Repentir d`un terroriste du dimanche

Transcription

Repentir d`un terroriste du dimanche
JANVIER 2007
INT
(06/INT/352)
REPONSE DU CONSEIL D'ETAT
à l’interpellation Eric Bonjour intitulée : Repentir d’un terroriste du
dimanche, écrivain de son état, cautionnable ? Quelles ont été les
conséquences pour les assurés de l’établissement cantonal d’assurance
(ECA) ?
Rappel de l’interpellation
Vous trouvez en annexe le texte paru dans un journal de la place qui éclaire
bien le sujet.
« Je ne peux que présenter mes regrets aux amis et aux proches du grand
éditeur.» Daniel de Roulet, 61 ans, l’un des écrivains romands les plus en vue,
vient de publier : « Un dimanche à la montagne », qui retrace l’attentat qu’il
avait perpétré il y a trente et un ans contre la résidence vaudoise du magnat
allemand Axel Springer. Un acte qui était resté jusqu’à aujourd’hui inexpliqué.
L’affaire avait fait grand bruit. Le 7 janvier 1975, à Rougemont (VD), le chalet
que possédait Axel Springer, dirigeant du plus grand empire de presse
allemand, âgé alors de 63 ans, brûle de fond en comble à la suite d’un attentat
criminel. Sept ans après Mai 68, les soupçons des enquêteurs se portent sur la
Rote Armee Fraktion, qui mène, à coups d’attentats, sa lutte « antiimpérialiste ».
Normal, les limiers savent qu’Axel Springer est suspecté d’avoir pris part au
nazisme et est, de ce fait, une cible de choix de l’extrême gauche. Mais,
surtout, son empire de presse est jugé alors comme un allié inconditionnel de
la vague de répression qui s’abat dans les années 1970 sur les gauchistes.
D’ailleurs, des attentats ont déjà eu lieu contre des intérêts du magnat
allemand : en 1972 une bombe explose devant le siège de l’édition à
Hambourg, et en 1974 c’est au tour d’une résidence privée d’Axel Springer sur
l’île allemande de Sylt, en mer du Nord, de partir en flammes. Et, comme pour
mieux accréditer la thèse d’un commando venu d’ailleurs, de nombreuses
rédactions reçoivent des lettres anonymes traitant le chalet détruit de
«Berchtesgaden», du nom donné au « nid d’aigle » sur la frontière germanoautrichienne, là où Hitler résidait pendant la guerre.
–2–
En 2003, Daniel de Roulet tombe sur un article qui innocente entièrement Axel
Springer d’un passé pronazi. Et l’amie qui a participé avec lui à l’attentat lui
fait promettre, avant de décéder, de raconter leur histoire. «Je devais la
publier. Sinon je n’aurais pas pu continuer d’écrire», a commenté l’auteur
dans une récente interview.
Reste que Daniel de Roulet ne prend aucun risque. « Pour avoir provoqué
volontairement un incendie, même s’il avait mis en danger des personnes, la
prescription est de quinze ans en droit pénal », a expliqué hier Magali Bonvin,
substitut du procureur au ministère public à Lausanne.
Les Editions Springer: « Ces aveux méritent respect et reconnaissance »
(source : Le Matin).
La situation géographique cantonale de l’ancien chalet de M. Axel Springer à
Rougemont, et par le fait que le bâtiment était en son temps assuré contre
l’incendie par l’ECA dans le Canton de Vaud, soulèvent des questions et je
remercie d’avance le Conseil d’Etat pour ses réponses.
Suite à ce préambule, les invitations médiatiques discutables de l’écrivain
comme par exemple lors du dernier « Mise au Point » du dimanche 5 mars
2006, suscitent les questions suivantes :
1.
Quel a été le coût pour l’ECA du sinistre de l’incendie de 1975 ? Le
règlement de ce sinistre ayant eu des conséquences sur les primes des
assurés ECA vaudois.
2.
Quel aurait été ce coût à ce jour en tenant compte de l’augmentation du
coût de la vie et de son indice ? Ceci afin que M. de Roulet puisse se
rendre compte du préjudice moral engendré.
3.
Bien qu’il y ait, selon mes informations, prescription en matière pénale et
civile de cet acte de vandalisme, comment l’Etat peut-il se prémunir de tels
agissements ?
4.
Le Conseil d’Etat peut-il cautionner le fait que ledit écrivain puisse se
mettre en avant de la sorte, alors même que les assurés de son institution
d’intérêt public, l’ECA, ont été lésés ? Je ne le pense pas, et parce que les
autorités judiciaires ne peuvent plus rien faire, que peut faire l’autorité
exécutive de notre Canton ?
5.
La société vaudoise peut-elle se laisser séduire par le repentir d’un
« terroriste du dimanche » même s’il l’aurait fait par amour ?
–3–
6.
Le Conseil d’Etat est-il en mesure de minimiser le risque que ce cas
d’école ne devienne pas un exemple pour d’autre terroriste plus ou moins
romantique ?
7.
Sur l’honneur de l’auteur, le Conseil d’Etat peut-il s’engager à négocier
une participation sur les recettes des ventes de son livre de manière à
combler toute ou partie du préjudice porté aux assurés ECA vaudois ?
Réponse du Conseil d’Etat
A.
Considérations générales
L’interpellation, développée le 21 mars 2006 devant le Grand Conseil, a pour
origine les « aveux » indirects du romancier Daniel de Roulet qui laisse
entendre dans son dernier ouvrage paru début 2006 qu’il est l’auteur principal
de l’incendie criminel ayant conduit, en 1975, à la destruction totale du chalet
du magnat de la presse allemande Axel Springer, à Rougemont.
Sachant que l’ECA, assureur du chalet de M. Springer contre l’incendie, a été
amené à verser une indemnité conséquente, plusieurs questions de
l’interpellateur concernent les possibilités de réparation du préjudice subi par
les assurés de l’ECA.
Le Conseil d’Etat relève que ces questions vont bien au-delà du fait de savoir si
les « aveux » de l’auteur sont véridiques ou complets et prend note de l’objectif
poursuivi par M. Bonjour, à savoir : « éviter qu’un précédent fâcheux ne se
reproduise ». Il répond aux 7 questions posées, tout en admettant, pour deux
d’entre elles, que seules des réponses éminemment subjectives pourraient être
données.
B.
Réponses aux questions posées par l’interpellateur
1) Quel a été le coût pour l’ECA du sinistre de l’incendie de 1975 ? Le
règlement de ce sinistre ayant eu des conséquences sur les primes des
assurés ECA vaudois.
L’indemnité versée en 1976 par l’ECA à M. Axel Springer a été de
Fr. 540'000. – . Cette indemnité ne représente pas le 100 % de la valeur
d’assurance car M. Springer a décidé, à l’époque, de ne pas reconstruire son
chalet.
–4–
2) Quel aurait été ce coût à ce jour en tenant compte de l’augmentation du
coût de la vie et de son indice ? Ceci afin que M. de Roulet puisse se rendre
compte du préjudice moral engendré.
Si cette même indemnité était versée en 2006, le versement tel que calculé
par l’ECA serait de Fr. 913’348. –.
3) Bien qu’il y ait, selon mes informations, prescription en matière pénale et
civile de cet acte de vandalisme, comment l’Etat peut-il se prémunir de tels
agissements ?
Les faits peuvent apparemment être qualifiés d’incendie intentionnel, qui
est un crime puni par l’article 221 du Code pénal suisse (ci-après : CP).
Dans sa teneur actuelle, l’article 70 CP prévoit que les crimes se prescrivent
en règle générale au bout de quinze ans (art. 70 CP). En l’espèce, l’action
pénale est donc prescrite. On rappellera ici que la prescription pénale
répond à un but de sécurité de droit : au-delà d’un certain temps, les faits
sont plus difficiles à établir, l’intérêt public à punir s’estompe et la peine
n’aurait plus d’effet sur le délinquant. L’Etat ne peut donc entreprendre
aucune démarche sur le plan pénal.
Selon l’article 66 de la loi du 17 novembre 1952 concernant l’assurance des
bâtiments et du mobilier contre l’incendie et les éléments naturels (LAIEN,
RSV 963.41), les prétentions que l’ayant droit peut avoir contre des tiers en
raison d’actes illicites passent à l’ECA jusqu’à concurrence de l’indemnité
payée. Cette prétention civile est également prescrite : selon l’article 60,
alinéa 2 du Code des obligations, le délai de prescription pénale s’applique
dans un tel cas à la prescription de l’action en dommages et intérêts pour
acte illicite. La prescription s’opposerait donc à une éventuelle action de
l’ECA sur le plan civil. Il appartient toutefois à l’Etablissement cantonal
d’assurance de décider librement s’il entend ou non agir. On rappellera que
la prescription civile a une nature différente de la prescription pénale : la
prescription pénale exclut toute action de l’Etat à l’égard de l’auteur ; la
prescription civile paralyse le droit du créancier mais elle ne fait pas
disparaître la dette du débiteur. Ainsi, le paiement d’une dette prescrite est
valable et ne donne pas lieu à répétition (art. 63 CO).
–5–
Dans la mesure où il est impossible de les prévoir, le Conseil d’Etat n’est
pas en mesure de se prémunir contre des agissements tels que celui
reproché à M. de Roulet.
4) Le Conseil d’Etat peut-il cautionner le fait que ledit écrivain puisse se
mettre en avant de la sorte, alors même que les assurés de son institution
d’intérêt public, l’ECA, ont été lésés ? Je ne le pense pas, et parce que les
autorités judiciaires ne peuvent plus rien faire, que peut faire l’autorité
exécutive de notre Canton ?
Comme les autorités judiciaires, l’autorité exécutive doit appliquer les
règles de droit : le Conseil d’Etat ne peut donc rien entreprendre. Par
ailleurs, il n’appartient pas au Conseil d’Etat d’émettre un quelconque
jugement moral sur les écrits de M. de Roulet.
5) La société vaudoise peut-elle se laisser séduire par le repentir d’un
« terroriste du dimanche » même s’il l’aurait fait par amour ?
Le Conseil d’Etat, faute de disposer des outils qui lui permettraient de
connaître en profondeur l’âme des citoyennes et citoyens, ne souhaite pas
lancer le débat pour connaître le degré de séduction que peut revêtir le
repentir d’un « terroriste du dimanche ». Il ne s’estime donc pas en mesure
de répondre valablement à la question de l’interpellateur.
6) Le Conseil d’Etat est-il en mesure de minimiser le risque que ce cas d’école
ne devienne pas un exemple pour d’autre terroriste plus ou moins
romantique ?
L’affaire concernant M. de Roulet est exceptionnelle. Le Conseil d’Etat
n’ayant pas connaissance de cas similaires survenus dans un passé
raisonnable, il ne souhaite pas spéculer pour savoir si le « romantisme » de
M. de Roulet fera école ou non, tout en relevant qu’il est impossible à
quiconque d’évaluer et de quantifier un tel risque !
–6–
7) Sur l’honneur de l’auteur, le Conseil d’Etat peut-il s’engager à négocier
une participation sur les recettes des ventes de son livre de manière à
combler tout ou partie du préjudice porté aux assurés ECA vaudois ?
Comme exposé plus haut, il appartient exclusivement à l’ECA, du fait de
son autonomie garantie par la loi, de se prononcer sur l’opportunité de faire
valoir d’une quelconque manière les droits atteints par la prescription en
paiement de dommages et intérêts.
Le Conseil d’Etat a été informé que l’ECA a engagé des négociations avec
M. de Roulet afin d’examiner dans quelle mesure celui-ci est prêt à
rembourser au moins partiellement sa dette à l’égard de l’Etablissement, par
exemple en restituant une partie des droits d’auteur qu’il perçoit sur cet
ouvrage.
En conclusion le Conseil d’Etat informe le Grand Conseil comme suit :
1. la Direction générale de l’ECA a approché M. Daniel de Roulet dans le
sens évoqué par l’interpellateur ; des pourparlers ont eu lieu dans le but
d’aboutir à un accord à bien plaire.
2. A l’issue de ces contacts, M. de Roulet s’est déclaré d’accord sur le
principe d’abandonner tout ou partie du produit de ses droits d’auteur à
venir sur le livre qu’il a consacré à son geste,
3. C’est à fin 2007 au plus tôt que ces droits d’auteur pourront être estimés et
ce n’est donc qu’en 2008 que sera éventuellement connu le montant que M.
de Roulet pourra effectivement verser.
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