Démocrates chinois - Blogs

Transcription

Démocrates chinois - Blogs
RectoVerso
2
lundi 26 janvier 2009
1
Cérémonie quotidienne du drapeau chinois
sur la place Tiananmen. À cinq mois
du vingtième anniversaire de la répression
du printemps de Pékin, une pétition
revendiquant des droits civiques circule
sur l’Internet chinois, malgré la censure.
Mat Jacob/Tendance Floue
D’
un groupe de
rock underground dans
l’Europe de
l’Est de la fin
des années
1970 au nouveau mouvement démocratique
qui germe dans l’immense Chine
postolympique, le lien ne semble
pas naturel. Et pourtant. La charte
08, signée par des centaines de
militants des droits civiques et qui
mobilise
aujourd’hui
toute
l’attention sécuritaire du gouvernement chinois, est une référence
directe à la fameuse charte 77, qui
ébranla la Tchécoslovaquie communiste. Signée le 1er janvier 1977
par une poignée de dissidents, au
premier rang desquels Vaclav
Havel, la charte 77 dénonçait à
l’origine la répression du gouvernement communiste contre les
rockers de The Plastic People of
the Universe. Elle joua un rôle clé
pour conduire le pays jusqu’à la
« révolution de velours » de 1989. Il
est évidemment trop tôt pour
savoir si la charte 08 jouera un rôle
important dans l’évolution de la
Chine. Mais une chose est sûre,
l’affaire n’est pas prise à la légère
par Pékin. Parce que le texte apparaît comme le document le plus
abouti depuis 1989. Et parce qu’il
est diffusé à quelques mois d’un
moment extrêmement sensible, le
vingtième anniversaire du drame
de la place Tiananmen, le 4 juin
prochain.
A
Un programme en 19 points
Tout a commencé le 8 décembre dernier, quand les autorités
chinoises ont embastillé une figure de la dissidence chinoise, l’écrivain Liu Xiaobo, considéré, semble-t-il, comme l’une des grandes
plumes de la charte 08. L’ancien
professeur de littérature avait déjà
fait vingt mois de prison après Tiananmen et trois ans de camp de
« rééducation par le travail » en
1996. On ne sait pas aujourd’hui
où il est détenu. Fin décembre, des
intellectuels du monde entier ont
signé une pétition pour demander
sa libération. Pékin a donc réagi de
manière brutale, avant même que
le texte ne soit publié, pour le
CHINE S’inspirant de la « révolution de velours » en Tchécoslovaquie,
ils sont plusieurs centaines à avoir signé une « charte 08 » et Pékin s’alarme.
Le nouveau
printemps des
démocrates chinois
PAR ARNAUD DE LA GRANGE, correspondant à Pékin
60e anniversaire de la Déclaration
universelle des droits de l’homme,
le 10 décembre.En ces temps de
crispation politique à Pékin, le texte sonne comme un défi. Il déroule un programme en dix-neuf
points, pour améliorer les droits
de l’homme et démocratiser le
système. Une transition qui passe
par la fin du monopole du parti
unique, la liberté d’association et
l’instauration d’un système judiciaire indépendant. À l’origine,
303 personnes ont signé le texte,
des avocats, des écrivains, des universitaires et même un certain
nombre de membres du PC. Ils
sont depuis soumis à une forte
pression policière. Mais malgré les
barrières érigées sur l’Internet
chinois, le texte circule toujours,
saute de blog en forum, gagne
chaque jour des signataires. Ils
seraient aujourd’hui 7 000, dont
5 000 en Chine et 2 000 à l’étranger. Le Figaro a rencontré trois
grandes figures de cette inédite et
audacieuse initiative.
L’homme qui prend paisiblement le soleil de l’hiver pékinois
derrière les vitres de son balcon,
n’a rien a priori d’un dangereux
subversif. Il est pourtant surveillé
24 heures sur 24 par la police. Bao
Tong parle librement, protégé des
foudres extrêmes par son âge (76
ans) et son statut d’ancien dignitaire du PC. Il est l’un des survivants de l’équipe réformiste
balayée par le massacre de Tiananmen. Sur une étagère, une
photo de Zhao Ziyang, l’ancien
patron du PC « purgé » en 1989
pour s’être opposé à l’envoi de
l’armée pour mater le mouvement
prodémocratique. Bao Tong était
son bras droit et il a passé sept ans
en prison.
« Nous sommes plus réalistes
que le PC »
Dès la première question, il
brandit un petit livret comme un
viatique. « Ce qui l’emporte sur
tout, c’est la Constitution de la
République populaire de Chine,
dit-il, et l’article II dit que le pouvoir appartient au peuple. La charte 08 ne découle que de cela. Le
gouvernement veut-il mettre la
Constitution en résidence surveillée… ? » En cela, les signataires
de la charte 08 sont bien les fils
spirituels des « chartistes » de Prague. À l’époque, les amis de Vaclav
Havel se contentaient d’appeler le
pouvoir communiste à respecter
la Constitution et l’acte de la
conférence d’Helsinki de 1975,
dont il était signataire. « Une république, sans élections, cela devient
ridicule, non ? », poursuit Bao
Tong. Et puis il y a le grand fléau
de la corruption. « Le gouvernement s’y attaque, mais les milliers
de commissions de discipline du
parti n’arriveront jamais à ce que
pourrait faire le peuple si la parole
et la presse étaient libérées. On dit
que nous sommes des idéalistes,
mais nous sommes plus réalistes
que le PC. »
Jusqu’au dernier moment, le
rendez-vous avec Zhang Zuhua
dans l’arrière-salle d’un café de
Pékin était incertain. Il a été interpellé le 8 décembre en même
temps que Liu Xiaobo. « Ce jourlà, une trentaine de policiers ont
fait irruption chez moi à 23 heures.
On m’a relâché douze heures plus
tard. Ils ont embarqué ordinateur
et dossiers. Ils ne m’ont pas lâché
depuis », s’excuse-t-il. Après avoir
participé au mouvement de 1989,
Zhang Zuhua s’est consacré à la
défense des droits civils. Il n’a pas
peur de dire qu’il est un des rédacteurs principaux de la charte 08.
que la réforme politique reste à faire ». Au passage, il fait remarquer
que le système fédéral proposé par
la charte permettrait de régler en
douceur des questions sensibles
comme Taïwan, le Tibet ou le Xinjiang.
Dans son bureau jouxtant la
Cité interdite, dans une vieille
maison à cour carrée, l’avocat Mo
Shao Ping explique pourquoi il a
signé « de manière exceptionnelle » la charte 08. « J’ai défendu
beaucoup de cas sensibles depuis
vingt ans, raconte-t-il, mais je n’ai
jamais signé une pétition ni une
« Pour la première fois,
on va au-delà de la dissidence
classique, avec des signataires
qui sont à l’intérieur
du système »
« Sa préparation a duré plusieurs
années et une centaine de personnes a été consultée, pour couvrir
tous les domaines, la politique,
l’économie, le social, explique-t-il.
C’est un texte tout simple, modéré,
légaliste. » Avec de nombreuses
sources d’inspiration, la Constitution anglaise de 1215 comme la
Déclaration d’indépendance américaine ou la Déclaration des
droits de l’homme française « et
surtout le mouvement de la société
civile qu’a connu Taïwan avant
1986 ». Il reconnaît que la Chine a
fait des progrès, mais « qu’au
moins huit libertés du citoyen
chinois ne sont pas respectées et
lettre ouverte. Là, je l’ai fait car c’est
un document majeur. Il est légaliste, raisonnable, décrivant avec des
mots simples des valeurs inestimables. » Selon lui, c’est la première
fois depuis 1949 qu’un document
trace le cadre d’une réforme politique globale et fait la synthèse de
presque toutes les écoles de pensée des dissidents chinois. « Cela
explique la nervosité du gouvernement, sa réaction très excessive,
confie-t-il. Il faudra du recul, mais
vous verrez que l’on réalisera un
jour que ce texte aura eu un impact
au moins aussi important que la
charte 77. »
Alors, un avant et un après
charte 08 ? Chercheur du CNRS au
CEFC (Centre d’études français
sur la Chine contemporaine) de
Hongkong, Jean-Philippe Béja
n’est pas loin de le penser. « C’est
certainement le texte le plus abouti
depuis vingt ans, aussi large tant
par les sujets couverts, qui vont des
droits civiques à l’environnement,
que par l’éventail des signataires. »
Béja fait remarquer que c’est la
première fois qu’autant de gens
signent un texte avant de le rendre
public, la première fois aussi que
« l’on va au-delà de la dissidence
classique et que l’on trouve des
signataires qui sont à l’intérieur du
système ». Des membres de l’Université du peuple ou de l’Académie des sciences sociales, qui sert
de boîtes à idées aux cercles du
pouvoir, ont ainsi signé. « Mais de
là à imaginer que la charte devienne une base commune pour fédérer
les différents mouvements sociaux
à venir, il y a un immense pas,
même si des activistes paysans l’ont
signé, par exemple », poursuit-il.
Pékin a vu le danger
De la même manière, on voit
mal les étudiants d’aujourd’hui
descendre dans la rue. Le repli
individualiste est très net, tandis
que la course à l’argent laisse peu
de place aux grands idéaux. Il y a
cependant l’inconnue des centaines de milliers de diplômés que la
crise va laisser sur le carreau.
Pékin a vu le danger. En témoigne
la récente visite du premier
ministre, Wen Jiabao, pour les
rassurer. Et cet e-mail qu’ont reçu
le 16 janvier les étudiants en droit
de l’Université de Pékin, après à
une « réunion d’urgence au sujet
de la charte 08 ». Il leur est
demandé de bien reconnaître la
nature de la charte, « anti-Parti
communiste, antisocialiste », et
de la « boycotter fermement ».
En 1977, le gouvernement
communiste de Prague avait
riposté en montant une contrepétition, appelée « l’anticharte ».
L’anticharte chinoise a pris la forme d’un grand article publié il y a
dix jours dans la principale publication idéologique du Parti,
Qiushi (« chercher la vérité »). Le
numéro quatre du régime communiste, Jia Qinglin appelle à
« bâtir une ligne de défense pour
résister aux concepts occidentaux
de multipartisme et de séparation
des pouvoirs et autres idées erronées ». Pékin n’a pas envie que
l’histoire bégaie, à vingt ans
d’intervalles. Et a tracé sur le pavé
de Tiananmen une ligne rouge à
ne pas franchir.
le texte
@l Lire
de la charte 08
SUR LEFIGARO.FR/