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Adam, j’écris ton Nom
Par Soufiane Zitouni | le 18. septembre 2014 - 8:49
Selon le Coran, le Père et la Mère de l’Humanité ont péché par ignorance, c’est pourquoi Dieu accueille et
accepte leur repentir sincère et leur transmet une prière afin d’être bien guidés.
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A propos de
l'auteur
Bismillah al-Rahman al-Rahim
« L’homme est un isthme entre la lumière et l’obscurité ». Cette parole de Djalaloddin Rumi
est d’une grande profondeur et d’une grande sagesse. Nous l’avons découverte sous la
plume du Cheikh Khaled Bentounès dans un livre remarquable intitulé « Thérapie de l’âme »
(Albin Michel), et voici le commentaire du Cheikh à propos de cette sentence : « Nous tenons là une clef donnant
accès à une première définition de l’homme. Comparer l’homme à un « isthme » qui se situerait à la jonction de la
lumière et de l’obscurité, c’est le définir comme un entre-deux, ni absolument ange, ni absolument démon, un être
mixte tiraillé entre un désir d’élévation spirituelle et les désirs de son ego narcissique. »
Soufiane Zitouni
Par ailleurs, le Cheikh Bentounès affirme également que c’est ce qui fait de l’Homme un être supérieur aux anges
et aux démons, précisément parce qu’il est cet entre-deux : un être fait de lumière et d’obscurité, de positif et de
négatif, de piété et d’impiété. Le Coran est très clair sur ce point, et tout particulièrement dans la Sourate AshShams (n°91, versets 7 et 8) : « Par l’âme et Celui qui l’a façonnée harmonieusement, et qui lui a inspiré son
impiété et sa piété. » Arrêtons-nous un moment à cette notion d’entre-deux. Le philosophe et psychanalyste Daniel
Sibony, dans son livre intitulé « Entre-deux, l’origine en partage » (Seuil), nous donne quelques pistes de réflexion
très intéressantes : « l’entre-deux apparaît comme un espace dynamique, […] c’est l’espace d’une pratique, d’un
passage », « l’entre-deux concerne l’articulation à l’autre », et ce caractère dynamique et relationnel de l’entre-deux
fait de lui un lieu d’origine ou de naissance, de création.
A la jonction d’un entre-deux peut surgir du nouveau qui n’est plus de l’ordre du passé, mais pas encore non plus
de l’ordre de l’avenir, il est ce « présent permanent » (Hölderlin) toujours en mouvement, toujours en puissance de
créer de la nouveauté, de faire advenir au monde du nouveau. L’entre-deux est donc une promesse de création.
Telle est la situation ontologique de l’Homme selon la tradition islamique.
Une autre Sourate nous éclaire quant à notre dualité ontologique fondamentale, c’est celle du Figuier, At-Tin (n°95,
versets 4,5,6) : « En vérité, Nous avons doté l’Homme en le créant de la forme la plus parfaite, pour le ravaler
ensuite au plus bas de l’échelle, excepté ceux qui croient, font œuvre pie, et qui recevront une récompense qui ne
sera jamais rappelée ! ».
Ces versets sont aussi très clairs, sans équivoque : l’Homme a été créé parfait, doué d’excellence morale (au stade
supérieur de l’ihsan), puis il a été rabaissé au plus bas de l’échelle de la Création, sans doute dans le monde dense
et obscur de la matière non encore douée d’esprit, une espèce de « chaos » encore informel, peut-être ce que
Platon appelle la « khôra » dans le Timée, cette « nourrice du devenir » par encore ordonnée et harmonisée par le
Démiurge, ou bien ce que la tradition alchimique appelle la « materia prima » ou « massa confusa ».
En ce sens, la destinée de l’Homme serait donc de retrouver son état premier d’excellence morale au sein même
du monde matériel dense et opaque, ou à partir des ténèbres de son « incarnation » dans la matière. Ici, nous
pouvons évoquer la destinée du Prophète Yusuf (le Joseph biblique), jeté par ses frères jaloux dans un puits
profond et ténébreux. Il s’ensuivra un certain nombre d’épreuves initiatiques pour cet être dont la beauté fait dire
aux femmes folles amoureuses de lui qu’elle n’est pas humaine, mais angélique… (cf. Sourate Yusuf n°12, verset
31). Et c’est cela même la grande contradiction de la condition humaine : Yusuf est un esclave au royaume de
Pharaon, l’esprit angélique et lumineux de l’Homme est captif du monde matériel ténébreux au sein duquel les
tentations nocives sont grandes et nombreuses.
C’est pourquoi il faut passer par un « emprisonnement » volontaire, une retraite spirituelle librement consentie, afin
de se purifier de ses propres ténèbres, de sa propre ignorance, et retrouver sa nature angélique première. Quand
Yusuf demande à son codétenu libéré de parler de lui à son maître Pharaon, il succombe à la tentation illusoire de
dépendre d’un autre maître que son unique Maître. Le codétenu va alors oublier de parler de Yusuf à Pharaon, et là
il y a un enseignement très important : je ne peux retrouver ma vraie nature dans le monde « pharaonique » de la
matière dense et obscure qu’en m’en remettant exclusivement à Dieu et à nul autre. C’est ce que la tradition
islamique appelle le « tawwakkul », l’abandon de soi confiant à Dieu.
L’oubli de Dieu est une caractéristique majeure de l’Homme selon la tradition islamique. Dans le Coran, l’Homme
est décrit comme oublieux de Dieu, mais aussi ingrat vis-à-vis de Lui, faible, infidèle au Pacte qui le lie à son
Seigneur depuis la création d’Adam. L’Homme est étourdi, distrait par les illusions, les mirages du monde matériel,
et il en oublie alors sa véritable nature qui est fondamentalement spirituelle. L’Esprit angélique de l’Homme se voile
alors et est enchaîné au fond du puits des passions charnelles, des convoitises matérielles. L’Homme trahit son
engagement à servir son Seigneur, à Lui être fidèle en toute circonstance, et cela est une vieille « histoire »…
Au Paradis originel, Adam et Eve, pôle masculin et féminin d’un même être, l’Humain, avaient tout pour être
heureux, rien ne leur manquait, à part peut-être une part de Conscience que Dieu leur réservait pour plus tard,
quand ils auraient acquis un peu plus de maturité pour en être dépositaire de manière responsable… Annick de
Souzenelle soutient cette idée très intéressante dans son livre « Le Symbolisme du corps humain » (Albin Michel),
que le péché originel est un acte d’impatience de la part d’Adam et Eve. Il y a une cohérence remarquable ici : dans
le Coran et la Bible, c’est Iblis ou Satan qui tente Adam et Eve, qui les invite à goûter au fruit de l’arbre défendu, or
l’une des caractéristiques majeures du Diable dans les deux traditions islamique et judéo-chrétienne est
précisément l’impatience, indissociable de l’orgueil et de l’arrogance, autres caractéristiques du Malin selon les
deux traditions. Voilà donc que le Démon, « ennemi déclaré » ou « Adversaire » de l’Homme selon le Coran et la
Bible, pousse l’Humain à acquérir une science et une puissance auxquelles il ne peut prétendre.
Adam et Eve vont alors commettre ce que les Grecs antiques appelaient l’hubris, la démesure. Pourtant, ne fallait-il
pas passer par cette désobéissance à Dieu, cette hubris, pour accéder à plus de conscience ? Dans les tragédies
grecques, c’est bien souvent après l’hubris d’un héros tragique que vient la compréhension salutaire qui lui
manquait, c’est le fameux « pathéï mathos » d’Eschyle, qu’on peut traduire par « la compréhension dans la
souffrance ». Et de fait, c’est exactement ce que nous disent à l’unisson la Bible et le Coran quant au péché originel
d’Adam et Eve : la première nous parle de la honte qui s’empare d’eux après leur faute, et de leur désir de se
dérober au regard de Dieu dans cette circonstance, tandis que le Coran met l’accent sur leur repentir sincère. C’est
sans doute une mauvaise interprétation qui fait de l’exclusion d’Adam et Eve hors du Paradis une punition divine.
Selon le Coran, le Père et la Mère de l’Humanité ont péché par ignorance, c’est pourquoi Dieu accueille et accepte
leur repentir sincère et leur transmet une prière afin d’être bien guidés. Tout se passe donc comme si Adam et Eve
avaient très bien fait de transgresser l’ordre de Dieu afin d’obtenir de Lui meilleur guidance, c’est-à-dire, un
accroissement de conscience. C’est sans doute en ce sens qu’il faut entendre cette sagesse du Cheikh Ibn ‘Atta
Allah (ra) : « Il se peut que Dieu te fasse (Lui) désobéir afin de te rapprocher de Lui ». Un étonnant et passionnant
paradoxe à méditer…
Avec cette vision unitive, et non plus duelle, du péché originel d’Adam et Eve, on peut percevoir l’ennemi déclaré
de l’Homme, Iblis ou Satan, d’une toute autre manière, c’est-à-dire, comme une composante nécessaire,
indispensable, du processus de création de l’Homme. Et en effet, tout se passe comme si aucune création n’était
possible sans polarités « ennemies », opposées. Certes l’Homme est impatient, orgueilleux, arrogant, ingrat, jaloux,
envieux, cupide, libidineux, violent, menteur, etc., mais sans cette polarité négative, parviendrait-il à découvrir en lui
et développer l’autre polarité, celle de l’excellence morale, de l’ihsan ? Ainsi, les deux natures opposées en
l’Homme, démoniaque et angélique, participent précisément de sa perfection. Et donc en ce sens, l’imperfection de
l’Homme est sa perfection et vice versa !
L’Homme est le fruit permanent de cette dialectique du bien et du mal en lui, il est cette « conscience
malheureuse » dont parlait le philosophe Hegel, constamment aux prises avec ses contradictions déchirantes, ses
conflits de devoir angoissants, ses cas de conscience inhibant, etc. Mais cela non pas dans une fatalité
camusienne faisant de lui un Sisyphe dont l’existence serait absurde et qui s’efforcerait d’être heureux malgré cette
absurdité, mais dans une espérance eschatologique en une Humanité vouée à progresser vers toujours plus de
Conscience, et donc vers une harmonie et une paix des contraires. Car en la Conscience divine, point de dualité
justement… C’est pourquoi la création de l’Homme est une création ou une écriture toujours en cours, en notre
« présent permanent », pour reprendre une belle formule du grand poète romantique Hölderlin. En tant qu’être
humain, homme ou femme, je suis cet entre-deux voulu par Dieu, un isthme entre la lumière et les ténèbres, dans
un processus constant de création de moi-même, dans une dialectique permanente entre l’esprit éclairé et la
matière confuse qui me constituent, entre le bien et le mal qui se « battent » en moi et pour moi...
En tant que musulman, quand je prie, j’écris mon propre Nom : ADAM. Le Alif premier, c’est ma station verticale,
qui fait de moi un être humain certes (un « homo erectus »), mais un être humain qui ne se connait pas encore
vraiment dans cette verticalité, qui est comme face à un miroir qui reflèterait son Unicité divine originelle mais sans
la multiplicité et la variété de la Création. Il va falloir alors que je me plie en deux – première inclination de la prière
musulmane –, que je « casse » mon Unicité en quelque sorte pour former le Dālde mon Nom, l’équivalent du Daleth
hébraïque (‫)ד‬, symbole d’une Porte entre Ciel et Terre, entre pure unicité divine et monde manifesté et multiple.
En m’inclinant ainsi, en écrivant la lettre Dāl, j’accepte ma séparation temporaire d’avec l’Unicité divine du Alif
primordial ( le temps de ma création, c’est le fameux « délai » accordé à Iblis/Satan pour tenter les hommes jusqu’à
la fin des temps selon le Coran), j’entre alors dans la dualité créatrice nécessaire, je deviens homme et femme,
j’entre dans le cycle vie-mort-vie, je deviens mortel, et j’ai désormais le choix entre le bien et le mal. Je commence
alors à mourir à moi-même, à me sacrifier, à sacrifier mon Unicité originelle pure pour advenir à nouveau à l’Être,
mais avec une Conscience, afin de devenir l’Homme doué de Conscience que je suis destiné à être. Puis vient le
temps et la station de la prosternation front contre sol, et là, j’écris la 3ème et dernière lettre de mon Nom, le Mīm.
C’est alors dans cette prosternation humble face à mon Créateur que je deviens vraiment moi-même, car je suis
sorti de l’inconscience du Alif esseulé dans son Unicité divine (en transgressant !), puis je suis entré volontairement
dans la dualité de la Création en m’inclinant une première fois, et maintenant je retrouve l’Unicité divine en
Conscience et librement, en tant que créature soumise volontairement à son Créateur.
Et autant le Alif du Nom ADAM est masculin dans sa forme, autant son Mīmestféminin dans la sienne. Je
comprends alors que le summum de la soumission à la volonté de Dieu – la station de la prosternation - est plus
féminin que masculin, et que le Mīmde mon Nom à la forme circulaire comme notre planète est la Adamah (Terre
en hébreu) humblement soumise à son Seigneur, capable comme Marie mère de Jésus d’accueillir en son humble
matrice l’Esprit de Dieu. Homme, Humain, Humilité, Humus (Terre en latin) sont de la même famille, voilà alors que
la boucle est bouclée, car en priant comme me l’a enseigné Dieu par le biais du Sceau de la Prophétie (saws), j’ai
écrit mon Nom complètement, celui d’un être fait de la matière la plus basse, la plus humble – et non pas la plus
vile, comme le croit Iblis /Satan par ignorance - qui seule dans l’univers peut accueillir pleinement l’Esprit de son
Créateur. N’est-ce pas alors un merveilleux mystère que cette conjonction possible du plus bas et du plus haut ?
Enfin, quand cette conjonction du plus bas et du plus haut est réalisée en ma prière, quand j’ai écrit les trois lettres
de mon Nom ADAM au moment de ma prosternation, je peux alors m’assoir sereinement – c’est la 4ème station de
la prière musulmane – et demander à Dieu avec foi, confiance et espérance, Sa propre Paix, libre des contraires. Et
si je compte bien tous les mouvements de ma prière jusqu’à cette position assise, je trouve le chiffre 7, chiffre du
jour de la perfection et de la complétude durant lequel Dieu Lui-même S’assoie sur Son Trône après avoir achevé
Sa Création.
Prier, c’est donc créer, et vice versa… Mais en avons-nous vraiment conscience quand nous prions ? Et ne faut-il
pas alors élargir notre conception de la prière à toute activité créatrice au service du Projet de Dieu ? Voire
préconiser un état de prière permanente bien au-delà des seules prières canoniques ? Le Coran lui-même ne nous
dit-il pas que toute la Création prie son Seigneur d’une manière qui nous échappe ? Toute la Création… sauf
l’Homme qui doit toujours et encore apprendre à prier, c’est-à-dire, à participer activement à sa propre création, à
l’incarnation progressive de la Conscience divine en lui. Mais pour cela, l’argile dont il est fait doit être docile et
soumise tel un mort entre les mains de son Créateur, ou telle l’argile sous les mains d’un potier... Sommes-nous
prêts à cette mort initiatique nécessaire ?
Sommes-nous prêts à mourir avant de mourir comme nous a conseillé de le faire le Prophète (saws) pour advenir à
la Conscience divine, finalité ultime de notre création ? Chaque musulman peut se poser ces questions essentielles
pour le bien de l’Humanité, et non pas pour son seul salut personnel.