Les troubles du comportement alimentaire chez l`enfant et

Transcription

Les troubles du comportement alimentaire chez l`enfant et
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Pédopsychiatrie Table ronde
Les troubles du comportement alimentaire chez
l'enfant et chez l'adolescent
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Les Entretiens
de Bichat
28 sept. 2011
Salle 352A
14 h 00 - 15 h 30
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* Centre Philippe Paumelle, 11 rue Albert Bayet, 75013 paris
** Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Robert Debré, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris
*** Psychiatre, Institut Mutualiste Montsouris, 42 boulevard Jourdan, 75014 Paris, Faculté Paris V René Descartes
LES TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE
CHEZ L’ENFANT
M.F. Le Heuzey
Les garçons souffrent de l’exclusion par les pairs car ils sont exclus
des jeux et des équipes sportives en raison de leur petite taille.
Les filles paraissent moins souffrir de leur petite taille mais expriment des préoccupations corporelles, avec des plaintes concernant leur « gros ventre » ou leurs grosses cuisses de la même
façon que les anorexiques adolescentes.
Résumé
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Le risque médical est celui du retentissement sur la croissance et
le développement.
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Les troubles du comportement alimentaire ne sont pas réservés aux nourrissons et aux adolescents. Parfois les difficultés ont commencé pendant la petite enfance et se
poursuivent tels que le comportement de petit mangeur, les
sélections alimentaires. D’autres semblent démarrer durant
l’enfance, et il faut savoir les repérer .Ainsi l’anorexie mentale prépubère existe, chez les garçons comme chez les filles.
Et si la boulimie parait ne pas exister en période prépubère,
les comportements de compulsions existent chez les enfants
obèses sou non. D’autres troubles en lien avec l’alimentation
sont aussi à connaître comme la phobie de la déglutition.
Mais actuellement nous ne disposons pas d’études longitudinales sur l’anorexie infantile et les relations entre anorexie infantile et anorexie mentale ne sont pas encore éclaircies.
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Évitements alimentaires
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Les tris alimentaires sous tendus par les évitements affectifs et
néophobies alimentaires peuvent perdurer pendant de nombreuses années, entraînant parfois un surpoids ou des carences
Le tableau peut aussi être celui d’une sélection alimentaire maximale.
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Mots-clés
Anorexie mentale prépubère, évitement alimentaire, compulsion, retard pubertaire, retard de croissance
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Troubles apparaissant durant l’enfance
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L’anorexie mentale prépubère
Bien qu’elle soit plus rare qu’à l’adolescence, l’anorexie mentale
peut en effet démarrer bien avant la puberté, à 8, 9 ou 10 ans.
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Pendant longtemps les médecins semblaient peu intéressés par
les particularités alimentaires des enfants, comme s’il fallait être
adolescent pour avoir des préoccupations alimentaires. Cette période de la vie, (la « phase de latence » pour les psychanalystes)
n’est pourtant pas épargnée par les difficultés alimentaires, et
les médecins regardent, enfin « comment » mangent les 6-12
ans, d’autant que la montée de l’obésité (16 % des enfants français seraient obèses) inquiète les parents et les médecins.
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Ces comportements restrictifs peuvent se poursuivre durant plusieurs années.
346 - © LES ENTRETIENS DE BICHAT 2011
La reconnaissance du trouble est difficile car l’enfant prétend ne
pas avoir faim alors qu’elle lutte activement contre la faim ; parfois même elle se fait vomir en cachette.
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L’anorexie infantile et le comportement de petit
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Certains troubles ont déjà commencé durant la petite
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De manière insidieuse, parfois après une remarque ou des moqueries de la part de l’entourage, l’enfant se met à faire des tris
alimentaires drastiques pour éliminer les aliments les plus caloriques. Convaincue d’être trop grosse, elle cherche à maigrir, à
maigrir toujours plus. Elle est la plus dynamique aux cours de
danse et de gymnastique, va à la piscine, et court plus qu’elle ne
marche dans les activités de la vie quotidienne
L’anorexie de l’enfant correspond aux mêmes critères diagnostiques que l’anorexie mentale de l’adolescente :
- refus de maintenir le poids corporel au niveau ou au dessus
d’un poids minimum normal pour l’age et la taille ;
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Pédopsychiatrie Table ronde
rage de conduites d’élimination, vomissements, jeûne, etc.
- altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle
sur l’estime de soi, ou déni de la gravité de la maigreur actuelle.
Phobie de la déglutition
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- peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que
le poids est inférieur à la normale ;
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L’enfant peut aussi utiliser les vomissements provoqués
lorsqu’elle estime avoir trop mangé ; en revanche à cet âge,
l’usage de laxatifs et de diurétiques est exceptionnel.
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Deux signes sont spécifiques à la population des enfants anorexiques par rapport aux adolescents :
La symptomatologie survient à la suite d'un incident traumatique :
une fausse route avec une olive, un bonbon, de la viande, du pain.
Le retentissement pondéral n’est jamais important, le plus souvent le poids est en rapport avec la taille ; dans quelques cas on
observe une perte de poids variant entre 2 et quelques kilogrammes ; l’importance de la perte de poids n’est pas proportionnelle à la durée du trouble.
L'exclusion alimentaire porte de façon totale ou incomplète sur
les aliments solides. Le plus souvent après un certain temps
d’évolution l'enfant a une alimentation liquide ou semi liquide
exclusive : il ne se nourrit plus que d'aliments liquides, mixés, de
laitages et de jus de fruit ; parfois même l'enfant éprouve des
difficultés pour avaler certains liquides où au maximum sa salive.
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- la restriction hydrique qui peut aboutir à une déshydratation ;
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- le ralentissement voire l’arrêt de croissance staturale avec cassure de la courbe et mise en jeu du pronostic de taille à long
terme, et retard du développement pubertaire.
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Des troubles psychopathologiques comorbides sont souvent observés.
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Le déroulement symptomatique est assez univoque. Un incident
traumatique survient : l’enfant fait une fausse route (« il s’étrangle ») avec un bonbon ou un morceau d’aliment solide ; éventuellement il n’est pas victime lui même mais assiste à cet
événement chez un proche. L'enfant ressent une peur intense,
il a l’impression d’étouffer, parfois de mourir, mais dans aucun
cas des gestes médicaux ou une réanimation sont nécessaires
pour qu’il reprenne sa respiration… Lorsque le repas suivant s'annonce, l'enfant ressent une peur croissante, une anxiété anticipatrice, parfois des tremblements, une tachycardie ; il pleure, dit
qu'il risque de s'étrangler à nouveau et de mourir étouffé. Il sélectionne les aliments, les mâche longuement, les filtre à travers
les dents, et met de longues minutes pour chaque bouchée. La
famille, décontenancée accède aux désirs de l’enfant et lui prépare des repas de bébés.
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• Une symptomatologie dépressive est habituelle avec un repli
sur soi, un retrait par rapport aux camarades.
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• Une symptomatologie obsessionnelle. Dans la quasi-totalité
des cas il s’agit d’enfants perfectionnistes qui vérifient, travaillent
scrupuleusement pendant des heures, recopient et recopient encore jusqu'à la perfection. La symptomatologie obsessionnelle
concerne l’alimentation avec des rituels, mais peut envahir d’autres secteurs avec un véritable Trouble Obsessif Compulsif.
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Parmi les enfants particulièrement exposés à l’anorexie se
situent les enfants soumis à des pressions importantes pour
leur poids : enfants mannequins, danseurs ou sportifs.
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Attention, aux sport de compétition chez les enfants ; le médecin
traitant se doit d’être très attentif à l’alimentation, à la croissance
staturale de ces graines de champion, à leur développement pubertaire, et il doit être là pour tempérer les exigences des entraîneurs et des parents.
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La séquence « traumatisme / anxiété anticipatrice / évitement »
rappelle le phénomène de syndrome de stress post traumatique,
où les enfant soumis à un stress violent développe des manifestations anxieuses, avec troubles du sommeil, évitement des situations rappelant le traumatisme, anxiété anticipatrice s’ils sont
confrontés au même type de stress. La phobie de la déglutition
est un trouble du comportement alimentaire post traumatique
en assimilation au syndrome de stress post traumatique.
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L’anorexie prépubère touche aussi les garçons. Alors qu’à
l’adolescence le sex ratio est de 9 filles pour un garçon, en période prépubère , le sex ratio est moins déséquilibré puisqu’il y a
environ 3 à 4 garçons pour 6 à 7 filles.
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Compulsions alimentaires et boulimie
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Il faut également retenir que certains troubles sont complexes et associent plusieurs mécanismes : petit mangeur + phobie de la déglutition + anorexie par exemple.
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Au total, il est nécessaire de prendre le temps d’analyser les composantes du comportement alimentaire de l’enfant afin de ne
pas rassurer trop vite les parents ou au contraire ne pas les inquiéter abusivement, et afin de mettre en place une prise en
charge adéquate.
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La limite entre accès boulimique et grignotage n’est pas toujours
nette ; nombreux sont les enfants qui mangent à toute heure,
« biscuits chocolatés, glaces, frites, kebab etc. ».
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La boulimie, caractérisée par des accès récurrents de prises alimentaires excessives et de comportements compensatoires
comme vomissements provoqués, usage de diurétiques et laxatifs, pratique du jeûne et d’exercices physiques intenses débute
classiquement plus tardivement et serait exceptionnelles avant
l’âge de 13 ans. Mais les compulsions alimentaires existent chez
l’enfant selon des schémas varies.
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Cette alimentation anarchique engendre un chaos alimentaire,
avec pour conséquence prise de poids voire obésité, soit démar-
RÉFÉRENCE
1 - Mouren MC, Doyen C, Le Heuzey MF, Cook-Darzens S. Troubles du comportement alimentaire de l’enfant. Du nourrisson au préadolescent ; Diagnostics.
Thérapeutiques. Elsevier Masson Paris, 2011.
© LES ENTRETIENS DE BICHAT 2011 - 347
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Les menstruations sont bien sûr un symbole de castration, mais
sont aussi à mettre en lien avec la sexualité génitale et l’accès à
la maternité. Au fil de l’histoire, elles sont investies positivement
ou négativement selon le symbole prédominant de l’époque. En
effet dans les sociétés rurales médiévales, les menstrues étaient
promesse de fécondité et le sang des règles annonçait le sang
de la défloraison et de l’accouchement (Knibielher, 2002). En revanche, au 19e siècle, où la pression moralisante religieuse est
beaucoup plus forte, on considère la puberté non plus comme
un évènement positif mais comme une épreuve physique qui
anémie les jeunes filles.
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QUELLE PLACE POUR L’AMENORRHEE DANS
L’ANOREXIE MENTALE À L’ADOLESCENCE ?
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Enfin, une des étymologies hébraïques des règles est « séparation », renvoyant non seulement à la séparation d’avec l’époux
(imposée par la religion, car la femme est durant cette période
« sale… et sacrée »), mais plus originairement à la séparation
d’avec l’objet primaire lors de l’accession à un corps sexué adulte
et la séparation pour le sujet d’avec le corps propre de l’enfance.
Mots-clés
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Anorexie mentale, aménorrhée, adolescence, puberté
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Plus précisément, au moment de la puberté, la survenue des règles chez les jeunes filles va donner corps à la différence des
sexes, ce qui représente un gain (réémergence pulsionnelle,
sexualisation des relations objectales) et un renoncement (à la
bisexualité infantile, et à une relation tendre, asexuée aux parents).
Introduction
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L’anorexie mentale est classiquement décrite chez les jeunes filles
à l’adolescence par la triade symptomatique dite « des trois A » :
anorexie, amaigrissement, aménorrhée. Or il est question de supprimer ce dernier symptôme de la description clinique de la pathologie dans la nouvelle classification américaine des maladies
psychiatriques (DSM-V), du fait de la difficulté à l’évaluer lorsqu’il
y a une prescription associée de traitement oestroprogestatif.
Nous vous proposons néanmoins de rester attentif à cette manifestation en rappelant les sens multiples qu’elle peut prendre
chez les adolescentes anorexiques, et la densité des conflits psychiques sous-jacent, dont la prescription d’une « pilule » peut
constituer une mise à distance répondant à un soucis de conformisme mais en aucun cas un règlement.
Anorexie mentale et adolescence : rappel
épidémiologique
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L’anorexie mentale débute le plus souvent après la puberté. En
moyenne, l’âge de début est de 17 ans avec deux pics de fréquence autour de 14 ans et de 18 ans. L’incidence de ces troubles serait relativement stable, ce qui contraste avec
l'augmentation très importante chez les adolescentes des préoccupations corporelles (vision négative de soi, pesées excessivement fréquentes, préoccupations pour l’apparence corporelle et
le poids) et des perturbations alimentaires (diète ou jeûne régulier, régimes anarchiques entraînant des variations pondérales et
des déséquilibres métaboliques ou vitaminiques, épisodes récurrents de crises de boulimie, vomissements induits). Dans le
contexte actuel, certains s’interrogent sur l’impact généré par les
campagnes contre l’obésité sur les sujets jeunes ayant une estime
de soi fragile, qui pourrait favoriser à terme le développement
de troubles des conduites alimentaires.
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Le sang, les règles et la femme : un peu d’histoire
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La prévalence de l’anorexie mentale en population générale est
de 0,5 à 1 % des adolescentes. Aux États-Unis, l'anorexie est la
troisième maladie chronique après l'obésité et l'asthme chez
l'adolescente, avec une prévalence de 0,48 % dans la tranche
des 15-19 ans, et avec une nette prédominance féminine (neuf
cas sur dix).
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La vie d’une femme dans son lien à la maternité est scandée par
les menstruations, de la puberté à la ménopause. En creux, les
interruptions de saignement entre ces deux bornes se présentent
lors de la grossesse et l’allaitement. Chez les patientes anorexiques, l’aménorrhée peut être investie à travers des fantasmes
de grossesse (fréquence des modelages de femmes enceintes
dans les ateliers d’ergothérapie en cours d’hospitalisation) ; cliniquement, les effets de la dénutrition provoquent une présentation physique qui évoque un corps prépubère mais aussi un corps
de femme ménopausée quand il y a une chronicisation des troubles (altération de l’état cutané, ostéopénie voire ostéoporose).
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Le sang des règles renvoie à une polysémie, d’une part en lien
avec le féminin, et d’autre part centrée sur la question de la temporalité.
348 - © LES ENTRETIENS DE BICHAT 2011
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Chez la femme le sang des menstruations renvoie donc au féminin, mais aussi de manière plus essentielle à la question de la
temporalité et de l’inscription dans une succession générationnelle. Autant d’enjeux qui vont se condenser dans le symptôme
aménorrhée chez les adolescentes anorexiques.
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Résumé
L’anorexie mentale apparaît le plus souvent à l’adolescence
autour de la période pubertaire. Cette pathologie présente
une nette prédominance féminine et si l’aménorrhée en est
un des symptômes cardinaux, il peut être « camouflé » par
les traitements oestroprogestatifs et de ce fait tend à passer
au second plan des descriptions cliniques. Nous rappelons
l’importance de l’évaluation de ce symptôme à partir des
données épidémiologiques, cliniques, historiques, afin de
comprendre comment les conflits psychiques des patientes
anorexiques se condensent ainsi à l’adolescence : l’aménorrhée incarne à la fois la difficile acceptation de la féminité
et la résistance vis-à-vis de l’inscription dans une temporalité
en quittant le monde de l’enfance.
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I. Nicolas
À côté des formes cliniques bien définies que sont l’anorexie
mentale et la boulimie, il existe une multitude de troubles des
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Si elles n’atteignent pas l’intensité symptomatique des formes
avérées, elles n’en n’ont pas moins des conséquences sévères
sur le plan physique et psychologique. L’existence de forme atténuée de TCA à l’adolescence est un facteur de risque important de développement de troubles physiques et psychiques à
l’âge adulte (troubles anxieux, symptômes cardio-vasculaires,
syndrome de fatigue chronique, douleur chronique, troubles dépressifs, limitation de leur activité liée à une mauvaise santé, maladies infectieuses, insomnie, symptômes neurologiques,
tentative de suicide).
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Ces conflits et enjeux paradoxaux, s’ils émaillent le cheminement
de nombreux adolescents, vont traduire une fragilité narcissique
particulière lorsqu’ils nécessitent la mise en place d’une conduite
de dépendance ou addictive telle que l’anorexie mentale. Pour
tout adolescent à la période pubertaire il s'agit d'accéder à la
sexualité génitale, d'achever ses identifications, et surtout de se
séparer des parents. La qualité des intériorisations préalables et,
corrélativement, de l'estime de soi qui s'est établie au cours de
l'enfance, grâce aux liens noués avec les proches, se trouve donc
mise à l'épreuve ; or, c'est elle qui permet ou non de franchir le
cap de la puberté puisqu'elle détermine les ressources propres
dont dispose l'adolescent(e), et ses capacités à assumer son identité sexuée.
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Aménorrhée et anorexie mentale
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Dans le tableau clinique de l’anorexie mentale, l'aménorrhée suit
généralement de quelques mois la restriction alimentaire : elle
est le plus souvent secondaire et peut être masquée par la prise
de contraceptif oral ou tout autre traitement hormonal substitutif prescrit face à un symptôme cliniquement « inexpliqué » et
parfois inaugural. L'aménorrhée reste cependant un symptôme
cardinal de l'anorexie mentale, lié en partie à la perte de poids
qui, via la dénutrition, altère la fonction gonadotrope, mais ne
peut être tenu comme mécanisme exclusif. Ainsi, l'exercice physique a aussi ce même effet sur l’axe gonadotrope, ce d’autant
plus que l’hyperactivité physique peut accentuer une fonte du
pourcentage de masse grasse, ce qui joue un rôle dans le maintien des cycles menstruels. De plus, selon les données de la littérature, l’aménorrhée précède un amaigrissement conséquent
jusque dans un tiers des cas. Enfin la restauration d’un état nutritionnel équilibré ne suffit pas toujours au retour d’une activité
ovulatoire : il est décrit classiquement que les cycles reprennent
un ou deux kilos au-dessus du poids ou ils se sont arrêtés, mais
le maintien d’un comportement alimentaire perturbé a minima,
la coexistence d’un trouble boulimique ou d’une hyperactivité
physique peuvent prolonger l’aménorrhée, et on ne peut pas
prédire individuellement à quel moment une patiente retrouvera
des cycles réguliers. Il est possible que le maintien d’une aménorrhée malgré le retour à un poids normal s’inscrive dans un
tableau de troubles du comportement alimentaire infra-cliniques
tels que décrits plus haut.
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La fragilité narcissique des patientes suivies pour anorexie mentale s’est souvent traduite dans l’enfance par une organisation
en faux-self, c’est-à-dire par un besoin de se conformer aux désirs des autres à tel point qu’il ne devient plus possible d’entendre
ses propres besoins.
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À l’adolescence, l’anorexie permet alors de concilier des enjeux
contradictoires : d’une part le refus de la séparation avec la mère
et la rivalité sur le terrain de la maternité, et d’autre part une différenciation et un affranchissement du désir parental (ses adolescents qui ont souvent été des « enfants modèles » restent
conformes aux désirs de leurs parents mise à part cette idée folle
« je peux vivre sans manger »).
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Dans ce contexte de grande fragilité identitaire les règles, en deçà
du symbole de castration, vont condenser dans un premier temps
des enjeux de maîtrise. En effet, les menstruations renvoient au
passage et non à la rétention. Pour ces jeunes filles le dégoût des
règles renvoient à l’horreur de la position passive : les sphincters
doivent contrôler le sale qui sort de l’organisme, et il peut y avoir
une confusion entre les sphères génitale et anale. Ainsi cette
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Comment comprendre l’aménorrhée chez les
adolescentes anorexiques ?
L’anorexie permet à l’adolescente de ne pas s’engager dans la
voie pubertaire, ou de reculer. Cependant, l’anorexie n’est pas
un renoncement aux possibilités qu’offre la sexualisation des relations objectales : il s’agit plutôt de ne rien perdre, de tenir ensemble les acquis de l’enfance et les possibilités que la puberté
apporte. C’est peut-être en cela que ces patientes nous donnent
à voir une vision paradigmatique de l’adolescence : elles ont
trouvé une formation de compromis, certes très coûteuse, mais
qui leur permet de tenir ensemble des enjeux contradictoires
voire paradoxaux. En effet, il s’agit pour ces jeunes filles de résister à la succession des générations, de garder un contact avec
le corps de l’enfance, indifférencié avec celui de l’objet primaire,
et dans le même temps de se différencier de l’objet primaire à
travers le refus du féminin (refus de devenir femme puis mère,
refus de la passivité).
Or, les manifestations atténuées de TCA sont fréquentes à l’adolescence : les crises de boulimie peuvent concerner jusqu’à 28 %
d’adolescentes et 20 % d’adolescents âgés de 10 à 19 ans. Les
stratégies de contrôle du poids concernent quant à elles 8% des
garçons et 19 % des filles. Dépister et traiter ces manifestations
précocement est important, d’une part pour lutter contre leurs
complications somatiques propres, et d’autre part pour prévenir
les problèmes psychiatriques ultérieurs.
Les réactions des patientes suivies pour anorexie mentale par
rapport à l’aménorrhée sont très contrastées, allant de la volonté
affichée de ne pas avoir ses règles à celle non moins brandie de
les avoir à nouveau à toutes forces (tout en se maintenant très à
distance de la réalisation de ce désir et en le contre-investissant
par un amaigrissement qui maintient une aménorrhée et une
anovulation physiologique).l’ambivalence de ces patientes face
au désir d’avoir un corps de femme est ainsi clivé avec un antagonisme entre ce qui est verbalisé et ce qui est incarné.
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conduites alimentaires, « autres troubles non classés par ailleurs ». Ces formes seraient présentes chez plus de 50 % des
sujets consultant pour trouble des conduites alimentaires.
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Pédopsychiatrie Table ronde
© LES ENTRETIENS DE BICHAT 2011 - 349
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Conclusion
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Certaines adolescentes règlent les conflits psychiques liés à la puberté en supprimant la puberté : « ni fille, ni garçon, mais anorexique » (Philippe Jeammet). Cette formule résume bien
l’exercice d’équilibrisme auquel les patientes anorexiques se soumettent, et la place centrale de l’aménorrhée dans cette problématique condensant la difficile acceptation de la féminité et de
l’inscription dans une temporalité (voire plus tard une succession
générationnelle). Même si ce symptôme tend à disparaître artificiellement du tableau clinique de l’anorexie mentale, l’évaluation
du rapport au corps sexué reste un axe important et pertinent de
l’évaluation clinique et des soins apportés à ces patientes.
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jeune fille anorexique-boulimique qui revient sur une interruption
volontaire de grossesse qu’elle a subie en comparant l’expulsion
à une « gastroentérite », décrivant une sensation de vidange
comparable aux autres conduites de purges qu’elle pouvait rechercher dans ses conduites boulimiques.
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On retrouve en effet un lien entre les couples règles/aménorrhée
et purge/restriction : extériorisation du mauvais en soi/ contrôle,
rétention de ce qui sort de l’organisme.
350 - © LES ENTRETIENS DE BICHAT 2011
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Dans un second temps, l’extrême ambivalence autour de la question du « retour » des règles peut amener une élaboration des
conflits psychiques autour de la difficulté à s’inscrire dans une
temporalité, une succession générationnelle d’une part, et d’autre part une résistance à renoncer aux fantasmes infantiles de
toute puissance et de bisexualité.