Les deux patates… - Blogues CSAffluents.qc.ca

Transcription

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Nom :
LA PRESSE, MONTRÉAL, DIMANCHE 2 AVRIL 2000
collaboration spéciale Stéphane Laporte
Les deux patates…
J'ai 6 ans. Je suis en deuxième année B. Je
reviens de l'école en tenant la main de ma
mère. Il fait beau. Mon chum Benoît marche
à mes côtés. On chante do-wa-didi de Tony
Roman. On s'en va jouer ensemble à la
maison. Au coin de la rue Prud'homme et
de la rue Notre-Dame de-Grâce, on croise
Viviane et Ursule, deux filles de notre
classe. Viviane et Ursule sont toujours
ensemble. Ce sont les deux meilleures
amies du monde. Elles rigolent tout le
temps. Elles se ressemblent, elles sont
rondes toutes les deux. Dans la cour
d'école, on dit qu'elles sont grosses. On les
appelle les deux patates.
En les voyant, Benoît et moi, on s'échange
un petit sourire, Viviane et Ursule nous
disent bonjour. Je leur réponds: « Bonjour
les deux patates ! » Et je regarde mon chum
Ben. Il éclate de rire. Je ris aussi. Fier de
mon coup. Ma mère, choquée, me dit: «
Stéphane, excuse-toi ! » Je ne comprends
pas pourquoi elle est si fâchée. Appeler
Viviane et Ursule les deux patates, ce n'est
pas si grave que ça. Tout le monde le fait.
Mais puisque ma mère me dit de m'excuser,
je vais m'excuser, J'arrête de rire avec
Benoît et je me tourne vers les deux filles.
Et je vois leurs yeux. Viviane et Ursule ont
les yeux figés. Les yeux en douleur. Elles ne
pleurent pas. C'est pire; elles encaissent.
Elles se retiennent. Je vois dans leurs yeux
que je leur ai fait mal. Atrocement mal.
J'essaie de leur dire « je m'excuse », mais ça
ne sort pas, tellement je suis intimidé par
leur détresse. Ma mère me dit: « Plus fort!
» Je parviens, tant bien que mal, à balbutier
Groupe :
un « je m'excuse », Viviane et Ursule me
regardent toujours. Elles me font un léger
sourire. Brisé. Puis elles passent leur
chemin.
Nous aussi, on poursuit notre route. Mais
on ne parle plus. On ne chante plus do-wadidi. Je n'en ai plus envie. Je suis trop
effondré en dedans. Je me sens tellement
con. J'ai tellement honte. J'ai gâché la
journée de deux personnes qui n'avaient
rien demandé. J'ai éteint leur soleil. En
voulant faire mon drôle. Je ne pensais pas
que j'étais pour leur faire mal comme ça. Je
croyais qu'elles étaient habituées à se faire
appeler les deux patates. Que ça ne leur
faisait rien. Comme si ça pouvait ne rien
leur faire ! Comme si deux personnes
pouvaient se faire dire qu'elles sont grosses
et aimer ça. Je suis vraiment con. S'il y en a
un qui aurait dû le savoir, c'est bien moi.
Avec mes deux jambes croches. Je sais bien
que dans la cour d'école, les autres enfants
rient de moi parfois. Qu'ils imitent ma façon
de marcher. Qu'ils me donnent des noms
pas gentils. Dans mon dos. Et même devant
moi. Je sais bien que ça fait mal. Très mal.
Mais ça ne m'a pas empêché de le faire à
Viviane et Ursule. Est-ce qu'on se venge de
nos douleurs en les faisant subi aux autres?
Peut-être que ce n'est pas si
profond que ça. Moi, j'ai dit ça juste comme
ça, après tout. Sans y penser. Pour faire rire
mon chum Benoît. Sans vouloir être
méchant. Mais j'ai fait mal quand même. On
ne rit pas de la douleur des autres. Le rire
est là pour enlever la douleur. Pas pour la
donner.
On est arrivé à la maison. Ma mère dit à
Ben de rentrer chez lui. Que je ne jouerai
pas ce soir. Puis elle me dit d'aller dans ma
chambre réfléchir. Pour la première fois de
ma vie, je trouve qu'elle a raison de me
punir. Même qu'elle devrait me punir
encore plus. Me punir tellement que je ne
me sentirais plus coupable.
Je m'allonge sur mon lit. Je n'arrête pas
de revoir les yeux de Viviane et d'Ursule. Je
ne suis pas près de les oublier. Leurs yeux
me rappelleront toujours à quel point on
peut faire mal à quelqu'un seulement avec
des mots. Les mots sont la pire des armes.
Le plus coupant des couteaux. La plus
meurtrière des bombes. Et je sais en jouer.
Je sais m'en servir. Ça m'arrivera encore
souvent d'envoyer une phrase de trop, une
blague blessante. Pour me défendre, ou
pour attaquer. Et chaque fois les yeux de
Viviane et d'Ursule apparaîtront dans ma
tête. Et je saurai que j'ai tort. Et je saurai
que je suis con. Et j'essaierai de faire
attention. La prochaine fois. Ce n'est pas
simple.
Mais pour l'instant, je n'ai que 6 ans, Et,
je ne désire qu'une chose : me racheter.
Mettre du bonheur dans les yeux de Viviane
et d'Ursule. Et ne plus jamais faire de la
peine à personne. De ma vie. Ma mère vient
me dire que je peux sortir de ma chambre.
Que ma punition est finie. Je cours dans ses
bras. Et je la serre très fort. Je lui dis merci.
Elle ne comprend pas. Elle pense que je suis
malade !
Le lendemain matin, dans la cour d'école
je retourne voir Viviane et Ursule. Elles ne
me boudent pas. Elles me disent bonjour.
Ce sont vraiment deux filles épatantes.
J'essaie de les faire rire. En leur parlant de
mes cheveux dépeignés. Des traces de jus
d'orange que j'ai encore autour des lèvres.
De mes genoux éraflés à cause de la chute
que j'ai faite parce que mes lacets étaient
détachés. Elles rient. Je vais mieux.
Questions…
1. Quelles sont tes impressions suite
à la lecture de ce texte?
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2. Commente l’extrait suivant : « Le
rire est là pour enlever la douleur,
pas pour la donner »
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3. Nomme 10 groupes de personnes
pouvant être victime d’intolérance.
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4. Comment
l’intolérance
se
manifeste-t-elle à l’égard de ces
groupes? Donne des exemples.
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