ÉCRAN LARGE source : http://www.ecranlarge.com/movie_review

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ÉCRAN LARGE
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12 août. 2009 Par Nicolas Thys
Onirique. C'est le premier terme qui vient à l'esprit pour qualifier Pique nique à Hanging-Rock de Peter Weir, l'une des œuvres les plus
envoutantes que le cinéma ait enfantée. Pourtant ce film n'est pas juste onirique ; il est un rêve, régi par les mêmes mécanismes, ce que la
caméra vagabonde du cinéaste a bien compris et chaque plan insiste sur cet état illusoire.
Rien dans ce pique-nique n'est normal. Rien dans le monde décrit par ce film n'est logique. Rien dans la structure du récit, malgré son
apparente simplicité, n'est similaire à d'autres films. Ici aucune réelle fin, aucune piste n'est suivie jusqu'au bout. Les micro-histoires se
chevauchent et aucune ne vient se clore. Tout reste en suspend, en perpétuelle flottement. Comme dans un rêve, celui de Sara peut-être,
au centre et à la marge, qui se terminerait sur un élément caduc. Un rêve à poursuivre sans cesse et jamais. Parmi ces éléments l'amour
de l'une des filles pour une autre par exemple, la relation frère/sœur entre Sara et le lad, l'énigme des filles disparues. Le mystère du
rocher.
Mais le rêve est partout. Particulièrement cinématographique. La musique de Gheorghe Zamfir, à la flûte de pan très volatile, et la
photographie de Russell Boyd assisté de John Seale, deux des plus importants chef-opérateurs contemporains, apportent une atmosphère à
la fois légère et lyrique mais chargée et aux intérieurs oppressants qui se délitent progressivement. La dissolution est à l'œuvre,
permanente. Celle des corps mais aussi celle des institutions. A la lourdeur académique du début où tout est figé, filmé dans des contreplongées larges et imposantes, succède une intimité étrange où l'on pénètre au cœur des choses les plus noires.
Parmi les séquences en extérieur, les plus belles du film, toutes d'une inquiétante étrangeté, s'entrecroisent les influences de Lartigue,
certaines textures pictorialistes, et une imagerie à la fois immensément poétique et d'un érotisme latent très 19ème siècle. Le gros plan du
bas descendu, les ralentis sur le visage de Miranda (la Vénus de Botticelli) les visages lavés dans de l'eau fleurie, l'image du groupe de filles
capturé comme une peinture impressionniste, la douceur des rires, la nature magnifiée à coup de panoramiques à 360° aussi beaux que
surprenants, les plans de cette montagne labyrinthique et angoissante, ou encore ces surimpressions qui vont jusqu'à liquéfier la pierre ou
rendre fantomatique les nymphettes.
Tout est de l'ordre du mystère, d'un mystère proprement australien, chaud et diaphane découvert dans le film Walkabout de Nicholas
Roeg. Ce pique-nique nous plonge dans un univers d'une exquise volupté irisée, très loin de la lourdeur niaise d'un David Hamilton. Un
mirage, une hallucination merveilleuse qui, dans l'un des plus beaux finals du cinéma, se fait photographie en un ralenti saccadé à la limite
de la pixillation, et meurt (ou se réveille).
CRITIKAT
source : http://www.critikat.com/Pique-Nique-a-Hanging-Rock.html?var_recherche=pique%20nique%20à%20hanging%20rock
LE RÊVE CONQUÉRANT
Critiques > 11 août 2009 Par Benoît Smith
Actif très tôt – il a offert en 1906 au septième art son premier long métrage, The Story of the Ned Kelly Gang –, le cinéma australien aura pourtant dû attendre 1975 et
la découverte du surprenant Pique-Nique à Hanging Rock, film « en costumes » habité par le mystère et le fantastique, pour cesser d’être négligé par une cinéphilie
mondiale encore trop tournée vers l’Europe et les États-Unis. De sorte qu’on a parfois tendance à caractériser la cinématographie nationale par la même étrangeté et
le même mysticisme ancestral qui empreignent ce film-ci. L’idée se révèle ici assez réductrice. Si le second long métrage de Peter Weir, par son évocation d’une
communauté policée en conflit avec des forces primitives et inexplicables, se réfère certainement à une part de l’héritage collectif australien (occupants d’une terre
aborigène jadis colonisée au travers de la déportation de forçats britanniques), le discours de cette œuvre à la sensualité singulière dépasse cette seule lecture rapide.
Chroniqueur souvent subtil de l’état d’aliénation d’individus se trouvant soudain étrangers à leur milieu, Peter Weir (Witness, Mosquito Coast...) a amorcé sa
carrière en mettant en scène sur les terres du cinéma fantastique cette thématique qui pourrait être symptomatique d’une prise de conscience de la
communauté blanche australienne, mais dont il invaliderait plus tard les limites nationales en l’emportant avec lui sur son parcours hollywoodien. Réalisé entre
son premier film, la comédie noire Les Voitures qui ont mangé Paris (1974), et l’apocalyptique La Dernière Vague (1977), Pique-Nique à Hanging Rock fait un
saut dans le temps pour confronter un aspect de la société victorienne à des faits, des lieux et des forces qui défient les certitudes de la civilisation qu’elles
précèdent. Le jour de la Saint-Valentin 1900, des élèves d’un collège de jeunes filles partent pique-niquer à l’ombre d’un piton rocheux : quatre d’entre elles et
une de leurs professeurs s’aventurent dans ses anfractuosités et y disparaissent mystérieusement, la plupart ne seront jamais revues. Malgré la détermination
des enquêteurs et des témoins, nul ne saura rien de ce qui s’est passé. L’histoire est tirée d’un roman feignant l’inspiration de faits réels, et l’impact du film à sa
sortie a été tel qu’aujourd’hui encore, certains se laissent mystifier. Pourtant, la réalité même dans ce Pique-Nique se révèle toute relative et fragile.
Est-ce un hasard si le titre fait penser au tableau de Manet Déjeuner sur l’herbe ? Avec le paysage du générique et une photographie cotonneuse proche d’un
film de David Hamilton, Pique-Nique à Hanging Rock s’ouvre dans un univers à l’atmosphère surannée et peu propice au changement, proche d’une peinture
ancienne. Se déroule une série de scènes de la vie ritualisée de jeunes filles en fleur soumises à l’éducation victorienne (le nouage mutuel des corsets prend
des allures de rite religieux), mais où percent déjà le non-dit et l’interdit, les désirs entre consœurs qui se sous-entendent avec des mots innocents mais
étouffés. De ce cadre à la fois rigide et tremblant, il ne restera à la fin du film qu’une épave à la dérive, où le corset social – incarné par l’inflexible directrice
Mme Appleyard – tente en vain de maintenir son emprise sur le réel et sur l’intime avant de se laisser sombrer dans l’échec et la déliquescence. Qu’est-ce qui
sépare ainsi l’exposition d’une institution supposée solide et pérenne de son crépuscule de déchéance ? Une simple halte de midi à l’ombre d’Hanging Rock, en
pleine nature, hors du collège, hors des règles. Là, les rituels deviennent moins pudiques et plus primitifs (la découpe très suggestive du gâteau de la SaintValentin), le temps échappe à toute mesure (les montres arrêtées sur midi), la chaleur accable les promeneuses et fait se relâcher leurs sens et leur perception
du réel, jusqu’à ce que se produise l’inexplicable. Les notes de flûte de pan qui bercent tout le film – jouées par un des maîtres de l’instrument, le Roumain
Gheorghe Zamfir – font office de trait d’union entre ce lever, ce midi et ce coucher, leur sensualité primitive entretenant le flou de la limite entre rites du
pensionnat de jeunes filles et pulsations insaisissables à l’œuvre à l’extérieur.
Comme un défaut dans le tableau, dans le rituel, dans le réel, le film instaure l’excroissance Hanging Rock comme le point de passage et le catalyseur des
dérèglements à venir. La visite de ses recoins par quatre jeunes filles y salissant leurs beaux vêtements blancs est rythmée par les ralentis qui lui confèrent un
état de somnambulisme oppressant, comme une sieste à demi consciente et qui n’en finit pas, d’une langueur presque morbide que la chaleur rend encore
moins supportable, et dont on pressent qu’un cauchemar est au bout du chemin. Sur ce chemin tortueux vers l’inconnu, les espaces que les filles traversent
attirent moins l’attention que ceux qu’elles ignorent, ceux où la caméra se pose pour les filmer en laissant deviner – dans les ombres de la roche au bord du
cadre – le hors-champ, l’invisible, la possibilité d’un ailleurs. Et après elles, sur leurs traces, le rocher devra encore être visité plusieurs fois dans l’illusion
d’approcher d’un centre et d’y découvrir des fragments de vérité. Le temps y est aussi impossible à cerner que l’espace, avec ou sans montres : à l’ascension
somnambulique succède la disparition collective cachée dans l’ellipse, dont seule nous est montrée l’amorce (l’avancée des filles dans une direction à jamais
inconnue), tandis qu’après coup il se révèle qu’hors champ, l’enseignante qui les accompagnait s’est elle aussi évaporée sans que personne ne l’ait vue partie.
Film fantastique économe en moyens, Pique-Nique à Hanging Rock instille le doute – moteur de cinéma s’il en est – en n’usant pour tous effets spéciaux que
de la force de ses images de cinéma et du mystère qu’elles ménagent. Mais rares sont les films basés sur le mystère et qui en auront tiré autant de puissance
que celui-ci – précisément, et cela pourra paraître paradoxal, parce que ce mystère n’attend aucune élucidation, mais s’impose par sa seule existence, par le
doute qu’il suscite et par les conséquences qu’il entraîne. Toute explication est ici non seulement vaine, mais inutile. On le sait lorsqu’on voit une des quatre
visiteuses du rocher, déjà encline à l’angoisse, assister comme dans un rêve à l’éloignement de ses trois camarades et paniquer sans que la raison en soit
claire, comme si elle percevait la force invisible à l’œuvre que suggèrent alors un plan aérien et des sons étranges. Or, l’hypothèse d’une telle intervention
surnaturelle ne sera pas accréditée plus avant, laissant le doute sur la part d’altération psychique dans la perception des événements. De même, s’agissant de
la disparition d’adolescentes encore vierges – ajoutée aux soupçons de lesbianisme –, une thématique sexuelle fait évidemment mine de se dessiner, mais se
trouve vite empêchée par l’examen médical des deux filles qu’on finit par retrouver (« Elles n’ont pas été violentées », répète le médecin victorien rassurant
avec la pudeur qui convient). Les questions laissées ainsi ouvertes n’appellent pas à être résolues. Mais bel et bien là, elles grossissent la masse
d’insaisissable, d’incontrôlable qui viendra insidieusement attaquer la façade policée du pensionnat jusqu’à ce que les masques se délitent et que les abcès se
crèvent dans la douleur, la folie et le deuil, au-delà de tout contrôle dont la volonté a d’ailleurs déjà fui (voir ce que le montage des toutes dernières scènes
suggère du comportement de la si inflexible Mme Appleyard). Sensible dans son approche, conscient de ses ressources et intelligent dans leur usage, PiqueNique à Hanging Rock ne s’attarde pas sur les sous-textes – sociaux, psychologiques, sexuels – qu’il fait mine de dégager, mais s’en nourrit pour offrir une
incarnation remarquable au sujet qui sous-tend tout le fantastique à travers les arts, et notamment son rapport au réel : la présence incoercible, malgré la
volonté humaine, de l’indécidable.
LES INROCKS
source : http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/pique-nique-a-hanging-rock/
Pique-nique à Hanging Rock
De Peter Weir - 2009
Avec Rachel Roberts
Exhumation d’une petite perle seventies sur un pensionnat de filles dans le désert australien. Le film culte de Sofia Coppola.
Créé le 28 juillet 2009 - par Amélie Dubois
Auréolé du statut de film culte, Pique-nique à Hanging Rock compte parmi ses plus fervents admirateurs une certaine Sofia Coppola, qui à la sortie de Virgin
Suicides ne cachait pas l’influence qu’avait eue sur elle ce film de Peter Weir sorti en 1975. De quoi nimber d’une touche hype la réputation de cet objet
cinématographique non identifié, présenté ici dans sa version director’s cut, et aiguiser encore plus notre curiosité.
Est-ce dû à la moiteur du climat australien, à ses paysages arides propices aux hallucinations ou au goût du cinéaste, au début de sa carrière, pour le fantastique
(voir Les voitures qui ont mangé Paris), mais l’imagerie romantique qui nourrit le film paraît viciée. A moins qu’il ne s’agisse d’une dégénérescence liée au
rigorisme victorien en vigueur, à la fin du XIXe siècle, dans ce pensionnat truffé de jeunes filles en fleurs réunies dans une proximité trouble.
Avant même que l’événement clé du film ne se produise, une énigme et un parfum de soufre planent sur cet établissement où se murmurent, un beau matin de
Saint-Valentin, des mots d’amour, tel le bourdonnement opaque d’un essaim d’abeilles. Comme on le vérifiera plus tard, les images sont ici détentrices d’un
secret inaccessible, aussi impénétrable que la virginité suraffichée de ces blanches colombes tout droit sorties de photos de David Hamilton : cette perversion de
la perception contamine délicieusement Hanging Rock et trouve son point culminant dans la sublime scène de disparition de trois élèves et d’un professeur lors
d’un pique-nique organisé près d’un immense rocher. Cette masse abrupte, à la difformité fascinante, devient la pierre d’achoppement de toute vérité : on ne
connaîtra jamais la cause de cette évaporation, qui semble résulter de l’attraction érotique exercée par ce rocher et ses cavités.
Hanging Rock fait partie de ces films qui, comme Mulholland Drive, suscitent les passions et les spirales interprétatives en raison du noyau impénétrable autour
duquel il tourne et bute admirablement. Mais ce n’est pas seulement en tant que support à fantasmes que le film est captivant, c’est aussi et surtout en tant que
forme hybride, au carrefour de deux tendances majeures du cinéma contemporain : la modernité antonionienne, pour laquelle il n’y a pas de vérité possible de
l’image, et un certain maniérisme ne croyant plus qu’à la réalité de l’image, de sa surface. La suite de la carrière de Weir, du Cercle des poètes disparus à Master
and Commander, sera davantage marquée par l’académisme, comme si, après avoir approché de près cet inquiétant et insondable rocher, il avait préféré,
apeuré, lui tourner le dos.
Reprise, en salle le 12 août.
DVDrama
Source : http://www.dvdrama.com/news-35289-pique-nique-a-hanging-rock-au-coeur-du-mystere.php
PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK : AU COEUR DU MYSTÈRE Le 2009-08-11 09:35:28
En 1975, Peter Weir vient de réaliser Les voitures qui ont mangé Paris, un coup d'essai teinté de fantastique absurde, après une série de documentaires
pour le Commonwealth Film Unit et de moyens métrages (Michael et Homesdale, tous deux auréolés du Grand Prix de l'Australian Film Institute). A la base,
c'est la productrice Patricia Lovell qui achète les droits du roman de Joan Lindsay paru en 1967 et lui propose l'adaptation. Alors âgé de 31 ans. Weir profite des
fonds publics (nationaux avec l'Australian Film Commission; fédéraux avec la South Australian Film Corporation) pour ranimer un cinéma Australien en agonie.
Le tournage dure six semaines, dans les états de Victoria et de l'Australie Méridionale, autant en décor naturel (Hanging Rock) qu'en studio (l'internat). Ça
donne Pique-nique à Hanging Rock, un classique mystérieux qui ressort cet été dans sa version director's cut, simultanément au cinéma et en DVD.
IL ÉTAIT UNE FOIS…
En 1900, dans une bâtisse victorienne abritant un internat, des filles retiennent des poèmes avant de s'endormir, lissent leur chevelure, composent des herbiers
et murmurent des mots d'amour tel un bourdonnement d'essaim d'abeilles. Elles sont toutes subjuguées par Miranda, une blonde évanescente, source
d'excitation virginale pour les garçons et créature intrigante pour ses camarades. Miss Appleyard, la directrice du lieu, les dirige avec poigne en créant des
entraves physiques et morales. Le jour de la Saint-Valentin, sous le prétexte d'une leçon de géologie, les pensionnaires partent visiter un site aborigène qui
recèle une roche aussi intrigante que magnétique. Là-bas, elles se posent pour pique-niquer. Miranda découpe un gâteau en forme de coeur avant de s'envoler
comme un ange de Botticelli. Hanging Rock représente le lieu du rêve et de l'évasion, de tous les possibles, en même temps qu'un endroit propice à
l'épanouissement et aux initiations charnelles. L'orgasme est tellement intense qu'il provoque une amnésie générale. A midi, le temps semble suspendu. Plus
tard, quatre personnes du groupe se volatilisent sans laisser d'indices. Ont-elles été assassinées? Sont-elles toujours vivantes?
VIRGIN SUICIDES
Au lieu de répondre à cette énigme, le récit ne fera que lire la détresse et le manque sur les visages de celles et ceux qui connaissaient les disparues, privées
de beaux lendemains. Peter Weir ne propose aucune résolution cartésienne, moins pour frustrer que pour faire fonctionner l'imagination. Avec ses images
cotonneuses gangrenées par la mélancolie, Pique-Nique à Hanging Rock déroule un récit qui fait quasiment du surplace, sans saillies et sans vrais
décollages, laissant le temps de l'horloge - celle des personnages et du spectateur - investir la perception, créer un lieu hors-temps narratif. Les vierges, comme
aspirées dans un chaos de nappes temporelles (le passé et le présent, le mythe et le réel), auraient-elles été sacrifiées en offrande aux dieux anciens? S'agit-il
d'une métaphore sur la découverte de la chair et le passage à l'âge adulte? Un point de vue masculin apporte un contrepoint lointain aux événements,
annonçant des années avant l'amour transi des garçons pour les beautés suicidées de Sofia Coppola (Virgin Suicides, 1999). Tel un entomologiste, Weir
étudie les racines d'une époque puritaine, distille une morbidité dans la mécanique du film pour adolescents, emprunte une modernité antonionienne (il n'y a
pas de vérité possible de l'image) et scrute la dépression disséminée dans la litanie des jours.
LES AILES DE PAPILLON
Au-delà de l'élégance plastique et musicale (un mélange envoûtant de Beethoven, Gheorghe Zamfir et Bruce Smeaton), le cinéaste orchestre une chrysalide:
des chenilles cristallisant les désirs féminins et masculins se transforment en papillons, déterminés à voler de leurs propres ailes, musardant là où il est interdit
de se perdre. Comme on interdirait à des enfants d'aller dans les bois pour ne pas faire de mauvaises rencontres. C'est un peu ce mythe enfantin qui est au
centre de Pique-Nique à Hanging Rock. Pour comprendre ce que ce très beau film essaye de communiquer, il faut saisir l'essence atmosphérique, voir la
menace du "nuage rouge", profiter chaque seconde de cette flânerie romantique qui ne ramène aucune peau morte, aller au-delà de ce qui nous dépasse. Rien
n'est bouleversant sur le moment, mais c'est en y repensant longtemps après que le film produit un effet sidérant. En 1998, Peter Weir a profité d'une réédition
américaine pour le remonter, réétalonner ses couleurs, supprimer sept minutes et sortir une director's cut. Un an plus tard, Sofia Coppola prodigue un exploit
similaire avec Virgin Suicides, une adaptation du roman spleen de Jeffrey Eugenides, avec une photo à la David Hamilton et une bande-originale mélancolique
composée par Air. Les deux films semblent partager le même secret, reprenant les derniers vers d'un poème d'Edgar Allan Poe : "tout ce que nous voyons ou
paraissons n'est qu'un rêve dans un rêve".
Romain Le Vern
LE MONDE
Soucre : http://www.lemonde.fr/cinema/article/2009/08/13/pique-nique-a-hanging-rock-dans-l-australie-de-1900-une-excursion-de-collegiennes-saisies-par-ledereglement-de-la-morale-victorienne_1228257_3476.html
"Pique-nique à Hanging Rock" : Dans l'Australie de 1900, une excursion de collégiennes saisies par le dérèglement de la morale victorienne
LE MONDE | 13.08.09 | 15h03 • Mis à jour le 13.08.09 | 15h03
En 1977, la sortie en France de Pique-nique à Hanging Rock, réalisé deux ans plus tôt, permettait à l'Australie de trouver sa place sur le planisphère
cinématographique. C'était le troisième long métrage de Peter Weir, le premier à passer les océans. Un distributeur français, Splendor Films, le ressort dans une
version director's cut distribuée et éditée aux Etats-Unis il y a déjà plus de dix ans. Ces montages de réalisateur sont généralement l'occasion d'allonger la durée des
films. Peter Weir a préféré resserrer Pique-nique à Hanging Rock en enlevant une dizaine de minutes de la deuxième partie du film.
Celle-ci suit la disparition de trois jeunes pensionnaires et d'un de leur professeur le 14 février 1900. En cette Saint-Valentin, les élèves de l'institution Appleyard
étaient parties pique-niquer à Hanging Rock, une formation rocheuse volcanique de la province de Victoria.
Au moment de la sieste, quatre d'entre elles s'éclipsèrent afin de conclure l'escalade, que les règles d'éducation victorienne jugeaient inconvenante. Il n'en revint
qu'une seule, hystérique, incapable d'expliquer la disparition de ses camarades et d'un professeur, sans doute parti à leur recherche.
Avec ses costumes victoriens et ses cartons explicatifs, Pique-nique à Hanging Rock est habilement déguisé en film historique inspiré de faits réels. Mais le récit est en
fait adapté d'un roman, publié en 1967, et ces disparitions sont avant tout l'expression fictive de l'irruption des colons britanniques sur le continent australien et de la
réaction de celui-ci. Peter Weir met à peine en scène les Aborigènes (on aperçoit un pisteur dans les séquences qui montrent les battues organisées pour chercher les
collégiennes). Il s'intéresse plutôt au dérèglement de la morale victorienne qui saisit ces jeunes filles de bonne famille.
Tourné dans une lumière dorée (le film a pourtant été réétalonné par Weir, qui tenait à estomper cet effet), accompagné par une musique jouée à la flûte de Pan par
Gheorghe Zamfir, Pique-nique à Hanging Rock est un film très facile à dater. Mais il n'est pas difficile de gratter ce vernis 1970 pour trouver tout ce qui fait l'intérêt du
cinéma de Peter Weir : cette considération grave pour le moindre des personnages, ce scepticisme inquiet face à la fragilité des humains et de leurs sociétés.
En émigrant à Hollywood, Peter Weir a emporté ces questions, ces thèmes, pour en faire Witness ou le Truman Show. Pique-nique à Hanging Rock garde par rapport à
ces énormes productions l'avantage d'un film réalisé à domicile, nourri de la courte mémoire d'une nation qui s'est installée sur une terre qui n'est pas tout à fait la
sienne.
Film australien de Peter Weir (tourné en 1975, remonté en 1998), avec Rachel Robert, Vivean Gray. (1 h 38.)
Thomas Sotinel
PARISCOPE
Source : http://www.premiere.fr/film/Picnic-A-Hanging-Rock/(affichage)/press
Par Virginie Gaucher
Critique film (Picnic A Hanging Rock)
Ce film fantastique qui fit beaucoup pour le cinéma australien et lança Peter Weir n’a rien d’un film d’horreur. Pas de monstre, pas d’ennemi
visible : ce voyage hypnotique ; contemplatif et beau, conserve aux pierres menaçantes de Hanging rock tous ses secrets. « Promenonsnous dans les bois pendant que le loup n’y est pas… » : le film peint langoureusement des jeunes filles en fleur filmées à la David Hamilton,
corsetées et prisonnières d’une société rigide, confrontées soudain à une nature sauvage, dangereuse, mystérieuse.
LIBÉRATION
Source : http://www.liberation.fr/medias/0101457014-pique-nique-a-hanging-rock
Par DOUHAIRE Samuel
Des jeunes filles en fleur batifolent dans une ambiance de couvent des oiseaux. La lumière, tellement douce qu'elle en devient irréelle,
comme filtrée par un voile de tulle, nimbe délicatement leurs visages d'anges botticelliens. Il ne manque guère qu'un usage plus appuyé du
ralenti pour se croire dans un nanar de David Hamilton. Sauf qu'ici, la joliesse et la pseudo-innocence débouchent sur l'abîme. S'il fallait
cataloguer le très beau Pique-nique à Hanging Rock (1975), on le qualifierait par défaut de film fantastique. Mais un fantastique sans
monstre ni sang, où des simples cris d'oiseaux, des plans serrés sur des fourmis, un cadrage particulier transformant les roches en visages
grimaçants, suffisent à ouvrir les portes du surnaturel. Les broussailles qu'on dit infestées de serpent, les éperons volcaniques aux formes
torturées semblent alors libérer des forces tentatrices et destructrices.
En ce jour de la Saint-Valentin 1900, dans la chaleur de l'été australien, trois élèves et une professeure de la pension Appleyard
disparaissent à Hanging Rock. La brune Irma réapparaît sans corset et en état de choc une semaine plus tard, sans pouvoir raconter ce qui
lui est arrivé. Les autres ne seront jamais retrouvés. Le deuxième long métrage de Peter Weir (futur réalisateur à Hollywood de Witness et
de The Truman Show) semble le grand cousin australien des Virgin Suicides de Sofia Coppola (1). Dans les deux films, la disparition
d'héroïnes virginales bouleverse à jamais la vie et les sentiments de leur entourage. Et tous deux retracent des parcours initiatiques
douloureux. Le fait qu'Irma ait été retrouvée sans son corset n'est pas un détail anodin : pendant son absence, la jeune fille a été éveillée à
la sensualité - de la nature et peut-être plus, de cela le film conservera le mystère - au-delà des interdits étouffants de la société
victorienne, et elle seule a survécu à cette émancipation brutale. Dans la plus belle scène du film, Irma vient faire ses adieux à ses
camarades de pension. Elles se heurtent à un double mur d'incompréhension, puis d'hostilité, elle toute de rouge vêtue face à ses excopines d'un blanc immaculé. Elle est passée de l'autre côté : chez les femmes libres.
FILMDECULTE
Source : http://www.filmdeculte.com/culte/film-culte/Pique-nique-a-Hanging-Rock-5550.html
Le 14 février 1900, une sortie scolaire tourne au drame. Chaperonnées par leurs professeurs, des adolescentes modèles
partent pique-niquer à Hanging Rock. Quatre d’entre elles (trois élèves, un professeur), disparaissent mystérieusement,
comme par enchantement. Les recherches piétinent. Pour les survivants, l’énigme reste entière.
WALK ON THE WILD SIDE
Son premier long métrage, préambule insolite et macabre, Les Voitures qui ont mangé Paris, n'avait soulevé qu'une indifférence polie
en Australie. Financé par des fonds publics, Pique-nique à Hanging Rock, provoque au contraire un engouement spectaculaire. A 31 ans,
Peter Weir est un réalisateur culte. Remarqué pour ses courts et moyens métrages (Michael et la comédie horrifique Homesdale ont tous
deux reçu le Grand Prix de l’Australian Film Institute), réalisateur de documentaires pour le Commonwealth Film Unit, Weir appartient à
cette vague exaltante de têtes brûlées qui va débloquer et redonner confiance à une industrie moribonde. Au début des années 60, déchu
et exsangue, le cinéma australien semble vivre ses dernières heures. Il faudra attendre la décennie suivante pour que l’Etat vienne à son
chevet et le remette d’aplomb par des subventions et des formations spécialisées, notamment via l’Australian Film Television and Radio
School. Entre 1970 et 1985, près de 400 films voient le jour. Jamais l’industrie n’a été aussi florissante. Entièrement rentabilisé à sa sortie,
loué par la presse et le public, consacré à l’étranger (le film n’est toutefois distribué aux Etats-Unis qu’en 1979), Pique-nique à Hanging
Rock est ainsi né sous les meilleures auspices, dans un contexte particulièrement bienveillant. Sur le papier, le deuxième film de Peter Weir
ne laisse pourtant pas présager un tel phénomène. Bien qu’adaptée du roman éponyme de l’Australienne Joan Lindsay paru en 1967, déjà
teintée d’une pointe de mysticisme, cette chronique à peine murmurée d’une disparition annoncée est d’une singularité et d’une étrangeté
peu communes.
LES PETITES FILLES MODELES
Le jour de la Saint-Valentin, les élèves du lycée Appleyard, jeunes filles vertueuses et corsetées, sont autorisés à pique-niquer à Hanging
Rock, site aborigène magnétique, imposante masse rocheuse et volcanique, située au cœur du Bush australien. La directrice de l’internat,
Miss Appleyard, régit ce cloître victorien de sages chrysalides. A l’abri des regards, recluses dans leurs chambres cafardeuses, les jeunes
filles lisent des poèmes, lissent leur chevelure interminable, composent des herbiers et rêvent à demi-mot. L’après-midi s’annonce
angélique, la tendre élégie sidère par sa grâce et son ensorcelante partition; Peter Weir et son scénariste Cliff Green suivent avec délice le
long rituel qui précède la tourmente. Comme un lent supplice: quelque chose bout, une écharde démange, un mal indéfinissable gronde en
sourdine. La directrice prétexte une leçon de géologie (les lycéennes doivent rédiger une dissertation), prévient du danger (ne pas
s’approcher du rocher, assimilé à un lieu de débauche), dicte ses dernières recommandations (ne pas ôter ses gants devant des inconnus).
Miranda, blonde évanescente – la plus belle, la plus aimée d’Appleyard – songe à quitter l'établissement. Elle demande à son amie Sara de
ne pas s’attacher à elle. Punie pour son manque d’assiduité en cours, la pauvre et orpheline Sara est interdite de sortie. Dès le générique
d’ouverture, Peter Weir ne laisse aucun doute sur l’issue de cette flânerie romantique de Petit Poucet perdu et de Chaperon Rouge livré au
loup; un carton révèle le fin mot de l’histoire. Mais l’intrigue porte moins sur la résolution du fait divers, dont la romancière avait suggéré
avec malice la véracité, que sur l’impuissance des survivants, désemparés et inconsolables.
CRIS ET CHUCHOTEMENTS
Les jeunes filles sont déjà mortes. Comme les roses flétries qu’elles écrasent entre les pages de leurs livres. Prisonnières de leur
narcissisme, mortes sous l’emprise d’Appleyard, de ses lois puritaines, de ses pendules omniprésentes, de ses entraves physiques et
morales. Les amours contrariées (la fascination de Sara pour Miranda, les ressentiments de la directrice pour sa fidèle Miss McCraw), la
sexualité réprimée (une Saint-Valentin mortifère, des hommes distants, simples voyeurs ou admirateurs), la chair meurtrie (une punition
corporelle en cours de danse): partout, le désir est inhibé, le corps enchaîné et soumis au pouvoir de la raison. Or Hanging Rock est le lieu
de l’abandon et du secret, de la fêlure et de l’amnésie. Un défi à la raison. Personnage à part entière, le rocher s’interpose entre les vierges
égarées et l’autorité tyrannique d’Appleyard. De manière significative, c’est la revêche Miss McCraw, professeur de mathématiques, qui
disparaît avec Miranda, Irma et Marion. A midi, le temps n’appartient plus à personne, les aiguilles des montres se sont cassées. Avant huit
heures du soir, les lycéennes assoupies s’abandonnent à un repos voluptueux, goûtent aux vertiges d’une nature ardente et sauvage. Une
serre civilisée de boutons en fleur d’un côté, une végétation rebelle de l’autre: Appleyard et Hanging Rock sont les deux faces conflictuelles
d’une même pièce. Deux faces dont le mariage bouleverse l’ordre du monde. Au contact du rocher volcanique, de ces pierres millénaires et
encore brûlantes, parcourues de petits lézards, les adolescentes enflammées s’effeuillent, se déchaussent et vont se perdre dans les cavités
et les précipices d’un dédale surnaturel.
UN RÊVE DANS UN RÊVE
En 1998, Peter Weir profite d’une réédition américaine pour remonter son film et réétalonner les couleurs. Délesté de sept minutes, le
director's cut resserre les mailles du mystère et en conserve jalousement la clé. Retrouvée évanouie sur le rocher, après une semaine de
recherches infructueuses, Irma ne garde aucune séquelle et aucun souvenir de sa fugue. De même, la craintive Edith ne se rappelle plus
des sentiers empruntés par ses amies. Les rares indices à disposition martyrisent les enquêteurs, quand ils n'appuient pas le sous-texte
érotique. Irma est retrouvée sans son corset, Miss McCraw a été vue pour la dernière fois à moitié dévêtue. Irma fait allusion à un "nuage
rouge". C'est en manteau rouge qu'Irma la miraculée se présente à ses camarades de classe et provoque une haine et une jalousie
incontrôlées. "Laisse-moi t’embrasser sur le front / Et maintenant que je te quitte, Laisse-moi t’avouer ceci: / Tu n’as pas tort, toi qui
estimes / Que mes jours ont été un rêve; / Mais si l’espoir s’est envolé / En une nuit, ou en un jour, / Dans une vision, ou dans aucune /
N’a-t-il pas moins disparu? / Tout ce que nous voyons ou paraissons / N’est qu’un rêve dans un rêve." En citant les derniers vers du poème
d'Edgar Allan Poe, Miranda apportait sans doute un début de réponse. C'est elle qu'on compare à un ange de Botticelli, elle dont on chérit
les apparitions, elle qui découpe à la hâche un gâteau en forme de cœur, elle qui anticipe ses adieux. Perdu dans ses pensées, Michael
associe son souvenir à celui d'un cygne. Pique-nique à Hanging Rock est à l'image de ce cygne, la moitié d'un cœur, un éternel point
d'interrogation, mais aussi de cette fleur effarouchée qui se replie sur elle-même dès qu'on la touche: d'une majesté hypnotique et d'une
infaillible beauté.
par Danielle Chou

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