La voix singulière - copie - COLLÈGE TALMUDIQUE FRANÇAIS

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La voix singulière - copie - COLLÈGE TALMUDIQUE FRANÇAIS
ENTENDRE LA VOIX SINGULIÈRE D’ISRAËL
Récit d’une démarche
Jean-Claude Baboulin
6/07/2012 – 26/03/2014
1 « Te souviens-tu de ce jour où Hachem a parlé aux hommes ? L’homme crie,
hurle, implore, se cache dans des grottes, se recroqueville au fond des
fossés. Il fait tout pour lui échapper. Mais Hachem s’est fiché dans son
cœur comme un poignard (1) »
Zvi Kolitz, « Yossel Rakover s’adresse à Dieu »
Calmann-Lévy 1998
1 -­‐ Hachem : « le Nom ». Cette expression est employée par les Juifs en lieu et place du
tétragramme, qu’ils n’ont pas le droit de prononcer.
2 ENTENDRE LA VOIX SINGULIÈRE D’ISRAËL
Récit d’une démarche
PARCOURS DE VIE ............................................................................................................... 4 I. 1990/1991 : L’ETAT D’ISRAËL ...................................................................................... 7 1) L’Irak et la guerre du Golfe ................................................................................................................... 7 2) Questions sur le nom d’Israël ............................................................................................................. 8 II. 1993/1995 : LA SHOAH ................................................................................................ 9 1) Une rupture politique qui ouvre de nouveaux champs ........................................................... 9 2) Le film de Lanzmann et le voyage à Auschwitz ........................................................................ 11 III. 2003/2005 : LES JUIFS ET L’HISTOIRE .......................................................... 13 1) D’un voyage en Egypte à l’histoire des Juifs .............................................................................. 13 2) L’Histoire Sainte versus Hegel ......................................................................................................... 15 IV. 1973/2003 : BENNY LÉVY, D’UNE RADICALITÉ À L’AUTRE .......................... 17 V. 2003-2013 : DU NOA’HISME À LA GUÉROUT ...................................................... 20 1) Le noa’hisme « mi Sinaï » ................................................................................................................... 20 2) Faire guérout ........................................................................................................................................... 21 ÉPILOGUE EN FORME DE COMMENCEMENT ............................................................ 22 3 PARCOURS DE VIE Rien, absolument rien, ne me prédisposait à entendre le nom d’Israël (2) et à être
affecté dans mon existence par cette interpellation.
Ma famille et mon éducation ont été catholiques (baptême, catéchisme,
communion, enfant de chœur, scout). A 17 ans, en 1963, ma révolte contre
l’hypocrisie chrétienne (qui n’est pas affaire d’individus mais de doctrine) a été
accueillie par la révolution politique, comme ce fut le cas pour de nombreux
jeunes de ma génération, à la sortie de la guerre d’Algérie. J’ai adhéré au PCF et
j’ai
milité
activement
dans
ses
organisations
périphériques
(Jeunesses
Communistes, Etudiants Communistes, UNEF, organismes socioculturels divers).
Le passage par la Khâgne (Lettres Supérieures, à Grenoble) m’a rallié aux
interprétations d’Althusser sur le marxisme et aux thèses « marxistesléninistes » (prochinoises) du Cercle de l’Ecole Normale Supérieure d’Ulm,
d’abord à l’UEC (Union des Etudiants Communistes) puis à l’UJCML (Union des
Jeunesses Communistes Marxistes-Léninistes). Mai 68 et ses suites m’ont amené
à m’engager, toujours aussi activement, dans les rangs de la Gauche
Prolétarienne (3) à Lyon : actions de « partisans », établissement en usines, semiclandestinité, arrestations multiples… L’aventure s’est terminée fin 1973, quand
la GP a été auto-dissoute par Benny Lévy et Olivier Rolin, conscients des risques
de dérive terroriste qu’impliquait notre stratégie (4).
2 -­‐ J’entends par « Israël » le nom du peuple de la Torah, le nom donné à Jacob (Béréchit 32,29)
et à sa descendance (les bné Israël). Sinon je nomme « l’Etat d’Israël ».
3 -­‐ La Gauche Prolétarienne (GP), organisation maoïste dirigée par Benny Lévy, issue de la fusion
de l’UJCML et du Mouvement du 22 Mars « anti-autoritaire ».
4 -­‐ Le livre fondateur de la stratégie de la Gauche Prolétarienne s’intitulait « Vers la guerre
civile », sous la signature d’Alain Geismar, Serge July et Erlyne Morane (Editions et Publications
Premières, 1969).
4 Je suis sorti du projet révolutionnaire par la voie de la « révolution libidinale »
prônée par Deleuze, Guattari, le CERFI (5), et quelques restes soixante-huitards
anarcho-maoïstes comme VLR (Vive La Révolution). Ces références étaient
complétées d’une forte dose de Georges Bataille, dont la vision tragique de
l’érotisme me convenait mieux que l’exaltation postmoderne de la « libération ».
L’enjeu existentiel ayant toujours été, pour moi, inséparable des prises de
positions intellectuelles, je suis devenu un acteur enthousiaste de l’ainsi nommée
« révolution sexuelle », et cela pendant 25 ans : aussi bien dans ma vie privée
(dans son émission « Droit de réponse » sur TF1, Michel Polac en 1983 m’a
baptisé « le pervers polymorphe » !) qu’au travers de quelques manifestations
publiques (radio, télévision, cinéma, photos, bandes dessinées, articles, etc.). Sur
ces deux plans, privé et public, de ce que j’appellerai mon « érotomanie », j’ai fais
l’expérience directe, personnellement vécue, du retournement de la posture
contestataire et marginale en nouveau conformisme de la culture dominante et
marchande, retournement qui a eu lieu dans les années 90 (6).
Parallèlement, doté d’une Maîtrise de Philosophie tout à fait inutile sur le plan
professionnel, je me suis lancé dans la carrière médiatique (sociologie des
médias, production audiovisuelle, nouvelles technologies, management de chaines
câblées, conseil et consulting, publications). Travailler dans ce secteur a pu
donner l’illusion à certains anciens révolutionnaires d’être restés du côté de ceux
qui « éclairent le peuple », à la façon d’une avant-garde.
Sur le plan politique, le contexte de la fin des années 70 et le milieu médiatique
dans lequel j’évoluais ont favorisé mon engagement actif dans le socialisme
5 -­‐ Lieu de réflexion théorique sur l’idéologie libertaire post-soixantehuitarde.
6 -­‐ J’ai publié le 18/10/2009, sur le blog « Tendances SM » de Mona Samoun, un texte qui
explique les raisons de la distance que j’ai prise, à la fin des années 90, avec « la scène érotique »
parisienne.
5 moderniste représenté par Michel Rocard. J’ai alors participé à de multiples
commissions et clubs de réflexion chargés de conseiller l’adversaire malheureux
de Mitterrand, qui fut Premier Ministre pendant quelques années (1988-1991).
J’ai totalement rompu avec la gauche au milieu des années 90 (7). Pendant une
dizaine d’années j’ai ensuite défendu, de façon convaincue mais sans adhérer à
aucune organisation, l’idéologie libérale. Après le messianisme communiste, le
messianisme démocratique ! J’ai rédigé des notes de réflexion pour un « think
tank » néoconservateur américain et des articles pour des médias sionistes
franco-israéliens. J’ai soutenu la candidature de Nicolas Sarkozy en 2007 en
participant aux activités internet de son dispositif de campagne.
Je n’ai jamais connu dans mon entourage proche de Juif se réclamant de la
Torah. Je n’ai jamais connu aucun survivant de la Shoah. Jusqu’à mon tournant
« droitier » au milieu des années 90, j’avais toujours été pro-palestinien. J’ai été
marié pendant 25 ans avec une femme d’origine kabyle, non musulmane, jusqu’à
son décès en 2007.
Donc rien, absolument rien, ne me prédisposait à entendre le nom d’Israël, et à
être affecté dans mon existence par cette interpellation.
Bonne raison pour tenter de rendre compte de cette interpellation, et des
étapes successives de cet itinéraire. Et bonne occasion pour répondre à tous
ceux qui me demandent : « Mais comment en es-tu arrivé là ? ».
7 -­‐ Voir plus loin le chapitre II.1
6 I. 1990/1991 : L’ETAT D’ISRAËL 1) L’Irak et la guerre du Golfe La guerre du Golfe, en 1990-1991, a opposé l’Occident et ses alliés arabes à
l’Irak de Saddam Hussein, lequel avait envahi le Koweït pour s’emparer de ses
richesses pétrolières. Dans ce conflit, j’ai soutenu l’intervention occidentale (à
l’époque j’étais socialiste rocardien) contre la « gauche de gauche » fidèle à son
réflexe génétique « anti-impérialiste » (8). Pour tenter de se sortir de son
isolement dans le monde arabe, le régime de Saddam Hussein a d’une part
effectué un virage plus ou moins islamiste (alors qu’il se caractérisait jusque là
par son nationalisme laïc), et d’autre part a attaqué militairement l’Etat d’Israël
(envoi de missiles Scud sur les villes israéliennes).
De là je me suis posé la question de la nature du conflit israélo-arabe. J’avais
toujours été pro-palestinien (héritage gauchiste), mais ce conflit n’était pas
directement en cause en 1990 : aucune agression mutuelle entre Israël et ses
voisins, l’Etat hébreu se cantonnant à une stricte neutralité. Pourquoi, dans un
conflit qui ne concernait pas Israël, ce pays était-il attaqué par l’Irak ? Et
pourquoi cette stratégie était-elle supposée, aux yeux des Irakiens, pouvoir
fédérer autour d’eux le monde arabo-musulman et la gauche anti-impérialiste ?
J’observais également que les Palestiniens (l’OLP de Yasser Arafat) étaient les
seuls dans le monde arabe à réagir positivement à la stratégie irakienne (ils ont
applaudi aux bombardements d’Israël).
8 -­‐ L’alliance « anti-impérialiste » réunissait l’extrême gauche, le PCF, la gauche du PS
(Chevènement, Régis Debray, etc.), et la droite gaulliste.
7 2) Questions sur le nom d’Israël Je me suis alors senti interrogé par le nom d’Israël en tant que nom juif. Jusque
là en effet, la question était pour moi d’ordre strictement politique, dans la
problématique traditionnelle de la gauche : la lutte entre un Etat « colonial » et
un peuple qui combat pour sa libération. Je n’avais jamais cherché à en savoir
plus, à interroger cette vulgate, à approfondir cette question sur les plans
historique et intellectuel. Or, pendant la guerre du Golfe, le déplacement d’enjeu
a révélé une autre réalité : on n’était plus du tout dans le cadre d’une guerre qui
opposerait un « peuple en lutte » et son « oppresseur », mais dans l’opposition
entre un Etat juif et le monde musulman (9).
Comment ne pas s’interroger également sur les raisons qui font converger sur
l’Etat d’Israël non seulement la critique systématique (déjà suspecte en ellemême) mais une haine consensuelle, venues toutes les deux des milieux
progressistes du monde entier ? Comment expliquer les passions négatives que
mobilise le conflit israélo-arabe, activées par les intellectuels, les médias et les
opinions publiques, alors qu’il existe dans le monde tant de raisons de
« s’indigner » bien plus importantes ? (10)
A ce moment-là, j’étais loin de maîtriser toutes les données de l’affaire. Mais j’ai
commencé à lire, à étudier, à m’interroger : Que veut dire « Etat juif » ? Qu’estce que le sionisme ? Les Juifs ont-ils, en tant que tels, droit à un Etat ? Quelle
est la nature de cet Etat : est-il religieux ? est-il démocratique ? Toutes ces
questions, je le devinais déjà à l’époque, en appellent une autre, plus
fondamentale : qu’est-ce que « les Juifs » ? Mais je n’avais alors rien dans mon
9 -­‐ Daniel Sibony a écrit sur cette problématique plusieurs livres éclairants.
10 -­‐ L’opuscule de Stéphane Hessel, « Indignez-vous ! », publié en décembre 2010 et devenu
rapidement un bestseller, est le symptôme du caractère irrationnel, sinon pathologique, de
l’antisionisme progressiste.
8 bagage
intellectuel
me
permettant
d’avancer
sur
le
terrain
de
cette
interrogation. Une chose cependant m’apparaissait déjà clairement : ce que
visent les ennemis de l’Etat d’Israël, ce n’est pas la politique de l’Etat, mais son
nom. C’est ce nom – ce qu’il signifie, ce qu’il implique – qui leur est insupportable.
II. 1993/1995 : LA SHOAH 1) Une rupture politique qui ouvre de nouveaux champs En 1994, le processus de mon éloignement de la gauche était presqu’achevé.
- La mise à l’écart de Michel Rocard par Mitterrand signait en quelque sorte
l’échec de la voie sociale-libérale dans la gauche française. Rocard s’est alors
retiré au Parlement Européen, les rocardiens se sont ralliés à Jospin. En 2002
Delors a refusé de céder aux appels qui lui étaient lancés pour se présenter à
l’élection présidentielle (11).
- A gauche (y compris à l’intérieur du PS), les contradictions à propos des
guerres de Yougoslavie (Croatie, Bosnie, et un peu plus tard le Kosovo)
reproduisaient celles qui s’étaient déjà manifestées à l’occasion de la guerre du
Golfe, entre la gauche de gauche (avec la complicité retorde de Mitterrand) et la
gauche rocardienne.
Alors que j’étais concrètement engagé dans le militantisme socialiste depuis
1977, j’ai démissionné du PS en juin 1994. Fin 1995, la « grande grève » de
décembre contre les réformes sociales du gouvernement Juppé a confirmé la
profondeur du blocage, à gauche, contre toute modernisation de la société
politique et économique. Le PS était enfermé dans ses contradictions entre
l’héritage historique de la gauche française (l’idéologie anti-impérialiste et
anticapitaliste) et les accommodements avec ce que le capitalisme français a de
11 -­‐ Je ne parle même pas ici du destin, plus tardif mais pathétique, de DSK.
9 pire (12). Ces contradictions ont été la marque du règne de Mitterrand. Mon
« centre de gravité » politique s’est alors déplacé vers la droite libérale (Alain
Madelin, les néoconservateurs américains, puis Sarkozy), qui devenait porteuse, à
mes yeux et à cette époque, du messianisme démocratique (13).
Il n’y a pas de rapport explicite entre mon évolution politique et ma
« rencontre » avec l’événement de la Shoah. Mais je pense aujourd’hui que cette
évolution politique a libéré la possibilité de cette rencontre, sur le plan
intellectuel. J’ai rapidement été frappé, en effet, par le fait que, ayant
quasiment toujours été de gauche, je n’avais jamais entendu parler sérieusement
de la Shoah. Non pas comme fait historique, que je connaissais comme tout le
monde, mais comme question, comme objet de réflexion, d’analyse, d’étude. Cet
événement était l’affaire des seuls historiens professionnels. Pour ce qui est de
tout un chacun – y compris militants de gauche – il suffisait d’un petit rappel
factuel (les 6 millions assassinés) et d’une dose raisonnable de bons sentiments
(« Plus jamais ça ! »). L’idée règne en effet, à gauche, que la Shoah ne pose pas
de questions spécifiques. Ses causes et ses conséquences, son sens, sont réputés
parfaitement connus. Il existe une « boîte à outils » de concepts bien rôdés pour
évacuer tout questionnement : le racisme (une maladie particulière du
capitalisme), la théorie du « bouc émissaire » (détourner le peuple des « vrais
problèmes » : l’exploitation, la guerre), le rappel des méfaits de l’antisémitisme
catholique (Pie XII) et d’extrême droite (Dumont, Barrès). Tout cela fait un
paquet cohérent, bouclé sur lui-même, qui rend inutile toute question autre que
d’érudition historique.
Contribuent à cette forclusion d’une part le long silence des survivants après la
Libération, qui n’a été levé timidement qu’après le procès Eichmann (1961) et la
12 -­‐ Bernard Tapie est le nom propre de cette stratégie d’accommodements.
13 -­‐ Francis Fukuyama : « La fin de l’Histoire et le dernier homme ».
10 Guerre des Six Jours (1967) ; et d’autre part la totale intégration de nombreux
Juifs intellectuels dans le projet révolutionnaire, dès 1917 et jusqu’en Mai 68,
avec pour conséquence l’oubli par eux-mêmes de leur nom juif. Aucun d’eux, à
cette époque, ne se présentait comme Juif, aucun d’eux ne disait le moindre mot
sur son statut d’enfant de survivants. L’antisionisme, largement partagé à
l’extrême gauche, a renforcé bien sûr l’effet de forclusion (14).
2) Le film de Lanzmann et le voyage à Auschwitz Comment ai-je pris la décision, courant 1993, de visionner les 9 heures du film de
Claude Lanzmann, je n’en sais plus rien. Toujours est-il que j’ai regardé ce film,
et qu’aussitôt le gouffre sans fond d’une question s’est ouvert sous mes pieds.
Sachant ce qu’est le film de Lanzmann, on ne pourra pas dire que j’ai été
« bouleversé » ou « ému » par des images d’horreur, puisqu’il n’en comporte
strictement aucune ! Ce qui m’a littéralement mis en arrêt (comme si mon
existence s’arrêtait) au visionnage de ce film, ce sont les séquences qui me
renvoyaient au silence entourant, dans ma culture intellectuelle et politique, le
fait de la Shoah. Ces séquences annoncent le thème de l’indicible, dont on a pu
reprocher à Lanzmann de faire un usage abusif. Séquences dans lesquelles les
témoins cessent de parler : « Non, je ne peux pas dire, je ne peux pas
raconter ». En exhibant cet indicible à l’image, Lanzmann élargit son sens originel
(l’indicible des horreurs vues et vécues) au sens même de l’événement. Il met en
abîme le silence qui enveloppe pieusement la Shoah, et force à l’interroger. Ma
question a été immédiate : Quel est cet indicible ? Quel est ce trou noir d’un
événement quasi contemporain (je suis né 5 jours après l’arrestation en
14 -­‐ Il a fallu attendre l’heure des bilans pour que les observateurs s’avisent (par hasard ?) du
fait que le nom juif était plus que présent dans le mouvement gauchiste. Cf. Yaïr Auron : « Les
Juifs d’extrême gauche en Mai 68 » (Albin Michel 1998), JC Milner : « L’arrogance du présent »
(Grasset 2009).
11 Allemagne de Rüdolf Hoss, le principal chef du camp d’Auschwitz), connu de tous
et restant cependant énigmatique ?
La suite découle logiquement de ce saisissement. D’emblée j’ai récusé la fausse
évidence des explications politico-historiques que je connaissais fort bien.
Aucune ne me semblait à la hauteur de l’enjeu, aucune n’était en mesure de
rendre compte de ce que je percevais comme une singularité échappant à la
rationalité objectiviste. Je n’ai lu, pendant les deux années suivantes, que très
peu de livres historiques ou savants sur la Shoah, lesquels ne pouvaient être que
réducteurs par rapport à la question du sens. En revanche, j’ai lu plusieurs
dizaines de livres de témoignages, de récits vécus, de biographies, rédigés par
ceux-là mêmes qui avaient approché le trou noir. Des histoires, des visages, des
lieux, se sont gravés dans ma tête, en ayant toujours cette phrase à l’esprit :
« Celui qui est entré à Auschwitz n’en sortira jamais. Celui qui n’est pas entré à
Auschwitz n’y entrera jamais » (Jacques Stroumsa).
Le voyage à Auschwitz s’est imposé à moi comme une nécessité évidente. Début
octobre 1994, exactement 50 ans après la révolte du Sonderkommando des
chambres à gaz de Birkenau : un voyage de quatre jours, tandis que les touristes
que j’observais sur place « faisaient Auschwitz » (comme on « fait » la Tour
Eiffel) au pas de charge. C’est que, habité comme je l’étais de récits et de
visages, chaque espace du camp était pour moi un lieu présent, sur lequel je
pouvais mettre des faits précis et des noms propres.
Revenu de ce voyage, j’ai écris un Journal qui se termine par ces mots : « En
rentrant vers Cracovie en voiture, je me sens serein. J'ai fais ce que je devais
faire. Ce voyage, je devais le faire. Je devais honorer la mémoire de ces gens,
leurs souffrances, leur martyr. Ce que je ne sais toujours pas : POURQUOI ? ».
Je suis resté 10 ans sans être capable de répondre à cette question.
12 Je sais aujourd’hui que « honorer » se dit en hébreu : donner du kavod, c’est-àdire donner du poids, de la consistance à quelque chose. Non pas s’incliner
pieusement devant ce qu’on honore, mais lui donner le poids d’un sens, d’une
valeur (15).
Ce n’est que plusieurs années plus tard que je parviendrai à mettre des mots, des
explications, du sens, sur l’événement de la Shoah, grâce à l’étude juive, grâce
aussi aux analyses de Benny Lévy (« Etre Juif », Verdier 2003) et de JeanClaude Milner (« Les penchants criminels de l’Europe démocratique », Verdier
2003). Ce n’est pas le lieu ici de prendre le risque, absurde, de résumer les
thèses de ces deux livres. Disons seulement qu’ils mettent sur la piste de ce qui
s’est joué dans la Shoah, loin des analyses politico-historiennes comme de la
déploration culpabilisée et compassionnelle. L’enjeu dans cette affaire fut
éminemment métaphysique, de la même façon que sont métaphysiques, dans la
Torah, l’esclavage en Egypte et Pessa’h, le récit d’Esther et Pourim, la guerre des
Macchabées et ‘Hanouka. Dans l’événement de la Shoah, c’est le déploiement
européen de l’Esprit qui s’est fracassé sur le mur du réel juif.
III. 2003/2005 : LES JUIFS ET L’HISTOIRE 1) D’un voyage en Egypte à l’histoire des Juifs L’une de mes filles avait en classe de 6ème l’histoire de l’Egypte antique à son
programme. Au printemps 2003, je l’ai emmenée pour un voyage de deux
semaines dans les hauts lieux de cette histoire : Pyramides, Louxor, Vallée des
Rois, Abou Simbel, etc. Pour jouer mon rôle de père éducateur, j’ai étudié avant
15 -­‐ Ce que, disons-le au passage, la thèse de « l’indicible » érigée en absolu par Lanzmann ne
permet pas de faire. Avec cette thèse, Lanzmann réussit à déconstruire la rationalité
objectiviste qui prétend rendre compte de la Shoah, mais il bloque l’accès au kavod, au sens.
13 de partir les 3000 ans de l’ancienne Egypte, au moins pour ne pas dater les
Pyramides du règne de Cléopâtre et pour savoir dans quel ordre chronologique
s’enchaînent les différents empires ! Au célèbre Musée des Antiquités du Caire,
notre guide nous a présenté la stèle de Méneptah, sur laquelle se lit la première
occurrence connue du nom « Israël » (13ème siècle avant notre ère). J’ai conclu
ceci de la stèle : « les Juifs » ne sont pas seulement ceux de l’Etat d’Israël et
les victimes de la Shoah, c’est une réalité historique de presque 3500 ans.
Rentré à Paris, j’ai voulu en savoir plus sur cette réalité juive. Pour moi
jusqu’alors, la Bible (chrétienne) était une sorte de fantaisie religieuse enseignée
au catéchisme par les Pères curés et quelques dames dévouées, pleine de
miracles et de leçons de morale qui faisaient sourire mon adolescence. Cette fois
je découvrais que la Bible, pour être Sainte, a aussi partie liée à l’histoire réelle.
Ce n’est que plus tard que je m’interrogerai sur cet étrange rapprochement
entre l’Histoire et la Sainteté.
Ma connaissance de l’histoire antique était réduite à mes souvenirs de Khâgne
(Périclès et Tacite, en langue originale). J’ai même cru, pendant quelques mois,
qu’il n’existait aucune « histoire des Juifs », et que de m’y atteler allait faire de
moi un pionnier ! J’ai vite été démenti par les bibliographies, mais cette illusion
m’a permis d’écrire ma propre histoire des Juifs « des origines à nos jours », que
j’ai intitulée Le peuple de l’autre rive : 140 pages, avec mise en miroir d’un
tableau chronologique et de commentaires à la fois diachroniques (enchaînement
des séquences historiques) et synchroniques (relations entre les Juifs et leur
environnement politique et culturel). On imagine la somme de lectures et de
réflexions que suppose ce travail, pour un non historien de profession. On
imagine aussi la somme de découvertes, d’étonnements, de points obscurs qui
14 s’éclairent grâce à la mise en perspective des événements, des personnages, des
ouvrages lus. Version finale terminée en 2005 (16).
2) L’Histoire Sainte versus Hegel Ce travail m’a conduit à me poser une question à laquelle je ne m’attendais pas :
faut-il parler d’histoire juive, d’histoire des Juifs, ou des Juifs dans l’Histoire ?
La question ne joue pas avec les mots. Y a-t-il une vision juive de l’Histoire ? La
chronologie juive constitue-t-elle à proprement parler une Histoire, alors que
ceux qui portent ce nom ont toujours été, sauf exceptions (17), soumis à l’histoire
des nations dans lesquelles ils étaient minoritaires ? De quelle nature est la
présence juive dans l’Histoire, si la Torah est « Histoire Sainte » (autrement
dit : présence et manifestation de la Sainteté dans l’Histoire) ? La participation
des Juifs à l’histoire des nations, généralement contrainte, est-elle anecdotique,
contingente, ou bien affecte-t-elle, et dans quelle mesure, ce qu’est
substantiellement le peuple de la Torah ?
Ces questions ne sont pas faciles, et je n’avais pas, au moment où j’écrivais cette
histoire, le point de vue juif me permettant de les traiter.
En 2004 j’ai commencé à participer à plusieurs séminaires, dont je parlerai plus
loin. L’un d’eux portait sur le dialogue de Benny Lévy avec JP Sartre : « L’espoir
maintenant » (Verdier 1991) (18). Livre fondamental pour un ancien « mao »
comme moi, puisqu’il fait passerelle entre l’engagement révolutionnaire des deux
auteurs et la (re)découverte par Benny de son nom juif (sa téshouva, qu’il appelle
aussi son « tournement »). Le dernier chapitre du livre (« Le Juif réel et l’Un »)
16 -­‐ Cette version finale, réactualisée depuis, se trouve sur le site du Collège Talmudique
Français : www.collegetalmudique.com. Elle est utilisée par quelques enseignants dans des écoles
juives.
17 -­‐ Ces exceptions sont les royaumes juifs depuis David (10ème siècle) jusqu’à l’exil à Babylone
(6ème siècle), et le royaume Hasmonéen (2ème et 1er siècles avant èc).
18 -­‐ Ce dialogue date des années 1975-1980. Il a été initialement publié dans le Nouvel
Observateur en 1980, l’année du décès de JP Sartre.
15 m’a mis sur la piste d’un regard original concernant le rapport entre les Juifs et
l’Histoire. Il faudrait développer l’analyse de ce chapitre, mais je cite
seulement :
« Sartre : (…) il fallait penser que l’histoire pouvait être autre chose (que
celle d’une réalité souveraine avec une terre et des rapports avec d’autres
Etats comme elle) si l’on voulait dire qu’il y a une histoire juive. Il fallait
concevoir
l’histoire
juive
non
seulement
comme
l’histoire
d’une
dissémination des Juifs à travers le monde, mais encore comme l’unité de
cette diaspora, l’unité des Juifs dispersés.
Benny : Le Juif, dans sa réalité profonde, peut donc permettre de
décrocher par rapport à la philosophie de l’histoire.
Sartre : Précisément. La philosophie de l’histoire n’est pas la même s’il y a
une histoire juive ou s’il n’y en a pas. Or il y a une histoire juive, c’est
évident.
Benny : Autrement dit, l’histoire que Hegel a installée dans notre paysage
a voulu en finir avec le Juif, et c’est le Juif qui permettra de sortir de
cette histoire qu’a voulu nous imposer Hegel.
Sartre : Absolument, parce que ça prouve qu’il y a une unité réelle des
Juifs dans le temps historique, et cette unité réelle n’est pas due à un
rassemblement sur une terre historique mais à des actes, à des écrits, à
des liens qui ne passent pas par l’idée de patrie (…).
Benny : D’où vient, selon toi, cette unité de la réalité juive ?
Sartre : (…) l’essentiel chez le Juif, c’est que depuis plusieurs milliers
d’années, il a un rapport avec un seul Dieu (…) Ce rapport avec Dieu était,
en plus, très particulier ».
Voilà ce qui manquait à mon regard sur la question « les Juifs et l’Histoire » :
l’histoire des Juifs est dans l’histoire des nations, mais en même temps elle est
16 autre que l’histoire des nations, d’une autre nature. Elle est l’histoire du colloque
singulier entre les Juifs réels et le principe de l’Un qui se transmet et s’étudie
de génération en génération dans les livres de la tradition. Histoire en rupture
avec la vision dialectique et politique (qu’elle soit révolutionnaire, progressiste ou
libérale), développée par Hegel et qui fait office de religion moderne.
IV. 1973/2003 : BENNY LÉVY, D’UNE RADICALITÉ À L’AUTRE Benny Lévy était, sous le pseudonyme de « Pierre Victor », le dirigeant n°1 de la
Gauche Prolétarienne, de mi-Mai 1968 (succession de Robert Linhardt, fondateur
de l’UJCML) à son autodissolution fin 1973. Je l’ai rencontré à quelques reprises
pendant cette période, à l’occasion de séances d’étude politique au cours
desquelles il impressionnait tout le monde par l’acuité et la profondeur de ses
interventions.
On se doute que la dissolution de la GP a laissé un grand vide dépressif chez des
militants qui avaient investi dans l’engagement révolutionnaire bien davantage que
des « opinions ». S’adressant à notre désir de révolution, la GP nous enjoignait :
« Toi, ici, maintenant ». Conception intellectuelle et engagement existentiel
étaient strictement articulés, à la différence du PCF et des groupes gauchistes
dont la stratégie était caractérisée à la fois par l’attentisme (accumuler des
adhérents et des votes en attendant le Grand Soir) et par la projection
fantasmatique dans les révolutions faites « ailleurs » (URSS pour le PCF, pays du
Tiers-Monde pour les groupes gauchistes). Pour la GP, on n’attend pas la
Révolution future, et on n’attend pas des autres qu’ils la fassent à notre place :
on la fait, ici et maintenant.
A partir de 1973, Benny Lévy a engagé un travail de réflexion approfondi sur les
causes de l’échec révolutionnaire, avec Jean-Paul Sartre qui avait activement
soutenu la GP face à la répression pompidolienne. Les deux balises de ce travail
17 de réflexion sont « On a raison de se révolter » (Gallimard 1974) et « L’espoir
maintenant » (1980, Verdier 1991). Après quoi Benny a fait téshouva : il est
« redevenu » Juif, a retrouvé son nom, et commencé à observer les mitsvot
(commandements), tout en poursuivant un travail intellectuel exceptionnel dont
témoignent ses livres ultérieurs. Pour ma part, je suis passé complètement à côté
de ce travail, totalement immergé que j’étais alors dans mes aventures
libidinales, mon militantisme rocardien et ma carrière professionnelle médiatique.
Ce n’est qu’en 2003 que je me suis tourné à nouveau vers le nom de Benny Lévy,
dont l’itinéraire était vaguement parvenu à ma connaissance sous le cliché
journalistique qui fit fortune : « De Mao à Moïse ». J’étais convaincu d’avoir
quelque chose à entendre de celui avec qui j’avais partagé le désir de révolution,
et qui maintenant se trouvait au lieu, juif, de mes questions. Mon élan a été
empêché par le décès de Benny le 15 octobre 2003, alors que je m’apprêtais à
reprendre contact avec lui. La rose et le message que j’ai déposés ce jour-là au
siège des éditions Verdier à Paris témoignaient de mon désarroi. Il allait falloir
que je porte mes interrogations auprès de ceux qui avaient accompagné Benny et
qui, sans aucun doute, allaient poursuivre son travail.
Grâce aux publications de l’Institut d’études lévinassiennes (créé à Jérusalem
par Benny Lévy, Alain Finkielkraut et B-H Lévy), j’ai mis la main sur le texte d’une
intervention prononcée par Benny à l’automne 1978 devant le Cercle Socratique,
qu’il réunissait alors pour qu’un noyau d’anciens maos l’accompagne dans sa
réflexion sur la fin des illusions révolutionnaires. Dans ce texte, qui est du début
à la fin d’une importance capitale, il était dit ceci :
« On confond aujourd’hui l’idée de cette torsion éthique d’une extrême
grandeur (l’établissement des intellectuels révolutionnaires dans les
usines, comparé par Benny à la figure de l’Exode, la sortie d’Egypte), et
puis la forme politique qu’elle a revêtue (…) J’avance comme nouvelle
18 proposition positive qu’être fidèle à la torsion éthique, donc à l’exode, ça
n’a rien à voir avec la nécessaire critique politique à l’égard du marxisme,
de l’idée du prolétariat, etc. Mais si, sous prétexte que l’on a été
faussement messianique en pensant que le prolétariat était une classe
universelle, si sous ce prétexte on dénature le sens de l’exode – oui, à mon
avis, on s’est alors détaché de la fidélité essentielle. Notre expérience
devient inintelligible et l’ère des grands retournements (mais comme on dit
retournements de veste) est ouverte ».
Texte lumineux pour moi, qui m’a permis de faire le lien (25 ans plus tard !) entre
l’expérience de ma jeunesse révolutionnaire et le questionnement auquel
j’aboutissais au début des années 2000 à propos du nom juif. Lien entre l’échec
de la radicalité politique et la nécessaire fidélité à la radicalité en tant que
telle : prendre les choses à la racine. La tradition juive (ici la référence à
l’Exode) permettait de réactiver la radicalité dans une autre perspective que
celles, politique et philosophique, qui caractérisent l’histoire occidentale.
Benny n’était plus là, mais il me permettait cependant « de rendre intelligible
notre expérience » - mon expérience - y compris dans sa mise en garde contre
les « grands retournements (de veste) » qu’il annonçait et dénonçait. Abandonner
le messianisme, au motif de l’échec du messianisme politique, c’était abandonner
la fidélité au jeune homme révolté que j’avais été.
Dans l’horizon de la radicalité messianique juive que dessinait Benny Lévy dans
« L’espoir maintenant » - à côté de laquelle le programme sartrien de « rénover
la gauche » faisait pâle figure - les pièces du puzzle s’organisaient, et
commençait à apparaître pour moi la figure qui me manquait pour comprendre le
sens de mes interrogations depuis plus de 10 ans. Cette figure était celle de la
singularité juive – de l’Un dont le nom juif est porteur (19) :
19 -­‐ Ce n’est pas le lieu ici d’exposer ce qu’il en est de la singularité de cet Un, ce texte étant de
nature personnelle et non philosophique.
19 à Singularité du nom d’Israël, malgré l’opération banalisante du sionisme
politique et de son Etat ;
à Singularité de la Shoah, en dépit des explications historicistes et de la
récupération compassionnelle ;
à Singularité de l’histoire des Juifs, forclose par le rationalisme et le
progressisme (Spinoza et Hegel).
V. 2003-­‐2013 : DU NOA’HISME À LA GUÉROUT 1) Le noa’hisme « mi Sinaï » La singularité du nom juif, je l’ai entendue pendant 8 ans (2004-2012) à travers
l’étude de la Torah des bné Noa’h - à savoir ce qui, dans la Torah, concerne
spécifiquement les non juifs (20). Je l’ai entendue dans l’étude auprès d’un maître
ashkénaze, Rav Yéhoshoua Gronstein ; dans l’étude philosophique (à l’Institut
d’études lévinassiennes et dans le séminaire de Gilles Hanus sur les livres de
Benny Lévy) ; et dans l’étude juive au Collège Talmudique Français, fondé par
René Lévy le fils de Benny (21).
Pendant 8 ans, je me suis défini comme un ben Noa’h (22). Rambam (Maïmonide)
distingue deux catégories de bné Noa’h : les ‘hakhaméi oumot ha’olam (les Sages
dans les Nations), qui accèdent par la raison à la connaissance des 7 mitsvot, et
les ‘hassidéi oumot ha’olam (les Pieux dans les Nations), qui reconnaissent les 7
mitsvot comme ayant été données au Sinaï. L’histoire des Nations prouve
amplement que la raison n’est pas l’instance sur laquelle l’humanité peut s’appuyer
20 -­‐ Bné Noa’h : les fils de Noé, c’est-à-dire en fait toute l’humanité qui a été sauvée du Déluge.
Les bné Noa’h ont reçu 7 commandements, les bné Israël en ont reçu 613.
21 -­‐ Collège Talmudique Français que j’ai présidé d’octobre 2010 à juin 2013.
22 -­‐ J’ai écris sur ce sujet de nombreuses réflexions et quelques textes de synthèse, en marge de
mes études auprès de Rav Gronstein et de mes compagnons Gilles Hanus et Julien Hanoka.
20 pour échapper à la déshumanisation. Il n’y a pas de « loi naturelle » indépendante
de la Torah : ce qui est désigné par le nom de « loi naturelle » n’est que la trace,
l’écho du Sinaï dans la culture des Nations. La « loi naturelle » est le leurre qui
sert à refouler la Révélation des paroles de feu.
2) Faire guérout Est venu le moment pour moi, avant l’été 2012 (23), où m’est apparu insupportable
d’entendre la voix du Sinaï et de ne pas devenir Juif. Pour deux raisons :
1. La nécessité d’existence, c’est-à-dire une articulation vivante entre la pensée
et la vie : quand on pense quelque chose comme vrai, il est impossible de ne pas
en tirer les conclusions pratiques. Cette idée n’est pas nouvelle pour moi : j’ai
toujours vécu de cette façon, à mes risques et périls – de me lancer corps et âme
dans des aventures sans horizon, d’être parfois « boarder line » par rapport à la
légalité, d’entretenir des fréquentations improbables…
2. L’idée que le noa’hisme est sans issue tant qu’Israël (‘am Israël) ne dispose pas
de la force et de l’indépendance nécessaires pour prendre en charge son
extension dans les Nations. En attendant ce temps pré-messianique, être ben
Noa’h ne peut être qu’un destin individuel. Or, la Parole du Sinaï est tellement
forte qu’il ne me paraît pas possible d’en « trier » ce qui me convient en tant
qu’individu.
Se « convertir » se dit en hébreu faire guérout – du mot guèr, qui signifie
étranger : devenir étranger en rompant avec le sol assuré de l’identité de soi,
pour
rejoindre
l’identité,
elle-même
toujours
étrange/étrangère
et
problématique, du peuple juif.
23 -­‐ Dans la suite de mon premier voyage à Jérusalem. Est-ce un hasard ? C’est une autre
question.
21 Ce « devenir juif » je l’entends comme une nécessité d’existence, c’est-à-dire
comme une injonction. Impossible d’y échapper, dès lors que les voix du Sinaï,
perçues comme un bruit confus par les Nations, deviennent paroles de feu pour
celui qui s’en est approché.
ÉPILOGUE EN FORME DE COMMENCEMENT 6 juillet 2012 : je déclare au Rav Gronstein que je suis déterminé à me convertir.
Il soutient ma démarche.
Lundi 24 mars 2014 : le beit din de Bné Braq (24), fondé par Rav Nissim Karélitz
(fils du ‘Hazon Ish) et aujourd’hui dirigé par son gendre le Rav Rosenberg,
accepte ma guérout.
Mercredi 26 mars 2014 : mila et passage au miqvé (bain rituel purificateur).
En tant que désormais Juif, je me prénomme Yéshayahou (Isaïe).
« Ce peuple, je l’ai formé pour moi, pour qu’il publie ma gloire ».
Isaïe 43,21
z
24 -­‐ Beit din : tribunal rabbinique.
Bné Braq : principale ville des orthodoxes et des ‘hassidim en Israël, à côté de Tel-Aviv.
22 Mes remerciements vont à tous ceux dont le soutien a été pour moi si
important à toutes les étapes de ma démarche :
Mes filles, Laura et Betty
A Paris :
Rav Yéhoshua Gronstein, et le beit hamidrash Beer Moshé
René Lévy, et les étudiants du Collège Talmudique Français
Pascal Bacqué
Robert Reisberg, président de la synagogue Adath Israël
Gilles Hanus, codirecteur de l’Institut d’études lévinassiennes
Julien Hanoka
A Strasbourg :
Hayim Lévy, sa famille et ses amis
Michel Grandjean (ancien dirigeant de la GP à Lyon)
Rav Chlomo Pinto
Rav Landauer, rosh kollèl Ets Hayim
A Jérusalem :
Ophrah et Ashèr Zelmati, et leurs amis sur place
A Bné Braq :
Jacques Blum et madame Blum
Gershon Klapish et sa famille
Rav Samuel Chicheportiche
23 « Ce que le judaïsme apporte au monde, ce n’est pas la générosité facile du
cœur, ni des visions métaphysiques inédites et immenses. Mais un mode
d’existence guidé par la pratique des mitsvot (25) ».
Emmanuel Levinas, Quatre lectures talmudiques
Minuit 1968/2005
25 -­‐ Mitsvot : les commandements, la loi qui règle la vie quotidienne du Juif.
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