Linguistique Les langues parlées en famille par les étudiants maliens

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Linguistique Les langues parlées en famille par les étudiants maliens
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Linguistique
Les langues parlées en famille par les étudiants
maliens
Dr. N’do Cissé, Assistant Faculté des Lettres, Langues, Arts et Sciences
Humaines de l’Université de Bamako
Résumé
La situation linguistique du Mali n’est pas la principale préoccupation
des spécialistes de sociolinguistique puisqu’elle est l’une des plus faciles
à décrypter en comparaison avec celle de pays voisins : à peine une
vingtaine de langues, un bilinguisme évident et une ou deux langues
véhiculaires.
Le présent article est la relation d’une enquête conduite au sein de
l’Université de Bamako sur l’usage des langues maliennes en famille par
les étudiants. Les langues ainsi utilisées ont été croisées avec l’ethnie
d’origine de ces étudiants.
Il ressort de cette étude, entre autres résultats surprenants, que les
langues les plus représentées dans notre échantillon sont les plus parlées
par des enquêtés n’appartenant pas à ces groupes ethniques (exoglossie).
Par contre, les ethnies les moins représentées dans l’échantillon, donc
dans le monde universitaire, montrent un lien fort entre ethnie des
parents et langue parlée en famille (endoglossie).
Abstract
The languages situation in Mali is so simple that it does not constitute a
main problem for sociolinguists. At the opposite of the other western
African Countries, Mali as less than twenty languages, many people of
the country speaks two or tree languages and some languages tend to be
used by the main part of the population.
The aim of this article was to analyze the use of national languages at
home by the FLASH students. Then the relation of these languages with
the ethnic group of their parents was studied.
It appears at the end of the study that the most spoken languages are used
by student of other ethnic group (exoglossia). On the contrary the less
represented languages in this study are closely related to the ethnic origin
of the speaker.
INTRODUCTION
RA/N°10
2
Un cours d’ethnolinguistique est inscrit au programme des
deuxièmes années du DER (Département d’enseignement et de
Recherche) Socio-anthropologie de la FLASH. Basé surtout sur les
aspects ethniques de l’usage des langues maliennes, ce cours fut
l’occasion d’intéresser les étudiants, pour la plupart non natifs de
Bamako, à l’usage des langues dans la capitale.
Pour bien sceller l’ancrage de ce cours avec les
préoccupations nationales en matière de politique linguistique, le
responsable du cours décida, en profitant des travaux dirigés,
d’initier une recherche annuelle sur les langues parlées à la maison
par ses étudiants. Le présent rapport est le résultat de celle effectuée
en 2006. Il est prévu de continuer ces recherches pendant au moins
sur cinq ans.
- cadre pédagogique et universitaire
La recherche a été entièrement effectuée dans le cadre
universitaire. En effet, ce sont les étudiants de deuxième année
(DEUG II) qui la conduisent aux cours d’exercices de travaux
dirigés. Eux-mêmes se mettent deux à deux pour faire passer le
questionnaire l’un à l’autre, ils utilisent ensuite la grille de
dépouillement par groupe de dix pour extraire les premières
données.
I.
Contexte de l’étude
Au moment où a lieu cette première étude, la République du
Mali disposait d’un texte de loi sur les langues nationales, la loi N°
96-049 du 23 août 1996. Ainsi sont reconnues comme langues
nationales par ce texte, avec possibilité de promotion, 13 langues
nationales. Il n’existe cependant pas de choix d’une langue
dominante car comme nous le disions dans un précédent article
(1992 : 190), la crainte de la perturbation de la cohésion sociale
détermine la politique linguistique du Mali.
Des idées sont certes avancées mais sur la place publique. Ce
sont elles qu’on trouve résumées par Cécile Canut lorsqu’elle écrit :
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Si les quatre langues principales1du Mali étaient développées
de manière
égalitaire selon les zones géographiques, aucune menace ne
pèsera sur
la cohésion sociale car il n’y a pas de guerrre des langues au
Mali.
Il faut cependant ajouter que d’autres textes de lois, le décret
décret N°85 PG/RM du 26 mai 1967 portant fixation de
l’orthographe de quatre langues nationales et le Décret N°159
PG/RM du 19 juillet 1982 fixant l’alphabet de six langues
nationales, servaient de référence en matière de politique
linguistique avant 1996.
La loi de promotion des langues nationales retient les langues
suivantes.
1. le bamanankan (bambara)
2. le bomu (bobo)
3. le bozo (bozo)
4. le d\g\s\ (dogon)
5. le fulfulde (peul)
6. le hasanya (maure)
7. le mamara (minyanka)
8. le maninkakan (malinké)
9. le soninke (sarakolé)
10. le soãoy (songhoi)
11. le syenara (sénoufo)
12. le tamasagt (tamasheq)
13. le xaasongaxanvo (khassonké)
Le Mali reste donc le pays de la « planification par défaut » d’après
les termes fort appropriés de Louis Jean Calvet2.
1
Il s’agirait du bamanankan, du fulfulde, du songhoi et du tamasheq
2
Calvet L. J. (1982)
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Par ailleurs, « en vue d’adapter l’école aux réalités socio-culturelles
et économiques de l’apprenant, le PRODEC , à travers la Pédagogie
Convergente, se fixe également comme stratégie l’extension
progressive de l’expérience actuelle d’utilisation des langues
maternelles dans le système formel concomitamment avec le
français à toutes les aires linguistiques du pays »3.
II. Méthodologie
2.1. Description de la population
Bien que cette deuxième année socio anthropologie ait
presque 500 étudiants, seulement 298 ont participés à l’enquête.
L’idée était de ne pas influencer la structure de la population et de
ne prendre en compte que les étudiants qui sont présents le jour du
test.
Il faut rappeler que la faculté des Lettres, Langues, Arts et Sciences
Sociales de l’Université de Bamako, Mali, compte près de 5 000
étudiants.
L’âge n’a pas été retenu comme une variable de cette étude,
toutefois il se situe entre 17 et 35 ans. Le sexe non plus n’a pas été
pris en compte quoique le nombre de garçons de l’échantillon soit le
triple de celui des filles.
Dans cette population, l’enquête a permis de déceler la présence
de quelques étrangers ne relevant d’aucun groupe ethnique malien.
Ces 4 cas ont été maintenus toutefois dans l’enquête comme autre.
2.2. Objectifs de l’étude
Cette étude s’était fixé l’objectif suivant :
- étudier le rapport entre la langue parlée par ces
étudiants et l’ethnie d’origine de leurs parents.
Pour l’atteindre, il a fallu chercher à savoir :
3
Secrétariat du Gouvernement, 2004, p26
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5
-
la langue parlée en famille qui est la variable
indépendante
la langue de l’ethnie du père, variable dépendante,
la langue de l’ethnie de la mère, variable dépendante.
2.3. Outils utilisés
Le questionnaire (en annexe 2) a été simplifié le plus possible
pour faciliter son usage par les étudiants. Il comportait les questions
suivantes :
- Quelle langue parlez-vous en famille ?
- Quelle est l’ethnie de votre père ?
- Quelle est l’ethnie de votre mère ?
Il était présenté sous le format de carte de visite, avec la
possibilité pour dix étudiants d’utiliser à tour de rôle en classe, la
même page.
Une grille de dépouillement a également été conçue à l’usage des
mêmes étudiants. La deuxième séance de TP ayant suivi cet
exercice d’enquête a été pour les étudiants l’occasion d’utiliser la
grille de dépouillement proposée par le professeur. Celle-ci a la
forme d’un tableau ayant en colonne verticale la langue parlée par
chaque étudiant et horizontalement l’ethnie correspondant.
Le tableau croisant la langue parlée et l’ethnie de la mère contient
les mêmes éléments mais s’est fait à part.
Faute de moyens informatiques et surtout pour des raisons
pédagogiques, le traitement des données a été manuel.
2. 4.Difficultés de l’étude
L’étude a été confrontée à un certain nombre de difficultés
que nous relevons dans le paragraphe suivant
La gestion des flux est un problème pour deux raisons : les
étudiants ne sont pas obligés de venir à tous les cours d’une part, le
caractère exigu de la salle de cours par rapport au nombre
d’étudiants rend la fréquentation aléatoire.
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Le traitement des données de façon manuelle comporte
évidemment des risques d’erreurs de calcul auxquels les présentes
peuvent ne pas avoir échappé.
Certaines langues du Mali, n’ayant pas le statut de langue
nationale (certifié par la loi) ont été ajoutées aux langues étrangères
dans cette étude. Ce sont les langues Samogo et Mossi.
Par ailleurs, le statut des langues Khassonke et Malinke, que
le décret vient d’ajouter aux langues à promouvoir, n’est pas encore
bien assimilé par les étudiants qui les considèrent comme des
dialectes du bamanankan.
Il est souvent difficile pour les étudiants de faire la différence entre
langue et ethnie, étant donné que plusieurs d’entre elles portent le
nom de l’ethnie qui les parle.
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III.
Résultats de l’enquête.
Tableau N°1 : Les langues parlées à la maison
Lang
ue
locu
%
ba
m
19
6
65.
7
bo
m
2
bo
z
0
do
g
17
pe
ul
13
kh
as
2
ma
l
20
mi
ny
8
son
g
20
so
n
8
sen
o
3
ta
ma
4
ha
ss
1
Aut
re
4
0.6
7
0
5.
7
4.3
1
0.6
7
6.7
1
2,8
6.7
1
2.6
8
1
1
0.3
3
1
tot
al
29
8
10
0
Les données du tableau N°1 amènent les observations suivantes :
1. Le bamanankan est la langue la plus parlée dans les familles
par les étudiants maliens.
Les résultats présentés dans ce premier tableau montrent que le
bamanankan est la langue la plus parlée dans les familles par les
étudiants maliens de la Flash. Plus de la moitié des 298 étudiants
(65%) affirment en effet parler bamanankan en famille. Ceci
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confirmerait les conclusions de nombre d’études qui classent le
bamanankan comme la langue la plus parlée au Mali.
Ces données offrent une surprise en ce sens que le fulfulde qui
est traditionnellement présentée comme la deuxième langue la plus
parlée du Mali ne vient qu’en troisième position ici, après le
malinke et le songhoi. Ceci peut s’expliquer par le caractère
aléatoire de notre échantillon. Le tableau des rapports entre la
langue parlée et l’ethnie des parents permettra peut-être d’éclairer
encore plus cette étrange situation.
2. Le malinke est la langue la plus parlée après le bamanankan
Le malinke et le songhoy arrivent à égalité comme les deux
langues les plus parlées dans les familles après le bamanankan. La
première est une langue du groupe manden, dominant au Mali, la
seconde est parlée par un groupe ethnique linguistiquement différent
du bamanankan.
3. Le bozo est la langue la moins parlée à Bamako
Le fait que le bozo soit la langue la moins parlée dans les
familles à Bamako confirme le fait qu’elle ne se parle plus que dans
sa zone ethnique, le long des fleuves et dans les pêcheries. Ainsi
notre échantillon ne recèle aucun locuteur de bozo.
Tableau N°2. Le rapport entre langue parlée à la maison et ethnie du père
Parlée
bam
bo
boz
dog
ful
has
kha
mal
min
196
2
0
17
13
1
2
20
8
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Ethnie
père
85
2
0
16
12
1
2
12
8
%
43.36
100
0
94
92
100
100
60
100
9
sog
son
seno
tam
Autre
total
3
8
3
4
4
298
3
3
3
4
1
100
37
100
100
25
Les données du tableau N°2 amènent les observations suivantes :
1. L’usage des langues les plus parlées n’a pas de rapport étroit
avec l’ethnie du père.
Ce tableau montre en effet que sur les 196 étudiants disant
parler bamanankan en famille, seulement 43% ont le père d’origine
bambara. Ceci permettrait de dire que l’usage du bambara est une
chose populaire, sortie du cadre de l’ethnie.
La langue songhoy qui est parlée par 20 personnes de notre
échantillon a un taux de 60% parlant la langue de l’ethnie de leur
père.
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2. Les langues les moins utilisées sont les plus en rapport avec
l’ethnie du père
Les pourcentages les plus élevés de rapport entre langue parlée
et ethnie du père apparaissent avec les langues les moins citées
(Bozo 100%, Sénoufo : 100%, Tamasheq : 100%, Khassonke :
100% ; Dogon : 94.11%). Ceci signifie que peu de personne d’une
autre ethnie du Mali apprennent à parler ces langues ou les parlent
effectivement.
Tableau N°3 : Rapport entre langue parlée à la maison et ethnie de la
mère
Lang
bam
bom
boz
dog
ful
kha
mal
min
sog
son
sen
tam
hass
Autre
Total
parlée
196
2
0
17
13
2
20
8
20
8
3
4
1
4
298
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ethnie
81
2
0
16
8
1
20
6
16
5
0
3
0
4
%
41.32
100
0
94.11
61.53
50
100
75
80
62.5
0
75
0
100
11
Les données du tableau N°3 amènent les observations suivantes :
1. Le rapport entre la langue la plus parlée et l’ethnie de la mère
n’est pas fort pour les langues les plus parlées
Comme observé pour l’ethnie du père dans le tableau N°2
précédent, il apparaît que l’ethnie de la mère n’est pas une qualité
nécessaire pour parler le bamanankan. Ainsi seulement 41% des
locuteurs de cette langue sont d’ethnie bambara. De la même
manière seulement 62% des songhoy parlent la langue de l’ethnie
maternelle.
2. L’usage des langues les moins citées a le plus de rapport avec
l’ethnie de la mère
Les pourcentages les plus élevés de relation entre langue parlée
et ethnie de la mère s’observent avec les langues les moins citées
(Bomu 100%, Sénoufo :100%, Tamasheq : 75%, autres : 100% ;
Mamara: 75%). Ceci confirme encore que peu de personnes d’une
autre ethnie du Mali apprennent à parler ces langues ou les parlent
effectivement.
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Conclusion
Cette étude montre qu’une large frange des étudiants maliens
quelque soit leur origine ethnique parle le bamanankan en famille.
Nous avons également observé que le rapport entre langue parlée en
famille et ethnie des parents est plus étroit pour les étudiants
relevant des ethnies les moins représentées dans cet échantillon non
raisonné.
Références bibliographiques
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1982, pp 281-287
Canut C., Représentations et politique linguistique au Mali, WWW.
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Secrétariat Général du Ministère de l’éducation Nationale, Education de
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de la Conférence Internationale de l’éducation, Genève, 8-11 septembre
2004
Skattum Ingse, birgit Brock-Utne, ed, languages and education in Africa,
a comparative and transdisciplinary analysis, Bristol Papers in Education,
2009
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