« Tu fais vingt graffiti et c`est comme une drogue »

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« Tu fais vingt graffiti et c`est comme une drogue »
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« Tu fais vingt graffiti et c’est comme une drogue »
Une discussion pour ou contre les graffiti et les tags
Les murs de notre lycée ont été recouverts de tags et
d’insultes. On a donc organisé un séance extraordinaire parce que c’était important pour nous d’en parler ensemble. La rédaction au grand complet avait
invité pour notre table ronde un des tagueurs du lycée et Wilfried Seiring, ancien recteur des écoles de
Berlin.
Je vais vous raconter une histoire du temps où j’étais élève. On avait dans notre l’école un tribunal d’élèves. Il était formé d’un juge, d’un procureur et d’un avocat de la défense. Et pour que tout
se passe bien, il y avait toujours un prof de présent. J’étais juge. On avait appris ce qu’il fallait
faire. On commençait toujours par les mêmes questions : comment tu t’appelles, tu es en quelle
classe, pourquoi tu es ici...
Un jour, j’étais en quatrième, mon frère entre. Je dis donc : Comment tu t’appelles ? Il répond :
« Tu le sais très bien. » C’est clair mais il devait quand même répondre. Je lui dis : « Pourquoi
tu es ici ? » Alors il me répond : « Tu le sais très bien. » Je lui dis : « Bah non ! » Il s’était roulé
des cigarettes avec des feuilles de marronnier et les avait fumées. Alors il me dit : « Tu le sais
très bien. Tu faisais partie du groupe ! » Oui, j’en faisais partie. Le prof a donc évidemment tout
entendu et il m’a suspendu de mes fonctions pendant quinze jours. Suspendre de ses fonctions,
vous connaissez l’expression ?
W. Seiring
Moi aussi, j’ai tagué un peu pour la frime, j’ai tagué partout dans l’école, même sur un sac poubelle, et on s’est fait choper. Mais à la longue, c’est ennuyeux, c’est même un petit jeu stupide.
La personne qui a écrit l’injure a fait ça surtout pour provoquer ou pour s’attirer l’admiration des
copains. Je trouve ça à la limite bien qu’ils se soient fait choper parce que ça ne va pas, il y a toute
l’école qui est dégradée. Ils n'auraient pas osé taguer sur les dessins qu’il y a sur les portes des salles de musique et sur ceux qu’a affichés la prof d'Arts Plastiques, Madame Hänni. Par contre, ils
ont tagué sur des cartes de géo, des emplois du temps, ils ont écrit TOY, ce qui veut dire que c’est
un graffiti nul, du genre, moi je m’en fous de l’école. C’est nul. Je crois que je suis un des seuls
à dire leur d’arrêter ! Je l’ai dit à mon copain qui taguait. Je lui ai dit : arrête, sinon je te dénonce. Je n’aurais pas aimé le faire mais j’aurais fini par le faire. C’est là qu’il a compris. Et surtout que
c’est de plus en plus risqué. Pour moi, ce ne sont pas des petits chefs, je n’ai pas le respect.
Un élève
On était cinq tagueurs, deux se sont dénoncés d’eux-mêmes et on est venu chercher les trois autres en cours. Il y a eu un interrogatoire. Toutes les cinquièmes étaient au courant mais personne
n'a voulu cafter. Alors les profs ont fait pression sur eux, ils ont dit : « On sait que vous savez qui
c'est. Si vous ne nous le dites pas, vous serez renvoyés. » Et malgré tout, ils n'ont rien dit.
J'ai écrit une lettre à mes profs en leur disant que je regrettais ce qui s'était passé... Je veux arrêter
d'en faire. Mes amis, eux, veulent continuer, alors je leur ai dit : « He les mecs, arrêtez vos conneries, on a déjà eu trois jours de renvoi, on a déçu tous les profs, on peut pas faire ça encore une
fois à nos parents... »
Un élève
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Rédaction du Grand méchant loup : en noir,
Tagueur : en gras et marron
Tu as commencé comment ?
J’ai d’abord commencé par taguer mon nom,
je le marquais trois, quatre fois par semaine
à l’école, c’était plus un truc de looser. Après,
je me suis choisi d’autres noms et j’ai pris des
feutres plus gros. Et puis j’ai tagué avec un
nouveau nom qui avait plus de succès et ça
s’est terminé par du gros vandalisme. Je vois
ça aussi comme ça.
Et qu’est-ce qu’on ressent ?
Si je vais taguer avec des copains, c’est illégal.
Tu fais vingt graffiti et à vrai dire c’est comme
une drogue.
Et ça rend accro ?
D’abord, tu deviens vraiment accro, alors
après tu ne peux plus passer devant un pan
de mur sans faire automatiquement un
petit tag. C’est plus fort que toi. Tu te dis :
« Aujourd’hui, je ne vais pas faire de tags. ».
Après, tu vas aux toilettes, tu as ton marqueur
sur toi, et tu en refais. À la prochaine récré,
tu retournes aux toilettes, et là, même chose.
Et pendant la pause de midi, tu en fais aussi
sur les marches et les vitres. Tu ne peux plus
t’arrêter. Il n’y a plus de limites.
Je connais ça avec le chocolat. Tu te dis,
d’accord, encore un petit bout, mais tu ne peux
pas t’arrêter, tu en reprends un petit bout, et encore un petit bout et la
tablette est terminée.
Moi, c’est avec les jeux
vidéos. Quand ma mère
n’est pas là, je vais à
l’ordinateur, je me dis,
allez, un seul jeu, mais
c’est super bien et en plus
si j’ai perdu, il faut que
je continue pour gagner,
une fois au moins, c’est
cool et au bout du compte, deux ou trois heures
passent.
Une déclaration par graffiti
n’est pas là, je fais ça plutôt par désobéissance.
On vous a caftés à l’école ?
Le cafteur, c’était aussi un tagueur. On a des
dealers de drogue qui habitent en face de
chez nous et on connait leur technique. Il y
a deux groupes. Quand il se font choper par
la police, personne ne va vendre quelqu’un
de l’autre groupe, sinon il se fait virer. Le tagueur qui nous a dénoncés, a fait comme si lui
n’avait rien fait. Il nous a photographiés sur
son portable et a montré les photos aux profs.
Je trouve ça nul.
Avant de cafter, j’essaierais d’abord de parler
avec celui qui a abîmé mes affaires. Et il faudrait
qu’il me les remplace. S’il n’était pas d’accord,
là, je pourrais cafter. Mais s’il s’excusait, ça serait autrement. Si les profs me demandaient qui
a fait ça, et si je le savais, je dirais : « Je sais qui
c’est mais je ne veux pas le dire. »
Même la police est venue à l’école !
C’est vrai ?!
La direction de l’école est passée dans la classe
à cause des insultes sur le mur. Ils ont cherché
les marqueurs dans nos cartables pour que la police les examine.
Je trouve que même si on n’aime pas quelqu’un,
ce n’est pas
une raison pour W. Seiring : D'abord, c'est
écrire des trucs lâche de ne pas dire en face
méchants ou de la personne ce qu'on pendes insultes sur se d'elle mais d'aller l'écrire
les murs de son sur les murs. Et ensuite, une
bureau.
insulte personnelle, c'est un
Si on n’aime délit puni par la loi.
pas un prof ou
quelqu’un d’autre à l’école, on pourrait en discuter dans un tribunal d’élèves.
Ça abîme aussi les bâtiments les tags ?
C’est clair, même moi, je trouverais ça merdique si quelqu’un salopait ma maison. Nous,
on taguait plutôt dans les arrêts bus, on allait
traîner le soir en ville.
Ça coûte cher de faire des graffiti ? Les bombes,
Avec les jeux d’ordice n’est pas donné ?
nateur, quand ma mère
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On peut acheter des bombes dans des grandes surfaces, mais il y a aussi des magasins
spécialisés. Un marqueur, ça coûte dans les
4 €, d’un côté c’est beaucoup mais d’un autre,
ça tient longtemps. Une bombe coûte au dans
les 5 € selon le cap - c’est l’adaptateur qui
s’ajuste sur la bombe de peinture. Elle tient
moins longtemps mais la peinture est super
bonne.
les tagueurs, c’est aussi des skaters. C’est donc
comme si on les récompensait pour leur truc. Je
trouve ça vraiment injuste.
Je trouve qu’avec l’argent pour la peinture, il ne
reste plus d’argent pour acheter des buts, et donc
à cause d’eux, tout le monde est puni.
Et qu’en disent les grandes classes ?
Les grandes classes, les 3èmes, les secondes, elles
En fait, si vous achetez des crayons ou des bom- n’en ont rien à cirer parce qu’eux, ils passent
bes, il faut bien les vider. Une fois, il y a des aux problèmes supérieurs, alcool, drogue…
élèves qui sont venus avec un sac de bombes, ça Il y a aussi le projet
W. Seiring : Ça peut
doit coûter quand même dans les 15 €...
de faire un mur pour être de l'art, mais souCe qui m’a étonné, c’est qu’ils n’ont eu que trois des tags ?
vent ce n'est qu'une rejours de suspension, à mon avis, ils auraient dû Oui, peut-être pour
présentation exagérée
les
CM2.
de son propre nom.
W. Seiring : Oui, ça revient cher. Pas seulement les marqueurs et les bombes, mais aussi S’ils proposent un
si on se fait prendre. Ça peut même être très mur blanc au lycée, ce serait plutôt un mur pour
cher d'avoir à ravaler toute une maison. La les élèves qui dessinent super bien. Les tagueurs,
police fait des photos partout et elle sait assez eux, en auraient vite marre parce qu’ils ne font
vite qui a fait les tags. Ensuite, elle fait des pas des beaux trucs. Des lettres sur un mur blanc,
fouilles dans les maisons des tagueurs et elle c’est du bousillage.
trouve des cahiers comme celui que tu as...
Je trouve ça un peu ridicule, ça encourage les
gens à taguer. Quand il n’y aura plus de place
repeindre les murs.Il y a un projet pour faire un sur le mur, ils vont tous aller à côté et mettre des
tags. Ou alors, le mur où c’est permis va rester
Halfpipe, un petit mur pour les skaters...
tout blanc et les murs d’à côté seront pleins de
Je trouve que ça ne va pas, dépenser tout l’argent graffiti.
parce qu’il n’y a pas plus de dix ou quinze pasMoi, je ne mettrais rien dessus parce qu’à partir
sionnés dans toute l’école…
du moment où on a le droit, ce n’est pas plus
Je trouve qu’à la place d’un mur, ils devraient intéressant.
plutôt acheter du matériel de classe. En plus,
Faire des trucs interdits, ça fait
partie de la puberté. Sinon, au
fond les graffiti c’est beau, les
tags, c’est moche. Les bombes
de couleur, ce ne sont que les
outils, tout dépend de ce qu’on
fait avec.
Par toute la rédaction
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L’histoire des graffiti
Le mot graffiti vient du grec ancien graphein
(γράφειν) qui veut dire écrire. En latin, graphium veut dire stylet, poinçon. Avant, on écrivait
avec des stylets sur des tablettes enduites de cire.
On a retrouvé des graffiti sur des murs à Pompéi.
C’était des annonces électorales, des messages
de supporters à certains athlètes, des messages à
contenu politique, religieux, et même érotique.
Et aussi des insultes.
Et en Mai 68, on voyait des graffiti politiques
et poétiques sur les murs des villes comme : Il
est interdit d’interdire ou Sous les pavés, il y a
la plage.
Les graffiti, c’est de l’art ?
et
fiti très beaux
af
gr
es
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a
y
Il
. Il y en a pares
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tr
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d’au
ts, dans le méen
im
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b
s
le
r
su
tout,
sévèrement puni.
tro. On peut être
ujours un risque.
Donc, on court to
On a lu, en cours, un policier : L’Affaire Caius
de Henry Winterfeld. L’histoire se passait dans
l’Antiquité romaine et parlait de graffiti.
Il existe des graffiti connus. Quand les soldats
américains sont venus libérér la Grèce pendant
la Seconde guerre mondiale, l’un d’eux a voulu
laisser des traces de son passage en inscrivant
sur l’une des colonnes de l’Acropolis, vieilles de
2000 ans, Kilroy was here. Il n’a pas du tout pris
en compte que ça faisait partie du patrimoine
culturel. Le fait a été rapporté dans les journaux
du monde entier. Et quand les Russes sont venus
libérer Berlin, ils ont, eux aussi, faits des inscriptions sur les murs du Reichtag (le siège du
Parlement allemand) parce que c’était un bâtiment connu. Alors ils ont marqué leur nom, ou
Sieg über Hitler...
C’est de l’art mod
erne qui n’est
malheureusemen
t pas respecté
partout. C’est so
uvent associé à
du vandalisme.
l’art. On voit des
e
d
t
es
c’
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fo
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P
très beaux. Pars
ro
ét
m
e
d
s
n
go
wag
ou des menaes
lt
su
in
es
d
a
y
il
fois,
Et du vandalisme.
ces de vengeance.
e mauvais textes.
Il y a de bons et d
qui ne font que
Il y a des tagueurs
lus.
des signes, sans p
Je vois ça
n’est pas
C’est un art qui
le monde.
compris par tout
. Ça me fait
C’est de l’art libre
ssi à l’ordre
toujours penser au
e.
public et à la polic
comme de
l’art mode
rne.
C’est un art protestataire. Un
art des différences d’opinions.

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