La ou les républiques de la Révolution française

Transcription

La ou les républiques de la Révolution française
BLOIS 2014 : La ou les républiques de la Révolution française
https://www.clionautes.org/spip.php?page=article&id_article=3269
Pierre Serna, professeur à l’université Paris I Panthéon
BLOIS 2014 : La ou les républiques de la
Révolution française
par Richard Andrieux
Mise en ligne : mercredi 15 octobre 2014
i
Copyright © Les Clionautes
Clio-Conférences i Comptes Rendus i BLOIS 2014
1/5
BLOIS 2014 : La ou les républiques de la Révolution française
Présentation et problématique
En préambule P. Serna rappelle les difficultés de l’enracinement de la IIIe République face à un
courant « anti-lumière » qui remonte d’ailleurs selon lui à bien avant 1789. En réaction la IIIe
République s’est appuyée sur le socle de la Révolution pour en faire la matrice de la République en
proposant une reconstruction mythifiée de cette période avec ses hauts faits d’armes (Valmy) et ses
symboles (le drapeau, la Marseillaise, le 14 juillet).
La prégnance de ce combat autour de la République à travers le filtre de la Révolution de 1789
demande à interroger cette période. Révolution et République ne doivent certes pas être
confondues. Mais comment l’idée républicaine s’est-elle imposée ? Quels vecteurs de la
« républicanisation » ont été à l’œuvre dès 1789 et même avant ?
République, républiques : définitions des Lumières
Que signifient les mots au moment où on les emploie ? Quels sens donnaient à ce terme les
Hommes du XVIIIe siècle à l’époque des Lumières ?
Pour Montesquieu, la république est essentiellement un système de valeurs morales. Il parle des
vertus républicaines c’est-à-dire celles des gouvernants qui doivent se montrer exemplaires pour
édifier, éduquer le peuple.
L’encyclopédiste le chevalier de Jaucourt évoque plus précisément un système de la
représentation, une délégation de souveraineté pour un temps déterminé et une régulation par la
responsabilité.
Jean-Jacques Rousseau a lui une vision plus pessimiste de ces systèmes. Pour lui la république est
le produit d’une dégénérescence. S’appuyant sur les exemples italiens et hollandais il voit la
république confinée à de petits territoires dans lesquels le pouvoir est confisqué par de petits
groupes d’hommes, formant une aristocratie ou une oligarchie. Au rebours de ce que doit être la
démocratie.
Réflexions sur l’expérience américaine
Copyright © Les Clionautes
2/5
BLOIS 2014 : La ou les républiques de la Révolution française
Selon Pierre Serna la république américaine présente deux nouveautés majeures.
Elle s’inscrit tout d’abord dans un très vaste espace, dans un système fédéral très décentralisé.
Elle est ensuite le produit tout à la fois d’une révolution et d’une guerre. Le conférencier rappelle
d’ailleurs à ce propos qu’aujourd’hui encore droite et gauche américaine n’utilisent pas les mêmes
expressions pour évoquer cette période : la droite parlant généralement de « guerre
d‘indépendance » et la gauche de « révolution américaine ». Pierre Serna pense lui, que la
république américaine naît d’une révolution qui est une guerre d’indépendance rappelant au
passage que la combinaison des deux acceptions est également employée dans le vocabulaire de la
république algérienne.
République, révolution, guerre d ‘indépendance : le triptyque interroge quand on songe à la mise
en place de la Ière République en 1792. Certes, la guerre révolutionnaire menée par la France n’est
pas stricto sensu une guerre d’indépendance mais elle est une lutte pour l’affirmation, la défense et
la reconnaissance d’une nouvelle souveraineté issue de la révolution.
Pierre Serna achève son propos sur ce point en rappelant que l’événement majeur de la révolution
américaine est l’élaboration et l’adoption de la constitution. Elle définit le pouvoir de, qui fait la
guerre, qui lève l’impôt pour payer les dettes internationales : la république fédérale.
Toutes ces nouveautés de la fin du XVIIIe auraient profondément marqué certains des
révolutionnaires de 1789 et notamment des gens comme Condorcet et surtout Brissot qui est un de
ceux à avoir très tôt envisagé l’idée républicaine comme un alternative crédible à la monarchie.
1789 / 1792 : la marche à la république ?
Marche inéluctable ou accidentelle ? Débat récurent parmi les historiens mais Pierre Serna pense
que les deux hypothèses peuvent se compléter tout en rappelant que le concept de république est
largement impensable et même impensé par les hommes de1789 à l’exception de quelques uns
dont Brissot justement.
Brissot et l’idée républicaine
Pierre Serna voit trois éléments clés dans l’élaboration de la pensée « républicaine » du député
girondin.
Le problème du véto royal tout d’abord. Ce privilège exorbitant pose vraiment question car il
donne une supériorité de fait de l’exécutif sur le législatif et fragilise l’ensemble du système.
Brissot voit ensuite dans la politisation de la société civile un élément majeur de la
républicanisation du pays. En décrétant l’élection des maires en décembre 1789 les citoyens
s’emparent littéralement de la « chose publique » avec 4.300.000 électeurs plus les participants des
assemblées primaires.
Brissot enfin est le fondateur des la « Société des Amis des Noirs », militant de la cause antiesclavagiste il voit dans la soumission des Noirs une négation de la Déclaration des Droits de
l’Homme fruit de la monarchie constitutionnelle.
1791 et « l’été républicain »
L’épisode de Varennes est bien connu comme étant un moment clé dans la crise du nouveau
régime constitutionnel mais il va favoriser la promotion de l’idée républicaine au-delà du simple
discrédit jeté sur le roi et la monarchie constitutionnelle.
Pierre Serna évoque la véritable naissance d’un espace d’opinion publique capable de peser sur la
décision des gouvernants avec le mouvement pétitionnaire demandant la déchéance du roi.
Jusqu’au 15 juillet les pouvoirs du roi sont suspendus et on peut alors parler d’une république de
fait. La fable de l’enlèvement du roi et le rétablissement de son autorité mettront provisoirement
fin à cette parenthèse pendant que la fusillade du Champ de Mars achèvera de discréditer
complètement le régime.
La naissance de la République et la construction d’un idéal républicain
La fin de la monarchie n’est pas la république
Copyright © Les Clionautes
3/5
BLOIS 2014 : La ou les républiques de la Révolution française
Les députés élus à la Convention à l’été 1792 sont chargés d’élaborer une nouvelle constitution.
40 % d’entre eux sont présents les 20/ 22 septembre lorsqu’ils adoptent une série de décrets dont la
teneur interroge.
Le décret principal prononce l’abolition de la monarchie, et non pas la proclamation de la
république comme on le présente hâtivement. Ainsi la république naît d’une sorte de vide
juridique. C’est ce qui peut expliquer la proposition du député Billaud-Varenne en date du 22
septembre qui demande à ce que tous les actes officiels soient datés de l’An I de la république. La
république devient tune évidence construite, mais elle n’est pas proclamée, elle s’impose.
Elle va devoir d’autant s’imposer qu’elle est tout de suite menacée dans son existence par la guerre
aux frontières du pays. C’est le moment à travers la victoire de Valmy où se construit la figure
républicaine du « citoyen-soldat ». La république ne peut pas, ne doit pas perdre la guerre, sinon
elle perd tout. Selon Pierre Serna, Jacobins ou Montagnards n’ont pas d’idéologie totalitaire
préconçue mais simplement une lecture politique et stratégique de la situation. Le débat entre
ceux qui voient dans les pratiques du gouvernement révolutionnaire une adaptation aux
circonstances et ceux qui pensent que la « terreur » est inscrite dans la prise de pouvoir des
républicains est bien connu. Pierre Serna se range clairement dans le premier camp, à l’inverse
d’un François Furet dont il rappelle la postérité idéologique pour la contester.
Robespierre, la république, la démocratie
Quel est le principal défi pour Robespierre et les républicains au-delà de la victoire militaire ?
Une républicanisation de la France et des Français, de l’ensemble de la société civile. Il ne peut y
avoir de république si tout le monde n’est pas républicain. Le projet jacobin est un projet
d’éducation, de construction de citoyenneté républicaine comme l’ont repris en partie de les
hommes de la IIIe République.
La pratique du pouvoir s’adapte aux circonstances selon Pierre Serna. Saint-Just constatant que le
problème n’est pas dans les lois mais dans leur application, met en place le système des « envoyés
en mission. » La guerre conduit le gouvernement à une centralité législative. Les députés de la
Convention contrôlent les ministres, le gouvernement est formé de représentants. La cohésion des
pouvoirs doit être est assurée selon Robespierre par la « vertu », car il n’est pas de République sans
elle. On retrouve d’ailleurs ici la définition donnée par Montesquieu dans l’Esprit des Lois.
Pierre Serna souligne que dans l’esprit de Robespierre, république et démocratie se confondent. Ce
qui est explicitement dit dans le discours de février 1794. Une république démocratique donc,
fondée sur la représentation. Bien sûr la conférence ne portait pas sur les pratiques du pouvoir et
notamment la « terreur » qui font selon beaucoup d’historiens, de Robespierre, l’antidémocrate
parfait. Il aurait été intéressant d’aborder ce point avec Pierre Serna mais cela procédait d’un autre
débat qui n’était pas réalisable dans le temps d’une heure imparti à la conférence.
Pierre Serna met enfin l’accent sur l’aspect social de l’idéal républicain selon Robespierre. Le
politique ne doit pas être disjoint du social. Les trop grands écarts de richesse divisent les citoyens,
donc la république. S’il ne remet pas en question la propriété privée, Robespierre pense qu’il faut
éviter les trop grands écarts de richesse qui déchirent le tissu social et créent la corruption. Et
Pierre Serna de rappeler l’action sociale du gouvernement révolutionnaire : allocations contre la
faim, « lois de la bienfaisance nationale », aides aux paysans, loi du maximum, lois sur
l’instruction… Robespierre place les pauvres au centre de la dignité républicaine car loin des
tentations d’enrichissement ils sont par là-même au cœur de la citoyenneté.
Le Directoire, un laboratoire des modèles républicains
Loin des caricatures sur la « république bourgeoise » Pierre Serna rappelle tout d’abord que le
Directoire a pratiqué une véritable politique sociale continuant en cela le travail des républicains
de l’An II notamment en créant une ébauche d’un système de sécurité sociale, une banque
d’épargne, le développement d’une éducation pour tous. On pourrait tout de même objecter qu’à
cette époque le droit de suffrage a été considérablement réduit.
Mais Pierre Serna voit surtout dans cette période de la république finissante (1795 / 1799), un
laboratoire des différents modèles républicains qui vont se succéder, se mêler parfois, s’affronter
même, au cours du XIXe siècle.
Copyright © Les Clionautes
4/5
BLOIS 2014 : La ou les républiques de la Révolution française
Il distingue ainsi plusieurs modèles républicains.
Le premier est le modèle libéral soutenu par des hommes comme Benjamin Constant celui qui
défend la propriété, l’initiative et l’entreprise privée, la loi comme moyen de régulation de la
société. Cette « république des Modernes » s’oppose justement à l’autre modèle celui de la
« république des « Anciens », incarnée par Robespierre et les Jacobins.
Autre modèle encore, celui de la république des « mitoyens », celle du juste milieu, celle qui
correspond justement à la Constitution de l’An III dans laquelle le bon citoyen est « bon père, bon
fils, bon ami, bon époux » (art.4), celle donc dans laquelle les valeurs privées deviennent des
valeurs civiques et dans laquelle la base sociale est celle des petits propriétaires ruraux.
Pierre Serna évoque enfin « la république des liberticides », celle des sauveurs, des militaires, des
coups d’Etat dont il rappelle la postérité dans l’histoire à travers quelques dates clés : 1799,
1851…1940.
Conclusion
« La ou les républiques de la Révolution française », tel était l’intitulé de la conférence animée par
Pierre Serna. Un titre sans point d’interrogation. Coquille typographique ou choix délibéré ? Au vu
du déroulement de l’exposé je pencherais pour la deuxième hypothèse.
C’est bien cette idée de république née pendant la Révolution française qui apparaît, à travers les
diverses expériences politiques, comme la matrice de toutes les républiques et surtout de toutes les
différentes conceptions républicaines qui ont été forgées au cours du XIXe et du XXe siècle.
Une conférence vraiment stimulante bien qu’un peu courte sur cet objet toujours « chaud » de la
Révolution française.
Richard Andrieux, lycée Docteur Lacroix, Narbonne.
Copyright © Les Clionautes
5/5

Documents pareils