3 gouttes de sang sur la neige

Transcription

3 gouttes de sang sur la neige
Les trois gouttes de sang sur la neige, ou la rêverie de Perceval.
Le soir même, ils s'installèrent dans une
prairie en lisière d'une forêt.
Au matin la neige était bien tombée, car
la contrée était très froide. Perceval, au
petit jour, s'était levé comme à son
habitude, car il était en quête et en
attente d'aventures et d'exploits chevaleresques. Il vint droit à la prairie gelée et
enneigée où campait l'année du roi.
Mais avant qu’il n'arrive aux tentes,
voici venir un vol groupé d'oies sauvages que la neige avait éblouies. Il les a
vues et entendues, car elles fuyaient à
grand bruit devant un faucon qui fondait
sur elles d'un seul trait. Il atteignit à
toute vitesse l'une d'elles, qui s'était
détachée des autres. Il l'a heurtée et
frappée si fort qu'il l'a abattue au sol.
Mais il était trop matin, et il repartit
sans plus daigner se joindre ni s'attacher
à elle.
Perceval cependant pique des deux,
dans la direction où il avait vu le vol.
L'oie était blessée au col. Elle saigna
trois gouttes de sang, qui se répandirent
sur le blanc. On eût dit une couleur
naturelle. L'oie n'avait pas tant de douleur ni de mal qu'il lui fallût rester à
terre. Le temps qu'il y soit parvenu, elle
s'était déjà envolée.
Quand Perceval vit la neige qui était
foulée, là où s'était couchée l'oie, et le
sang qui apparaissait autour, il s'appuya
sur sa lance pour regarder cette semblance. Car le sang et la neige ensemble
sont à la ressemblance de la couleur
fraîche qui est au visage de son amie.
Tout à cette pensée, il s'en oublie luimême. Pareille était sur son visage cette
touche de vermeil, disposée sur le blanc,
à ce qu'étaient ces trois gouttes de sang,
apparues sur la neige blanche. Il n'était
plus que regard. Il lui apparaissait, tant
il y prenait plaisir, que ce qu'il voyait,
c'était la couleur toute nouvelle du
visage de son amie, si belle. Sur les
gouttes rêve Perceval, tandis que passe
l'aube.
Traduction Poche
Cette nuit-là il avait bien neigé, car la
contrée était très froide, et Perceval s'était
levé de bon matin, comme d'habitude, car il
voulait chercher et trouver aventures et exploits chevaleresques. Il arriva droit à la
prairie où campait l'armée du roi; le sol était
gelé et enneigé. Avant qu'i1 n'atteigne les
tentes, voici venir un vol d'oies sauvages
que la neige avait éblouies. Il les a vues et
entendues au moment où elles prenaient la
fuite devant un faucon qui fondait sur elles
à toute vitesse ; lequel en rattrapa une égarée, qui s'était séparée des autres, et la heurta, la bouscula en la faisant tomber à terre.
Mais dans sa précipitation il dut s'en éloigner et renonça à la saisir et l'étreindre.
Alors Perceval lança son cheval dans la direction où il avait aperçu le vol. L'oie avait
été blessée au cou, elle avait perdu trois
gouttes de sang qui se répandirent sur la
neige blanche, avec l'apparence d'une coloration naturelle. L’oie, qui n'avait pas été
mise à mal au point d'être clouée au sol jusqu'à l'arrivée de Perceval, s'était envolée, et
Perceval ne vit que la trace de la neige foulée là où l'oie s'était abattue, et le sang qui
était encore apparent. Il s'appuya sur sa
lance pour contempler cette image, car le
sang et la neige formaient une composition
qui ressemblait pour lui aux fraîches couleurs qu’avait le visage de son amie ; et il
s'absorba dans cette pensée. Il comparait le
vermeil sur le fond blanc de son visage
avec les gouttes de sang qui apparaissaient
sur la neige. Tout à cette contemplation il
s'imaginait, dans son ravissement, voir les
fraîches couleurs du visage de sa belle
amie. Perceval passa tout le début de la matinée à rêver sur les gouttes de sang [..]
Traduction Pléiade
La nuit, an une praerie,
Lez une forest sont logié.
Cele nuit ot il bien negié,
Que mout froide estoit la contree,
Et Percevax la matinee
Fu levez si com il soloit,
Qui querre et ancontrer voloit
Avanture et chevalerie,
Et vint droit an la praerie
Ou l’oz le roi estoit logiee,
Qui fu gelee et annegiee.
Et einz que il venist as tentes,
Voloit une rote de gentes
Que la nois avoit esbloïes.
Veües les a et oïes,
qu’eles s’an aloient fuiant
Por un faucon qui vint bruiant
Après eles de grant randon,
Tant c’une an trova a bandon
Qu’ert d’antre les altres sevree ;
Si l’a ferue et si hurtee
Qu’ancontre terre l’abati.
Mes trop fu tart, si s’an parti
Il ne la volt lïer ne joindre.
Et Percevax comance a poindre
La ou il ot veü le vol.
La gente fu ferue el col,
Si seinna .III. gotes de sanc
Qui espandirent sor le blanc,
Si sanbla natural color.
La gente n’a mal ne dolor
Qu’ancontre terre la tenist
Tant que il a tans i venist ;
Ele s’an fu ençois volee,
et Percevax vit defolee
la noif qui soz la gente jut,
et le sanc qui ancor parut.
Si s’apoia desor sa lance
Por esgarder cele sanblance,
Que li sans et la nois ansanble
La fresche color li resanble
Qui est en la face s’amie,
Et panse tant que il s’oblie.
Que aussi aloit an son vis
Li vermauz sor le blanc asis
Come les gotes de sanc furent
Qui desor le blanc aparurent.
An l’esgarder que il feisoit
Li ert avis, tant li pleisoit,
Qu’il veïst la color novele
De la face s’amie bele.
Percevax sor les gotes muse
Tote la matinee […]
Texte Pléiade