Un bouleversant théâtre du réel
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Un bouleversant théâtre du réel
Le Soir Jeudi 6 février 2014 34 LACULTURE 6/02/2014 Un bouleversant théâtre du réel SCÈNES « Nourrir Charles Culot et Valérie Gimenez ont recueilli longuement la parole d’agriculteurs. Avec Alexis Garcia, ils en font un spectacle bouleversant d’humanité, alliant réel et poésie. l’humanité, c’est un métier » au Théâtre National THEMA Derrière une simple table de cuisine, Valérie Gimenez et Charles Culot deviennent ces paysans qu’ils ont interviewés durant deux ans. © OLIVIER LAVAL Pour tous les goûts Rencontres/Débats. Après chaque représentation, des rencontres-débats avec agriculteurs, producteurs locaux, associations et ONG citoyennes. Débat. « Se nourrir demain : Au-delà des craintes, explorer les pistes possibles » avec Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation et des représentants du monde agricole, politique, syndical, universitaire… Le 8/2 à 17h30. Expositions. « Nourrir l’humanité », photographies de Daniel Foussse. Dessins politiques de Pierre Kroll. Projection. « Les vaches et le prisonnier », documentaire. Dégustation. Chaque soir, produits de producteurs locaux au bar du National et stand d’information des associations partenaires. D ’abord, il y a l’odeur. Une odeur de terre fraîche et de paille. Une odeur de « vrai », loin des parfums frelatés. Ensuite, il y a la parole. Celle tout d’abord de Charles Culot et Valérie Gimenez. En quelques mots simples, ils expliquent la raison de leur présence. Pour Charles, c’est une évidence. Fils d’agriculteur, il a vécu la dégradation des conditions de traqvail et de vie de ce monde mal connu. Empoignant le sujet à pleines mains, il a décidé de le porter à la scène avec la complicité de Valérie Gimenez. Pour cette dernière, fille de la ville, le monde paysan était une découverte. À l’image de cette balade en voiture à travers la campagne que l’on découvre sur l’écran en fond de scène. À travers le pare-brise embué, on ne voit que des champs, des fermes, une petite église. On reconnaît les voix de Charles et de Valérie auxquelles se joint celle de Jacques, leur premier témoin. Le voici à présent face à la caméra. Calme d’abord, évoquant son métier, sa vie, puis s’emballant de plus en plus, négligeant les questions du duo pour sortir tout ce qu’il a sur le cœur depuis trop longtemps sans doute. Ces mots sont simples, directs, forts, bouleversants. À l’image de tout le spectacle, ils nous font prendre conscience d’une multitude d’informations effarantes tout en dégageant une incroyable chaleur humaine. Même quand ils parlent chiffres, quotas européens, pourcentages, ceux et celles qui s’expriment face à nous le font avec passion, avec sincérité, avec cœur. Durant deux ans, Charles Culot et Valérie Gimenez sont allés à la rencontre de ces paysans, les ont écoutés, enregistrés, filmés. Sur grand écran, ils livrent des bribes de leurs témoignages. Puis on les retrouve sur scène, incarnés par le duo. Assis der- rière la table de cuisine, les coudes sur la nappe cirée, ils deviennent ces couples qui témoignent, de manière parfois maladroite mais toujours vraie, passionnante, émouvante. D’un coup, ils se figent. Quelques secondes passent et ils redémarrent, devenant d’autres témoins, racontant d’autres histoires, livrant d’autres expériences qui toutes se recoupent. Formidable performance d’acteur qui voit les deux jeunes gens donner corps à des hommes et des femmes souvent bien plus âgés qu’eux. Un changement de voix, de position du corps, d’ac- cent, un petit geste apparemment anodin : tous ces détails d’un naturel confondant font vivre magistralement les différents intervenants. Formidable performance d’acteur Il y a du désespoir, de la colère, de l’amour, de la passion, de l’inquiétude, du bonheur aussi, dans toutes ces paroles qui évoquent non seulement la condition du monde paysan en Europe, mais aussi ce que cela signifie pour toute l’humanité. « Nourrir l’humanité, c’est un métier », dit l’un. Les chiffres et exemples qui surgissent au détour de chaque témoignage le démontrent amplement. Dans la salle, l’attention ne se relâche jamais. Le public, souvent très jeune, est littéralement scotché au spectacle, découvrant une réalité dont il n’avait aucune idée. Les chiffres, les règles administratives, les difficultés multiples laissent pantois. Mais aussi les évidences que l’on refuse généralement d’entendre sur la qualité de la nourriture qui nous est proposée. Et ce que cela signifie pour l’avenir de la planète. Quelques gestes, une bandeson très travaillée, le déplace- ment de quelques bottes de paille, un détail vestimentaire : tout contribue à nous faire sentir, goûter, humer, vivre cette autre réalité. Jusqu’à cette scène incroyable, filmée par le duo, de quelques agriculteurs arrosant de lait une armée de flics à l’aide d’une lance à incendie maniée avec l’énergie du désespoir. Moment bouleversant et incroyablement parlant, à l’image de tout un spectacle à voir absolument. ■ JEAN-MARIE WYNANTS Jusqu’au 15 février au Théâtre National, www.theatrenational.be.