d`une epoque a l`autre… - Harmonica de France Fédération

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d`une epoque a l`autre… - Harmonica de France Fédération
D'UNE EPOQUE A L'AUTRE…
propos recueillis par Patrick Heymans
Extraits de l'Interview de Jean
Labre réalisée en mars 2003
P.H. – C’est dans son appartement parisien qu’il m’a reçu, havre de paix et de sérénité, parsemé ça
et là de quelques harmonicas qui font partie du cadre et embellissent le décor, comme autant de
parures chargées d’histoire.
D’emblée, comme il sait si bien le faire, il m’a invité à remonter le temps et j’ai été transporté dans
une autre époque ; inopinément la magie a opéré.
J.L. – Cela fait un certain temps déjà, j’étais boy-scout, éclaireur de France. A cette époque, autour
d’un feu de camp, je tâtais du diato, un Echo Hohner tremolo, mais bien vite je suis passé au
chromatique. Un jour, un de mes camarades, s’est acheté un 12 trous Hohner. J’étais fasciné par
l’instrument. Mon ami m’ayant prêté son chromatique, je me souviens avoir joué d’oreille
“ Sentimental Journey ”. Souvenirs… nous étions en pique-nique sous la passerelle du bord de
Marne à Villeneuve-Saint-Georges, instant mémorable. L’ami en question avait pour nom “ Tapir ”
(totem-scout) et moi “ Furet ”. Nous avons joué par la suite en duo. Il a été mon premier partenaire.
Je suis un autodidacte de l’harmonica, je suis ouvert à toutes les formes de musiques.
P.H. – Soudain son regard s’est illuminé ; j’ai voulu lui poser une question qui me brûlait les
lèvres, curieusement, il m’a devancé.
J.L. – Il s’est produit à mes débuts quelque chose de magique (sic). En 1947, je suis allé voir
Larry Adler à la salle Pleyel, et là, je suis tombé dans la marmite. Je peux dire que Larry est à
l’origine de ma “ carrière ” harmoniciste, qu’il en fut le catalyseur sans le savoir à l’époque. Ce que
je devais lui confier plus tard.
Un an après, j’étais déjà avec mon premier trio “ Les vagabonds de l’Hudson ”, nous jouions lors
de la fête de notre groupe scout lorsque, surprise ! À la fin du spectacle, Roland Dhordain,
fondateur de France Inter, proche d’Albert Raisner, vint nous voir, nous félicitant, nous disant que
“ c’était bien ce que nous faisions ” mais que nous devrions nous rendre Rue des Petites Ecuries, au
club de l’harmonica, pour nous parfaire en la matière.
Il s’agissait du “ Charm ” fondé par Albert. Ce que nous fîmes ! Nous fûmes accueillis
chaleureusement par Robert Deasy, le maître des lieux, et, surpris, c’était du sérieux ! Dame ! Des
gens jouaient en se servant de partitions.
Pour l’anecdote, un an plus tard, Robert Deasy vendait un chord en bon état, 5000 francs de
l’époque, soit aujourd’hui une centaine d’euros. J’étais alors étudiant, je ne disposais pas de la
somme dans sa totalité. Je me souviens encore de ses paroles : “ Ecoute ! Prends-le ! Tu me payeras
lorsque tu pourras. ” Je n’oublierai jamais ce geste, j’avais…dix huit ans.
A cette époque, la musique de genre et la musique populaire suscitaient un intérêt évident, nous
évoluions dans un univers béni.
Harmonicas de France
P.H. - Bien vite tu as rejoint le Trio René Gary, étonnant personnage, excellent musicien, prix de
conservatoire de violon si je ne m’abuse ?
J.L. – C’est par René Gary que j’ai pu accéder au côté technique de la musique, le solfège, en
particulier la lecture. J’ai beaucoup appris à son contact. Beaucoup de gens m’ont encouragé, à
commencer par Albert Raisner. C’est sans doute dû au fait que les “Vagabonds de l’Hudson ”
obtinrent la Coupe de France de l’Harmonica en 1951, salle Pleyel. Nous avions joué “ Galloping
Comedians ”. Je conserve précieusement un disque souple de cet enregistrement live, fait rarissime
à cette époque, une vraie relique.
Mais je voudrais revenir sur un événement antérieur survenu en 1949, relatif à Borrah Minevitch
qui prospectait à cette époque en vue de constituer un ensemble d’ossature européenne.
P.H. – Incroyable ! Mais l’anecdote est authentique : un jour, Borrah Minevitch a téléphoné à ton
père, n’est-ce pas, afin de t’intégrer au sein de son orchestre ?
J.L. – Affirmatif, conseillé par Robert Deasy, Borrah contacta un jour mon père pour lui dire qu’il
avait l’intention de me recruter, lui demandant son autorisation pour mon intégration dans son
groupe car j’étais encore mineur à cette époque. Tout ceci pour s’entendre dire pour toute réponse :
“ Je ne veux pas de saltimbanque dans la famille ! ”
C’était sans appel ! D’autres ont eu plus de chance que moi : Claude Jourdan (nous avons le même
âge), les frères Amata, Angelo Pittiglio…
P.H. – “ N ” comme navigant disons-nous cher Jean ?
J.L. – Navigant Air France ! Je suis encore tout imprégné
de ciels, de nuages, ces merveilleux nuages…J’aimais
bien mes passagers, au terme d’un vol de nuit il m’arrivait
parfois de leur jouer un petit air d’harmonica au micro
public adress, histoire de les réveiller en douceur.
Etais-je navigant, étais-je harmoniciste ? Cela a intrigué
bien des personnes ; de fait, j’étais les deux à la fois : je
jouais au “ Moulin Rouge ” avec le trio René Gary et les
jours suivants, j’étais navigant, destinations tous
azimuts… Avec toujours dans ma valise mes harmonicas.
C’est en Alaska que j’ai composé “ Bily Biliken ” que
Frank Pourcel et son grand orchestre interprèteront tous
azimuts (soliste René Gary).
Je menais en quelque sorte une double carrière, jouant à
droite, à gauche.
P.H. - Mais alors ton cœur a balancé entre harmonica et navigation aérienne ?
J.L. – Touché ! C’est avant tout une affaire de destin pour chacun d’entre nous. Il y a toujours un
moment dans la vie où l’on se trouve en situation de faire un choix. Mais parfois nous n’avons pas
précisément le choix. C’est dans ce cas précis que le destin vous joue un de ses tours dont il a le
secret. J’en prends pour exemple l’épisode Minnevitch : si mon père ne l’avait pas envoyé aux
pelotes, qu’en serait-il advenu ?
Harmonicas de France
P.H. – A la question : Ne regrettes-tu pas quelque chose aujourd’hui ? Tu aurais pu te consacrer
entièrement à ta carrière musicale ? ”, il répond malicieusement :
J.L. – “ Non rien de rien, non je ne regrette rien… ” Je peux dire que je suis toujours resté un semipro, conjuguant harmonieusement l’harmonica avec ma carrière où je fus même en charge du
service de la musique en vol Air France durant mes 5 dernières années d’activité, alliant ainsi en
parallèle la musique et l’aviation.
P.H. – Question aussi sotte que grenue comme dirait un humoriste bien connu : quels ont été tes
maîtres ?
J.L. – L’éventail est très étalé, pêle-mêle : Larry Adler, Borrah Minevitch, René Gary, Toots
Thielemans, Charlie Mc Coy et Albert Raisner qui a fait exploser l’harmonica avec son trio dans
les années 50, variétés et musique de genre à la clé, et dont les prestations music-hall, visuelles,
étaient top pro ! Nous lui devons beaucoup. Je dois citer Jerry Murad et son trio ainsi que
beaucoup de trios américains très pointus. On n’a jamais fait mieux que ces chordistes américains.
Mais je n’oublie pas pour autant la légende, ma légende, Pete Pedersen, celui-là je le gardais pour
le dessert.
P.H. – Si je te dis que pour toi Pete Pedersen est l’un des plus grands, suis-je loin de la vérité ?
J.L. - Que non ! Il savait tout faire, il a fait l’arrangement de “ Peg Ô My Heart ”, un grand
succès commercial, près de trente millions d’exemplaires ont été vendus à ce jour. En 1947, “ Peg
Ô My Heart ”, enregistré par Jerry Murad et son trio, gardera la tête du hit parade US durant 26
semaines, battant le record détenu par Frankie Laine avec “ That’s my Desire ”. Le trio “ Blizza ”,
le trio “ Adler ” et bien d’autres reprennent encore les arrangements intégraux de Pete. Son
interprétation de “ An American in Paris ” est une pure merveille.
P.H. – Parle-moi de Claude Garden.
J.L. – Je préfère laisser la parole à Larry Adler lui-même ; à la question du journaliste Doktorski :
quels sont actuellement les autres harmonicistes à part vous et Sebastian ? Adler répondit : “ Il y a
Bonfiglio, Tommy Reilly en Angleterre et Claude Garden à Paris ”. Bel hommage, Ô combien
mérité.
P.H. – Sans tomber dans un passéisme excessif, l’harmonica a-t-il évolué ces dernières années et
quel est son avenir à tes yeux ?
J.L. – La Corée du Sud, le Japon, la Chine, Hong Kong et son “ King’s College Harmonica
Orchestra ” sont au top dans ce domaine. Ce sont désormais les figures de proue de l’harmonica
mondial. On peut être certain que les pays asiatiques ont d’ores et déjà un avenir prometteur assuré.
Mais revenons en occident. Nous vivons une révolution ; celle du diatonique Richter.
Il faut en accorder la paternité à Howard Levy pour cette trouvaille géniale qui consiste à jouer sur
un petit diato 10 trous comme sur un chromatique ! Il fallait non seulement y penser mais aussi
inventer une technique qui consiste à remplacer les touches noires du piano par des altérations
aspirées et soufflées d’où la naissance des overblows et autres altérations. En théorie, il serait donc
possible de tout jouer sur un petit Richter.
Cela bouleverse les répertoires traditionnels et assure à l’instrument un avenir plein de promesses… pas côté “Vol du Bourdon ” pas plus côté “ Rapsodie Roumaine ”… Il faut rendre à César
ce qui est à Larry Adler, Tommy Reilly, Claude Garden et autres ainsi qu’au… chromatique.
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Mais il n’est pas donné à tout le monde d’accéder au top niveau des masterclasses d’Howard Levy
et Sébastien Charlier. Le goût de l’effort est une vertu en voie de disparition.
De plus en plus de postulants vont à nouveau porter leur choix vers le diato, s’imaginant qu’il est
facile d’en jouer… pour pas cher ! J’ajoute cependant que le son du diato s’adapte parfois mieux
aux styles de musiques populaires actuelles.
En résumé, et pour les raisons que je viens d’évoquer, j’en conclus que dans l’immédiat il
semblerait que l’avenir appartienne plus au diatonique Richter qu’au chromatique. Preuve en est
faite sur l’internet où l’on constate que la grande majorité des sites est consacrée au diatonique.
Internet est un outil précieux pour la communication planétaire Ruine Babines, il va devenir dans un
proche avenir un outil précieux, indispensable pour nous autres harmonicistes.
Mais il va falloir vous battre pour le chromatique. Les lettres de noblesse de notre instrument, si
nous les obtenons un jour, se doivent de passer de manière incontournable par le chromatique. Ceci
dit, je n’ai rien contre le diatonique. J’aime et je joue de tous les harmonicas. Dans mon CD
Humanitas, je joue de 10 harmonicas différents*.
P.H. – Les harmonicas, je parle des instruments, ont-ils progressé par rapport aux dix ou vingt
dernières années ?
J.L. – Il n’y a pas eu de grande révolution dans ce domaine. Compte tenu de l’évolution de la
technique diatonique, les marques ont tendance à sortir de plus en plus de modèles Richter sans
améliorations notoires ; on peut même dire qu’il y a profusion, d’où l’embarras du choix.
J’ai déjà écrit quelques articles sur ce sujet dans les précédentes revues. Mais je ne tiens pas à faire
état de préférence de marques dans cet interview, nous nous éloignerions du sujet.
P.H. – Je reviens un instant sur l’instrument lui-même : l’harmonica n’est-il pas condamné à rester
confiné dans son état de cinquième roue de la charrette, de n’être plus que l’accompagnateur au
sein des diverses prestations musicales ?
J.L. – Depuis des lustres, l’harmonica est un peu le vilain petit canard des instruments répertoriés,
certains le considérant uniquement comme un accessoire. Il mérite mieux que cela tout en restant…
accessoirement… un accessoire aux possibilités multiples.
Quelques Don Quichotte, à commencer par ton serviteur, s’évertuent depuis quelques décennies à
attirer l’attention des pouvoirs publics et des plus hautes instances musicales, ministères,
conservatoires, etc... Ce n’est pas facile, mais je persiste à croire qu’il faut persévérer. Don
Quichotte a finalement recueilli le succès qu’il méritait, en ce sens qu’il est de nos jours
mondialement reconnu et que l’on s’attendrit sur les causes pour lesquelles il se battait.
Il appartient aux jeunes générations de prendre la relève dans cette quête du Graal. Dans ce
domaine, puisque l’occasion m’en est donnée, je voudrais rendre hommage aux anciens : Gérard
Margnoux, René Gary, Robert Deasy, Eddy Sowa, Pierre Couteau, Claude Garden et tous
ceux que j’oublie, à coup sûr.
P.H. – En guise de conclusion, toi qui est si fier de ta médaille des 20.000 heures de vol, et pour
plagier Bernard Pivot, lorsque tu arriveras au Paradis que pourrait te dire Dieu ?
J.L. – Bienvenue ! Sois le Bienvenu ! Regarde tous ceux qui t'attendent là-bas sur le banc...
Jean, merci pour ton aménité
* Il en est de même dans le CD suivant : "Postcards"
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