécanisme actif de
l’oubli. Je ne décédais pas. C’était beaucoup plus compliqué
que cela.
Une relecture avec option effacement à la clé assortie de
couinements dans le grésillement. Mes yeux crépitaient ?
Moi pas. Je dus me concentrer au delà du raisonnable pour
savoir quand on était. Quand suis-je ? Seule question qui
me taraudât. Où ? Je le savais. Je n’étais pas loin. Tout
autour de moi. Ce phénomène ne pourrait qu’empirer mais
là ce n’était plus si grâve.
- 58 -
Mars 1973
Ça prendrait beaucoup de temps et d’efforts à justifier
toujours est-il que là je n’étais pas encore né. Peut-être
conçu mais rien n’est avéré. Ce qui peut être amusant à
spécifier quand tout le monde s’en fout. Moi le premier.
Avril/mai 1977
Mes parents étaient encore allés travailler et vers neuf
heures du matin j’eus l’impression d’être tout seul à la
maison. Je m’ennuyais. Fadhila venait de me doucher.
Elle avait eu du mal à régler la température du jet et
je n’avais pas cessé de m’en plaindre. « C’est chaud. C’est
froid. C’est chaud. C’est froid. »
J’avais même un peu pleuré. Mais là j’étais propre et
sec. J’avais été violemment frictionné de haut en bas par la
grosse rousse aux collants couleur chair qui repassait pas
loin. Fadhila ma nounou toute fâchée dans son coin. Je ne
savais même pas pourquoi.
Nous étions dans le salon. Elle était assise. Je jouais à
terre avec mes Matchbox. Les yeux rivés sur ses talons.
La montagne de chair préfèrait jouer avec ses
babouches pointues puisque ses pieds ne cessaient de s’en
extraire puis de s’y engouffrer à nouveau. Le droit le gauche
le gauche le droit sans discontinuer.
Par derrière j’observais la saynète tel un animal un
peu abruti. Plantes de pieds tantôt arquées et obombrées au
niveau des orteils tantôt concaves mais charnues.
Apparaissant. Disparaissant. Dans un joli bruit de
frottement.
Je m’approchai avec mes voitures puis m’amusai à en
faire atterrir une sur le talon droit ennylonné. Déchaussé
- 59 -
c’était son tour. Je visai la couture du renfort. Une Renault
à l’envers voulut rouler tout doucement sur une plante qui
se déroba. Ça semblait la chatouiller puisque Fadhila me le
dit mais la plante revint se rechaussa puis se dénuda encore.
En se repositionnant. On était réconcilié. J’insistai. Puis crus
entendre : « Humm c’est gentil là » car les roues étaient de
plus en plus caressantes sur la plante immobilisée. Mais
j’entendis : « Arrête ».
Je jetai la Renault qui s’accidenta un peu plus loin je
contournai le dispositif et enlevai délicatement sous la table
deux babouches de cuir jaune qui sentaient juste un peu le
mouton peut-être. Pas de réaction plus haut.
Je me retrouvai à quatre pattes sous une djellaba de
satin lila où il faisait humide. Je me frottais l’entre-jambes
contre un tibia encore et encore puis dévalai vers plus bas
les pieds nus si doux. Qui me bloquèrent. Les babouches
ayant été garées plus loin.
J’avais trois ans j’étais en pyjama et venais de tomber
raide amoureux de dix orteils recourbés joueurs charnus et
mobiles qui s’amusaient à me faire danser depuis que je les
avais capturés et conservés ainsi tout prisonniers entre mes
cuisses.
Les orteils agiles me caressaient maintenant. C’était
leur métier. Pouces de nylon le droit le gauche frétillants
frôlant anus scrotum gland en faisant de petits ronds tandis
que j’embrassais plus haut dès que je le pouvais quelques
replis baveux.
Fadhila continua de repasser en fredonnant. Un truc
que je ne comprenais pas. Ça dura. Je jouis. Elle aussi.
Un jour lors de ce rituel que Fadhila aurait
judicieusement baptisé plus tard woilà kiki mes parents nous
surprirent. Et la virèrent.
- 60 -
Après ? Je mis à rêver d’elle. Mais quand je voudrais
à nouveau prendre mon pied avec celui de ma nounou
évaporée il y aurait toujours hélas dans ce rêve un peu
répétitif une nouvelle babouche sous celle que je viendrais
juste de lui enlever. À l’infini.
Mercredi 05 janvier 2000
« Miki ? Mais elle est où Zaza ?
— Oh je crois qu’elle a pété un plomb et qu’elle est
retournée à Genève il y a deux ans. Vivre chez Gerhard son
père je crois. Ça marchait pas trop bien pour elle ici tu ne te
souviens pas ?
— Elle aurait pu me prévenir. Tu prends quoi ?
— T’as pas eu son mail ? Un Meursault. Moi. Si. Vous étiez
vraiment mariés ?
— Non elle était contre en fait mais on a eu de bons
moments ensemble. Au début. C’était prévu. Le problème
c’est qu’elle n’a jamais été très fidèle. Tu saisis ? Deux
Meursault s’il vous plait.
— Oui je sais super instable comme greluche. C’est ce qui
faisait son charme aussi.
— Bon anniversaire mec.
— Na zda`roviè Wyloschky.
— Avec quelques qualités beaucoup d’humour tout ça ce
qui est assez répandu en fait chez les suissesses.
— Elle n’aimait pas trop suissesse je me souviens elle
préférait helvète.
— Très touchante. Vicieuse. Rigolote. Belle bouche.
— Très triquante. Super vicieuse. Très rigolote avec son
accent à couper au couteau. Elle manquera. Sinon toi ça
va ? Tu me diras combien je te dois pour la vitre.
— La vitre ? Ah oui. Laisse tomber on devait foutre un
double vitrage de toute façon.
- 61 -
— Cool. Sinon ? Les affaires ? Elle m’a toujours très très
bien parlé de toi. Tu savais ? Avant. Par lettres. Puis après
quand on s’est remis ensemble. Mais c’est vrai qu’elle s’est
barrée d’un coup comme ça. Pfuit. Évaporée. Du jour au
lendemain. J’ai récupéré son truc 9 rue Charlot à l’Hotel de
Retz depuis.
— Ah bon ? J’ignorais. Oui non moi ? Les affaires ? On est
en train de se viander mec. Sinon elle m’avait beaucoup
parlé de toi aussi. Tu dois t’en douter. Tu semblais être
chais pas trop quoi pour elle.
— Cool. Oui non moi aussi ça va très mal les affaires. En
tout cas elle t’a aimé ça c’est sûr. C’est assez étonnant tout
ce silence. Des fois je suis un peu inquiet. J’avoue.
— Elle n’aime personne Zaza. C’est pas son truc. Ou alors
elle aime tout le monde.
— En tout cas tout le monde l’aimait.
— Ouais. Un peu trop des fois.
— En tout cas moi j’aurais adoré sa tête. J’ai beaucoup
travaillé dessus depuis c’est vrai j’oublierai pas. Ses jambes.
Ses jolies pieds. Lui bouffer les orteils la chatte tout ça.
Sinon elle avait un sacré cerveau et un goût certain comme
fille tu crois pas ?
— Hahaha. Tu veux dire parce qu’elle nous a chaperonné
nous à un moment donné dans sa petite vie de grosse
bourge?
— Entre autre.
— T’es marrant. À ta belle gueule Miki.
— À la tienne. Jean-quoi déjà ? J’oublie toujours.
— Jean-Merde ou Jean-Marie comme tu préfères.
— Uhuhu. À notre 21èmesiècle. Qu’il soit le plus… religieux
possible.
— Ou qu’il ne soit pas. Man. Bon anniversaire Miki.
— À toi JM et à l’amour. Où qu’il soit. »
- 62 -
?? jan/fév/mars 1980
Un savant barbu et à lunettes commentait à la télé
certains des comportements observés chez les tout petits. Ce
professeur était fier d’avoir dispatché tout un réseau de
caméras vidéo dans une crèche et il commentait avec des
mots que je ne comprenais guère les déambulations
erratiques de ces espèces de gros bébés foireux baveux
titubants et frotteurs que nous avons tous été.
La voix-off s’amusait à distinguer parmi les plus
volubiles les déjà leaders des soi-disant dominants-agressifs.
Du coup je me mis à hoqueter en exagérant un peu.
Quand ma mère me fit taire puis m’avoua faire sa
thèse avec ce barbu-là raison pour laquelle elle se
concentrait sur ce documentaire mon hoquet cessa aussitôt
vu que je mis à supputer qu’il n’était vraiment pas
impossible qu’il y ait aussi plein de caméras dans ma
chambrette à moi.
Fâché je déclarai que j’allais monter me coucher. Ce
que je fis. Puis je me relevai et commençai à minauder tout
seul dans la pénombre de ma chambre en tournoyant sur
moi-même pendant ce qui me sembla être des heures.
Cercles de plus en plus grands puisque j’entrepris de me
taper la tête contre les murs. Pas de réaction en bas dans le
salon ? Alors je me laissai entrainer les bras en croix toutes
griffes dehors dans cette vaste opération d’arrachage
systématique de cette espèce de papier peint à rayures
beiges qui ornait mes murs à cette époque-là. Ce qui me
rappela ce truc de destructivité évoquée dans le
documentaire en question.
Mais ce qui m’émoustilla le plus durant cette séance
ce fut le bruit de l’arrachage du papier ce rouïk-rouïk-rouïk
des lambeaux devant ces hypothétiques caméras. À s’en
faire péter les ongles.
- 63 -
Ma mère trouva ça curieux le lendemain matin en
voyant le résultat mais elle ne s’alarma pas trop vu que
j’omis de lui avouer que je savais qu’il y avait des caméras
partout. Je me justifiai au contraire en affirmant que la
tapisserie tout simplement ne me plaisait plus. Ce qui était
aussi le cas. À mort le beige. À mort les rayures. Déjà.
Le week-end d’après alors que mes parents m’avaient
encore laissé tout seul à la maison pour aller revoir Le
Tambour de Schlöndorff à l’Utopia d’Avignon je pus
vérifier en attaquant le mur plus sérieusement qu’il n’y avait
jamais eu de caméra derrière. Ce qui me déçut
particulièrement ce manque de vice de leur part à eux. Si
peu influencés par le barbu malin.
Le
vendredi 24 novembre 1998
vers 23h?? ivre-mort en rentrant tout seul à la maison
je ne pus m’empêcher de taper :
Irène
j’en ai bien conscience maintenant vous fûtes la seule
à m’avoir touché. Quant à votre fantôme sa nouvelle
absence est fort coupable si j’ose dire et certainement
imputable au fait qu’on vous interdise maintenant en très
haut-lieu d’interagir avec moi-même extrait de votre petit
passé. Au nom de sacro-saintes lois. D’outre-tombe. Et c’est
ce qui vous rebute tant maintenant Irène toute aliénée que
vous êtes dans votre momort à vous.
Car même si je ne vous vois plus ni ne vous entends
plus sur France Culture ou ailleurs je vous sens encore et
vous renifle tout autour de moi mais seulement quand je
travaille Irène quand je commets tous ces petits corps
- 64 -
meurtris amputés et flétris en série. Plâtre résine. Mes White
Females. Plâtre résine cuir verre os ciment terre caoutchouc
cristal cheveux clous céramique rafia. Durant ce truc
vaudou d’art-thérapie Merlinois où je suis censé me sauver
de je ne sais plus trop quoi.
Oui je vous sentais encore jusqu’à ce que ma Zaza ne
disparaîsse elle-aussi toujours en train de me toiser avec ce
recul séculaire que vous aviez su engranger d’un coup dès
votre toute jeune éternité.
Mais vous disparûtes très récemment car toujours un
deuil en chassera un autre et il en sera toujours ainsi.
Miki
N’ayant plus vraiment de contact d’Irène
Omelianenko j’avais gardé cette lettre et l’avais faite vieillir
en l’insérant bien roulée en boule dans le ventre d’une de
mes White Females.
Mardi 23 décembre 1980
Depuis un bon quart d’heure déjà j’étais affamé et
parcourais sans trêve une pièce de cinq francs à la main
quelques longs couloirs vides à la recherche d’un
distributeur de bonbons.
Je me promenais tout seul dans l’un de ces vieux
batiments de l’école vétérinaire d’Alfortville ou MaisonAlfort dans le 94 où mon père avait officié en tant
qu’étudiant d’abord puis chargé de TP/TD il n’y avait pas
si longtemps. Du moins c’est ce qu’il m’avait dit.
C’est ce mardi matin-là au cours d’une visite
informelle Noël c’était le surlendemain tandis que mon père
réglait encore quelques trucs administratifs dans un beau
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bureau marron tout près de la bibliothèque que je tombai
en arrêt au détour d’un couloir devant la photo de C3PO.
Oui mais comme différent. Puisque plus vrai ou juste plus
sale là juste à l’entrée du Musée d’Anatomie. Une pub pour
Star Wars ici ?
Ce robot avait été commis par un certain Honoré
fragonard cousin du peintre connu entre 1766 et 1771
homme qui fut c’était écrit en tout petit sur l’affiche l’un des
tout premiers directeurs de l’école en question.
Ce grand homme dont on voyait de gros bustes un
peu partout ici avait été démis plus tard de ses fonctions soidisant pour magie noire puis réhabilité à la Révolution puis
par l’Empire.
Tout ça à cause de centaines de préparations
anatomiques séchées vernies mises en scène et non dénuées
d’humour. Puisque c’était écrit là en encore plus petit sur
l’affichette que je déscotchai roulai et volai.
Sans doute pour me rassurer le rouleau à la main je
voulus en avoir le cœur net et je décidai de pousser la porte
de ce musée déserté et de continuer ma promenade au
milieu de toutes ces rangées de squelettes d’animaux et de
bocaux poussiéreux au contenu flou et décoloré. Il était où
faux C3PO ?
C’est là que je stoppai net au détour d’une allée
pleine de moulages pas très supers devant un savant
mélange encastré d’écorchés d’homme et de cheval éclaté.
En arrêt. Là. La bave aux lèvres.
On y voyait tout le dedans de quelqu’un oui mais
qui ? c’était même pas écrit ça disait juste Cavalier de
l’Apocalypse juché sur tout le dedans d’un animal oui mais
éclaté et sorti. Les nerfs les veines pas de peau les tendons les
os les organes génitaux et tout le reste maintenu en l’air
comme ça on ne voyait même pas comment.
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Un peu critique je préfèrais C3PO je me persuadai
peu à peu que cette grande chimère sous verre vu son air et
sa couleur dorée aurait plutôt eu un goût de chips chinoise à
la crevette si on la croquait. Huileuse et salée. Mais rien n’y
fit. Oublieux de ma petite flaque de salive bue par mon pull
à carreaux je ne pouvais plus bouger. Là le temps dut
s’arrêter.
Quand mon père me retrouva il se mit à bien me
secouer pour me réveiller et trouva ça curieux ça se vit à son
sourcil quand je justifiai mon hypersalivation ainsi « Moi le
musée le matin c’est fou ça me donne faim » et le
vétérinaire en herbe me prit par la main en disant : « Alors
allons manger »
Mon père avait mis ça sur le compte d’un truc qui
allait passer. Pas plus pas moins.
Avril 1997
Après le décés d’Irène Omelianenko chaque jours
j’étais un peu moins en forme ma belle allure me quittait
mon moral descendait et ainsi au total je vivais une époque
horrible. Mais le miracle arriva puisque je fus reconnu à ma
juste valeur.
Enfin puisque j’étais sélectionné par le musée
d’histoire de la psychiatrie du CHS de Ville-Evrard pour
servir de prétexte culturel à toutes ces conférences en
hommage à Antonin Artaud. Antonin Artaud remis à la
mode cinquante ans après sa mort et qui aurait séjourné làbas quelques mois avant la guerre de 40 entre ses deux
stages à Sotteville-les-Rouen et Rodez comme tout le
monde était censé le savoir.
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Sous l’égide d’Emma Merlin la psychiatre qui me
donnait tout simplement envie d’être le plus fou possible je
m’étais appliqué quelques mois durant à deux douzaines de
portraits en série du poète en 55 x 65 après être tombé en
arrêt un jour sur ces clichés extraordinaires d’un certain
Loulou Pastier grand oncle d’Hélène Sillex et petit frère de
Paule Thévenin un zazou d’après-guerre qui très malin se
serait amusé à croquer Artaud avec son 6x6 juste avant sa
mort quand à la libération le poète s’était réfugié du côté
d’Ivry alors qu’il était atteint de son cancer du rectum
comme tout le monde est censé le savoir puisque
officiellement il est mort assis dessus. Or j’avais donc moimême iconisé le ouf cadrage photomaton. Et de ces 25
images peintes j’avais fait une vidéo à la verticale d’une
seconde puis d’une heure. Un vrai dessin animé en boucle
infinie où l’on voyait la tête à Toto s’émacier avec son long
nez qui trempait. Son arc jugal saillait son poil rare et filasse
se rejetait en arrière tandis que son maxillaire inférieur
édenté lui se rejetait en avant. Tout ça esquissant une sorte
de cri muet provenant d’une bouche noire creuse et amère.
Le morphinomane s’y déformait tandis que son beau
regard bleu qui plaisait tant aux femmes car il n’avait plus
que ça s’ouvrait tout froncé professionnel et profond.
Bien sûr tous ces portraits filmés connurent un certain
succés. D’autant plus que la grimace s’y ralentissait
s’inversait peu à peu dans son morphing puis se figeait
tandis que tous ces vidéogrammes se décalaient se fondaient
et qu’Artaud devenait flou vaporeux et comme un vieux
souvenir tout craquelé et vachement vert foncé.
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[ 29 mai ; 26 juillet 1997]
Je me retrouvai Galerie De France rue de la Verrerie
chez Catherine Thieck à deux doigts de Beaubourg pour ce
« Têtes à Têtes » ou exposition de groupe en hommage au
poète maudit revivifié.
J’étais accompagné de Miguel Barcelo Georg Baselitz
Balthus Jean-Charles Blais Christian Bonnefoi Karl Dreyer
Jean Dubuffet Max Ernst Man Ray Erro Jean-Jacques
Lebel Alain Fleischer Jim Dine Rebecca Horn Abel Gance
Ernest Pignon-Ernest Sarkis et autre Nancy Spero qui y
étaient allés eux aussi de leurs petits crobards ou
installations ou totems insipides dans un hommage si sincère
à leur héros aplati.
Pas vraiment touchée par l’éventail de tous ces
simulacres Hélène Sillex petite khâgneuse au profil boudeur
devenue grande m’écrivit amoureusement ce merveilleux
article paru dans Le Monde1 qu’elle me consacra à moi et à
moi seul oubliant tous les suiveurs artaldiens de la dernière
heure puisque d’autres flagorneurs s’en chargeaient.
Jeudi 25 décembre 1980
De retour dans le Luberon le surlendemain de l’école
vétérinaire tout ça c’était Noël alors on m’offrit entre autre
mon tout premier chaton. Tigré sevré rebondissant et tout
mignon avec ses moustaches sa langue si rose et ses tous
petits cris attendrissants.
« Prends-en bien soin hein Miki c’est très fragile à cet
âge-là .
1
Là : Aller à la fin - lire note n°1
- 69 -
— Ouiiiii. »
Suite au pelage je l’avais appelé le tigre. Assez fier sur
le parking devant chez moi je le présentai à tous mes amis
en le tenant comme on était censé tenir un chaton.
C’.à.d par la peau du cou. Mais rétif aux caresses
maladroites de tous ces inconnus le tigre voulut m’échapper.
Je le sentis. Alors je le retins.
Hélas il ne trouva pas mieux que de me labourer
doigts et avant-bras et de s’y incruster si fort que devant ma
stupeur fusèrent même quelques rires autour de moi.
Pour me débarrasser de la risée je projetai le tigre
contre un mur. Et vexé je décidai de le punir un peu plus là
devant tout le monde.
Mon opinel après se mit à sentir le ronron alors je pris
le minou vibrant à pleine pogne et me mis à bien le secouer
pour qu’il se vide au maximum. Bouillie de tout ce qui put
bien dégouliner comme ça à coups de caillou si bien frappés
sur le bitume ensoleillé que ça en fit parfois des étincelles.
Tout en continuant avec mon couteau de touiller le jus ou
bouillabaisse qui en résultait.
Tous mes copains étaient restés cloués et scotchés là
autour de moi poussant toujours plus de birk bark beurk
devant mon exploit. Quand fondamentalement inspiré je ne
pus m’empêcher d’ajouter encore un peu de liant en
déféquant sur le tas de boue tiède et féline tout poilu et
ratatiné ils ne purent eux-aussi s’empêcher d’en faire autant
à tour de rôle du moins tous ceux qui en avaient envie.
Dès l’après midi le scandale éclata et Noël fut gaché.
Tous les parents s’étaient réunis en avaient débattu entre
eux. Ils tentaient de reconstituer ce qui s’était passé. Puis ils
nous convoquèrent nous les enfants et nous assénèrent le
sourcil froncé : « Ah là c’est pas bien ce que vous avez fait
c’est pas bien du tout vous le saviez ? Oui ? Non ? » auprès
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de leurs chères têtes blondes prises toutes de ce type de
baillements incoercibles.
« Il ne faudra plus jamais faire un truc pareil. Plus
jamais jamais. Ok ? »
Punition générale. Personne ne me balança et tout se
tassa comme à l’accoutumée puisque cette saynète se
reproduirait texto à chaque nouveau chiot chat cochon
d’inde et autre coq occis sans que jamais plus rien n’ait
jamais plus de conséquences de toutes façons.
Lundi 11 mai 1981
Pour des raisons politiques sûrement je reçus un bon
coup de pied en pleine face alors que je rattachais un lacet
lors d’une rixe sous le préau à cause de Mitterrand. Le
lendemain au réveil mardi 12 mai 1981 je constatais que
j’avais perdu la vue de l’œil droit. C’est à partir de cet iris
blanchâtre virant peu à peu au bleu nuageux que dans la
cour on commença à m’appeler Dracula.
Juin 81 - juin 83.
On m’opéra puis réopéra de cette cataracte dite
traumatique de suite au moins six fois. L’œil droit d’abord
normal puis le gauche même s’il était intact car il fallait
parait-il toujours tout équilibrer. Et ainsi de suite. Et ainsi
de suite. On se contenta à chaque opération de me peler le
cristallin couche par couche tel un oignon. Sans l’ablater
d’un coup et sans évidemment non plus envisager encore le
moindre petit implant. Chose qui allait m’intriguer puis me
lasser à force puisque je ferais chaque fois cette expérience
du curare. Le poison promulgué à dose homéopathique
était censé occasionner sur le terrain de toute opération la
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plus parfaite immobilité oculaire mais il donnait surtout
chaque fois très bien au réveil les deux yeux bandés cette
impression particulière d’étouffer tout en se payant une
bonne séance d’abdominaux et de dorsaux d’au moins
vingt-quatre heures. Éternité sombre où une foule
d’infirmières faisant clap-clap-clap autour de moi
n’arrêtaient pas de me dire qu’après j’aurais de très très
beaux yeux et que j’étais si courageux de rester si tranquille.
Bien sûr je n’avais pas vu venir le coup de pied. Tout
focalisé que j’étais sur mes lacets. Et personne ne s’étant
dénoncé j’en découvris un tout nouveau sentiment. Il y a un
avant et il y a un après et on ne peut rien rembobiner.
Comme si certaines choses pouvaient enfin avoir des
conséquences. Le problème étant que là c’était sur moi.
Je ne fis pas d’enquête véritable sur ces faits et voulus
longtemps me contrefoutre de l’auteur de ce coup de pied.
Personne autour de moi ne comprit pourquoi je laissais
courir comme ça. En réalité naissait dans mes
soubassements quelque chose de grandiose mais
d’inidentifié qui faisait que j’exultais en secret.
N’ayant plus vraiment de cristallin on me proposa
une nouvelle correction à +20 dioptries sous la forme d’une
grosse paire de lunettes à verres très convergeants. Ce que je
refusai tout net à cause de la tête que ça me faisait. Car là ce
n’était plus Dracula mais plutôt Woody Allen et il allait
peut-être maintenant falloir cesser d’exagérer. On me
proposa une nouvelle paire de lentilles hydrophiles à 70%
assez chère que je n’enlèverais presque plus jamais au risque
d’expérimenter à nouveau œdèmes cornéens et canaux
lacrimaux bouchés en série. Ce qui s’avéra acceptable
puisque là autogéré. Tout alla beaucoup mieux.
C’était l’époque j’avais sept huit neuf ans où je
commençais à m’entîcher pour Bosch-Brueghel.
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Ça aura été des heures que j’aurais passées tout seul
une loupe à la main dans ma chambrette à moi sur tous ces
Tout L’Œuvre Peint. Peu à peu je reproduirais moi-même
au pastel Portements De Croix et Triomphes De La Mort
en série assortis de ribambelles de têtes coupées aux yeux
crevés.
Samedi 02 Septembre 1996
Villejuif service des soins palliatifs. Dernier étage de la
vie. Murs jaune vif baignés de lumière grise grâce aux
grandes baies vitrées. Plein de gros bouquets d’orchidées.
Un piano blanc. À queue. Des voix flûtées. Un personnel
vachement gai sans doute trié sur le volet vaquant clap-clapclap d’une chambrette à l’autre.
Une senteur diffuse de violette ou de framboise. Brise
sur escharres. Enregistrés des chants d’oiseaux du Vivaldi
du Céline Dion du Balavoine et du Michel Berger en
sourdine remixée. Bref j’ai poussé la porte de la 612.
Silence. Heureusement.
Un squelette chauve se redressa sur un lit. Trois mois
avaient passé depuis notre première et dernière rencontre.
Yeux encore plus bleus très gonflés voulant sortir. Tentant
de s’accrocher très vite à quelque chose une équerre bras
raides tenant le volant farfouilla l’air devant. Va et vient de
signes incompréhensibles sur manettes invisibles. Fade
planait tiède cette odeur d’excréments et de plastique
échaudé. J’avais déjà vécu ça.
Trompe du sempiternel éléphanteau anorexique et
transparent la sonde naso-gastrique laissait goûter pleins de
petites choses. Un long Bahhh s’échappa de la bouche qui
excréta un filet brun sur un drap.
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Irène Omelianenko était seule et se découvrait. Elle
mettait à distance la flaque l’occultait pudiquement en
poussant le drap souillé à coup de pieds gonflés au bas du
grabat. Ce faisant elle me fit admirer son sexe. Rebondi.
Mont chauve aux lèvres ourlées et décolorées. Sortant au
delà du raisonnable. Re-bahhh.
Elle tourna la tête vers moi mécaniquement par àcoups et pleura en me voyant. Hoquets de crâne silencieux.
Je m’approchai sans me présenter. Sans dire :
« Irène c’est Miki je venais juste vous dire adieu. ».
Je sentais que ça ne servait à rien. Elle avait l’air de
ne pas me reconnaître ni d’entendre très bien. Je pris une
main fragile vibrante moite presque fondante la serrai très
fort et de l’autre caressai le front en nage. Elle ferma les
yeux. La bouche était amère. Crevassée. On devait
l’hydrater autrement. Irène se laissa aller sur l’oreiller. Àcoups douloureux. J’admirais ses abdos au boulot. Ses
côtelettes saillantes. Il n’y avait pas vraiment de seins dessus.
Juste deux plis. La main forte finalement guida la mienne
vers un ventre troué de tuyaux. Je caressais les durites il y en
avait partout ça devait la chatouiller car elle accompagna
ma main vers plus bas. Irène était sèche. Puis moins.
Presque onctueuse. Je lui frôlais le sexe tout doucement. Elle
s’évanouit. Je continuais. Elle ronfla. Mais elle fit la grimace
et se tut dans un drôle de hoquet. Sa mâchoire s’affaissa.
Je sortis. Personne ne m’avait vu. Métro. Rentrer à la
maison. Ligne 7. Direction La Courneuve. Sortie : Pont
Marie. Rue des Nonnains d’Hyères. À gauche : Rue de
Jouy. Rue Tiron. À gauche : Rue de Rivoli. Direction Hotel
De Ville. À droite : Rue Vieille du Temple. À gauche. Rue
du Perche. Pile poil face au 9 rue Charlot. Monter les
escaliers. Rentrer à la maison.
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Zaza n’était pas là mais le calque d’Irène y était déjà.
Omniprésent au stade terminal lui-aussi m’attendant très
angoissant et culpabilisateur et toujours en train de me
refaire plus de bahh ! comme ça sursaturés dans les recoins
quand je ne m’y attendais le moins. Pourtant je n’y étais
pour rien. Sa tête était dans mes yeux. Quand je les fermais.
Mais quand je les rouvrais aussi.
Pendant des mois j’en eus un nombre de crises
cardiaques incalculable. Tout était de la faute du noir. Des
parcelles de blanchâtre en mouvement dans le noir. Dans la
vision périphérique. C’était ça les fantômes une sorte de
cataracte ou blanc mobile insinué dans tous nos recoins. Pas
plus. Pas moins. Encore un sale truc optique sans doute. Je
n’entendrais plus jamais cette voix qui m’avait sauvé la vie.
Les dimanches d’avril/mai/juin 1983
la Sainte Victoire était ma seconde mère. Ma
première maman en fut toute émue quand je le lui appris. Il
faut dire que c’était une très jolie chaîne calcaire des
préalpes aixoises plutôt ample et majestueuse qu’on
escaladait en famille chaque week-end depuis mes 6 ans.
Peu à peu j’en avais exploré chaque face chaque crête
chaque éboulis chaque gouffre à travers tous ces passages
parfois un peu délicats comme le Pas du Berger le Pas des
Dinosaures ou le Pas de la Savonnette. J’en adorais
l’éventail des senteurs de ce biotope et vouais un véritable
culte naturaliste à ce savant mélange de ciste de genêt
d’aspic d’argéras de pin de thym de pets de lapins et de
caprins dont je me repaîssais jusqu’à plus soif tous les
dimanches.
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Or au pied de cette grande croix métallique toute
rouillée au sommet haute d’au moins dix mètres il y avait le
Refuge dit des Moines un ancien presbytère hanté qui puait
le feu de cheminée mais cette maisonnette toute usée par les
vents dominait une falaise d’au moins huit cent mètres.
C’est là pensif voire poète au pied de sa croix avec son pain
au chocolat que j’aperçus un jour un alpiniste fluo en train
d’émerger de cet à-pic. Tout essoufflé à travers son cliquetis
de harnais de baudrier de mousquetons et de crochets.
Peu à peu j’émergeai moi-aussi de ma torpeur et blasé
vins me poster penché la bouche pleine pour bien apprécier
la performance du héros. Pour la première fois je ressentis
cette forme d’éblouissement assortie de ce mouvement
d’arrière en avant comme une singulière envie de s’envoler.
Il faut dire que ma vision monoculaire applatissait ces
distances que le cerveau restitue heureusement oui mais à
retardement.
Mon père conscient du danger se précipita et me
retint par derrière me faisant vraiment mal aux bras me les
broyant presque sous le prétexte que son grand frère à lui
quelques dix ans avant avait dévissé ferme au même
endroit. Mais lui solidaire avec l’ensemble de sa cordée.
« Mais heu ça va je regardais juste »
Après ? On aurait recousus tous ces dévissés en se
trompant un peu parfois puisqu’un des défunts se retrouva
avec l’alliance de mon tonton. Ce qui aurait engendré par la
suite toute une série de plaisanteries familiales du plus haut
mauvais goût. Question : Les légistes ne s’étaient-ils trompés
que pour ce doigt-là ? Mais la promenade se poursuivit
presque normalement ce jour-là sur la crête plein-est jusqu’à
ce que notre trio père mère fils ne tombe en arrêt sur une
petite carcasse d’avion de tourisme en rouge et blanc en
contre-bas qui n’était pas là le dimanche d’avant.
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Tel un cabri ébaudi je dévalai mon propre éboulis
pour mieux apprécier l’étendue des dégâts et me faufilai vite
dans la carlingue défoncée pour voir s’il n’y avait rien à
grapiller.
Mes parents me rejoignirent et m’enjoignirent
d’aussitôt sortir en me traitant de sale petit ouistiti vu que
c’était vraiment dangereux tous ces bouts de verre et de
plexi ainsi que toutes ces taules recourbées rouillées et
coupantes et que c’était vraiment malsain aussi de se vautrer
comme ça sur des sièges déglingués imbîbés de sang séché.
Je dus m’extraire de la carcasse à contre cœur après m’être
vite imprégné de ce nouveau remugle. Moleskine bakélite et
chairs crâmées.
Quand six ans plus tard suite à un nouveau crash sur
sa face sud l’adret desséché ma seconde mère crâma
intégralement à son tour j’en fus tout endeuillé mais je me
mis à penser je ne sais pas pourquoi que c’était peut-être
aussi à cause de moi. Comme si je l’avais souhaité
secrètement.
Jeudi 03 Juin 1996
La nuit précédente j’avais hélas rêvé qu’en rase
campagne je conduisais 666 DCD 75 mais dans un étrange
contexte puisque je la conduisais à fond tout seul et joyeux
— Fix et ma vieille Volvo ayant été éjectés une bonne fois
de mon inconscient — avec la dépouille de Valérie dans le
coffre pour m’en débarrasser une bonne fois comme on dit.
Découvrant enfin une sorte de clairière appropriée
chaque fois qu’à coups de pelle je voulais enfoncer la fille
sous la terre une sale rafale de vent soulevait tout et le corps
dénudé de Valérie reparaîssait à l’infini. À la fois toute
molle et desséchée cuir bleuâtre irisé ou doré brunâtre
ininhumable.
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Sa momie souple multicolore et applatie me regardait
sans me voir clignant des yeux à l’infini le gauche le droit le
gauche le droit sans discontinuer. Alors ses dents se mirent à
crisser tandis que 666 DCD éclatait par derrière en pleine
tempête de tous ses enjoliveurs d’un grand rire métallique et
affreux même que ça me fit bizarre même en me réveillant.
De plus et comme découlant de ce rêve toutes ces
serveuses en blouse noire-là s’avéraient dès 18h30 les plus
laides du monde et elles me faisaient peur elles-aussi à force
je ne savais même pas pourquoi.
Yeux jaunes à fleur de peau. Vieux cadavres
nonchalants aux accents de la Creuse mentons en galoche
cheveux noirs tirés gras fines bouches limite moustachues.
Castées sans doute pour ça puisque La Tartine rue de Rivoli
bar à vin nicotiné était un endroit dit sérieux et authentique
puisqu’il n’y avait plus que de vieux clients pervers clonés en
brochette au comptoir dégueu.
18h45 Irène Omelianenko était en retard. Allais-je la
reconnaître ? Ou plutôt l’identifier puisqu’on ne s’était
jamais vu ? Oui. Une quadra poussa la porte avec juste un
petit quart d’heure de retard. Air fragile. Peau transparente.
Sourcils bruns très droits très fournis. Œil clair bleu-vert.
Nez pas trop de chez nous à la grecque. Ample chevelure
noire on va dire ondulée. Je devinai des racines blanches
quand elle se découpa sur le plafond brun nicotiné
démarche mal assurée toute de noir vêtue elle-aussi
décidément. Malgré la douceur du temps elle était en
manteau. Elle s’excusa pour le retard puis s’assis
directement à ma table un peu branlante. Légère odeur de
médicaments. On ne se salua pas comme quoi je devais
aussi correspondre à quelque chose qu’elle-aussi avait
imaginé. Assez long silence. C’était le portrait de la voix que
j’avais en tête. Je me repaîssais de sa tristesse. Elle me
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calmait. Sa lenteur. Aussi. Je n’étais pas déçu. Elle
commanda un Perrier. Drôle d’idée. Car moi j’étais au
Chablis. Elle portait des escarpins de velour bleu très
sombre pas de collant cheville fine blanche assez bien épilée.
Mais avec quelques petites rougeurs dessus. Elle m’observait
en souriant. Elle gardait son long manteau noir aux gros
boutons de bois carrés en forme de molaires avec les racines
et tout. Blanches beiges bleues grises. Égayant le noir de la
silhouette. Regard franc. Voix caressante quand elle me
glissa un gentil ça va ? mais différente de celle de France
Culture. Pas les mêmes inflexions ni les mêmes réglages sans
doute. Elle était belle. Très belle même. Tout était dans son
sourcil intelligent et sa paupière supérieure qui s’ouvrait
bien comme il faut. Son cillement lent et sa pupille dilattée.
Tout était dans l’angle de son cou et celui de sa joue. Tout
était dans le front tout était dans le menton. Sa pommette et
sa fossette rigolote. Tout était dans le pli nasogénien ses
lèvres ourlées son rire brutal sa moue son fi son rien.
« Alors ? Miki ? Pas trop dur la liberté ?
— Comment le savez-vous ?
— Ça se voit.
— Vous arrivez à occuper vos journée ?
— Oui écriture peinture biture.
— Vous peignez ?
— Oui je vous ai même apporté quelques petites
photos pour rire.
— Montrez.
— Voilà. Ce ne sont que des travaux préparatoires.
On va dire.
—…
— Uhuhu. C’est amusant. Ça a l’air de vous déplaire.
— Oui. Je pense que vous gagneriez à vous
débarrasser de certaines choses. Ça se confirme. Mais ce
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n’est pas si grave. Vous êtes très jeune après tout. Vous
savez ? Vous comprendrez en avançant.
— C’est ce que je fais.
— Vous avez du travail. Il y a trop de signes pour
l’instant. Trop de pathos apparent.
— Trop de signes ?
— Trop d’éléments trop de choses. Vous n’allez pas à
l’essentiel. Vous vous perdez. Il faut détruire pour mieux
reconstruire vous savez. Il faut savoir aussi beaucoup jeter.
— Détruire ? Jeter ? Ça ça me plaît je vais y réfléchir.
Mais j’aime bien aussi recycler des fois j’avoue. Quant à
l’essentiel ? J’ai du mal à voir ce que c’est. Mais sachez que
j’ai une immense confiance en votre jugement. Irène. Je ne
sais pas pourquoi. Je vais essayer de vous écouter. Promis.
— C’est bien mais est-ce que vous sentez Miki que
c’est quand même là la toute première et toute dernière fois
que l’on se voit ?
— Vous vous ennuyez ?
— Non. Je vais m’en aller très bientôt.
— Vous voulez dire mourir ?
— Oui.
— Ça se voit. »
[1983 - 85[
Du plus haut que je puisse remonter il appert
qu’omniprésent Jean-Pierre Rembrand fut mon meilleur
ami de tous les instants. Une sorte d’associé en somme.
Jip c’est ainsi que je l’avais baptisé était un être plutôt
long à la croissance précoce ou accélérée mais fidèle et
dégingandé belle barre de sourcils bruns et plutôt nerveux et
odoriférant mais avec la Force en lui et nous faisions donc
les 400 coups ensemble en CM1 CM2 l’école buissonnière
tout ça pour aller voir quelques vieux Bruce Lee en série au
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Rex d’Avignon ou pour rester jouer à Chat Percé ou à Hot
Dog à coup de serpettes ou de chalumeau oxhydrique dans
nos garrigues à nous. Chassant comme il se devait chats et
chiens toujours du côté des Monts du Vaucluse. À l’est
d’Avignon. Lui-même habitant plutôt côté Ventoux moi
plutôt côté Luberon. De fait on avait un sacré bout de route
chacun de son côté le matin le soir en autobus bleu-blancrouge Les Autocars Arnaud entre chez nous et l’école. Une
bonne heure de trajet pour se rendre dans notre belle cité
papale. Point de toute rencontre méphitique à venir.
Or durant tous ces va-et-vient et depuis pas mal de
temps déjà mes rêves érotiques pédestres avaient de plus en
plus tendance à vouloir se terminer avant terme comme on
dit. Je me retrouvais chaque fois au réveil tout raide puis
flageolant-flageolant et ne sachant plus que faire afin de tout
rembobiner afin que les choses se manifestent comme elles
auraient dû.
Mais le soir du lundi 20 septembre 1985 lors de cette
douche mirifique historique voire en rentrant du collège —
après avoir si bien convoqué l’image floue d’une Fadhila
retournée baleine échouée tortillant sur la grève cul nu
énorme rebondi faisant exploser sa résille — on peut dire
que ma trouvaille manuelle obstinée là pendant une bonne
demi-heure accompagnée de cette promenade de jet brûlant
sur mon gland fortuite d’abord eut de quoi ouvrir après les
plus belles perspectives.
Cette explosion des sens eut un tel goût de reviens-y
que dès le lendemain soir comme un sacré don de Dieu
mardi 21 septembre 1985 sur la nationale 100 vers 17h35
un peu avant ce grand rond point très moche de Réalpanier
à Montfavet je pus entrevoir de mon bus cette grosse dame
à genou déchaussée et vibrante sur un trottoir.
Posture très proche de la Fadhila de la veille sauf que
son cou faisait un drôle d’angle avec le caniveau.
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Son casque était à l’envers et il en sortait une mare de
sang qui faisait des vagues. Une vendangeuse ? Oui. Dans la
mesure où seules les vendangeuses sur leurs vieilles M bleues
de Motobécane mettaient trop souvent hélas à cette époque
ces fameux casques gris et moches comme ça à l’envers.
C.à.d que ça leur faisait une tête d’Alien souvent et là quand
en plus elles étaient partiellement décapitées après leur
accident de mobylette l’envers en était d’autant plus
démultiplié. Sans faire un véritable endroit ce qui s’avérait
assez troublant. Déchaussée. Décapitée. Bandant.
Débandant. Double décapsulage aux extrémités trouvé
somme toute bandant ce soir-là.
Choqué par moi-même je me mis à éclater d’un rire
pour le moins suspect dans l’Autocar Arnaud qui me
ramenait du collège. J’entrais en sixième cette année-là.
Eclat de rire qui contraria fort niveau secousse mon
travelling latéral perso je perdais des miettes d’images tandis
qu’en bande-son autour de moi la tripotée de filles
hystérisait en direct ou se régurgitait dessus devant la lente
agonie de la grosse. Mais le bus pris dans son
encombrement sembla vouloir se décider à redémarrer
enfin tandis que tardifs les secours arrivaient.
Je ne compris pas bien ce qui se passa sur le champ
puisque dans ma tête au milieu des parasites venait de
résonner pour la première fois comme une voix venue de la
radio et je crois bien puisque je l’ai noté après qu’elle me
serina quelque chose très proche de ça : « Fragilisés à
perpétuité avec toujours en perspective ce type de coup de
massue final-là humains je vous reconnais bien répétant à
l’infini là je suis vivant mais je me tue à le dire. »
Ce que je trouvai fort didactique de la part de ce
Dieu-là tant et si bien que je ne pus m’empêcher la nuit
venue de convoquer dans mon lit ma nouvelle invitée la
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vendangeuse qui même raccourcie s’entendit à merveille
avec Fadhila puisque transmuté en tas d’oreillers et
travercins je pris la nuit venue ce duo en sandwich
délicieux.
Lundi 14 février 1996
Ainsi peinte en bleue une petite souris se promenait
sur une tête de cheval. Le crâne de l’équidé avait été placé
dans un aquarium qui se remplissait peu à peu. Un tuyau
d’arrosage noir était planté dans sa joue et dispensait vite
l’eau et les bulles nécessaires au remplissage dudit
aquarium. On aurait dit que la tête avec son large sourire
respirait ou fumait par ce tuba.
La petite souris à l’origine blanche mais fraîchement
trempée dans le bleu de méthylène semblait paumée et
faisait des ronds de plus en plus petits sur la tête du dada. Le
tout baignait dans une lumière orangée du plus bel effet.
Mais l’eau montant les périgrinations du rongeur sur le
crâne devinrent encore plus réduites et concentriques et la
petite souris bleue aux yeux rouges finit même par se noyer.
C’est là que j’intervins : « Ok Jip là tu passes en 70
images seconde. Zoome. Attends encore un peu. Vas’y.
Cute. »
Et Jip s’exécuta foutut tout au ralenti en plein
shooting même si ça ne se faisait pas suite à l’exposition qui
changeait et corrigea donc l’ouverture. L’Arriflex ronfla et
hoquetta et Jip zooma enfin sur la souris qui se débattait
rapido dans l’eau puis de plus en plus puis mollement puis
flotta puis coula peu à peu dans le liquide rosissant. Elle
rebondit un temps sur la tête immergée et fraîchement
tranchée du cheval qui diffusait encore un peu de sang. Et
Jip cuta enfin après son laps de temps à lui comme je le lui
avais précédemment dit.
- 83 -
C’était le matin-même au lever après mon xième café
au lait que je m’étais rendu tout seul aux abattoirs de
Carpentras. Histoire de glaner quelques accessoires
nécessaires au décor de ce court métrage qu’on était en train
d’adapter avec Jip d’un de mes rares scripts écrit en
détention un an avant. Tournage dans sa cave insalubre à
Bédoin au pied de ce fameux Mont Ventoux.
À l’abattoir un employé m’avait invité à me rendre au
sous-sol dans une vaste salle blanche entièrement carrelée
murs sol plafond faisant un peu piscine vidée. Là j’avais été
exceptionnellement autorisé à attendre quelques longues
minutes tout seul une clope au bec ce pour quoi j’étais venu.
La scène baignait dans une lumière plate du plus haut
réalisme.
Provenant d’un goulot accompagné d’une forte odeur
de foin et de crottin s’était rapproché ce mix résonnant de
hennissements et de sabots. Du fin fond de la pièce parquée
par des barrières la queue-leu-leu étroite des futures victimes
trépignait impatiemment vers moi. Jambes écartées bras
croisés j’étais resté de marbre raide frontal sous le puissant
néon zénithal.
Un employé en ciré blanc était chargé de gérer le flot.
Tantôt tapotant la croupe des vieux chevaux tantôt leur
chuchutant à l’oreille : « Là là là ça va aller les enfants vous
allez voir c’est très rapide tout ça. »
Il s’adressait à de vieux canassons sourds à tout conseil
qui tentaient en vain de ruer avec leur yeux blancs exorbités
en vain car trop tassés. Mais ils étiraient leur cou le plus
haut possible puisque ça ça leur était autorisé.
L’employé fit avancer le premier de la liste tout
marron et mité et à ses pattes arrières tout en parant
savamment les ruades à coups de trique il crochetta ferme et
décontracté une grosse paire de menottes reliée au plafond
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par deux longues chaines costaudes toutes rouillées et
huilées. Alors il contourna son dispositif et lui colla par
surprise un bon coup de poinçon sur un front avec son
pistolet à air comprimé. Pfff. L’animal n’ayant rien vu venir
s’en écroula sur le champ. Sans mal apparent. Se cassant
juste une patte ou deux qui craquèrent dans la chute. Il s’en
retrouva aussitôt à l’envers hélitreuillé et désarticulé. Deux
naseaux et une langue avaient trainé une seconde sur le
carrelage car l’employé avait actionné un levier déclenchant
cette opération.
Quelqu’un d’autre arriva par la gauche un autre
employé en ciré blanc avec un grand sabre à la main. Il
éventra l’animal les quatre fers en l’air pris de spasmes vite
du cul au cou. Deux testicules géants giclèrent au passage et
allèrent rouler loin loin loin. À cette distance le ciré blanc
s’en était retrouvé comme à pois rouges. Puis peu à peu
comme à rayures mais un peu plus claires. Une grosse masse
de tripes multicolore venait de faire flotch sur le sol carrelé.
Déjà à trois mètres je dus reculer encore d’un pas chassé ou
deux. Un plein bol de café au lait acide voulut remonter
quand le tsunami fumant noya mes souliers mais je préférai
roter. Planait cette odeur de dedans chaud à la fois fade et
concentré. Une foule d’yeux blancs s’était révulsée.
Conjonctivés presque roses ils chialaient. N°2 fut pris en
main pour une toute nouvelle opération. Menottage.
Poinçonnage. Hélitreuillage. N°1 émettait encore quelques
vagues filets nonchalants de bave rouge et moussante et je
vis même du fiel vert aussi se coller aux cils et au pif quand il
se retrouva tout translaté et suintant sur le côté droit. Un
dispositif de treuils poulies et rails électriques collé au
plafond s’ingéniait à le faire se balancer encore un peu.
Un autre employé tout blanc tout neuf émergea à
droite et commença à tout dépecer en tirant très fort sur le
cuir.
- 85 -
Il prodiguait de temps à autre quelques petits coups
de canif judicieux sur des parois transparentes. Tissu
conjonctif ou nerfs et cartilages freinant son travail. Il débita
le tout la scie circulaire à la main. Il projetait ses morceaux
membres peau tête carcasse dans des coins différents. Il
commençait à se confectionner des tas. Vidé déjà se pointait
N°2 alors qu’était pris en main N°3 pour une énième
opération.
Un quatième employé servile ramassa la lourde tête
de N°1. Il la prit par les dents du haut et en dépiauta la
langue et les joues si bien que je dûs intervenir : « Non stop
pas les yeux ».
L’employé bailla et emballa la chose dégoulinante
puis me la tendis raide à moi surpris par le poids. Le tout
était serti dans un film transparent scellé et thermocollé. Et
propre. Enfin. Mais ça se mit à exsuder par en dedans au
point de surgonfler la cellophane.
J’entendais plein de micro-ploutch quand j’appuyais à
répétition sur l’un des globes rose et noir oculaire à fleur de
plastique. Un air triste me fixait de ses longs cils décoiffés
noyés dans le jus rose. Je remontai vite payer au rez de
chaussée. Hors taxe. Je récupérai le reste de ma fraîche
collection. Têtes de moutons et de vaches écornées. Le tout
dûment emballé lui-aussi. Et j’embarquai mon lourd fardeau
dans un chariot puis foutus le trésor dans le coffre de ma
Volvo. Et je retournai à Bédoin pas loin où Jip Hélène Napo
et toute l’équipe m’attendaient.
Titre : « Petit-Olivier et Helena »
Réalisation : Miki Ikillu.
Production : Jokeisnogoodbaby
Scénario : Miki Ikillu.
Images : Jean-Pierre Rembrand.
Interprétation : Hélène Sillex, Olivier Nap.
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Décors : Miki Ikillu, Jean-Pierre Rembrand.
26 mn. 16 mm. Couleur. 1996.
Synopsis : Petit-Olivier un jeune skin fraîchement émoulu
prend en stop dans sa Volvo une pauvre fille trouvée sur le bord d’une
route du sud en pleine campagne le cul rougi à l’air. Immobile et
prostrée sur sa valise à quatre pattes toute roide et muette Helena semble
avoir été violée alors Petit-Olivier la recueille chez lui. Mais devant son
mutisme obstiné il commence à faire joujou avec elle l’attache puis la
photographie à poil dans les poses les plus improbables toute immergée
qu’elle est dans un monceau de têtes d’animaux dépecés. Et il la viole
gentiment lui aussi de temps en temps. Jusqu’au moment où elle semble
se réveiller et se met à lui marmoner un truc mystérieux et inaudible sans
doute en langue étrangère puisque ça fait paniquer Petit Olivier. Alors
pour se rassurer il se met à reconsidérer sa pute de l’est sans doute
échappée et à la cajoler puisqu’il la détache et décide de lui offrir à
manger pour se faire pardonner. Il lui concocte un coq cuit entier au four
qu’il a au préalable plumé vivant devant elle puis éventré à la main
pour bien épater sa prisonnière. Mais celle-ci se révèle peu perméable à
cette démo et se contente de tout dévorer plus tard calmement en tout
suçottant longuement. Os après os. Sur quoi Petit-Olivier s’endort
rassuré. Alors pour taquiner son geôlier Helena pond sur sa tête
endormie un œuf cru qu’elle vient juste de s’enfoncer dans le sexe. Puis
elle en profite aussi pour lui pisser dessus un peu pour rire. Sur quoi
Petit-Olivier se réveille douché mais le visage souriant quoique les yeux
encoquillés tout en se pourléchant les babines pleine de pisse et d’œuf.
Voilà. C’était une véritable histoire d’amour qui
commençait. Mais ce court métrage sur la tolérance envers
la différence ne verrait jamais le jour même si presque toutes
les scènes allaient effectivement être dans la boite. Car
l’ambiance du tournage dégénéra peu à peu puisqu’il
s’avéra que l’œuf en question même cru ne voulait pas
toujours si bien se casser sur la tête de Napo et que ça lui
faisait mal aux globes à force en lui tombant sur les yeux à
- 87 -
cause de la super pression vaginale. Ou alors parce que
quand l’œuf se cassait bien comme il faut il arrivait
qu’Hélène Sillex n’ait plus du tout envie de pisser. Ce qui
occasionna un gaspillage de pelloche effarant. Ces deux
actions devant selon mon script se retrouver à tout prix dans
le même plan vu qu’il était hors de question de tricher en
montant cut-cut dans un raccord dans l’axe à la con. De
plus au fur et à mesure du retour des rushes 16mm il
s’avérait que Jip maîtrisait plutôt mal son Arriflex puisque
frileux il avait préféré tout le temps la mettre sur rail et qu’il
avait fait avec une foultitude de panotravelling du plus haut
pathétique au lieu de la jouer vibrato à l’épaule comme le
propos s’y serait prêté. Ses cadres y étaient aussi trop
relâchés. Trop carrés. Bref de concert nous convînmes que
c’était nul.
Déprimé par principe je m’envoyai un jour Hélène la
mauvaise pisseuse et régulière à cette époque encore de Jip.
Puisqu’elle voulait à tous prix avec moi passer à la casserole
en douce. Elle voulait jouer les Betty Page intello mais ne
me plaisait plus vraiment avec ses sourcils trop épilés. Bref je
m’étais quand même laissé faire. Jip revint cette fois-ci un
peu trop tôt de porter la pelloche à développer et suite à nos
mines rougies il se rendit compte de nos frasques en douce et
nous dûmes lui avouer la vérité. Il m’épargna. Je sortais de
taule et ça me donnait un sacré prestige et certains droits. Il
oubliait le tour que j’avais jadis joué à Fix et voulut bien
comprendre cette nouvelle trahison. N’y voyant aucun
rapport. Mais il se mit dorénavant à se défoncer trois fois
plus. Et mutique il maîtrisa tout de moins en moins.
Napo piquait pendant ce temps-là crise sur crise
d’épilepsie à cause du gyrophare et du stroboscope Lynchien
que nous avions dû louer pour dynamiter nos plans. Le tout
couplé au tempo d’Aphex Twin à 220 bits minutes qui
assourdissait la campagne alentour pendant nos prises de
- 88 -
vue nocturnes et ceci lui vrillait la tête et le corps à force.
Napo était encore en train de pisser au lit suite à Sabril
Tégrétol et Delpaleine ses anti-épileptiques quand les forces
de l’ordre alertées vinrent en plein tournage à Bédoin le
cueillir un matin. Balancé par un ami lui-aussi de toute
façon suite à cette vieille affaire de profanation
carpentrassienne oubliée. Notre projet artistique tel une
petite souris bleue en tomba définitivement à l’eau.
Hélène la sorbonnarde disparut sans dire où ; tandis
que Napo Jip et moi et d’autres étions encore en garde à
vue. Sur quoi dégouté mais innocenté dans cette affaire-ci
fuyant ce sud méphitique je remontai à Paris recabosser ma
Zaza puisqu’elle s’étaient envoyée en douce en l’air en mon
absence avec je ne sais plus qui un ex peut-être Jean-Marie
Wylotchky.
Jean-Pierre Rembrand dut lui stagner encore un peu
dans sa vieille cave toute dégueu puis il vira informaticien
comme tout le monde ou hacktiviste ou hacker cracker
crasher on ne sait plus selon les rumeurs. Puis il monta à
Paris fomenter sur le net un certain coup fumant 3D à
l’échelle planétaire. Sans qu’il n’estime crucial que l’on ne se
revoit forcément. D’autres dirent qu’il bossait en couverture
sur des génériques et les habillages d’Arte ou TF1 ou qu’il
montait des sites à droite à gauche c’est dire. Et qu’il se
faisait plein de blé. En tout cas je savais qu’il n’était pas mort
dans un réglement de compte ni d’OD ni du Das ni pendusaigné en zonzon comme la plupart de mes soi-disant amis
de l’époque. Du moins pas encore.
[1985 - 87[
En sixième cinquième avec Jip on était déjà très
lecteurs de Science & Vie et donc très en avance sur nos
petits camarades. Lui-même s’octroyant le domaine math-
- 89 -
physique moi plutôt biologie. C’est vrai je m’étais découvert
une véritable passion pour les arthropodes. Lui c’était plutôt
les trous noirs les neutrinos positons négatons photons
cations et anions. Moi donc plutôt les insectes arachnides
crustacés myriapodes dont je me targuais de connaitre
chaque embranchement groupe ordre sous-ordre et famille
par cœur. Mais par dessus tout j’adorais dégommer les
guêpes.
À tel point que mon père avait déjà donné mon nom
oui mais en latin à l’un de ces héminoptères microscopiques
qu’il aurait su découvrir un jour par hasard dans une vigne
gentleman farmer barbu tout de velour beige vêtu sa
sempiternelle loupe à la main. Tricogramma Mikii. Elle
s’appellait comme ça dorénavant sa microscopique
découverte à lui dont la larve encore plus microscopique
était censée être un parasite de la Tordeuse de la Grappe
une chenille elle-même parasite de la vigne. De fait — lors
de ces incontournables essais de lutte biologique voulant à
tous prix remplacer tous ces pesticides polluant nos nappes
phréatiques — ce parasite de parasite fut pouponné à l’Inra
puis vaporisé sur notre grand vignoble français afin de
l’épargner définitivement des ravages des méchantes
tordeuses de gragrappes.
Or donc j’adorais dégommer les guêpes. C’était l’un
de mes sports favoris. Mais les vraies les grosses les banales
les visibles dites germaines mais aussi les maçonnes. Puis les
bourdons les taons les frelons les coléoptères mais aussi les
papillons. Génocide en plein vol. Avec les baguettes
chinoises que nonchalant j’accrochais toujours à ma
ceinture. Ce qui épatait tout le monde c’est vrai chez moi
dans les bois dans les prés ce côté Tortue Ninja de la Mort
dégainant et fouettant l’air vif et alerte d’un coup de poignet
tel un chef d’orchestre super allumé sorti d’un dessin animé
- 90 -
dégommant ainsi tout ce qui vole à chaque coup ou
presque.
Par ailleurs vif et alerte toujours je demeurais le
meilleur en français vu que ma mère petite femme brune
mais lettrée me donnait des cours particuliers et me laissait
de plus libre accés à sa grande bibliothèque pleine de trésors
sur l’éthologie la psychopathologie et la criminologie. Alors
passablement arrogant je corrigeais peu à peu et reprenais
aussi parfois mes profs à la moindre erreur ce qui me fit
beaucoup d’ennemis à force parmi ces derniers.
Parallèlement j’étais devenu normal le meilleur en anglais
grâce à Daphné une cousine cavernicole de ma mère
herbivore et traductrice assez bien gaulée malgré ses
dreadlocks décolorés. Araignée qui ne me lâchait pas vu
mes progrés jusqu’à ce que je ne lui fasse des avances assez
sévères et qu’elle ne décide de m’abandonner. Elle et ses
sandales scandalisées.
En classe c’était Jip qui me distrayait au delà du
raisonnable avec son « Y a t’il eu oui ou non un ou plusieurs
Big Bangs ? Peut-il y en avoir d’autres ? S’il n’y en a eu
qu’un n’y a t’il vraiment rien eu d’autre avant ? Notre
univers à nous est-il en constante expansion et va t’il se
diluer à l’infini ? Ou bien très énergétique va t’il un jour se
recompacter en un point et un seul ? Et là en cas
d’absorption définitive par un grand méchant Trou Noir
notre univers pourra-t’il ressusciter dans une Fontaine
Blanche ? Y a t’il donc oui ou merde des univers
parallèles ?» Jip sentait que tant que nous les hommes
n’aurions point de réponses satisfaisantes à tous ces
questionnements majeurs rien ne tournerait jamais rond où
que ce soit et nous poursuivions donc en plein cours de ceci
ou de cela nos interminables et grandes discutions perçues
hélas de loin comme sempiternels bavardages.
- 91 -
Évidemment nos professants tentèrent peu à peu de
nous séparer. Moi-même devant stagner au premier rang
avec les fayots car je n’y voyais goutte au tableau. Lui-même
étant propulsé au dernier près du radiateur tant il était
supposé avoir une très mauvaise influence sur moi du moins
c’est ce qu’on croyait vu qu’il était d’origine plus modeste et
s’exprimait ou se justifiait moins bien que moi en cas de
litige avec l’autorité. Alors malgré son génie incompris rien
n’y fit et Jip se retrouva parmi les cancres et se mit dès lors à
recruter à mort parmi eux. À tel point que dès qu’on se
retrouvait enfin tous réunis dans la cour peu à peu s’instaura
une forme de guerilla larvée puis ouverte entre groupes et
sous groupes de pré-adolescents : La masse (vulgaires
résidus sportifs fans de Michael Jackson et Prince d’un côté)
versus les extrêmes (les cancres et les têtes adeptes des
Meteors et d’Einstürzende Neubauten d’autre part) comme
nous comme ça s’était toujours fait un peu partout.
Mardi 1er janvier 1996 ter
Minuit et quelques. Après tous ces étages le cœur
battant je me tenais devant ce chez-nous dont bizarrement
Zaza avait conservé la clé. Comme si elle avait repris
l’appartement ou qu’elle ne l’avait jamais lâché malgré son
mariage. Devant cet ex-chez-nous donc enfin je frappai trois
fois à la porte.
Elle ouvrit. Longue seconde de silence. Nous nous
ruâmes l’un sur l’autre. Nous nous frottions et reniflions à la
taré. Dès le palier. Grand moment d’émotion mâtiné de
regards intensifiés.
- 92 -
Je venais de sortir de taule une semaine avant et c’est
juste après ces quelques atermoiements et ça va ça va ? t’es
sûr que ça va ? de belle Sharon Stone effarée devant mon
tibia ensanglanté drôle de coupe de cheveux que nous
décidâmes d’aussitôt faire lanlaire élégies plein vent
ragoutant rectum tracements toute puissance caprine recta
toutime et turbidités. Je ne la reconnaissais plus trop.
Sans m’en rendre compte je me retrouvai à genou rouge
sur le grabat gris. Elle avait vieilli. Puis je me mis à goûter
au glabre nantis le Mont de Vénus à Zaza prolixe et rasé
autrement dit et tout alla beaucoup mieux. Rembobinés en
69 nous goûtions la plaisanterie séquelle de teignes
transcendées. Mais nous ajustâmes un voile au substrat
soucieux. Soucieux de redéraper.
Il faut dire que durant cette première séance de sexe –
historique levrette après deux ans d’abstinence et un peu de
gêne aussi – je n’avais cessé de glisser de son con à son cul et
de son cul à son con déconner renconner le plus
involontairement du monde tant Zaza était huilée et
trempée au début et moi vaillant malgré mon déficit en
sang. Mais pour une raison inconnue encore tout s’était
asséché et avait commencé à faire très mal et il s’avéra que
je débandai à un moment où j’aurais pas dû ce qui
m’énerva aussitôt.
Le temps n’était pas à ça et nous rebraguettâmes. Zaza
puisqu’elle comptait mettre le nez dehors ce soir-là avaient
ingurgité antécédemment moult saloperies hallucinogènes
champi et autres ramenés de sa Suisse natale.
Or ce mix se révélait plutôt anaphrodisiaque pour elle.
Puis pour moi-même plus tard. J’avais picoré dans sa
réserve secrète et je sentais que Dieu et ses molécules
n’allaient pas trop tarder à vouloir s’exprimer en moi
également.
- 93 -
C’est pourquoi en ce divin jour des retrouvailles tout
foira plutôt. Mon membre aurait certes pu tenter d’influer à
nouveau sur la belle rage à Zaza mais c’est comme si ce
dernier très indépendant ne voulait plus du tout du tout
obéïr à la commande. Ce même en mode manuel. Ellemême demeurant close et rêche ce même en mode digital.
Quant à mes mains et ma ceinture fort indépendantes ellesaussi elles en décidèrent curieusement puisqu’elles vinrent là
se nouer sur le joli minois. Là : la peur s’octroya le monde.
Monde abruti devant miroir par Dieu et ses molécules ciré.
« Hélas Zaza là ze crois bien que ze suis en train de
t’étrangler. »
Du tout je ne reconnaissais plus du tout ni n’appréciais
l’état de mon état puisque j’osais le dire « N’aie crainte
Zaza ze n’existe pas » en lui faisant craquer un truc dedans.
Et c’est là que ma pauvre Zaza comme si je venais
d’appuyer par mégarde sur la mauvaise touche Rewind (ou
autre) choisit subitement de trop exister en se déroulant et se
démultipliant de façon aussi rigolote. Il y en eut partout des
Zaza et il fallait toutes les dégommer une par une toujours
et de plus en plus. Et de plus en plus grosses et enflées et
bouffies les Zaza. Presque laides. Rebondissantes. Et
marbrées. Comme si le monde entier était en train de faire
bloc ou pâté et était en train comme ça en vagissant de
devenir du Zaza et de se gélifier ainsi zazaïsé.
Mais le jour se leva enfin. Cette fameuse année 96 ?
Également. Comme emmitouflée par un rieur-né. Libre.
Enfin. Récemment je pestais en rang allangui ? Là j’exultais
en pâté mouillé aux cotés d’une Zaza en train de ronronner
dans le gris souris des draps de sa mère.
Mais vers midi elle réussit à me retousser dessus :
« Le nucléaire ! L’informatique ! Ces vieilles chimères se
dropent et se gargarisent déjà à ton nom. Miki. Le sais-tu ?
- 94 -
Miki ! Top of the top ! Miki ! Roi des bandits ! Miki ! I kill
you ! »
C’est ce qu’elle me hurla au réveil me compressant les
couilles à m’en faire péter un tympan. Elle ressuscitait
balafrée en ce Jour de l’An hirsute jouant des incisives et
avec tous ses yeux une bonne dizaine une vraie muraine
creusés et tout noirs par en dessous. C’était bien là le rêve
de l’assoiffé de contraires son papa de me tuer. Je le devinais
vu ce qu’il supputait de ce que j’aurais fait de sa fille. Son
suisse d’industriel de papa à elle. En réalité Gerhard BoschSchwitters me détestait. Cet ex-client richissime à qui il
m’était arrivé de revendre jadis période libertaire quelques
petites natures mortes pour décorer son si joli petit château
un peu trop riant à son goût au début. Plein son parc j’en
avais installé des trucs à pourrir. Monumentaux. Des tas
d’os d’animaux que je récupérais en soudoyant des
employés de zoo. En fourgonnette frigorifique. Grâce à mon
papa à moi. Mais ç’avait été parait-il un peu trop pour le
papa à Zaza tant ça s’était mis a devenir très insalubre chez
lui. Puisque le voisinage les forces de l’ordre et les services
vétérinaires la SPA tout ça avaient un jour débarqué
inquiétés par tous ces vols de gerfauts tournoyant à l’infini
autour de mes pyramides d’os et mes tipis en peaux.
Gerhard Bosch-Schwitters ? Papa pourtant destinataire
averti au début collectionneur de têtes lui-aussi eh oui
affublé de Zaza sa rejetone perverse. Zaza sans le plus petit
doute sourcilleuse s’était révélée prête à opter pour le
pouvoir du père cette mâne miraculeuse et elle avait préféré
me dédaigner à l’époque une première fois subséquemment
et au passage. Elle le paierai.
Alors l’index dans l’engrenage je décidai ce Jour de
l’An-là quelques années après pour le taquiner encore
Gerhard à distance d’ourdir à son encontre ce truc mihumain :
- 95 -
Je lui offrirais le lendemain le surlendemain le sursurlendemain quand tout irait mieux la tête de sa fille. Suisse
idée. Par Chronopost. Ce que sûrement beau papa là
apprécierait sur le moment vu que cette fois-ci ce ne serait
qu’un simple moulage.
Après ? Avec Zaza nous nous concoctâmes ce matinlà un sacré brunch à base de diverses choses qui moisissaient
dans son frigo. Un ragoût de lapin à la cocotte mixé avec
des noix de Saint-Jacques des crevettes décongelées
recongelées de l’ananas oxydé et du chou rouge. Le tout cuit
dans de la bière Jenlain. Baies de Genièvre. Cumin.
Et nous restâmes collés ensemble avec ces hauts et ces
bas pendant une éternité frisant l’infini. Éternité trouée il est
vrai de quelques petites disputes légitimes comme ça arrive
parfois entre gens bien.
? 14 juillet 1988
« Bastille Day ? Ouh yeah ! » Zoe Greenacres était
une belle fraise Tagada et je ne demandais que ça. C’était
une très jolie comment dire ? raclure de seize ans plutôt
obèse et mystérieuse quoiqu’un peu provinciale avec ses
spikes around comme ça white blonde et crépée une vraie
statue de la liberté. Avec son tee-shirt à croix gammée
retardataire mais d’époque piqué à Smut son grand frère
punk 77 décédé d’OD. Zoe avec ses collants résillés roses
filés ses grosses loches tatoués d’hirondelles ses aiguilles à
coudre dans le nez. Zoe avec ses Doc Marten’s 18 trous
bordeaux et coquées que j’avais d’ailleurs mis un certain
temps à délacer et à lui ôter.
- 96 -
Zoe pieds nus maintenant hummm avec son kilt bleuvert relevé à genou sur la tatable de mélaminé blanc
penchée son big butt ou gros séant résillé rose devant mon
nez. Zoe avec ses grands yeux verts-bleus dans le miroir
maquillés à mort en vert et bleu sourcils rasés son haleine de
bubble-gum et de glue à la fois quand elle me roula comme
à tout un chacun sa fameuse première gamelle baveuse
entre deux bouffées dans son sac en plastique à rayures
jaunes et noires. Zoe la grosse guêpe défoncée qui sentait la
fraise et le noyau benzénique acétone tu m’étonnes et qui
n’avait pas arrêté de me faire « Ow fuckin’hell fuckin’hell »
de sa voix pâteuse et engluée après que je l’eus coincée dans
les vestiaires du Anworthy Liberal Hall lieu de toutes ces
débauches franco-anglaises plein de battes de cricket et de
baskets qui puent à Poole durant ce séjour linguistique
puisque j’avais quatorze ans et que là il était bien temps.
Il faut dire que durant ce tout premier coït j’avais dû
y aller en aveugle et un peu fort avec mon ainée car en fait
je m’étais retrouvé en train de lui ravager l’intérieur en lui
enfonçant son tampon très très loin puisque dans la hâte elle
avait dû oublier de l’enlever tellement elle était abrutie par
la colle ou dû m’expliquer qu’elle en avait un oui mais en
anglais. Bref toujours est-il que le contact filandreux que
j’avais ressenti dedans m’avait plutôt déçu vu qu’on m’avait
certifié auparavant que tout ça serait plutôt du genre
confortable et doux et chaud et mouillé et profond or là
question profondeur moite ça s’avérait plutôt court et sec vu
que je butais sans cesse sur un drôle de truc plutôt rapeux
pour le gland. Bref à la fin après toute une série de petits cris
de joie de douleur comment savoir et les fameux fuckin’hell
à répétition repu mais la bite en sang je compris enfin que
j’avais fait très mal à Zoe et il nous fallut au moins un bon
quart d’heure à tous les deux pour lui extirper l’intrus tout
ratatiné à l’intérieur avec son fil paumé et tout et tout.
- 97 -
Ce qui me valut d’obtenir ce cours d’anatomie gratis
intime TP en VO plein de ow my god ow my gaaaaade à
l’américaine et dont vraiment j’avais le plus grand besoin.
Lundi 31 décembre 1995 bis
Sur le chemin de chez Zaza — ou plutôt dans ces rues
vidées de toute présence humaine croisement rue Charlot
rue du Perche dans le troisième où habitaient untel une telle
et untel-untel et notamment donc Zaza Bosch-Schwitters —
Cendrillon la blonde la plus sexy du monde un peu ivre en
voulant l’ouvrir heurta violemment — elle-aussi du tibia
mais plutôt là dans le gras du mollet là où il y a toutes ces
veines et artères propres à éclater pour un oui ou pour un
non — une espèce de ferronnerie très pointue et vicieuse
qui dépassait de la grille vraiment pas engageante de l’Hotel
de Retz puisqu’elle venait d’être tout fraichement défoncée.
Or je m’en rendis compte aussitôt Cendrillon était
hémophile ou tout comme tant elle se mit à pisser le sang de
manière vraiment inconsidérée sans retenue ni pudeur ni cri
mais avec calme paix et naturel. Elle s’assit puis s’avachit.
Ce qui causa un grand émoi parmi tous ses amis. Tous
s’éparpillèrent pour chercher du secours au lieu de
compresser ou garrotter la plaie comme il aurait fallu. Je
m’élançai clopin-clopant car moi-aussi mais pour d’autres
raisons j’avais le tibia arraché qui perlait à la recherche
comme les autres d’une saloperie d’ambulance et de sang.
J’atterris un peu plus loin rue Pastourelle en visant une
pauvre décapotable arrêtée. Une vieille Triomph
curieusement immatriculée 666 DCD 75. Véhicule marron
qui précisément comportait une fille très maigre très bizarre
qui précisément vers minuit faisait mumuse avec un
portable doré à coups d’happy new year à perpétuité.
- 98 -
Mardi 1er janvier 1996 donc. Moi j’étais toujours trop
parano pour avoir un portable trop peur de me faire à
nouveau trianguler par les flics et j’ordonnai à la fille
d’arrêter sa connerie et d’appeler une ambulance. C’est ce
que fit à contre cœur cette anglaise chauve en manteau de
fourrure bleue trigénaire anorexique avec son sourire si
snob dentaire malin et moqueur sans doute pour masquer
sa très grande surprise de m’avoir vu ainsi atterrir tout
ensanglanté autant dire sur elle.
Tout en jouant avec le pommeau des vitesses je lui
serinai à la taré « Allez allez allez vite vite vite vite vite »
mais tout en serinant je ne tardai pas à prendre conscience
que j’étais bien quelque chose comme donneur universel
puisqu’on m’avait dit ça dans ma plus tendre enfance.
Abandonnant ainsi le pommeau et un crâne décapoté
bafouillant à moitié au téléphone je me re-précipitai auprès
de Cendrillon grande mourante esseulée en vue d’une
éventuelle transfusion.
Cendrillon gisait toute recroquevillée. Je m’accroupis
auprès d’elle. Lui serrai une main glacée. Elle s’était
évanouïe. Tous ses amis pédés avaient fui pour chercher
une cabine. Il n’y avait plus de réseau pour les mobiles à
cause de tous ces gens se souhaitant la bonne année en
même temps. Elle gisait toute seule dans sa flaque avec ses
spasmes toute déchaussée et offerte. Sa jupe estivale s’était
relevée très haut. Ses orteils vibratiles et ennylonnés durent
battre un moment la cadence sur mon aine. Elle avait de
grands pieds creux et nerveux. Ces pouces charnus frôlaient
mon épididyme. J’entr’aperçus son string violet. Pleins de
petits poils frisouilles et orangés en dépassaient. Une grosse
quantité de liquide continuait de s’écouler plus bas faisant
toujours plus flaque toujours tout en se mélangeant au mien
qui lui peu à peu se tarissait. C’est là que je réalisai que
Cendrillon était un mec.
- 99 -
Un renflement sous le string petite bite scotchée par en
dessous me l’attestait. Or dans mes bas étages à moi j’avais
ressenti et c’est ce qui me révolta un drôle de frisson ancien
courant alternativement du scrotum au gland puis revenant
à la prostate comme si trois micro-aliens se réveillaient en
même temps frétillants et s’apprétaient à jaillir très
méchants de leur neuneuf. Frisson que je détournai différai
et convertis en le sursoyant. Je me re-focalisai sur mon
unique but de la soirée Zaza qui m’attendait — et sur la
débauche d’énergie que je risquais fort de devoir dépenser
sous peu si les secours arrivaient et me laissaient à moi
encore assez de sang pour honorer Zaza comme elle le
méritait. Et je n’eus plus du tout envie de sauver Cendrillon
avec mon bon sang de donneur universel. Ce qui me
plongea dans des rêveries éthiques assez profondes.
Mais les pompiers Samu SOS-Médecin flics et livreurs
de pizza freinèrent tous presqu’en même temps. Une foule
noire et une foule blanche se disputèrent pour transfuser
Cendrillon. Match nul les noirs et les blancs gagnèrent en
même temps en s’associant en dernière instance. Lui
instillant un peu de plasma pour redonner le change.
Dans une camionnette rouge. Ou une camionnette
blanche. Véhicule bloqué par d’autres véhicules bloqués
dans cette ruelle soudain encombrée. Sans qu’éjecté de la
scène je n’aie à intervenir en tant que donneur finalement
ce qui m’aurait fait mal universel ou pas et que je ne me
pose plus de questions tant je commençais moi-même à être
plus que dans les vaps. Là : Vague témoin des choses le cul
vissé sur une bite en fer. Les secours me voyant vaciller
insistèrent même pour m’embarquer moi vu l’aspect peu
ragoûtant de mes propres étages inférieurs. Moi aussi mais
pour d’autres raisons le tibia en sang j’avais. Je me débattis
tel un forcené. J’avais d’autres chattes à fouetter et ce dans
les minutes qui suivraient.
- 100 -
Laissant au sol une belle trace d’unijambiste je désertais
la scène abandonnant Cendrillon et une bandelette
d’invertis dévoués criant tous à moitié au miracle puis enfin
je rejoignis ma Zaza qui devait bien se morfondre à force de
m’attendre.
Samedi ?? juillet 1988
À mon retour d’Angleterre ce fut un peu comme si
mes parents ne me reconnaissaient plus comme si je m’étais
enfin tenu droit ou que s’était opéré en moi un changement
radical ou que j’étais enfin devenu adulte à l’exception peutêtre d’une sorte de mohican d’un autre âge violacé que
m’avait tailladé Zoe durant nos adieux déchirants ce qui
n’allait peut-être pas faire si sérieux pour les voisins.
De fait ce samedi soir-là tout auréolé mais un peu
triste à cause de Zoe ma fiancée que je ne reverrais plus
jamais je n’eus juste à dire que « Lui ! » en désignant le sosie
de Woody Allen qui sortait d’un resto. Le poil rare et à
lunettes. Alors certains de mes petits camarades Jip +
d’autres furent bien avisés de prendre ce quinqua parisien
en Panama dans cette ruelle de Carpentras à cinq contre un
à coups de pied au sol pendant un temps suffisamment long
pour me remonter le moral.
Lundi 31 décembre 1995 premier
J’avais quitté l’avant-veille une cellule familiale très
compréhensive puisqu’elle m’autorisait — à condition de
devenir quelqu’un de très très bien mon sursis de deux ans
pouvant tomber à tout moment — à réinvestir mon vieux
cloaque parisien 10 rue des Vertus pour œuvrer dans ce
vaste domaine des Arts plastiques et surtout rejoindre ma
- 101 -
Zaza plus belle des salopes en perspective qui soit. Zaza
Bosch-Schwitters ? C’était Sharon Stone en helvète et
héritière mais très intelligente. Elle vivait avec son mari ou
ce que je croyais l’être un trigénaire plus que mimi fier et
friqué lui aussi mais avec ce vocabulaire très étendu et retors
des créa dans la pub ayant grandi à Neuilly. Du moins c’est
ce que Zaza m’avait écrit puisqu’elle se situait à l’exacte
première place de ce que j’espérais être la longue liste de
mes correspondantes à oblitérer.
De plus Jean-? le mari venait de monter sa propre
start-up et c’est vrai qu’il m’accueillit plutôt froidement ce
soir-là huit jours après ma libération quand super dégoûté
par ce grand dehors vraiment trop dilué je m’introduisis
chez eux prêt à tout révolutionner chez le jeune coucouple.
12 rue des Coutures Saint Gervais à côté de chez
Picasso le musée un peu aviné je leur avais quelques
secondes avant fracassé à coup de pied la fenêtre de leur
salon alors que le jeune couple était censé organiser pour ce
réveillon 96 ce qu’on pourrait appeler une belle sauterie
entre jeunes gens fiers friqués et diplomés.
En enjambant mon fatras de verre j’avais demandé à
quelqu’un de très fâché tentant de vouloir balayer « Chuis
Miki. Elle est où Zaza ? » un peu abruptement.
Et c’est là que je pus réaliser combien déjà le mari
avait dû entendre parler de moi. Zaza ? Celle que j’avais
vraiment cru aimer deux ans avant mais surtout durant
toute ma détention et cru aussi revoir comme par hasard
mais je n’étais plus si sûr de loin la veille taillant des plumes
à tout va entre deux performances ou durant une soi-disant
performance niveau -1 à Pompidou. Chose qui avait l’air de
se faire dans ce type de contexte. Forcément dégouté la
veille je m’étais débiné puis l’avais regretté. J’étais donc
revenu niveau -1 mais ne l’avais point retrouvée.
- 102 -
Tandis que là Jean-? le mari me tournait maintenant
salement le dos d’autres me dirent que je salissais la
moquette avec mon sang « M’en fous. Elle est où Zaza ? ».
Je dégoulinais veugra. On me répondit que Zaza avait
disparu depuis huit jours. La date de ma sortie telle que je la
lui avais écrite. Fou furieux comme rarement et j’avais vu
faire ça dans un dessin animé anglais j’envisageai de me
barrer par là où je venais d’entrer. C.à.d de sauter du
balconnet de ce premier étage d’où je venais d’émerger en
fracassant tout vu que je n’avais ni leur digicode ni leur
téléphone ni rien alors que je voulais jouer antécédemment
avec le jeune couple à Surprise Sur Prise en escaladant leur
gouttière. Mais je me ravisai niveau saut étant donné ma
nouvelle faiblesse au tibia perlant sur moquette. Et ce
d’autant plus que le 200m2 était comment dire ? achalandé
d’une grosse quantité de meufs plus ou moins
déchaussables. Tandis que je saignais toutes continuaient à
siroter en grelottant Gin-To et autres Coca-Light comme si
de rien n’était. Ou croquaient amuse-gueules et autres
gâteries au shit ou gobaient taz ou kétamine à tout va. Mais
surtout elles continuaient de tortiller très sex sur ce beat
imbitable. Saloperie de remix eighties soi-disant réécoutable. Ce qui m’enragea tant ça me rappelait des trucs
de jeunes insouciants vus chez cette grosse merdasse
d’Ardisson. Les extraverties invertis travello intello et autres
stylistes archi vidéastes et designers tous branleurs de très
très haut vol mexicains new-yorkais canadiens et japonais
obscènes
poussaient
leurs
wooouuuh-rhou
yeeeeeeeeeeeeeee-rah et rah rah rah. Avant de tout
fracasser je reconnus heureusement une vieille amie
Cendrillon qui me gratifia d’un Mikiiiiiiiiiiiii de folle en me
reconnaissant puis elle me confia après aspiration de
tympan en guise d’embrassements que Zaza et cela ne
devait pas être ébruité avait justement disparu pour me
- 103 -
rejoindre et m’attendait depuis huit jours pas loin dans
notre ex-chez-nous parisien. D’où la haine de Jean-quelque
chose Machin-Machin le mari. Je quittai la scène apaisé
laissant un unique pas rouge sur la moquette cyan avec
Cendrillon et cinq-six autres tarlouzes à rayures qui étaient
dans le secret. Tous voulant on se demande pourquoi faire
le coup à Zaza de surprise regarde qui revoilà.
Lundi ?? octobre 1988
« Hey Jip ? T’as vu le bicorne ?
— Arrête si je rigole trop après je vomis. Quoi ?
— Le bicorne. Tu l’as pas vu ?
— C’est pas du tout un bicorne. C’est la tête à Napo.
Léon. Squatte pas l’stick. Miki. Fais tourner. »
Napo était un suiveur plutôt sympathique mais
visiblement un peu oppositionnel avec sa crêtasse moitié
frisouille comme ça toute racornie et baroque et faisant un
peu chapeau quand il déambulait tout seul l’air sérieux dans
la cour du collège Joseph Vernet.
Or depuis une bonne demi-heure déjà je l’observais
hypnotisé par son va-et-vient rebondissant dans ses grosses
rangers marrons trop grandes pour lui. Il faut dire qu’en
audio Jip me démontrait par a+b je ne sais plus trop quoi
puisque le joint faisait son effet et que j’avais décroché
depuis l’intro de ses présupposés. Alors je fis ce petit signe à
Napo pour rire. Napo l’air digne s’était approché de notre
banc avec son jeune bouc et c’est très gentiment que je lui
dis ceci :
« Môssieur Napo il va falloir très sérieusement
envisager quelque chose pour cette crêtasse vous le savez. Il
existe d’excellents gels de la bonne colle à bois de la laque
pour faire tenir tout ça. Et surtout d’excellentes teintures
- 104 -
pour enjoliver le tout. Veuillez donc très vite faire quelque
chose pour cette couleur maronnasse-là absolument dégueu.
Svp. C’est vrai. Sans déconner. Je dis ça pour toi man. Faut
assurer dans la vie. Non ? Je te conseille le vert ça ira très
bien à ton teint.
— C’est ça. »
Le lendemain Napo virait skin comme pour nous
emmerder tous mais sans penser à mal. Il n’avait pas eu le
choix et avait résolu son petit problème capillaire à la
racine.
Septembre 1989
Et c’est dans ce type de vacuum qu’un an après tout
veut enfin se dépelotonner puisque c’est là que Fix tel le
nœud de mon histoire apparaît.
La première fois Fix le parisien un nouveau en
seconde technique s’avéra plutôt du genre beau gosse quand
Jip et Napo l’introduisirent dans le cercle place de l’Horloge
dans notre belle cité papale où agglutinés et bruyants assis à
vingt à la terrasse du Mistral nous effrayions les passants.
Beaucoup plus chafoin que les autres Fix. Grand et
sec. 16 ans. Avec l’accent pointu et le charisme d’un grand
roux aux yeux bleus de nordiste. Tout ça avec cet air de fou
ailleurs dont il jouait à satiété. À tel point que mon panache
et autorité en furent presqu’entâmés. Il la jouait très bien et
c’est donc avec lui et quelques autres huiles très
sélectionnées parfois même majeures qu’on forma peu à peu
cette nouvelle bande-ci : Jip - Napo - Fix - Marco - Elmer Ike - Spider - Mario - Smut - Spike - Stronger - Cellier Joubert - Casa - Shazam - Cunningham - Napalm - Bomba
- Stiff - Nadji - Teurba - Fred - Nounours - Le Chinois -
- 105 -
Speed-Ball - Lukas Zpira - Christ - Tim - Tom - Joy etc +
moi.
Un truc dur et beaucoup plus sérieux et étendu
qu’auparavant. Pas de meuf. Mais avec plein de petites
radicelles un peu partout dans le grand sud. Truc établi sur
quelque chose de faux comme tout malentendu qui n’éclate
pas dès le début mais qui perdurerait comme ça au delà de
tout. Bref on restait collé tout en se détestant les uns les
autres mais sans le savoir encore.
Or chaque fois que le week-end on goberait un trip
ensemble ceci pour nous fédérer ou casser le rythme de nos
échauffourées il faudrait que Fix nouveau ciment invente un
truc rédibitoire.
Ainsi une nuit de novembre 89 vers trois heures du
matin congelé au sommet du Pont du Gard alors que ça
chauffait méchamment à trente mètres de haut entre deux
trois de nos ouailles pour une question de briquet volé ou
mystérieusement disparu je vis Fix se poster à reculons pas à
pas au bord du gouffre. Dos au danger. Je l’admirais faire
sans trop y croire. Il n’y avait pas de rambarde vu que cet
accés au sommet du pont déromanisé était censé être
condamné. Le reste de la bande festoyait se bastonnait ou
bredouillait des trucs insensés en bloquant connement sur la
maquette du paysage. Là : se souvenir de tout type de
commentaires émis par de jeunes hallucinés croyant encore
à tout ce qu’ils voient.
Bref Fix les bras en croix toisa donc une dernière fois
la foule gélifiée de ses nouveaux amis façon je me suicide les
mecs vous m’emmerdez trop en fait et il bascula dans le
vide. Quand avec Jip nous nous ruâmes pour mieux
apprécier les dégats en répétant merde les mecs il s’est tué
les mecs nous le découvrîmes à seulement vingt centimètres
du rebord en contrebas se tenant encore nul ne sut jamais
comment il fit par deux doigts crispés tout blancs sur une
- 106 -
prise insignifiante. Il nous faisait coucou de sa main restée
libre comme ça les pieds dans le vide avec toujours incrusté
sur sa bouille moqueuse son mémorable sourire en biais
d’allumé à moitié crispé. Après ? Jip et moi dûmes le hisser
pour ne pas avoir sa mort sur la conscience. L’acide
lysergique avait toujours eu cette tendance à vouloir nous
ramollir un peu. Fix la résurrection s’avéra cette nuit-ci
cette sorte d’alpiniste précoce. Givré. Des hautes cîmes.
Mais il se prit par la suite à mon goût un peu trop
souvent pour l’Homme Araignée. Et des fois j’en aurais
marre de l’excuser et de le sauver.
Dans la nuit du week-end d’après dans un squat du
côté d’Oppède le Vieux historique donc et pas trop loin de
chez moi nous étions déjà tous là avec nos sacs en plastique
à sniffer de la Dissoplast. C’était sa nouvelle mission à Fix
de soudoyer le vendeur et d’acheter notre combustible par
grosses boites de 200 tubes de colle à rustine chez
Motobécane. La dizaine de bougies répandues un peu
partout dut faire à un moment un peu trop fumeur de shit à
son goût. Putain les mecs on n’est pas des babas bordel.
C’est ce qu’il éructa en perçant une petite bouteille de gaz
qui trainait là et il nous la jeta dessus au travers de la pièce à
un moment par lui jugé opportun. Un chalumeau vire-volta
puis cogna partout avec sa flamme ardente toute bleue puis
jaune d’au moins un mètre de long. Nous émergeâmes assez
vite cette fois de notre torpeur bredouillante en voyant tous
comme ça notre mort arriver en train de griller dans un
squat tous ensemble et il y eut un grand mouvement de
foule engluée vers les escaliers. Mais les escaliers étaient
bouchés par un vieux sommier déglingué et nous nous
empalâmes les uns les autres contre ses ressorts. Les
premiers étant esquichés par les derniers. Se décoinçant les
uns des autres nous dûmes retraverser l’enfer pour nous
défenestrer.
- 107 -
C’est bien là que je me pris pendant une fraction de
seconde ce grand retour de flamme en pleine poire car la
bouteille de gaz continuait de valser telle une comète
rebondissant un peu partout propulsée par son jet. Elle
n’explosa pas. Après ? À moitié aveuglés et asphyxiés nous
atterrîmes donc dans la rue le feu au cul mais au grand
complet. On gerbait du nez de la bouche on rotait se
dégueulait en beauté les uns sur les autres pour s’éteindre le
dos la nuque le séant secoués tous d’un si grand éclat de rire
sur le trottoir chevilles foulées que nous n’en voulûmes pas
du tout à Fix qui venait de devenir là le meilleur pour
ébranler notre quotidien et nous cohésionner comme il le
fallait. Notre habituel lieu de débauche crâma en beauté.
Ça s’appelait créer l’événement. Toujours. En toutes
circonstances. Les pompiers n’intervinrent que très tard
dans la nuit laissant une ruine noire inondée et fumante qui
fit longtemps saignée au milieu de la cité.
Avec d’autres le lendemain je dus moi-aussi virer skin
tant mes tifs cils et sourcils avaient été roussis puis réduits en
poudre à la racine. Mais si promptement que ma brûlure
n’atteignit jamais qu’un premier degré et tout repoussa
après quelques crèmes à la con.
Des moments comme ça il y en eut des milliers des
moments où l’on adorait confondre hier avec aujourd’hui et
aujourd’hui avec demain tout ça parce que nous devînmes
peu à peu ce type classique de superhéros vu que depuis Fix
on se défonçait comme des immortels.
C’est à partir de cette époque-ci que ça se mit à
déconner grandement chaque fois que j’entendais une pouf
parler de vie après la mort. Il fallait vraiment qu’elles soient
naïves ou abruties avec leurs NDE pour ne pas réaliser que
la lumière du bout du long couloir avec tous ces connards
phosphorescents qui vous disent viens ! viens ! pour ne pas
réaliser que cette lumière-là très autoritaire n’était que la
- 108 -
putain de grosse lumière du réveil et du retour parmi les
vivants. C’est vrai ce long Couloir de la Mort-là
anaérobique était un truc qu’on empruntait nous plusieurs
fois par séance dans un sens puis dans l’autre et en travers
nous au moins chaque week-end et on en faisait pas toute
une métaphysique.
?? mai 1990
Napo était parallèlement resté l’unique skin de la
bande je n’en avais pas toléré d’autres et donc pour se faire
remarquer une nuit avec trois-quatre autres pauvres clones
chauves de ses amis à lui cousins que je toisais comme des
merdes quand je les croisais il ne put s’empêcher sans trop
s’en vanter après de profaner en douce le cimetière de
Carpentras. Curieux quand on y songe de voir comme une
toute petite moquerie dans une cour de collège suite à une
crêtasse trop frisouille peut être à l’origine plus tard de
résonances médiatiques ou politiques insoupçonnables.
L’effet papillon ? Rien à foutre. Bref quand on se cotoyait
encore avec Napo et les autres au début même défoncés on
se contentait d’allumer des feux de joie chez les gens. Mais
en leur absence. Ou de balancer n’importe quoi d’un pont
sur l’A7 sans trop viser les voitures tellement on s’ennuyait.
Mais les décédés à cette époque on ne jouait pas trop avec
tant on estimait rester des jeunes gens bien et fort
respectueux et du genre plutôt à réagir ainsi dans ce type de
contexte :
« Moi un bouffon me touche mes morts moi je m’en
gague si je le chope je me le fais à vif le mec. C’est vrai le
mort si tu l’encules avec un parasol il se relèvera pas pour te
mettre une gifle hein ? Que moi on me touche moi vivant je
m’en bats la race je lui mets une balle au mec. Pouh. Dans
la teuté. »
- 109 -
C’était comme ça et pas autrement. Mais c’est vrai
qu’après tout a dû un peu s’effilocher.
?? juillet 1990
C’est le bel été de nos 16 ans que notre trio de la mort
– autrement dit : Jip Fix et moi – dur noyau de cette joyeuse
bande de cons en devenir décida de se perdre une bonne
fois en se coltinant tente et sacs à dos gourdes et godillots au
cours d’une mémorable randonnée pédestre à travers ces
chemins pierreux de l’Ardèche. Décision dûment
improvisée tant notre trio s’ennuyait et ce comme on peut
difficilement imaginer. Évidemment on se prit assez vite
pour des hurons ou les seuls rescapés d’un cataclysme inouï
puisque les seuls êtres humains que l’on croisa s’avérèrent
des mutants plutôt dégénérés. Notre première nuit en
pleine garrigue à dix kilomètres de tout autour de notre feu
de camp et du frichti crâmant gentiment dans sa casserole
toute noire et gondolée on entendit donc crac à un moment
juste derrière nous puis un « Ça va pas ça va pas non ? »
vociféré et qui allait en se rapprochant.
Et on vit débouler de derrière un fourré agité une
sorte de garde champêtre qui nous fonça dessus très très très
ulcéré.
Devant notre volte-face hostile réflexe légitime brutal
mais conditionné tout en planquant nos joints on ne sait
jamais cette apparition nous dégaina par surprise une super
dague effilée et se mit à bien pavaner autour du feu en nous
faisant avec devant les yeux de grands moulinets. Ce faisant
très martial toujours le fantôme nous intima de surtout ne
plus bouger là là là assis genre maître-chien puis il se mit à
nous réciter le torse bombé dans son va-et-vient quelques
bribes d’articles plus ou moins légaux sur toutes ces peines
sévères encourues par les jeunes incendiaires.
- 110 -
Or son discours se perdit dans des circonvolutions
qu’il n’avait pas prévues et le garde champêtre se laissa
tomber puis se déchaussa autour du feu les orteils dégueu en
éventail. Là devant notre trio sans voix. Sans raison aucune
encore il remonta le bas de son treillis et se mit torse nu en
poussant un vrai râle de plaisir puis il me demanda s’il
pouvait tirer une taffe sur mon truc juste une une seule.
Alors Dédé La Défonce c’est ainsi qu’il se présenta
après quinqua-sexa puant le rouge l’urine et le tabac le cône
aux lèvres se mit je ne sais pas pourquoi à vouloir
m’expliquer à moi l’origine de sa très grande faculté de
survie en squattant mon stick. Truc inhérent à un certain
sentiment de rage féroce qui l’aurait toujours animé. Truc
dont il ne se serait jamais départi lui-même ne savait pas
pourquoi et ce au delà même de toute limite. Truc qu’il eut
l’air de regretter du sourcil à un moment tant on aurait dit
qu’il avait des choses pas nettes à se faire pardonner. De
concert on en profita pour se moquer un peu de lui sans
qu’il ne s’en rende compte d’abord puisqu’il était en boucle
et sourd à tout sarcasme comme ça arrive parfois chez
certains professeurs particulièrement défoncés.
Dédé troll pieds nus maintenant et en posture de lotus
crasseux commença donc son récit par le bas en nous
dégainant l’un de ses tibias. Tout excité Dédé qu’il était à
l’idée de nous faire admirer sa belle collection de cicatrices.
Tibia noueux tendu avec il faut bien l’avouer un drôle de
creux dessus au milieu à la fois brillant rose et plissé comme
une paupière ou un prépuce puisqu’il s’agissait d’une
morsure de serpent qu’il aurait un jour jadis dans sa
jeunesse bien nettoyée puis dépiautée jusqu’à l’os grâce à sa
dadague fétiche plantée là à côté de lui puis sucée à mort
enfin afin d’en extraire tout le mélange sang-venin amer.
- 111 -
Terrain qu’il aurait cautérisé ensuite en se versant
dessus vite fait toute la poudre d’une cartouche de douze
qu’il aurait allumée après super maso avec son zippo.
Après ? Ce furent tour à tour ses poignées d’amour
ses aisselles ses épaules flasques ses tempes grises qui y
passèrent. On va dire les zones neutres à la périphérie pas
très vitales donc d’où il fouetta de ses doigts gourds et
nicotinés de longues estafilades blanches traces de balles qui
l’auraient soi-disant juste effleuré. Il aurait toujours eu ce cul
lui Dédé dans la vie alors que lui face à l’ennemi faisait
mouche à chaque coup plein centre et dégommait comme à
la foire à ce qui parait.
C’est là que Dédé en profita pour se relever triomphal
et qu’il nous dégaina très vite encore d’un geste taquin de sa
besace un vieil automatique noir et huilé tout enroulé dans
son chiffon à carreaux cracra et c’est là qu’il en profita pour
nous mettre bien en joue le salaud. Ainsi il fit mine de nous
exécuter chacun à tour de rôle d’une petite balle dans le
front en nous faisant pfui pfui pfui de sa bouche édentée
mais en singeant très bien le recul. Tout bascula car là c’en
fut trop. Je me lâchais enfin puisque je me mis à exploser du
nez et de la bouche en partant de mon grand éclat de rire à
moi moqueur chuintant et légendaire face au vieux dragon
foireux debout face à nous. Car avec le feu derrière à
contre-jour ç’avait été une grosse gerbe de postillons
luminescents qui avait été émise durant la salve des pfuis en
question et ils n’en finissaient pas de nous retomber dessus
ces postillons tels de grosses étincelles lestées et puantes. Le
vieux diable du coup se marra bien lui-aussi en s’étranglant
un peu comme s’il n’avait plus trop l’habitude. Tout froissé
et déformé une seconde par une toux assez inquiétante. Et il
nous demanda l’air à nouveau coquin debout le flingue à la
main si on avait déjà oui ou non entendu parler nous les
- 112 -
jeunes de cette recette spéciale dite du canard laqué du
Mekong.
« Le canard laqué du Mekong ? Vas-y raconte
Dédé. »
La pupille irradiée il ne put s’empêcher de s’enfoncer
à gros coups de sourcils d’un autre âge dans un récit
alambiqué en évoquant un certain rituel de bidasses où
chacun des membres d’une unité d’engagés jadis après un
bon nettoyage au lance-flamme dans un village se devait à
tour de rôle de coïter avec la plus belle canne rescapée en
jouissant bien de son cloaque défoncé et de la série de petits
coups de palmes prodiguée sur ses couilles prêtes à exploser.
Une fois la canne bien farcie par toute l’équipe c.à.d toute
laquée par en dedans la tripotée de soudards se l’embrochait
vivante se la faisait griller et se la partageait tels des
cannibales frères de foutre caramélisé pour une plus grande
unité de toute unité. Visiblement nostalgique notre vieille
loque de Dédé marqua un arrêt et conclut d’un coup de
sourcil en disant qu’il valait mieux faire ça sur des animaux
plutôt que sur des enfants non ? que c’était humain hein ? et
qu’il fallait bien rigoler parfois tant les temps étaient durs.
Alors que sous Napoléon ce genre de choses se serait
pratiqué sur des nouveaux-nés ou sur des femmes et des
éphèbes à travers des trous de baillonnettes édictés au
préalable là là là ou là. Époque qu’il eut l’air de regretter.
Sur quoi il se mit à farfouiller dans son entre-jambes comme
si ça le grattait à mort puis à brûle-pourpoint comme ça il
nous dégaina sa queue. Rosacée et cisconcise. Beurk. Mais à
reflets kaki. Je reconnaissais ces veines éclatées du branleur
invétéré. Il semblait vaguement vouloir nous la proposer sa
queue comme si ça pouvait nous intéresser. Mais devant nos
rires frisant l’étranglement vieux Dédé se leva tel un ressort
dégrisé et il se débina en maugréant la queue à la main et se
renfonça dans sa nuit à jamais. Notre trio en resta bouche
- 113 -
bée une seconde puis fit résonner très fort après sous ses
duvets ses rires et ses pets jusqu’au petit matin. Jusqu’à ce
que notre feu s’éteigne de lui-même enfin.
En arrivant à Saint-Flour une semaine plus tard cheflieu du Cantal après quelques échauffourées dans des
campings un ou deux vrais départs de feu et des bluettes
avec des hollandaises des anglaises ou des allemandes très
collabos notre trio d’iroquois exténués voulut se rafraîchir
un soir dans un café. Après quelques mauresques et autant
de baby-foot avec des inconnus nous ne prîmes plus garde
au regards de certains des autochtones puisque nos tignasses
et nos piercings faisaient tant partie des choses qu’on avait
intégrées qu’on les avait oubliées. Or il appert qu’une
certaine catégorie de moustachus empastissés et bouffeurs
de cacahuètes ne le vit pas de cet œil. Quand notre trio
d’affamés s’éclipsa sans payer plan basket classique pour se
confectionner dans un coin de place de village un vrai repas
avec des petits pois en boite oignons lardons grillés sur notre
réchaud — je ne vis pas foncer sur nous cette Renault toutes
portes ouvertes qui voulait nous dégommer comme à la
foire encore. Un certain instinct de survie s’empara de mes
camarades qui super synchro me bousculèrent et trainèrent
tout deux par les épaules me sauvant in extremis du bolide
vengeur. Dos au danger je n’avais rien vu venir. Après
quelques invectives en se relevant nous vîmes que le
véhicule s’amusait un peu plus loin à faire demi-tour dans
un crissement de pneus à la Starsky et Hutch suivi d’un
coup d’accélérateur de ouf pour nous redégommer en
seconde. Notre trio dérangé dans son souper préféra
déguerpir devant la meute de villageois qui s’agglomérait en
cercle pour tout simplement nous faire la peau à l’ancienne.
On avait même aperçu au loin qu’émergeaient quelques
fusils et chiens-loups prêts pour la traditionnelle battue du
- 114 -
samedi soir. Le trio prenait ses jambes à son cou
abandonnant les sacs précieux et dévala les ruelles en
s’enfonçant dans la vallée. Rien n’arrêta la meute ni la nuit
ni le risque de s’en prendre à ce type particulier de gibier au
contraire. La course-poursuite dura toute cette nuit de
pleine lune à des kilomètres à la ronde.
À un moment donné épuisé ou inattentif en dévalant
sa pente Fix fit une cabriole puis un vrai vol plané en avant
en s’embronchant sur des racines qui dépassaient
vachement d’un chemin de grande randonnée. Comme s’il
avait fait exprès. Ce qui n’est pas impossible. Alors n’en
pouvant plus et pris de spasmes en dévalant bon public ma
propre pente je partis moi-même d’un si grand éclat de rire
et m’écroulai moi-aussi si bien que Jip freinant et croyant
que je devenais fou en paniquant au delà du raisonnable me
sauta dessus et me secoua si fort en me hurlant dessus
« Calme-toi calme-toi Miki. » que je ne pus dès lors étouffer
mon rire qu’en mordant très fort dans l’une des putains de
racines qui dépassaient. Fix et moi nous nous relevions tout
écorchés et hilares face au sérieux de Jip tandis que le
danger continuait plus haut de se pointer mollement à
coups d’aboiements et de sifflets. La course effrénée reprit
de plus belle jusqu’à ce qu’on ne trouve refuge enfin chez un
fermier en béret en contre-bas dans la vallée.
Au petit matin ce gentil paysan à la langue rocailleuse
nous conduisit en tracteur planqués sous une bâche chez les
gendarmes qui nous protégèrent comme il se devait de cette
meute de oufs moustachus armés et empastissés prête à
bouffer quoiqu’il advienne de l’étranger certains soirs de
pleine lune. Mais nous ne portâmes point plainte car
s’amuser entre amis était une chose qu’on comprenait.
- 115 -
De retour dans le vrai sud horizon de soi-même
crasseux gare d’Avignon on se fit aussitôt coincer dès la
descente du train par une quinzaine de flics. Après ce
contrôle de routine on nous conseilla fortement de changer
de look vu qu’un jeune maghrébin s’était pris la veille un
bon coup de parasol dans le thorax plein cœur lors d’une
rixe avec d’autres iroquois retardataires Avignon Place de
l’Horloge. La Place de l’Horloge qui avait été totalement
saccagée comme ça s’était toujours fait. C’est vrai qu’on ne
réagit pas trop sur le moment puisqu’en chœur on dit :
« Encore ? » On se débinait poliment mais un jeune flic
lisse nous rattrapa :
« Faites bien attention les jeunes ce coup-ci c’est du
sérieux il y a une vraie chasse à l’homme là chais pas si vous
savez. Chais pas moi vous devriez faire quelque chose
organisez-vous armez-vous j’étais comme vous avant eh oui
y a dix ans ça craint sérieux là. Sérieux sérieux sérieux. Un
bon conseil faites quelque chose et faites le vite »
Je lui répondis super poli :« Oui ok merci mais on a
l’habitude vous savez. »
Et notre trio d’adolescents s’enfonça dans les ruelles
comme à l’accoutumée en la ramenant très fort devant tous
ces touristes cultureux en bob ou Panama. Leur crachant à
la face ou leur éructant je ne sais plus trop quoi chaque fois
qu’ils osaient nous détailler. C’est là qu’on prit la mesure de
ce drôle de truc. Comme des mouvements tout partout tout
autour de nous loin dans la vision périphérique et c’est là
qu’on vit la meute de reubeux pas cool s’agglomérer.
Armée de pelles de battes de manches de pioches et
de nunchakus. Téléphone arabe + quelques schlass sans
doute bien planqués pour le moment. Meute prête pour la
traditionnelle chasse au kepon d’Avignon comme si on y
avait été pour quelque chose nous dans toutes ces histoires
de parasol.
- 116 -
Car c’est vrai Carpentras n’était vieux que de deux
mois et avait dû susciter encore des émules à droite à
gauche dans notre Vallis Clausa ou Comtat Venaissin
embrasé. Puis dans toute la France. Puis dans le monde
entier. Nos sacs si difficilement récupérés à Saint Flour
tombèrent à nouveau et ce fut à nouveau la coursepoursuite dans les ruelles d’Avignon. Simple ratonnade à
l’envers. Direction l’Ile de la Barthelasse. Entre deux bras
du Rhône. Tout droit. Pas le choix.
Là les poumons en feu après avoir vite traverser notre
Pont Daladier on rebiqua les crouilles au cul vers une haie
de vieux cyprés déplumés en contre bas à la lisière d’un
pauvre champ de pommiers où l’on s’enterra littéralement
sous un mélange de momottes meubles feuilles mortes
mousse ronce lierre desséchés. Tandis que patrouillait tout
près une meute à coup de ziva qui allaient en s’éloignant.
Là pas fiers on attendit la nuit déshydratés tels des piverts la
crête applatie.
Plus tard dans la nuit on se fit rapatrier par le reste de
la bande planquée elle dans les bleds alentour. Une fois tous
enfin réunis chez Jip dans sa vieille cave toute dégueu on
dut prendre cette mesure des mesures puisqu’on décida de
ne plus jamais se séparer et de s’armer nous-aussi jusqu’aux
dents puisqu’il faudrait bien un jour cesser d’exagérer et
prendre enfin en main son destin.
Septembre 1990
Ce qu’on subit tous cet été-là on allait le faire subir.
Chacun de son côté. Au quintuple. Sans pitié. Dès la rentrée
j’avais dans ma mallette ma hache et mes deux pistolets à
eau l’un rempli de soude caustique l’autre d’acide
chlorhydrique on ne sait jamais afin d’expérimenter — sur
la gueule de quiconque la ramenant ou voulant juste encore
- 117 -
un peu s’amuser avec nous — ces fameuses réactions acidobasiques enseignées oui mais pas pour rien dans notre lycée.
Mars / avril 1991
Printemps de nos dix-sept ans. Apparurent dans la
cour bien planqués dans nos sacs de sport les tout premiers
guns grenailles trafiqués puis canons sciés et il appert que de
plus en plus d’exactions virent le jour comme ça gratuites à
la sortie de tous les cinés lycées macdo gymnases et
boiboites d’Avignon. Puis de tous les environs. La bande
s’était lancée dans cette vaste industrie de la dépouille de
dealeurs — et autres mafieux paumés gitans reubeux et
autres trafiquants — plus confortable moins de plaintes — à
qui après m’être bien fait passer tantôt pour client tantôt
pour grossiste on faisait toujours le même coup après que
j’ai ordonné changement de décor ! en leur collant par
surprise au tout dernier moment mon tout nouveau joli petit
calcal de calibre tout rouillé dans la narine. Tandis que les
miens autour se déployaient et faisaient paravent et cercle
souriant. Surprise. Elles se retrouvaient à poil toutes ces
pauvres taches soi-disant hors-la-loi. Dépouillées jusqu’à
l’os. Ce qui nous faisait toujours un peu d’argent de poche.
Parallèlement et depuis quelques temps déjà on
répétait tous - moi au chant - Fix à la basse - Napo aux
percus - + quelques autres aux chœurs - chez Jip - claviers
machines - dans sa cave toute dégueu vu qu’on venait de
monter ce groupe de ouf appelé H@ss haine en allemand
puisqu’on avait dix-sept ans. Jip ? Dans le groupe ? C’était
l’homme des machines et des mélodies aussi parfois le
sampler une sorte de calculateur prodige avec son casque
sur les oreilles et tous ses écrans multicolores partout autour
de lui. Jip ? Avec son odeur de cuivre ou de bouc +
- 118 -
crapauds morts. Fumet qui ne le quittait alors jamais c’est
vrai. En pleine répétition il était capable de s’arrêter net s’il
hallucinait d’un coup le résultat d’une différentielle ou autre
intégrale qui lui trottait en tête. Il était capable de prendre
ainsi plein de notes pendant dix secondes à notre grand dam
schizo avec son casque vissé sur les oreilles. Normal vu qu’il
était en S option math lycée Mistral. Le problème c’était
qu’il adorait se rendre au bahut ou aux répettes avec des
batraciens décédés dans les poches de son 3/4. Faire gerber
le monde entier semblait être son unique but le monde
entier se demandait pourquoi. Mais Jip quoiqu’il advienne
resta le meilleur en math même qu’il aura 18 au bac plus
tard sous trip et sans avoir révisé du tout du tout. Jip ? Un
vrai génie. Or moi évidemment j’avais été rapidement
évacué en option bio puisque j’avais décroché
définitivement dès que j’avais appris que i2 était égal à -1.
Fameuse équation révélant ces fameux Nombres
Imaginaires ou Complexes ou Irréels ou que sais-je et qui
signifiait à peu près que les amis de mes amis étaient en gros
mes ennemis. Ce qui m’avait désappointé sur le moment vu
que quelques années auparavant on m’avait dit l’inverse.
Lui Jip ça ne l’avait pas heurté comme quoi ça devait être
un sage vu que tout ça put se vérifier par la suite. C’est vrai
les amis de mes amis ne furent plus jamais mes amis. Amis
qui eux-même ne le furent plus jamais vraiment non plus
d’ailleurs.
Samedi 5 février 1992
La preuve ? (…)2.
2
Là ? Aller à la fin - Lire note n°2
- 119 -
Il faut dire que survenait depuis quelques temps déjà
cette fameuse époque dite des éphédrinades 3 et que ce
samedi soir-là après la répette de H@ss Fix et Jip s’était
amusés dans notre cave toute dégueu à enregistrer en douce
mon incroyable déblatération auprès de ce que je croyais
être ma très chère bande toute ouïe. Car au courant de la
blague ma dizaine de fans s’était tue et m’avait laissé
comme ça aller au bout de ma chose sans même me couper.
Mais après heureusement ma troupe ne put s’empêcher de
se chauffer la tête avec n’importe quel solvant. Arrêtant ses
sarcasmes. Trichlo Eau Écarlate colle à rustine. Pas de coco.
Pas d’héro. Mais bons vrais trips selon les arrivages buvards
speed crack taz et compagnie. Selon les préférences de
chacun. Puis nous prîmes nos caisses ou celles de nos
parents et la bande au grand complet une trentaine
d’invalides harnachés avec plein de petits trainards
dégobillant encore un peu partout se retrouva une heure
plus tard sur le parking du Hot Spot une boite de ploucs de
Vaison la Romaine pleine de vieux Rockabilly crasseux
Bikers ou Hell’s des campagnes. Nous mîmes tout à feu et à
sang. Blitz Krieg. Et nous nous débinâmes aussitôt après.
Nous nous retrouvâmes en pleine nuit dans la nature
pansant nos plaies tels une harde de félidés multicolores
cornus téléportés au bord d’un ruisseau noir l’Ouvèze je
crois qui commençait à enfler dangereusement comme le
montrèrent dès le lendemain ces fameuses actualités.
Zapping de fin du monde circonscrite en un point et un
seul. Vaison sous les eaux. Déluge télégénique occultant
invariablement nos performances à nous.
3
Délire logorrhéïque sous éphédrine, vasoconstricteur bronchodilatateur stimulateur
du système parasympathique qui fait qu’en gros en montée on raconte toute sa vie
très vite même à des étrangers et ce de façon très très très éhontée.
- 120 -
Dimanche 21 juin 1992
Lors de notre seul et unique concert en plein bac lors
de ce festival trashcore en l’honneur du Sida où par miracle
on avait été sélectionnés je me la pétais donc très fort
Nosferatu car une poignée de teuffeuses en folie toutes
rasées et percées elles aussi venaient de se taillader exprès
pour moi au coupe-chou leurs beaux gros bras blancs et
gras. Bras savamment tatoués de codes barres et autres
logos comme ça se faisait beaucoup alors. À tour de rôle j’en
profitai donc pour leur lècher à grand coups de langue tout
ce qui pouvait bien gicler tandis qu’elles faisaient mine
d’exulter. Mais rappelé à l’ordre par les miens je dus à un
moment m’interrompre pour aller entonner sur scène la
gueule en sang c’était notre tour notre nouveau
hit Necrolover qui fit aussitôt fureur tant le public était
chose aisée à ébranler quand on savait y faire.
Roooooooorrr hahaha rrrrrrrrrrr hypercrachouillé
sur le micro avec les twiters à fond que je me plûs à
réensanglanter en me pétant deux incisives. Come on. Well
our name is Hass. Not Crass. Over the
otherrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrs. Intro qui balança sans que
personne ne s’y attende un truc à la taré tout neuf et énervé
synthétique et saturé auquel rares furent ceux qui pouvaient
vraiment résister. Et ce fut l’enfer.
Ces paroles y étaient inspirées d’un vague fait divers
décrit par Erich Fromm dans La Passion De Détruire
ouvrage piqué à ma mère très vite devenu mon livre de
chevet. Même qu’elle m’aurait dit après : « C’est bien mais
maintenant il va falloir lire L’Art d’Aimer. »
- 121 -
Mais revenons à ce show et à la vingtaine
d’Éphédrine — poul à 120 au repos — additionnée à mon
demi-litre de vodka dégueu — mélange qui fit ce que ça fit
surtout quand parmi le public barriolé une jeune caillera
très provocatrice courageuse mais délocalisée se mit à
smurfer toute seule et à breaker pauvre racaille en survêt
Tacchini sur notre hymne à la camarde. Ce qui se révéla
pour le moins du genre pas du tout préconisé.
En starlette sur scène au milieu du déchainement
général moi Miki demi-dieu les bras en croix d’un coup de
sourcil moteur action à deux reprises j’avais désigné le
pauvre smurfeur. Une quinzaine de mes afficionados ne
purent que le piétiner à l’ancienne le réduisant en bouillie
tant pis pour lui. Quand le service d’ordre intervint avec
toujours ce laps de temps très caractéristique Jip en profita
pour m’arracher le micro et commença même à tous les
agonir d’injures en rythme en français et en anglais. Tandis
que Fix à la basse imposait son tempo à l’échaufourée qui se
transmuta en émeute généralisée. Ce qui fit que tout se mit
à tourner au vinaigre surtout quand ce terrain de foot avec
tous ses menus aménagements tentes et frêles barraques à
frites fut littéralement saccagé et carbonisé par notre équipe
de joyeux petits cons de suiveurs à la traine. Les videurs se
replièrent dans leur guérite sous les jets de pierres canettes et
autres cocktails préparés pour l’occasion comme si on avait
prévu le coup vu qu’on avait déjà tous garé nos caisses en
position de départ pour filer fissa au cas où. Ce qu’on fit
après s’être bien éclaté. Tout ça tandis que le pauvre
smurfeur agonisait à moitié perclus de coups au sol toujours
et de toute façon au sol c’était un smurfeur en sang avec
quand-même tout autour de lui le veinard un sacré
grouillement de bonnes pétasses pleines de pitié qui
n’arrêtaient pas de lui caresser et de lui éponger le front tout
en nous insultant et en chialant à moitié on se demanda
- 122 -
pourquoi. Après ? H@ss fut interdit partout par arrêté
préfectoral ce qui tombait bien puisque la moitié des nôtres
Napo et la tripotée d’anonymes commençait à virer — de
l’apathie à la vraie violence radicale — hooligans des stades
et que ça vraiment je ne pouvais pas blairer ni Jip ni Fix non
plus d’ailleurs vu que le foofoot c’était pas pour nous même
comme prétexte vu que nous nous avions un tempérament
beaucoup plus artiste et d’autres joies dans la vie.
Dimanche 19 décembre 1992
Hélas est-ce vers cinq heures du matin — alors
qu’avec Fix on venait de s’enfuir d’une soirée très vulgaire
après une certaine sonate dite La Tempête donnée dans un
cloître Abbaye de Silvacane près d’Aix soirée très vulgaire et
emperlouzée où en duo triste et un peu décontenancé on
n’avait rien pu soulever puisque Jip le barbare lui s’était
déjà casé avec Hélène et nous avait lâchés — hélas est-ce
ainsi rongés tous les deux par ce sentiment de grande vanité
des choses état qu’on savait entretenir et ripoliner alors
comme un axe un peu tordu oui mais bien huilé dans notre
vie tout en serpentant à fond Combe de Lourmarin à
travers nos collines noires excavées gondolées et toutes
déchiquetées par mes phares normal vengeurs puisque
fendant la bise vu qu’on avait investi à perte Fix et moi ce
soir-là dans une vaste mais fallacieuse opération de culbute
à tout va de ces gros séants de grosses bourgeoises du sud
oui mais là en vain et pour des clopinettes — hélas est-ce
ainsi rincés voire hypnotisé et dépités par tous ces zigzags à
travers tous ces arbres et pointillés blancs défilant à perpette
sur fond noir brillant délavé par l’orage et par les vents —
hélas est-ce ainsi enclins qu’on tomba sur le retour à travers
mes essuie-glaces si loin encore de chez nous sur un pauvre
point blanc oui mais qui allait en grossissant.
- 123 -
Un bonze près d’un stop.
Ou sempiternelle racaille détrempée près d’un coude
dominant connement une pente. Skin qui allait en se
féminisant puisque cette apparition à hanches larges nous fit
de grands coucous désespérés un peu défoncée elle-aussi en
émergeant d’un pôle invisible sorte de boiboite clando sans
doute toute soli-solo dans un treillis gris-camouflage se
recolorant.
Par pitié Fix décida de l’embarquer tant le zigzag
départemental D943 était désert ce soir-là et que la nuit
était plutôt fraîche ventue et mouillée et très propice aux
rencontres hétérosexuelles comme on dit. Après un bref
échange vocal et quelques kilomètres avalés plus loin venu
de derrière survint ceci :
« C’est quoi au juste cette pure bonne zic que vous
écoutez à donf là les mecs ?
—…
— Hein ? Du Scriabine ?
—…
— Ouh ? Ouh ?
— Prélude et Canon. 37ème duo pour violon. Béla
Bartòk. Interprété par les frères T’aurais-pas-dû-monter. Tu
nous as pas reconnus pétasse ? » De ce ton mi-goguenard
mi-pâteux que je sus trouver au moment précis où comme
par hasard Fix au volant de ma vieille Volvo dépassait le
domicile de la fille à pleine vitesse. Ce qui fit que l’inconnue
scandalisée se métamorphosa en gargouille dentue.
« Descendez-moi là. Wo. Vous faisez quoi là ? Vous
vous arrêtez. C’est là que vous me descendez. Wo là pour
de bon les dalpé je vais m’énerver là.
— Chut. ».
C’est ce que je me sentis obligé de dire tout en
défourayant le vieux fusil à pompe. Puis me retournant vers
elle j’indiquai à la grosse derrière qu’on allait juste la baiser
- 124 -
oui mais un peu plus loin. Mon canon jouait devant son
nez.
Le descendez-moi là descendez-moi là se fit plus
intempestif. Bon prince Fix emprunta un petit chemin de
terre adjacent entre un champ de ceci et un champ de cela
très pentus pour aller faire demi-tour soi-disant. Mais il
préféra aller piler net et déraper un peu plus loin vers un
vieux bouquet de cyprés sur quelques galets jaunes
ressemblant exagérément à des cèpes. Extrait du véhicule je
me déroulai. Je titubais. Je le déplorai puis revacillai une
seconde en souriant sous la bruine. Je m’étirais. Je
m’hydratais. Les bras en croix tel une drôle de plante
carnivore croîssant à vue d’œil. Sa branche droite alourdie
par le joujou encombrant. J’armai le piston qui claqua en
l’air. Je me retournai et invitai la grosse à sortir en lui tenant
gentiment la portière. Dans un baillement feint sous la
bruine à l’inconnue ainsi tenue en joue je demandai de nous
remettre l’intégrale de ses effets. Sa tune ses papiers ses
affaires ses Nike son treillis son gros collier en plaqué sa
virginité.
« Vous ne savez peut-être pas mais on me fait pas le
coup à moi là les mecs vous ne connaissez pas mes frères
vous allez le regretter franchement vous savez pas qui chuis
ça se voit. »
Le coup partit. Je rouvris les yeux. Ne vis que de la
fumée. Je n’avais pas trouvé mieux que de descendre la fille
là comme elle nous l’avait dit. Je ramassai une Nike qui
gisait à mes pieds. Je me relevai sans jeter un œil au pied nu
plus loin et sentis dans la seconde qui suivait le sol
caoutchouteux qui me ramener vers Fix. Fix me remballa et
fit vite demi-tour sur la fille éventrée là sur les faux cèpes.
On entendit un petit cri puis le badaboum sous les roues. Je
démontai le fusil je le caressai ou l’essuyai puis je le rangeai
dans son étui. J’otai mon gant ensanglanté et dus me
- 125 -
masser l’avant-bras droit. Ma langue s’occupait de mon
index écorché vif. J’entendis une crécelle au loin me
demander si tout était ok et si ça allait. Mes tympans
bourdonnaient. Les essuie-glace grinçaient. La pluie s’était
arrêtée. Ça puait le chien mouillé la poudre et le
caoutchouc. Uniquement concentré sur mon doigt je
répondis « oui » à Fix dans un registre aigu et traînant que
je ne me connaissais pas. Oui agrémenté d’une chose
rauque interne comme si quelque chose m’avait fait quelque
chose. « Oui tout est ocré. » J’avais dit. Fix se sentit obligé
de me rassurer en me disant de respirer que ce n’était pas si
grave que ce n’était qu’un accident et qu’on s’en remettrait
si on décampait.
Après ? Douché et lessivé nous continuâmes notre
route. Fix décontracté au volant de ma vieille Volvo fonçait.
Direction : Bonnieux. Lacoste. Ménerbes. Oppède le Vieux.
Je respirais mieux. Fix se ramena chez lui d’abord bien sûr.
À Lacoste. Il habitait avec sa mère une très jolie petite
maison où grimpait une glycine extravagante en forme de
gros nœud de serpents au repos mais prêts à se ranimer à
tout moment pilepoil face au château du divin marquis
comme on dit. Ou plutôt sa ruine. Trajet silencieux que je
trouai d’un ou deux je ne sens plus mon doigt et là enfin
devant la glycine Fix récupéra son vieux fusil à pompe et
décida qu’on ajournerait nos futurs rendez-vous : « Je
t’appelle. Et s’il te plaît putain tu me jettes cette putain de
Nike. Ok ? »
Je pris le volant. Mon index droit séchait en l’air. Je
répétais « putain de recul de sa mère » et je rentrai chez moi
direct.
Oppède le Vieux.
Je ne dormis jamais aussi bien que cette nuit-ci
dégommé que j’étais par nos trois bouteilles de Tokay sur
trip éventé. Mais c’est le lendemain que tout commença.
- 126 -
Le lendemain ? — qui était le même jour — je crus
même avoir halluciné cet incident or cette hallu eut une
nette tendance à vouloir me faire croire qu’elle était vraie
surtout quand je vis mon doigt. Et au loin jetée dans un coin
une Nike bicolore gauche esseulée et maculée taille 37 qui
me regardait. Choses que je dissimulai à mes très chers
parents en leur faisant croire que vraiment j’avais vraiment
là la gueule de bois des gueules de bois. Et que donc il fallait
que reste couché toute la journée. Ce qui était aussi le cas.
Lundi 20 décembre 1992.
Mais ce n’est que ce lundi matin-là lendemain
véritable très tôt en lisant le journal local acheté à la va vite
à Morières genre mec normal qui doit se rendre en
catastrophe à la fac à Montpellier Provençal + Méridional
que tout se concrétisa chaque fois en première page. Sauf
que ça mentait invariablement puisque ça affirmait que le
corps d’une certaine Valérie Montagne dont on voyait la
photo jolie souriante un peu enveloppée mais l’air triste
avec ses boucles d’or aurait été découvert sans vie la veille
par un randonneur du dimanche l’abdomen criblé de
chevrotine un pied nu et les cheveux entièrement rasés sur
l’un de ces petits chemins vicinaux menant au prieuré de
Saint-Symphorien. Sans trace de violence sexuelle
apparente. Une autopsie était en cours. Les cheveux rasés ?
Crise cardiaque assortie d’une substantielle envie de gerber.
C’était pas nous. Ce que je fis dans mon caniveau près de la
Volvo puis sur le journal. Genre mec normal qui n’aurait
pas du tout digéré son xième café au lait. Mais ça mentait
invariablement puisque on l’apprendrait plus tard cette
Valérie n’était morte en réalité que douze heures après
d’hémorragie interne inopérable après avoir vraiment pu
- 127 -
donner à son découvreur et aux forces de l’ordre notre
signalement + celui de la Volvo en détail comme il fallait et
tout et tout. Mais cela de façon sans doute un peu étranglée
puisqu’elle confondit légèrement le rôle du « grand » et
celui du « petit » or ça on ne le savait pas encore. Et c’est à
partir de cette lecture-là que je commençai dans la vie à me
sentir plutôt pas bien du tout. Comme si certaines choses
écrites devenaient là tout d’un coup encore plus concrètes
que la réalité.
[ déc 1992 - mars 1994 [
Fix avait déjà choisi de s’évaporer vers d’autres
contrées plus montagneuses et moi-même je quittai la fac de
Montpellier puis je m’exilai à Paris pour poursuivre ma
première année de médecine dans une fac un peu plus
huppée comme si le plomb en sortant de ce canon-là ne
s’était pas automatiquement transmuté en or et qu’il fallait y
remédier. Même si ce type de transfert n’est pas du tout
évident en milieu de semestre étant donnés les programmes
spécifiques le numerus clausus les listes d’attente et tout le
bordel j’arrivai quand même — grâce à mon père même s’il
ne compris jamais vraiment pourquoi j’insistais pour me
barrer de Montpellier — j’arrivai donc par miracle à
obtenir la dérogation nécessaire. Mais je me mis surtout à
peindre et à sculpter dans mon nouveau taudis parisien rive
droite 10 rue des Vertus dans le 3 chez les chinois on va dire
de façon frénétique. Peindre et sculpter de drôle de choses
tenues secrêtes et je cessai même de rire pendant au moins
quinze mois les tripes dûment vrillées par un truc
incompressible et inattendu.
Peu à peu je laissai tomber mes TD puis mes TP de
l’après midi car à la fois trop déprimé et trop inspiré puis
- 128 -
mes cours du matin enfin à part ceux bien entendu
d’Anatomie Générale dispensés par le Sieur Jacques
Aumont à qui j’ose encore prétendre devoir tout.
S’entâma cette période dite la plus perfide et pénible
de ma vie correspondant si bien à mes débuts de plasticien.
Je découvrais — puisque je commençais à me prendre si
aisément pour un savant mélange de Bacon Basquiat Joel
Peter Witkin — qu’il se pouvait fort qu’en commettant
toutes ces petites choses turlupinées que tout ça puisse aussi
très bien un jour me servir en cas de procés. Si mon
meilleur ami Fix et moi-même étions arrêtés par exemple.
Pour me disculper d’une certaine manière tant vraiment ce
type d’expressionnisme brut et racoleur démontrait
combien j’étais capable d’être traumatisé et de culpabiliser
pour de vrai si je voulais. Et c’est là que très romantique au
bout de six mois ferme de pure création assortis d’une
somme conséquente d’effondrements de soi-même sur soimême quelques insomnies tout ça c’est là que peu à peu je
m’autorisai à à nouveau enfreindre l’espace.
Je réussissais de moins en moins frileux à m’immerger
graduellement dans ce grand bain de parisiennes car il
fallait bien par tous les moyens se ressaisir et tenter d’oublier
un jour — grâce à la prise massive et conjointe d’alcool et
de médocs — ce pour quoi ça n’allait plus vraiment dans la
vie c’est vrai.
Et c’est dans ce contexte-ci qu’apparut cette vieille
motarde d’au moins vingt-huit ans. Olga une drôle
d’autruche polonaise et héroïnomane d’un mètre quatrevingt-huit et quelques. Plutôt dans la mode. Fine et brune.
Et presque jolie. Avec ses lèvres de trois kilomères de long.
Et très gentille et protectrice avec moi. Oui mais avec un
étau peut-être un peu trop musculeux entre les papattes.
- 129 -
Le reste étant plutôt creux et décharné puisqu’elle
jouait les mannequins pour la tantine de Fix. Frederika je ne
saurai jamais quoi.
Une nuit du printemps 93 Olga me charia donc en
moto chez des amies à elle qui avaient un très grand jardin
à Meudon chez une certaine Cendrillon collée à cette
époque encore à une certaine Zaza toutes deux dans l’art
vidéo. Ainsi musclée d’en-bas sous un cerisier Olga s’amusa
à un moment donné devant ses caméras amies à s’empaler
de tout son poids sur moi. C’était la première fois. Au début
tout allait bien mais à un moment estimé crucial Olga jugea
bon de se rejeter sauvagement en arrière complètement
tarée et irrespectueuse des codes et j’entendis donc crac
comme si elle m’avait vraiment pété quelque chose à
l’intérieur tendon ou que sais-je type tissu conjonctif
spongieux ou caverneux à la base de la queue. Une véritable
panthère déchainée dans tous les sens et toute griffue et
chevauchante sous l’orgasme écœurant car vraiment
exagéré. Je n’avais pas l’habitude à cette époque de me faire
filmer par deux inconnues avec de ce type de furie-là. Je
n’avais que dix neuf ans et goûtais sans le savoir mes tous
derniers mois de liberté.
Mais au petit matin je me souvins de quelques clés et
étranglements appris au judo quand j’étais plus petit et je
me vengeai dans la chambre que nous prêtait Cendrillon.
Cendrillon ? Saloperie dans les performances le living
théâtre la photo et la video porno. Cendrillon cette
meudonnaise délurée avec son grand jardin. Alors je pus
immobiliser Olga puis lui imprimer sur le haut des cuisses là
sans caméra et sur le bas-ventre toute une série de petits
motifs symétriques à coups de mégots rougeoyants. Elle ne
se rebiffa pas trop toute culpabilisée qu’elle devait être de
m’avoir fait mal juste avant dans le feu de l’action comme
on dit.
- 130 -
Alors je profitai de sa clémence pour la retourner et
l’entreprendre à ma façon à moi. Elle se laissa faire tandis
que je poussais mes fameux feulements de tricératops
matînés aussi parfois de loulou de Poméranie enragé il faut
bien l’avouer jappant tout en la priant de surtout ne plus
bouger de se taire de faire la morte là toute raidie comme ça
m’avait toujours plu.
Le lendemain flottant au réveil je me reconvertis en
centre irradié du monde. Point rouge clignotant sur la
cacarte. Je me sentais très décadent. L’antimatière molle
dure ou visqueuse par excellence. Un petit pain de plastic
errant mais devenant grand prêt à nouveau à s’envoyer en
l’air pour un oui ou pour un non et je remis ça et je remis ça
avec mon mannequin raide jusqu’à ce qu’en fin de matinée
elle ne se décide à se picouser là devant moi et que dégoûté
je ne la largue une première fois en beauté.
Ce drôle d’état moitié planant où j’errais d’une conne
à l’autre avec parfois quelques petites remises de couverts
dura presque neuf mois jusqu’à ce qu’Olga — à qui je
n’aurais heureusement craché qu’une semi-vérité sur mon
affaire pour bien lui prouver par capillarité que j’avais moi
aussi quelques petits trucs pas nets qui déconnaient et que
donc il fallait surtout pas me faire chier — jusqu’à ce
qu’Olga donc visiblement ne me balance aux keufs en
beauté pour se venger après l’une de nos disputes et qu’en
fait bizarrement tout aille beaucoup mieux pour moi pour
Fix pour le monde entier vu qu’on se tenait prêts sans trop
le savoir depuis pas mal de temps déjà Fix peut-être un peu
moins que moi à payer définitivement nous aussi tous les
deux dans la joie.
- 131 -
Dimanche 02 mars 1994
De retour dans le sud pour dire bonjour à mes très
chers parents car bizarrement je les aimais de plus en plus
comme le plus austral de ce que je savais être — m’attendait
cette fois un courrier banal et consternant évoquant une
certaine convocation à la gendarmerie.
Quinze mois venaient de tramer depuis mon pénible
incident. Et évidemment la convocation en question pour ce
dimanche-là curieux n’est-ce pas ? n’était officiellement
qu’uniquement-uniquement pour remise à jour des papiers
militaires soi-disant. Oui. Mais je le sentais bien déjà
l’enquête tout autour de moi se resserrait. Pleins de petits
signes néfastes me le suggéraient. Je savais donc aussi qu’il
n’était pas impossible que je sois là aussi en train de me
livrer.
Sur le trajet de la rémission à fond dans la Volvo
gémissante de feu mon grand-père qu’on me prêtais
gentiment quand je descendais dans le sud je m’interrogeai :
« Je me le prends ce platane ? Je me le prends ? Ou je
me le prends pas ? ».
Mais les platanes défilaient. Puis se raréfièrent. Puis
furent remplacés par des vignes. Et je ne me pris rien du
tout. Les gendarmes préférèrent jouer ça en deux temps
avec moi. Car cette première fois ils me reçurent juste pour
voir ma tête et me jauger. Il faut dire que j’avais tenté
depuis les faits de reprendre une vie presque normale à
Paris en jouant les carabins et me casant si gentiment chez
Zaza Hotel de Retz la dernière fille en date que
j’affectionnais peu après que j’eus rompu avec Olga. Les
gendarmes se contentèrent de quelques commentaires
oiseux sur ma photo d’identité comme quoi j’avais une drôle
de tête dessus puis ils me laissèrent repartir après avoir vite
- 132 -
examiné le paquet de trucs administratifs que je leur avais
fournis.
En revenant chez mes parents rassuré je téléphonai à
Fix réfugié dans son chalet alpin du côté de Chamonix en
tant que ou prof d’escalade ou moniteur de ski selon la
saison pour lui dire que tout est ok que c’était vraiment pas
du tout du tout pour notre affaire et que ces keufs étaient
vraiment super relou de m’avoir laissé repartir comme ça.
On évoqua tout autre chose puis se marra bien tous les
deux. Même si son rire à lui sonnait parfois comme un peu
aigre. Comme s’il dissimulait très mal une grande peine
souterraine.
Dimanche 09 mars 1994
On me re-convoqua ce week-end d’après — car par
flemme j’étais resté vautré sur canapé à la maison chez mes
très chers parents histoire de me reposer (mais soi-disant
pour réviser) — ce coup-ci par téléphone pour re-remise à
jour des papiers militaires et là c’était particulièrement
urgent vu qu’il y avait encore eu un bug et qu’il fallait tout
réinitialiser d’urgence au risque que ça soye le bordel et
qu’on doive se taper son service même si on venait juste
d’être réformé. Je devinai que ce coup-ci j’étais bon. Mais
en même temps sans me l’avouer je restai accompagné d’un
petit doute optimiste indécrottable défaut qui me fit me
redéplacer avec mon paquet de justificatifs médicaux
comme quoi j’étais censé être Y6 et quasi-aveugle sans mes
lentilles sans même plus envisager du coup le moindre petit
platane.
En arrivant sur place le petit doute optimiste s’étiola.
Inflorescent. Blanc. D’abord. Oui mais du lys à l’aphte un
empan. Air plus bleu aussi plus resserré.
- 133 -
L’ambiance avait imperceptiblement changé depuis le
dimanche d’avant. Pleins de petits signes encore. Des séries
de chiffres bizarres. Frémissants. Plus de monde. Une foule
d’hommes beaucoup plus silencieuse. Froncée.
Monochrome et attentive. Faisant semblant de vaquer ou
pulsant mais mal moins de civils aussi. Bref ça puait le piège
à con.
On m’introduisit dans un petit bureau tilleul avec
plein de têtes punaisées aux murs. Je reconnaissais des
ennemis. Puis des amis. On me fit attendre quelques
longues minutes et un gradé entra en m’attaquant comme
ça presque léger tandis j’identifiais sur fond tilleul une vieille
photo de moi prise par Olga. Libellule d’un libellé :
« Alors Monsieur Ikillu ? C’est quoi cette affaire
d’affaire ? De keufs relou et tout et tout et de vous laisser
repartir comme ça ? »
Oh non pauvre Miki. Trop con le mec. J’étais sur
écoutes. C’est ce qui me traversa l’esprit. Mais je ne pipai
mot préférant déployer tout autour de moi cette grosse
gerbe de points d’interrogations que je savais disséminer à
bon escient quand parfois je voulais prendre l’air innocent.
Un vrai colonel surgit avec encore plus de barrettes sur les
épaules.
« Alors Monsieur Ikillu ? On nous a beaucoup parlé
de vous. Vous le saviez ? Oui ? Non ? Alors on en a
beaucoup parlé entre nous. Puis on a décidé de vous inviter.
Voilà. Je ne sais pas si vous savez mais on a plein de billes
dans notre sac et elles vous concernent. Toutes. Il nous
manque juste encore quelques petites pièces pour
reconstituer tout le puzzle. Vous allez nous aider n’est-ce
pas ? »
Je répondis oui. Un réflexe. Et ce colonel repartit
vraiment pressé en récupérant un cartable.
- 134 -
« Heu excusez-moi messieurs » Tentai-je devant la
foule de moustachus bleus qui se bousculait en entrant.
« mais je vois mal le rapport avec le bug. Là. Et puis
d’abord quel est ce problème de billes ou de puzzle que vous
semblez avoir tout d’un coup ? Je suis un peu perdu. Je dois
avouer.
— Avouer ? Comme tu y vas fils » Surrenchérit le
premier « Mais on sait déjà tout et depuis longtemps tu sais.
On sait par exemple que c’est toi qui conduisais ce soir-là
on sait que c’était un jeu que ça a tourné au vinaigre on sait
que vous vouliez juste lui faire peur mais pas lui faire trop
de mal on sait que c’est pas toi qui as tiré on sait que c’est
un accident. Voilà. Ça va ?
— Un accident ? »
Tout ça sans me dire : Jouer avec qui. Tirer sur quoi.
Quand ? Où ? Comment ? Comme si tout ça était sousentendu depuis le début.
« On veut juste savoir qui est ce Fix.
—…
— QUI ? EST ? CE ? FIX ?
— Fix ? »
Je me retrouvai au milieu d’un cercle de plus en plus
sympathique et devinai pour éviter tout contact avec ces
hommes qu’il serait judicieux de changer de registre.
Après quelques atermoiements légitimes un semblant
de catatonie etc il faut se mettre à ma place quelques
gratouillis et après avoir tirer à mort sur mon mégot il est
vrai que je m’entendis couper court : « Ok. C’est bon on
arrête tout. »
Le cercle put s’ouvrir. Et se convertit en hémicycle
très très très ouï. Enfin je mesurais combien vraiment j’étais
un pur enculé dans la vie. Je fis donc peu à peu semblant de
craquer en tout déballant lentement puis le plus vite possible
pour vraiment faire speeder le pauvre sténo.
- 135 -
Cette histoire d’accident venue d’on ne sait où un vrai
miracle me plaisait bien tout d’un coup. Olga ? Putain de
balance. Tout fut converti à la vitesse éclair en l’espèce de
légitime défense d’un éventuel jeune plaisantin Fix à moitié
terrorisé par une éventuelle méchante racaille énervée
Valérie qui s’était prise la décharge dans l’abdomen par pur
accident donc. Évidemment je sentais qu’il n’allait pas
tarder à être bienvenu de cracher le vrai nom de Fix vu que
ça faisait partie du jeu des petites pièces manquantes pour
finir le joli puzzle. Et que là il aurait été malvenu voire
douloureux de tricher je le sentis.
« Allons-allons » Qu’un gentil enquêteur me
demanda d’un ton badin comme pour me réveiller : « C’est
qui ce Fix ? Son vrai prénom par exemple ça commence par
quelle lettre ?
— F ! » Tout fier de connaître la réponse.
« Tu te fous de nous Miki ? F c’est pour Fix !
— Oui mais ça vaut aussi pour son vrai prénom je
vous assure. »
Voyant que je venais de me faire baiser depuis que
j’avais mis comme ça un doigt dans la balançoire quelques
minutes avant et sachant que ce jeu du Chat et de la Souris
mixé avec des Chiffres et des Lettres pourrait aussi bien
durer encore des heures voire des jours voire des années je
déballai la suite comme si vraiment rien dans la vie ne valait
plus rien. Ce qui là était le cas.
« R. A. N. Ç. O. I. S. X. A. V. I. E. R. T. U. L. A. R.
T. Voilà. »
Ce qui lettre par lettre me sembla particulièrement
indolore.
« Bien. François. Xavier. Tulart. Pourquoi Fix alors ?
Il se fixait à quoi ton petit camarade ?
- 136 -
— François. Xavier. F ! X ! Fix ! On n’a jamais été
du genre à se piquer si vous voyez ce que je veux dire. On a
peut-être eu bien des défauts mais pas celui-ci. »
Durant ce long moment suspendu où tout le monde
semblait faire mumuse avec tout le monde évidemment je
décrochai du présent et me mis à halluciner cette scène des
aveux comme filmée par en-dessus puisque je devins
connement cette caméra collée au plafond. Si bien que
l’autre moi-même resté assis en bas dut commencer à
s’étirer mollement à surjouer et à exulter les bras en croix
tout en arborant ce sourire lumineux comme si vraiment il
se moquait de la terre entière.
Ce qui était le cas. Si bien qu’il se fit méchamment
secouer par un nouvel enquêteur qui lui par contre
interprétait très bien le rôle du méchant. Si bien que le Miki
du haut et celui d’en bas en déduisirent qu’il valait mieux se
ré-associer vite fait et ils décidèrent de concert de se justifier
en disant au flic méchant que s’ils se tenaient si mal tout
d’un coup eux Miki1 et Miki2 c’est qu’en fait ils ne s’étaient
jamais senti aussi bien et que s’ils souriaient ainsi
benoîtement c’était sans doute à cause de tout ce bien-être
que leur procurait cette séance des aveux. Evidemment
cette version elle-aussi tenait. Si bien qu’— au bout de
quelques heures après avoir dû répéter bien dix fois cette
histoire de vinaigre réappropriée toujours la même tant que
faire se peut et décrit par le détail tous le processus acétique
en foutant tout comme il se devait sur le pauvre dos du
pauvre Fix — ils me dirent : « C’est bien c’est bien fils. » En
me tripotant l’épaule.
Je fus pris d’une telle migraine en réalisant ce qui
venait de se tramer. Quelle peine pour mon père ma mère
leurs frères et leurs sœurs et surtout pour le pauvre Fix que
- 137 -
par pitié devant mon air pâlot on m’offrit un Tranxène. Je
me sentis alors autorisé à solliciter en leur très haute
bienveillance l’autorisation de prendre congé pour aller
m’écrouler sur le lit en béton qu’on me proposait dans
une chambrette attenante.
Là ? Je me lovai puis m’endormis dans une
couverture kaki qui décidément sentait juste un peu le vomi.
Pas le mien. Pas encore. Là. Purement vidé et soulagé.
Lundi 10 mars 1994’
Le lendemain matin on me réveilla avec « Encore une
belle journée de soleil ! » et un gobelet de café et je fus
déféré au palais où l’on me présenta mon juge d’instruction
une jolie débutante toute sérieuse et froncée. Encore tout
redéballer. Le truc flou les cyprés les cèpes le vinaigre sa
mère tout ça. En s’en tenant aux strictes déclarations de la
veille. J’ai rien vu juste entendu. Mais ma jolie juge me
coupa en me tendant un jeu de photos et me dit d’une voix
qui tombe : « Veuillez examinez attentivement l’ensemble
de ces documents. S’il vous plait monsieur. »
Je ne compris pas trop puisqu’il s’agissait d’une pile
de photos en 13x19 noir et blanc brillant-margé d’organes
en vrac totalement déballés dans des cuvettes en alu. Des
mètres d’intestins un coeur un foie des poumons et puis
plein de petites choses en charpie que là décidément je ne
reconnaissais pas. Je me dis que c’était bien le genre de
photos que j’aurais pu moi-aussi collectionner. Or au fur et
à mesure des images je voyais bien que le tout sortait d’un
abdomen voire d’un thorax et pendouillait en tas de part et
d’autre d’un tronc. Puis tout se retrouva rentré comme par
miracle bien à sa place bien rangé dans ce qui pouvait être
une fille coupée en deux.
- 138 -
Mais zoom arrière au fur et à mesure des photos et
tout se retrouva recousu-recousu avec du gros fil noir. Je pus
enfin voir la tête « Vous reconnaissez votre victime ? » toute
de traviole les lèvres pincées et clignant de l’oeil pour
l’objectif. Je marquai un temps d’arrêt. « Mais ...
— Vous reconnaissez votre victime ?
— Mais on lui a jamais fait ça c’est dégueulasse. »
Quelques larmes voulurent pointer mais elles
hésitaient à dévaler.
« Ça ? Ça s’appelle une autopsie. Vous reconnaissez
donc votre victime.
— Mais non. Pourquoi vous lui avez fait ça ?
— Ça ? C’est la loi. Vous reconnaissez votre victime ?
— Oui » très faible et en reniflant.
Un nouveau miracle se produisit. Une vraie larme
surgit à gauche et se mit à dégouliner lentement. Je la laissai
opérer son long parcours sans l’essuyer digne et touchant
pour que la juge la voie bien puis je choisis de me taire en
regardant dans le vide. En bas à gauche. Comme un mec en
train de réaliser ce qu’il pouvait bien être aux yeux de tous.
Ce qui fut aussi le cas.
Alors ma jolie juge silencieuse me tendit une Menthol
puis me l’alluma avec son briquet doré. Mais
« Personne n’aurait un Kleenex ? Ou un Lotus ? »
c’est ce qui m’échappa comme à quelqu’un qui se
réveillerait presque joyeux. Ce qui fit trésaillir la juge sa
greffière et la tripotée de flics.
« J’aimerais bien pouvoir me moucher si la chose est
possible » L’air à nouveau digne dans sa douleur. Et la jolie
juge m’offrit un plein paquet de Leader-Price à la menthe et
c’est là que vraiment je tombai amoureux.
- 139 -
« Je vais être obligée étant donnée la gravité des faits
homicide volontaire je vous le rappelle de vous incarcérer.
En avez-vous bien conscience Monsieur Ikillu ? » S’excusant
presque dans le ton comme si c’était sa première fois.
« Oui je sais point d’illogisme Madame vous faites
votre métier. »
C’était comme si complètement taré je le lui avais
autorisé.
Lundi 10 mars 1994’’
Vers 12h34 en débarquant à SteAnne maison d’arrêt
d’Avignon je fus d’abord happé par la pure odeur fécale qui
y régnait. J’étais tombé bien bas là dans l’égout le vrai et
pour un mec comme moi il y avait vraiment enfin de quoi
exulter. Au greffe on me sermonna sur les règles de la
zonzon demanda si j’étais malade ou pas homo ou pas je ne
sais plus trop quoi ou pas et on m’inspecta rigoureusement
l’ampoule rectale. Puis me demanda de tousser penché
comme s’il pouvait bien tomber quoique ce soit du genre
calibre lime lame poudre seringue fil d’ange scie ou que saisje de prohibé. On m’abandonna après dans le pire endroit
au monde au rez-de-chaussée dans ce qu’ils appelaient la
cellule des arrivants où l’on ne devait soi-disant stagner que
quelques heures avant d’être dispatcher aux étages dans tel
ou tel quartier. Braqueurs pointeurs assassins isolés
infirmerie mineurs mitard reubeux femmes toxicos
travailleurs. Où allais-je bien pouvoir atterrir ? Or à cette
époque tout était plutôt mélangé sauf pour infirmerie mitard
femmes et mineurs je l’apprendrais après pour des raisons
de sur-effectifs vu que Ste Anne était à cette époque pleine à
on va dire 300%.
- 140 -
Et là enfin tout seul dans ce cloaque dit des arrivants
ça ne traina pas je me dis qu’il était temps de lâcher la
rampe ;
attendu que mon juge autre sosie d’Helena Bohnam
Carter les flics le directeur les matons et toute la zonzon
s’étaient amusés à me faire comprendre que j’étais parti
pour un long voyage de 20 ans ;
attendu que j’étais tombé pour homicide volontaire
HV étant tamponné en rouge et de traviole sur mon dossier;
attendu que Fix mon bon complice de copain
interpellé entretemps grâce à moi-même mais surtout grâce
à Olga devait hésiter je le comprenais à avouer ce qu’il
n’avait pas fait.
Rapidement j’envisageai le carreau cassé de la
fenêtre. J’allais me trancher la carotide la jugulaire ou la
fémorale une des trois ou les trois très vite et sans trop
réfléchir ;
attendu que tout était d’une clarté limpide et que
comme on dit il n’y avait plus trop d’espoir pour moi ici
maintenant ;
attendu que mes perspectives d’avenir étaient plus ou
moins bouchées à long terme et surtout
attendu que le reste quand je serais libérable à
quarante ans à poil gris et édenté ne m’intéressait pas
vraiment.
J’escaladai le gros tuyau brûlant et arrachai à la
fenêtre défoncée un petit triangle de verre tout incrusté de
vieille merde projetée qui trônait comme ça à trois mètres
de haut. Mais au moment où je m’apprêtai à commettre
l’irréparable j’entendis ceci.
La clameur.
- 141 -
Un truc inédit long général sauvage sans fin jamais
ouï. Assemblée de T-Rex de lions et de babouins à la fois.
Plein de fureur de joie de haine et de trémolos vibrants.
J’étais dans le zoo et un but venait d’être marqué à la télé
par l’OM ou que sais-je genre nous. Là forcément je
marquai un temps d’arrêt. Dus me gratter la tête avec le
triangle. Réfléchir posément. Hésiter. Puis me relever et
dire tout haut :
« Non ! Je reste ! Ça ça m’intéresse. Ça ! Le cri. Ça ça
m’intéresse. »
Le cri je voulais l’entendre encore la sauvagerie la
vraie démultipliée et c’est ainsi que je décidai de survivre et
de jouer moi-aussi au sociologue ou ethno-musicologue ou
éthologue à mon tour donnant-donnant jusqu’à la fin des
temps. Poète je ré-examinai mon morceau de verre arraché
et me dis que si je m’étais raté là à l’instant d’avant je me
serais quand même super infecté avec ce triangle-là
résolument le plus infect du monde et que tout septicémique
je serais quand même mort après. Il y eut encore une forme
de secousse dans l’air comme si une foule immense
s’ébranlait au dessus de moi et à nouveau la clameur.
C’est là après un drôle de clic clac crac clang que la
porte s’ouvrit et qu’entra en scène Maurice le Gitan. Sous
les applaudissements et les cris de joie du couloir en liesse
sans doute à cause d’un nouveau bubut. Ou action. Maurice
ce gominé. Complètement emplâtré de la tête aux pieds.
Avec ses béquilles sport. Bleu blanc rouge fluo. Tout
classieux vulgaire et souriant. La cigarette aux lèvres et
puant le Petrole Hahn à deux mètres.
Après les présentations d’usage
« T’es tombé pour quoi ?
— Meurtre. Et toi ? »
- 142 -
il m’avoua être là juste pour la nuit vu qu’ils seraient
jugés le lendemain lui et ses frères mais que lui étant sorti en
provisoire six mois avant il n’allait rien choper juste du
sursis contrairement à eux c’est pourquoi il était entré avec
une pure cargaison de shit huile herbe dreu et cachetons. Le
tout planquée sous ses plâtres factices. Et il avait hâte de les
retrouver tous ses frères le lendemain pour leur refiler le
trésor. À eux et à eux seuls.
Pour prouver sa bonne foi il sortit d’entre ses orteils
qui dépassaient la plus molle barrette d’Afghan du monde à
37°C et on en roula un tranquille. Puis deux puis trois puis
quatre. Une heure plus tard à la fenêtre toute défoncée je
chantais pour toute la taule :
« J’irais bien me balader. Seul avec ma fiancée. Dans
les bois dans les prééééééééééééééés. Lui montrer ma
mobylette. Ma nouvelle paire de basket. Ma provision de
suceeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeettes.
Oooooooooooooooooh eho ehoooooooooooooooooooo.
Oooooooooooooooooh eho
ehoooooooooooooooo. »
Lundi 10 mars 1994’’’ Dédé alias le Général alias le
Naturaliste Camarguais me fit pâlir quand vers 17h30 à
moitié défoncé et parano suite à la tripotée de joints de
Maurice je débarquai tout beau tout neuf dans cette cellule
pour sept de 15m2 si proprette et astiquée que c’en était
suspect. Car après les présentations d’usage « T’es tombé
pour quoi ? — Meurtre. Et toi ? »
Dédé s’en vanta en sourcillant et ça semblait un
rituel bien huilé : « Ah moi ? Tu sais. J’aimais bien avant
dehors j’avoue c’est vrai empailler un petit peu tout ce qui
bougeait dans mon marais. Tu vois ? Flamands dauphins
rats musqués ragondins taureaux thons aigrettes et petits
garçons. Eh ouais. Je suis tombé pour une quinzaine de
meurtres sur mineurs. Ça va jeune ? Et c’est vrai aussi que
- 143 -
j’aimais bien des fois me les farcir avant pendant ou après
leur avoir coupé le kiki. Voilà ! Ok ? Ça va petit ? »
Ce qu’il eut l’honnêteté de m’avouer un peu
abruptement comme s’il parlait de quelqu’un d’autre tant il
avait l’habitude à force au bout de trois ans à attendre son
procès d’enjoliver en bassinant la cellule avec sa nature sa
pêche sa chasse dans les boites d’Arles de Nîmes de
Tarascon de Palavas ou de Carnon.
Cellule 132 après mon tout premier repas hummm
les bonnes papâtes bien cuites-recuites au bon jus de
Tchernobyl et durant la partie de tarot réglementaire où
tous je le sentais étaient déjà en train de tester mon humour
je reconnus peu à peu mes cartes à la mains et je mis de
longues secondes à l’admettre Dédé la défonce mon ex-faux
garde champêtre ardéchois oui mais là comme rajeuni et
renforcé avec des dents toutes neuves trop blanches. Drôle
de surprise. Lui ? Un putain de tueur en série ? Oublieux de
notre toute première rencontre moi-aussi je m’étais assagi
en quatre ans Dédé jouant avec son dentier ample et
majestueux lança d’un coup comme ça en l’air mine de
rien :
« Bon stop ! Les gars ! On attaque ? »
en s’adressant aux autres Jesu Marin Enzo Lulu et Jo
tous à moitié italo-espingouins. Et l’un d’eux Lulu reprit
même comme ça :
« On attaque ? Maintenant ? Maintenant ? »
Et Dédé confirma.
« Attaquons ! Attaquons ! »
Comme si il n’en pouvait plus à force d’attendre. Je
me demandai quelle pouvait bien être cette histoire
d’attaquer-attaquer maintenant-maintenant étant hélas déjà
persuadé qu’il ne pouvait qu’être question pour moi
maintenant que de passer à la casserole et de me faire
sauvagement éclater le cul au dessert comme dans les films
- 144 -
par ces six vieux pervers proprets tous sans doute tombés
pour la pointe même que c’était un scandale qu’on m’ait
mis dans cette cellule pour longues peines. Sans doute
voulait-on en très haut lieu me faire payer double pour mon
exaction à moi somme toute assez insignifiante selon la
version officielle et j’en déduisis que décidément je vivais
dans un monde pourri.
Je pâlis donc en laissant tomber mon pauvre jeu de
cartes et dus murmurer très faible d’abord puis en me
raclant la gorge après :
« Qu’est-ce que c’est donc les mecs que cette histoire
d’attaquer-attaquer ? » et en choeur morts de rire ils me
répondirent l’air énigmatique et plein de sous-entendus
vicieux :
« Ah ben ouais nous quand on attaque on attaque.
— Et on attaque bien tu verras. Ça fait mal sur le
moment mais après le résultat est joli joli joli. Tu verras j’te
dis. »
Je pâlis donc un cran de plus m’imaginant mal servir
soudain de jolie petite soubrette pour tous ces purs empaffés
de sadiques grisonnants et violeurs d’enfants vu que j’avais
juste vingt ans et que malgré mon air glacial je savais hélas
être plutôt mimi par en dessous. Alors eux n’en pouvant
plus devant mon air que je ne saurais qualifier puisque je ne
me vis pas écroulés tous les six sous la table crurent me
rassurer ainsi :
« Mais non fils ton cul on n’en veut pas. Pas encore. »
en redéconnant.
« C’est juste l’heure du tattoo petit. Ici après le tarot
y’a tattoo. Tous les soirs. On s’attaque à fond. T’inquiète. »
Et ils se défroquèrent tous ce qui se révéla très
inquiétant. Ils s’apprêtaient à se tatouer les uns les autres
par paire sur les cuisses sur le dos et ailleurs toutes les
- 145 -
motocross roses et autres coeurs brisés poignards couchers
de soleil et croix stylisées que ces gros cons de taulards
aguerris et plaisantins pouvaient bien imaginer. Ou
recopier.
Tout ça en se faisant saigner à mort les uns les autres et en
suant et puant comme il se devait.
Tel le gros clown foireux qu’il était son aiguille à la
main et ses demi-lune sur le nez tricotant cette rose insipide
sur le cul de Lulu Dédé crut bon d’ajouter :
« Wo petit t’ies encore tout pâlot t’iang veux de la
couleur ? »
Là : Auditionner Gérard Meylan dans un film
d’horreur tourné par Guédiguian.
« Tieng ! » en me montrant sa belle collection
d’encres chinoises bien rangée en dégradé dans sa vieille
boite de godasses à moitié rafistolée.
« Tu verras t’y prendras goût toi-aussi à force. Hè ? »
J’étais le bienvenu. Je retrouvais mes couleurs. Le
sang avait cessé de battre à mes tempes car avant je m’étais
tenu prêt au grand déménagement brutal à coup de
tabouret circulaire imprévisible sur toute la tablée qui leur
eût arraché la gueule à tous ; mais finalement là en vain et
pour des clopinettes. Au couvre-feu vers minuit je
m’endormis épuisé et comme rassuré par tant de
convivialité tandis que la 132 continuait à déconner en
gloussant dans l’obscurité.
Lundi 17 mars 1994
Sas. Queue leu leu. Sas. Couloir. Sas. Escalier. Sas.
Salle d’attente. Sas. Détecteur de métaux. Sas. Foufouille.
Fous-toi à poil. Tourne-toi. Penche-toi. Tousse. Retournetoi. Ouvre le bec. Tire la langue.
- 146 -
Montre tes chicots du fond. Rhabille-toi. Couloir.
Parloir. Trouve toi-même ta famille tes amis ton père ta
mère. J’avais trouvé. Deux silhouettes à contre-jour me
rappelaient quelque chose agglutinées dans un réduit du
genre cagibi. J’ouvris la porte vitrée. Un petit muret crépi
nous séparait. Trois chaises d’école. Pas de grillage. Pas de
vitre blindée. Pas d’hygiaphone. Mais deux paires d’yeux
rougis qui m’attendaient. Trois gorges se serrèrent. Nos
mains se prirent très fort. Main gauche dans mains de père.
Main droite dans mains de mère. Mes parents se
redressaient pour m’embrasser. Une joue chacun. Pris en
étau j’embrassai en retour leurs joues ointes de larmes. On
s’assit. Assez long silence. Ma mère put articuler :
« C’est vrai ce qui s’est passé ? C’est vrai ce qu’on
nous a dit ? »
Mes yeux brûlants s’étaient fermés car mes cervicales
avaient acquiessé.
« Mais on n’a rien vu.
—…
— Comment as-tu pu nous cacher ça si longtemps ? »
—…
J’avalai de la salive. Le visage de ma mère était
détrempé. Ma glotte avait fait un drôle de bruit. Mon père
se statufiait. « Je ne sais pas.
—…
— Je ne sais plus rien.
— Ça va ? Tu n’as rien à nous dire ? On ne t’a pas
fait de mal au moins ?
— Personne ne peut me faire de mal.
— Tu es sûr ? Tu nous le dirait ? On peut te faire
changer de cellule si ça ne va pas. On peut …
— Tout est ok maintenant. Ça va mieux. C’est avant
que ça n’allait pas.
- 147 -
— Mais on n’a rien vu. Comment a t’on pu ne rien
voir à point-là ?
—…
—Tu aurais dû nous parler. On t’aurait aidé.
— Tout est dans mes tableaux. Pardon.
— Mais c’est toi qui a tiré ou pas ?
— Fix a tiré. Moi je conduisais.
— Mais lui dit que c’est toi.
— Normal mais c’est faux.
— On te croit on va tout faire pour te tirer de là.
—…
— Tu sais quand les gendarmes nous ont convoqués
et dit que tu avais tout avoué en rentrant j’ai voulu me »
Voir un fleuve sur le visage d’une mère déformée. « J’ai
voulu me. Me. Mais au moment où comment ? j’allais le
faire tu es apparu.
— ???
— Si. Et tu m’as dit non maman non ne fais pas ça il
y a un espoir je vais m’en sortir tu verras et je ne veux pas
que tu manques ça. Tu souriais alors je ne l’ai pas fait.
Mes yeux brûlèrent davantage. Si brûler davantage
était possible. Ma voix était ferme. Une partie de moi n’était
pas là.
« La prison ? C’était dehors. Je vous assure. Tout va
aller très très bien maintenant. Croyez-moi.
— Tu as besoin de quelque chose ? Dis-nous. On va
te prendre le meilleur avocat.
— Oui. D’argent. C’est tout. Une grosse quantité de
fric. Tout est payant ici. Je savais pas. Télé papier-cul trucs
mangeables stylos blocs timbres radio Ricoré oui y’a pas de
vrai café ici rasoir tabac clopes journaux. Tout.
—…
- 148 -
— Tiens au fait je me suis déjà abonné à Positif et à
Libé comme ça au moins je pourrai entendre tous les matins
Mikiiii ! Libération ! »
Voir le sourire triste de ses parents.
« Ok. On te laisse un mandat. Deux mille francs ça
ira ?
— C’est un bon début. Je devrai pouvoir tenir la
semaine.
— Tu te fais racketer ?
— C’est pas mon genre. Vous savez. Disons qu’on
m’a déjà avancé quelques trucs.
— Quoi ?
— Une foultitude de trucs.
— Bien. Tu fais attention au sida. »
Imaginer sa propre tête offusquée à travers le regard
lessivé de ses parents.
« Hahaha. Ah oui c’est vrai. Non c’est pas trop mon
genre non plus.
—…
— Pourquoi ? Vous aviez quelques doutes ? Non le
seul risque ici c’est l’encéphalite il va falloir me faire rentrer
une grosse quantité de livres. Ok ? Je vous ferai une liste.
— Bien. Compte sur nous. On est avec toi mon petit
Miki.
— Mais moi aussi je suis avec vous. Maintenant.
Merci. Merci de le prendre comme ça.
— Tu es notre fils.
— Je sais. »
Adieux déchirants mais dignes. Je m’attendais à pire.
Nos dix minutes s’étaient écoulées. Embrassements. Mon
père n’avait pas ouvert la bouche. Normal. Juste émis un
début de larme et quelques tousseries et soupirs. En partant
il me jeta un regard que je ne lui connaissais pas.
- 149 -
Mélange d’amour et de reproche. Je lui répondis en
clignant de l’œil gauche. L’air sévère. J’assure. Maintenant.
T’inquiète.
? 04 avril 1994
Enzo faisait semblant de déféquer derrière le petit
muret car il avait décidé de s’arracher une veine de l’avantbras du poignet jusqu’au coude. Cependant il ne répandit
qu’un litre de sang ainsi que quelques vagues lambeaux
verts et bleus tout entortillés dans nos toilettes à la turque.
Grâce à la molle microlame d’un bic jetable on imagine
difficilement la prouesse. Une fois recousu ou agraffé
n’importe comment en revenant de l’infirmerie quelques
heures plus tard il se fit salement bousculer par les matons
qui l’escortaient en le chariant. Alors il se débattit en vue de
s’éclater la tête contre un mur de rage en regagnant la
cellule jeté comme une merde. Je le réceptionnai puisque
j’étais le plus près puis tentai de l’immobiliser mais malgré
son état et son mètre soixante-cinq Enzo avait une force
surhumaine et il me fit mal alors ce rigolo avec son envie de
mourir à tout prix. Mais les autres me prêtèrent main forte
et on arriva à le calmer en lui caressant le front à coup de
« Alors alors alors ça va pas non ? T’es pas bien ici avec
nous ?
— Si. »
Sa mère avoua-t’il après à toute la 132 en reniflant
venait juste de lui dire au parloir qu’Adolph son vieux
Pitbull avait eu une attaque et risquait d’y passer d’un jour à
l’autre. Ce qui ne faisait pas partie des raisons dites valables
pour se saigner et je ne pus m’empêcher de me payer à
contretemps un grand éclat de rire interne en visionnant
dans mon for intérieur une vieille teupu à la retraite avec
son cabas et sa toque tentant de traverser par un soir d’hiver
- 150 -
pluvieux et glacial cette putain de Cannebière tout en
trainant sa vieille loque d’Adolph obèse limace toute
paralysée du train arrière pour l’emmener se faire piquer
chez le veto d’en face au risque elle-même de se faire
écrabouiller par une bagnole tant vraiment le monde
extérieur était et avait toujours été ce truc cruel.
Le lendemain ? 05 avril 1994 ce fils de pute d’Enzo
était tout penaud.
« Comment on fait alors Miki si on coagule aussitôt ?
— Prends de l’aspirine avant. Espèce de taré. Ça
liquéfie à mort à ce qui parait. » Ça le soulagea d’entendre
ça.
Ste Anne le 21 avril 1994
Là : Imagine une belle cellule de moine cubique enfin
presque d’environ quatre mètres d’arête enfin presque
puisque le plafond est en voûte céleste style roman.
Imagine sept personnages immobile ou presques.
Là : Imagine en fond sonore une musique secrète comme
j’aime György Ligeti Lux Æterna.
Imagine sur un poste télé encastré à deux mètres de haut un
dessin animé dont la bande-son ingrate vient se méler au
chœur à la fois sourd ample et aigu du GL cité plus haut.
Là : Imagine des murs tilleul sur lesquels ont été collées puis
arrachées des générations de femmes à poil. Quelques bouts
de femmes moisis subsistent dans les recoins les plus
inaccessibles.
Le tout est assorti d’imprécations graffitées et autres
scarifications murales assez discrètes ; + quelques cloques
dans la glycéro où l’on à force voit des visages amis.
- 151 -
Ici : Imagine une table branlante et sept tabourets tout aussi
branlants. Formica. Vides. Car les sept silhouettes gisent sur
leurs lit.
Il est onze heures du matin. Un rayon tente de pénétrer la
cellule enfumée par un fenestron situé plein-est.
Là : Noter la présence de barreaux rouillés et huileux
assortis d’un grillage très serré. Cette fenêtre est ouverte. Ça
vaut mieux à cause de l’odeur.
Là : Imagine Ligeti cédant sa place à un baroque anglais
style Purcel Henry. Orgues et voix de castras ô homme
pleure sur tes lourds péchés se mélent à un autre dessin
animé.
Six faces crispées sont maintenant braquées sur la télé. Un
seul regard reste baissé.
Là : Imagine le septième passager assis sur son lit le dos
douloureusement enchassé dans l’armature métallique du lit
superposé il occupe celui du bas ce septième personnage
donc un casque FM sur les oreilles écrit oui mais il ne sait
même pas encore à qui.
Là : Imagine Purcel ou son clone lui aussi devant céder sa
place à une musique des plus dissonante. Sourire. Enfin. Le
septième personnage cherche ses mots roule une cigarette
augmente le volume. Il veut de toute évidence en avoir plein
les oreilles de ce bruit-là car les dissonnances du dehors ne
sont que pures douceurs comparées aux dissonnances du
dedans. Amère volupté.
L’un des six autres clowns met la table. C’est normal
c’est comme par hasard son tour aujourd’hui. Yeux cernés
mégot pantoufles barbes de trois jours jogging gris odeur
âcre de sueur froide normal c’est la peur il vient de
débarquer.
Suspendu le néon toujours allumé est recouvert de
lambeaux de couvertures kaki histoire d’épargner la rétine
des clowns. Si fragile.
- 152 -
Le septième personnage rallume son mégot à lui fixe la
porte blindée et applaudissement FM c’est la gamelle qui
entre.
Alors il se gratte mord son bic bleu et jette un regard plein
de souffrance vers l’écran car X-Or vient de commencer.
Repas. Attente du courrier. Il y a des jours avec et il y a des
jours sans.
Le septième nain prie pour que ça soit un jour avec. Mais il
n’est pas le seul. La vaisselle est en train de se faire. Le
nouvel esclave s’applique.
Là : Imagine une musique concrète assonnante très belle.
« Equivalence » de Jean-Claude Eloy. 1963. Fond fixe
amorphe. Larges plages dans les registres aigus. Chocs
accélérés puis ralentis. Allant très bien avec la vaisselle.
Mais l’ambiance s’étiole inepte. Salle d’attente. Huis clos.
Saloperie sousjascente. Blabla heureusement inaudible pour
le narrateur et septième assiégé avec son beau casque Sony
tout neuf sur les oreilles.
Miki.
PS : Aujourd’hui a été un jour avec chère et belle
Zaza. Tu es ma Blanche Neige du jour. Tu as donc droit à
cette bafouille.
J’ai réceptionné ta lettre vers 13h13. Demain je
crains que ce ne soit le même topo.
Avril-mai 1994
Je ne pus m’empêcher dans les jours qui suivaient et
cela dès réception de leur toute première missive d’envoyer
ce même courrier oui mais en changeant les prénoms du
post-scriptum à une trentaine de filles à qui mon grand ami
- 153 -
Jip avait heureusement pu donner mes toutes dernières
coordonnées.
Mr Ikillu
57302K. Cell 132.
35 bis rue Banasterie. BP 109.
84035 Avignon cedex.
Le mot « Maison d’Arrêt » ne figurant pas dans le
libellé de l’adresse une ou deux connes mirent un temps fou
à croire à mon arrestation véritable pensant encore que je
déconnais à distance. Sur l’unique vieux PC ronflant de
« l’école » je leur avais donc confectionné une copie de la
lettre à Zaza oui mais comme personnalisée puisque
transmutée « pour elles et elles seules » en une vraie chose
poétique illisible de trois pages car passée à la moulinette de
mes bugs en prenant bien garde par la suite d’insérer le bon
prénom dans l’enveloppe qui y correspondait. Puis je
réclamai à Jip d’autres correspondantes car j’estimais que je
n’en avais pas assez.
??? juin 1994
Abdel un barbu viré du G.I.A. se retrouva
complètement prostré dans la cour quand après s’être vanté
d’avoir enculé Lulu Lamy dans les douches je m’étais
moqué de lui :
« Là man t’as déconné t’es sûr d’être plombé là
man. »
Il ne s’en remettait pas.
« Wo ! Miki ? Tu crois que je l’ai attrapé le sida ?
— Sûr ! »
Miki le moqueur. Abdel était arrivé deux mois avant
remplaçant Marin dans la 132 un anonyme libérable.
- 154 -
Abdel ? Un arrivant la tête en sang après son accident dans
une course-poursuite avec les flics suite au braquage d’une
pompe à essence où ils avaient lui et ses deux complices
viandés et grillés violé leurs deux otages une sorte de vieux
couple de pompistes crasseux. Après l’accident et la fusillade
qui avait suivi les flics lui avaient lâché un berger allemand à
Abdel qu’il avait dû achever à la main faute de munitions il
avait été entrainé pour ça en lui arrachant la mâchoire
rapido au risque lui-même d’y laisser une couille ou deux
tant l’autre était enragé. Mais ce Rintintin était gradé une
sorte de lieutenant chez les chienchiens et les flics l’avaient
vengé en laissant Abdel à poil pendant douze heures
menotté à un radiateur et même qu’ils lui avaient pissé
dessus un peu chacun à tour de rôle genre chien-chiens euxaussi.
Deux mois plus tard (donc) après sa douche avec Lulu
le Sida tout ça et quelques jours avant sa tentative d’évasion
du Palais de Justice Abdel s’entrainait à courir comme dans
les films dans la cour avec les mains jointes sur le coeur
comme s’il avait eu des menottes. Ça amusait tout le monde
pendant le grand tournoi de tarot de voir ce futur sidéen
avec sa barbe de 333 jours déambuler et tortiller du cul dans
son va-et-vient indécent et ridicule. N’en pouvant plus à un
moment donné je lui fis ce croche-patte et Abdel s’écrasa
comme une merde en s’écorchant méchamment les mains.
Il eût eu de vraies menottes c’eût été la poire. Il se releva
furax. Je balisai un peu à ce moment-là. Mais Abdel se
ravisa et sourit même en voyant que c’était moi et pas un
autre qui l’avais crocheté de cette façon si traitresse et
radicale. J’étais son ami. Le vice incarné.
Quand il s’évada quelques jours après en fracassant la
fenêtre du juge Abdel fut aussitôt coincé dans une impasse.
- 155 -
Lulu lui avait refilé un croquis foireux des alentours du
Palais et les flics s’amusèrent encore un peu plus avec lui
cette nuit-là. Après ? Abdel fut transféré dans un truc
beaucoup plus disciplinaire et sérieux et la 132 sut qu’elle
n’en entendrait plus jamais parler.
14 juillet 1994
C’était quand même un vieux costaud vicieux Dédé
tout grisouille à moitié gitan et parti pour perpette et
incontestablement à coup sûr et depuis les débuts les bras
agissants de la cellule. Moi j’en étais devenu peu à peu la
tête pensante. C’est dire l’entité parfaite que nous formions
à nous deux dans l’adversité. Ce 14 juillet-là Gérard
légionnaire d’origine pied-noire la quarantaine nouvel
arrivant authentiquement pervers remplaçant Abdel fut
complétement frappé par la moiteur sombre de la 132.
Dès 11h00 il envisagea de la ramener très fort au
garde à vous en chantant la Marseillaise devant la télé où il
y avait un défilé que personne ne regardait. Peu à peu il
voulut imposer son rythme moqueur et tonitruant à la
maisonnée en jouant les chefs d’orchestre. On lui laissa une
petite chance. Il n’en profita pas. Absorbé par mon courrier
je n’eus qu’à sourciller et m’éclaircir la gorge en direction de
mon associé. 11h30 la gamelle se pointa. Le chef nous
ouvrit. Une boule de nerfs se déchaina. On entendit un
grand couac. Gérard s’était retrouvé en pleine Marseillaise
pris par la couenne du colbac et assommé contre un coin de
mur. Dédé l’éjectait de la cellule comme une merde de
chachat lui son paquetage et son matelas. Il remuait de l’air
le Dédé. Très vite. Très fort. Et ni Gérard ni le maton de
service n’avaient eu le temps de dire ouf ni d’avertir qui que
soit. Ils avaient été mis comme ça devant le fait accompli
tandis que la 132 applaudissait.
- 156 -
Ce grand maton monsieur Fabre n’eut plus dès lors
qu’à acquiesser et à dire au pauvre mégrétiste de rassembler
ses affaires de saigner en silence dans son survêt tricolore de
moins en moins bleu-blanc de faire le mort avant qu’on ne
lui trouve un nouveau havre le plus loin possible de la 132
sinon l’administration le savait c’était pour lui la mise à
mort assurée légendaire dans les règles de la zonzon.
Bouche éclatée sur lavabo avec dents partout et tout et tout
et tout et tout.
Tous les matins malgré ce type d’échauffourées je
savais que Dédé le Grand y irait invariablement au réveil de
son : « Tieng vé un jour de plusse. Un jour de moinse. Tu
verras on les enculera tous dans l’ordre ou le désordre
t’inquiète. Ung par ung. »
Que ç’en deviendrait pathétique à force même s’il
allait y avoir des variations dans le ton tantôt enjoué tantôt
presque métaphysique.
? 1er septembre 1994
Ce presqu’ado de Jesu Christiani ressemblait
méchamment à De Niro jeune dans Mean Streets c.à.d
toute crispouille du visage et toujours très très hargneux et
dégoûté par la vie et ses aléas. Mais c’était le parfait corse
innocent vu qu’il avait été balancé lui-aussi par une salope
qui protégeait son mac pour toute une séries de casses qui
avaient eux-aussi mal tourné. Jesu avait donc pris pour
l’autre empaffé et avait été jugé comme ça à l’emporte pièce
aux soi-disants flagrants délits comme si on l’avait pris sur le
fait ce qui était impossible vu que là c’était le parfait corse
innocent. Or ce pauvre Jesu avait déjà écopé pour une
vieille affaire de deux ans de sursis et il devait donc se taper
sa peine 18 mois plus les 2 ans en question du genre
- 157 -
incompressibles. C’est dire combien il la mangeait mal sa
gamelle. En plus il était très malade tout bossu et constipé
puisqu’il avait deux énormes cicatrices recto-verso.
Fermeture éclair qui lui courait sur le bas-ventre et sur toute
la longueur du dos étant donné qu’à six ans côté recto on lui
avait enlevé un certain nombre de mètres de colon suite à
une péritonite où il avait failli y passer alors que côté verso il
avait été opéré presque en même temps d’une scoliose
dégénérative et invalidante même qu’il avait plein de vis de
plaques d’écrous et de boulons dans le dos qu’il fallait lui
changer une fois l’an durant toute sa croissance on imagine
très bien à son indécrottable rictus sa souffrance ; inclusions
qui faisaient qu’il sonnait toujours sous le portique du
parloir ; ce qui était très humiliant pour lui d’autant plus
qu’à poil devant les matons pendant la fouille vraiment il
ressemblait à un drôle de truc à découper selon les
pointillés ; ce qui occasionnait toujours ces commentaires
plus ou moins oiseux ironiques et suce-pets de la part de nos
geôliers toujours prêts à la ramener dès qu’ils supputaient
une quelconque faiblesse chez l’un ou l’autre de leurs
pensionnaires ; ce qui n’était pas très cool de leur part ; ce
qui prouve bien que ces gamins eux-aussi devaient
s’emmerder ; ce qui était leur métier ; ce qui prouve bien
qu’eux-aussi seraient à plaindre en dernière instance vu que
durant toute leur pauvre vie ils passeraient au moins autant
de temps en zonzon que n’importe quel criminel sinon plus ;
ce qui était quand même bien fait pour leur gueule.
Or moi au moins dans la cour je lui avais appris à lire
à Jesu et à écrire aussi. Pour ne plus jamais signer n’importe
quelle déposition le desservant ; vu qu’il était totalement
analphabète ; vu qu’à six ans et plus il avait passé plus de
temps sur les lits d’hopitaux que dans les cours d’école et vu
que (donc) après son retour parmi les vivants c’est plutôt au
fond de la classe près du radiateur qu’il avait passé le reste
- 158 -
de sa scolarité ; vu que ses sales instits l’avaient pour ainsi
dire complètement oublié tant il était plutôt du genre
discret. C’est dire quelle bande d’empaffés cette engeance
de soixante-huitards a pu se révéler quand on y réfléchit.
Ce premier septembre 1994 jour de sa sortie Jesu me
jura qu’il allait non pas buter tout de suite la putain de
salope et son connard qui l’avaient balancé mais plutôt les
foutre d’abord tous les deux à l’amende et au tapin jusqu’à
ce qu’il estime lui être remboursé. C’est à dire au bout d’un
certain temps car quand on paie on paie ok mais à un
moment il faut savoir dire stop et faire payer à son tour au
moins trois bonnes fois avant d’exécuter toute sentence.
Rançon. Paiement. Monnaie. Sainte Trinité.
Ste Anne le 27 septembre 1994
Chère Zaza
c’est à la suite d’un rêve où tu apparaissais
tout ce qu’il y a de plus affriolante et soumise en frétillant
dans un bain moussant où je t’enculais par devant mais rêve
qui hélas ne se terminait pas très bien pour toi qu’un
immense remords s’est emparé de moi. Ce retard dans notre
communication est imputable très chère à la richesse de mes
activités de reclus. Lecture écriture peinture et bluff.
Je peux quand même me targuer d’avoir
appris tout hey-bi-ci-di Artaud Burroughs Céline Drachline
autrement dit.
En quoi consiste au juste la vie fantasmatique du Miki
d’aujourd’hui ? Caresser la chair bien sûr immer noch mais
surtout pouvoir admirer un vrai grand ciel je veux dire
hémisphérique entier à 180° faire le derviche dans un pré
trébucher et me rouler dans l’herbe humide tel un chienchien enragé enfoncer mes doigts dans la terre sous une
- 159 -
tempête de vent et d’eau. Pas d’exagération. Voilà. Les
éléments la nature Priape dieu des jardin.
Quant à la peinture alles ist erlaubt ça me fait un effet
assez fou les formes. Mes bonnes femmes je les choisis bien
grasses de préférence et je fais l’admiration de tous
maintenant. Ça chante le corporatisme. Il faut dire que c’est
beaucoup plus pratique à comprendre ici les femmes. Je t’en
ferai parvenir une ou deux si tu veux.
Bien à toi Zaza.
C’était Miki.
Les 28 29 30 septembre 1994
je ne pus m’empêcher d’envoyer ce même courrier à
mon staff des 30 étudiantes Unef ID complaisantes. Ce qui
me prit autant de temps à recopier que si je leur avais écrit
un tout petit truc personnalisé et amoureux à chacune.
Recopiage à la main. Car on m’avait interdit l’accés à
l’ordinateur. Mon précédent mailing ayant incroyablement
inquiété d’une part le prof qui y avait vu une trop grande
dépense de papier pour mes cochonneries pleines de fautes
de frappe et d’autre part l’administration qui avait vu dans
mes afféteries stylistiques un encodage en vue d’une belle
éventuelle.
Lundi 17 octobre 1994.
Dehors il fait beau. L’affirmation a quelque chose de
prosaïque mais au bout de sept mois dans mon enclos j’étais
bien en mal d’avancer autre chose. Oui. Ce matin-là et sans
- 160 -
que l’on ne m’en avertisse avant j’avais bel et bien été
extrait pour aller faire appel en personne sur le refus de ma
mise en liberté provisoire Chambre d’Accusation à Nîmes.
Le dehors avait gardé ce côté encombré même à huit heures
du matin. Les platanes voulaient rester encore verts et les
vieux sur les trottoirs demeuraient toujours aussi laids. Je
m’attendais presque à autre chose. Sur la nationale mal
réveillé j’avais ressenti des prémisses de nausée suite aux
cahotements du fourgon cellulaire. Ce qui n’était pas mon
genre avant. J’avais associé ça au dégoût. L’horizon est trop
grand. Voilà ce que je pensais. Le soleil peut-être un peu
trop chaud. J’aurais dû avaler quelque chose aussi avant de
partir. Mais j’avais préféré occuper le quart d’heure qu’on
m’octroyait à me raser et à choisir avec soin mes habits. Je
n’eus même pas le temps d’aller aux wc. J’avais opté pour
un pantalon de velour beige pas trop moule-couille mon
polo Fred Perry gris propre et ma paire de derby marrons
que j’avais cirée. Devant ma belle allure d’étudiant en droit
ces juges n’auraient plus qu’à s’incliner et à réparer l’erreur.
J’avais poussé le vice jusqu’à me laisser pousser les cheveux
et à les rejeter savamment de côté. J’avais aussi élagué mes
favoris. Leur décision allait être favorable. J’avais chaussé
mes Varilux. Mais qu’a fait cet intello pour mériter ça ?
C’était ce qu’ils penseraient. Mais mon avocat ce pleutre
s’embarqua ce matin-là dans une plaidoirie tarabiscotée
avec plein de fautes d’accords en intervertissant notamment
ses duquel et des dont. Plaidoirie néanmoins flatteuse
puisqu’il évoqua mon QI et le fait que j’étais inscrit en
médecine au moment des faits. Choses qui si l’on en croit les
quintes de toux en cascades et les sourcillements d’en face
auraient été plutôt à charge en fait. Quand cet incapable
traita cette auguste assemblée de tas de schizo suite à leur
refus buté d’abandonner illico l’accusation de complicité de
meurtre la réponse des anciens qui ne m’avaient toisé
- 161 -
qu’une demi-seconde chacun par dessus leurs demi-lune fut
raide comme barreaux bien aimés. Sans appel cruelle et
anodine :
« Messieurs. Attendu que les faits sont particulièrement odieux et étant donné le trouble grave causé à autrui
et attendu que les deux inculpés se renvoient l’un l’autre la
responsabilité des faits pour préserver par conséquent
l’ordre public nous décidons qu’il est hors de question de
remettre l’inculpé en liberté. »
J’avais sué froid c’est tout. Après cette rengaine dans
une chambrette attenante mon avocat se perdit en
explications excuses et encouragements et il me quitta la
queue basse. Je restai de marbre tout comme ce tribunal des
grandes instances de Nîmes. Très beau. En accord donc
avec mon environnement. Toujours.
Mes gardes du corps me remirent mes bracelets
modèle 91 très confortables avec un peu de mousse dedans
et m’avouèrent que j’avais bien fait de faire appel à
Lombard Paul pour la suite car bafouilleur n°1 ne faisait
vraiment pas le poids. Eux-mêmes l’avaient senti.
Sur le retour vers midi je guettais la sortie des lycées
nîmois. La mode avait eu le temps de changer en si peu de
temps. Je me serais cru en 70. Et en l’an 2000. Les visages
étaient hâlés lisses et insouciants poupins et vides. J’eus à
nouveau droit aux commentaires des gardiens de la paix sur
la circulation :
« Mais qu’est-ce qu’elle attend cette salope pour
passer ? Wo connasse tu vois pas que t’as la priorité là ? »
J’esquissai mon sourire narquois. Ils me permirent de
fumer. À moi parce que j’avais l’air sympathique. J’enfumai
et ils toussèrent. Ils n’étaient pas si crédibles eux non plus
comme personnages si peu habitués les pauvres au tabac
gris. La vitesse ça fait du bien. Ils avaient ouvert la fenêtre
- 162 -
de devant suite à la fumée. Le vent c’est un véritable
bonheur.
En arrivant en Avignon avant de rentrer à la maison je
me mis à inspecter l’air de rien les murs extérieurs de
l’enceinte. Miam. Miam. C’était l’heure de la gamelle.
Patates ou fayots ? Pierres apparentes. C’était très mignon
tout ça. Ma geôle paraissait minuscule désuette inoffensive.
Historique en un mot. Oui mais avec des murs un peu trop
haut peut-être. En entrant je fus frappé par l’odeur familière
mélange d’égoût et de patates les néons tout ça. Patates
donc. Suite à la coutume dans un recoin je toussai penché.
Puis remontai quatre à quatre mes escaliers. Faisant encore
en route un clin d’œil ou deux à des passants puis des séries
de hello enjoués de la main aux caméras des sas
automatiques.
« Oh ? Oh ? Surveillant ? Je suis lààà ! Je suis de
retouuur … Gaaaardes ? La poooorte s’il vous plaît ! Il faut
que j’aille faire pipiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! Oh ? Oh ? Surveillant ?
Pi ! Pi ! Pi ! Pi ! Pi ! Pi ! Wo surveill-àh ? Wo cheff-àh ? Vous
m’ouvrez oui ou merd-àh ? »
Sésame bien proféré pour qu’on ouvre mon sas pour
de vrai. Et ce n’est qu’après dans mon jaune-pisse couloir
perso qu’il fallut que je me reconfectionne cette nouvelle
tête-ci de circonstance avant de rentrer en cellule. J’assure.
Grave. Après ? Je subis les sourcillements interrogateurs. La
132 m’accueillait avec son « Alors ?
— Alors rien il fait beau dehors. »
? 24 décembre 1994
Loiseau ? C’était un parapsychologue conférencier du
genre Christ à lunettes. Il arriva comme par miracle en
plein Réveillon de Noël et il nous fit aussitôt le coup du
- 163 -
Devin à table comme dans les banquets d’Astérix vu qu’on
partageait tous nos colis de 5 kg d’extra hors cantine et que
la table était littéralement surchargée de victuailles —
sauciflards jambons saucisses fromtons trucs froids papillotes
tartes bûches surprises babas yop truffes caviar teuch huitres
miches figues noix dattes dreu daubes cc civets crevettes
cachtons cornichons mortadelle pâtes d’amandes méchouïa
foie gras petits pois chocolats — trésors changeant de
l’ordinaire tendrement envoyés par tous nos proches parents
et amis du moins ceux qui ne nous avaient pas oubliés.
Au bout d’une heure de son gavage indécent après ses
36 heures de garde à vue Loiseau rassasié nous avoua au
dessert l’œil enluminé en picorant encore un peu que dès la
toute première seconde en franchissant le seuil il avait su
qu’il serait si bien accueilli ici que c’était une bonne cellule
qu’il y régnait de bonnes vibrations et que donc tout irait
bien pour lui ici qu’il était par conséquent rassuré et humble
il remercia la tablée façon Caine dans Kung-Fu. Il était
tombé pour avoir soigné à mains nues la vulvite d’une petite
fille de quatre ans dont la mère sa maîtresse du moment
avait par jalousie porté plainte. Griefs qu’il contestait
puisque la petite fille en question avait en fait deux mille ans
puisque c’était la réincarnation d’une certaine MarieMadeleine et que donc il n’y avait eu ni détournement de
mineur ni attouchements puisqu’il était sur terre pour
soigner les gens et que la sexualité vraiment si vous saviez
c’était pas son truc. Il voulait jouer au foufou avec nous ce
qui n’était pas si habile ni intelligent de sa part surtout
quand il commença à se fabriquer un pendule pour nous
prédire à tous combien on allait choper en nous baladant
son dispositif foireux sur le front. Devant nos mines
déconfites à moi il avait dit 5 ans aux autres 10-15-20 ans
son joujou n’étant visiblement réglé que sur des multiples de
5 devant nos mines déconfites (donc) il voulut à un moment
- 164 -
tempérer en disant que son truc tu vois c’était la magie
blanche pas la noire parce qu’il était trop facile de virer côté
obscur et d’occire quiconque à distance juste avec sa photo.
Ou l’un de ses cheveux. Par exemple. Pour nous inquiéter
mine de rien. Mais qu’en fait ça ne l’intéressait pas du tout
vu que c’était un Raëlien vu que son truc tu vois c’était de
cloner l’humanité et de construire avec sa bande de
canadiens des Cévennes des immenses terrains d’atterrissage
pour soucoupes volantes ou cigares volants sur la Lune et
sur Mars vu qu’ils allaient lui et les siens acquérir du terrain
sous peu là-bas. Même qu’il trouvait fort désobligeant d’être
cantonné ici avec tous ces détenus puisque ça
compromettait gravement le grand projet de sa vie.
? 02 février 1995
Or peu à peu voyant qu’il aurait le plus grand mal à
convaincre la 132 son juge et le reste du monde Loiseau
entâma sa petite grève de la faim comme tous les soi-disants
innocents et il fondit en un mois. Mais quand c’était son
tour de ménage il n’y coupait pas et nous-autres l’obligions
à frotter le sol récurer les toilettes à quatre pattes à balayer
dans les recoins mettre la table comme il fallait faire la
vaisselle à fond. Etc etc. Tout comme nous. Pas plus pas
moins. Quand c’était notre tour. Sans pitié pour son
hypoglycémie. Même quand il se mit à ne plus arrêter de
s’évanouir et de nous ennuyer avec sa litanie de vous ne me
comprenez pas.
? 05 mars 1995
Quand Loiseau se fracassa tout seul le menton sur le
lavabo en collapsant durant son tour de vaisselle il est vrai
- 165 -
que là on le balança fissa aux matons et il se retrouva à
l’infirmerie où il se fit vraiment rééclater la bouche en
beauté tant il prenait la tête à tout le monde. C’est là s’il lui
était resté encore quelques neurones au taquet qu’il eut pu
certainement réaliser combien la 132 était la cellule la plus
cool de toute la taule mais que surtout pour elle c’était un
travail de tous les jours de vigilance d’abnégation voire de
démocratie et d’hygiène et de compromis mais que surtout
on avait beau être bon Dédé et moi et tout autre centtrente-deuzart il ne fallait surtout pas nous chauffer avec
ceci ou cela.
Lundi 17 mars 1995
Ça faisait trois semaines que j’attendais la visite de
Maître Lombard mon tout nouvel avocat un ponte ou
bâtonnier de Marseille acoquiné avec Chirac. Du coup je
me sentais obligé de me raser tous les jours pour faire bonne
figure au cas où il se matérialiserait sans prévenir. Car s’il
était convaincu de mon innocence il serait convainquant.
Autant croire que propre et rasé puisse connoter innocent.
Mon précédent défenseur éjecté m’avait fait tout un caprice
suite à la concurrence déloyale mais aussi il n’aurait jamais
dû me prédire dix ans. Lui ce socialiste avec son livre en
cours Les Dessous De La Robe comme il aimait à s’en
vanter chaque fois — tandis qu’invariablement rose se
concrétisait quand je l’écoutais si avenant en faisant craquer
son string un immense vagin baveux enflant sous une
jupette. Vagin me regardant de toute sa conjonctive en
voulant à tout prix émerger de part et d’autre de sa ficelle
— plutôt que de me parler de mon affaire.
- 166 -
Ma seule fierté étant d’arriver un jour à me taper des
séances de 80 pompes ou 200 abdos d’un coup là j’y arrivais
le reste — toutes ces histoires de bafouilleurs et de façons de
s’en sortir un jour — importait peu car je perdais de plus
en plus la mémoire puisque j’avais cette impression d’avoir
toujours vécu ici parmi les miens et que le reste mon beau
dehors passé était plutôt du genre rêvé. Les filles le soleil la
bande l’horizon les apéros les exactions les pique-niques le
printemps la création les virées la famille les trips les
gueuletons les études l’avenir tout ça.
Alors de temps en temps je me convoquais au plus
bas en fermant les yeux très fort jusqu’aux larmes et je
rembobinais tout vautré sur mon grabat. Du plus loin que je
puisse remonter. Je cherchais et par conséquent finissais par
trouver quand était quoi au juste. Je déterrais ainsi une
foultitude de choses marquantes que je consignais une à
une. Et puisque ça fit vite une bonne centaine de feuillets
autobiodégradants mon truc je trouvais ça plutôt bon à
force de forcer. Au risque de trop s’auto-balancer parfois en
cas de fouille intempestive. En même temps cette prise de
risque écrite m’excitait à un point que l’on peut
difficilement imaginer.
Peu à peu j’avais trouvé cette chose de maquiller
chaque page de ce que je croyais être le roman de ma vie en
courrier reçu. Ainsi j’apposais à mes écrits des dates
récentes. J’utilisais des stylos différents de la main gauche de
la main droite bics feutres rollers bleus noirs violacés.
J’apposais en en-têtes des adresses extravagantes de nanas
improbables et en bas des signatures biscornues ou
arrondies s’inspirant de mes correspondantes véritables.
Pour le corps du texte en cas de foufouille je comptais avec
raison ni plus ni moins sur la flemme des matons.
- 167 -
Le tout étant bien sûr plié en quatre et inséré au petit
bonheur à mon véritable courrier reçu. Jeu : Tenter de
retrouver une page en particulier au milieu de tout ça.
Autre problème je ne disposais au début que d’une
seule sorte de papier issue des mêmes blocs à carreaux
stupides et mes efforts de dissimulation ne servaient à rien.
Comment trente nanas différentes auraient-t’elles bien pu
m’envoyer de si longues lettres écrites sur ce même papier
pourri ? Alors je dus me résoudre à très vite cantiner au
vaguemestre une grosse quantité de rames blanches 80g
neutre universel genre étudiant ce qui entama fortement
mon pécule de survie et fit sourciller ce préposé au
commandes auquel je dus répondre la première fois :
« Oui non c’est pour l’alphabétisation de la cellule je
leur fait faire des lignes des dictées tout ça ça les occupe ça
les calme et pour les comptes aussi au tarot on y joue
beaucoup vous savez et puis pour notre courrier courant
aussi je les incite à rester en contact avec leurs proches à
renouer avec d’anciens amis etc à répondre aux annonces
de cœur c’est beaucoup plus économique ainsi par rames de
500 que par blocs de 30 vous trouvez pas ? On est ok ?
Donc ? Ça ira ?
— Mais oui Miki on est ok. » me répondit ce grand
gros dégueulasse de vaguemestre mou Monsieur Blois
toujours si ok en réalisant le bénèf qu’il pourrait se faire sur
mes trois rames de 500 feuilles par mois. J’étais pour lui le
client idéal pour ceci comme pour le reste.
Or tout stagnait depuis quelques semaines question
écriture puisqu’il me fallait hormis tronquer certaines vérités
inventer pour faire plus vrai donc créer. Esclave de soimême. Ce qui me faisait parfois chier. Faire beaucoup de
recopiage à la main. Des insertions et autres affêteries.
- 168 -
Mais ça m’occupait tant les vraies distractions était
plutôt rares ici au frais dans mon tupperware mais ce rien
finit par me contenter.
Ce lundi 17 mars 1995-là jour historique s’il en était
j’avais enfin trouvé le titre. Jackalope Burger. Une chose
ancestrale extraite de mon petit passé. Et c’est vers ici
qu’émergèrent les toutes premières bribes de cette chose
compostée que tout type de lecteur peut maintenant
parcourir d’un œil morne en tous cas.
Jackalope Burger ? Un sandwich déshydraté. Fuck
this and fuck that. Je t’encule. C’est ce que je voulais.
Multicouche et à la viande d’un hypothétique animal du
désert. Hydrophile donc. Aillé et super faisandé. Un
mélange de chacal et de lopette avariée uniquement
apprécié des seuls vrais cowboys.
Chose pas très équilibrée donc ne ravissant guère nos
mères peuchère ni les femmes ni les fiottes. En tout cas vrille
si intime puisque j’en avais entraperçu quelque chose de très
approchant une nuit de février 92 dans mon maquis à moi
après ingestion de ce qu’on devrait appeler une dose
massive de LSD.
Là ? Auprès d’un ruisseau noir enflant au delà du
raisonnable tel un tigre blanc oui mais à pois rouge j’avais
léché mes plaies sans discontinuer puis apaisé la soif qui me
taraudait en me trempant la gueule dans l’eau. Hummm.
Ce bon goût de boue. Scène suivant de quelque heures ce
que la bande et moi appellerions plus tard le massacre du
Hot Spot.
Oui. Moi tigre blanc. Rare souple et mugissant dans
sa nuit mouillée avec son enclume dans l’estomac. J’avais
osé interroger là vautré sur la grève un Dieu à barbe bleue
très présent tout d’un coup et irradiant à côté de moi sur le
vrai sens à donner à ce mot Jackalope qui venait là si
saugrenu de résonner dans ma tête dans le temps précédent.
- 169 -
D’autres (ses satellites) — car Dieu géant bleu de cinq
mètres de haut préférait me toiser assis en bourdonnant —
m’avaient répondu que le Jackalope en question se révélait
mon animal totem. Bouffon me servant de conscience
supposé provenir comme son nom l’indiquait en anglais de
la contraction jackrabbit+antelope croisement d’un cervidé
de base et d’un sacré lièvre du désert de l’Arizona. Moi le
tigre : Un gentil lapin à corne ?
Le jackalope s’était alors matérialisé et s’était mis à
gambader en zigzaguant sous mon nez dans une prairie
ensoleillée donnant encore çà et là de petits coups de cornes
répétitifs aux papillons et aux fleurs alentour. Un vrai Walt
Disney.
Très déçu j’avais été rassuré par les autres — la
quinzaine de chamanes amérindiens cornus eux-aussi et
assis en cercle autour de moi — puisque leur chef au nez
busqué sorte de Jip me jura que le chant nocturne du
Jackalope en question était en ceci spécifique qu’il pouvait
rappeler parfois l’étrange mélopée d’un bébé tigre enroué
qui eût la nuit siflotté le Sacre du Printemps. Ç’avait été
plus fort que moi j’avais siflotté le Sacre du Printemps.
Premier mouvement.
Dès lors la déité barbue bleue fluo qui n’arrêtait pas
d’irradier telle un bourdon atomique de cinq mètres de haut
s’était animée tout d’un coup. Et Barbe Bleue golem
printanier fit trembler le monde avec son boa de
pâquerettes et ses lunettes miroir rouge qu’il venait de jeter
au sol très très très ulcéré. Dieu s’apprêtait à daigner une
réponse à mon félin trop félin questionnement : « Who am I
really ? » Car Dieu était américain et la clef c’était le Sacre.
Un grand éclat de rire tellurique dentu et
inextinguible avait alors annihilé la parodie de monde
autour de moi. Les chamanes l’ongulé nain (vecteur ou
- 170 -
substrat) les fleurs les papillons tout ça s’étaient effrités
dissout par l’haleine de Dieu.
Ce n’avait été qu’une demi-réponse. Tigron
courageux refoulant son côté lapin obtus c’est ce que je lui
avais rugi en français au milieu de la tempête : « Ceci n’est
qu’une demi-réponse. Qui suis-je vraiment ? » Alors la
réponse entière hélas était venue :
La maquette de Vaison La Romaine point nodal où
j’ondoyais en fut littéralement submergée.
Moi et mes ouailles cette centaine d’améridiens
reconstitués harnachés et proliférants en avions été
littéralement subjugués mais nous prîmes la fuite devant la
réponse de Dieu :
J’étais bien la tempête. La colère de Dieu. Aguirre
Harry Grey Martin Guerre Martin Grey Hannibal Lecter
Johnny Staccato Zorro Zoroastre Calimero.
Au lieu-dit haine puissance haine acmé de toute
scansion Dieu avait fait semblant de tout arrêter. Et là en
total déséquilibre mes tripes avaient fait bloc jusqu’au
sternum. De joie et de haine. Des petites voix autour de moi
psalmodiaient :
« Pas de souci. Miki. Trop bon ce trip. Wouahrah. Trip de chez trip. Wouah-rah-rah. De la pure bebom
ce peutri. »
Mais cette injonction venue d’ailleurs avait ressuscité
le précédent morphing. Molo d’abord puis de plus en plus
rapido. Truc trouvant sa vitesse de croisière. Dieu s’était
octroyé le monde redevenu pâté de têtes scandé et traversé
de droite à gauche puis de gauche à droite par des saletés de
zébrures trop nettes. Tout ça s’entrecroisait en rose vert
jaune fushia façon horrible Vazarelli puis disparaissait vers
le fond en pulsant encore au delà de tout dans l’invisible.
- 171 -
Saintes Écritures qui se reliraient elles-même : Lone Sloane
Oscar Matzerath Jean-Baptiste Grenouille. Tout y passa.
Julien Sorel Fanfan La Tulipe Cheech Chewbacca Travis
Bickle Jack Torrence John Doe Jack L’éventreur Joe
l’Indien John Mc Cabe Jack Crabb Andreï Roublev Barry
Lyndon Gilles De Rais Hal R2d2 J.R Rocky Rambo Al
Capone Freddy kruger Dracula Jean De Florette Jean de la
lune Mathô Matrix Macbeth Maximax Mac Giver N°6 007
Batman Candyman Starman Superman Super Mario Sue
perdue dans Manhattan. Robin des Bois Elephant Boy
Elephant Man Lancelot Du Lac Le Duc De Guise Accatone
Amadeus Antoine Doinel Indiana Jones Ben Hur Clyde
Barrow Brewster Mc Cloud Bronco Billy Butch Cassidy
Jeremiah Johnson Charles Foster Kane Sky Materson James
West Lord Brett Sinclair David Copperfield Huckleberry
Finn D’artagnan Elmer Gantry Kaspar Hauser Artemus
Gordon Athos Portos Aramis Robert Paulson.
Toutes les petites voix de mon clip expérimental
continuaient de se battre en interne. Très autoritaire tout en
me grattant les bras les tibias j’avais pu intervenir tout haut :
« C’est ouf ce que Dieu peut être enfoui dans nos
glandes. C’est fou non les mecs ? Ce besoin de Dieu ce
besoin d’excréter puis de toujours remâcher ce cher mot
amoché. Dieu ? Who are you really ? Deux demi-saucisses
alanguies ? Lobe droit ? Lobe gauche ? L’hot dog ? Le
bicaméral. Ça gratte. L’unique en sandwich ? Hummm ?
C’est ça l’Amour ? Ow my gaaaade les mecs. Un sort. Une
investiture. La monadologie. Dieu ? Diable ? DD ! Notre
yin-yang pépère et odieux qui nous fait chanter bas et grave.
Ensauce-nous de ton miel d’encre. Please. Dédé. Please.
Une bonne fois. Que nous puissions y voir clair le jour.
Phase-nous trais-nous concentre notre jet. »
- 172 -
Là : Me prenant au mot en avait profité pour rejaillir l’horrible Robinson Crusoé Tom Pouce Tom Sawyer
Capitaine Wyatt Capitaine Flam Barbe Bleue Barbe Noire
Barberousse Bartleby Belphegor Benvenuto Cellini Matt
Helm Mister Chance Mister Pink Boris Godounov
Brancaleone Harry Tuttle Bronco Apache Bronco Bullfrog
Bronco Buster Brubaker Buck Rogers Bugs Bunny Bugsy
Malone Bulldog Drummond Cactus Jack Cagliostro
Caligula Caravaggio Vidock Lacenaire Korben Dallas Moi
Pierre Rivière Cisco Kid Peter Foley Coca-cola Kid
Crocodile Dundee Mandrake Ric Hochet Jack Crowford
Ivanhoé Raspoutine Billy the Kid Dédé la Musique.
« Ô Dédé ? » Intervins-je. « Fi du rendu de pleurs
beau lent et clair et continu l’indéfectible lien qui transmute
le pis en chair le mol en désir. Nous te louons Dédé car nous
avons belle vue maintenant de ton oeuvre intermittente.
But. Please. Stop. Please. Nous aimerions bien redescendre.
C’est vrai. Il faut savoir tresser sa ligne. De mire. De fuite.
De vie. Toujours. Savoir scander siruper slacher. Médire.
Provoquer des raz de marée. Ok. S’enfler. Subir les pires
jurons. Se rembobiner. Accoucher de peu comme ça
l’illusion. Mais là non non non. Stop. Stop. Stop. Y’en a
marre. Pure O.D de tézigue. Vas’y gaj-dé Yahvé.
— Donnie Brasco Paul Atréïde
— Ok vas’y déroule venge-toi
— Edmond Dantés Ed Wood Merlin L’enchanteur
Marco Polo Le Baron de Munchhausen Eddie Chapman
Piter De Vries Fantomas Felix Le Chat Ferdinand Le
Taureau »
- 173 -
Mon Esperanto puait comme tout idiolecte et toute
glabelle abjecte. Fort était à craindre cet empifpaf mortel
conjuguant mes sens asservis. La facilité ? L’inconscient ?
Quelles foutaises quand on s’y penchait. Trop nul ce trip. Je
parlais de crêtes mais m’y complus-je ? Non ça jamais. Je
croyais être au sommet je croyais y rester perché alors que
je dégringolais m’éloignais de la ligne de front la frontière
d’où je pouvais croire encore un peu jouxter l’humain car
ma montagne était molle et ma notion de crête des crêtes
elle-même puait l’homme et sa virtualité. Inhumer l’exhumain ? Exhumer l’inhumain ? Trop nul ce trip.
Kalidor Kaliban Rahan Danny Wilde Wild Bill
Hickok Kit Carson Général Custer Peau de la Vieille Hutte
Crazy Horse Geronimo Sitting Bull Leather Face
Rastapopoulos Nessie Rascar Capac Gummo Mowgli
Mickey Mouse Commissaire Kramer Commissaire Moulin
Commissaire eh merde Commissaire Mégret Muad Dib
William Blake Iron Man Aktarus David Vincent Vincent
Vega Incredible Hulk Frank Booth Lagardère Boudu sauvé
des eaux Guillaume Tell Usul Attila Liberty Valence
Alfredo Garcia Jacou le Croquant Nans le Berger Hercule
Poirot Goldorak Oum le Dauphin Skippy le Kangourou
Jacques le Fataliste Jean Sans Terre Ali Baba Barabbas
Bartabas Albator Taras Boulba.
Là : Calmer le jeu. S’agenouiller devant son œuvre me
sembla vital au risque de tomber à plat de me délayer et de
rire tel une connasse à perpétuité.
Guillaume le Conquérent Johnny Grasso Henry
Chinaski Mylord l’Arsouille Bob le flambeur Nevada Smith
Snake Plisken Nick Carter Guillaume de Baskerville
Jonathan Harker Harry Powel Adso De Melk Bernardo Gui
- 174 -
Bruce Lee Hrundi Bakshi Jorge De Burgos Trinita Oncle
Vania OSS 117 Paco l’infaillible Pancho Villa Peter Gunn
Le Petit Poucet Le Petit Prince Peyrol le Boucanier Babs
Johnson Pinocchio Popeye Joseph K Marsellus Wallace
Bobby Peru Quasimodo Quentin Durward Pussy Cat
Raphaël le Tatoué Johnny Cool Roger la Honte Rewak le
Rebelle Rigadin Rintintin Rantanplan Rouletabille Rusty
James Sandokan Sarati le Terrible Scaramouche Scareface
Serpico Simon du Désert Sinbad le Marin Smith le
Taciturne Soliman le Magnifique Lenny Nero Superargo
Surcouf Taram Tartarin de Tarascon Tartuffe Tarzan
Cochise Thomas l’imposteur Kakita Akanishi King Kong
Milou Sancho Pansa Charlot John Klute La Fayette Landru
Larry Flint Larry le Dingue Larry le Liquidateur Orion le
laveur de planètes Leo The Last Leon Morin Prêtre Lepke
le Caïd Loopy De Loop Fred Madison Lucky Jo Lucky
Luciano Mac Coy aux poings d’or Macho Callahan Maciste
Mad Dog Mad Max Le Magicien d’Oz Major Dunddee
Walerjan Wrobel Malcom X Jacques Clouseau Mandrin
Maniac Mark Dixon Martin Roumagnac Stanley Ipkiss
Mathias Sandorf Maurin des Maures Bret Maverick Merlin
l’Enchanteur Mery per sempre Michel Strogoff Christophe
Colomb Alvin Straight Tyler Durden Mister Flow Mister
Frost Mister Love Mister Patman Mister Wong Mister
Deeds Mister Maggoo Mister Smith Mister Jack Mister
Hide Mister Cory Mister Ruggles Machine Gun Kelly
Moby Dick Modo Kane Casanova Seth Brundle Professeur
Higgins Professeur Tournesol Monsieur Personne Monsieur
Ripois Monsieur Hire Monsieur Verdoux Monsieur Klein
Monsieur Bébé Monsieur Hulot Monsieur Lange Monsieur
Pipelet Monsieur Spock M’sieur La Caille Best Man Big
Man Bad Man Mad Man Dutchman Electric horseman
Casimir Michel Poiccard Caleb Cal Trask Mister Goodbar
Action Jackson Samuel Polaris Ramon Yarritu Bad
- 175 -
Lieutenant Adhémar Lamplot Philip Marlow Action Joe
Rick Hunter Gaston Dominicci Thomas Crown Alfie
Agantuk Alfred le grand Lemmy Caution The Amazing
Transparent Man Andreas Schluter Antony Adverse
Antonios das Mortes The Ape Man Pat Garret James Cole
Jeffrey Goines Arsène Lupin Joe le killer Joss Randal Ivan
Tchonkine Richard le Téméraire Till l’Espiègle Barton fink
Double Face Bibi Fricotin Greystoke Billy Bathgate Billy
Boy Billy Budd Billy Jack Billy le Cave Billy le Menteur Billy
ze Kick Jeffrey Beaumont Bob le Flambeur Bob Roberts
Bobby Deerfield Bobby Ewing Bomba Enfant de la jungle
Joe le Bon Tuco la Brute Setenza le Truand Pépin la Bulle
Boniface Somnambule Max Von Mayerling Buddy Holly
Bwana le Diable le Vicomte de Valmont Pee Wee Geppetto
Calouchard Sganarelle Caltiki Monstre Immortel Buridan
Héros de la Tour de Nesle Zébulon Castor Pollux Gaston
Lagaffe Achille Talon Nicolas Pimprenelle Peter Biberkopf
Don Juan DeMarco Casper Catlow DrWatson Jakie
Rabinowitz Chilly Willy Chéri bibi Le comte Zaroff Chino
Valdez John Chisum Arnie Cunningham Randal
McMurphy Chubasco le Rebelle Chuka le Redoutable
Roderick Usher Roderick Raskolnikov Ruby Rhod
Monsieur Poulet San Antonio Constantin le grand John
Mohune Francis Coplan Pollux Troy Le comte Yorga Tony
Wendice Cyrano de Bergerac David Goliath Chingagook
Derzou Ouzala Saturnin Farandole Congo Bill Roi de la
jungle Dr Stangelove Dynamite joe Don Juan Don Loppe
De Aguirre Déjà Vu Don Quichotte Don Corleone Don Q
Don César de Vega Don Quitin l’Amer Don Pedro de
Ursua Don Fernando de Gusman Don Camillo Dark Vador
Frère Tuck Petit Jean Akim Zembla Beaumarché l’Insolent
El Chuncho El Condor El Mariachi El pistolero El tigre El
Gringo Mookie Dobermann President Muffley Droopy
Snoopy Du Guesclin Duffy le Renard de Tanger Elliot Ness
- 176 -
Le P.R. Deltoïde Edward aux mains d’argent Forster Lafont
Eric le Vicking Le Juge Cordier Le Roi Arthur Gauvin
Pendragon Mordred Titin de la Capelette Thierry la
Fronde Thibaud le Croisé Niquedouille Escartefigue
Monsieur Brun Maître Panisse Monsieur Seguin Toto le
Héros Asim le Grand Dick Laurent Sid 6 point 7 Le
Schpountz Le Petit Lord Fontleroy Black Beauty Ringo kid
Irénée Fabre The Amazing Colossal Man Farinelli Fausto
Barbarico Ferdydurke Bill Lee Feu Nicolas Fievel au Farwest Fifi la plume Flash Gordon Fra Diavolo Jimmy Popeye
Doyle Fucking Fernand Future Cop Gar El-Hama
Gasparone Gator Gawin Castor Troy Gogol d’Algol Yearl
de Mars Urm le Fou Iragaël Elric le Nécromancien Vuzz
Kroll Torquedara Varenkor Shann Imperator De Toutes
Les Galaxies.
Mais ce qui me posait problème à moi ici maintenant
ce lundi 17 mars-là Miki le taulard après avoir trouvé le titre
et quelques développements c’était quand même bien le
style. Façon à force de forcer forcément le forçat se défausse.
Ou que sais-je et ça me turlupinait. J’aurais fait un bon
nouvelliste scénariste lettriste ou équilibriste si j’avais fait
d’autres rencontres dans ma pauvre vie. Voilà ce que
pensait la cocotte-minute in vitro. Ça c’est sûr moi là
maintenant-maintenant tout seul à sept si fayot avec mon
beau casque Sony plein de faux contacts sur les oreilles
verrouillé sur France Cul France Mu France Mu France
Cul tel un moinillon priant dans son dortoir aux murs
cloqués qui puait des pieds au lieu de communiquer avec ses
très chers coreligionnaires desquels il eût eu tant à
apprendre s’il les avait écoutés.
- 177 -
Mai 1995
Cette grande khâgneuse d’Hélène Sillex régulière de
Jip fraîchement diplomée à Paris commença à me
turlupiner en secret en me tarabustant avec ses cartes
postales vierges. Vierges — oui non il n’y avait jamais eu
d’encre sympathique dessus — suite à notre divorce
scripturaire puisque je venais de lui interdire de continuer
de m’écrire étant données toutes ces insanités dont elle
m’avait littérairement submergé. Délires vaginaux
masochistes où elle voulait à tous prix que je la bute un jour.
Courrier forcément scruté et analysé par ma jolie juge qui à
coups sûr jalouse avait dû en penser le plus grand mal. Je
décidai de ne plus répondre à son amas de cartes postales —
muettes underground en noir et blanc très contrasté
représentant ces putes japonaises d’Araki attachées ou se
piquant ou pire encore comme des cadavres de Joel Peter
Witkin en train de se rouler des gamelles — que par l’envoi
de tonnes d’autoportraits façon Bacon très sages pastels sur
cartons que je produisais à la chaîne ou en vaticinations et
automatismes plus ou moins poétiques. Mais on ne se disait
plus rien.
Dehors ce qui m’avait frappé quand elle s’était mise
avec Jip c’était le profil boudeur d’Hélène son si joli petit
nez presque trop court mais si obscène et sa lippe froissée en
avant. Une vraie bouche à pipe. J’avais été incapable de le
lui dire. Dehors. Trop nerveux. Il y avait trop de choses qui
m’attendaient et je le savais quinze mois même avant mon
incarcération.
Dedans hélas j’en serais devenu con. Elle me l’avait
écrit. Elle ne s’était pas gênée. Suite à ma réaction frileuse à
moi mis face à toutes ses insanités. Elle ne doutait de rien
visiblement avec sa prose complaisante. Le grand drame
d’Hélène Sillex on aurait dit que c’était de se sentir
- 178 -
coupable d’être innocente ; ou quelque chose peut-être pire
que cela. Je me serais presque abaissé à lui demander
maintenant que le temps avait passé une photo de son profil
boudeur. Comme ça. Histoire de lui refaire le portrait. Ou
de me branler à perpétuité en son honneur. Mais je n’osais
pas. Trop fier pour ça.
Dimanche 06 juin 1995
La voix d’Irène Omelianenko m’arracha des larmes à
nouveau même si ça ne se vit pas et ceci se reproduisait à
chaque fois depuis pas mal de temps déjà. Tout ça grâce à
son émission Clair De Nuit sur France-Culture que
j’écoutais au casque tous les dimanches soir. Or ce
dimanche soir-là vers minuit à la lueur de ma bougie cire de
Babybel + mèche en poil de serpillère je lui écrivis ceci :
Sainte Anne le 6 juin 1995
Chère Irène Omelianenko
ça fait maintenant quinze mois que pour rien au
monde je ne manquerais un de vos Clair De Nuit. Quinze
mois cela équivaut exactement à la durée de mon
incarcération. Sans rire en cela elle aura eu du bon à tel
point que d’ores et déjà je promette solennellement que
même après ma sortie loin d’être proche parait-il je ne me
disperserai plus le week-end raison essentielle de ma chute
et que je resterai bien sagement tapi à la maison à écouter
votre émission. C’est dire.
Mais trève de flatteries. Pourrait-on me faire parvenir
une bibliographie détaillée de ce Pierre Drachline étant
donné le grand choc que me procura votre lecture si
érotique de son Coeur À L’horizontale ?
- 179 -
Dans l’espoir bien à vous.
Miki.
Mardi 27 juin 1995
Et la réponse miraculeuse est arrivée ce jour-là.
Comme ça. Un petit bout de bonheur griffonné à la va vite.
Miki
Paris 24/06/95
cela fait des jours que je veux vous répondre à vous
dans ces murs doublement murs d’Avignon.
Votre lettre m’a fait sourire un peu à la façon sourire
qui mord. Vous prenez les choses avec humour.
Vous faire parvenir une bibliographie détaillée de
Pierre Drachline ? Il n’est hélas que ce que vous en avez
entendu à la radio. Il a fondé les éditions Plasma puis les a
enterrées.
Sinon il est critique littéraire au journal Le Monde et
travaille un peu au Cherche-Midi car il faut bien manger.
Il a écrit d’autres choses mais je ne crois pas qu’elles
n’aient échappé au pilon.
Amitiés.
- 180 -
Irène O.
Lundi 03 juillet 1995
Lulu Lamy était un savant mélange de Serge Daney
et de Jean Douchet. Sorte de désagrégée de philo perverse
nîmoise toute guimauve grisonnante et joueuse tombée pour
harcèlement chantage au diplôme et fellation octroyée de
force transmutée en homicide involontaire suite à la crise
cardiaque d’un de ses doctorants sucé. Bon suceur donc.
Or ce lundi-là il voulut jouer sous la table avec moi
vers midi à — et il n’aurait pas dû — jeu de main jeu de
vilain. Je sursautai évidemment mais dans le même
mouvement je lui plantai ma fourchette dans le cou :
« Toi Lulu tu me frôles encore les couilles rien à
foutre j’te perce moi ma salope. »
Tout en faisant joujou avec sa pomme d’Adam c.à.d
en faisant mine de la lui décapsuler à la fourchette tout en le
maintenant bien fort par sa saloperie de catogan. L’autre
poupoule s’était renfrognée toute vexée sensible et outragée.
On était pas tous pédé en zonzon loin de là et quand
plus tard on voudrait par arrêté ministériel envisager de
nous distribuer des capotes là on frôlerait l’émeute et la
révolution sauvage car le vrai tas d’enculés ç’avait toujours
été eux et bien eux ce tas d’empaffés du Ministère de la
Santé de mes couilles. Sans doute avaient-ils trop vu de
nanars ricains où il n’était question que de ça zonzon = cul
éclaté ou trop lu de cette sous-merde de Jean Genet ou de
ce relou d’Eddie Bunker qui faisaient presque passer jadis
tout taulard aguerri pour la pire des fiottes oui mais de quel
droit ?
Lundi 14 Juillet 1995
Lors de cette chose fomentée par des théatreux
d’Avignon sales intermittents en visite je fus cruellement
- 181 -
déçu par tous les vieux mâles de ma cellule quand ils se
proposèrent pour une perf avec des perruques blondes bas
résille et tout ce qui s’en suit dans une chorégraphie
suggestive pour faire rire la taule toute entière oui mais à
quel prix ?
Car dès le lendemain matin mardi 15 Juillet 1995
Enzo obligé par Lulu à y participer prit en une seule fois
toute sa provision d’Aspégic de honte et il resalopa les
chiottes en cessant de se louper cette fois-ci et comme on a
du mal à imaginer.
La 132 puis la presse en furent tour à tour toutes
bouleversées. On emballa son petit corps dans des draps
beiges puis dans une bache verte et nous ne le revîmes plus
jamais.
Lundi 01 septembre 1995’
Fortement culpabilisé par les miens à cause de cette
histoire d’aspirine stockée j’obtins mon transfert aux
Baumettes. Mon instruction venait de se terminer. Transfert
pour rapprochement familial soi-disant. Ce qui était
archifaux puisque là c’était équidistant. Nous nous dîmes
donc adieu la larme à l’œil en nous embrassant tels des
frères puis nous nous promîmes de nous écrire. Chose que
personne ne fit.
Centre de détention. Marseille. Les Baumettes. Batiment B.
Registre d’écrou du prévenu condamné : 57302K
Nom : Ikillu
Prénom : Michael dit « Miki »
Incarcéré le 10 / 03 / 1994
Transféré le 01 / 09 / 1995
Libérable le :
Date de naissance : 05 / 01 / 1974
Taille : 155 cm
Cheveux : noirs - raides ; Yeux : noirs
Type européen
- 182 -
O rhésus négatif
Note administrative interne : R.A.S
Signes particuliers : 2 incisives cassées - pas de cristallin - port de lentilles
cornéennes - pas de cicatrice - pas de tatouage.
Chefs d’inculpation. H.V. / complicité
Lundi 01 septembre 1995’’
Ma nouvelle taule batiment B était un savant mélange
de trucs marseillais fraîchement repeints qui puaient en bleu
électrique et de trucs complètement cramés qui puaient
encore plus. Le tout accompagné depuis les fameuses
émeutes d’une discipline toute roide et spéciale comme il se
devait.
Après le greffe et tout le grand tohu-bohu de bordel
de couloirs inconnus et de sas à perpétuité je me retrouvai
avec mon barda de vie accompagné d’un jeune et long
surveillant à moustache peu fournie qui me glissa in
extremis :
« Attention là on te met avec le tueur des Goudes
cellule 347 Siegbert Neubauer si tu veux changer de cellule
dis-le vite à la gamelle mais sois patient Ok ? Ça prendra un
jour ou deux faut attendre un transfert en centrale Ok ?
C’est plein à craquer ici. Alors tu calmes le jeu. Tu lui parles
pas. Ce con ne comprend pas un mot de français de toute
façon. Ok ?
— Oui. Ok. Merci. Mais au bout de dix-huit mois,
j’ai l’habitude des marteaux vous savez je sais les gérer à
force »
Après le clic clac crac klang dans la cellule carbonisée
de 6 m2 je n’eus pas le temps de poser mon lourd paquetage
que la sonnerie de la promenade retentissait.
- 183 -
Un géant rouge se décoinça de son lit s’embroncha
sur mon truc au sol et me bouscula en sortant sans que je ne
devine au passage sa tête aux contours flous gras et
décolorés. Dans la queue leu leu descendant dans la cour en
me dandinant dans une sorte de surplace par un goulot
d’étranglement tel un chien-chien je suivais le géant rouge
dans ce boyau de barbelés où un tas de matons à coup de
triques imposaient un silence qui de toute façon ne viendrait
jamais alors j’attaquai direct en lui sifflant par derrière :
« Hallo Sie da wie heiβt du Archloch ? »
Cette sorte de géant sourcilla en se retournant puis
éclata d’un rire teuton assez sanguinaire.
« Ar ! Ar ! Ar ! Ar ! Ar ! Ar ! Sieggy heiβe ich. Und du
kleine schönne Arch ?
— Miki Ikillu. Da meint’s in Englisch : ich töte dich.
— Ar ! Ar ! Ar ! Ar ! Ar ! Ar ! Ar ! Ar ! Ar ! Ar ! »
Alors dans la cour plutôt fayot j’eus une nouvelle
mission : traduire en français puisqu’il me le tendait avec un
bic vert rongé son courrier larmoyant à son avocat d’office.
Par miracle tous les loups-garous de clando affamés des
Baumettes fraîchement arrivés eux-aussi me laissèrent
tranquille allant taxer ailleurs clopes montres baskets et
blousons un peu plus loin près des latrines en plein air
comme effrayés d’approcher l’ogre barbu rouquin chauve
en haut mais nuque longue qui continuait pas loin son
tournoi de ping-pong félin et rédibitoire. Sieggy cette sorte
de Bozzo électrique édenté vicking moitié Hell’s moitié mac
dans le civil mais là en survêtement roux ; homme qui eut
de plus comme un drôle de smash pour parachever le tout.
- 184 -
Lundi 15 septembre 1995
À Sieggy je demandai mon procés se rapprochant à
grands pas de me tatouer sur le coeur ma signature stylisée à
l’envers droite-gauche drôle de pictogramme pour conjurer
le sort et pour qu’à l’avenir dans le miroir je me rappelle
toujours m’être signé et estampillé moi-même : Un vrai
bandit dandy ready-made. Moi. Miki. À perpétuité. Sieggy
me fit ça à l’arrachée à la sauvage en noir avec trois aiguilles
côte à côte pour aller plus vite. J’en eus le téton gauche
labouré croûteux et purulent pendant une quinzaine. Sieggy
sa spécialité à lui dehors c’était les putes de l’est ligotées
dont il couvrait la tête d’un sac poubelle et qu’il d’un shoot
sportif précipitait connement toujours du haut de la même
calanque. Sorte de règlement de compte intraspécifique
entre fouteurs de merde d’outre-Rhin délocalisés ou
déterritorialisés comme on préfère. Un pur enculé mais en
réalité un vrai pote.
Paris 23 sept 95
Miki Miki Miki
À quoi joues-tu mon ami ? Je ne te reconnais plus du
tout dans ta toute dernière lettre. On dirait du Guyotat mais
en plus drôle. Ou un vieux dossier Mac-Write traduit en
World.
En tout cas c’est très branché et tu imites très bien les bugs
et les palilalies. Quoique tu ne maîtrises pas toujours si bien
les occurrences et itérations.
As-tu au moins lu Gilles Deleuze : Différence Et
Répétition ? Ou Monique Plaza : Écriture Et Folie ? Tu
devrais. Je te les enverrai.
- 185 -
Sinon construction d’un personnage. Soit. Je est un
autre. Ok. Mais je ne connais pas l’autre et le je devient
d’un remarquable flou artistique.
L’entrée au temple des initiés devient la descente
infernale dans les limbes d’un inconscient aux détours de
plus en plus flous et retors. Logique en détresse ? Non. Mais
S.O.S itinéraire jalonné. Certes. Pour la sortie on peut
s’éjecter sans problème mais indique au moins l’entrée. Ô
toi lumière clignotante.
Espoir pas encore perdu pourtant puisque tu écris.
Faux dialogue sans doute mais en tout cas délire à deux déjà
possible. Néant verbal ? Je ne pense pas.
Au commencement était le verbe c’est bien connu.
Nous poserons donc les premières pierres d’un univers sans
règle, sans obligation, un monde de papier où les choses ne
seraient que des mots et où nos désirs prendraient la forme
de ces petits caractères aux formes bizarroïdes.
Mais ce ne sera déjà pas si mal et on pourra partir
tous les deux ensemble très loin comme ça.
De toute façon rien n’existe en dehors de ça. Et c’est
pour ça que je t’écris. Non pas seulement pour mon
adorable petit Miki dont j’ai un peu partagé la vie et à qui il
arrivé de sales histoires quand il était tout petit mais aussi
pour moi.
Je ne sais pas si un fantôme évanescent te fait kiffer
mais je ne veux pas que tu t’enfermes alors donnantdonnant je t’obligerai à creuser ma propre plaie et tant pis si
tu ne comprends pas tout c’est réciproque et on s’en fout.
J’aimerais te voir te visiter c’est vrai tu me manques
mais j’ai si peur que tout se rebanalise entre nous.
Donc homme privilégié tu bénéficieras de ma nonbarrière scripturale à jamais et ô combien plus excitante.
Pour donner une apparente épaisseur à cette lettre
j’ajoute que mon propre avenir me fait peur mais
- 186 -
incertitude même pas accablante attente du je-ne-sais-quoi
qui fera tout exploser. Aboutissement le plus probable le
mot fin. Fin de quoi ?
Réponse attendue d’urgence. Néantiser toute seule ça
fait peur des fois.
Je vais peut-être me marier. J’ai rencontré un type
rassurant il y a quelques temps. Il est marrant il s’appelle
Jean-Marie Wyloschky. Il te ressemble un peu.
Mais c’est toi que j’aime Miki. A jamais.
Je te turlutte.
Ta Zaza.
J’avoue ne pas avoir bien compris sur le moment à
laquelle de mes lettres Zaza pouvait bien répondre. Mais
après un tas de supputations ayant engendré une somme
conséquente de grattouillis Zaza ne pouvait avoir répondu
qu’à une lettre que je ne lui avais pas envoyée. Puisque ce
coup des bugs et de la super-répétition je l’avais fait à toutes
sauf à elle puisqu’elle était censée avoir uniquement reçu
l’« original » du 21 avril 94 dix-sept mois plus tôt et non son
avatar perverti dispensé aux autres connasses. J’en déduisis
qu’une certaine censure ma juge ou que sais-je avait bloqué
durant toute mon instruction l’envoi en groupe de ce vieux
courrier bogué-là ce pour une raison inconnue et ne l’avait
enfin posté que dès clôture de mon dossier et mon transfert
aux Baumettes en intervertissant parfois putain comme là
mes destinataires. Ce qui avait dû foutre un bordel
effroyable entre mes correspondantes. Chose qui éclairait
d’un jour nouveau certains des petits malentendus qui
avaient suivi entre les unes et les autres. J’étais démasqué.
- 187 -
Mardi 02 octobre 1995
Dans la semaine qui précéda notre procés nous dûmes
être déférés avec Fix au palais afin de signer quelques actes
et papiers. Nous nous étions très peu cotoyés tous les deux
vu qu’on nous avait judicieusement séparés durant nos dixhuit mois d’instruction moi-même ayant dû stagner en
Avignon comme on dit alors que Fix lui avait été compacté
à Marseille avec les vrais de vrais de purs empaffés oui mais
du Batiment C. Or là marseillais tous les deux moi Bat B lui
Bat C - et même si nos versions divergeaient encore quelque
peu vu que nous nous accusions littéralement l’un-l’autre ce
qui était le jeu - on peut dire que nous fûmes plutôt contents
de nous revoir même si nous nous toisâmes un peu au
début.
Mais lors de cette revoyure in vitro nous nous
trouvâmes plutôt pas trop changés et le naturel revint au
galop. Sans même nous concerter nous éclatâmes de rire
synchro face à une lourdeur administrative assortie d’une
ribambelle de fautes de syntaxe élémentaires relevées auprès
d’une des plus hautes instances de la zonzon. Pas de
punition.
Nous étions accompagnés pour ce transfert de groupe
au palais d’un trio plutôt précoce lui-aussi une fille + que
mimi + deux types interchangeables tombés pour attaque
de fourgon. Quelques deux ans avant alors qu’ils étaient
tous encore mineurs et en bonne santé la fille aurait allumé
un des deux convoyeurs pouh dans le cou et aurait blessé
l’autre à l’aine. J’avais lu ça dans le méridionnal. Or
l’automatique emprunté à son corse de papa s’étant enrayé
elle avait vu le survivant l’entre-papattes en sang mais très
courageux se faire toute une joie de tout faire foirer en les
mattant tous une bonne fois à coups de calibre. Même
qu’elle s’était ramassée une balle dans l’épaule.
- 188 -
Mais ce bon père de famille même blessé son
partenaire agonisant au sol à côté aurait gardé son bon sang
froid en épargnant le trio le tenant en respect dans sa ligne
de mire au risque lui-même de collapser en attendant les
forces de l’ordre et les secours eu égard à leur jeune âge par
pure pitié donc au lieu de les truicider comme il aurait dû.
En très haut lieu on avait décidé de juger nos deux
affaires lors de la même session d’automne aux Assises des
Mineurs d’Aix-en-Provence puisque elles étaient censées
avoir peu ou prou la même thématique. Je ne vis pas en
quoi à part l’emploi intempestif de guns. Du coup fut
déployé pour cette extradition un dispositif extrêmement
honorifique pour de jeunes malfrats puisque en dehors de
notre fourgon blindé était requise toute une bande de
motards et autres voitures rapides banalisées faisant plus ou
moins pin-pon à outrance. Ce qui fit qu’évidemment on se
prit aussitôt pour les ennemis publics n°1-2-3-4-5 enfin
réunis vu que tout ça pouvait aussi signifier qu’on pouvait
comme des grands bénéficier de complicités extérieures.
Cela nous permit surtout de réaliser combien parfois
l’argent public est bien mal géré ; truc dont on se
contrefoutut sur le moment puisque toute cette débauche de
moyens était bien là dépensée pour nous honorer. Nous
étions donc là tous les cinq + cinq flics dans notre fourgon
blindé à nous enchaînés les uns aux autres par les mains et
par les pieds. Un véritable collier de perles mais avec quand
même au centre pas de doute une pierre bien plus précieuse
que les autres.
Or cette petite chose blonde assassine et émaciée se
mit à arborer un authentique air de mépris. Incrusté à la
fois sur la narine et la mâchoire qui n’arrêtaient pas de
s’exprimer à intervalles réguliers. Avec de légers décalages.
La narine d’abord. Toujours. Dilattée. Puis la mâchoire en
l’air. En réponse. Crispée. Plusieurs fois de suite.
- 189 -
Tout ça sans cesser de toiser la vieille grappe de flics
assise en face. Ce qui m’apparut sur le champ du plus haut
sexy-hargneux quand je me mis à l’observer de profil.
Subrepticement d’abord puis de plus en plus fréquemment.
C’était ma toute proche voisine. C’est là que je commençai
à lui faire de la cuisse peu à peu sur notre banc. Moi-aussi à
intervalles réguliers. Mais là soi-disant émetteur de signaux
pour en découdre avec la grappe d’en face. Et non pas
piètre érotomaniaque. Mes injonctions rythmées reçurent
même quelques réponses synchro ou désynchro selon.
Comme quoi elle-aussi devait être en pur manque. Alors à
la fin notre tempo s’adoucit et nous nous retrouvâmes tous
les deux proprement collés de la basket à la clavicule en
passant par la cuisse et les fesses. Mon coude frôlant parfois
un téton dur comme un caillou. Sans jamais se regarder en
face. Animés tous les deux de ce mouvement invisible moite
et ondoyant. Ne pouvant faire guère mieux à cause de nos
égards pour nos voisins et complices qui visiblement
n’auraient pas toléré que notre duo tire une bonne fois sur
la chaîne commune en voulant se toucher pour de vrai. Ce
qui aurait impliqué à nouveau ce tas de losers dans une
forme de beat qui n’aurait pas été pas le leur. Ce tas de
jaloux. Concentrés uniquement eux sur leurs Nike et le
destin qui va avec.
Et c’est ce moment précis-là où les choses devenaient
très sérieuses entre la petite tueuse et moi c’est ce moment
précis-là que choisit notre fourgon pour arriver à
destination.
Alors quand la porte s’ouvrit en grinçant je me levai
d’un coup et plantai des yeux très méchant dans ceux du flic
d’en face en interprétant très bien mais muettement :
« Attention là t’es prêt ? Parce que moi là je vais
sauter et m’arracher » Même si j’étais entravé de la tête aux
pieds.
- 190 -
Si bien que l’agent se crispa encore un peu plus sur sa
mitraillette qu’il dirigea mollement vers mon pantalon ce
qui me fit débander aussi sec. Après ? Tout se déchaîna trop
vite. Et vu que notre retour à Fix et moi était prévu par un
autre convoi je ne sais plus pourquoi je devinai qu’on était
en train de me séparer à jamais de ma fiancée. Nos regards
profitèrent de cette ultime seconde pour enfin se croiser. Je
ne reverrai plus jamais ça. Je t’aime. Je te tue. Dégage. Ça
vaut mieux pour toi. Juste avec les yeux. Je lui fis le même
coup en miroir. Comme si on allait se faire exécuter chacun
dans son coin et qu’il ne fallait surtout pas faire de chichi
avec ça. Mais je ne pus m’empêcher d’ajouter un
lamentable :« Vu le paquet que tu vas te ramasser connasse
chais pas moi je crois que je me buterais. » Ce que je trouvai
très rock-and-roll sur le moment.
À tour de rôle moitié tirés moitié poussés ce 2
octobre-là dans les sombres couloirs du grand palais cloqués
nous eûmes individuellement tous ce privilège d’être
présenté au grand gros président de la cour des assiettes
d’Aix-en-Provence on dira toujours ainsi une fois jugé pour
Assises idiolecte intraspécifique j’en suis désolé.
Cet homme se révéla un être plutôt courtois et
élégant puisqu’il tint bizarrement à ce que l’on apparaisse
devant lui démenottés autrement dit presqu’aixois libres et
citoyens. Et sans la plus petite présence policière autour. On
va dire dans la pièce. Comme s’il fallait cesser d’exagérer.
On nous laissa donc seuls à un moment. Juste lui et moi.
Hummm c’était tentant. Dans son beau bureau marron à
lui – tentant de quoi ? – plein de compas d’équerres de
baromètres et de rapporteurs en bois. Et là j’avoue je ne
compris pas trop ce qui se trama puisque ce juge grand et
gros barbu venait juste gentiment de me parler comme ça :
- 191 -
« Ma mère elle-aussi quand elle a décédé a été
dévorée par son chien »
Tout en me faisant signer tout un tas de trucs là là et
là que je ne daignai pas lire ça me fit bizarre même qu’ « à
ce propos » ce juge ajouta-t’il après « Je viens de croiser
votre avocat, Miki, maître Lombard »
Miki ?
Lombard mon ponte ou bâtonnier de Marseille fort
onéreux et même qu’on eût dit à ce moment-là que ce gros
nounours de juge voulait me rassurer en me laissant sousentendre que tout risquait de très très bien se dérouler pour
moi au procés. Etant donné mon dossier.
C’est à l’instant où l’on se quittait la scène n’avait pas
duré une minute que ce magistrat placide me fit ce clin
d’œil rapide. Je crus l’entendre répéter :
« Ma mère aussi quand elle est morte a été
découverte dévorée par son chien »
Comme s’il y avait eu palabres au sommet. Puis
pleins de petits arrangements zarbis entre hautes instances.
Non mais quelle est cette sorte de monde roumoumou dans
lequel je vis ? Plein de bonnes étoiles gluantes qui ne
cesseront donc jamais de me harceler telles un troupeau de
fans en chaleur ? C’est ce qui me traversa l’esprit car venait
juste de se remanifester c’était clair ce truc fondateur
farceur et ironique surpuissant prêt à interférer quoiqu’il
advienne en ma faveur. Par delà les lois par delà tout. Sans
même me consulter.
- 192 -
Jeudi 11 octobre 1995
Comment relater de façon objective le procés
lapidaire qui fut le vôtre une semaine plus tard ? Comment
sans tomber dans l’argutie évoquer les plans dans les plans
des uns et des autres ? Comment dire : Miki tu t’es
confectionné cette tête d’innocent — tu as voulu y croire —
tout le monde y a cru. Comment affirmer : Fix a un peu
cafouillé dans son interprétation ; il aurait dû lire
Stanislavski. Comment indiquer que c’est le matin-même de
ton procés en te concentrant à mort aux toilettes que tu as
eu cette illumination : Surtout ne pas demander pardon. Le
dire à la fin de ce procés. S’offrir ce luxe : « Je ne demande
pas pardon. » Laisser monter l’émotion. Laisser se dresser
toute cette forêt de points d’interrogation tous ces sourcils en
forme de sapins puis laisser mollement retomber :
« Car j’estime être impardonnable. Impardonnable
d’avoir laissé faire un acte aussi odieux et surtout de ne pas
avoir su porter secours à notre pauvre victime innocente
tout juste blessée ni de m’être livrer plus tôt à la justice des
hommes ».
Et jouir de cette forêt de sapins abattus. Et applatis.
Et débités. De ce souffle suspendu et du soupir fédérateur
qui lui a répondu. Ça doit être ça le théâtre Miki. Tu l’as
vécu tu l’as écrit : « Tous ces inconnus sont là pour moi
grâce à moi aujourd’hui tous enfin réunis pour cette
cérémonie. »
Tu as écrit juste après : « Je contrôle l’émotion, je
contrôle tout. »
Comment rapporter ce malentendu notoire quand à
la barre s’affaissa Olga — au moment précis où comme par
hasard index tendu tu la fixais en te grattant la jugulaire —
alors que citée comme témoin elle devait juste expliciter
quel genre sous ta croûte d’innocence de vrai salaud tu
- 193 -
pouvais être en vrai ? Voyant ton geste taquin elle avait
préféré se rétracter en collapsant. Belle mutique pensant que
tu la foudroyais à distance.
Comment rapporter ce malentendu notoire quand —
au moment particulièrement pénible où le pauvre papa
épleuré de votre victime évoquait la mémoire de sa fille un
être si doux et timide si cultivé honnête et pacifiste — quand
à ce moment précis-là un peu largué tu choisis de chuchoter
à Fix ce il neige ! en lui désignant du menton l’air apitoyé le
tas de saletés pelliculaires répandu sur les épaules de
Lombard. Devant vous. Blanc-grisaille saupoudré sur robe
noire.
Tu as écrit : C’est cette secousse chez mon ami cet
éclat de rire comprimé et à partir de ce moment précis-là où
nous aurions dû logiquement pleurer et à cette distance ces
quelques mètres + ses larmes obliques de rieur lâche ses
épaules vibrantes etc qui ont pu être ainsi interprétables par
l’audience le jury et le reste du monde comme l’expression
finalisée de son unique remords. Spectaculaire. Et enfin
rendu public.
Tu seras épargné. Car qui dit remords dit culpabilité.
Grâce à son flot lacrimal. Oui mais spécieux et fallacieux.
Après un délibéré d’une heure à peine et parce que tu
avais bien décroché de ce monde tu entendis comme venu
d’ailleurs « Cinq ans dont deux de sursis » pour toi Miki —
le pendule de Loiseau avait raison — « Dix » pour Fix.
Avec les grâces et la conditionnelle tu avais un pied
dehors. Demain. Ton meilleur ami innocent un orteil.
Après-demain. À la fin de cette parodie tu pris le micro et
comme venue d’ailleurs encore tu entendis ta voix voler :
« Merci. Vous n’aurez point à le regretter. »
- 194 -
Tandis que Fix s’indignait en circuit fermé vociférant
qu’il était innocent et qu’il allait faire appel. Impavide tu le
vis se faire escorter manu-militari par deux grands gaillards
bleus avec une extrême fermeté tandis que tu quittais la
scène ample et majestueux sous les crachats de la partie
civile mais avec tous les égards policiers.
Quant à ta petite tueuse trois jours avant elle s’était
pris dix-huit ans dans les dents. Mais elle s’était fait aussitôt
son verdict connu tout un plaisir de tout abréger en avalant
toute une grosse motte d’épingles coupées en deux. Tu ne
pourras plus jamais la refrôler. Tu reprononceras son nom.
Parfois. Valérie. Encore une. La nuit.
Les Baumettes le 12 octobre 1995
Irène
j’ai quitté ces murs doublement murs d’Avignon pour
ceux non moins épais des Baumettes et par là même ai
troqué mes pigeons gris contre des mouettes blanches. Rien
ne change. Les charognards se nourrissent aussi de nos
scories.
Je suis un peu paranoïaque. Votre lecture de Jean
Genet l’autre fois je l’ai prise pour moi. Cela remonte à trois
semaines maintenant. Il s’en est passées des choses en trois
semaines. Maintenant je paie dans la joie. Je ne pense pas
que vous lisiez particulièrement ce genre de presse qui aime
à relater toutes ces exactions des petites gens toujours est-il
que je n’aurai à apprendre à compter que jusqu’à trois.
Trois ans ferme c’est ce que je mérite.
Mais cela vous intéresse-t’il ? Je ne sais pas. Ici j’ai un
gros souci. Je ne vous entends presque plus.
- 195 -
Trop de parasites. J’en suis malade. C’est le métal.
Vous comprenez moi dedans je ne jure que par vous.
Or il y a toujours cette notion de dette à payer.
Un jour peut-être aurai-je à vous baiser si vous êtes ok.
Miki
Samedi 10 novembre 1995
Je n’avais toujours pas obtenu de réponse. J’imaginais
Irène vu sa voix comme une très belle ukrainienne très triste
très brune et à oeil très clair. Quand je pourrais la croiser à
ma sortie pour la remercier d’avoir existé j’espérais qu’elle
serait effectivement belle pâle triste et brune aux yeux bleus.
Sinon je ne pourrais jamais me l’envoyer.
Mon voisin du dessous Habib était mon pharmacien
et durant mes tous derniers mois aux Baumettes il m’aidait
à tenir le choc puisqu’on faisait un peu de troc tous les deux
bière contre shit par le yoyo. Le yoyo ? Un sac en plastique
au bout d’un drap tressé totalement prohibé car on aime
bien se pendre avec mais qui sert avant tout à troquer à peu
près tout et n’importe quoi par la fenêtre d’une cellule à une
autre car aux Baumettes contrairement à Sainte-Anne il n’y
avait pas de grillage en plus des barreaux..
Or ce samedi soir-là Sieggy et moi avions très envie
d’en fumer un pour mieux apprécier le porno de minuit sur
Cunul+ crypté on disait comme ça tellement on n’y voyait
goutte. Je tapai donc trois coups au sol avec le balai c’était
notre signal puis je me mis à la fenêtre et criai de la voix la
plus sudiste virile blasée et fatiguée possible : « Wo Habibo ?
—…
— Wo Habibo ? Wo Cousin ?
— Houwi ?
- 196 -
— Wo en-bas ? C’est Miki.
— Wo en-haut ? Wo c’est toi Miki ?
— Houwi ! C’est Miki ! T’ian a ?
— Houwi y’en a.
— Jo t’envoie le yeuyeu.
— Wenvoie le yeuyeu fils.
— Tu l’as ?
— Houwi ! »
Je ne l’avais jamais vu Habib vu qu’il appartenait au
quartier reubeu des dealers du dessous (moi aux criminels
blancs du dessus) et j’imaginais avoir affaire au pire caïd des
Baumettes étant donné bien sûr la pire sourde voix de basse
détraquée du Habib. Moi-même je m’étais d’ailleurs très
vite mis au diapason. Résultat : Bonne fumette. Bonne
branlette.
Les Baumettes 23/11/95
Zaza
J’ai peur. Peur de ne plus jamais rebondir. Je suis
complètement abruti par le bruit.
Pas celui qui fait suite à tes silences portatifs non
mais le bruit de la folie. Le vrai. La vraie. Tu n’y es pour
rien.
Je t’avais écrit « Je veux pouvoir accepter tous tes
silences »
C’est vrai ne l’oublie pas. C’est vrai. Et c’est faux.
Ménage-moi maintenant avec tous tes mariages
tonitruants.
Il est terrible pour un hibou d’avoir à se mettre à
ululer le jour. Je vais me recroqueviller. Le vase clos. Ça ça
me plaît.
- 197 -
J’ai pour cela un muscle dans l’oreille interne que
j’arrive à mouvoir volontairement. Pour m’abstraire du
monde comme on dit. Je me concentre par à-coup et mes
oreilles se bouchent c’est vrai j’entends alors des pas dans
ma tête comme sur des gravillons ou des parasites radio c’est
selon. Le bruit du sang dans sa tête. Un petit muscle qui
cogne percute et broie le cérumen. Tu es la première à qui
j’en parle.
Bientôt mon meilleur ami m’échappera tu sais
l’assassin involontaire. Pour lui au moins c’est clair il a foutu
sa vie en l’air. Alors dehors il va falloir que je me fasse de
nouveaux amis.
Ici le bruit est assourdissant et je ne peux plus
exercer mon pouvoir sur les hommes - les vrais - sur leurs
mâchoires leurs machines leurs hauts-parleurs leurs
sonneries leurs chariots leurs télés leurs radios. Sur le
vacarme des mouettes non plus ordurières et blanches. En
même temps je sais que tout ça va me manquer plus tard.
Mais maintenant ici le moindre cliquetis d’ongle la
moindre chiquenaude nerveuse d’un voisin germain sur le
métal du lit superposé me plonge dans cet état : La haine de
tout ce qui peut prétendre être défini par 46 chromosomes.
Bipèdes à quatre pattes.
Je t’écris Zaza avec ce bruit-là qui parasite tout. Ce
bruit dont pâtit ce beau « nous » scripturaire.
Ce bruit qui se superpose si mal avec celui plus
intime de tout se qui se noue et se dénoue et craque sans fin
dans ma cocotte-minute. Un vrai bordel.
Je ne me laisse pas aller curieusement puisque j’écris
tu l’as écrit. Je serre les dents juste et elles explosent une à
une.
Alors je salue chez moi ce calme apparent qui
pourrait bien se révéler la chose la plus inquiétante si on y
réfléchit.
- 198 -
À la recherche d’une certaine douceur ? J’aimerais
pouvoir verser ne serait-ce qu’une larme mais je suis sec. Et
moi qui pensais en entrant dans l’ombre pouvoir enfin prier
devenir fou et me réconcilier avec moi-même. J’ai tout raté
je suis récupérable.
Enfin je ris bien des fois je me raccroche à des
mouches dans la vision périphériques. Je ris bien bien sûr
puisqu’il n’y a pas de quoi.
Heureusement là miracle repasse György Ligeti
« San-Francisco Polyphony » par l’orchestre de la radio
suédoise. Direction E. Howarth.
À fond ! France Musique ! Je les encule. Mais je sens
que pas loin dans une chambrette attenante une merde
vivante va se venger avec NRJ. J’ai beaucoup de mérite tu
sais. Mais d’une façon ou d’une autre tout ça se paiera très
cher.
Stop makin’ sense ! Il y a une grande probabilité
pour que j’aie comme on dit une permission de Noël du 24
au 26 décembre histoire de passer les fêtes en famille
tellement je me suis bien tenu et retenu.
Quant à ma liberté conditionnelle elle semble
fortement compromise (examen définitif de mon dossier le
17 décembre) étant donnée « la gravité des faits » et la
maigre assurance de me voir réinséré en ne proposant pour
tout certificat de travail qu’un boulot d’aide-soignant à
l’hopital psychiatrique de Monfavet tu sais celui
sordidement connu pour son Christ et sa pauvre Camille
Claudel.
Car je doute fort que ma mère n’ait le courage de
me présenter ainsi à ses collègues :
« Cher ami je vous présente mon fils il n’a pas de
diplôme mais il sort des Baumettes trouvez-lui donc une
petite place d’apprenti aide-soignant au pavillon des
- 199 -
psychotiques il est très sérieux malgré les apparences je vous
revaudrai ça. »
Tu sais en quoi cela consisterait ? À nouveau dans la
fange la ptomaïne well c’est ma copine n’est-ce pas ? J’en
suis tout imprégné depuis quelques années.
En tout cas si j’étais vraiment libérable je serais
assigné à résidence et genre bloqué sur place puisqu’obligé
d’aller pointer au moins une fois par semaine chez ma juge
d’application des peines (on dit JAP) et chez un expertpsychiatre oui mais de mon choix pour une sorte de suivi
comme on dit.
Zaza je te bouffe la teuch.
Miki
PS : Ci-joint mon nouveau numéro 04 90 76 56 66
vu que mes parents sont maintenant sur liste rouge vu le
nombre de farces téléphoniques qu’ils ont eu à subir grâce à
moi ces derniers temps. Tout ça bien sûr pour que tu me
souhaites un Joyeux Noël Zaza j’y tiens quelque peu. Tu
verras au téléphone j’aurai chopé l’accent et je serai fort
ému.
Dimanche 24 décembre 1995
Quelle ne fut pas ma surprise le divin jour de ma
libération quand au greffe après des sas des sas des sas
j’entendis une sorte de Jamel Debouzze fluet et endimanché
répondre à un autre reubeu travailleur qui venait de
l’apostropher comme ça :
« Wo Habibo con d’tes morts ? J’y crois même pas
pour Noël t’ies libérab toi ?
- 200 -
Auquel Habib dut répondre du tac au tac :
« Houwi. Fini pour moi la gamelle enculé-ha. Et
tou-ha joyeux Noël-hè et reste encore un peu sucer tes
morts raah. ’Tain de balance que t’ies. »
J’avais reconnu la voix cassée de constipé de mon
nain de voisin mais je pensai qu’Habib lui-même
démythifierait trop en me voyant pour la première fois et je
n’allai point le saluer d’autant plus qu’il y avait foule entre
nous puisque pas mal de fins-de-peines bénéficiaient pour
bonne conduite de leur permission de Noël. Mais l’heure
était grave et pour évacuer mon angoisse d’avoir à affronter
ce jour-ci l’autre monde je me forçai à me concentrer avec
mon beau faux sourire de con incrusté sur les lèvres
uniquement sur toutes ces perspectives en forme de culs
radieux à l’infini qui s’offraient à moi-même et mon
paquetage dorénavant. Paquetage contenant ma belle
grosse pile de feuillets dissimulés roman interdit s’il en était
tout déguisé en courrier reçu c.à.d je priai pour
inidentifiable en tant que tel lors de cette ultime foufouille.
Ces gardiens-là corses pieds-noirs ou marseillais fort pressés
ne se révélèrent pas très lecteurs de pattes de mouche grave
erreur si vous voyez ce que je veux dire puisque s’ils avaient
intercepté mon trésor et découvert ma vérité je n’aurais pas
mis si aisément dehors ma bite coupable ce jour-ci.
Quand vers 11h40 le grand portail des Baumettes
grinça abominablement ce dimanche 24 décembre
personne ne se précipita pour sortir. Je fis même tout pour
être le dernier à enfreindre l’espace car malgré ma liberté
conditionnelle véritable — et non pas une piètre permission
de Noël — dûment acquise auprès de ma chère J.A.P
fraîchement conquise innocent les mains pleines quelque
chose en moi ne s’y sentait pas autorisé.
- 201 -
Nauséeux il faut bien l’avouer au bout de 656 jours
de trou tout m’apparut trop loin ou trop grand. Un des
deux. Encore un sale truc optique sans doute. Et j’éprouvai
ce vertige à l’horizontale en me demandant où étaient mes
parents. Je compris en cherchant leurs regards dans la foule
des familles indigentes et frigorifiées mais heureuses que je
me serais bien coltiné dix jours de plus premièrement pour
que ça fasse un joli petit chiffre rond au hasard 666 puisque
j’avais toujours espéré être maudit à jamais. Mais c’était
comme si d’une chiquenaude le doigt du Barbu en avait
décidé tout autrement puisqu’il m’autorisait à sortir dix
jours avant à Noël tel son fils fraîchement ressuscité. Je
découvris deuxièmement que j’aurais bien aimé me payer
dix jours de plus ou plus encore puisque le ciel les barres
d’immeubles les éléments et le reste semblaient vraiment
vouloir m’aspirer ce matin-là. Ce qui était loin d’être si
agréable. Se faire avaler comme ça par Marseille suceuse
bouche de vieille. Chose qu’on a du mal à imaginer si on ne
le vit pas.
C’est donc ce que je dis en plaisantant après les
avoir embrassés à mes très chers parents venus gentiment
me chercher :
« Je me serais bien tapé dix jours de plus ».
Premières paroles d’homme libre. Et là les bras
encore ouverts ils ne comprirent pas trop pourquoi. Les bras
leur en tombèrent.
Sur le trajet dans le beige cabriolet de mon père
interdit de fumer dans la voiture mais je pus m’ébaudir de la
vitesse du paysage hivernal si net si vaste si beau si clair si
éblouissant si merveilleux si plein de givre. Si mes couilles.
J’avais envie de vomir et de pisser aussi tout mon soûl
depuis que j’avais vu la mer sur la corniche.
- 202 -
Arrivé à Oppède vers treize heure je pus constater
qu’avaient poussé pleins de nouveaux petits lotissements
moches et puis plein de nouveaux ronds-points aussi qui
donnaient connement sur d’autres ronds-points en travaux
donnant souvent sur rien.
Je n’aimais pas la pointe que j’avais sur le plexus
quand le grand portail du Paradéou s’ouvrit automatiquement. Jardin à l’anglaise mas provençal pierres apparentes
un seul étage tuiles romaines. Mistral. Ciel bleu foncé. Pas
de piscine pas de glycine mais pelouse brunie par le froid et
mal tondue sous les arbres centenaires. Un ruisseau faisant
glouglou. Léon et Léonne vieux couple de paons jouant les
T-rex au loin en se bastonnant au soleil. Une beauté obcène
relativisée par pleins de petites sculptures de jardin à moi
qui faisaient un peu peur la nuit en s’aimant comme ça de
façon saugrenue sous la lune.
Toujours immatriculée 666 TU 92 la vieille Volvo
de feu mon grand-père dans un coin. Pièce à conviction
recouverte de feuilles mortes de poussière et de givre. Et de
scellés stupides. À tout ça il y avait une logique qui ne
m’échapperait jamais plus.
Après un bon vrai repas simple — pour mieux
apprécier le festin du soir à coup sûr richissime en acides
gras polyinsaturés — repas simple et équilibré donc avec
plein de crudités de l’huile d’olive du rôti de bœuf froid
piqué d’ail et après cet authentique arabica fuck the Ricoré
— je pus enfin monter prendre un bon bain chaud et
moussant dans lequel je me branlai voluptueusement. Jet de
bulles chaudes sur gonades valsantes follement remuées qui
put m’évoquer sous un autre angle ce Hè pète-moi sur les
couilles yah ritournelle ancestrale des gitans des Baumettes
maintes fois ouïe à tout propos et qui quand elle s’adressait
à un pair signifiait bien pire que je t’encule puisque sous
entendu là ton cul est vacant et que je suis en train de te
- 203 -
baiser par devant comme on baise une femme chose que tu
es.
Tout en fumant un cigare offert par mon père repu
la télécommande mouillée du Sony à la main j’enclenchai
en boucle à donf dans mon jacuzzi de vieilles vieilles vieilles
chaussettes de CD. Useless. Kill The Thrill. Lofofora.
Double Nelson. Happy Anger. Miskeen. Et autres saloperies
frenchcore que je n’avais plus écoutées depuis fort
longtemps. Tandis que la maison tremblait sous les décibels
tout me sembla à nouveau si familier que tout sembla aller
beaucoup mieux. Purifié je remis mes vieux habits des
champs.
Après avoir salué tout l’après midi cigare sur cigare
en leur caressant l’écorce de bas en haut chacun de mes
arbres centenaires et après avoir arpenté mille fois mes deux
hectares de terre dans un va-et-vient indécent me rappelant
étrangement mes longues promenade de zonzon oui mais
en plus vert et long je me demandai si je n’avais pas rêvé
tout ça. Puis. Si je n’étais pas en train de rêver ce nouveau
tout ça-là. En cherchant nez au sol Marasmus Oreadus mon
marasme des prés ou d’Oréade. Mousseron d’automne qui
en amas aligné ressemblait si étrangement à des
constellations de tétons découpés disséminés par un ogre
petit poucet. Hybride tout paumé qu’il eût été pour
retrouver le chemin de son destin à lui. Or je ne trouvai pas
de champignons. Pas de chemin. Pas de destin. Juste des
feuilles mortes momifiées par le froid. Mais je rectifiai le tir
en décidant que tout ça était de la pure réalité et que j’étais
libre enfin et que si je le voulais je pouvais faire des ronds de
sorcières moi-aussi n’osant toujours pas m’échapper du
jardin tournoyant ainsi jusqu’au soir où le trio père mère fils
devant son feu de cheminée décida de fêter Noël gaiement
comme toute famille normale enfin réunie.
- 204 -
Totalement déchiré et émouvant avec pour fond le
premier concerto pour violon et orchestre de Sergeï
Prokofiev un truc si beau à en pleurer je n’arrêtai plus au
dessert avec mes ah ça va mieux ça va mieux là. Nous en
eûmes tous la larmette à l’œil en nous tenant très fort les
mains à trois.
Après ? Mes parents me bordèrent dans des draps
parfumés. J’étais l’unique fruit de leurs entrailles. Tout irait
beaucoup mieux pour moi pour le monde entier. Chaque
jours je serais un peu plus en forme ma belle allure me
reviendrait mon moral remonterait et ainsi au total je vivrais
une époque heureuse. D’autant plus que j’aurais bientôt à
honorer ma Zaza ma correspondante préférée dont
j’attendais l’appel imminent. Zaza ? Vidéaste complaisante
et vicieuse tantôt étudiante aux Beaux Arts tantôt à la Fémis
ou ailleurs ou parfois simple intermittente à droite ou à
gauche. Adorable et excitante Zaza. Cette Sharon Stone qui
m’avait permis de tenir le choc tant elle m’avait submergé
de l’infini de ses délires vaginaux mais parfois aussi
cérébraux mais qui avait ceci étant un peu abusé avec toutes
ses perspectives de mariage. Totalement lâchée dans son
courrier Zaza comme Hélène et les autres étant donné bien
sûr la distance et surtout purement émoustillée par la
perspective de se refarcir un jour à sa libération un sagouin
dans mon genre véritable correspondant de l’autre côté du
miroir que j’avais pu devenir pour elle pendant ces 22 moislà. Le temps était venu pour elle de s’acquitter de sa dette.
Curieusement elle omit à Noël de me rappeler comme il
était prévu.
Copier.
Coller.
Cinq-six ans plus tard :
- 205 -
Lundi 04 février 2001.
Là : J’étais toujours vivant puisqu’estomaqué car je
venais de découvrir dans ma boite aux lettres certainement
griffonné à la va-vite la veille dans mes escaliers ce drôle de
mot :
Miki
Tu m’as vraiment pourri la vie. Si j’en suis là c’est à cause
de toi. Je pensais que tu allais me demander pardon. Il n’en
a jamais été question. Ne m’appelle plus. Stop donc
connard une bonne fois dégage de ma vie.
FX
car grâce à sa tante Frederika qui avait pignon sur
rue j’avais pu reprendre contact avec François Xavier
Tulart quelques jours avant.
Or c’est vrai que la veille dimanche 03 février 2001
ç’avait été un être excessivement roux froncé mais
raisonnable et très élégant qui était apparu sur mon palier.
Une éternité venait de se dérouler et on avait bien mûri
chacun de son côté. Tels des frères nous nous étions
embrassés. Fix m’avait fait le très grand honneur ce soir-là
d’être accompagné de sa dulcinée ou épouse Elke ou Heike
une longue et fausse brunette avec un super accent à couper
au couteau. Couple que j’avais invité à entrer dans mon
modeste chez-moi. Heure des bilans accompagnée d’une
grosse quantité de blancs. Fix après ses longues années au
frais — il avait été condamné à dix ans mais n’en avait
effectué que six grâce à sa conditionnelle — venait juste à sa
sortie de virer lui aussi poète vidéaste et performer. C’est
dire tout le recul qu’il avait toujours su avoir. Comment
avait-t’il pu se remettre si vite dans le bain ? Question.
- 206 -
À des fins artistiques vers 97-98 me prouva t’il en me
dégainant son book il aurait monté tout un énorme dossier
pour demander la nationalité togolaise afin de proposer sa
cadidature aux jeux olympiques de Nagano. Le Togo
n’ayant pas vraiment de représentants pour les épreuves de
slalom géant. C’est dire l’imagination qu’il avait toujours su
avoir. Mais ceci lui aurait été refusé pour la simple raison
qu’à cette époque encore il était tout simplement en zonzon.
Ce qui ne l’avait pas empêché d’exposer dès sa libération
vers mars 2000 toutes les étapes du dossier. Photos courriers
aux ambassades réponses administratives doléances et
autres galerie Lavigne Bastille tout ça agrandi en Cyba sur
alu ce qui s’était révélé encore très osé.
Un mois plus tard il faisait breveter son Rubber
Penix-Fix® un préservatif arôme et saveur pénis qui aurait
aussitôt fait fureur rue Sainte Croix de la Bretonnerie dans
le gay Marais. Preuve qu’on a toujours su correctement
brainstormer en zonzon. Lieu de débauche pas aussi terrible
que ce que les media en disent.
Il aurait en effet avec Jean-Pierre Rembrand autre
chercheur-trouvailleur fraîchement ressuscité puisqu’ils
s’étaient associés avril 2000 su faire établir à Grasse une
spectrographie de masse du parfum en question pour
synthétiser un drôle de fumet assez ressemblant j’avoue à
base d’un savant mélange d’essences de crevette de thon de
crabe ou de maquereau. Je ne sais plus. Ce qui aurait
permis à mes deux ex-meilleurs amis d’aussitôt envisager de
faire fortune. Ce qu’ils firent à leur échelle.
Été 2000 avec l’argent des préservatifs Fix+Jip
auraient produit un long métrage vidéo. C’est d’ailleurs ce
qu’on décida de se projeter ce soir des retrouvailles en
apéritif. Une drôle de fixette avec un sosie de Sophie
Marceau. Mais ce film à caractère masturbatoire s’avéra
vite trop expérimental pour moi puisque tourné en S-VHS
- 207 -
et pire dans l’esprit que toutes ces déjections tournées en
DV c’est dire produites par Dogma 95 et ce petit malin de
Lars Von Trier. Montage curieux de scope à scope pour
faire plus trash ringard amateur. Une grosses quantité de
drops en altéraient l’image et dans le cadre le fil du microcravate avait été laissé visible par exemple scotché
hyperauricularisant le zouip-zouip-zouip de la Sophie
entièrement encaoutchoutée. Énième hommage au bondage
latex féticho agrémenté d’une sacrée pub pour son Rubber
Penix-Fix® lucratif. Ainsi que pour le sous-sol du BHV.
Quoiqu’assez émoustillant à de rares moments. Là :
Imaginer Sophie Marceau suçant un marteau des manches
de tournevis chromés encapotés etc l’air absorbé tout en se
chauffant le haut du clito à travers trois quatre culottes en
plastique superposées. Ceci grâce à l’aide d’une ponceuse
circulaire Black & Decker tournant à vitesse grand V. Vinyl
virant à l’opaque blanc puis au jaune cloqué en se
déchiquetant couches par couches créant ainsi ces roses aux
pétales décoiffés de plastoque échaudé.
À la fin du générique Low-Tech assumé étant
persuadé que ce qu’il aurait toujours revendiqué lui Fix en
toutes circonstances c’était fatalement d’être toujours le plus
grand clown du monde alors fatalement j’avais cru bon de
ricaner en le complimentant puisque là pour moi il y était
enfin arrivé. Silence. Son épouse me sauva en ajoutant que
dans les mois qui suivraient le DVD @lien-X-nation soustitre : A Rubber Discipline allaient être distribuée par des
amis de Solingen Marqui’s Video The Fetish Factory Ltd
avec qui elle était en accointance.
Tout en préparant à manger je m’abstins de leur
avouer que je doutais fort que l’on n’en entendît jamais
parler.
- 208 -
Plus tard Elke ou Heike elle-même percée tatouée et
encaoutchoutée de haut en bas n’arrêtait de bailler puis de
me regarder méchamment depuis que j’avais évoqué un peu
nostalgique à table nos souvenirs de sales petits pourris du
sud.
Au cours de cet unique diner à trois tout fut sans
doute trop cuit ou pas assez le stress de la revoyure une
pizza trop cuite une pizza trop crue et une salade trop salée
baignant dans l’huile d’olive et tout dégénéra mollement
mais sûrement. Ce fut en conclusion comme si j’avais
poussé Fix à avouer ceci ou cela à la justice quand on était
plus petit ce qui est faux et que ça lui aurait gâché la vie par
la suite. Ma version à moi le descendant radicalement là.
J’avoue. Ce qui reste très ambigu comme problématique et
mérite reflexion mais n’est peut-être pas si faux. Comment
savoir ? Comment savoir comment les choses se passent
réellement ? Au dessert je restai pantois quand je compris
au milieu des framboises congelées qu’hélas tout était fini
avec mon meilleur ami puisqu’il se leva de table lui et notre
lourd passé commun sans même me dire au revoir entrainé
par la vindicative Elke ou Heike.
Mardi 11 septembre 2001
Lyson était une adorable petite fille de douze ans
plutôt platine et à poil court et œil bleu vif et visiblement
très intelligente puisque c’était la fille de Jacques Aumont.
Jacques Aumont fut jadis à Paris mon professeur d’anatomie
générale. À moi Miki période carabine. Mais il était devenu
aussi peu à peu un grand collectionneur à moi.
- 209 -
Or ce soir-là historique j’eus le très grand honneur
d’être présenté à Lyson par sa mère Jacques n’ayant pu se
déplacer ou étant resté coincé devant la télé lors d’un de
mes vernissages chez ce bon vieux affairiste de Thaddaeus
Ropac puisque j’exhibais chez lui quelques unes de mes
White Females plastinées à bloc rue Debelleyme dans le
troisième.
Titre de mon exposition : Le rouïk-rouïk-rouïk des
lambeaux devant les caméras. Car il y avait aussi de la
vidéo. Une coïncidence encore. Très sérieux les quelques
pédés sulfureux qui s’étaient déplacés m’ennuyant fortement
je m’approchai de la petite fille. Elle caressait la résine d’une
de mes momies pop. Très perspicace elle avait dû y déceler
la présence d’un peu de Zaza un peu de Bosch un peu de
Schwitters.
« Madame vous ne seriez pas vous-même un peu
aussi Jacques Aumont ? »
Et Lyson petite fille sérieuse et froncée me répondit
d’une voix robotique tout en se dandinant bizarrement :
« Je n’suis pas Jacques Aumont. Je n’suis pas Jacques
Aumont. »
J’enclenchai cette chose :
« Aha ? C’est ce que lui-même me narrait la dernière
fois que je l’ai vu : je n’suis pas Jacques Aumont je n’suis pas
Jacques Aumont je suis sa fille je suis sa fille. Alors je lui ai
dit Jacques ? Vous déconnez ? »
Et auprès de Lyson petite fille sur le qui-vive je ne pus
m’empêcher de ré-enclencher :
« Jacques tu déconnes encore. Je t’ai reconnu. »
Elle avait le grand front intelligent de son père. À
peine perturbée Lyson me décocha un soi-disant grand
coup de pied dans le tibia en robotisant derechef :
« Exac. Tement. Jacques. Aumont. Est ma. Fille.
Jacques. Aumont. Est ma. Fille. Exac. Tement. »
- 210 -
Je restai de marbre mais lui collai quand même aussi
un faux grand coup de pied dans le tibia. Car sa mère était
là à observer la saynète à distance. Air circonspect de mère
se demandant à quoi sa fille joue encore. Le robot se fâcha :
« Plus tard. On se. Ma. Riera. Plus tard. On se. Ma.
Riera. Et. Je te. Cuisinerai. Nerai-nerai-nerai. » Assez
vicieux et en me tapant à moitié.
Devant mon inertie Lyson alla jusqu’à s’assouplir et
s’agenouilla. Planquée par un amas humain elle en profita
pour me planter raide à travers mon pantalon
heureusement son index droit dans le cul. Christ de Dürer
désignant le Très Haut ? Ou poupée mécanique toute
boguée qu’elle serait subitement devenue ? Recta
quoiqu’assez interloqué je me re-saisis :
« Me cuisiner ? Ça ça m’étonnerait. »
Mais j’ajoutai connement : « nerait-nerait-nerait. » en
éloignant la menotte baladeuse et Lyson se releva un peu
frustrée.
Là ? Ce fut comme si New York venait d’exploser
pour de vrai. Ou pire que je vienne radicalement de virer
contre toute forme de terrorisme. De l’absurde rendu
possible. Cette enfant venait de me prendre à mon propre
jeu et m’émouvait très fort avec ses tonnes de clins d’oeil.
Vers 23h00 totalement déchiré je me retrouvai
téléporté chez Omar un resto à couscous pas si loin de chez
Thaddaeus 47 rue de Bretagne auprès de mes très chers
collectionneurs triés sur le volet. Du moins tous ceux qui
s’étaient déplacés. Toutes les bourgeoises pleuraient
gloussaient et péroraient à la fois. Et surtout ne pouvaient
s’empêcher de plaindre tous ces pauvres pixels grillés se
défenestrant à la chaine. Thaddaeus et les hommes eux plus
pragmatiques refaisaient le monde comme s’il était à refaire
et n’arrêtait pas de parler de guerres mondiales à venir et
d’un marché de l’art qui n’était pas près de se redresser.
- 211 -
Pour détendre l’atmosphère — c’est vrai que je
n’avais vendu ce soir-là qu’un truc stupide gai et léger —
j’évoquai avec de grands gestes à table en renversant mon
verre mon histoire d’enfance avec Fadhila et mon amour
consécutif des adorables petits petons féminins aux orteils si
joueurs sous leurs si jolis collants transparents. Notre nappe
s’en retrouva toute tachée. Mais au dessert je me fis offrir au
milieu de toutes ces cornes de gazelles un véritable bouquet
de gambettes. Toutes les femmes de la tablée totalement
éhontées devant leurs maris ébahis s’étaient déchaussées
exprès pour moi. Toutes se rapprochaient l’air malin. Les
bouteilles tombaient. Les maris reculaient. Un grand
bouquet d’orteils ennylonnés remua sous mon nez de façon
très rythmée et mortelle. Une douzaine de pieds. Ça sentait
le cuir chaud. Lyson en rajoutait avec ses oui ! oui ! oui !
rauques d’enfant simulant si bien un orgasme feint. Bouquet
que j’étreignis tendrement tout en chantonnant Allah
ouakbar embrassai et respirai et mordillai aussi un peu des
fois. Ce qui les fit toutes bien sûr hurler de rire d’abord. Puis
sembla les gêner après.
Car Allah grand catalyseur de la soirée décida ici-bas
de tout coaguler. Là mollement. Barbu planté auprès de
mon bouquet.
Parmi les miettes de ce monde il se mit à hoqueter et
figea tout en total déséquilibre à table prêt à tout reliquéfier
vite vite vite oui mais quand ?
- 212 -
Jeudi 19 décembre 2002.
Cette chaise abandonnée sur le trottoir toute seule
boiteuse avec juste un petit peu de paille qui lui sortait du
ventre me rassura quand je la croisai en ce dixième
anniversaire de la mort de Valérie. Elle me rassurait puisque
elle semblait provenir d’un lieu à mon image. Oui. Vers
cinq heures du matin je me promenais avec ma Valérie en
tête rue des Francs Bourgeois. Et je me disais que c’était
bien qu’il existât dans ce quartier-là des lieux en friche
comme ça niés mais ayant pu abriter durant une pauvre vie
d’homme ce type de chaise-là. Si pitoyable. Une pensée
émue s’imposa pour tous ces non-lieux-là. Ces caves ces
greniers ces cagibis ces débarras. Dans Paris. Puis dans le
reste du monde. J’aurais bien aimer les hanter. Tous. Un à
un. Et y attirer toutes les jolies filles du cosmos comme je
savais faire. Puis les saigner là toutes dans les gravats. La
boue le suif le cambouis. Lentement. Là assises sur cette
chaise-là. Particulière. Dénudées. Toutes. Ou seulement
déchaussées et à genou dans la merde mais avec la joue
délicatement posée sur le velour rouge de la chaise. Passé et
maculé. Remaculer le velour à l’infini. De rouge rouge
rouge. Et que finalement il apparaisse tout neuf et rutilant.
Les entendre déplorer les jolies filles le front dans leur flaque
:
« Mais t’es supercon ou quoi ? Je croyais qu’on jouait
t’es en train de me flinguer là »
Leur répondre :
« Eh oui c’est mon métier moi de buter les connes. »
Mais je poursuivis mon chemin dans la nuit apaisé et
revigoré et j’oubliai ma chaise et le dixième anniversaire de
Valérie. C’était le jour des encombrants et tout le monde de
toute façon avait déversé la veille son tas de détritus.
Mémoire morte sur trottoir. Je refusai donc de me laisser
- 213 -
émouvoir pas tous les matelas trop nombreux même si je
devinais à leur air leur pauvre vie de matelas.
Oui au petit matin je rentrais chez moi enfin et tandis
que je flottais avec mes pensées interdites je vis slalomer vers
moi à travers les ordures une chose floue platinium très
cambrée jean’s moulax pattes d’eph taille basse avec le
string violet qui dépasse. Une Zaza à poil ras dégoutée qui
malgré le froid piquant de la nuit déambulait nibes à l’air
avec ce type de mèche canaille plaquée sur un côté. Ce qui
donna à l’œil restant un truc distant assez triquant. Me
retournant sur son cul au passage je me dis pourquoi pas ?.
Mais en me retournant sur son cul avec mon pourquoi pas
de passage crise cardiaque assortie d’une substantielle envie
de gerber.
Venu de mes tripes un grand non s’était imposé car
j’en avais plus qu’assez d’être conditionné. Qu’est-ce que je
vis là ? Un vieil appel de phare du passé. 666 DCD 75
n’avait pas trouvé mieux que de vouloir coïncider avec le
cul de la blonde. Téléphonant à ses troupes ma Mort au
volant me faisait un clin d’œil en passant.
Cela me fit mal au ventre tant cette poisse me
poursuivait. J’abandonnai tout projet sur la blonde. Voulant
à tout prix rentrer à la maison me purifier. Oui mais
autrement. J’avais bifurqué comme lors de mes toutes
dernières rencontres avec 666 histoire de briser sa
trajectoire et je redoublai d’attention. Hors de question de
me laisser à nouveau aller. Être maudit ne m’intéressais
plus. Je me méfiai de qui je croisais exactement sur ma
route. Déplorant que ma propre fin fût déjà là tapie à
chaque coin de rue. Qu’ici ou là et sous quelque forme
morne ou biscornue qu’il s’amusât à revêtir l’Enfer le vrai
m’attendait. Punition méritée s’il en était. Qui eût tout
géométrisé. L’Ordre du Monde. Si j’étais simplement à
nouveau arrêté par exemple. Et pouvais enfin exulter en
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public au procés. Et enfin prendre le paquet. Cette fois-ci
honnête crachant sur un mode retentissant ma haine pure et
dure des vivants. Cessant là une bonne fois de gesticuler
avec mes sarcasmes et enfin faire exploser ma réalité. Me
retrouver ainsi tout compacté moinillon en QHS esseulé
amaigri et écrivant sur du papier-cul hummm ses mémoires
à l’infini. Oui. Mais la police les juges ces velléitaires les
psychiatres ces instances travaillaient-elles sérieusement ne
fût-ce qu’à redonner à l’Univers sa toute grande cohérence ?
On ne l’aurait pas dit. Question.
Ce dernier croisement avec 666 dilatta l’interrogation
et concrêtement pour moi ce fut l’inverse. Je me délitais et
me froissais. Ça ne pouvait que m’attirer du malheur cette
tête-là flottante comme ça une minute ou deux tel un vieux
sac en plastique troué au vent. État qui mit là un peu plus
de temps à se résorber. Ample et majestueux je tentai de me
recomposer. Nouvelle tête. Impassible dans ma
déambulation. Je bifurquais de façon imprévisible. J’allais là
où 666 ne m’attendrait pas. Les yeux mi-clos. Jaunes les
boites aux lettres dansaient autour de moi. Regard fixe.
Raide. Avec de la salive qui faisait des bulles à mes
commissures j’ignorais leurs sourires. J’arpentais mon
destin. Ma lippe se froissa. Dédaigneuse tout en avançant.
Tirés par un fil deux sourcils durent se relever. À un
carrefour je croisai quelqu’un faisant chier son chien. Heure
tardive. Potron-minet n’était pas là. Une adolescente en
jeans bicolore-basket. Cul blanc téméraire. Ça ne rata pas
mon nez s’anima à nouveau pris de spasmes. Prêtes à tout
mes lèvres se retroussaient. L’adolescente me toisa encore
plus. Sa pupille se dilattait de la façon que je n’aimais pas.
Le combat s’engagea. Perdait celui qui détournerait le
regard le premier.
Ou qui ne faisait que céder le passage.
- 215 -
Je triomphai comme à l’accoutumée. Cette fois-ci de
façon saugrenue puisque je triomphai avant tout de moimême. Au bord de la collision j’avais changé de trottoir tel
un mec normal un peu souffreuteux qui eût dû à tout prix la
nuit aller inspecter la vitrine de pompes féminines d’en face.
Épargnant l’adolescente. Je me plus à l’imaginer éjectée au
passage comme merde sur merde dans son caniveau. Le
chien ? Coup de paume radical sur truffe de Bas-Rouge. Au
vol. Tu pensais me sauter à la gorge ? Ululements de fauve
vaincu gisant sur pauvre maîtresse glapissante. Je poursuivis
mon chemin apaisé et revigoré — rentrer le plus vite
possible — je savais que je me rallongeais je voulais oublier
la chaise le triste anniversaire de Valérie Zaza son sosie 666
l’adolescente Irène Olga la mort les chiens Paris la vitrine
d’en face et toutes les bourgeoises de ce monde accroupi en
escarpins. Tuer c’est épargner le reste. Ça ne voulait rien
dire mais cette phrase résonnait. J’étais à nouveau seul dans
le silence de mes pas. Je jonglais avec des excuses. J’étais la
grande faucheuse épargnant le chiendent tuer c’est épargner
le reste je ne décapitais que les paquerettes. Une bombe
sélective. Je ne tuais que ce que j’aimais. Je rentrai à la
maison. Dus aérer tant ça puait la résine. À deux doigts de
vomir j’avais ouvert la fenêtre et au risque de perdre à
nouveau la face je me calmai en envoyant un sms en série à
douze femmes que je désirais un jour coincer. Mon amour
était infini mais n’avait plus d’objet. J’attaquai le morceau.
Attaquons. Attaquons. Le morceau ? White Female #O. Un
truc dessiqué debout dans un placard grandeur nature
friable. Une sculpture composite on va dire extraite de son
écrin nue mais avec plein de petits oripeaux incrustés çà et
là qui pendouillaient de façon conséquente.
Rien n’était fini.
Ma dernière série étant inspirée des momies de
Palerme je ne savais plus ce que je représentais.
- 216 -
Des putes momifiée ? Là ? Debout ? En train de
tapiner pour l’éternité ? Ou alors des momies anodines là
compostées qu’un Honoré fragonard des temps audacieux
aurait plastinées puis relevées pour les offrir ainsi en pâture
à son large public ? Nombreux étaient ceux qui pensaient
que c’était de l’art. Je savais que c’était autre chose.
De face ma White Female avait l’air impropre à la
consommation avec toutes ses inclusions ses trous ses clous
ses manques et ses chairs en dentelle résine et cuir presque
coupants — ceci évoquant le côté art — par contre de dos
elle avait comme un air plutôt sympa avec son cul si
avenant rebondi plus du tout coupant et même très
confortable avec cet anus si mou rose et proéminant. Sorte
bubble-gum mâché qui dépassait. Un trou en latex avec ce
type de sphincter particulièrement clos et froissé façon
volcan. Côté duel art devant à moitié déglingué façon
années 80 et côté cul extrême derrière façon années 90.
C’était ainsi que j’entendrais les choses dans mes années 00.
Oublieux de tous les signes néfastes j’estimais les
choses avec recul. Je ne savais pas comment j’allais l’appeler
cette pièce-là. Valérie ? Irène ? Ou Olga ? Zaza était plus
logique. Un nom de poupée gonflable. Oui. À un moment il
fallut que je l’estampille en lui éjaculant dedans. Après ? Un
peu démoralisé j’éclatai toutes les bullettes du vitrificateur
recouvrant les parcelles de mon ex ses empâtements à elle et
comme j’étais maladroit je dus entamer des choses que je
n’aurais pas dû des choses bien conservées refaites ou
anatomiquement justes. Et à ma Zaza je décrochai un
mollet que j’oubliai dans un coin. Tel un bouton sous une
commode sa rotule roula.
Dans la nuit. Détruire. Jeter. À coup de maillet
j’entrepris de réduire le reste en poudre. Je vivais chez elle.
Parmi elle. Zazaland. Sa poussière ses cheveux sa squame
- 217 -
son suif tapissaient ma baignoire mes bronches ma langue
mes dents. L’une d’elles du fond une sagesse en
mâchonnant l’un de ses petits os salé se fendilla.
Zaza voletait. La gensive en sang je l’aimais tout
autant.
Taille 37. Dans un coin oublié subsistait quelque
chose de Zaza arborant quelque chose de Valérie que je pris
en main. Une vieille Nike bicolore et toute mâchonnée avec
planté dedans le mollet zazaïen déshydraté.
J’allumai un feu avec ma desserte de bois rouge puis
je montai me lover dans ma mezzanine hypnotisé par le
pied chaussé fondant puis crépitant plus bas dans la
cheminée. Je m’asphyxiais un peu.
J’employais dans la nuit des mots comme palissandre
soude polyuréthane pneu dioxine caramel kératine graillon ;
et je ne sais pas pourquoi mes yeux brûlèrent et Fix apparut.
Mon meilleur ami innocent qui pleurait lui-aussi.
Quelque chose monta de la terre. C’était en germe
depuis si longtemps. Ça se mit à sourdre. Un appel d’air.
Puis la foudre nous frappa.
Je n’entendis plus ni la guêpe ni le feu qui
chantonnaient à mon oreille.
Je me redandinais dans le pré. Minuscule mais
entouré.
La foule en liesse voulait rester à ma hauteur. Je lui
souris puis cueillai une sorte de graminée qui s’embrasa elle
aussi.
Je caressais gentiment la joue de mon ami avec.
On me jucha sur ses épaules.
De plus en plus haut.
Nous dansions à nouveau.
- 218 -
notes
1 : Le Monde du Jeudi 3 juin 1997
Titre : Au paradis tout va bien.
Dans l’épaisseur du silence
qu’impose cette galerie de portraits
d’Antonin Artaud commise par le
jeune plasticien Miki Ikillu, 23 ans,
le spectateur s’immobilise étreint par
la double sensation qui l’envahit :
Saisissement devant la beauté,
sidération face à l’horreur. En arrêt
devant l’image, seule l’ambiguë
fascination se meut avec brutalité en
lui, scindé qu’il est par des
sentiments de forces contraires que
provoque le retablissement d’un
monde originellement beau sur les
ruines actuelles de l’être. Collection
de têtes meurtrières tombées sous le
couperet d’une guillotine ? Ou
exposition de sculptures antiques
que Miki Ikillu enfant irrespectueux
se serait amusé à ébrécher et à
travestir ?
La réponse importe peu en
dernière analyse car tous ces visages
artaldiens s’ils sont à coup sûr
d’outre-tombe, la bouche close
définitivement scellée sur le terrible
secret, ont été ranimés par la main
de l’artiste.
Le visage d’Artaud est inerte,
ossifié et de marbre presque.
Cependant comme derrière un
- 219 -
masque inhumain apparaît le regard
énigmatique porté sur nous d’une
lucidité à peine supportable.
Le spectateur dévisagé est
alors pris à son propre piège. C’est
par et sous le regard si vrai de cet
autre en miroir qu’il se sent déchiré.
Soutenir la présence d’un de
ces regards c’est, il le sait, se heurter
à l’histoire mythique d’une
souffrance dont il constate partout la
marque.
La vérité du regard est chez
Miki Ikillu ce par quoi il force à
reconnaître la réalité d’un monde
violent à la limite de l’implosion,
sorte de carcasse vide où se livre en
soubassement un combat aux
couleurs les plus sombres avec
l’espoir de regagner sur le néant
complet ce qui peut être sauvé du
désastre premier.
Peindre la misérable infirmité
de l’être c’est savoir que même une
infirmité palpite de vie. Si
l’expression d’une pareille
défiguration est difficilement
acceptable, il est pratiquement
impossible de la rejeter comme
participant de l’étrangeté tant cette
vision convoque la mémoire.
Ces effigies suppliantes
maintenues en suspens par la seule
présence de leur cou fragile sur le fil
ténu d’une histoire en perpétuel
bouleversement sont le rappel
incessant de notre propre
imperfection gravée à même la peau
dès la naissance : Du premier cri au
dernier la vie comme une lente
agonie.
Ce qui apparait au début
comme le combat désespéré d’un
peintre pour restituer à sa vie la
perte qu’elle occasionne devient
rapidement l’origine de sa propre
création.
Cette dépossession, au lieu
d’être subie comme le résultat
intrinsèque à l’aboutissement
pictural, vient se placer comme le
sujet premier de la création :
Maîtriser cette impossibilité de vivre
par l’acte pictural.
Il y a au départ le visage, le
visage démultiplié d’Artaud, qui
apparaît sous l’angle de la
perfection, symétrie impeccable
respect des proportions, solidité du
marbre quand brusquement le
portrait est dévoilé, déstratifié par
Miki qui détruit sous nos yeux ce qui
n’était en fait qu’un masque de
plâtre, une ossification fallacieuse.
La véritable texture de ces
têtes en coupe nous est enfin révélée.
Douleur de la chair mise à vif. Et de
toute cette souffrance pas même
l’aveu.
La bouche peinte contractée,
dédaigneuse est également là pour
nous rappeller que l’art est
supercherie et travestissement de la
comédie humaine.
Il faut assister à une séance de
travail de Miki Ikillu dans son atelier
pour se faire une simple idée de ce
qu’un de ses tableaux réclame
d’attention soutenue d’infinie
patience et de talent. Le corps à
l’horizontale presque couché sur la
surface synthétique qu’il travaille
sans trève, le peintre alterne les
gestes les plus tendres aux
mouvements les plus violents. La
main gauche dépose délicatement
un aplat tandis que la droite à l’aide
d’un instrument tranchant le détruit
en raclant la superposition des
strates antérieures, révélant ainsi au
spectateur l’élaboration de l’œuvre
au moment même de sa création.
Fracture du glacis, fixations des
accidents, remords et repentirs
apparents. Tout est prétexte pour
enrichir le mode d’expression
original de l’artiste. Si le spectateur
prend part à la réalisation de
l’œuvre, chaque détail conserve
néanmoins sa mystérieuse
signification, résout une énigme que
seul le peintre connait.
Hélène Sillex
- 220 -
2 : L’ enregistrement de l’Éphédrinade
« Non sans déconner c’est vrai les mecs merde tout
dans la classe moyenne pue la mesure la taxe et les amours
déçues. Non ? Ces petits cadavres s’énervent. Parce qu’ils se
lèvent tôt et turbinent tard. Pas vrai ? Et jamais jamais
merde hahaha au grand jamais les mecs il ne leur faudra
leur ressembler les mecs. Non ? Sans déconner. En tant
qu’employés merde ces connards adorent les voyages
hahaha non ? Peuchère. La culture les arts le sport et la
bonne bouffe haha haha. Mais ils se sont pas vraiment
merde vivants les mecs. Pas vrai ? Hahaha. Ha. Non ? Et ne
font que s’entretenir merde ou s’autogénérer les mecs genre
mousse ou lichen hahaha. Merde. Pas vrai ? Les mecs ?
Non ? Peuchère ! La classe moyenne est à deux ou trois
générations de la pauvreté la plus crasse merde et a peur d’y
retourner les mecs. Non ? La merde haha moyenne pue la
peur du pauvre et la peur d’être pauvre merde les mecs. Pue
la haine du pauvre et la haine du riche. Si ! La hahaha
classe moyenne aimerait bien être riche. Peuchère. Ça c’est
vrai si ! Mais merde elle ne sait même pas comment
truander les mecs car si ! c’est vrai c’est l’apanage des riches
et des pauvres hahaha. Merde. Si ! Sans déconner la classe
moyenne n’est rien les mecs. La classe moyenne les mecs
collabore. La classe moyenne résiste merde. Mais c’est
pareil. Peuchère. La classe moyenne décède hohoho et tue
le moins possible ouh non car ceci ne se fait haha pas. Mais
cette ex-chair à canon-là sans déconner uhuhu merde
s’emmerde les mecs déprime sans déconner et se drogue
légalement peuchère s’émancipe se fait éhéhé enculer surfe
les mecs crée ou croit créer faute de mieux merde. La
merde moyenne putain crève en général dans son lit
d’hopital. Sans déconner. Classe ? Non ? Si ! Hahaha.
- 221 -
Moyen. Plutôt. De son pauvre petit adénome ou les mecs
putain merde lymphome hahaha ou sarcocome les mecs ou
mélanononome hummm putain malin culier ou
pulmonaire. Peuchère. Mais nous hahaha hein ? Nous ?
Peuchère. C’est un tout tout tout autre destin qu’on va avoir
hein ? Les mecs. Pas vrai ? Pas vrai pas vrai ? Hahaha.
Haha. Ah. Classe ? Non ? Les mecs ? Peuchère. Non ?
Ahhhhhh sans déconner ? Sans dèque ? Ouhhhhh. Non ?
- 222 -