« Tu fais vingt graffiti et c`est comme une drogue »
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« Tu fais vingt graffiti et c`est comme une drogue »
44 « Tu fais vingt graffiti et c’est comme une drogue » Une discussion pour ou contre les graffiti et les tags Les murs de notre lycée ont été recouverts de tags et d’insultes. On a donc organisé un séance extraordinaire parce que c’était important pour nous d’en parler ensemble. La rédaction au grand complet avait invité pour notre table ronde un des tagueurs du lycée et Wilfried Seiring, ancien recteur des écoles de Berlin. Je vais vous raconter une histoire du temps où j’étais élève. On avait dans notre l’école un tribunal d’élèves. Il était formé d’un juge, d’un procureur et d’un avocat de la défense. Et pour que tout se passe bien, il y avait toujours un prof de présent. J’étais juge. On avait appris ce qu’il fallait faire. On commençait toujours par les mêmes questions : comment tu t’appelles, tu es en quelle classe, pourquoi tu es ici... Un jour, j’étais en quatrième, mon frère entre. Je dis donc : Comment tu t’appelles ? Il répond : « Tu le sais très bien. » C’est clair mais il devait quand même répondre. Je lui dis : « Pourquoi tu es ici ? » Alors il me répond : « Tu le sais très bien. » Je lui dis : « Bah non ! » Il s’était roulé des cigarettes avec des feuilles de marronnier et les avait fumées. Alors il me dit : « Tu le sais très bien. Tu faisais partie du groupe ! » Oui, j’en faisais partie. Le prof a donc évidemment tout entendu et il m’a suspendu de mes fonctions pendant quinze jours. Suspendre de ses fonctions, vous connaissez l’expression ? W. Seiring Moi aussi, j’ai tagué un peu pour la frime, j’ai tagué partout dans l’école, même sur un sac poubelle, et on s’est fait choper. Mais à la longue, c’est ennuyeux, c’est même un petit jeu stupide. La personne qui a écrit l’injure a fait ça surtout pour provoquer ou pour s’attirer l’admiration des copains. Je trouve ça à la limite bien qu’ils se soient fait choper parce que ça ne va pas, il y a toute l’école qui est dégradée. Ils n'auraient pas osé taguer sur les dessins qu’il y a sur les portes des salles de musique et sur ceux qu’a affichés la prof d'Arts Plastiques, Madame Hänni. Par contre, ils ont tagué sur des cartes de géo, des emplois du temps, ils ont écrit TOY, ce qui veut dire que c’est un graffiti nul, du genre, moi je m’en fous de l’école. C’est nul. Je crois que je suis un des seuls à dire leur d’arrêter ! Je l’ai dit à mon copain qui taguait. Je lui ai dit : arrête, sinon je te dénonce. Je n’aurais pas aimé le faire mais j’aurais fini par le faire. C’est là qu’il a compris. Et surtout que c’est de plus en plus risqué. Pour moi, ce ne sont pas des petits chefs, je n’ai pas le respect. Un élève On était cinq tagueurs, deux se sont dénoncés d’eux-mêmes et on est venu chercher les trois autres en cours. Il y a eu un interrogatoire. Toutes les cinquièmes étaient au courant mais personne n'a voulu cafter. Alors les profs ont fait pression sur eux, ils ont dit : « On sait que vous savez qui c'est. Si vous ne nous le dites pas, vous serez renvoyés. » Et malgré tout, ils n'ont rien dit. J'ai écrit une lettre à mes profs en leur disant que je regrettais ce qui s'était passé... Je veux arrêter d'en faire. Mes amis, eux, veulent continuer, alors je leur ai dit : « He les mecs, arrêtez vos conneries, on a déjà eu trois jours de renvoi, on a déçu tous les profs, on peut pas faire ça encore une fois à nos parents... » Un élève 45 Rédaction du Grand méchant loup : en noir, Tagueur : en gras et marron Tu as commencé comment ? J’ai d’abord commencé par taguer mon nom, je le marquais trois, quatre fois par semaine à l’école, c’était plus un truc de looser. Après, je me suis choisi d’autres noms et j’ai pris des feutres plus gros. Et puis j’ai tagué avec un nouveau nom qui avait plus de succès et ça s’est terminé par du gros vandalisme. Je vois ça aussi comme ça. Et qu’est-ce qu’on ressent ? Si je vais taguer avec des copains, c’est illégal. Tu fais vingt graffiti et à vrai dire c’est comme une drogue. Et ça rend accro ? D’abord, tu deviens vraiment accro, alors après tu ne peux plus passer devant un pan de mur sans faire automatiquement un petit tag. C’est plus fort que toi. Tu te dis : « Aujourd’hui, je ne vais pas faire de tags. ». Après, tu vas aux toilettes, tu as ton marqueur sur toi, et tu en refais. À la prochaine récré, tu retournes aux toilettes, et là, même chose. Et pendant la pause de midi, tu en fais aussi sur les marches et les vitres. Tu ne peux plus t’arrêter. Il n’y a plus de limites. Je connais ça avec le chocolat. Tu te dis, d’accord, encore un petit bout, mais tu ne peux pas t’arrêter, tu en reprends un petit bout, et encore un petit bout et la tablette est terminée. Moi, c’est avec les jeux vidéos. Quand ma mère n’est pas là, je vais à l’ordinateur, je me dis, allez, un seul jeu, mais c’est super bien et en plus si j’ai perdu, il faut que je continue pour gagner, une fois au moins, c’est cool et au bout du compte, deux ou trois heures passent. Une déclaration par graffiti n’est pas là, je fais ça plutôt par désobéissance. On vous a caftés à l’école ? Le cafteur, c’était aussi un tagueur. On a des dealers de drogue qui habitent en face de chez nous et on connait leur technique. Il y a deux groupes. Quand il se font choper par la police, personne ne va vendre quelqu’un de l’autre groupe, sinon il se fait virer. Le tagueur qui nous a dénoncés, a fait comme si lui n’avait rien fait. Il nous a photographiés sur son portable et a montré les photos aux profs. Je trouve ça nul. Avant de cafter, j’essaierais d’abord de parler avec celui qui a abîmé mes affaires. Et il faudrait qu’il me les remplace. S’il n’était pas d’accord, là, je pourrais cafter. Mais s’il s’excusait, ça serait autrement. Si les profs me demandaient qui a fait ça, et si je le savais, je dirais : « Je sais qui c’est mais je ne veux pas le dire. » Même la police est venue à l’école ! C’est vrai ?! La direction de l’école est passée dans la classe à cause des insultes sur le mur. Ils ont cherché les marqueurs dans nos cartables pour que la police les examine. Je trouve que même si on n’aime pas quelqu’un, ce n’est pas une raison pour W. Seiring : D'abord, c'est écrire des trucs lâche de ne pas dire en face méchants ou de la personne ce qu'on pendes insultes sur se d'elle mais d'aller l'écrire les murs de son sur les murs. Et ensuite, une bureau. insulte personnelle, c'est un Si on n’aime délit puni par la loi. pas un prof ou quelqu’un d’autre à l’école, on pourrait en discuter dans un tribunal d’élèves. Ça abîme aussi les bâtiments les tags ? C’est clair, même moi, je trouverais ça merdique si quelqu’un salopait ma maison. Nous, on taguait plutôt dans les arrêts bus, on allait traîner le soir en ville. Ça coûte cher de faire des graffiti ? Les bombes, Avec les jeux d’ordice n’est pas donné ? nateur, quand ma mère 46 On peut acheter des bombes dans des grandes surfaces, mais il y a aussi des magasins spécialisés. Un marqueur, ça coûte dans les 4 €, d’un côté c’est beaucoup mais d’un autre, ça tient longtemps. Une bombe coûte au dans les 5 € selon le cap - c’est l’adaptateur qui s’ajuste sur la bombe de peinture. Elle tient moins longtemps mais la peinture est super bonne. les tagueurs, c’est aussi des skaters. C’est donc comme si on les récompensait pour leur truc. Je trouve ça vraiment injuste. Je trouve qu’avec l’argent pour la peinture, il ne reste plus d’argent pour acheter des buts, et donc à cause d’eux, tout le monde est puni. Et qu’en disent les grandes classes ? Les grandes classes, les 3èmes, les secondes, elles En fait, si vous achetez des crayons ou des bom- n’en ont rien à cirer parce qu’eux, ils passent bes, il faut bien les vider. Une fois, il y a des aux problèmes supérieurs, alcool, drogue… élèves qui sont venus avec un sac de bombes, ça Il y a aussi le projet W. Seiring : Ça peut doit coûter quand même dans les 15 €... de faire un mur pour être de l'art, mais souCe qui m’a étonné, c’est qu’ils n’ont eu que trois des tags ? vent ce n'est qu'une rejours de suspension, à mon avis, ils auraient dû Oui, peut-être pour présentation exagérée les CM2. de son propre nom. W. Seiring : Oui, ça revient cher. Pas seulement les marqueurs et les bombes, mais aussi S’ils proposent un si on se fait prendre. Ça peut même être très mur blanc au lycée, ce serait plutôt un mur pour cher d'avoir à ravaler toute une maison. La les élèves qui dessinent super bien. Les tagueurs, police fait des photos partout et elle sait assez eux, en auraient vite marre parce qu’ils ne font vite qui a fait les tags. Ensuite, elle fait des pas des beaux trucs. Des lettres sur un mur blanc, fouilles dans les maisons des tagueurs et elle c’est du bousillage. trouve des cahiers comme celui que tu as... Je trouve ça un peu ridicule, ça encourage les gens à taguer. Quand il n’y aura plus de place repeindre les murs.Il y a un projet pour faire un sur le mur, ils vont tous aller à côté et mettre des tags. Ou alors, le mur où c’est permis va rester Halfpipe, un petit mur pour les skaters... tout blanc et les murs d’à côté seront pleins de Je trouve que ça ne va pas, dépenser tout l’argent graffiti. parce qu’il n’y a pas plus de dix ou quinze pasMoi, je ne mettrais rien dessus parce qu’à partir sionnés dans toute l’école… du moment où on a le droit, ce n’est pas plus Je trouve qu’à la place d’un mur, ils devraient intéressant. plutôt acheter du matériel de classe. En plus, Faire des trucs interdits, ça fait partie de la puberté. Sinon, au fond les graffiti c’est beau, les tags, c’est moche. Les bombes de couleur, ce ne sont que les outils, tout dépend de ce qu’on fait avec. Par toute la rédaction 47 L’histoire des graffiti Le mot graffiti vient du grec ancien graphein (γράφειν) qui veut dire écrire. En latin, graphium veut dire stylet, poinçon. Avant, on écrivait avec des stylets sur des tablettes enduites de cire. On a retrouvé des graffiti sur des murs à Pompéi. C’était des annonces électorales, des messages de supporters à certains athlètes, des messages à contenu politique, religieux, et même érotique. Et aussi des insultes. Et en Mai 68, on voyait des graffiti politiques et poétiques sur les murs des villes comme : Il est interdit d’interdire ou Sous les pavés, il y a la plage. Les graffiti, c’est de l’art ? et fiti très beaux af gr es d a y Il . Il y en a pares h oc m ès tr es tr d’au ts, dans le méen im ât b s le r su tout, sévèrement puni. tro. On peut être ujours un risque. Donc, on court to On a lu, en cours, un policier : L’Affaire Caius de Henry Winterfeld. L’histoire se passait dans l’Antiquité romaine et parlait de graffiti. Il existe des graffiti connus. Quand les soldats américains sont venus libérér la Grèce pendant la Seconde guerre mondiale, l’un d’eux a voulu laisser des traces de son passage en inscrivant sur l’une des colonnes de l’Acropolis, vieilles de 2000 ans, Kilroy was here. Il n’a pas du tout pris en compte que ça faisait partie du patrimoine culturel. Le fait a été rapporté dans les journaux du monde entier. Et quand les Russes sont venus libérer Berlin, ils ont, eux aussi, faits des inscriptions sur les murs du Reichtag (le siège du Parlement allemand) parce que c’était un bâtiment connu. Alors ils ont marqué leur nom, ou Sieg über Hitler... C’est de l’art mod erne qui n’est malheureusemen t pas respecté partout. C’est so uvent associé à du vandalisme. l’art. On voit des e d t es c’ , is fo ar P très beaux. Pars ro ét m e d s n go wag ou des menaes lt su in es d a y il fois, Et du vandalisme. ces de vengeance. e mauvais textes. Il y a de bons et d qui ne font que Il y a des tagueurs lus. des signes, sans p Je vois ça n’est pas C’est un art qui le monde. compris par tout . Ça me fait C’est de l’art libre ssi à l’ordre toujours penser au e. public et à la polic comme de l’art mode rne. C’est un art protestataire. Un art des différences d’opinions.