mise en scène arnaud troalic

Transcription

mise en scène arnaud troalic
mise en scène arnaud troalic
traduction anne monfort
©bbflirt 2011
texte édité par l'arche
sous le titre:
"outrage au public"
de l’outrage aux insultes
Depuis juillet 2009 Arnaud Troalic travaille à la création de
son nouveau projet «Insultes au public», nouvelle traduction,
par Anne Monfort, de la pièce Publikumpsbeschimpfung de
l’auteur autrichien Peter Handke. Cette pièce, écrite en 1967,
fut traduite une première fois la même année par Jean Sigrid
qui avait fait le choix du titre Outrage au public, sans doute
pour annoncer un outrage aux formes théâtrales de l’époque.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’outrager le public, qui, à notre
époque, en a vu bien d’autres… Mais de l’interroger sur sa
place, sur sa responsabilité de spectateur, de jouer sur son
attente, et peut-être, à la fin, de le convoquer à un rendezvous d’insultes.
vous êtes le jeu et l’enjeu
« Il faudrait que les spectateurs
apprennent à démasquer le
naturel comme dramaturgie,
dramaturgie du système
dominant – non seulement au
théâtre, mais ailleurs. Pourtant
c’est au théâtre qu’il leur faudrait
l’apprendre, qu’il leur faudrait
acquérir un regard étranger. (…)
Seule l’esthétique peut rendre
l’appareil de perception si précis
qu’on reconnaitra le naturel de
cette société comme une chose
fabriquée et manipulée.
Seule une esthétique nouvelle
peut apporter aussi des preuves
et des arguments.»
Il n’est question, dans le texte de Handke que des codes de
représentation et de la place du public. C'est pourquoi il a
semblé nécessaire au metteur en scène, dès le début du travail,
d’être en présence de spectateurs, volontaires ou non. Il a donc
fallu extraire les répétitions de tout dispositif conventionnel.
Pour cela, les comédiens ont été installés dans un conteneur
en verre posé au beau milieu de l’espace public, où ils étaient
visibles par tous en permanence. A proximité de ce conteneur,
une borne munie de casques offrait aux passants la possibilité
d’entendre ce qui se jouait à l’intérieur. Cette installation a Peter Handke
permis de jouer avec les spectateurs, parfois même de les rendre "J’habite une tour d’ivoire"
acteurs avec leur accord ou à leur insu.
Ce travail aura toute son importance dans la création du
spectacle, puisqu’il s’agit bel et bien de jouer avec le public, ou
de le faire jouer, à défaut de combler les attentes qu’il pourrait
avoir vis à vis d’une représentation. Ainsi le public, dans le
dispositif en salle du spectacle, est installé sur le plateau dans
le même espace que les comédiens, ce qui l'invite à
s'interroger sur son regard et sa position de spectateur. u
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prologue arnaud troalic, metteur en scène
Depuis début 2009, je travaille à constituer une équipe pour un nouveau projet
qui questionne la docilité de l’humain face aux absurdités du monde contemporain.
Certains axes de travail se sont portés sur l'excès de technologie, les
communications par interface, la déresponsabilisation, la servitude volontaire.
Aujourd'hui l'individu cherche coûte que coûte à sortir de son isolement par le
biais d'une communication effrénée. Je communique donc j'existe. Avec des
interfaces communicantes toujours plus perfectionnées, nous échangeons davantage
et avons la sensation de nous rapprocher les uns des autres. De faire abstraction
des distances qui nous séparent. Nous sommes au courant des faits et gestes de
nos milliers d'amis que nous croisons rarement.
Privés de cette rencontre charnelle, nous travaillons notre image, notre masque
social, l'image de notre intimité affichée au grand jour, pour laisser paraître
le meilleur de nous-mêmes. Nous ne sommes plus isolés individuellement, nous
sommes isolés ensemble. Nous finissons par jouer le rôle de nos avatars fantasmés.
Nous sommes continuellement en représentation.
Peter Handke a 23 ans quand il écrit « Outrage au public » en 1967, comme un cowboy insolent, il a une vraie volonté de chambouler les codes de la représentation,
de questionner la place de ceux qui regardent, leur faculté de jugement. Une vraie
provocation pour l'époque, un « ovni ».
La traduction littérale de Publikumsbeschimpfung est « Insultes au public». Dans
sa traduction de 1967, Jean Sigrid faisait le choix du titre Outrage au public
sans doute pour annoncer un outrage aux formes théâtrales de l'époque. Je
retiendrai le titre d’Insultes au public pour ne pas méprendre les spectateurs
d'aujourd'hui. Cette pièce n'a rien d'outrageant, mais convoque bel et bien le
public pour un rendez-vous d'insultes !
Arnaud Troalic
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de l’outrage aux insultes
anne monfort - traductrice
C’est, entre-autre, pour une raison de cohérence interne au texte que j’ai choisi
le titre «Insultes au public». Aux deux tiers de la pièce, Handke prévient les
spectateurs qu’ils vont être «insultés» - il s’ensuit en effet une série
d’insultes de toutes sortes, parmi lesquelles certaines apparaissent aujourd’hui
vieillottes et d’autres font plus que grincer des dents, notamment quand il met
sur le même plan «nazis» et «sales juifs». Ces insultes nous ont d’ailleurs posé
des questions de transposition - comment rendre audible à un public français
d’aujourd’hui « Schrumpfgermane » - littéralement, le « teuton rétréci», terme qui
désignait Goebbels ?
Utiliser le même terme pour le titre comme pour la phrase « Mais vous serez d’abord
insultés.» Car le titre annonce ce moment des insultes avec un effet
d’attente, puisqu’il n’arrive que tardivement – tout ce qui précède n’est en effet
qu’un «prologue» préparant ce moment, comme Handke l’annonce dès la deuxième
phrase. La promesse du titre n’est donc remplie qu’à la fin de la pièce, comme
une pirouette qui laisse à penser, bien évidemment, que «l’insulte» est le
dispositif tout entier de cette pièce sans action ni personnages, où le processus
classique de représentation s’inverse, où les spectateurs deviennent le «sujet »
dont parlent les acteurs, un sujet qui n’est ni celui d’un drame, ni celui d’un
théâtre documentaire, mais celui du réel.
Le titre de la première traduction « Outrage au public » me semble effectuer un
raccourci dans l’esprit du lecteur et du spectateur - aujourd’hui, notre réception
et notre connaissance de l’œuvre nous rend conscients que l’outrage est le
dispositif tout entier de cette représentation inversée. «Insultes au public»
redonne à la pièce son enjeu- celui d’une attente (les spectateurs viennent pour
se faire insulter) qui est à la fois désirée et crainte, et qui sera déjouée,
retardée, modifiée…. Plus qu’un « outrage» moral, le terme de «Beschimpfung»
désigne une parole qui offense – le terme est concret, usuel, n’a pas de
connotation formelle ou vieillie. Or, c’est bien cette parole d’aujourd’hui qui
reste au centre du projet de Handke - le jeune auteur de 23 ans en profite pour
régler ses comptes avec les différents courants théâtraux, en allant de la
théâtralité classique (il fait allusion à Die Schaubühneals moralische Anstalt
- Le théâtre comme instance morale de Schiller) au théâtre documentaire en passant
par le quatrième mur du drame bourgeois.
ANNE MONFORT
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distribution
mise en scène arnaud troalic
texte peter handke
traduction anne monfort
collaboration artistique anne-sophie pauchet
dramaturgie patrick amar
avec david charcot, julien flament,
louison pochat, arnaud troalic
scénographie antoine franchet
construction décor joël cornet
régie générale grégoire lerat
création lumières philippe ferbourg
création son etienne cuppens
régie son hubert michel
production/diffusion yaël méchaly
administration marie-pascale menseau
production
coproduction
• compagnie akté
• arts276/automne en normandie,
• le volcan scène nationale du havre,
• dieppe scène nationale,
• mâcon scène nationale
• avec le soutien du grand R-scène nationale de la roche-sur-yon
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distribution
u Arnaud Troalic : Après une formation au théâtre des Bains-Douches
au Havre, Arnaud Troalic rencontre Hervé Robbe, directeur du CCN du
Havre. c'est l'occasion pour lui d'envisager la scène dans une
expérience plastique et de révéler son attirance pour l'architecture, la
scénographie et la vidéo. En 2000, il fonde la compagnie Akté avec
Anne-Sophie Pauchet. Après avoir mis en scène collectivement le
dyptique Dandin / Zucco, il lui est nécéssaire d'engager son propre
regard sur la mise en scène avec deux textes de Rodrigo Garcia: c'est, en 2007, la création du spectacle
Borgès Vs Goya. Depuis 2009, il travaile à constituer une équipe artistique pour un nouveau projet qui
questionne la docilité de l'humain face aux absurdités du monde contemporain. En 2012, il est
comédien dans "La Fausse Suivante" mis en scène par Nadia Vonderheyden.
u David Charcot : Actuellement en 2ème année de formation au
conservatoire du 7ème arrondissement de Paris, David Charcot a découvert le
théâtre en 1997 en suivant, pendant 7 ans, les cours dispensés au Havre par
la Compagnie Akté. Il participe depuis 2009 aux laboratoires expérimentaux
de la compagnie. Il intègre l’équipe de création d’Insultes au public.
u Julien Flament : D'abord attiré par les arts du cirque, Julien Flament se
forme à l'art théâtral au Conservatoire d'art dramatique d'Amiens puis dans
la Classe d'arts dramatique de la ville de Paris. Au théâtre, il collabore
notamment et régulièrement avec Jean-Louis Hourdin et Etienne Pommeret.
Il rencontre la Compagnie Akté en 2003 et participe au dytique Dandin /
Zucco, puis à la pièce Borgès Vs Goya. En 2012, il est comédien dans "La
Fausse Suivante" mis en scène par Nadia Vonderheyden.
u Louison Pochat : Après sa formation à L'Oeil du Silence - Centre
européen de recherche théâtrale et corporelle pour acteur dirigé par
Anne Sicco - Louison Pochat collabore pendant six ans avec la Cie
Théâtre à l'envers sous la direction de Benoît Gasnier. Cherchant à
fouiller la corrélation entre le corps et le texte, elle côtoie les milieux
de la danse, de la performance et du cinéma. Elle participe depuis
2009 aux laboratoires de recherche sur le rapport direct de l'acteur
au spectateur de la Compagnie Akté. u
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l'initiative d'Anne-Sophie Pauchet et Arnaud
Troalic, comédiens et metteurs en scène, entourés
d’un collectif d'artistes. Elle a assuré jusqu'en
mars 2007 la gestion et la programmation du
Théâtre Akté, lieu désormais consacré uniquement
à l'activité de création et de formation de la
compagnie. Le travail d’Akté s'est peu à peu
orienté autour des formes nouvelles et des textes
contemporains. Il est fortement marqué depuis
plusieurs années par certaines thématiques, qui
nourrissent les recherches et interrogations des
membres de la compagnie. Au premier plan de
celles-ci se trouvent les questions du rapport
entre l'individu et la société. En effet, la question
de l'identité et de l'être social est au cœur de
notre travail. De 2009 à 2011, un travail de
recherche-laboratoire autour de ces thématiques
élargies et des nouveaux outils technologiques
appliqués au plateau a eu lieu au cœur même de
l’espace public, au beau milieu de «spectateurs
involontaires». Ce travail a abouti à la création de
la pièce Insultes au public de Peter Handke. En
février 2012, Anne-Sophie Pauchet met en scène
Toxique, journal de Françoise Sagan, avec une
comédienne et une musicienne (guitare
électrique/voix). Parallèlement à l’activité de
création, la compagnie effectue un grand nombre
d’actions culturelles, soit en accompagnement de
tournées, soit par le biais d’ateliers artistiques
conventionnés, ou encore sous forme d’ateliers
de pratique artistique au sein de la compagnie.
Enfin, et depuis 2009, la compagnie a mis en
place La Ronde des Auteurs, un programme de
lectures de textes théâtraux destinés au jeune
public. Les séances, d’une durée d’une heure, sont
articulées en deux parties, d’abord la lecture mise
en espace, puis un échange-discussion autour du
texte lu. Ces lectures et discussions permettent aux
enfants de découvrir des textes, de rendre le livre
familier et accessible et de faciliter, d’encourager
leur rapport à la lecture u
> Précédentes créations
Toxique
de Françoise Sagan
Mise en scène Anne Sophie-Pauchet
Création Février 2012
avec le soutien du Théâtre des Bains Douches - Le Havre
Borges Vs Goya
de Rodrigo Garcia
mis en scène d'Arnaud Troalic,
coproduction :
Dieppe Scène Nationale/Le Volcan.
(100 représentations).
Les 5 doigts de la main
spectacle à destination du jeune public.
Textes de C. Laurens, J. Debernard,
M. Glück, L. Gaudé, E. Darley,
mise en scène d'Anne-Sophie Pauchet.
(Une cinquantaine de représentations).
Direction artistique : Anne-Sophie Pauchet / Arnaud Troalic
Pour la mise en œuvre et la réalisation de l’ensemble de son projet artistique,
la Compagnie est conventionnée par la Ville du Havre,
le Ministère de la Culture et de la Communication/DRAC Haute-Normandie
et le Conseil Régional de Haute-Normandie.
Contact/ diffusion : Yaël Méchaly
Administration : Marie-Pascale Menseau
[email protected]
[email protected]
La compagnie Akté est conventionnée par la Ville du Havre, la Région Haute-Normandie,
le Ministère de la Culture et de la Communication/ DRAC Haute-Normandie.
Avec le soutien du Département de Seine-Maritime.
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designstudiobbflirt
La Compagnie Akté a été fondée en 2000 à
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exploitation
13 et 14 octobre 2011 : mâcon scène nationale
21 et 22 octobre 2011 : dieppe scène nationale
[dans le cadre du festival automne en normandie]
3, 4 et 5 novembre 2011 : scène nationale de petit-quevilly/ mont-saint-aignan /
maison de l’université, [dans le cadre du festival automne en normandie]
du 22 au 26 novembre 2011 : le volcan, scène nationale du havre
29 et 30 mars 2012 : le grand R/ la roche-sur-yon
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revue de presse
Le matin, les programmateurs se prêtent volontiers à un
autre genre de rencontre, plus directe, et plus incertaine
sans doute, avec les artistes. Des sortes de « speed dating » appelés « salons d'artistes » où, face à un groupe
de cinq à six personnes, un metteur en scène présente
son prochain projet.
Le discours passe plus ou moins bien selon la barrière de
la langue, et les seuls appuis pour convaincre sont souvent les photos des spectacles précédents... Parfois, un
projet fait mouche et parle de lui-même. Comme celui
d'Arnaud Troalic à partir du texte iconoclaste de Peter
Handke : Outrage au public. Pour travailler cette remise
en cause des relations scène/salle et public/acteurs, ce
metteur en scène a éprouvé le besoin de répéter dans la
rue, huit heures par jour, dans un conteneur de verre. Et
plus il avouait qu'il ne savait pas quelle forme cela prendrait, à la fin, dans une salle de théâtre, plus il a intrigué ses hôtes.
Un petit groupe de Chinois en particulier. Première question de l'un, directeur du Théâtre national de Pékin :
«Pouvez-vous faire votre spectacle avec des acteurs chinois ? » Réponse de l'intéressé, gêné : « C'est déjà tellement de travail avec mes comédiens... » Les deux
autres participants, très très demandeurs eux aussi, ont
23 et 30 ans et travaillent à Shangai au Mecoon, le théâtre alternatif de « teacher » Wang, un artiste peintre qui
met toute sa fortune pour soutenir un art vivant non officiel – et surtout, non commercial, à la différence de ce
qui fleurit en nombre dans la prospère Shangai...
Depuis quelques jours, les badauds découvrent la nouvelle mise en scène d'Arnaud Troalic à deux pas du Volcan, Scène Nationale du Havre. Celles/ceux qui passent
avant le début de la répétition peuvent se retrouver enfermés dans le conteneur pendant un certain temps.
Celles/ceux qui arrivent en cours de route peuvent suivre les événements en mettant des écouteurs.
Celles/ceux, trop pressé-e-s, trop détaché-e-s de tout y
compris de l'insolite, peuvent continuer leur chemin tête
baissée en traversant la place devenue plateau avec
maris, femmes, enfants, ami-e-s, chiens, poussettes,
vélos, parapluies, sacs à commissions... C'est-à-dire en
devenant acteurs-trices avec accessoires malgré euxelles. Quatre comédiens s'approprient un très long texte
de Peter Handke, Outrages au public. Une oeuvre de jeunesse qui donne à réfléchir sur la place de l'acteur, sur
la passivité du public, sur l'espace, sur le temps. Le parti
pris veut que les acteurs ne se distribuent pas le texte.
Tous pour un, un pour tous. Le texte témoin passe de
bouche en bouche. Parfois, les langues fourchent, se superposent, rebondissent sur l'irruption de l'imprévu.
Des télescopages avec l'environnement créent des situations cocasses quand des passants se croient interpellés personnellement, quand un bébé tombe en arrêt
devant le comédien barbu, quand une comédienne invite
un badaud à danser, quand une autre vole un vélo pour
tourner en rond, quand tous se précipitent dans un manège... Une performance drôle et déroutante pour ce
théâtre de rue qui n'en est pas un.
Emmanuelle Bouchez – Télérama
http://www.lepost.fr
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l’homo spectator a trouvé son havre de paix
Depuis six ans, ma démarche de spectateur parcourant la France,
voire l’Europe n’en finit pas d’étonner. «Tu pars demain au Havre
à 1000 kilomètres d’ici pour voir un spectacle ? Mais tu es timbré ! On te paye au moins ? Je connais des journalistes qui se
font prier pour passer le périphérique…». Je ne répond plus d’autant que je n’ai toujours pas trouvé, six ans après, le modèle économique de mon blog. Traverser la France à la rencontre
d’artistes me permet de puiser dans ma force créative pour être
vivant alors que les médias diffusent leur flux d’informations
mortifères. Cap vers le Havre pour «Insultes au public» de Peter
Handke par la compagnie Akté. Mais deux heures avant le spectacle, Le Volcan, Scène Nationale, a réunit autour de Christophe
Galent (son secrétaire général), Émilie Dupont (des relations publiques), Yann Maitre-Jean (de la communication de la compagnie Akté) et de moi-même, dix spectateurs prêts à s’engager
pour devenir blogueur. Tout un programme d’accompagnement
leur est proposé (rencontres avec des chercheurs, des artistes,
des professionnels de la critique et de l’écriture), articulé au projet artistique de la compagnie et à la programmation du Volcan.
Cette démarche pourrait donc régénérer la communication entre
une Scène Nationale, des artistes, des spectateurs au profit d’un
regard plus «horizontal» des œuvres. Peut-être est-ce dans cette
articulation vertueuse qu'ils trouveront ensemble l’énergie du
projet pour renouveler nos modèles de penser et d’agir.
C’est en toute cohérence que ce projet s’ouvre avec «Insultes au
public». Cette œuvre qui date de 1967 n’a rien perdu de son actualité dans un contexte où la place du spectateur s’est peu à
peu marchandisé grâce à un marketing truffé de slogans imaginatifs, mais creux. Or, être spectateur est un positionnement
complexe où la question du «sujet» est centrale. Mais qui s’en
soucie ? En quoi le lien entre public et artistes fait-il «politique»
aujourd’hui ? Ce soir, je savoure mon cheminement de spectateur débuté en 2005. Ce soir, la Compagnie Akté m’inclut dans
un processus actif dans lequel je ressens ma force de sujet pen-
sant, interagissant, en quête permanente. En travail.
Je ne veux rien dévoiler dans cet article du dispositif, car il est
central (vous informe-t-on du cadre dans lequel vous pourriez
tomber amoureux ?!). Rappelons que le texte de Peter Handke
est une interpellation sur ce qu’il se trame au théâtre, au-delà
d’un jeu d’acteurs sur scène. C’est un texte qui vous positionne
sur la frontière entre le dedans et le dehors, entre ce qui se joue
et pour quoi cela se joue pour vous. C’est un texte qui traverse
consciemment votre inconscient. Il est truffé d’injonctions paradoxales, de celles qui font sourire, qui stimulent en quelques secondes votre potentiel créatif. Autant dire qu’il faut avoir réfléchi
sur la question pour déployer l’énergie de cette interpellation. Le
metteur en scène Arnaud Troalic et ses quatre acteurs contiennent avec talent ce qui est une bombe à fragmentation passive/active. La mise en scène est juste parce qu’elle me donne la
capacité de voir ce qui se joue tout en y participant. Elle est
contenante car je ne me suis jamais senti en danger : bien au
contraire! J’ai assumé mon rôle (parfois bruyamment), sans
crainte et sans reproches. Je n’ai pas eu peur même quand l’insulte a fusé. J’ai même failli pleurer de me voir tourner le dos
face à cette salle de sièges vides, imper et foulard au vent, cherchant à définir mon désir. J’ai ri de mes gestes gauches et mécaniques lorsque j'essayais de trouver ma place (mais laquelle,
justement ?) J’ai été intrigué de me voir, tel un fantôme, parcourant la salle, comme «objet» flottant entre réalité et fiction.
J’ai joui de me sentir aussi présent, à l’écoute de mes interpellateurs. Je n’ai pas perdu un mot. Pas un, parce qu’ils n’ont cessé
de me tourner autour pour me mouvementer. Par leur présence
infiniment bienveillante, ces acteurs sont toutes mes voix off
qu’ils ont osé me renvoyer, casque d’écouteurs sur les oreilles.
Ce soir, au Havre, je suis un spectateur, amateur, mais éclairé.
Je ne suis plus seul. Je le pressentais, mais ce soir c’est Akté.
Pascal Bély – Le Tadorne