Facteurs de croissance et développement musculaire
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Facteurs de croissance et développement musculaire
Troisième Conférence Nationale Médicale Interfédérale CNOSF Facteurs de croissance et développement musculaire Arnaud FERRY UMR 787 Groupe Myologie et Université Paris 5, Paris Je remercie le Directeur de l’IRMES de m’avoir invité à présenter cet exposé. Vous aurez noté que je remplace Madame Gillian BUTLER-BROWNE. 1. A l’origine du développement de la masse musculaire Le muscle squelettique joue un rôle extrêmement important de moteur du mouvement, mais également de frein du mouvement. Le développement musculaire résulte d’un phénomène de synthèse protéique. Indépendamment de ce phénomène se produit une dégradation des protéines. La masse musculaire dépend de cette synthèse et de cette dégradation. Synthèse protéique / Dégradation des protéines 2. Principaux facteurs de croissance Les facteurs impliqués dans le développement de la masse musculaire sont notamment les aliments et l’activité physique laquelle est susceptible de provoquer une augmentation de la masse musculaire. Ou bien, lorsqu’elle diminue par rapport à la normale, de provoquer un phénomène d’atrophie musculaire. Les hormones (insuline, testostérone, etc.) sont connues pour agir de façon variée sur la masse musculaire. La testosterone et certains bétaadrénergiques ont plutôt un effet anabolisant. A l’inverse, des hormones telles que les glucocorticoïdes conduisent à une atrophie musculaire. Il existe aussi toute une série de facteurs de croissance (IGF-1, GDF-8/myostatine, etc.) qui jouent un rôle local, au niveau du muscle lui-même. Ces facteurs de croissance contrôlent les cellules satellites qui sont impliquées dans la myogenèse, c'est à dire le processus de formation du muscle. Facteurs impliqués dans le développement de la masse musculaire Aliments Facteurs de croissance (IGF-1/M GF, GDF8…) qui vont contrôler la myogénese assurée notamment grace aux cellules satellites…) Paris, les 28 et 29 novembre 2006 Activité physique 107 Hormones (Insuline, GH,TH, hormones sexuelles, betaadrenergiques, glucocorticoides…) Troisième Conférence Nationale Médicale Interfédérale CNOSF Ces cellules satellites, qui sont accolées à la fibre musculaire, jouent un rôle important et connu : elles permettent la régénération après un traumatisme. Elles participent également à la croissance post-natal des fibres musculaires. L’augmentation de la masse musculaire peut se faire par deux moyens : soit par le phénomène d’hypertrophie (c'est à dire l’augmentation de la section de fibre musculaire) soit par le phénomène d’hyperplasie qui n’est pas encore entièrement établi chez l'homme. L’hyperplasie est l’augmentation du nombre de fibres musculaires. Dans les deux cas les cellules satellites interviennent. Lors d’un traumatisme ou d’une séance d’entraînement, des signaux sont générés et perçus par les cellules satellites qui s’activent et prolifèrent, puis finissent par fusionner avec la fibre qui est en train de s’hypertrophier. Les arguments à l’appui de ce phénomène proviennent du fait que, lorsque la fibre s’hypertrophie, de plus en plus de noyaux apparaissent dans la fibre musculaire ne pouvant avoir été apportés que par les cellules satellites ayant fusionné avec la fibre qui s'hypertrophie. Les noyaux contrôlent la synthèse des protéines nécessaires à la synthèse de nouveaux sarcomères en parallèles. Cellule satellite : La cellule satellite (progéniteur musculaire) a pour role d’assurer : -la régénération après traumatisme, -la croissance des fibres Rôle de la Cellule satellite Hypertrophie musculaire Dommage musculaire/exercice musculaire Activation des cellules satellites Prolifération Fusion Cellule Satellite Hypertrophie FromT.A. Partridge 3. Contrôle de la masse musculaire a. Données identifiées chez la souris De nombreux facteurs de croissance ont été identifiés chez la souris, mais relativement peu de données existent sur l’homme. Des facteurs tels que l’HGF, le FGF, l’IGF-1 et la myostatine (dite GDF-8) jouent un rôle important dans le contrôle de la masse musculaire. L'IGF-1 a été particulièrement bien étudiée ces dernières années pour différentes raisons. Facteurs de croissance étudiés Chez la souris, IGF-1? Chez la souris HGF Invalidation IGF-1 (R-IGF-1) Dommage musculaire Activation des cellules satellites Prolifération FGF-6 • Retard de croissance pré et postnatal Surexpression IGF-1 • Hypertrophie musculaire • Poids adulte réduit de 30% • Prévient la perte de masse musculaire liée à l’âge • Hypotrophie pulmonaire, osseuse et musculaire • Améliore la régénération musculaire •In vitro, myoblastes IGF-1 Tg: capacité proliférative X 2 IGF-1 Différenciation KOm R-IGF-1 Myostatine/GDF8 Paris, les 28 et 29 novembre 2006 Et chez l’homme? D. LeRoith N. Rosenthal 108 Troisième Conférence Nationale Médicale Interfédérale CNOSF L’action de l'IGF-1 est plus compliquée qu’il n’y semblait initialement. Différentes protéines sont produites. Des isoformes circulent en réponse à la sécrétion d’hormone de croissance, tandis que d’autres ne circulent pas et sont produites localement par le muscle (en réponse à des signaux de réparation ou d’exercice). Lorsque le muscle est placé en surcharge mécanique (chez la souris), une isoforme (MGF) augmente en quantité importante, ce qui constitue un argument fort en faveur de l’importance de l’IGF-1 dans le phénomène d’hypertrophie musculaire. IGF1/MGF (mecano growth factor): isoformes IGF1/MGF et surcharge mécanique Goldspink, G. Physiology 20: 232-238 2005; doi:10.1152/physiol.00004.2005 The insulin-like growth factor gene is spliced in muscle as a result of exercise and/or muscle damage and hormones. In human muscle, a 49-base insert changes the reading frame in mechano growth factor (MGF), resulting in a different carboxy peptide Goldspink, G. Physiology 20: 232-238 2005; doi:10.1152/physiol.00004.2005 IGF1/MGF expression in the soleus and plantaris muscle of after 5 days of surgical overload induced by tendon oblation for young, mature, and old rats Data are from Owino et al Copyright ©2005 American Physiological Society Copyright ©2005 American Physiological Society b. Recherches sur le muscle squelettique humain Le laboratoire UMR 787 dont je suis issu, en relation avec l’Institut de Myologie localisé sur le site de la Pitié-Salpêtrière, a cherché ces dernières années à déterminer le rôle de l’IGF-1 sur le muscle squelettique humain. C'est d’ailleurs l’une des rares études qui se soit intéressée à l’homme (et non à la souris). Le laboratoire a mis en culture des cellules satellites issus de prélévements musculaires, lesquelles deviennent des myoblastes fusionnant entre eux pour former des myotubes, c'est-à-dire de petites fibres musculaires, dont le stade de différenciation est malheureusement moins poussé in vitro qu’au niveau d’une fibre musculaire in situ. Myogenese humaine in vitro Progéniteur quiescent Myoblastes mononucléés Isolation Proliferation (explant, enzymes) (GF, cytokines) Paris, les 28 et 29 novembre 2006 Myotubes multinucléés Fusion Differentiation (cytokines) 109 Troisième Conférence Nationale Médicale Interfédérale CNOSF L’IGF-1 ne semble joue aucun rôle important sur la prolifération des myoblastes. En revanche, l’IGF-1 augmente la taille des myotubes, donc la synthèse protéique. L’IGF-1 induit une hypertrophie des myotubes humains Diamè tre des Myotubes Nb moyen de noyaux par myotube 0,5 30 *** 25 20 * * 0,4 *** 0,3 15 0,2 10 0,1 5 0 ctrl 0 25 50 100 5 ng/m l ng/ml ng/ml ng/ml Ê dose dépendante du nombre de noyaux par myotube ctrl IGF-1 Ê diamètre des myotubes IGF-1 contrôle Le laboratoire a déterminé la voie, dite Akt, impliquée dans cette synthèse de protéines. Parallèlement, le laboratoire s’est rendu compte que l’IGF-1 exercait son effet, du moins en partie, à travers le recrutement des cellules satellites, via un facteur soluble local qui est l'IL13. En résumé, chez l'homme, l’IGF-1 se fixe sur son récepteur. Quel est le facteur soluble responsable du recrutement des cellules réserves? IGF-1 induit un recrutement des cellules réserves Nb ⇒ Utilisation d’anticorps neutralisants de cellules réserves par champ 50 Index de fusion 70 40 *** desmine *** - 65 *** ** NS *** NS *** NS NS ** 30 Nb moyen de noyaux par myotube * 100 60 * 55 20 50 50 10 45 Myotube Cellule réserve control IGF-1 IGF-1+ IGF-1+ IGF-1+ IGF-1+ IL-13 Ab IL-4 Ab IL-15 Ab sourisAb 0 control IGF-1 IGF-1+IL-13 Ab 0 ctrl IGF DM0 IGF DM3 ⇒ Neutralisation d’IL-13 inhibe Ê index de fusion Ì Nombre de cellules réserves et Ê nb noyaux/myotube induites par l’IGF-1 ⇒Traitement par IL-13 mime l’hypertrophie induite par l’IGF-1 Des voies de signalisation sont sollicitées, ce qui conduit à une production d’interleukine-13, laquelle active les cellules satellites. Les myoblastes fusionnent avec la fibre musculaire. L’IGF-1 contrôle la synthèse mais aussi la dégradation protéique. Les sujets de recherche sont nombreux, notamment en ce qui concerne les effets respectifs des différentes isoformes d'IGF-1. Modèle des mécanismes impliqués dans l’hypertrophie des myotubes humains induite par l’IGF-1 Myotube Pax7-, MyoD+, Myogenine+, Desmine + IGF-1 IGF-1 R Akt calcineurine Foxo mTOR Atrogine-1 p70S6K/S6 Ì Dégradation protéique Cellules réserves Pax7+, MyoD-, Myogenine-, Desmine + Paris, les 28 et 29 novembre 2006 GSK3 NFATc2 Ê Synthèse protéique Fusion IL-13 110 Troisième Conférence Nationale Médicale Interfédérale CNOSF L'IGF-1 n'est pas le seul facteur de croissance qui suscite l'intérêt. Un autre facteur de contrôle musculaire est la myostatine (également appelée GDF-8) qui est un régulateur négatif de la masse musculaire. Chez une souris qui surexprime l’inhibiteur de la myostatine, le développement musculaire est beaucoup plus important. Les fibres sont plus grosses et plus nombreuses. Cela peut donner des idées dans le domaine du dopage pharmacologique ou génétique… Myostatine/GDF8 Il demeure beaucoup d’éléments à étudier, et principalement chez l’homme, s’agissant des paramètres responsables du développement musculaire. Questions-réponses avec l’amphithéâtre Jean-François TOUSSAINT Observe-t-on à des mutations des isoformes spécifiques de l’IGF-1, qui pourraient conduire à une augmentation spontanée de la masse musculaire chez l’homme ? Arnaud FERRY Je n’ai pas souvenir d’avoir rien lu de tel, mais je ne suis pas un spécialiste de la question. En revanche, c'est connu dans le cas de la myostatine. Jean-François TOUSSAINT On s’aperçoit que la prise de stéroïdes ne perturbe pas la linéarité entre le nombre de noyaux hypertrophiés et la masse musculaire. Quels sont les effets délétères de la prise de stéroïdes, notamment sur les télomères ? Paris, les 28 et 29 novembre 2006 111 Troisième Conférence Nationale Médicale Interfédérale CNOSF Arnaud FERRY Des effets secondaires bien connus se situent en termes de risques, notamment, de cancer et cirrhose du foie. De plus, j'ai le souvenir que le laboratoire a constaté que les fibres musculaires montrent par ailleurs des formes de dégénérescence, tout le problème étant de savoir si ces formes de dégénérescence sont liée à la prise d’une substance ou bien à l’intensité de la pratique physique. Olivier COSTE, médecin conseiller de la DRDJSVA de Languedoc-Roussillon, FF de Triathlon Que pensez-vous de l’utilisation actuelle – entre autres, dans de grands clubs de football européens - de facteurs de croissance plasmatique après blessure musculaire ? Arnaud FERRY Le problème de l’administration des facteurs de croissance est que, chez un muscle lésé, leur utilisation ne correspond pas à la situation dans laquelle ils sont produits par la fibre musculaire. Celle-ci en produit certains au début de la lésion, puis d’autres au terme de plusieurs jours seulement, selon une cinétique complexe. Le fait de les administrer de façon brutale en une seule fois risque de ne pas correspondre à cette cinétique et donc de ne présenter aucun intérêt. Gérard DINE, médecin biologiste, Ministère de la Recherche On a identifié en 2004 le gène de la protéine de résorption de la myostatine chez le bovin belge. La mutation humaine a été découverte en 2005. En 1998, on a identifié la pratique de l’utilisation d’un cocktail IGF-1 et insuline dans un but de recharge immédiate (qu’on pourrait appeler réparation musculaire médicalement assistée). J’ai été commis expert judiciaire sur ce dossier en Italie, où je dois assurer la coordination. Sur quoi faut-il se pencher spécifiquement, s’agissant des substances délivrées à ces sportifs ? Il me paraît ennuyeux qu’un certain nombre de footballeurs italiens aient connu quelques soucis de santé sur les sphères neurologiques et musculaires. J’ajoute qu’il s’agit d’un protocole qui a été écrit et distribué à grande échelle. Arnaud FERRY Le problème est que les publications ont très peu analysés les conséquences de l’IGF-1 chez l’homme. Toutes les connaissances proviennent essentiellement de modèles animaux. Je déplore cette absence quasi-complète de données de ce type chez l’homme. Toutefois, des effets secondaires néfastes sont très prévisibles, ce qui doit inciter à ne plus administrer de façon systémique ce facteur. Jean-François TOUSSAINT Quels sont les méthodes à mettre en place aujourd’hui pour un suivi sur le long terme de ce type d’interventions, en particulier pour revenir sur des mutations ou des phénotypes particuliers ? Paris, les 28 et 29 novembre 2006 112 Troisième Conférence Nationale Médicale Interfédérale CNOSF Gérard DINE Nous n’avons pas mis en place ce genre de suivi en France. Les Italiens sont pour leur part en train de le mettre en place. Il aurait effectivement fallu que nous anticipions il y a dix ans la constitution d’une biothèque, lorsqu’on a découvert ce type d’utilisation à grande échelle. Aujourd’hui en Italie, la Commission médicale et scientifique du CONI joue un rôle de très grande importance vis-à-vis de la constitution d’une biothèque. Il manque en France une structure de cette puissance. Le chantier est grand et les problématiques nombreuses. Par exemple, faudrait-il surveiller le cœur, en songeant à une hypertrophie cardiaque ? La question est en devenir. Arnaud FERRY J’ai parlé de facteurs locaux, qui ont peu de chances d’être produits en quantité suffisante par le muscle pour être libéré dans la circulation. Ces facteurs locaux musculaires sont a priori peu présents dans la circulation. François CARRE, professeur des Universités, praticien hospitalier, Rennes I Les effets secondaires des stéroïdes sur le cœur sont connus. Il conviendrait de déterminer si l’utilisation des facteurs de croissance a un retentissement cardiaque et vasculaire. Paris, les 28 et 29 novembre 2006 113 Troisième Conférence Nationale Médicale Interfédérale Paris, les 28 et 29 novembre 2006 CNOSF 114