Dose d`insuline et mortalité cardiovasculaire : nouvelles données de

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Dose d`insuline et mortalité cardiovasculaire : nouvelles données de
Dose d’insuline et mortalité cardiovasculaire :
nouvelles données de l’étude ACCORD
par Kamel Mohammedi
Novembre 2015
Siraj ES et al. Insulin Dose and Cardiovascular Mortality in the ACCORD Trial. Diabetes Care. 2015 Nov;38(11):
2000-8. doi: 10.2337/dc15-0598
Les contours de la relation entre le traitement du diabète et le risque de morbi-
mortalité cardiovasculaire ne sont pas clairement déterminés. Le bénéfice du contrôle strict
de la glycémie en terme de prévention des évènements macrovasculaires majeurs chez les
patients diabétiques de type 2 (DT2), suggéré par certaines études épidémiologiques et
interventionnelles, n’a pas été confirmé par les grandes études interventionnelles récentes
[1-5] et n’apparaîtrait qu’après de longues années de suivi. Dans l’étude Action to Control
Cardiovascular Risk in Diabetes (ACCORD), l’incidence de la mortalité cardiovasculaire et
totale était même plus élevée chez les participants bénéficiant d’un contrôle strict de la
glycémie que chez ceux randomisés dans le groupe ‘traitement standard’ [2,5]. Les analyses
post-hoc de l’étude ACCORD n’ont pas permis d’établir un lien étroit entre la baisse de
l’HbA1c (proche des valeurs normales) ou les hypoglycémies sévères et la surmortalité
observée [6-7]. Dans le présent travail, les auteurs ont étudié l’impact de la dose d’insuline
exogène sur la mortalité cardiovasculaire dans l’étude ACCORD.
Pour rappel, dans l’étude ACCORD, 10 251 patients DT2 avec un risque
cardiovasculaire élevé et/ou en prévention secondaire, ont été randomisés en 2 bras
parallèles : contrôle strict de la glycémie ciblant une HbA1c <6,0 % vs. prise en charge
standard (HbA1c entre 7,0 et 7,9 %). Le critère de jugement principal était composé de la
survenue d’un infarctus du myocarde non fatal, d’un AVC non fatal ou d’un décès de cause
cardiovasculaire. La mortalité totale faisait partie des critères de jugement secondaires.
L’essai a été arrêté précocement en 2008 à cause d’une surmortalité dans le groupe intensif.
Dans la présente étude, 10 163 participants ont été analysés, après exclusion de 88
sujets pour indisponibilité de données concernant les traitements ou les taux d’HbA1c
pendant le suivi. Les participants avaient une visite tous les 2 à 4 mois pendant environ 5 ans
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de suivi. Ils ont bénéficié tous les 4 mois d’un interrogatoire concernant les hypoglycémies et
différents effets indésirables liés aux autres traitements, une pesée et un dosage de l’HbA1c.
L’exposition à l’insuline a été définie par la dose moyenne journalière prescrite exprimée en
unités par kilogramme de poids corporel. Pour prendre en considération le changement de la
dose durant le suivi, les auteurs ont divisé la dose totale cumulée pendant l’étude par le
nombre de jours de suivi (depuis la randomisation jusqu’au décès cardiovasculaire ou la fin
du suivi). L’analyse du traitement par insuline a été effectuée selon 3 classes : insuline totale,
basale (glargine, detemir, ou NPH) et prandiale (aspart, glulisine, lispro, ou insuline rapide
humaine). Les parts rapide et lente des insulines pré-mixées ont été également considérées
dans chaque classe.
Les facteurs associés à la prescription d’insuline dans l’étude ACCORD étaient :
origine ethnique, durée du diabète, antécédent de maladie cardiovasculaire, complications du
diabète, type d’assurance maladie et suivi par un endocrinologue. La mortalité
cardiovasculaire, établie chez 328 participants, a été associée à plusieurs
facteurs notamment : âge, sexe, durée du diabète, antécédents de maladie cardiovasculaire,
d’infarctus du myocarde, d’insuffisance cardiaque congestive ou de complications du
diabète, traitement par insuline avant la randomisation, et taux élevés d’HbA1c, de créatinine
plasmatique et du ratio albumine/créatinine urinaire.
La fréquence de la prescription d’insuline (79 % vs. 62 %) et les doses totale (0,41 ±
0,43 vs. 0,30 ± 0,40 U/kg), basale (0,30 ± 0,29 vs. 0,22 ± 0,28 U/kg) et prandiale (0,12 ±
0,18 vs. 0,08 ± 0,17 U/kg) étaient plus importantes dans le groupe ‘traitement intensif’
comparé au bras ‘standard’. La dose moyenne d’insuline a augmenté de façon
proportionnelle à la hausse d’HbA1c pendant le suivi, mais sans différence entre les 2 bras
de randomisation. Les auteurs ont observé qu’une augmentation de la dose d’insuline (totale,
basale, ou prandiale) de 1 U/kg était associée à un risque élevé (1,8 à 3,4 fois) de mortalité
cardiovasculaire dans un modèle statistique non ajusté. En revanche, cette association n’a
pas persisté après ajustement sur les différentes variables confondantes, notamment les 3
bras de traitements de l’étude ACCORD assignés aléatoirement (contrôle du diabète, de la
pression artérielle, des lipides), les hypoglycémies sévères, et le changement du poids. Les
facteurs les plus déterminants de l’association entre la dose moyenne d’insuline et la
mortalité cardiovasculaire étaient l’HbA1c, l’antécédent d’insuffisance cardiaque congestive,
la neuropathie périphérique et l’antécédent de maladie cardiovasculaire à l’inclusion. Un taux
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élevé d’HbA1c lors du suivi était associé à un risque élevé de mortalité cardiovasculaire dans
les modèles non ajustés et multi-ajustés incluant notamment la dose moyenne d’insuline.
Dans ce travail, les auteurs ont observé dans un modèle non ajusté qu’une dose
d’insuline exogène d’une unité par kilogramme de poids corporel était associée à une
augmentation du risque de mortalité cardiovasculaire. Cette association n’était cependant
pas indépendante des autres facteurs confondants, et disparaissait complètement après
différents ajustements. Les principaux facteurs déterminant cette association sont : HbA1c,
antécédent d’insuffisance cardiaque congestive, neuropathie périphérique, et antécédent de
maladie cardiovasculaire à l’inclusion. L’éventualité d’une association entre l’insulinothérapie
et la mortalité n’a été suggérée que par un nombre très limité d’études épidémiologiques
[8,9]. Aucune étude d’intervention ne plaide en faveur de cette hypothèse. Lors de l’étude
ORIGIN par exemple, le traitement par glargine n’a pas été associé à un risque de mortalité
cardiovasculaire chez des patients à haut risque cardiovasculaire [10]. Il faut néanmoins noter
que la population de l’étude ORIGIN avait une dysglycémie ou un DT2 récent avec
certainement moins de complications microvasculaires que les participants de l’étude
ACCORD.
La présente étude a plusieurs limites, principalement celles liées aux analyses post-
hoc. Les patients n’ont pas été randomisés sur la base d’un traitement par insuline,
contrairement à l’étude ORIGIN ou à l’étude UKPDS [11]. Dans l’étude ACCORD, les
caractéristiques des patients traités par insuline étaient complètement différentes à l’inclusion
en comparaison de celles des patients traités seulement par antidiabétiques oraux.
Effectivement, les patients traités par insuline avaient un diabète plus ancien et une fréquence
plus élevée d’antécédents cardiovasculaires ou de complications du diabète que les autres.
De ce fait, la différence observée en termes de mortalité cardiovasculaire peut être
vraisemblablement liée à un ou plusieurs facteurs de risque confondants. L’atténuation de
l’association dans plusieurs modèles multi-ajustés plaide en faveur de cette hypothèse. Enfin,
les auteurs n’ont pas réalisé d’analyses en fonction de type d’insuline (analogue vs. humaine).
Au total, cette étude post-hoc des données de l’essai clinique ACCORD ne permet
pas d’établir une association indépendante entre la dose quotidienne d’insuline administrée
et la mortalité cardiovasculaire. Néanmoins, elle incite à rester vigilant vis-à-vis des effets
secondaires de l’insuline, particulièrement le risque d’hypoglycémie sévère chez les patients
avec complications vasculaires et comorbidités.
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Mots-clés
Diabète de type 2, mortalité cardiovasculaire, insuline, HbA1c.
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