LIT2850-40 Mike C.Vienneau Les éléments scénaristiques dans Bu

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LIT2850-40 Mike C.Vienneau Les éléments scénaristiques dans Bu
Visionnement et analyse de scénarios
LIT2850-40
Travail présenté à :
Mike C.Vienneau
Les éléments scénaristiques dans
Buffet froid de Bertrand Blier
par
Simon Dor
Travail dû le 20 décembre 2004
UQÀM
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Le scénario est un élément distinct du film qui nous est généralement inaccessible
lorsqu’on est spectateur. En vérité, souvent, nous ne sommes pas intéressés à savoir ce que
le film aurait pu avoir l’air sous la forme scénaristique. Généralement, le produit fini seul
nous paraît quelque chose de pertinent.
Il ne faut pourtant pas oublier qu’il existait un scénario avant le film. Cette partie se
doit d’être considérée dans la tête de chaque spectateur, car un individu, parfois différent du
réalisateur, a pensé à écrire ce film et avait une idée bien précise, pas nécessairement
respectée. Il est cependant difficile de faire la part des choses en regardant un film : on ne
peut généralement savoir avec certitude ce qu’un scénario avait par rapport au résultat final.
Pourtant, certains indices peuvent nous faire constater l’existence d’un scénario.
Sans qu’il n’y ait d’indices clairs et nets, on peut dire que généralement, une scène tournée,
qui n’est pas qu’un seul plan rapide, a été préalablement scénarisée, mais qu’une part des
dialogues peut, par exemple, avoir été improvisée. Le réalisateur peut avoir modifier
certains éléments par la suite, en créant le scénarimage, l’étape suivant le scénario. Le film
Buffet froid (France, 1979) de Bertrand Blier, scénariste et réalisateur, nous servira d’objet
d’analyse pour étudier ce qu’un film peut donner comme indices scénaristiques. Par son
récit extravagant et son humour absurde, il permet de montrer l’importance d’un scénario,
ainsi que les scènes où le respecter est moins nécessaire.
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Contenu des dialogues
Blier semble un réalisateur qui porte une attention particulière à ses textes. Le
comique de ce film passe souvent par le dialogue. Quoiqu’ils puissent être improvisés
parfois, ils ont un poids particulier en ce qui a trait à une certaine réception de la part du
spectateur.
Leur importance fait que l’analyse du texte inscrit dans ce film devra
particulièrement s’y pencher.
Le fait que le personnage d’Alphonse répète souvent « Mais j’en sais rien! » est
essentiel dans le comique.
Son personnage y est ainsi très caractérisé.
Il aurait pu
improvisé cela si ça avait été dit une seule fois, mais cette ligne revient quatre fois dans le
film. De plus, les actions des autres personnages ou encore leurs répliques sont faites pour
qu’Alphonse puisse placer sa ligne. La planification à l’avance est donc préalable à la
blague, qui passe par la répétition.
Alphonse dit qu’ils doivent se dépêcher pour ne pas laisser un homme mourir,
même s’ils traînent un cadavre dans leur automobile. L’utilisation de mots précis peut
rendre le film plus comique. Lorsque l’inspecteur fait fouiller l’immeuble au complet, et
qu’il se fait dire qu’un suspect a été trouvé, il leur dit de le descendre. Alors qu’on aurait
cru qu’il employait des méthodes drastiques sans s’assurer qu’il s’agit d’un criminel, il
s’agissait d’interpréter cette phrase comme de descendre le suspect en bas de l’immeuble,
plutôt que de lui tirer une balle. Si le spectateur avait été un policier, il aurait probablement
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tué l’homme, ce que les personnages n’ont pas fait. L’utilisation d’un autre terme aurait
brisé cette richesse langagière, qui semble réfléchie d’avance.
On voit aussi certaines allusions à la mort par le choix des mots : Geneviève, la
nouvelle amante d’Alphonse, lui dit qu’elle a cru mourir dix fois pour décrire le plaisir
qu’elle a eu lors de leur relation sexuelle. Employer le terme « mourir » fait référence aux
nombreux morts du film. Le scénario est évident aussi dans le cas où Alphonse dit à
l’homme inconnu du métro qu’il a une tête de comptable, et que celui-ci lui répond qu’il est
comptable. Il est plutôt improbable qu’une personne puisse deviner la profession d’une
autre lorsqu’elle est habillée en civil. L’écriture préalable de ces dialogues nous apparaît
donc évidente.
Quelques scènes précises auraient pu cependant être improvisées. Celles-ci sont
presque complètement des plans-séquences. La séquence où Alphonse fume durant la nuit
assis sur sa chaise en est un bon exemple. Certains éléments se doivent d’être dits, c’est
évident, sinon la narration ne garde pas un certain sens, mais le comédien peut très bien
décider de changer l’ordre de certains éléments, et n’a pas nécessairement à respecter le
texte mot à mot.
L’absurdité de ce qui est dit est aussi quelque chose qui donne l’indice d’un
scénario. Quoique cette absurdité aurait pu être simplement jouée par le comédien, celle-ci
a une certaine logique qui entremêle les personnages entre eux.
Pour le bien de la
narration, les trois se doivent d’être fidèles entre eux, jusqu’à un certain moment dans
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l’histoire. Dans une réalité habituelle, les trois se seraient détestés, ce qui arrivera à un
moment dans le récit. Cependant, ils se doivent d’outrepasser cette réalité, donc, d’obéir à
certaines règles que le récit conserve pour être logique et que les événements se passent
convenablement. Ils doivent être ensemble jusqu’à un certain moment dans le récit, qui
doit être précis pour que le film se déroule comme le voulait Blier. Les autres scènes
doivent avoir une logique spécifique par rapport à celle qui est en train d’être tournée. Ils
ne peuvent pas vraiment entrer dans la peau de leur personnage, puisque celui-ci a une
logique qui dépasse la réalité.
L’absurdité de certaines actions nous apparaît telle que parfois certaines scènes
peuvent être étranges par rapport à l’ensemble du récit. Il est clair qu’il n’y a pas d’intrigue
principale, ou du moins qu’elle n’est pas mise au premier plan dans le film. Certaines
scènes n’ont en fait pas vraiment rapport avec le reste de l’histoire, et restent totalement
mystérieuses même lorsque le film est visionné au complet.
Blier décide de ne pas
répondre à toutes les interrogations des spectateurs.
La scène où un policier se fait poignarder dans la rue, ainsi que celle où Alphonse se
fait prendre à entrer dans la maison de la vieille dame en sont les principaux exemples : ils
n’ont pas de logique directe avec la scène d’avant, et n’ont pas d’impact sur les scènes à
venir. Elles n’ont pas été improvisées, car elles se déroulent dans un décor totalement
différent de ce qui les précède et les suit. Elles sont donc planifiées, malgré leur apparence
absurde dans le récit. L’apparition du personnage de l’assassin au moment où Alphonse va
chercher l’inspecteur pour qu’il constate que Geneviève est malade est aussi une marque de
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scénarisation : il est improbable qu’il soit arrivé au bon moment, sauf si ce moment avait
été planifié d’avance.
La structure narrative
Les dialogues ont généralement une importance considérable par rapport au
déroulement des actions. En effet, le film n’a pas un objectif précis dès le début, c’est
plutôt les dialogues de la fin d’une scène qui mènent à la suivante. De ce fait, les dialogues
prennent une place primordiale, car ce sont eux qui guident le film, qui indiquent ce qui va
se passer par la suite. On ne peut pas considérer que le récit va avancer en un certain sens
avant d’entendre le dialogue, généralement juste avant, qui y mène.
L’exemple le plus flagrant est probablement la scène où la femme d’Alphonse lui
demande si elle a un visage à se faire assassiner. Celui-ci lui répond qu’elle devrait faire
attention.
C’est tout de suite après cette scène que sa femme se fait effectivement
assassiner. Même chose pour le moment où le tueur à gage dit qu’Alphonse se fera prendre
à la première embuscade : l’automobile arrive, conduite par la femme qui lui fera cette
embuscade. Il y a donc une relation directe entre les deux scènes, une juxtaposition
d’éléments narratifs essentiels au récit, qui ne peut pas relever de l’improvisation de la part
des comédiens.
Sans que ça ait autant d’impact, les dialogues à l’intérieur d’une scène ont tout de
même des éléments qui donnent des indices de ce qui va se passer dans le reste du film. De
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petits dialogues peuvent donner une ligne au film, comme parler du fait que l’ascenseur
devrait être réparé avant que celui-ci soit en marche, ou encore que l’assassin parle du fait
qu’Alphonse devrait barrer sa porte alors que plus tard, c’est lui qui s’introduira dans
l’appartement pour tuer sa femme. Ceux-ci permettent de deviner ce qui pourrait se
produire dans le film, et se devaient d’être placés à un endroit spécifique.
L’image ne semble pas l’élément primordial du film. Peu d’éléments sont définis
par l’image que l’on voit; généralement, ceux-ci passent par le dialogue, au moins en partie.
Évidemment, le traitement de l’image n’est tout de même pas banal. Il transmet des
émotions étranges, par des plans souvent vus d’assez loin et assez longs, qui définissent un
rythme lent au film, et qui ne nous permettent pas de faire une introspection des
personnages. Ce traitement contribue à la tonalité assez froide du film. Les plans sont
parfois tournés derrière une vitre, une fenêtre (dans l’appartement, ou dans l’automobile).
Cela nous distancie de ce qui se passe : le scénario ne présente probablement pas cet effet
de style de la réalisation. L’éclairage aux néons fade du métro veut montrer aussi le
manque d’émotion qu’ont les personnages du film. Il n’y a d’ailleurs presque aucun
figurant qui sert à enrichir le décor : les personnages sont seuls dans leur immeuble, seuls
dans la rue, seuls dans la forêt ou seuls dans le métro. On y voit là une façon d’exprimer le
fait que les personnages vivent seuls dans leur univers.
Le peu de musique, celle-ci étant toujours diégétique, ajoute davantage à l’ambiance
peu enjouée. La froideur du personnage de l’inspecteur, qui n’aime pas la musique, est
d’ailleurs bien représentée par le film, froid, qui n’a presque pas de musique. De leur côté,
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les sons ne viennent pas donner d’indices narratifs spécifiques. Il y a peu d’avancement
narratif qui passe par un son, sauf, par exemple, les sons d’oiseaux, mais ceux-ci sont
rappelés par le dialogue.
L’interprétation du spectateur par rapport au film passe donc en partie par l’image,
l’absence de musique et le son, mais le dialogue est vraiment ce qui est mis au premier plan
dans ce film. Les éléments du langage cinématographique sont présents dans le film,
évidemment, mais le scénario en soi est un élément qui peut être une œuvre totale, qui se
suffit à elle-même. Les éléments filmiques n’amènent pas un sens nouveau mais servent à
enrichir le scénario, qui est la base du film.
Scène précise
La scène où les trois personnages sont devant la cabane de bois nous servira
d’exemple pour illustrer les éléments cinématographiques par rapport aux éléments
littéraires dans le film. Cette scène n’est pas vraiment représentative de l’ensemble du film,
mais entre plutôt en rupture avec le reste de celui-ci.
Le film a une structure assez rigoureuse et inflexible, comme nous l’avons vu par
des éléments scénaristiques précis, particulièrement en ce qui a trait aux dialogues. Ils ne
peuvent pas déraper vraiment, ou du moins, ils se doivent d’avoir des balises précises qui
restent aux bons endroits, pour que l’histoire avance comme elle se doit, à l’exception près
de quelques scènes. Celle de la cabane en fait partie. Elle est assez longue, et commence
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par un long plan, presque plan-séquence, où les trois personnages échangent à propos de
l’endroit où ils sont.
Cette scène n’est pas vraiment littéraire car elle ne nécessite pas une ligne directrice
officielle et claire. Les trois personnages peuvent en effet échanger sur leurs sujets autant
qu’ils peuvent que cela ne dérangerait pas la narration. Étrangement, Alphonse dit qu’ils
avaient dit qu’ils voulaient aller cueillir des champignons, mais on se rend compte par leurs
répliques qu’aucun des deux autres ne savait ça. Illogisme qui aurait pu faire partie du
scénario comme d’une improvisation. Par contre, leurs répliques sont enchaînées avec une
telle rapidité qu’on peut douter de l’improvisation, ou du moins, on se doute que ce n’est
pas la première prise de caméra.
Ils parlent de la problématique du froid, de la façon dont ils pourraient chauffer leur
cabane, de l’air frais, de la nature, de l’humidité, du fait qu’ils doivent rester grouper et du
vacarme que font les oiseaux. Ces deux derniers éléments sont importants pour le bien de
la narration : ils ont un lien avec ce qui va arriver après, c’est-à-dire le fait que les oiseaux
arrêtent de chanter et qu’ils vont rencontrer quelqu’un.
Leur simple évocation était
suffisante pour que le récit puisse avancer; le reste a donc très bien pu être improvisé. La
première coupure, terminant le plan-séquence qui appuie l’hypothèse de l’improvisation,
arrive d’ailleurs au moment où l’inspecteur dit qu’il faut rester grouper, donc, le premier
élément important à la narration.
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Cette scène semble donc davantage une adaptation du scénario original. En fait, il
se peut très bien qu’elle soit planifiée mot pour mot comme qu’elle soit une improvisation
du début à la fin. Cependant, il n’y a pas grand chose qui indique précisément que les mots
choisis sont nécessaires, alors que le long plan et le fait de n’avoir aucun lien direct avec le
reste nous donne l’indice d’une improvisation.
Conclusion
Le film ne peut pas être clairement définit comme une transcription ou une
adaptation. Il semble davantage axé sur l’enchaînement d’événements avec plus ou moins
de sens, qui s’influencent directement les uns les autres, et qui finissent par aboutir à une
fin abrupte en lien avec le début. De ce fait, puisque les dialogues ont un rôle important à
jouer dans cet enchaînement, on pourrait considérer qu’il s’agit d’une transcription du
scénario. D’un autre côté, certains éléments nous laissent croire que certaines parties du
film ont pu être improvisées, car elles n’influencent pas directement le cours du récit.
L’hypothèse d’une transcription plutôt qu’une adaptation est plus plausible, car il y
a tant d’éléments qui sont inscrits dans la logique narrative du récit que nous ne pouvons
pas vraiment nous écarter de celle-ci. Les actions s’enchaînent assez rapidement, et donc,
ne laissent pas beaucoup de place pour l’improvisation des actions, ou la modification
d’éléments de la part du réalisateur. Par contre, il ne faut pas considérer qu’il n’y a aucun
travail ailleurs que dans le scénario.
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Même si la majorité des pistes narratives du film passent par des éléments du
dialogue, et non par des éléments spécifiques au langage cinématographique, celui-ci n’est
pas nécessairement mis de côté. Comme spécifié plus haut, le choix des plans a une
influence sur la réception du spectateur, tout comme l’absence presque totale de musique.
Il faut donc au bout du compte considérer que, dans le film Buffet froid de Bertrand Blier,
sur certains aspects, le scénario transparaît et doit être considéré comme ce qui guide le
film, mais que sur d’autres éléments, l’adaptation cinématographique a sa signification
propre, différente, qui vient ajouter une autre dimension au récit et qui vient compléter ce
que le scénario ne peut pas faire en tant qu’œuvre littéraire.

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