TABLE DES MATIERES La transcription au XIXe

Transcription

TABLE DES MATIERES La transcription au XIXe
Liszt et la transcription
TABLE DES MATIERES
La transcription au XIXe siècle .......................................................................... 2
Liszt face à la transcription................................................................................. 3
Les différentes formes de la transcription ........................................................... 3
La paraphrase....................................................................................... 3
La transcription de Lied........................................................................ 5
La partition de piano............................................................................. 7
La technique et les moyens de la transcription.................................................... 8
Le piano symphonique........................................................................... 8
La virtuosité.......................................................................................... 8
Une existence dédiée à la transcription ? ............................................................ 9
Blaise Christen
26.10.2009
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Liszt et la transcription
La transcription au XIXe siècle
Le XIXe siècle marque un tournant dans la manière de concevoir le rapport entre la musique
et les couleurs instrumentales. Auparavant (surtout avant Berlioz), la notion d'orchestration
n'était pas la préoccupation majeure des compositeurs. Ainsi trouve-t-on fréquemment au
XVIIIème des sonates pour « flûte ou violon », on jouait volontiers des œuvre d'orgue au
clavecin et vis versa, sans compter des pièces comme l'art de la fugue de Bach, œuvres où rien
n'indique pour quel(s) instrument(s) elles sont composées.
La perception de l'époque romantique par rapport à la musique orchestrale est tout autre. Les
compositeurs ont élevé le timbre au point où il n'est plus permis de toucher à l'orchestration
d'une pièce. Pour ce qui est de la musique contemporaine de l’époque s'entend, car pour la
musique du passé, toutes les licences sont admises dans l’optique de la moderniser. On voit à
cette époque une tendance à réorchestrer la musique du passé selon les nouveaux principes.
Mendelssohn, par exemple, ne se prive pas de modifier l’orchestration de la passion selon St
Matthieu lorsqu’il la dirige. Il n’hésite pas à remplacer le hautbois par une clarinette. C'est
pourquoi la notion de transcription ou d'arrangement se fait rare à cette époque. Une seule
forme de transcription était alors admise, et ce uniquement pour des raisons utilitaires. Il s'agit
de la réduction pour piano de musique connue.
En effet, le piano et sa mécanique ayant peu à peu évolué, cet instrument avait gagné une
grande popularité aussi bien dans le cadre des concerts que pour l'usage domestique. Ainsi, le
rôle du piano était essentiel en tant que médiateur entre le compositeur et la foule. Il devait à
peu près jouer le rôle que joue aujourd'hui pour nous la radio ou le lecteur CD. Publier les
réductions de piano des grandes pièces leur promettait ainsi une plus large diffusion au sein
même des foyers que ne pouvait leur offrir le concert (donner une estimation du prix que
devait coûter un concert à l'époque). À cette époque, la production de piano s'est
industrialisée. Deux principales maisons occupent le monopole en ce domaine : Erard et
Pleyel. Chacun possède son écurie de virtuoses qui leur font une certaine publicité. L'industrie
du piano commence à prendre des dimensions importantes, et les deux entreprises rivales
parviennent à produire une moyenne de 100 pianos par année
À l’origine, la réduction pour piano était pratiquée par le compositeur. Ainsi Beethoven a-t-il
transcrit lui-même ses symphonies pour piano. Parallèlement à l'évolution du piano, on vit
apparaître un changement dans la manière d'écrire pour le piano. Les progrès de la mécanique
pianistique permettait de nouveaux effets. Peu à peu, sans doute dans le désir d'obéir à
l’esthétique du temps. Peut-être aussi pour leur gloire personnelle, pour montrer leur
virtuosité. Les compositeurs ont eu tendance à remplir leurs arrangements pour piano de
multiples ornements, arpèges, gammes et autres artifices. La notion de transcription pour
piano finit par perdre définitivement son caractère utilitaire de médiateur entre le créateur et le
peuple, la partition devenant dans certains cas trop compliquée à jouer pour des doigts non
expérimentés.
Au moment où Liszt entre en scène, la transcription est une mode à laquelle aucun
compositeur ne saurait échapper. On transcrit tout est n'importe quoi pour le piano, ce qui
donne lieu parfois à des curiosités. Il en est ainsi de ce compositeur, dont on a
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Liszt et la transcription
(heureusement ?) oublié le nom et qui transcrivit la totalité des opéras de Mozart, récitatifs
compris... ou de cet autre personnage qui publia une édition des études de Chopin pour une
seule main.
Liszt face à la transcription
Il est difficile de dire si c'est le succès qui a poussé Liszt à faire des transcriptions ou si ce
sont ses transcriptions qui furent source de succès. Il semblerait que les deux soient liés. Il
serait très compliqué de comprendre la vision que Liszt entretenait de sa célébrité. Il faudrait
comprendre toute la psychologie du personnage, psychologie par ailleurs fort complexe, étude
bien au-delà des ambitions de ce travail. On peut en tous les cas supposer que le succès de
Liszt n’est pas étranger à sa popularité.
Liszt était avant tout un homme de scène, lui qui a permis l'essor du récital de piano. L'art de
l'ornementation, du costume, en quelque sorte ne devait donc pas avoir de secret pour lui.
Sur toutes les œuvres de Liszt, plus de la moitié appartiennent au domaine de la transcription.
Jacques Drillon en dénombre 351 sur un total de 678 compositions. Le nombre de
transcriptions peut varier considérablement suivant l'angle de vue sous lequel on aborde cette
question (où se situe la limite entre la transcription et l'emprunt musical? Ecrire des variations
sur une basse obstinée chromatique pour Weinen klagen etc. même si Bach en fait aussi
l'usage constitue-t-il une véritable transcription?). Drillon met aux rangs des transcriptions
toutes les pièces qui ne se basent pas sur des idées originales de Liszt. Il y inclut aussi toutes
les transcriptions, réécriture, multiples versions que Liszt a fait de ses propres œuvres.
Nous arrivons donc à une jolie somme de transcriptions, paraphrases, fantaisies et autres
pièces, somme jamais atteinte auparavant, ni depuis. Liszt est véritablement un cas unique
dans l'histoire de la musique. Mais comment se fait-il qu'un compositeur passe sa vie à
réutiliser les musiques (parfois de qualité très médiocre) d'autres compositeurs contre l'avis de
ses contemporains et amis qui voyaient dans cette activité une pure perte de temps et
d’inventivité, alors même qu'il s'appelle Liszt et possède donc une inventivité, une capacité
créatrice hors du commun ? (Rappelons que Liszt à tout de même bâti une grande partie de
son œuvre sur des thèmes originaux).
Les différentes formes de la transcription
La paraphrase
C'est le style de composition le plus populaire de cette époque. Il s'agit en fait de pots-pourris
de thèmes d'opéras à la mode. On prend quelques thèmes importants d'un opéra qu'on
développe et qu'on varie afin d'en donner une sorte de résumé. On n'omet aucuns des artifices
qui produisent un effet certain sur les foules. Selon Drillon, ces paraphrases, fantaisies et
autres réminiscences ont quatre buts principaux :
-Montrer la virtuosité et la technique de l'interprète
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Liszt et la transcription
-Montrer la virtuosité de l'arrangeur, c’est-à-dire tout ce qui se rapporte au fait de reproduire
des effets orchestraux qui donnent au piano un timbre le plus symphonique possible. Cette
notion de piano symphonique sera développée plus tard, lorsqu'il s'agira de décrire le
processus de transcription.
-Permettre au compositeur d'écrire rapidement et de produire le plus grand nombre possible
de compositions (il faut bien vivre). Le procédé à été remis au goût du jour par la musique
"commerciale" que nous connaissons aujourd'hui et qui utilise souvent des lieux communs
harmoniques et mélodiques pour produire une grande quantité de musique facile.
-Établir un lien privilégié avec le public. La foule a besoin de point d'ancrages, de choses
connues auxquelles il peut s'attacher pour pouvoir apprécier une pièce. Il ne faut pas oublier
que la transmission de la musique était beaucoup moins développée qu'aujourd'hui et que par
conséquent, les pièces n'étaient pour la plupart entendues qu'une seule fois par le public. Cette
manière de faire réentendre quelque chose de déjà entendu arrivait donc à point nommé. En
effet, le public apprécie souvent d’entendre quelque chose qu’il connaît pour l’avoir déjà
entendu. Cette « rencontre » entre le public et la musique peut prendre place à un niveau
conscient (on reconnaît une mélodie déjà entendue) ou inconscient (aspect plus ornemental
qui explique peut-être la notion de « lieux communs » dans les transcriptions de Liszt et de
ses contemporains).
La paraphrase est donc avant tout un moyen de se montrer, de se faire bien voir du public en
lui offrant ce qu'il désire. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ses paraphrases les plus brillantes
ont toutes été composées entre 1838 et 1847, c'est-à-dire la période où il brille le plus (la
fameuse glanzperiode). Ces pièces présentent donc une grande facilité d'écoute. Le langage
est donc assez simple (pour l'auditeur...) et compréhensible. Inutile de préciser également que
ces pièces sont remplies de lieux communs et de clichées musicaux de manière à ce que
l'auditeur ne soit pas égaré par quelque chose à quoi il ne s'attend pas. Les arpèges, les
gammes en sixtes, les octaves brisées sont donc légion. Le public est véritablement pris par la
main et mené à la musique tout en douceur. Il ne s'agit donc pas de musique profondément
intellectuelle, mais d'une musique légère, un divertissement. Liszt lui-même ne semblait pas
tenir en grande estime ce genre auquel il a pourtant cédé de nombreuses fois :"citation
Drillon". Il est très intéressant de voir cet aspect contradictoire de Liszt ici aussi. Cet éternel
combat entre raison et sentiments, entre l'abbé Liszt et le virtuose méphistophélique. Il est
certain que Liszt devait penser faire mieux que ses contemporains, et il est vrai qu'il y est
parvenu à plus d'un titre : tout d'abord grâce à sa technique pianistique inégalable, mais aussi
par un souci de la construction et du détail dans toutes ses paraphrases. Le langage de la
paraphrase est celui de la variation. Le thème reste la plupart du temps bien compréhensible,
c'est plutôt du côté de l'accompagnement qu'il faut chercher la diversité. On voit déjà l'amour
de Liszt pour la variation. Il ne s'agit pas encore de transformation de thèmes ou de poèmes
symphonique mais la volonté de modeler la musique, de montrer une idée sous différents
angles, sous différents éclairages est déjà là.
Il est difficile d'évaluer l'importance que Liszt attribuait à de telles compositions. Ses propres
écrits et correspondances aux sujets de ses paraphrases ne sont pas faits pour nous éclairer sur
l'intérêt ou le mépris qui était le sien en matière de paraphrase. "En attendant je travaille
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Liszt et la transcription
comme un enragé à des fantaisies d'enragé. Norma, La somnanbula, Freischütz, Maometto,
Moïse, et Don Juan vont être prêts dans cinq à six jours. C'est une nouvelle veine que j'ai
trouvée et que je veux exploiter. Comme effet, ces dernières productions sont
incomparablement supérieures à mes choses précédentes" écrit-il avec enthousiasme à Marie
d'Agoult, montrant une réelle motivation dans ce travaille de variation et d'orchestration
pianistique. Un peu plus tard, c'est sur un tout autre ton qu'il écrit à Mme Pleyel qui lui a
commandé les Réminiscences de Norma. "Voici, chère et ravissante collègue, une Fantaisie
toute chargée d'arpèges, d'octaves et de ces ternes lieux communs, prétendus brillants et
extraordinaires, dont beaucoup d'autres de nos collègues, fort peu ravissants d'ailleurs, nous
assomment et nous assassinent depuis bien longtemps, à tel point que nous en avons tous pardessus les oreilles.". Modestie, formules de politesses, critique ouverte de ses contemporains.
Les termes sont forts et dévalorisants. La lettre est en elle-même contradictoire : elle
dévalorise complètement la manière de procéder, mais d'un autre côté, elle place Liszt à part,
à l'écart de ces "autres collègues, forts peu ravissants". Il est indéniable que Liszt ne suivait
pas exactement le modèle qu'avaient jusqu'alors suivi ses contemporains. Il apporte des
améliorations certaines quant à l'orchestration pianistique. Il s'autorise également plus de
liberté face à la structure originelle de l'opéra paraphrasé. Rémy Stricker, pour expliciter cette
recomposition de la dramaturgie, compare Les Réminiscences de Don Juan et Sérénade et
Menuet de l'opéra "Don Giovanni" de Thalberg : Là ou Thalberg se borne à varier les deux
idées les moins profondes de l'opéra de Mozart, Liszt utilise les moments clefs du drame pour
en exprimer toute la puissance émotionnelle que Liszt a probablement ressentie à la vue de cet
opéra. Liszt s’attache à des moments clefs de l’histoire, les parties les plus riches en
sentiments les plus contrastés. La paraphrase n'est plus uniquement une pièce décorative, mais
elle nous prouve qu'elle peut tendre vers la profondeur des idées en offrant à l'écoute une
pièce nouvelle et toute pleine de sentiments.
La transcription de Lied
Lorsqu'on regarde les programmes de concerts de Liszt, les pièces qui apparaissent sous le
nom de transcriptions sont pour la plupart les transcriptions de Lieder pour piano seul. Cette
catégorie comprend entre autres :
-56 lieder de Schubert
-19 de Beethoven
-12 de Schumann
-6 chants Polonais de Chopin.
Ces transcriptions occupent une place intermédiaire entre la paraphrase très libre et la
partition de piano (littérale). Dans ces pièces Liszt conserve la construction, le nombre de
couplets. Contrairement aux paraphrases, la temporalité est la même que dans la pièce
originale. Cependant, il conserve un certain nombre de libertés : l’accompagnement n’étant
pas orchestral, il n’est pas tenu d’imiter un timbre ou d’étendre la tessiture à celle de
l’orchestre, il peut donc en faire ce qu’il veut. Par moments, il s’attache au texte, tentant de
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Liszt et la transcription
montrer les intonations de la voix, mais la plupart du temps, il orchestre le Lied, il en fait une
pièce quasi symphonique.
La façon de procéder est la suivante : en partant de la partition de départ pour voix est
accompagnement de piano, il s'agit de faire jouer l'ensemble de la mélodie et de
l'accompagnement par les seules deux mains du pianiste. Ce type de composition demande
bien souvent un véritable tour de force de la part du pianiste, l’accompagnement original étant
souvent déjà bien compliqué. Par ailleurs, ces chants étant souvent composés de plusieurs
couplets, Liszt varie et développe l'accompagnement pour apporter un intérêt supplémentaire
à chaque répétition. De plus, la mélodie ou la basse, voir les deux sont parfois doublées à
l'octave pour en renforcer l'effet. Dès lors, la technique qui semblait à priori très simple à
mettre en pratique se révèle bien souvent de l'ordre du casse-tête tant sur le plan de la vélocité
que sur celui des nuances, des accents et des phrasés.
Liszt part souvent de l'introduction du compositeur d'origine qu'il reproduit telle quelle, puis
entre la mélodie. Il est fait par moments quelques concessions à l'accompagnement dans la
première strophe, mais tous les éléments restent reconnaissables. C'est à partir de là que
débutent réellement les variations. Car c'est bel et bien de variation dont il s'agit. Le Lied,
avec sa forme bien souvent strophique est le terrain idéal à ce genre d'expérimentation. La
mélodie devant toujours être reconnaissable, c'est l'accompagnement qui écope du difficile
travail d'ornementer, à l'aide de procédés usuels, afin de produire cette progression
vertigineuse qui doit nous conduire bien souvent à une coda passionnée et virtuose.
L’harmonie est conservée, la plupart du temps. C’est surtout à des aspects d’ornementation et
de décalages rythmiques que s’attache Liszt. À travers son art de la variation ornementale, il
cherche à amplifier le lien entre paroles et musique, comme si le surplus d’accompagnement
devait remplacer les mots absents. Les effets déjà présents chez Schubert, par exemple, sont
amplifiés et démultipliés.
Un grand effort est fait également pour conserver à la pièce une cohérence et une unité. Il ne
s’agit pas seulement de faire une transcription pour piano, il faut que la transcription puisse
être une pièce de piano à part entière. Le lied tend ainsi à quitter sa vocation première, à
perdre de sa « vocalité » pour devenir un morceau profondément pianistique.
Exemple d’amplification de l’accompagnement dans la dernière strophe, la mélodie doublée en octaves.
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Liszt et la transcription
La partition de piano
C'est le deuxième grand domaine de la transcription auquel Liszt s'est intéressé. Il s'agit en
fait d'une transcription la plus fidèle possible à l’original. Là où la paraphrase est une
illustration des capacités du transcripteur, la partition de piano le force à s'effacer le plus
possible derrière le compositeur qu'il transcrit. On pourrait donc penser, étant donné leur côté
peut être plus "utilitaire" de diffusion d'une œuvre orchestrale sur un support moins coûteux et
moins encombrant que l'orchestre que ces pièces sont plus destinées à être jouées par le grand
public. Il n'en est rien. La plupart de ces transcriptions sont et resteront injouables par le
commun des mortels. Ces pages d'une complexité folle, s'attachant à rendre aux mieux toutes
les parties importantes de pièces parfois harmoniquement ou contrapuntiquement très
complexes elles aussi donnent une vague idée de la technique de clavier que devait posséder
Liszt. Les partitions de piano sont toutes tirées de pièces et de compositeurs que Liszt
admirait beaucoup. Peut-être les admirait-il trop pour pouvoir se permettre de faire de leurs
œuvres des paraphrases, voyant dans leurs créations des temples sacrés à ne pas profaner. Il
est par exemple fascinant de voir comment traite le Miserere d'Allegri et l'Ave Verum de
Mozart dans "évocation à la chapelle Sixtine" pour orgue : La première partie est consacrée au
Miserere et il est traité à la manière d'une paraphrase de concert, ou du moins en suivant le
principe de la variation. Le Miserere étant réduit au simple résumé harmonique des premières
mesures. Lorsque la partie réservée à l'Ave Verum arrive, on est très étonné de constater que
le texte de Mozart est scrupuleusement conservé note à note, ce qui en fait une pièce
relativement ennuyeuse à écouter.
On compte donc aux rangs des partitions de pianos : Beethoven (Les 9 symphonies), Wagner
(des extraits d'opéras) et Bach (six préludes et fugues et la fantaisie et fugue en sol mineur).
Schubert, Schumann et quelques autres, dont il a réalisé un grand nombre de Lieder pour
piano solo, occupent une place à part dans ce catalogue. Les transcriptions de Lieder occupent
une place intermédiaire entre la paraphrase et la partition de piano.
Ces partitions de piano étant dès lors impossible à jouer, la notion de diffusions de pièces peu
connues du public prenait une dimension tout autre. L’exécution de ces pièces dans un cadre
domestique étant supprimée, la diffusion se faisait par l'intermédiaire du récital de piano.
Liszt étant le seul pianiste à pouvoir les jouer, il était rendu indispensable par la nature même
des pièces (ce qui ne devait pas être pour déplaire à son ego). Il est ainsi bien des fois où plus
que l'accessibilité des pièces, c'était la magie du virtuose qui faisait leur popularité. Les gens
venaient voir Liszt et sortaient du récital en ayant pris connaissance de pièces d'autres
compositeurs, presque à leur insu. Cette volonté de mettre la culture à la portée de tous
représente une des idée fondamentale de ce milieu du XIXe siècle. La notion de partition de
piano implique, dans le cas du passage de l'orchestre au piano, une étude approfondie sur les
timbres et les sonorités liées à l'orchestre. L'écriture de piano devait donc trouver un certain
nombre d'innovations. C'est ce à quoi nous allons nous intéresser maintenant.
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Liszt et la transcription
La technique et les moyens de la transcription
Le piano symphonique
Depuis sa création au XVIIIe siècle, le piano connaît de nombreuses améliorations en rapport
avec sa mécanique. Ainsi par exemple la pédale de résonance (Erard 1777) qui permet à
l'interprète une plus grande liberté spatiale sur le piano, permettant des sauts plus grands sans
provoquer de rupture au sein du discours musical, ou la mécanique à double échappement
(1822) qui permet des répétitions de notes plus précises, autorisant ainsi les trilles dans les
nuances piano. Pour arriver enfin vers 1838 au piano que nous connaissons encore
aujourd'hui.
C'est donc dans sa forme presque définitive que Liszt et ses contemporains font la
connaissance du piano. Ce qui paraissait jusqu'alors impossible, c'est-à-dire permettre à un
seul instrumentiste de remplacer l'orchestre dans son intégralité, commence à être
envisageable. La plupart des grands compositeurs que nous connaissons ont approché de près
ou de loin la notion de piano symphonique. Schumann, par exemple, développe ce principe
dans ses "Etudes symphoniques" en 1835. Il joue avec plusieurs plans sonores ayant chacun
leurs spécificités d'écriture imitant les instruments de l'orchestre, ou imite un orchestre à corde
à l'aide d'accords qui s'enchaînent très rapidement. Chopin, lui aussi utilise fréquemment
plusieurs plans sonores ainsi que des extensions d'accords mettant à profit une plus grande
étendue dans la tessiture. L'élargissement de cette tessiture à sept octaves permet également
aux musiciens d'accéder à de plus grandes différenciations de timbre en jouant dans l'extrême
aigu ou dans l'extrême grave du piano.
La pratique du piano connaît donc elle aussi une évolution. On ne joue plus de la même
manière qu'auparavant. On s'intéresse beaucoup plus à la sonorité que l'on veut produire. On
cherche des nuances toujours plus rares, des contrastes entre les différents plans sonores, des
différences de toucher.
La virtuosité
Dans les années 1830, on voit apparaître une grande quantité de pianistes virtuoses. La plupart
d'entre eux s'attache à développer une facette de la virtuosité. Les uns produisent des arpèges
à la chaîne, d'autres se spécialisent dans les gammes d'autres encore, comme Thalberg,
développent une technique donnant l'illusion d'un jeu à trois main en jouant la mélodie aux
deux pouces. La plupart d'entre eux sont tombés dans l'oubli. Ce genre d'activités plaît
beaucoup au public qui aime à voir des pianistes qui s'affrontent à travers des prouesses
techniques toues plus étonnantes les unes que les autres.
Liszt s'intéresse particulièrement à toutes ces innovations et les combine entre elles. Il
s'inspire notamment de l'extension d'accord de Chopin ainsi que de la technique utilisée par
Thalberg son "rival" qui consiste à distribuer la mélodie entre les deux pouces tandis que le
reste s'occupe de l'accompagnement et de la basse. La ligne mélodique est très audible dans le
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Liszt et la transcription
médium du piano, bien que noyée entre les arpèges dans l'aigu et la basse doublée en octave
dans le grave.
Liszt développe ainsi sa virtuosité non pas à travers la spécialisation, mais à travers la
combinaison de technique. Pour Liszt, la virtuosité n'est pas conçue juste pour étonner. Il
cherche d'abord à adapter sa technique à la nécessité qu'exigent les pièces qu'il écrit. Il veut
multiplier les plans sonores pour atteindre à la diversité de l'écriture d'orchestre. Sa technique
est avant tout utilitaire, et elle lui sert à faire tout ce qu'il est possible de faire avec le piano.
C'est ce désir d'asservir son instrument, de le maîtriser totalement qui sera à la source d'une
grande partie de sa musique.
Une existence dédiée à la transcription ?
Nous avons pu remarquer qu’une grande partie de l’œuvre de Liszt est consacrée à des pièces
basée sur des thèmes d’autres compositeurs. L’élément originel n’est donc pas de Liszt luimême. Il se contente de l’aspect construit de l’œuvre qu’à ses éléments profondément
constitutifs, comme si la véritable composition était dans la mise en place, dans la mise en
scène d’éléments. Son travail est avant tout un travail sur l’apparence et sur la mise en scène.
Ces idées qu’il emprunte aux autres, il les costume à l’aide d’arpèges ou d’octave, puis il les
éclaire différemment à travers des variations, pourvu que tout donne un résultat
impressionnant, construit et sensible.
En dehors des exemples clairement transcrit, il est intéressant de voir comment cet homme de
scène utilise ses talents d’éclairagiste. La première idée qui vient à l’esprit est la notion de
poème symphonique, grande partie de l’œuvre du Liszt créateur. C’est justement la raison
d’être du poème symphonique que faire passer un argument, un sentiment ou une idée à
travers la construction musicale. Je remarque deux ressemblance entre la transcription et le
poème symphonique :
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Liszt et la transcription
-On sait que Liszt, dans le cadre des poèmes symphoniques utilise le principe de la
transformation de thème, c’est-à-dire la variation d’une idée musicale déjà entendue. Ce
principe, nous l’avions déjà entendu dans la symphonie fantastique de Berlioz. Liszt suit cette
ligne donnée par Berlioz et se plait à varier ses propres idées musicale. Par cette action, il ne
fait rien d’autre que de s’auto-transcrire, de reproduire une idée déjà exprimée, mais
différemment.
-Lors de l’écriture d’un poème symphonique, le principal travail consiste en la mise en valeur
d’une idée extra musicale et dans cette optique, Liszt n’en est pas véritablement le créateur.
Certes, il ne faudrait pas chercher la transcription au coin de toutes les pièces de Liszt, ou des
autres compositeurs, mais il est frappant de voir à quel point dans la majorité de ses œuvres il
est difficile d’attribuer une paternité absolue de Liszt. Ceci fait penser à une phrase inscrite
dans les écrits de Marie d’Agoult :» En voyant pompeusement signées d’un nom d’auteur ces
sortes de compositions qui, la plupart du temps, n’ont d’autre valeur que celle qui leur est
donnée par le plus ou moins de vogue de l’opéra paternel, je me suis toujours rappelé le mot
de Pascal : « Certains auteurs, parlant de leurs ouvrages disent :mon livre, mon commentaire,
mon histoire, etc. Ils sentent leur bourgeois qui ont pignon sur rue, et toujours un chez-moi à
la bouche. Ils feraient mieux de dire :notre livre, notre commentaire, notre histoire, etc. Vu
que d’ordinaire, il y a plus en cela du bien d’autrui que du leur. » » Busoni, à sa suite dira
dans Wesen und Einheit der Musik : « Toute notation est déjà la transcription d’une idée
abstraite ».
La notion de paternité dans les arts commençait à être le sujet d’une discussion très
importante dans le milieu de la musique et ce jusqu’à nos jours. Jusqu’au milieu du XVIIe
siècle, le compositeur occupait une place dans une cour royale et ses écrits appartenaient donc
au roi. La protection des œuvres n’avait pas lieu d’être. C’est à la Révolution qu’un certain
nombre de lois sont votées attribuant des droits aux artistes vis-à-vis de leur œuvre. C’est au
cours du XIXe siècle que de grandes décisions sont prise à ce sujet se terminant en 1886 par
la convention de Berne. Il était donc inévitable que Liszt prenne part à cette réflexion en
questionnant à son tour sur la création musicale : ce que j’écris est-il véritablement de moi ?
C’est sans doute à ce genre de réflexion que nous devons une grande partie de l’œuvre de
Liszt, et qui font que la transcription occupe une si grande part de son existence.
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