ESTHÉTIQUE LITTÉRAIRE DU CLASSICISME Les écrivains du
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ESTHÉTIQUE LITTÉRAIRE DU CLASSICISME Les écrivains du
ESTHÉTIQUE LITTÉRAIRE DU CLASSICISME Les écrivains du XVIIe siècle n’avaient pas conscience qu’ils fondaient une « littérature classique ». Le terme s’employait généralement pour désigner les œuvres de l’Antiquité. Ce n’est qu’au XIXe siècle que le terme de littérature classique et de classicisme apparaît dans son acception moderne. Dans la première moitié du XVIIe siècle s’organise, peu à peu, une doctrine qui s’efforce de donner comme idéal à l’art d’écrire la raison et la nature et qui préconise l’imitation des auteurs de l’Antiquité, nommés les « Anciens ». Le point d’orgue de ces efforts, c’est la « Querelle du Cid », c’est-à-dire le débat autour d’une pièce de Pierre Corneille, qui donna lieu à l’intervention de l’Académie française et à la publication des Sentiments de l’Académie française sur la tragi-comédie du Cid de Jean Chapelain en 1638. Dans la première moitié du XVIIe siècle, tous les théoriciens s’accordent pour exiger de l’œuvre littéraire : la vraisemblance, c’est-à-dire le principe interdisant tout ce qui ne peut exister dans la réalité, tout ce qui n’est pas crédible pour les spectateurs ou les lecteurs, et la bienséance, qui prescrit que les auteurs rejettent tout ce qui a un caractère de grossièreté ou de trivialité, aussi bien que ce qui ne correspond pas au statu quo politique. Cette « doctrine classique » et notamment le principe de l’imitation des Anciens seront mis en question lors de la « Querelle des Anciens et des Modernes » qui éclatera en 1687 et se poursuivra jusqu’à la première moitié du XVIIIe siècle. La notion de classicisme est essentiellement liée à celle d’équilibre. Equilibre architectural, tout d’abord, entre les différentes parties, les divers éléments d’une œuvre. Chaque œuvre forme un tout, où le détail se subordonne à l’ensemble, où s’efface « tout accent mis sur un élément (...) aux dépens de l’élément voisin ». Une telle « loi » se lit plus facilement sur la façade d’un bâtiment classique que dans une tragédie de Racine. Elle y commande pourtant telle règle particulière, celle, par exemple, qui veut que tous les personnages d’une pièce doivent être annoncés sinon présents dès le premier acte et que la pièce ne s’achève qu’une fois réglé le sort de tous ses personnages. Plus profondément, l’unité d’un poème dramatique sera marquée par l’unité du ton (« noble » dans la tragédie, « simple » dans la comédie), la construction (progression régulière de l’action à travers des actes de longueur sensiblement égale), le resserrement dû à la fameuse règle des trois unités, l’intégration enfin de chaque personnage dans une intrigue qui les concerne tous. Même un recueil de fragments comme les Maximes de La Rochefoucauld s’organise fortement autour d’une idée centrale, d’une thèse pourrait-on dire. Même souci d’équilibre dans l’invention et le choix des personnages. Le classicisme n’aime guère les caractères tout d’une pièce, les forcenés qu’un élan irrésistible entraîne dans une seule direction. L’Agrippine de Britannicus est un personnage plus classique que la Cléopâtre de Rodogune parce qu’en elle les tendresses du sang, les maladresses de la chair viennent balancer les rages de l’ambition. C’est un des sens qu’il faut donner à la condamnation de l’« outrance » au nom du « naturel ». De même, quand un classique s’empare d’un mythe ou d’un thème, il s’efforce d’en éclairer également tous les aspects. D’autres siècles avantageront en Don Juan le révolté ou l’obsédé sexuel, le cynique ou le généreux ; Molière sait faire affleurer dans son drame toutes les « possibilités » du mythe. Equilibre encore entre l’enracinement dans le réel et l’idéalisation esthétique. Historiquement tout se passe comme si le classicisme opérait une fusion entre le « burlesque » et la préciosité. Il garde du premier le goût de la vérité, du mot propre, de la réalité concrète et sociale; il emprunte à la seconde la finesse de ses analyses, l’élégance de son langage. Mais en faisant la synthèse des deux tendances opposées, il rejette d’un côté la vulgarité gratuite, de l’autre l’ornementation excessive, le romanesque évanescent; l’enlisement dans le réel comme la fuite hors du réel. Les jeunes premiers de Molière, les amoureux de Racine ou de Madame de La Fayette se trouvent aux prises avec les embarras d’argent, les oppositions familiales, les exigences de l’étiquette ou de la morale qui sont les obstacles réels et précis que rencontrent sur leur route de jeunes bourgeois ou aristocrates des années 1660. Mais si cette insertion dans la réalité garantit en quelque sorte la vérité de la peinture psychologique — et s’oppose par là à l’idéalisation tendancieuse des romans précieux —, les œuvres classiques évitent cependant le côté voyant et pittoresque de cette réalité — que recherchent au contraire les « romans comiques » de Scarron ou de Sorel — qui risquerait de masquer la valeur généralement hu- maine de leurs caractères. Le lapin, le loup, le lion ou les paysans de La Fontaine sont animaux à longues oreilles, à dents puissantes ou griffes acérées, sont manants au milieu de leurs « porreaux » et de leur chicorée, et ils le sont juste assez pour être figures « idéales » de la lâcheté, de la cruauté, de la patience stupide ou du bon sens terrien. L’élégance racinienne a besoin des cris nus de la passion, comme la poésie de La Fontaine de la saveur archaïque ou paysanne de son vocabulaire, comme le haut comique de Molière des jeux de scène et des plaisanteries grossières de la farce. Equilibre enfin entre la raison et l’irrationnel. Il est faux de croire que le classicisme se définit par le culte de la raison, ne peint que des héros guidés par le bon sens, que l’art classique est l’art du rationnel. Si les classiques ont insisté sur quelque chose, c’est bien sur la toute-puissance, en l’homme, des forces irrationnelles : avarice, concupiscence, exigences de la chair, vanité entraînent les héros de Molière comme les fureurs de l’amour ceux de Racine, comme l’amour-propre l’homme de La Rochefoucauld. Mais il est bien vrai que la raison, chez le classique, ne renonce pas pour autant à voir clair. Elle est un idéal omniprésent. L’influence cartésienne, le nouvel esprit scientifique, le courant libertin, la rigueur janséniste se conjuguent finalement pour inspirer à l’homme classique la haine de l’équivoque (qui caractérise le baroque notamment), de l’obscurité, de la mauvaise foi. Le classicisme ne met pas en scène une raison dès l’abord triomphante et sereine, mais des êtres enchaînés ou entraînés qui se contentent bien souvent de savoir lucidement qu’ils le sont. Et ce n’est pas par hasard que tant de héros classiques sont des êtres partagés : tyrans séduits par l’innocence, misanthropes amoureux de la coquetterie, amoureux voulant s’arracher à l’amour, pécheurs fouaillés par le remords, etc. L’ordre classique ne supprime pas le désordre, il l’assume en l’exprimant, et en ce sens seulement il triomphe de lui. L’ordre sans le désordre, ce n’est plus du classicisme. Esthétiquement, l’équilibre s’épanouit en poésie. Or la poésie classique est, encore une fois, affaire d’équilibre. Elle refuse les « ornements » trop voyants, les métaphores surprenantes, la syntaxe compliquée et le vocabulaire éclatant pour simplement « réaliser » les latences poétiques du langage. Les deux « faces » de la langue, celle qui parle à l’intelligence, celle qui parle à l’imagination ou à la sensibilité, y sont à l’œuvre simultanément. Ce sont des conquêtes de ce genre qui font comprendre que les contemporains de Louis XIV aient eu le sentiment que leur langue avait atteint la perfection. d’après Pierre Abraham / Roland Desné: Manuel d’histoire littéraire de la France. Tome II: 1600–1715. Paris: Editions sociales, 1966.