Forum Blanc 2013 : Quelques facteurs clés de succès dans le

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Forum Blanc 2013 : Quelques facteurs clés de succès dans le
Forum Blanc 2013 :
Quelques facteurs clés de succès dans le
Transmedia
3 ans après la première édition du Forum Blanc, l’ensemble des acteurs du secteur
audiovisuel ont plus que jamais conscience de l’enjeu créatif représenté par le transmédia.
Largement analysé comme un moyen de conserver l’attention d’une audience désormais
éclatée entre des terminaux et plateformes multiples, il fait l’objet de projets de plus en plus
élaborés, dont plusieurs, issus de France, du Canada, de Belgique ou du Luxembourg, ont
été présentés au Grand-Bornand cette année.
Cependant, de l’avis de la plupart de 200 participants au Forum, le transmédia est toujours
incapable de générer des revenus, que ce soit via son audience ou des modèles payants.
On demeure donc dans une économie de préfinancement, dépendante des aides publiques
et des budgets que lui attribuent les diffuseurs.
Les perspectives demeurent cependant encourageantes. Une dynamique cross-sectorielle
s’est mise en place, avec des échanges nourris entre secteurs du jeu vidéo et de
l’audiovisuel. Cette convergence doit favoriser une amélioration de l’expérience
utilisateur, élément clé du succès d’une œuvre interactive. On perçoit par ailleurs
l’émergence de schémas de distribution associant acteurs traditionnels, partenaires média
et marques, ce qui doit permettre de sécuriser les audiences et financements nécessaires à
la viabilité économique des projets. Enfin, le transmedia montre un potentiel économique qui
dépasse le seul marché du loisir. Les perspectives dans les domaines de l’éducation, de
la jeunesse et de la formation, sont notamment porteuses d’espoir.
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1.
Concevoir et produire
Projet autonome ou simple prolongation interactive d’un programme linéaire, pouvant faire appel à
une palettes d’outils incluant pastilles, blogs, réseaux sociaux, ARG, photojournalisme, application
mobile, ou encore jeu en ligne, les œuvres transmédia peuvent prendre de multiples formes selon les
buts poursuivis par leurs créateurs. Cette diversité est porteuse de complexité, justifiant l’émergence
de différents dispositifs d’accompagnement, qui se concentrent sur quelques facteurs clés de succès,
parmi lesquels figurent notamment l’ergonomie et l’expérience utilisateur.
La qualité des interfaces et du game play jouent un rôle essentiel dans l’œuvre
transmédia
Plusieurs producteurs présents (tels que Agata –Ex Nihilo, ou Upian) ont insisté sur l’importance de la
simplicité des interfaces des dispositifs transmedia afin de ne pas perdre l’utilisateur. Ainsi, le site du
projet Défense d’Afficher (Camera Talk Productions et La Maison du Directeur pour France
Télévisions), qui propose un parcours urbain à l’utilisateur, se limite à 2 boutons pour se déplacer,
tandis qu’une flèche rouge sert de guide dans l’espace. Si l’utilisateur quitte le site, son parcours est
sauvegardé. Cette stratégie a contribué à atteindre un taux de revisite sur le site de 35%, considéré
comme satisfaisant.
Capture d’écran de l’interface de navigation de Défense d’Afficher
Sur Alma, une enfant de la violence, produit pour Arte, Upian a veillé à proposer une page d’accueil la
plus simple et synthétique possible afin de favoriser la compréhension de l’internaute et de limiter le
taux de rebond. De la même, la raison du succès la plus souvent citée de la marque Angry Birds est la
simplicité de son concept et de son interface (aucun texte), ce qui n’empêche pas un soin particulier
porté sur les détails et sur le gameplay (notamment sur la réduction de l’effet de chance).
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Capture d’écran de la page d’accueil de Alma, une enfant de la violence
La convergence entre jeu vidéo et audiovisuel doit favoriser la qualité des interfaces
La conception des parcours utilisateurs dans le transmedia emprunte de plus en plus au jeu vidéo.
Ainsi, les notions de parcours et d’interfaces utilisateurs, habituelles dans le jeu vidéo, sont de plus en
plus présentes dans les projets transmédia où l’utilisateur se déplace dans différents lieux d’un même
univers en fonction de ses envies. Comme dans l’ARG Plus Belle la Vie sous surveillance, où il a la
sensation de pouvoir influencer le cours de la série en manipulant des caméras de surveillance,
l’internaute expérimente ainsi les sentiments de « liberté et de responsabilité », décrits par Stéphane
Natkin (Directeur de l’ENJMIN), et qui étaient jusque-là une caractéristique du jeu vidéo. Plus de
70 000 joueurs ont ainsi été séduits par cet ARG.
Visuel de promotion de Plus Belle La Vie sous surveillance
Les notions de game design, à savoir l’élaboration d’un univers, et de level design, qui renvoie aux
règles d’évolution dans l’histoire et dans l’espace, dépassent désormais le jeu vidéo pour pénétrer
l’univers audiovisuel.
Cette relation audiovisuel-jeu vidéo va dans les 2 sens, comme l’a rappelé Julien Villedieu, Délégué
générale du SNJV. Ainsi les jeux vidéo se rapprochent de plus en plus du cinéma dans la qualité de la
vidéo (nouvelles consoles, téléviseurs 4K, techniques de motion capture ou de doublures numériques
comme celles réalisées par l’entreprise francilienne ADN, représentée au Forum), scénarisation de
plus en plus poussée, dramatisation par la musique.
Sur la dimension sonore, le transmédia doit emprunter des marqueurs sonores porteurs d’information
(sur les actions d’un personnage, son environnement, la navigation dans le menu), et le jeu vidéo
l’usage de bandes sonores originales, qui peuvent être coupées de façon adéquate, comme l’a
exposé Cécile Le Prado-Natkin, responsable du département son de l’ENJMIN.
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A titre d’exemple de collaboration entre acteurs des 2 univers, Bulkypix, adhérent de Cap Digital et
entreprise de référence dans le domaine du jeu vidéo sur mobile, est en discussion avec Arte et
Agata-Ex-Nihilo pout un projet autour du jeu vidéo avec des étudiants de la formation IDE (Inter active
Digital Experience) de l’ENJMIN/Les Gobelins.
Des initiatives d’accompagnement des créateurs voient le jour
Le transmedia repose sur un processus créatif complexe, qui mêle plusieurs métiers. Afin
d’appréhender ces différents aspects dans les meilleures conditions, un accompagnement peut être
bénéfique, incitant plusieurs structures à mettre en place des dispositifs en ce sens : Imaginove
travaille sur un espace de coworking et d’accompagnement autour de la création, Ana Serrano du
CFC Media Lab a lancé l’accélérateur transmédia Idea Boost à Toronto, et Cap Digital a initié des
sessions de coaching projet en 2012 dans le cadre de son programme Think Transmedia.
Des nouveaux outils de production low cost
Les nouveaux outils de travail collaboratif simples permettent un abaissement
des coûts de production ainsi que des gains de productivité important,
notamment pour les projets internationaux. Ainsi, sur le projet Défense d’afficher,
le producteur Camera Talk a expliqué que des outils tels que Team Lab,
Dropbox ou Skype, alliés à l’augmentation des débits sur les réseaux, lui avaient
permis de gérer efficacement 8 projets dans 8 villes du monde avec 8
réalisateurs différents. Ceci participe à un mouvement de la production vers le
low cost, comme expliqué dans le dernier cahier Méta-média édité par France
Télévisions.
De son côté, France Télévisions a présenté au Forum Blanc sa plateforme dédiée aux webséries,
baptisée Studio 4.0 et lancée en octobre 2012. Elle est dotée d’un budget de 700 000 €, répartis à
hauteur de 25 à 100 000 € par projet. Dailymotion, partenaire de Studio 4.0, représente 75% des 1 M
de vues mensuelles générées par les webséries produites, parmi lesquelles figure notamment Les
Opérateurs, réalisée par François Descraques.
Par ailleurs, il est important de réunir les différentes compétences nécessaires. Ainsi, sur Défense
d’afficher, Camera Talk Productions avait une expertise dans le multimedia interactif, tandis La Maison
du Directeur, issu du documentaire « traditionnel », a apporté le regard nécessaire à l’œuvre. Ces
deux expertises ont été étroitement liées durant le projet, qui a réuni 60 personnes.
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Assurer la distribution du programme et l’agrégation de
l’audience
Sur Alma, une enfant de la violence, Upian a mis à disposition un player exportable utilisé notamment
par les partenaires média du projet, tels que Rue 89, qui augmentaient ainsi leur nombre de pages
vues, et Upian son nombre de vidéos vues. Au total, le player a été intégré sur 172 sites, générant
42% des vues, tandis que les 2 tiers du trafic sur le site sont venus de liens extérieurs.
Sur le même projet, Upian a constaté un nombre de téléchargements de l’application pour tablette
(3000) beaucoup plus faible que le nombre de visiteurs sur internet (400 000), mais une relation
beaucoup plus forte avec les utilisateurs dans le premier cas. Le téléchargement d’une application est
en effet un premier signe d’engagement du spectateur vers le programme, même s’il est difficile de
prévoir les volumes de téléchargement. Ainsi, concernant les applications mobiles dédiées aux
programmes Le Carnaval des animaux et Les 4 saisons d’Antoine (toutes deux réalisées par Camera
Lucida pour France Télévisions Distribution), la première a été téléchargée 10 000 fois contre
seulement 400 fois pour la seconde, sans que l’on sache vraiment expliquer pourquoi. Le coût de
développement d’un jeu mobile serait compris entre 20 et 50 000€.
Par ailleurs, la mise en avant sur de grandes plateformes a un impact déterminant. Ainsi, Angry Birds
a véritablement percé en 2010 lorsqu’il a été mis en avant comme application phare de l’AppStore du
Royaume-Uni. Cependant, comme le rappelait Guillaume Aniorté, CEO de l’éditeur canadien de
programmes pour enfants Tribal Nova, de telles mises en avant restent exceptionnelles, et ne
sauraient fonder une stratégie de communication. Julien Villedieu, Délégué Général du SNJV,
rappelait en effet que plus de 700 nouvelles applications de jeu étaient mises en ligne chaque jour sur
l’App Store.
Nick Dora, Head of Animation chez Rovio et René Broca,
Reponsable du contenu éditorial du Forum Blanc
Des partenaires média disposant d’une force de frappe suffisante sont souvent nécessaires à
l’adoption d’un programme par un large public. Défense d’afficher a ainsi été soutenu très tôt, outre
France Télévisions, par Libération, Radio Nova (spots radio) et Dailymotion. Sur cette dernière
plateforme, un film par semaine a été mis en ligne pendant 8 semaines et figurait pendant 5h en page
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d’accueil comme vidéo star, occasionnant pour chacune de ces périodes de 5h un nombre de
consultations compris entre 50 et 60 000 vues.
Nick Dora, Head of Animation de Rovio, a insisté sur le temps nécessaire pour trouver et installer une
marque forte. Après le développement de 52 jeux mobiles, Rovio se concentre ainsi depuis 2009 sur
la montée en puissance de sa marque Angry Birds (aujourd’hui plus d’1 milliard de téléchargements et
200M d’utilisateurs actifs en moyenne chaque mois), alors que le studio aurait pu développer de
nouveaux concepts, ce qui est toujours tentant pour des créateurs. Interrogé sur un éventuel risque de
dépendance à cette marque, il a argumenté que la diversification de Rovio s’effectuait davantage via
les supports (merchandising, animation, etc.) que via d’autres jeux mobiles, stratégie mise en œuvre
dès 2010 avec le changement du nom de l’entreprise de Rovio Mobile à Rovio Entertainement. La
marque est alors connue pour elle-même plutôt que pour l’un de ses formats particuliers (Angry Birds
est un univers avant d’être un jeu ou une série d’animation).
Capitaliser dans la durée sur des marques existantes (comme ce fut le cas pour Plus Belle la Vie sous
surveillance) peut donc s’avérer une option pertinente. La communication peut alors prendre des
proportions extrêmement audacieuses, comme l’apparition d’une peluche Angry Birds à l’intérieur de
la Station spatiale internationale pour le lancement de Angry Birds Space…
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3.
Financer et monétiser
Quelques exemples de budget
Défense d’Afficher (Camera Talk Productions et La Maison
du Directeur/France Télévisions) : 250 000€
Alma, Une enfant de la violence (Upian/Arte) : 550 000€
Come Back (Lucil Film/RTL Luxembourg): 1,5M€
Fourchette de budget pour un ARG: entre 3 000€ et 1M
Modèle économique : une économie de préfinancement en l’absence de monétisation
et quelques pistes
Les différentes études de cas ont montré que, même soutenu par des groupes médias importants,
aucun projet transmédia n’était rentable à l’heure actuelle. Ainsi le projet 17.10.1961, produit par
Agata Films – Ex Nihilo, pourtant soutenu par des partenaires tels que l’INA, Politis et l’agence MRM,
n’a recueilli que 800 € de la part de Canal + en achat de photos. Christophe Cluzel, Responsable des
développements numériques chez France Télévisions Distribution, a confirmé l’absence de rentabilité
des projets actuels de France Télévisions (sur un projet comme Défense d’Afficher, ils n’ont vendu
que quelques applications payantes à 89 centimes).
Capture d’écran de la page d’accueil du site du programme Transmedia 17.10.1961
On est donc quasi-exclusivement dans une économie de pré-financement. En l’absence de modèle
économique, les acteurs publics (France Télévisions, Arte, l’ONF, Radio Canada) ont un rôle
important à jouer. Marianne Levy-Leblond, Responsable des productions web et projets transmedia
d’Arte, a ainsi insisté sur le fait qu’aucun de ses projets n’aurait pu voir le jour sans le soutien du CNC
(aides au développement, à l’écriture, et à la production notamment via le web-Cosip). A l’étranger, les
aides du Fonds des Médias du Canada, de Wallimage en Belgique, du Film Fund Luxembourg (qui
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prélève une partie des recettes éventuelles issues du programme), jouent également un rôle
important.
Quelques pistes de monétisation
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4.
Sur le payant, Dailymotion expérimente des formules premium payantes, mais les revenus
générés sont encore marginaux par rapport à la publicité vidéo, dont Dailymotion tire un CA
de 50 M$, à comparer à un marché français de 90 M€.
La régie publicitaire web Hi Media ainsi que plusieurs éditeurs canadiens ont relevé
l’importance croissante des paiements à l’intérieur d’une application gratuite (in-app) selon un
modèle freemium, beaucoup plus porteurs que les applications payantes, dont les
téléchargements ont très souvent du mal à décoller.
Sur le crowd funding, les modèles sont encore très variés sur plusieurs aspects : droits et
compensations accordés, sélection et éditorialisation des projets, etc.
Le financement par les marques a fait débat. Si elles peuvent parfois orienter le message
d’un programme, elles ont parfois des moyens de financement (issus de leur budget
marketing) et des communautés numériques largement supérieurs à ceux de groupes
audiovisuels, comme l’a démontré l’ONF qui a négocié avec une marque américaine de skate
board.
Enfin, dans le cadre ses think tanks consacrés au transmedia et au big data, et en tirant partie
de ses communautés « Presse, Culture, Média », « Image, son interactivité » et « Ingénierie
des connaissances », Cap Digital explore les opportunités de monétisation de services basés
sur les métadonnées associées aux contenus, et aux traces associées à leur
consommation. Ce message a notamment été relayé auprès du gouvernent dans le cadre de
l’audition du pôle par la Mission Lescure.
Focus sur l’écosystème transmédia au Canada
Comme souvent dans ce type d’évènement, le Canada était très en vue parmi les intervenants comme
parmi les participants. L’ONF (Office National du Film) est un producteur existant depuis 75 ans, et
dont le financement provient entièrement du Ministère de la Culture canadien. Il a connu un virage
important en 2009 lorsqu’il a été décidé qu’entre 20 et 25% de ses revenus seraient consacrés à la
production numérique.
Capture d’écran de la page d’accueil du site du programme Transmedia Code Barre
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L’ONF a conclu un accord-cadre avec Arte portant sur 2 productions. Code Barre, projet piloté par
l’ONF visant à donner du sens aux objets. Son dispositif est articulé autour d’une application iPhone,
de courtes séquences pour la télévision, d’installations muséales dans le monde, ainsi que de blogs et
réseaux sociaux. 100 films ont ainsi été réalisés par 30 réalisateurs européens ou nord-américains,
processus rendu d’autant plus complexe que le programme a été produit en 3 langues (anglais,
français, allemand). Le second projet, piloté par Arte, est en cours de production. Le même type
d’accord a été conclu avec France Télévisions pour 2 œuvres.
Progressivement, l’ONF est devenu une structure de référence pour des diffuseurs publics cherchant
à se lancer dans le transmédia sans savoir précisément comment (Colombie, Argentine), ou des
acteurs n’ayant pas de moyens de production (l’Open Media Lab du MIT).
L’équivalent du CNC au Canada est le FMC (Fonds des Medias, du Canada), financé par des fonds
publics, mais également des fonds de cablo-opérateurs et FAI. Ces derniers jouent en effet un rôle
important dans le financement des programmes, à l’image du Fonds Bell, mis en place par l’opérateur
de télécommunications du même nom.
Contact : Arnaud Druelle ([email protected])
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