2016 02 – La bague (par Alix) - Maison de Quartier La Bellangerais
Transcription
2016 02 – La bague (par Alix) - Maison de Quartier La Bellangerais
Barque mouillée Il ne faisait rien de ses dix doigts depuis déjà plusieurs années. Sur le banc de l’écluse il regardait passer les péniches, il aurait aimé se lever et tourner la manivelle afin d’ouvrir les vannes, contempler l’eau du sas qui monte et qui descend. Mais voilà ses jambes ne répondaient plus ou si lentement. Il suivait des yeux ces longues habitations flottantes, il aurait bien aimé s’y installer pour toujours et courir les canaux au gré des vents et des saisons. Les jours de beaux temps, appuyé sur ses cannes, il se promenait le long du halage jusqu’au premier pont vers Betton. Là étaient amarrées quelques barques abandonnées là tout l’hiver et qui clapotaient sous les flots un peu turbulents. Alors il se hasardait sur le petit ponton et très prudemment s’aventurait. Il aimait s’asseoir dans ces barques mouillées. Il se souvenait alors des temps passés où il embarquait avec son petit fils Paul ; il lui faisait découvrir les habitants de ces eaux troubles, des ratons laveurs, des canards, des poules d’eau et ce héron à qui il donnait rendez-vous les après-midi de printemps quand le flot des touristes était rentré. Jamais il ne prenait pas l’aviron, il laissait le soin à Paul de mener sa barque, c’était bon, c’était doux, c’était ça la vraie vie comme il se plaisait à répéter à son petit-fils. Et puis Paul avait grandi, il était parti sur un plus gros bateau, il s’était engagé dans la marine et avait rejoint Bordeaux, Marseille, Toulon. De lui il recevait quelques nouvelles parfois, il aurait bien aimé échanger davantage, connaître la vie sur ces mastodontes, l’odeur de l’océan, le balais des dauphins au large des côtes. Lui qui n’avait connu que les canaux de Nantes à Brest, de Redon au Mont Saint-Michel, quelques escapades à Dinard. Sa vie n’était pas ailleurs, elle était ici depuis toujours. Installé tant bien que mal sur sa barque mouillée, il avait dénoué la corde et il s’était laissé entrainer par le vent. Il aimait flotter ainsi vers un horizon inconnu. Quand soudain un bateau à moteur était venu interrompre ses rêveries, les remous occasionné par cet intrus l’avait fait chavirer, sa barque s’était retournée. Il s’était débattu, lui qui ne savait qu’à peine nager, il avait crié, mais le bruit du moteur couvrait sa voix, il se voyait déjà englouti dans les eaux boueuses du canal. Il s’était agrippé à une branche, il ne sentait plus ses jambes et se croyait perdu. Quand une petite voix l’avait appelé « Monsieur, Monsieur, tenez bon, je suis là ». Fluet mais costaud, l’enfant lui avait pris la main avec le bout de sa branche et l’avait hissé jusque sur la berge. Il était tout pâle, tout frigorifié, l’enfant l’avait couvert de son manteau et lui avait parlé jusqu’à l’arrivée des pompiers. Il était sauvé, on l’avait ramené dans la maison de l’écluse et sa femme lui avait fait promettre de ne plus jamais s’éloigner de son banc. Maintenant, de nouveau, Il ne ferait rien…………. Il n’irait plus s’asseoir sur les barques mouillées…………. il ne prendrait pas l’aviron…………. ni ne se laisserait flotter…………. Maintenant il ne pouvait que rêver. Marie-France Le 22 février 2016