Mektoub - Monsieur Mouch

Transcription

Mektoub - Monsieur Mouch
Mektoub
De par chez moi, on dit que le hasard, ça n’existe pas. On dit que tout est destin, tout est
écrit : mektoub ! Si t’es de par chez moi, ta naissance, mektoub, ta famille, mektoub, tes
amis, mektoub, tes amoures, mektoub, re-ta famille, mektoub, ta mort, re-mektoub. Tout est
écrit, tout !
De par chez moi, on dit qu’un jour, il y en a un, il a été oublié. Il est né, oui, mais, c’était pas
écrit, rien, ni sa famille, ni ses amis, ni ses amoures, ni sa mort, rien n’était écrit, même pas lui.
On l’appelait le non-écrit. Le non-écrit, il avait rien, il faisait rien, il pensait rien, du moins c’est
ce qu’on dit par chez moi. Mais moi, je connais un vieux, il m’a dit un secret, il l’a connu, lui,
le non-écrit. Alors, évidemment, ce que je vais vous raconter là, ne le dites à personne, et
surtout pas à quelqu’un de par chez moi. Mais, je sais que vous ne le ferez pas, mektoub !
Ce vieux, il avait un défaut, j’ai le même, et je crois que certains d’entre vous l’ont aussi, il
était mal écrit. Vous savez, ce genre d’écriture en pattes de mouche, qu’on ne lit pas bien. Si
bien qu’un jour illisible, il a rencontré le non-écrit, et il l’a reconnu tout de suite. On dit qu’il
n’a rien et n’est rien, mais mon vieux, il l’a vu. On dit qu’il ne fait rien et ne pense rien, mais
mon vieux, il l’a salué, et ils ont discuté :
« Salut l’non-écrit, qu’il dit, le vieux.
-Salut l’vieux, qu’il répond le non-écrit, comment ça va ?
-Ben... Bien, et toi ?
-Ben... Bof.
-Quoi bof ?!
-J’suis un moins que rien…
-Enfin ! T’as pas le droit de dire ça, mon bon non-écrit. Tu sais, pour nous autres, ça n’est pas
drôle tous les jours, on n’est pas toujours content des mots, qui nous habitent. Toi, t’es libre, et
c’est mieux que rien.
-Libre, oui, mais tout seul. Entouré d’écrits qui ne me rencontreront jamais. Mektoub...
-Mektoub, mektoub, et moi alors ?! Qui s’énerve, le vieux. Depuis ce matin, c’est mal écrit, et
là, j’te parle. Tu vois bien qu’on n’est pas tous les jours quelqu’un. »
Le non-écrit finit par faire un sourire au vieux, et puis, il se confie un peu plus, et puis, il lui
explique qu’il se sent seul, qu’il aimerait bien se trouver de la compagnie... Une petite
femme, quoi. Et là, le vieux lui raconte qu’au village, il y a Irène, une magnifique jeune fille
aux yeux en amandes, qu’elle a un prétendant, le Max, mais que ça n’est sûrement pas le
bon. Mektoub. La Irène, son écriture est tellement belle, que personne n’est capable d’en
déchiffrer les caractères. Il essaie bien, le Max, mais son écriture, à lui, est scolaire, trop
claire, on le voit venir de loin, pas de mystère.
Le vieux arrive finalement à convaincre le non-écrit d’aller voir au village, que ça ne lui
coûte rien. Alors le non-écrit y est allé, l’air de rien. En entrant dans la ruelle haute du village,
il entend quelqu’un siffler. Il avance vers la source de cet air enchanteur, et passé la
boutique du brocanteur, tombe nez à nez sur Irène, qui le reconnaît tout de suite. Elle
brouillonnait là avec Max, qui lui, recopiait son texte au propre, sans dévier son regard de la
belle ligne droite.
« Bonjour Irène, qu’il dit le non-écrit.
-Bonjour non-écrit, qu’elle répond, la Irène, comment ça va ?
-Ben... Bien, et toi ?
-Ben... Bof.
-Quoi bof ?!
-J’suis une pas grand-chose…
-Enfin ! T’as pas le droit de dire ça, belle Irène. Tu sais, pour moi, ça n’est pas très drôle,
aucun mot ne m’habite, je suis obligé de les voler. Toi, tu as les plus beaux, c’est mieux que
tout.
-Des beaux mots, oui, mais j’aimerais parfois tout gommer, surtout lui. Je voudrais tant vivre
la page blanche de temps en temps, mais je ne la vivrai jamais. Mektoub...
-Mektoub, mektoub, et moi alors ?! Qui s’exclame, le non-écrit. On se parle, là, comment
est-ce possible si personne ne m’a écrit ?
-Peut-être que celui qui ne t’a pas écrit, a juste choisi de ne pas dessiner les mots, mais qu’ils
existent... Mektoub. »
Et de mektoub en mektoub, Irène et le non-écrit parlaient de tout et de rien. Irène était
heureuse de partager ses silences et ses mots avec une personne qui la comprenait, et le
non-écrit, lui, apprenait à se lire et à s’écrire, d’une écriture tellement belle, que personne
d’autre qu’Irène ne saurait en déchiffrer les caractères. On n’est pas tous les jours quelqu’un,
mais on n’est rarement personne, enfin… On n’est jamais rien, ou tout le temps tout... Bref, de
par chez moi, on dit que le hasard, ça n’existe pas. On dit que tout est destin, tout est écrit :
mektoub !
Monsieur Mouch
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Texte protégé SCAM Velasquez, dans « Contes Bios ». Dépôt numéro : 2005100201.
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