Satcoms : un marché en pleine mutation

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Satcoms : un marché en pleine mutation
Concurrence
Satcoms : un marché en
pleine mutation
Après avoir parlé des lanceurs et évoqué les projets futurs des différentes puissances spatiales dans nos précédents numéros,
nous nous penchons ce trimestre sur le marché des satellites. L'été a été riche en événements dans ce domaine, notamment
avec l'acquisition de PanAmSat par Intelsat ou encore la fusion Alcatel Alenia. Ce marché, en ébullition depuis quelques mois
selon les experts, méritait de s'y attarder.
L
a nouvelle est tombée fin août : Intelsat, deuxième PanAmSat après
opérateur mondial de satellites, a racheté PanAmSat pour son rachat du
3,2 milliards de dollars, se hissant ainsi au premier rang du bouquet satellite
marché. Intelsat disposera désormais de 53 satellites contre 28 DirecTV.
Un
jusqu'à présent, ce qui lui permet de supplanter le leader actuel du mouvement
secteur, le Luxembourgeois SES Global, dont la flotte s'élève à 35 mondial
de
satellites. Il couvrira plus de 220 pays tant pour les concentration
télécommunications que pour la télédiffusion. Ironie de cette des opérateurs
fusion, comme le souligne l'analyste Rachel Vilain, de la société de
satellites
Euroconsult, "la société PanAmSat avait été fondée, en 1984, pour semblait dès lors
contrer le monopole des communications internationales par satellites inéluctable aux yeux des experts du secteur.
d'Intelsat."
Et cette fusion, commente Rachel Vilain, "n'est pas une bonne
Comme l'explique Dominique Gallois, journaliste au Monde, nouvelle pour les constructeurs de satellites commerciaux, et par
"Cette acquisition permet surtout à Intelsat de se renforcer dans la ricochet, pour toute l'industrie de lancement." En effet, le
télédiffusion. Ce recentrage est d'autant plus stratégique que son remplacement des satellites arrivant en fin de vie se fera au coup
activité dans les télécommunications est en baisse. […] Les deux par coup, notamment pour Intelsat qui a toujours été très prudent
groupes opèrent sur des marchés différents. Intelsat dispose de satellites dans ses investissements. La concentration des flottes de satellites
d'envergure et complexes destinés à composer un
va, d'une façon générale, permettre aux
Une concentration des opérateurs
réseau important de télécommunications. De
opérateurs d'étaler dans le temps le
néfaste pour l'industrie de
son côté, PanAmSat a axé son développement
renouvellement des satellites en orbite, ce
lancement
dans l'acheminement de programmes de
qui signifie moins de contrats pour les
télédiffusion vers les réseaux câblés." Les 25 satellites de la
constructeurs et donc moins de lancements.
société américaine diffusent en effet plus de 1 900 chaînes de Toujours selon le quotidien La Tribune, "la nécessité de
télévision dans le monde.
rationaliser les flottes et de réduire les achats et les investissements,
Marion Rojinsky, dans un article de La Tribune, souligne que "les est le principal moteur de la concentration des opérateurs. Et ce
opérateurs de satellites espèrent bien profiter de la généralisation des d'autant plus que le taux de non-remplissage actuel des satellites
chaînes de télévision en haute définition pour augmenter leurs activités, s'élève en moyenne à 35 %."
alors que les télécommunications ne représentent plus que 1% du trafic
(mais bien davantage en termes de chiffre d'affaires) contre 10 % il y La télé "Haute Déf" en perspective
a 10 ans". Un point de vue partagé par Rachel Vilain : "Sur le Face à ce nouveau coup dur pour l'industrie spatiale, les
marché de la télévision par satellite, un client ne change pas constructeurs de satellites, et a fortiori les opérateurs de
d'opérateur. Personne ne va demander à des millions d'abonnés de lancement, peuvent toutefois espérer une reprise de l'activité avec
tourner leur parabole pour capter un autre satellite."
le développement des réseaux d'entreprises, l'accès Internet haut
"Ce type de mariage était attendu par les experts car les acteurs du débit et surtout, la télévision haute définition (TVHD). Perçue
secteur veulent réduire les coûts, augmenter les marges et proposer une comme une véritable planche de salut, la TVHD est, selon les
couverture mondiale" précise Marc Cherki, dans les colonnes du analystes, très gourmande en bande passante et devrait donc
Figaro.
accroître les besoins en nouveaux satellites. Le véritable décollage
Dès 2001, l'opérateur luxembourgeois Astra avait amorcé le de cette technologie sur le marché est attendu pour l'année
mouvement en rachetant l'opérateur américain GE Americom. prochaine avec la diffusion d'événements sportifs de dimension
En 2004, Intelsat avait continué avec le rachat des satellites de internationale comme les Jeux Olympiques d'hiver ou la Coupe
Loral. SES Global tentait également, de son côté, d'acquérir du Monde de Football.
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Alenia Space, cité dans les colonnes de la Dépêche
Un espoir notamment justifié
du Midi, "cette mutation est nécessaire pour faire face au
par l'intérêt croissant des
défi d'un secteur en pleine transformation. Nous nous
opérateurs de satellites pour
trouvons dans une position fragile au niveau du marché
cette nouvelle technologie.
mondial, avec un environnement très concurrentiel. En
Ainsi, "la société européenne de
fusionnant, nous élargissons nos domaines de compétence
satellites (SES), après avoir
en diversifiant notre activité."
accéléré le passage de la
Interviewé par Nice Matin, Pascale Sourisse, PDG
télévision de l'analogique au
d'Alcatel Alenia Space, renchérit : "L'objectif de cette
numérique, est en train de
fusion est de donner à notre entreprise une position
diversifier ses services jusqu'en
incontournable dans le domaine de la construction de
Afrique" relate Théo Pirard
satellites. Face à un marché qui reste tendu, nous nous
dans Air & Cosmos. "Trois
Pour faire face à un marché de plus en plus
concentrons sur deux domaines : le commercial qui
priorités sont inscrites dans les
concurrentiel, les opérateurs de satellites amorcent
représente 35 % de notre chiffre d'affaires et le marché
nouveaux développements du
un mouvement de concentration
institutionnel civil et militaire."
système Astra au sein de SES
Global. Il s'agit premièrement de favoriser l'avènement des chaînes
TVHD en Europe en incorporant l'interactivité via satellite pour les Satellites intérimaires
téléspectateurs. Deuxièmement, l'opérateur souhaite développer la Pendant ce temps là, en orbite, la situation est également en pleine
mobilité audiovisuelle avec la possibilité de capter des chaînes de mutation. Comme le dévoile Air & Cosmos, "de nouveaux
opérateurs font appel à des
télévision dans les véhicules (bateaux, trains, autobus…). Enfin, il faut
satellites "intérimaires" pour
promouvoir les services à usage gouvernemental."
préserver des positions orbitales
La mobilité semble en effet être en passe de devenir le nouvel
et des fréquences acquises auprès
horizon de la télévision numérique. Comme l'explique Emmanuel
de l'Union Internationale des
Paquette dans les colonnes des Echos, "la télévision sur téléphone
Télécommunications (UIT)."
mobile via satellite est, pour les chaînes de télévision, un moyen de
Theo Pirard explique en effet
toucher les spectateurs en dehors du foyer et d'accroître les
que "la position géostationnaire
abonnements aux chaînes payantes. Déjà, la petite société coréenne
au-dessus des Amériques est de
TU Media, filiale à 30 % de l'opérateur SK Telecom, propose 9 chaînes
plus en plus encombrée. Malgré
de télévision et 25 radios sur téléphone mobile, grâce à son réseau
cela, nous assistons à l'arrivée de
satellite dont le signal est relayé par des antennes terrestres. En Europe,
nouveaux opérateurs privés et
le processus s'amorce également, mais avec prudence. Des
étatiques. De plus en plus de
expérimentations étaient programmées pour la fin du mois de
satellites d'occasion et de réserve
septembre, avec tous les opérateurs de téléphonie mobile ainsi que les
sont alors utilisés comme
bouquets de télévision et les grands groupes de chaînes télévisées."
satellites intérimaires (gapfillers)
Hors marché purement commercial, les constructeurs peuvent car leur location ou leur prêt permet d'éviter la perte des droits
également tabler sur les projets institutionnels, civils ou militaires, nationaux sur des positions orbitales et des fréquences." Cela évite
en cours de développement. A ce titre, le programme européen également d'avoir à renouveler trop vite les flottes de satellites.
Galileo représente une véritable manne pour les constructeurs et Ainsi, SES Global est en train d'étendre sa zone de diffusion de
opérateurs de lancement avec ses 30 satellites à construire et à chaînes numériques en exploitant des positions géostationnaires
réservées par le Canada (Ciel satellite) et par le Mexique
déployer en orbite.
(QuetzSat). Ceux-ci finalisent l'appel d'offre pour des satellites de
Concentration des
télécommunications qui devraient prendre la relève, en 2007constructeurs
Pour répondre au mouvement 2008 des satellites Echostar-5 et Echostar-4 actuellement utilisés,
de
concentration
des à titre temporaire, sur les positions acquises par ces deux pays.
opérateurs de satellites, les Cela permet aux uns de ne pas perdre leurs positions orbitales et
constructeurs
s'organisent leurs fréquences en attendant que soient construits et déployés les
également. Récemment, en satellites en commande, et aux autres d'exploiter des positions
fusionnant avec la société orbitales leur permettant d'étendre leur couverture.
italienne Alenia Spazio, De la même façon, "les gouvernements du Venezuela et d'Argentine
Alcatel Space s'est hissé au ont entrepris de relancer, autour de partenariats public-privé, des
rang de leader mondial des initiatives pour l'exploitation des positions orbitales et des fréquences
constructeurs de satellites. qu'ils ont réservées" annonce Théo Pirard "Or, la réalisation et la
Comme l'explique Patrick mise à poste d'un satellite géostationnaire prennent au moins deux
Fournié, directeur général années et demie. Pressés par l'échéance de la validité de leurs
adjoint chargé des opérations réservations auprès de l'UIT, ces gouvernements ont besoin de satellites
de la nouvelle société Alcatel d'occasion, pour servir de ´gapfillers`."
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15 à 17 satellites par an
Pourtant, en dépit du mouvement de concentration des
opérateurs de satellites, de l'utilisation de satellites "intérimaires"
et du développement d'un certain nombre de technologies
destinées à concurrencer le satellite, notamment pour les accès
Internet (Wifi, Wimax, CPL, fibre optique…), des
renouvellements de satellites sont annoncés depuis le début de
l'année, pour des lancements qui s'étaleront entre 2006 et 2007.
Comme le relate Christian Lardier dans Air & Cosmos à la miseptembre, les trois principaux opérateurs de lancement, ILS, Sea
Launch et Arianespace, ont déjà annoncé une quinzaine de
contrats depuis le début de l'année. Selon Franck McKenna, viceprésident d'International Launch Service (ILS), cité par Christian
Lardier, "les prévisions du marché portent sur 15 à 17 satellites à
lancer par an, dont 65 % pour le renouvellement des flottes. Ce marché
est segmenté en 20 % de petits satellites, 20 % de satellites moyens et
60 % de satellites présentant une masse supérieure à 4 tonnes." Un
marché où Arianespace a toutes les chances de tirer son épingle
du jeu. En effet, selon Christian Lardier, "dix ans après le premier le
premier vol d'Ariane 5, la masse des satellites a, en moyenne, été
multipliée par deux (elle est passée de 2 à 4 tonnes) et la capacité
d'emport a également été multipliée par deux (4,9 tonnes sur Ariane
44L à 9,5 tonnes pour Ariane 5 ECA). Ainsi, on comptait cet été six
satellites en préparation au CSG, alors que les concurrents ne traitent
qu'un satellite à la fois."
Cette capacité de lancements doubles couplée à une grande
flexibilité assurée par l'alliance avec Sea Launch et Mitsubishi, en
attendant de disposer à Kourou des lanceurs complémentaires
que seront Soyouz et Vega, permet aujourd'hui à Arianespace de
conserver sa position de leader sur le marché commercial. Ceci en
dépit d'un marché des Satcoms très concurrentiel et
particulièrement mouvant depuis quelques années.
Notons d’ailleurs qu’un nouvel opérateur de lancement a depuis
peu fait son apparition dans le paysage spatial : la joint-venture
Land Launch, variante du concept Sea Launch, va effectuer sa
première mission au second trimestre 2007, en lançant le satellite
PAS 11 à l’aide d’une fusée Zénith-3SLB. Land Launch est issue
d’une alliance entre Sea Launch et Space International Service.
Selon Pacôme Révillon, Rachel Vilain et Steve Bochinger, de la
société Euroconsult et auteurs du rapport "World Satellite
Communications & Broadcasting Market Survey", "ces dernières
années ont été marquées par le rachat d'opérateurs de satellites par des
fonds d'investissement. Ces fonds d'investissement ont déjà rapidement
récupéré une part significative de leur investissement initial. Ces
opérations ont généralement été suivies d'une introduction en Bourse.
Mais quel sera l'avenir de ces opérateurs lorsque les placements
n'auront plus le même rendement et qu'il faudra investir massivement
pour procéder au renouvellement des flottes de satellites ?" 4
Anne Bellanova
Nouvelles de l’Espace
Katrina et Rita
compliquent les
activités de la navette
Le cyclone Katrina a touché les
usines de Lockheed Martin où
sont fabriqués les réservoirs de la
navette spatiale américaine.
Depuis, les activités de la Nasa
liées à la navette sont fortement
perturbées en raison des
dommages occasionnés par le
cyclone sur les installations de
Moins d’un mois après Katrina,
Michoud (Louisiane) et de le cyclone Rita s’est dirigé sur la
Stennis (Mississipi).
région côtière du Texas
A Michoud, les installations ont
été entourées d'un mètre d'eau, privées d'électricité et n'étaient
accessibles que par bateau ou hélicoptère pendant plusieurs
semaines. A Stennis, les dégâts subis par les bancs d'essais des
moteurs de la navette concernent principalement les circuits
électriques
et
les
lignes
d'alimentation en ergols.
Katrina a également provoqué la
destruction des lignes ferroviaires
servant au transport des boosters
solides de la navette depuis le site
de production d'ATK Thiokol
(Utah) vers le Centre spatial
Kennedy (Floride). Tous ces dégâts s'ajoutent aux précédents
déboires de la navette américaine durant son retour en vol du 26
juillet au 9 août. Dès lors, l'échéance de mars 2006 précédemment
fixée par la Nasa pour le prochain vol d'une navette spatiale
semble fortement compromise.
Moins d’un mois après Katrina, le cyclone Rita a également
perturbé les activités spatiales américaines en obligeant
notamment la Nasa à évacuer quelques 15 000 employés du
Centre Spatial Johnson (JSC) de Houston.
[Libération - 07/09/05] [Le Monde - 10/09/05] [Etats-Unis Espace - 07/09/05]
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