L`exercice du droit de préemption par le preneur en place

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L`exercice du droit de préemption par le preneur en place
Axe 2 – Fiche 9 :
L’exercice du droit de préemption par le preneur en place : agir sur la
durée d’exploitation du bien loué pour lutter contre les baux de
complaisance.
1 – Etat du droit en vigueur (texte et jurisprudence). – L'article L. 143!6 du code rural et de la pêche
maritime dispose, dans son second alinéa, que le droit de préemption de la Safer « ne peut s'exercer
contre le preneur en place, son conjoint ou son descendant régulièrement subrogé dans les conditions
prévues à l'article L. 412!5 que si ce preneur exploite le bien concerné depuis moins de trois ans. Pour
l'application du présent alinéa, la condition de durée d'exploitation exigée du preneur peut avoir été
remplie par son conjoint ou par un ascendant de lui!même ou de son conjoint. ».
La Cour de cassation a jugé (Cass. 3ème civ., 14 nov. 2007, n° 06!19.633) que « la soumission volontaire
au statut du fermage ne peut faire échec au droit de préemption d'ordre public de la Safer » mis au
service de la mission d'intérêt général dont cette société est légalement investie. Elle a également
précisé que l’article L. 143!6 précité « ne peut s'appliquer qu'au profit d'un preneur en place
remplissant les conditions prévues par l'article L. 412!5 du même code » (Cass. 3ème civ., 13 juill. 2011,
n° 10!19.734). Autrement dit, seul le locataire titulaire du droit de préemption est en droit de faire
obstacle à la préemption de la Safer. Le preneur, serait!il en place depuis plus de trois ans, ne peut
faire obstacle à l'exercice par la Safer de son droit de préemption que s'il en est lui!même titulaire.
L’exploitant preneur en place qui entend user de son droit de préemption doit satisfaire à trois
conditions :
- il doit avoir exercé, pendant trois ans au moins, la profession agricole ;
- il doit avoir exploité effectivement par lui!même ou par sa famille le bien vendu ;
- il ne doit pas posséder déjà une exploitation d’une certaine étendue (trois fois la surface
minimum d’installation prévu dans le département où se trouve le bien vendu).
Précisons qu’en application de l’article L. 412!12 du code rural et de la pêche maritime, le preneur qui
exerce le droit de préemption doit demeurer propriétaire des biens préemptés et les exploiter à titre
personnel, de manière effective et permanente, pendant neuf ans au moins, à peine de dommages!
intérêts.
On soulignera, enfin, que les fermiers qui acquièrent à titre onéreux tout ou partie des biens qu’ils
tiennent à bail bénéficient d’un régime fiscal de faveur (V. article 1594 F quinquies du code général
des impôts) dès lors que les immeubles sont au jour de l'acquisition exploités depuis au moins deux
ans.
2 – Constats. – Les statistiques quantitatives (V. JCl. Rural, Safer, fasc. 10) sur les acquisitions par les
preneurs en place sont impressionnantes : ils appréhendent pratiquement le tiers du "marché
purement agricole de biens acquis en vue de leur exploitation".
On sait que le droit de préemption de la Safer n'est pas toujours apprécié. Il risque en effet de
contrarier les vœux d'un propriétaire foncier qui aurait choisi son acquéreur et qui craint que celui!ci
soit évincé par décision de la Safer. Sont donc intervenus les montages alliant vente et bail fictif ou de
complaisance. Ces montages, qui revêtent différentes formes (compromis de vente, promesse d’achat
autonome ou même inclusion d’une clause spécifique dans le bail), consistant à faire précéder la
vente d'un tel bail est aussi vieux que la Safer. Toute la stratégie frauduleuse de l’opération tourne
autour de l’existence d’une location, d’une durée minimum de trois années, au profit d’un exploitant
qui aurait toute l’apparence d’un véritable preneur en place.
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Dans certains cas, le montage "bail!vente" peut être déjoué par la Safer pour peu qu'elle ait la preuve,
par exemple au regard d'une promesse, de la volonté de vendre dès la conclusion du bail prétendu.
Depuis quelques années, la jurisprudence s'efforce d'endiguer le recours aux baux fictifs (E.
Lemonnier, Quelques dangers des baux de complaisance : RD rur. Janv. 1997, n° 249, p. 21). La Cour
de cassation a, en effet, reconnu aux juges du fond le pouvoir d'apprécier souverainement “l'existence
d'une fraude organisée à l'avance tendant par la conclusion d'un bail que les parties n'avaient pas
l'intention d'exécuter, à faire échec à la préemption de la Safer” (Cass. 3ème civ., 29 mars 1995, n° 95!
11.740 : RD rur. 1995, p. 408). Chaque fois qu'une vente est assortie d'une location, dont il est
vraisemblable que l'unique fonction est d'annihiler l'exercice du droit de préemption, les juges
restituent à l'opération sa véritable qualification (vente) et réputent le bail inopposable à la Safer.
Le seul véritable moyen d'échapper à cette inopposabilité et, partant, d’entraver l’exercice du droit de
préemption de la Safer, est de réaliser une opération régulière avec la conclusion d'un véritable bail
rural au départ et un paiement régulier des fermages ; ce n'est qu'après l'écoulement du délai de trois
ans que le propriétaire!bailleur pourra légalement vendre le bien loué à son preneur à la condition
que celui!ci soit toujours d'accord pour l'acheter (arroseur!arrosé : en effet, le risque étant pour le
propriétaire de voir le locataire se dérober trois années plus tard, arguant de motifs divers :
difficultés, financement, etc.).
3 – Dispositif proposé. – Il tend à allonger la durée d’exploitation du bien loué (6 ans au lieu de 3)
dans le but d'éviter la conclusion de baux de complaisance n'ayant pour seul objet que de contourner
le droit de préemption des Safer.
Proposition. A la lumière du constat ainsi établi, il pourrait être envisagé de modifier la
première phrase du second alinéa de l’article L. 143!6 du code rural et de la pêche maritime en
remplaçant le mot « trois » par le mot « six ».
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