On est tous le vieux de quelqu`un

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On est tous le vieux de quelqu`un
MERCREDI 11 SEPTEMBRE 2013 LE JOURNAL DU JURA
ACEYOUNG 25
RELATIONS INTERGÉNÉRATIONNELLES De la difficulté de la transmission dans une société en perpétuelle évolution
On est tous le vieux de quelqu’un
LES JEUNES À LA PAGE
Chaque mois, la page Faceyoung offre à des jeunes la
possibilité de s’exprimer sur le
sujet de leur choix. Ce mois-ci,
page blanche est laissée à Sarah Bättig, de Malleray. La gymnasienne de 17 ans a souhaité
s’exprimer sur l’importance de
la relation intergénérationnelle
au travers du témoignage d’une
grand-maman et à sa petitefille de 14 ans. Leurs regards
croisés sur la vie, les nouvelles
technologies, leur génération et
celle de l’autre montre combien
on est plus souvent amené à
mettre l’accent sur ce qui sépare
jeunes et aînés que sur ce qui
les réunit.
SARAH BÄTTIG
Actuellement, dans notre
société, nous avons deux
camps bien distincts: les jeunes avec tout ce qui est nouveau, la technologie et les
«vérités scientifiques» et de
l’autre les aînés qui ont grandi
avec tout ce qu’il y avait de
plus basique et de plus simple
(la nature, les livres, les contes, ...). Ces jeunes d’hier ont
acquis des valeurs que les jeunes d’aujourd’hui ignorent et
vice versa. Qu’est-ce qu’un
jeune peut apprendre à un
aîné? Que vaut l’innocence
des jeunes face à l’expérience
des moins jeunes? Deux générations peuvent-elles avancer
ensemble, main dans la main,
vers un avenir commun?
On parle de jeunesse maltraitée (Internet, le manque
d’emploi, la vie de plus en
plus chère, ...) et d’anciens
qui ne transmettent plus leur
culture, car les jeunes générations estiment que la culture
des anciens ne peut plus les
aider à trouver les clefs de
l’avenir. Résultat: on se détourne encore plus des personnes âgées puisqu’elles ne
peuvent plus être considérées
comme des sages dont l’expérience passée peut aider à
mieux appréhender l’avenir.
Et l’isolement de ces personnes commence.
Autrefois, on allait écouter
les anciens pour s’imprégner
de leur sagesse, de leurs conseils pour réussir sa vie.
De nos jours, on peut penser
que les jeunes et les vieux ne
se comprennent plus. Ce problème de compréhension refroidit les liens entre eux car il
est évident que les jeunes
d’aujourd’hui et les vieilles
personnes ont une manière
de voir les choses totalement
différente. Les jeunes peuvent
penser que les vieux sont démodés et qu’ils ne peuvent
plus comprendre l’attitude
des jeunes car ils ont passé
l’âge et ils ont tout oublié. Les
vieux peuvent aussi penser
que les jeunes de nos jours
font des choses qu’eux n’auraient jamais faites à leur époque. Nous vivons dans une société à la culture contrastée,
atomisée, où chacun se fabrique une culture sur mesure et
où la communication entre
les personnes devient de plus
en plus difficile.
L’ardent esprit de recherche
est peut-être plus accessible
aux jeunes, car les vieux ont
souvent été malmenés par la
vie: les conflits les ont usés et
la mort, sous différentes formes, les attend. Cela ne veut
pas dire qu’ils sont incapables
de mener à fond une recherche, mais que cela leur est
plus difficile.
C’est le temps de la jeunesse
qui est celui des recherches.
C’est celui où l’on veut faire
l’expérience de tout. Mais les
générations passées sont des
références pour les générations à venir. Ils sont nos
mentors.
La modernité a parfois du bon. Fatima habite à Alger. Pour garder le contact avec ses petits-enfants, elle s’est
mise à l’informatique et communique via Skype avec eux. PHOTOS: SARAH BÄTTIG
DIALOGUE ENTRE UNE PETITE-FILLE ET SA GRAND-MAMAN Unies dans la différence
NOUVEAUX MÉDIAS Tout devient virtuel
Nadja a 14 ans et vit à Malleray.
Fatima, 70 printemps, est établie à Alger. Voici le témoignage
d’une grand-maman et de sa petite fille séparées par la distance
mais rapprochées par la technologie. Vivant sur deux continents différents, elles communiquent via internet.
Fatima, quels sont les moyens
de communication que vous
utilisez?
J’envoie encore des cartes
pour Noël ou les grandes fêtes,
j’utilise le téléphone et internet, mais uniquement pour
parler avec mes petits enfants à
l’étranger, via Skype.
Internet rapproche les générations
Fatima, quelle sorte d’éducation avez-vous reçue?
J’ai reçu une éducation stricte.
Il fallait bien travailler à l’école,
aider à la maison, faire
les tâ-
ches ménagères. On obéissait
toujours à nos parents, jamais
on ne leur aurait tenu tête ou
manqué de respect. Je veux faire
partager aux jeunes le respect
d’autrui, le partage, la politesse à
l’égard des personnes âgées
(laisser sa place dans le bus, aider à porter les choses lourdes,...).
Nadja: C’est vrai que de nos
jours notre éducation est moins
sévère mais c’est parce que nos
parents travaillent beaucoup et
que lorsqu’ils rentrent à la maison, ils laissent faire.
Fatima, quels sont les événements qui vous font
sentir favorisée ou défavorisée par rapport à la
génération de votre petite-fille?
Il y a plus de facilité par
rapport à la technologie,
nous, on devait tout
faire à la main. Par contre, il y a ces problèmes
avec le réchauffement climatique qui me font souci.
Nadja: C’est vrai, l’avancée
technologique est très avantageuse. On a des gadgets
pour tout et n’importe
quoi.
Nadja, qu’aimeraistu transmettre à ta
grand-maman?
Lui apprendre à se
servir d’un ordinateur
et d’un natel.
Fatima: Et moi,
apprendre à ma petite-fille qu’on peut
très bien vivre sans.
Fatima, que vous inspire la
jeune génération?
Les jeunes sont perturbés, ils
n’ont pas de limites, ils répondent à leurs parents, ils sont impulsifs, ils veulent tout et tout de
suite. De vrais consommateurs.
rapprocher les jeunes et les
moins jeunes. J’ai appris dernièrement qu’une garderie avait ouvert juste en dessus d’un home
pour personnes âgées et les enfants allaient régulièrement leur
rendre visite.
Comment voyez-vous l’avenir de la génération de votre
petite-fille? Vous l’enviez?
Non pas du tout. Le manque
de communication est effrayant. Avant, on discutait
beaucoup, on s’intéressait aux
problèmes des uns et des autres.
Il y a aussi tous ces ados qui boivent et qui fument de plus en
plus jeunes. On voit que l’éducation n’est plus la même. Avant,
on pensait aux études avant
tout.
Nadja: Les cas auxquels fait référence ma grand-maman sont
extrêmes. Mais, effectivement,
pour ce qui est de l’alcool c’est
vrai que maintenant ça commence plus tôt.
Actuellement, le nombre de jeunes chômeurs, âgés entre 15 et
24 ans, est très élevé dans la
zone euro. Cela vous inspire
quoi, Fatima?
Les jeunes sont peu à être manuels, ils fuient la terre et l’agriculture. On forme des rêveurs.
Ils veulent tous acheter la voiture dernier cri ou le nouveau
natel à la mode et pour finir ils
croulent sous les dettes.
Nadja: Moi, cette tendance
me fait peur pour mon avenir.
Fatima, que souhaitez-vous à la
jeune génération?
Qu’elle aille de l’avant, qu’elle
garde espoir.
Et toi, Nadja, quelle est ta réaction par rapport à la situation
des personnes âgées dans notre société?
Ils restent enfermés chez eux
ou entre eux, il y a peu de contact avec nous. Ils sont encore
dans leur époque et nous dans la
nôtre. C’est triste à dire mais
chacun est un peu dans son
coin. Heureusement, il y a des
actions qui s’organisent afin de
D’après vous, comment jeunes
et personnes âgées peuvent-ils
évoluer ensemble?
Fatima: En se respectant mutuellement. On a chacun à apprendre de l’autre. J’ai lu que,
dans un collège, les élèves en difficulté ou en décrochage scolaire aident les personnes âgées à
se familiariser avec Internet. Je
trouve que c’est une initiative
qui permet aux jeunes et aux
plus âgées de se sentir utiles les
uns aux autres.
Nadja: Il faut joindre l’utile à
l’agréable. En mélangeant les
jeunes et les personnes âgées, on
permet aux uns d’évoluer et de
s’enrichir avec l’expérience des
plus vieux et aux autres d’être
accompagnés, soutenus et pourquoi pas de changer leurs préjugés sur la jeune génération. SB
Le décalage de l’âge
Comment définiriez-vous ces
nouveaux moyens de communication?
Nadja: Indispensable pour
les recherches scolaires, les exposés ou les travaux à rendre à
l’école. On est obligé d’avoir un
ordinateur pour étudier. Le natel, lui, est très utile pour discuter avec ses amis.
Fatima: Ordinateurs et portables se révèlent pratiques. Ils
me font gagner du temps. Skype est la meilleure invention.
Grâce à ça, je peux voir mes enfants et petits-enfants, discuter
avec eux et avoir de leurs nouvelles.
Quelle place l’informatique et
les nouvelles technologies occupent-elles dans votre vie?
Fatima: Une toute petite.
J’utilise seulement Skype ou le
téléphone pour communiquer
une à deux fois par mois.
Nadja: Cela dépend. J’utilise
l’ordinateur en général le
week-end et parfois en semaine pour des travaux scolaires, pour lire mes mails ou discuter avec ma grand-maman.
Quant au natel, je ne l’utilise
presque pas, qu’en cas d’urgence ou pour discuter avec
mes copains.
L’avancée technologique estelle un plus ou un moins?
Fatima: Utilisée avec modération, ça ne peut être qu’un
avantage.
Nadja: Oui, c’est vraiment un
avantage. On perd moins de
temps. En deux clics, on peut
s’organiser des vacances et
faire de bonnes affaires.
Trouvez-vous que les jeunes
sont trop «accros» aux technologies?
Fatima: Oui. Ils sont connectés 24 heures sur 24, ils sont
seuls dans leur bulle. Avant, la
bulle c’était la famille, les discussions, les jeux que l’on
créait soi-même. Maintenant,
tout est servi sur un plateau
avec les jeux électroniques. Il
n’y a plus de recherches, d’inventivité et de créativité de ce
côté-là.
Nadja: Je trouve aussi que certains jeunes sont trop accros à
leur téléphone et parfois c’est
très désagréable car on a l’impression qu’ils ne se rendent
même pas compte de la présence d’autrui. Mais, sinon, ça
va. Je pense qu’on sait se contrôler et qu’on sent quand c’est le
moment de dire «stop».
Nadja, trouves-tu que les personnes âgées sont dépassées
face aux technologies?
Oui. On a l’impression parfois qu’elles viennent d’une autre planète. Mais, bon, elles
s’intéressent, elles sont curieuses et ça me fait toujours plaisir
de leur apprendre quelque
chose. SB

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