aépropos de Balthus

Transcription

aépropos de Balthus
BA RT VE RSCH A F FE L
Deèja parus dans la collection A&S/essays :
* Paul De Vylder, Onevenredige lichamen. Over de
onmogelijkheid van het spreken (2004) (en neè erlandais) º ISBN: 90-76714-19-3.
Bart Verschaffel º aé propos de Balthus
Neè en 1956, Bart Verschaffel est philosophe. Il
est professeur au Deèpartement Architecture &
Urbanisme de l'Universiteè de Gand. Il publie
principalement sur des questions touchant aé la
theèorie de l'architecture, aé l'estheètique et la
philosophie de la culture. Monographies : De
Glans der Dingen (L'Eèclat des Choses, 1989), Rome/
over theatraliteit (Rome/sur la theèaêtraliteè, 1990),
Figuren. Essays (Figures. Essais, 1995), Architecture is
(as) a gesture (2001), Nature morte, portrait, paysage:
essais sur les genres en peinture (2005).
aé propos de Balthus
Le Roi des chats
Le regard sondeur
ISBN : 90-76714-23-1
Deèpot leègal : D/2004/8734/6
A&S/books º Ghent University
www.AndSbooks.ugent.be
A&S/
books
A&S / books
BA RT VE RSCH A F FE L
aé propos de Balthus
Le Roi des chats
Le regard sondeur
traduit du neè erlandais par Daniel Cunin
A&S/books
2004
û Les artistes que j'ai aimeès ne furent jamais des eêtres de transgression. ý
Balthus, Meèmoires
Le Roi des chats
L'existence du comte Balthazar Michel Klossowski de Roda compte parmi les quelques centaines qui constituent la quintessence de la culture du
sieécle passeè. L'enfance de Balthus, sa jeunesse, sa vie
intime et ses amitieès nous parlent de parents qui
concilient culture franc° aise et culture d'Europe centrale, de Rilke qui a eèteè un second peére pour l'artiste, du freére a|êneè Pierre Klossowski, des habitueès
de la demeure familiale de Paris, tels Valeèry et Gide,
du milieu artistique des anneèes 1930 et 1940 et des
proches de l'eèpoque º Giacometti, Artaud, Jouve,
Leiris, Skira, Camus, Starobinski º ou des gens de
connaissance comme Picasso, ou encore, apreés la
guerre, de Malraux et des nombreuses personnes
ayant seèjourneè aé la Villa Meèdicis dont Balthus a eèteè
le directeur de 1961 aé 1977. Aé l'inverse, son art
semble deèmodeè, marginal et inclassable. Son Ýuvre
opiniaêtre a certes eèteè appreècieèe d'un ceènacle, des
reproductions ont pu en eêtre publieèes relativement
toêt dans Minotaure, mais elle n'a pas pour autant
reèussi aé s'inteègrer aux canons de l'art moderne. Il
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aé propos de Balthus
faut dire que Balthus a laisseè une production figurative et artisanale, qui reconna|êt les genres traditionnels. Il faut attendre les anneèes 80, alors qu'il
devient impossible d'appreèhender l'art dans les limites d'une histoire de l'art univoque, pour que surgissent au premier plan, aé coêteè d'autres repreèsentants
eèquivoques et figuratifs de l'art moderne, des einzelga« nger comme Balthus. C'est en 1983 que le centre
Georges Pompidou lui consacre une importante
reètrospective dans la seèrie û Les Classiques du XXe
sieécle ý; une deuxieéme a lieu l'anneèe d'apreés au
Metropolitan Museum de New York. Suit en 2001,
apreés la publication du Catalogue raisonneè de l'Ýuvre
complet, une troisieéme exposition, au Palazzo Grassi
de Venise, aé laquelle Balthus n'a pu assister; il est
deèceèdeè au deèbut de cette meême anneèe aé l'aêge de 92
ans. [1]
Boudeèe par le gros du public, l'Ýuvre de Balthus
n'en a pas moins eèteè largement salueèe par la critique,
graêce au milieu dans lequel le peintre eèvoluait. Le
catalogue de 1984 preèsente une imposante anthologie de commentaires et critiques des anneèes 40 et
50, signeès entre autres par Artaud, Jouve, Starobinski, Char, Loeb, Eèluard, Camus, Bonnefoy, ou
encore un excellent texte de Pierre Klossowski, l'essai important de John Russell (1968) emprunteè au
Le Roi des chats
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catalogue de l'exposition de la Tate Gallery et un
essai de Jean Clair, qui reèveéle un grand nombre des
sources et reèfeèrences visuelles auxquelles puisait Balthus. Ces dernieéres anneèes, la bibliographie s'eètoffe
de fac° on sensible: Catalogue raisonneè, interviews, semiautobiographie, ouvrages reètrospectifs, films. Parmi
toutes ces publications qui, ensemble, donnent une
image somme toute prudente et controêleèe de Balthus, a paru reècemment un livre qui semble aller aé
contre-courant et dont l'importance reste aé deèfinir
relativement aé la compreèhension de l'Ýuvre: la Correspondance amoureuse entre Balthus et sa premieére
eèpouse, Antoinette de Watteville. [2] On ne peut
s'empeêcher de lire ces lettres des anneèes 1928-1937,
dont on doit l'eèdition aux deux fils neès de ce premier mariage, comme un coup porteè aé la vision mise
en avant par l'entourage du couple Balthus-Setsuko
Ideta, seconde eèpouse du peintre. Interviews et
publications de ces dernieéres anneèes ne font en effet
d'Antoinette gueére plus que l'un des nombreux
modeéles de Balthus. Or, en plus de restituer un certain nombre de faits, cette correspondance nous
fournit une ideèe de la veine sentimentale et affective
qu'exploitait l'artiste, tout en jetant sur celle-ci une
lumieére deèconcertante. L'artiste qui estimait que
toute eètude de son Ýuvre se devait de commencer
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aé propos de Balthus
par la phrase: Balthus est un peintre dont on ne sait rien [3]
pour ne se soucier ensuite que de l'Ýuvre et de rien
d'autre, est le meême que celui qui a donneè son
accord aé la publication de documents parmi les plus
intimes, lesquels, manifestement, nous en disent beaucoup
trop, y compris sur l'Ýuvre.
*
Comment comprendre une peinture? Balthus a
raison: û Let us look at the pictures. ý Ce n'est pas la vie
mais l'Ýuvre qui compte, l'importance de l'art et sa
signification doivent reèsulter de l'interpreètation de
l'Ýuvre et de ses donneèes et non d'informations biographiques accessoires ni de commentaires fournis
par l'artiste. Ce que dit ce dernier ou son entourage,
et plus encore ce qu'ils estiment important, ce n'est
rien qu'une voix qui n'est pas forceèment inteèressante ou incontestable. Il n'en demeure pas moins
qu'interpreèter ne suffit pas aé comprendre. Laé oué elle
le peut, l'interpreètation doit se rapporter aé une
reconstruction º toujours hypotheètique º de la viseèe
d'une Ýuvre. Chaque interpreètation retient des donneèes et les hieèrarchise, implicitement ou non. Par
principe, la divulgation et la deètermination des rapports que ces donneèes entretiennent les unes avec
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les autres ne sauraient se confondre avec l'exposeè
des significations qu'elles peuvent reveêtir. L'analyse
de l'art, qui se base sur l'ideèe que l'art, c'est quelque
chose que l'on fait, approche l'Ýuvre comme le reèsultat d'une seèrie de deècisions º au minimum, le fait de
û baptiser ý un objet readymade. Cette analyse et cette
reconstruction d'une Ýuvre envisageèe comme un reèsultat, autrement dit l'identification des principes ou
des ideèes-forces sur lesquels elle repose, sont indispensables aé une compreèhension qui entend eêtre plus
qu'une simple lecture informelle par associations.
Dans l'acte de lecture et d'analyse qui envisage
l'Ýuvre comme processus deècisionnel, c'est bien
entendu l'Ýuvre elle-meême qui nous fournit les
mateèriaux les plus importants; ceci dit, les commentaires, les propos de l'artiste, la reèaliteè du contexte
peuvent eègalement s'aveèrer appreèciables. Et il faut
bien reconna|être que, du moins pour certains arts,
des choix cruciaux qui font qu'une Ýuvre est ce
qu'elle est, cadrent avec une û logique intime ý.
Avant d'entrer dans le domaine public, les Ýuvres
d'art fonctionnent dans un contexte qui est celui des
û premiers lecteurs ý, des proches de l'artiste. Le lieu
de la premieére lecture recouvre en partie celui oué
l'Ýuvre na|êt. Dans le cercle des proches, les Ýuvres
peuvent reveêtir des fonctions bien speècifiques: par
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aé propos de Balthus
exemple refleèter la vie priveèe et interfeèrer sur elle.
Ainsi, un poeéme d'amour va eêtre lu diffeèremment
par la personne aé qui il est adresseè que par l'amateur
de poeèsie; de plus, il remplit entre son auteur et
l'eêtre aimeè une fonction diffeèrente de celle qu'a une
lettre d'amour. En anticipant la û premieére lecture ý,
l'artiste peut interfeèrer avec le processus creèateur et
de la sorte jouer sur les choix qui deèterminent ce
que va eêtre l'Ýuvre. Souvent, le point de vue du
û premier lecteur ý se reèsume aé une lecture treés univoque et fade. Il ne statue jamais sur le sens d'une
Ýuvre et encore moins sur l'inteèreêt qu'elle preèsente.
En revanche, dans certains arts, il peut nous eèclairer
sur l'Ýuvre en tant que processus creèateur et signaler des donneèes qui peuvent s'aveèrer essentielles
pour saisir la viseèe de celle-ci. Dans un cas comme
celui de Balthus, oué nombre de choix cruciaux s'imbriquent dans des questions relevant surtout de la
spheére priveèe, comprendre s'opeére presque ineèvitablement par un glissement vers une interpreètation
historique hybride. [4]
*
Le Roi des chats
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Enfant, Balthus a fait de freèquents seèjours aé Beatenberg, un village suisse oué il a eègalement passeè
plus tard des vacances. Il y retrouvait un camarade
de classe de Berne, Robert de Watteville, ainsi que
la sÝur de ce dernier, Antoinette. Ensemble, ils forment un veèritable trio, meême une fois que Balthus
et Antoinette se vouent une amitieè plus intime. Sa
premieére lettre aé Antoinette date de septembre
1929. Il vit aé Paris. Il a 21 ans, elle en a 17. La correspondance amoureuse deèbute quant aé elle en octobre 1930, apreés que les trois jeunes gens eurent passeè
quelques semaines aé Berne, juste avant le deèpart de
Balthus pour le Maroc oué il doit effectuer son service militaire: û ... Baby, celle que je viens de voir,
de sentir, d'admirer follement, ma petite sÝur! ý
(45) Leur tendre relation va trouver un nouvel eèlan
aé partir de janvier 1932, Balthus eètant rentreè sur le
continent europeèen. De mai aé octobre de la meême
anneèe, Balthus passe aé Berne et aé Beatenberg des
mois d'un rare bonheur qui va se trouver brutalement perturbeè. Au printemps, alors qu'il seèjourne
chez les de Watteville, Balthus eècrit encore aé un vieil
ami et meèceéne: û ... Il y a mon ami Robert que
j'aime beaucoup, et il y a sa deèlicieuse sÝur. L'empire d'une jeune fille! ý (83), mais en deècembre, le
bonheur appartient au passeè : û ... j'ai traverseè la crise
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aé propos de Balthus
la plus importante et la plus dangereuse que j'ai
subie jusqu'aé preèsent. Aé ces bouleversements inteèrieurs est venue se joindre une lamentable meèsaventure d'ordre sentimental qui a failli m'enlever le peu
de raison qui me restait. ý (87) Il veut bien entendu
parler d'Antoinette. La jeune fille, qui meéne plus ou
moins une vie de patachon º Balthus eèvoquera
quelques anneèes plus tard cette û coquetterie de
vilaine petite fille ý (264) tandis qu'Antoinette a pu
parler de la û saleteè ý qu'il y a en elle et de ses
û peècheès de jeunesse ý º s'est en fait embarqueèe dans
un amour avec Gin, un diplomate belge marieè. Le
clash entre d'un coêteè l'amitieè de deux aêmes sÝurs et
de l'autre la liaison avec un homme muêr, de dix ans
plus aêgeè que Balthus, se traduit chez la jeune fille
par un projet de mariage avec le diplomate et une
fin de non-recevoir aé l'eègard du jeune artiste, lequel
sombre dans une grave crise. Toutefois, les deux
jeunes gens continuent de s'eècrire, de manieére plus
freèquente meême, et tout aussi intime pendant preés
de deux ans, peèriode durant laquelle ils ne se voient
pas. Peu avant l'eèteè 1934, Balthus passe quelques
jours aé Berne. Ces breéves et tendres retrouvailles
avec Antoinette lui font û une fois de plus et deèfinitivement ý (210) prendre conscience qu'il ne peut
vivre sans elle; de son coêteè, Antoinette comprend
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qu'elle a choisi contre son cÝur. En revoyant Balthus, elle lui affirme qu'elle ne vit que pour lui, tout
en ajoutant bientoêt dans ses lettres qu'il lui est
impossible de rompre ses fianc° ailles et qu'elle souhaite poursuivre une correspondance entre û freére ý
et û sÝur ý: û Ma pauvre teête a compris que c'eètait
trop tard, que j'ai trahi mon cÝur il y a 2 ans et que
maintenant c'est trop tard, qu'il me faut faire mon
devoir et rester aupreés de cet eêtre aé qui j'ai tout pris
en lui promettant tout et qui n'a plus que moi... ý
(213); û ... il faut que je te prie de ne plus m'eècrire
pendant quelque temps et en tout cas de ne plus
jamais m'eècrire de lettre d'amour. ý (229) Aé Paris,
Balthus est effondreè ; au tout dernier moment,
Artaud le sauve du suicide. L'eèpouse de Pierre Leyris, grand ami du jeune homme, eècrit aé Antoinette
en lui disant qu'il a tout de meême droit aé ce qu'elle
clarifie ses ideèes: û Si vous eêtes certaine de la place
que Balthus occupera º ou n'occupera pas º dans
votre vie, ne vaudrait-il pas mieux qu'il le sache
finalement? ý (234) Malgreè cela, correspondance et
double û liaison ý continuent de la meême manieére.
Antoinette:û ...mon cÝur se reèvolte, mon cÝur t'appelle deèsespeèreèment ý (213), mais il me faut toutefois, et ainsi de suite. Il en reèsulte parfois de seèrieux
conflits entre elle et Gin; finalement, en mars 1935,
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aé propos de Balthus
les fianc°ailles sont rompues. Antoinette a alors 21
ans. Balthus la voit sporadiquement; en avril 1937,
il l'eèpouse.
Pendant cette crise de preés de trois anneèes, de l'eèteè
1932 aé la rupture des fianc° ailles en 1935, Balthus n'a
vu Antoinette que deux ou trois fois au cours de la
meême semaine. La correspondance n'en est que plus
intime et plus intense. C'est dans ces circonstances
º un Balthus treés impliqueè dans une liaison qui,
tout bien consideèreè, n'est gueére concreéte et qui suppose surtout une mise en valeur des souvenirs
communs et leur ressassement º que le peintre va
reèaliser quelques-unes de ses toiles les plus importantes et jeter les bases d'une grande partie de
l'Ýuvre aé venir. Pour lui, du moins au cours de cette
peèriode, l'Ýuvre est indissociable d'Antoinette:
û ... mon travail est si eètroitement lieè aé ta penseèe ý.
(228) Les lettres permettent non seulement de
reconstruire l'histoire intime de Balthus telle que ses
amis les plus proches ne l'ont pas meême connue,
elles montrent de surcro|êt, et avant tout, comment
Balthus appreête la matieére premieére qu'il va employer dans son art. Aé ce sujet, on ne saurait
ignorer, au point d'intersection de la vie et de
Le Roi des chats
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l'Ýuvre, la preèsence de Wuthering Heights (Les Hauts de
Hurle-Vent), le roman d'Emily Bronte« .
*
Wuthering Heights conte l'histoire de l'orphelin
Heathcliff, un garc° on sauvage adopteè par une
famille du Yorkshire; il trouve bonheur et raison de
vivre dans la compliciteè et la solidariteè le liant aé sa
sÝur adoptive Catherine, avant que celle-ci ne le
û trahisse ý en eèpousant un voisin. Le lien conventionnel du mariage ne saura toutefois deèfaire l'entente û naturelle ý qui existe entre Heathcliff et
Cathy; en conseèquence, cela rend û impossible ý son
mariage aé elle et sa vie aé lui: Heathcliff demeure aé
jamais le premier homme de la vie de Cathy, et pour
lui, aucune femme ne saurait remplacer celle-ci. La
douleur, la jalousie et cette passion priveèe d'avenir
finissent par transformer Heathcliff en un heèros
deèmoniaque qui rend l'existence impossible aé tous
ses proches, pousse Cathy vers la mort et se venge
lui-meême sur la vie. C'est dans son jeune aêge que
Balthus a deècouvert le roman; il l'a donneè aé Antoinette et tous deux l'ont lu ensemble. Quand il se
remet au travail apreés son service militaire effectueè
au Maroc º autrement dit avant et pendant l'eèteè
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aé propos de Balthus
enchanteur de 1932 º, le jeune homme entreprend
d'illustrer Wuthering Heights. Lorsque l'histoire de
Heathcliff se reèveéle tout aé coup propheètique et
qu'Antoinette repousse la demande en mariage de
Balthus º qu'elle ne peut prendre au seèrieux du fait
de l'aêge et de la position sociale de ce dernier º,
pour lui preèfeèrer une liaison avec Gin, l'identification pueèrile au roman se referme comme un pieége:
Balthus devient veèritablement Heathcliff.
Dans les lettres, il y a pleèthore d'allusions directes
aé Wuthering Heights. Balthus parle freèquemment de ses
illustrations et Antoinette du roman: û ... ce livre
dont je ne me lasserai jamais... ý (127); û ... le livre
qui m'est le plus cher... ý (207); û Si tu savais
combien de fois je lis et relis tous les beaux passages,
chaque fois les larmes me montent aux yeux º c° a
restera toujours un peu notre livre! ý (119) Mais les
renvois implicites aé l'histoire, par le biais de citations, sont plus significatifs encore: ils servent sans
cesse aé modeler le veècu des eèpistoliers et aé qualifier
leur liaison. Balthus rappelle d'abord aé Antoinette
les semaines de bonheur avant son service militaire
º quand elle avait tout de meême 17 ans et lui-meême
21 º en en parlant comme d'une sorte d'Enfance:
û Ah, je ne puis eêtre heureux et tranquille qu'aupreés
de toi et de Robi º et le temps adorable oué nous
Le Roi des chats
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eètions ensemble ne reviendra sans doute jamais
plus ý (181); û Ce que j'ai tant aimeè chez vous deux,
toi et Robi, c'est cette atmospheére enfantine, un peu
terrible, un peu folle et qui me convient tellement.
Puisseè-je retrouver c° a un jour! ý (52) La compliciteè
entre le mysteèrieux et coriace Heathcliff et Cathy,
l'indicible wild, wick slip, leur solidariteè et leur audace
indestructibles, les moments qu'ils passent seuls
ensemble aé errer dans la nature, lui servent de modeéles pour deècrire sa propre expeèrience: û Oê Beèbeè cheèrie, tu eètais deèjaé avec moi quand j'eètais enfant, libre,
fort, meèchant º ivre de vie et riant des insultes je
transformais le monde autour de moi en une vaste
feèerie! ý (176) Ils s'adressent l'un aé l'autre comme le
feraient un freére et une sÝur: û ma petite sÝur ý,
û Beèbeè adoreèe ý, û mon petit cheèri ý, et signent par
exemple leurs lettres par û ton pauvre freére ý, û ta
petite sÝur ý. Ils recourent aé des surnoms enfantins:
û The King of Cats ý, û Queen of Cats ý. Aé travers
cette correspondance sentimentale et les allusions aé
ces semaines paradisiaques, leur amitieè, dans laquelle
ils englobent Robert, continue de baigner dans la
meême atmospheére. Cela se traduit toutefois º aé
l'instar de ce qui se passe dans Wuthering Heights º
par le fait que le clash entre les fianc° ailles et l'amitieè
n'est envisageè ni sous le qualificatif ni sous la forme
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aé propos de Balthus
d'un conflit. La question ne se pose pas en termes
de conflit entre deux rivaux dont Antoinette devrait
retenir l'un et perdre l'autre. Le conflit se trouve
û reèsolu ý du fait que les jeunes gens voient, et pour
l'amour qu'ils ressentent l'un pour l'autre, et pour
la liaison Antoinette-Gin, dans Wuthering Heights un
exemple ainsi qu'une manieére de contenir cet amour
et cette liaison dans le registre d'une indissoluble
compliciteè entre aêmes sÝurs, aé la fois profonde et
eèternelle mais qui º comme toute relation freéresÝur º renvoie au passeè et ne saurait avoir d'avenir
ni le droit de rien revendiquer aux yeux du monde.
Antoinette: û Mais nous restons lieès malgreè tout car
c'est beaucoup plus profond que n'importe quelle
autre amitieè ý (154); û ... et mon aême est tellement
sÝur de la tienne que l'autre jour (...) j'ai eu la
brusque vision que nous eètions ces deux enfants
reèunis il y a quelques sieécles ý (160-161); Balthus:
û Ce qu'il y a entre nous deux, rien ne pourra jamais
le deètruire, car cela n'appartient pas aé ce monde ý
(237).
Sous cette forme, la situation para|êt supportable,
du moins en principe, pour les trois protagonistes:
Antoinette qui veut tout aé la fois n'a pas besoin de
faire un choix ni de renoncer aé rien; Balthus et elle
preèservent leur liaison de û soul mate ý; Gin peut
Le Roi des chats
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accepter que sa fianceèe entretienne une tendre relation freére-sÝur avec un ami d'enfance º aé la condition bien suêr que celle-ci reste û pueèrile ý et platonique. On frise toutefois le drame quand il s'aveére
que les breéves retrouvailles de 1934 ne satisfont pas
aé ces conditions, mais aussi aé cause du caracteére trop
passionneè des lettres. Antoinette souhaite corriger le
tir et revenir aé la situation du deèbut: û Je resterai
toujours ta petite sÝur (...) tu seras mon adorable
petit freére avec lequel j'ai joueè aé de magnifiques jeux
autrefois, il y a treés, treés longtemps ý (229); toutefois, la jalousie de Gin tout comme la passion et le
deèsespoir de Balthus n'en minent pas moins les fianc° ailles. En meême temps, les lettres reèveélent jusqu'oué
Balthus (on peut dire jusqu'au deènouement) s'est,
du fait de cette identification mutuelle aé l'Enfance,
retrouveè en reèaliteè dans la position impossible et
deèsespeèreèe de Heathcliff: il lit dans le roman qui il
est et ce qu'il lui reste aé faire. Il prend aé son compte
le roêle de Heathcliff: û ... j'attends de devenir un
meèchant fou ý (109); û Le King of Cats est devenu
fou et meèchant ý (347). Dans une des lettres les plus
eèmouvantes, alors qu'il rappelle aé Antoinette que
son existence est briseèe et qu'il ne lui reste plus rien
dans la vie si ce n'est s'adonner aé son art º
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aé propos de Balthus
û ... n'oublies-tu pas que ma vie, aé moi, est briseèe ?
(...) et me voilaé aé preèsent un monstre de haine et de
rancune... ý (156) º, il reprend aé son compte º en la
citant en partie et plus ou moins fideélement º
l'apostrophe de Heathcliff aé Cathy tireèe de la sceéne
dramatique au cours de laquelle le garc° on se tourne
contre la jeune fille et lui annonce ce qu'il lui reste aé
faire : û Tu m'as traiteè de fac° on infernale !... Je ne
veux pas me venger de toi... Le tyran broie ses
esclaves, ce n'est pas contre lui qu'ils se reèvoltent, ils
eècrasent leurs infeèrieurs. ý [5]
*
Balthus acheéve au total quinze dessins dans lesquels on les reconna|êt sans peine, lui et Antoinette,
dans les roêles de Heathcliff et de Cathy. Toutes ces
sceénes sont emprunteèes aé la premieére partie du
roman. Huit dessins illustrent l'Enfance, le neuvieéme la sceéne finale au cours de laquelle le destin
de Heathcliff bascule: l'apreés-midi oué il revient trop
toêt des champs et surprend Cathy qui se fait belle
pour recevoir le voisin. Pour le reste, Balthus retient
des sceénes de û la partie fulgurante et terrible et qui
se passe dans une zone dans laquelle il est impossible
ou dangereux de demeurer longtemps ý (323-324).
Le Roi des chats
21
Il reèalise enfin quelques dessins de la maladie de
Cathy, puis s'arreête. Il proceéde donc aé un choix
seèlectif: ce qu'il illustre, ce n'est pas le roman mais
la liaison entre Cathy et Heathcliff. La forte identification permet de comprendre l'intensiteè dramatique
et l'immeèdiateteè avec lesquelles il dessine mais dont
il se passera pour peindre ses toiles º hormis pour
La lec° on de guitare. Chaque dessin illustre un moment
dramatique de l'histoire; les personnages sont impliqueès dans un rapport physique, ils se touchent, ils
se heurtent ou s'eècartent l'un de l'autre, ils s'emportent. Le dessin crucial montrant Heathcliff au
moment oué son bonheur chavire dans le deèsespoir,
Balthus l'a amplifieè pour en faire une de ses peintures les plus monumentales, celle qui porte le titre
explicite La Toilette de Cathy. Travailler aé cette toile,
c'est pour Balthus travailler sur son passeè le plus
intime: û ... je suis entieérement plongeè dans les plus
chers et les plus douloureux souvenirs... ý. (124) La
toile joue un roêle dans leur vie priveèe car Antoinette, qui ne la conna|êtra dans un premier temps
qu'aé travers une photo et la reproduction parue
dans Minotaure, la regarde tous les soirs º û si belle
et si triste! ý º; mais elle la laisse tra|êner quelque
part si bien que Gin deècouvre que sa fianceèe a servi
de modeéle pour ce nu. Sans compter que cette pein-
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aé propos de Balthus
ture º û qui est pour nous seuls ý (204) º va eêtre
preèsenteèe au public lors de l'exposition Minotaure
de Bruxelles, la ville de Gin...
Dans une lettre, Balthus preècise ce que la toile
repreèsente ainsi que ce qui est, aé ses yeux, le sujet
du roman: û Je crois qu'il est inutile de t'en reèveèler
la signification profonde, tu la saisiras toi-meême
immeèdiatement. C'est, comme dans le livre
(quoique ce ne soit pas une illustration), l'instant oué
deux eêtres humains qui d'ailleurs n'en font qu'un et
qui sont compleèmentaires l'un de l'autre, arrivent
au carrefour de leurs destineèes respectives et vont,
comme deux astres qui ne se croisent dans leur
course que tous les mille ans, reprendre la route qui
les seèparera pour deècrire le cercle qui leur est imposeè
par le rythme universel et implacable. ý (158-159) Le
passage opeèreè du dessin aé la peinture fournit sans
conteste un mode de lecture plus geèneèral des peintures de Balthus: û Cathy est nue, parce qu'elle est
symbolique; de plus le groupe qu'elle forme avec la
bonne qui la coiffe est traiteè comme une vision,
comme un souvenir eèvoqueè par Heathcliff, qui au
fond est assis seul dans sa chambre. C'est donc deèjaé
un eèveènement passeè. ý (159) En d'autres mots,
l'Ýuvre preèsente la structure d'une peinture religieuse au sein de laquelle le commanditaire age-
Le Roi des chats
23
nouilleè et ce qu'il voit se trouvent projeteès dans une
seule et unique image. La confrontation directe aé
laquelle on assiste dans le dessin º lequel repreèsente
le moment oué Heathcliff et Cathy se font reèellement
face º fait place sur la toile au û regard ab|êmeè ý de
Balthus/Heathcliff et au souvenir d'un û moment
passeè ý. La peinture fixe le moment, transformeè en
image, tout en le rendant autonome et en l'investissant de quelque chose d' û essentiel ý.
Dans ses Meèmoires consigneès par Vircondelet, Balthus dit que la peinture û est une manieére de prieére ý
et chaque tableau, û une innocence enfin saisie ý. [6]
De nombreuses peintures qu'il a pu laisser preèsentent en effet la structure de l'Andachtsbild, la vision
ou l'apparition remplissant toute la toile. Le
commanditaire/personnage de Heathcliff est dans ce
cas hors de la figuration: il se trouve devant la peinture. Pour Balthus, une peinture est un objet de
meèditation, les sceénes sont des apparitions condenseèes, non point des sceénes pour le theèaêtre qui
seraient joueèes en direction d'un spectateur. Le fait
que ce que la toile figure releéve du passeè et que
celle-ci soit un souvenir, appara|êt clairement dans la
disposition des personnages, peints les uns aé coêteè
des autres, et ceci non seulement dans La Toilette de
Cathy, mais aussi dans les diffeèrentes versions de La
24
aé propos de Balthus
Rue et plus encore dans La Montagne. Pierre Klossowski appelle cela û pousser la pose aé l'exceés ý. [7]
Tels des personnages oniriques, ceux de Balthus ne
bougent pas par eux-meêmes, aucun enthousiasme
ne les habite et ils ne reèagissent ni aé leur entourage,
ni les uns aux autres. Ce ne sont pas des comeèdiens
qui, depuis la sceéne, regarderaient la salle et s'exhiberaient devant un public. Tous sont englobeès dans
un souvenir et un deèsir º une inteèrioriteè º qui les
contiennent et les montrent dans le cadre d'une
figuration. Dans La Montagne par exemple º la dernieére dispute entre Antoinette et Gin portait sur le
fait qu'elle se rendait û aé la Montagne ý deux semaines avant que le diplomate ne soit rappeleè de Berne
º, les principaux protagonistes jouant un roêle dans
la vie de Balthus se retrouvent pour ainsi dire juxtaposeès sur la toile: aé gauche, l'homme adulte, un
genou aé terre, portant l'habit traditionnel du montagnard et adoptant une pose emprunteèe aé un peintre
local, Joseph Reinhart; Antoinette au centre, droite
et fieére, bras dresseès en l'air; aé ses pieds, un double
dans la pose d'un Narcisse aé la Poussin; aé l'arrieéreplan, un garc° on, un Balthus, qui attend. Les personnages ne se û voient ý pas et ne se rendent pas
compte de la preèsence des autres. De telles peintures
sont poeètiques et non pas theèaêtrales: s'il ne se passe
Le Roi des chats
25
rien, si les personnages n'agissent pas, la toile rend
en revanche visible un moment donneè tout en le
conservant. La peinture n'est eèlaboreèe ni selon une
logique dramatique ni selon une logique narrative;
sa composition reèpond aé la logique visuelle de la
mneèmotechnique. û Un temps arracheè au deèsastre
du temps qui passe. ý [8] Au lieu d'un reècit, d'un
drame: une toile preèmoderne qui º comme les
Ýuvres de Giotto et de Piero della Francesca º
condense des eèveènements sacreès pour en faire des
sceénes intraduisibles nous peèneètrant comme une part
de veèriteè quand on prend la peine de les contempler.
Ce que Balthus place û hors du temps ý et dans le
domaine du souvenir, c'est ce que Haethcliff perd
au moment oué il deècouvre Cathy en train de se faire
belle pour un autre, ce qu'il a lui-meême perdu
quand Gin est entreè en sceéne: le bonheur impeètueux
de l'Enfance. L'Enfance de Balthus, ce ne sont pas
les anneèes de la petite enfance, mais celles du bonheur procureè par le û premier amour ý. Sans doute y
a-t-il toujours dans l'alleègresse amoureuse un peu de
cet eètonnement aé retrouver un bonheur perdu, mais
dans le cas qui nous inteèresse, on est en preèsence
d'un bonheur procureè par l'amour qui jaillit entieérement durant û l'extraleègaliteè ý de l'Enfance. Le bonheur de Cathy et de Heathcliff, le bonheur de Baby,
26
aé propos de Balthus
Robi et Baltheli, consiste en une vie relativement
primaire, encore deètacheèe des reégles de la prudentia,
une vie û d'avant le monde ý et des conventions et
contraintes que celui-ci suppose. Il s'agit d'une vie
naturelle anteèrieure aé toute morale, se nourrissant
de fraterniteè et de compliciteè, oué tout est possible
mais oué tout º y compris la sexualiteè º demeure
eègalement leèger, sorte de jeu sans conseèquences.
Cette eèpoque d'amours preècoces reste innocente,
quand bien meême elle repousse les limites. La
cruauteè, la perversion, la curiositeè grossieére, restent
elles aussi primaires car eèchappant encore aé tout
monde, aux responsabiliteès et aé toute perspective
temporelle. Pour Balthus, les semaines passeèes avec
Antoinette, et la personne meême d'Antoinette, sont
lieèes aé cette Enfance. Il s'en souvient plus tard
comme d'une chose certaine sur laquelle il peut fonder son art: û ... tu es pour moi l'image de la rayonnante Enfance... ý (381); û Ma petite sÝur cheèrie!
Inceste, sans aucun doute, mais inceste grand et pur
comme celui des premiers aêges ý (473); û ... tu
appartiens au monde immaculeè de l'enfance et de la
beauteè... ý (165); û Il n'est pas donneè aé tout le
monde de se trouver brusquement, et tremblant de
bonheur et d'effroi, devant l'image que l'on portait
cacheèe au fond de soi-meême, devant l'image reèelle
Le Roi des chats
27
du bonheur que l'on sentait deèjaé dans les premieéres
sensations de l'enfance. (...) Oê Beèbeè, retrouver le
compagnon d'ailleurs, d'autrefois º se souvenir! ý
(175) Autant de citations qui donnent une ideèe de
ce que Balthus perd au moment oué Antoinette entre
dans le monde avec Gin: û Retrouver son ciel et
puis le perdre... ý (175); Antoinette: û ...brusquement chasseèe du beau pays de l'enfance ý (213).
*
La correspondance avec Antoinette comprend un
passage qui offre, en plus de Wuthering Heights, une
deuxieéme image fondatrice de l'Enfance et d'Antoinette comme personnage-cleè. On peut rattacher ce
passage aé l'un des motifs les plus connus des Ýuvres
balthusiennes de l'apreés-guerre et qui appara|êt d'ailleurs sous de multiples variantes: Les trois sÝurs. [9]
Dans une lettre de mars 1934, Balthus raconte
comment, au cours d'une promenade aé cheval,
s'eètant retrouveè seul dans les environs de Chantilly,
il s'est perdu et a fini par arriver preés d'une vieille
villa isoleèe. Il y rencontre trois filles de onze ou
douze ans qui sont dans le jardin hors de la preèsence
de tout adulte: û Ces enfants ne connaissaient
aucune timiditeè, c'eètait comme si elles m'avaient
28
aé propos de Balthus
attendu et apreés avoir couvert le cheval de caresses,
on m'invita avec beaucoup de civiliteè aé boire du
chocolat. (...) tout eètait baigneè d'une douce lumieére
meèlancolique de reêve. (...) Tout autour de nous se
drapait de mysteére. Ces enfants entraient admirablement dans le jeu. ý (177) Balthus range immeèdiatement cette expeèrience parmi les souvenirs qu'il
conserve d'Antoinette: û Oê Beèbeè, tout cela, tout cela
eètait tellement toi, tellement profondeèment toi,
qu'apreés les avoir quitteèes, dans la croyance qu'elles
avaient eu la visite d'Obeèron, je t'appelai aé grands
cris dans le creèpuscule du soir... ý (177-178). L'Enfance: un meèlange de deèsinvolture, de toupet, de
curiositeè, de teèmeèriteè, de gouêt de l'extraordinaire º
avec la jeune fille comme cleè.
*
Les peintures de Balthus sont intimes comme des
penseèes. Voilaé pourquoi elles sont, de fait, graves et
totalement deèpourvues d'ironie. Elles ne s'adressent
aé personne et ne receélent aucun mode d'emploi aé
l'attention de celui ou celle qui les regarde, de telle
sorte qu'aucune lecture ne se trouve favoriseèe ni
eècarteèe. Eètant donneè, qui plus est, que la plupart
des protagonistes repreèsenteès sont des filles ou des
Le Roi des chats
29
jeunes femmes qui se font belles et/ou attendent º
elles s'habillent, somnolent, lisent, tra|ênent nonchalamment perdues dans leurs penseèes, se mirent,
jouent aé la patience... º, le spectateur est placeè dans
une situation ambivalente. Regarder une telle peinture, c'est en effet se retrouver automatiquement,
devant elle, dans la position d'un intrus et d'un
voyeur º dont le voyeurisme s'excuse facilement, la
peinture n'est-elle pas en effet complice et ne provoque-t-elle pas le regard? Balthus a eu beau reèpeèter
que ses toiles ne sont en rien eèrotiques et que ses
jeunes filles sont des anges et non des seèductrices, la
fac° on dont elles s'affichent ne le contredit-elle pas?
Pour mieux cerner cette question, il peut eêtre utile
de recourir aé un eèquivalent litteèraire. Aé peu preés aé
l'eèpoque oué Balthus peignait ses premieéres grandes
toiles, Witold Gombrowicz eècrivait son roman Ferdydurke dont certains theémes seront approfondis
dans La pornographie. [10] L'Enfance dont Balthus
parle dans ses lettres, Gombrowicz la deècrit mais
sans la moindre sympathie et du dehors, sans s'en
remettre aussi suêrement au souvenir. Sa position aé
lui, c'est l'irritation: une reèponse aé la fois sceptique
et lucide, domineèe par le doute de soi, car il est
impossible de savoir au juste qui de l'objet qui irrite
ou de la sensibiliteè propre provoque une reèaction.
30
aé propos de Balthus
La confiance en soi, la folle teèmeèriteè, la beauteè facile
et l'effronterie de la jeunesse sont si pueèrils et si
niais, et en meême temps d'une force et d'une attirance si irreèsistibles, que le regard exteèrieur ne peut
s'empeêcher d'eêtre fascineè alors meême qu'il les
deèmasque. La fascination tire sa quintessence de l'innocence º ou de ce qui para|êt innocent. û Oui, ils
eètaient innocents sans l'eêtre, tout en l'eètant! Innocents dans leur deèsir de ne point l'eêtre! Innocents,
fuêt-ce avec une femme dans leurs bras! Innocents
dans les luttes et les combats. Innocents quand ils
reècitaient des vers et innocents quand ils jouaient au
billard. Innocents quand ils mangeaient, quand ils
dormaient. Innocents quand ils se conduisaient avec
innocence. Sans cesse menaceès par la sainte na|ëveteè
meême quand ils versaient le sang, torturaient, violaient ou blaspheèmaient, le tout pour ne pas tomber
dans l'innocence! ý
L'intrigue de La pornographie recourt aux meêmes
composantes de base que Wuthering Heights et que la
liaison qu'entretient Balthus avec Antoinette, mais
uniquement aé titre d'hypotheéses: l'eècrivain Witold
et son ami Freèdeèric seèjournent dans un domaine oué
ils espionnent les faits et gestes des deux adolescents
Heènia (16 ans) et Karol. Les deux hommes, euxmeêmes exclus de la jeunesse, partent de l'ideèe que
Le Roi des chats
31
Heènia et Karol, lieès par leur jeunesse et la û sensualiteè adolescente ý, ne peuvent pas ne pas eêtre amoureux l'un de l'autre: û Ses mouvements aé elle, quand
ils [Heènia et Karol] me preèceèdaient ainsi dans la
foule presseèe et chaude, semblaient aussi le concerner d'une certaine fac° on et formaient comme le
compleèment passionneè, langoureux de ses mouvements aé lui dans la meême foule, tout preés. Vraiment? Ne me trompais-je pas? [...] Elle º en corsage clair, jupe bleu marine, col blanc, debout un
peu aé l'eècart, attendant ses parents, agrafait son livre
de prieéres. Lui... il fit quelques pas vers le mur d'enceinte et, se haussant sur la pointe des pieds, regarda
de l'autre coêteè º je ne savais quoi. Se connaissaientils? Bien qu'ils se tinssent seèpareès, leur ajustage passionneè n'en sautait que plus aux yeux: ils eètaient
faits l'un pour l'autre. ý Quand Heènia se fiance avec
un homme plus aêgeè, avocat de son eètat, l'eècrivain et
son comparse, supposant que Karol ne va pouvoir
supporter la situation, tentent de reèveèler la reèaliteè de
la liaison secreéte en provoquant la sexualiteè explicite, ceci de fac° on aé compromettre Heènia aux yeux
de son fianceè. Mais que peut-on deèduire d'une promenade des deux adolescents, du fait qu'ils pieètinent
ensemble un ver de terre? Ou de ce que l'un pose
ses pieds nus sur les pieds nus de l'autre, cela dans
32
aé propos de Balthus
le cadre d'une mise en sceéne dite expeèrimentale de
Freèdeèric? Ou que faudrait-il deèduire de la jeune fille
qui, sur une peinture de Balthus, les joues rougies
par le sommeil, souleéve son genou si bien que l'on
distingue entre ses cuisses sa petite culotte blanche;
ou encore de la jeune fille agenouilleèe lisant un livre,
ou de celle qui, allongeèe sur une banquette tire sur
une cordelette pointant vers son bas-ventre, alors
que l'une et l'autre ont la jupe releveèe? Qu'est-ce
que cela û prouve ý? Quel est ici le sens de l'innocence? Dans La pornographie, Gombrowicz deècrit
l'Enfance non comme un souvenir mais comme un
eètat eètrange et incompreèhensible, envoleè, qui aé la
fois fascine et irrite, et qui nous renvoie aé nousmeême. L'Enfance est-elle reèellement cette eèpoque
pleine et tumultueuse au cours de laquelle le deèsir et
les secrets partageès occupent et envouêtent toutes les
penseèes? Witold et Freèdeèric deècouvrent-ils derrieére
l'innocence joueèe une veèriteè secreéte, ou ne sont-ils
que des pornographes qui, eèchauffeès par leurs fantasmes, transcrivent une reèaliteè û naturelle ý simple
et explicite?
Tant dans Ferdydurke que dans La pornographie,
Gombrowicz avance le point de vue du narrateur
comme partie inteègrante de l'intrigue. Il deècrit l'Enfance indirectement, aé travers le regard fascineè du
Le Roi des chats
33
narrateur, regard prisonnier de lui-meême et, de fait,
non fiable. Pour le lecteur, le point de vue complexe
du narrateur barre tout chemin menant au fantasme
ou au reêve eèveilleè. Compareèes aé cela, les peintures
de Balthus paraissent normales et simples: elles ne
deèfinissent pas la position du spectateur et n'anticipent pas sur son regard. Quelques exceptions º ce
n'est pas un hasard si ce sont les tableaux eèrotiques
º confirment la reégle. Alice dans le miroir est le portrait grandeur nature d'une femme aé moitieè nue; un
pied poseè sur une chaise, elle leéve un genou tout en
se coiffant et en regardant hors du tableau. Le titre
ne renvoie pas seulement aé la frontaliteè de la repreèsentation et au regard de la femme, il eèclaire la
composition: ici, le spectateur est mis en face d'une
sorte de one way-screen. û Le miroir, c'est le spectateur. ý (158) Dans La lec° on de guitare, une femme tient
une fille aé la jupe retrousseèe et au bas-ventre nu sur
ses genoux tout en lui caressant la cuisse. Balthus a
toujours soutenu qu'il s'agissait d'une provocation
remontant aé sa jeunesse; pendant longtemps, il a
interdit qu'on reproduise ou qu'on expose cette
toile. Ces deux peintures eèrotiques sont pourtant
des Ýuvres-cleès parce qu'elles font º chacune aé sa
fac° on º ce que Balthus eèvite de faire dans ses autres
Ýuvres: elles s'adressent directement au spectateur
34
aé propos de Balthus
tout en incluant son regard. Le spectateur est
impliqueè dans ce qui se passe: comme voyeur dans
Alice dans le miroir, comme teèmoin adulte dans l'initiation impertinente de La lec° on de guitare. Cette dernieére
Ýuvre ne montre d'ailleurs pas l'Enfance mais l'initiation û adulte ý aé la sexualiteè explicite, laquelle
trouble la pleènitude de l'eèrotisation diffuse de l'Enfance, lui substituant la dupliciteè d'une fac° ade
sociale neutre et le mysteére du sexe. Dans le reste de
l'Ýuvre, l'Enfance eèvoqueèe par Balthus est une
Enfance d'avant l'initiation; c'est la raison pour
laquelle il reèalise des toiles qui ignorent l'observateur et ne lui confeérent aucune position. La structure picturale ne nous reèservant aucune place, celle
que l'on occupe devant les Ýuvres est du coup toujours preècaire. (On est placeè non dans la position du
lecteur de Gombrowicz mais dans celle du point-devue-de-la-narration.) Balthus nous deènie le plaisir de
regarder d'un regard û juste ý º y compris d'un
regard deèfendu ou complice. La simple circonstance
qui veut que le spectateur regarde une toile intime,
qui ne s'attend pas aé subir notre regard, sort celle-ci
de son inteèrioriteè º ou: de son û innocence ý º et la
rend complexe de la meême fac° on que Witold et Freèdeèric complexifient la vie de Heènia et de Karol.
C'est toujours du dehors et apreés-coup qu'on voit
Le Roi des chats
35
les peintures de Balthus; il est impossible de faire la
part entre ce qu'on voit et ce qu'on projette. On ne
sait plus si elles sont secreétement initieèes et donc
finalement coupables ou si l'on est soi-meême le Pornographe. Cela vaut y compris et surtout pour la
peinture qu'il est possible de lire comme un remake
de La Lec° on de guitare: La Chambre, une des Ýuvrescleès de Balthus parmi les quatre ou cinq que l'on
peut deènombrer. La toile monumentale grandeur
nature montre un enfant nain qui tient un rideau
ouvert, faisant tomber la lumieére du jour sur une
femme nue assise qui, la teête en arrieére, eècarte distraitement les jambes. L'enfant dit: û Regarde! ý, il
deèvoile; voilaé pourquoi le tableau est diffeèrent des
autres Ýuvres, plus direct, mais aé la diffeèrence de
La Lec° on de guitare, le spectateur n'est pas inclus dans
la sceéne, il est le teèmoin indirect d'un û commencement ý et d'une deècouverte qu'il ne peut ni partager
ni comprendre.
*
Quand l'apparence d'innocence se fait insupportable, l'adulte entend rompre l'eètrangeteè et l'inintelligibiliteè de cette Enfance º qui irrite par la fascination qu'elle exerce º en imposant son simple
36
aé propos de Balthus
mysteére aé lui: la sexualiteè, par le biais de l'initiation.
Mais les toiles de Balthus, elles, tiennent le spectateur aé distance, non seulement en ne lui renvoyant
pas son regard, non seulement du fait de leur monumentaliteè inattendue, mais aussi aé cause de la fac° on
singulieére dont l'artiste choisit et forme ses personnages, compose des situations. Russell, Clair et quelques autres ont suffisamment montreè aé quel point
chaque toile superpose et meèlange des strates de
reèfeèrences implicites, d'emprunts litteèraux et de travestissements tireès de l'ensemble de la tradition de
la peinture occidentale ou encore de la litteèrature
pour enfants. Voir l'ensemble de l'Ýuvre dans une
reètrospective comme celle du Palazzo Grassi ou bien
dans le Catalogue raisonneè permet qui plus est de constater combien le stock des motifs balthusiens est en
fait limiteè et aé quel point le reèseau des reèfeèrences
internes est serreè. Balthus travaille º y compris dans
ses paysages º en se basant sur quelques images,
quelques lieux, quelques poses, quelques expressions
et quelques personnages, y revenant sans cesse dans
des variantes timides ou affirmeèes, aé l'instar des
peintres religieux qui peignent et repeignent des
Vierges. De la sorte, l'acceés aiseè qu'offrent ces peintures, meême au novice qui n'en conna|êt que quelques-unes, et la faciliteè aé se laisser aller aé reêver sur
Le Roi des chats
37
ce qu'elles eèvoquent, se trouvent contrecarreès par
leur û ingeèniositeè ý explicite. Balthus construit ses
souvenirs picturaux en perturbant la perspective et
les proportions, en recourant aé des corps androgynes et en grossissant les visages, en optant pour une
sereine immobiliteè, des gestes bizarres et des poses
boudeuses qui geèneérent un effet d'eètrangeteè et
retiennent le souvenir, en eèlisant certaines poses sans
cesse reprises. C'est justement parce qu'on reconna|êt
cette eètrangeteè aé ce qu'elle a d'artistique et de
rechercheè qu'on se retrouve confronteè aé soi-meême
et confineè dans une position inconfortable et dans
l'incapaciteè aé se lier aé la toile. On se tient devant elle
comme devant l'Enfance: tel un spectateur devant le
miroir. Comment faire la part entre ce que l'on voit
et ce que l'on est et ce que l'on a eèteè ? Nous sommes
incapables de nous souvenir si le monde et la vie
ont commenceè comme paradis ou comme chaos,
incapables de deèterminer si l'Enfance de Balthus est
faite d'anges ou de monstres.
Le regard sondeur
Balthus aurait dit que la peinture moderne û ne
sait plus faire de phrases ý, qu'elle ne produit donc
plus que des mots sans liens les uns avec les autres,
des cris ou des bredouillements. Pour sa part, il tient
aé perpeètuer une tradition qui a aé cÝur le savoir-faire
mais aussi un certain langage pictural classique.
Aussi a-t-il peint des paysages, des natures mortes,
des nus et des portraits û bien dessineès ý. Mais il a en
outre reèaliseè quelques grands tableaux ou û situations ý quasi monumentaux que l'on range aujourd'hui parmi ses Ýuvres majeures: La Rue, La Montagne ou encore La Chambre. Selon Jean Clair, ces
toiles sont, quoi qu'on en dise, modernes: au lieu
de broder sur des theémes classiques ou des motifs
narratifs de la peinture d'histoire, elles sont tourneèes
vers elles-meêmes. Elles parlent de ces choses qui se
passent dans chaque eêtre humain sans que l'on soit
conscient d'elles. Blanche Reverchon, psychanalyste
et eèpouse de l'ami de Balthus, Pierre Jean Jouve, a
dit, para|êt-il, que Balthus peint toujours û au plus
preés de la sceéne primitive ý. Peindre pour retrouver
40
aé propos de Balthus
la û premieére image ý, pour repreèsenter au plus preés
le Mysteére, cette chose obscure dont on ne parle
jamais aux enfants mais qu'ils ont malgreè tout
û vue ý et qu'ils ont perdue quelque part dans leur
meèmoire pour ne pas l'avoir comprise.
Si Balthus a veècu longtemps, s'il a beaucoup travailleè et dessineè, il n'a peint qu'aé un rythme lent et
de fac° on reèfleèchie. Il n'a laisseè qu'un nombre assez
limiteè de peintures et n'a abordeè que peu de theémes.
Apparemment, quelques-unes des Ýuvres-cleès telles
La Rue, Le Passage du Commerce-Saint-Andreè et La Montagne, occupent une place isoleèe dans l'ensemble de
cette production. Dans les autres toiles et dessins,
on assiste aé la reprise d'une meême constellation,
d'une meême situation ou d'un jeu de variations sur
celles-ci jusqu'aé voir appara|être, conseècutivement aé
quelques eètudes d'approche, l'image centrale du
motif retenu. Il s'agit en l'occurrence presque toujours de sceénes d'inteèrieur: une seèrie de repreèsentations de jeunes endormies ou de jeunes filles alanguies sur une banquette ou aé coêteè d'un canapeè ; une
seèrie preèsentant une jeune fille ou une femme tenant
un miroir sur un lit ou une banquette; une seèrie de
jeunes filles qui jouent aux cartes º aé û la patience ý,
ou avec un garc° on... L'une des seèries majeures,
parmi les plus eènigmatiques aussi, figure une jeune
Le regard sondeur
41
fille soit nue soit mi-nue, plus ou moins allongeèe sur
une banquette, en diagonale sur la toile, pencheèe en
arrieére et jouant avec un chat, tandis que dans la
meême pieéce, un personnage trapu la regarde ou se
deètourne vers la feneêtre. La toile qui paracheéve cette
seèrie s'intitule La Chambre, une Ýuvre monumentale
repreèsentant des personnages grandeur nature et aé
laquelle Balthus a travailleè de 1952 aé 1954, soit aé la
fin de sa peèriode parisienne. La femme nue est allongeèe sur une banquette, la teête renverseèe, le bras ballant, tandis que sur la droite du tableau une sorte de
nain tient le rideau eècarteè, laissant tomber sur le
ventre de la femme une lumieére crue. En retrait, aé
droite, on deècouvre un chat qui, depuis une table
haute, contemple la sceéne. Aé l'arrieére-plan, sur un
meuble, un plat et dans le plat, une cruche.
Cette peinture a fait l'objet de maints commentaires. Tout le monde º ainsi que l'indique Virginie
Monnier aé qui l'on doit en grande partie le Catalogue
raisonneè ainsi que celui accompagnant la dernieére
grande reètrospective de 2001 aé Venise º voit dans
cette femme la victime d'un viol. Dans Du Tableau
vivant dans la peinture de Balthus, Pierre Klossowski, le
freére de Balthus, qui a veècu dans la pieéce oué ce dernier a peint La Chambre, se demande si elle montre
un û orgasme apreés un viol ý ou si au contraire il ne
42
aé propos de Balthus
s'est en fait rien passeè º ce qui suggeèrerait que la
toile superpose ce û rien ý et l' û irreèversible ý de
sorte aé produire quelque chose de û double ý et d'intoleèrable... De son coêteè, Jean Clair a preèciseè dans
plusieurs textes les reèfeèrences et emprunts iconographiques de l'Ýuvre balthusien: Der Stru« welpeter (Pierre
l'eèbouriffeè), livre pour les petits de Heinrich Hoffmann; des peintures et des gravures de Cranach,
Lorenzetti, Pierro della Francesca, Le Caravage; des
motifs classiques des vaniteès (comme le miroir) ainsi
que le couple Veènus-Psycheè. On conna|êt eègalement
des sources et autres reèfeèrences litteèraires: Wuthering
Heights; l'Ýuvre de Pierre Jean Jouve; des textes
publieès dans Minotaure, etc. En faisant principalement allusion au personnage du nain, Clair suggeére
que l'origine de La Chambre reèsiderait dans une tentative d'illustrer Roberte ce soir, le roman de Klossowski. Dans le catalogue de 2001, Monnier eètablit,
sans autres preècisions, un rapport entre cette peinture et La Marquise d'O de Heinrich von Kleist,
avant de finalement constater: û Up to now, investigations
to locate the sources, either literary or pictorial, of La Chambre,
have failed. ý [11]
*
Le regard sondeur
43
J'entends ici deèmontrer que la source principale
de La Chambre n'est ni un roman ni un texte quelconque, mais une repreèsentation bien connue de
l'art eèrotique de la Renaissance. La toile consiste en
un agrandissement et une adaptation d'une gravure
de la seèrie Les Lascives d'Augustin Carrache. Cette
gravure montre une femme nue qui, en travers de
l'image, pencheèe en arrieére, le bras gauche rameneè
sur la teête et les yeux poseès sur son bas-ventre,
releéve de la main droite une eètoffe qui deècouvre,
sous le lit, un chat grimac° ant. Le chat est allongeè
sur un livre. Entre les jambes de la femme se tient
un satyre au peènis incontestablement en partie eèrigeè
sous un cache-sexe, satyre qui tient une sonde de
sorte aé faire tomber le poids juste au-dessus du sexe
de la femme. Derrieére le couple, un putto eècarte un
rideau tout en fixant la sonde et le sexe de la femme.
En haut aé droite, dans l'angle, on voit dans une
feneêtre un plat, un flacon et un oiseau en cage. La
sonde et le regard du satyre, dirigeès l'un et l'autre
sur le bas-ventre mesurent û la profondeur de l'eau ý.
Dans La Chambre, Balthus recompose cette image en
reprenant tous les attributs et les personnages, ainsi
que les accessoires (sauf l'oiseau et la cage). Sans
toucher aé la composition, il nous propose un eèpisode ulteèrieur de la meême histoire. Aé l'arrieére-plan,
44
aé propos de Balthus
un plat et un pichet non pas l'un aé coêteè de l'autre
mais l'un sur l'autre; le chat, deèplaceè avec son livre
sur une table un peu en retrait; la femme exteènueèe
et comme absente allongeèe sur la banquette; le
putto, ameneè sur le devant apreés avoir effectueè un
quart de tour, tient sur la droite de la toile le rideau
ouvert tout en fixant, par-dessus son bras leveè, le
ventre de la femme. Le satyre, lui, a disparu de la
toile, mais il n'est pas pour autant absent de la situation: rameneè d'un quart de tour sur le devant
comme le putto, il est sorti de la toile et se trouve
devant elle. Celui ou celle qui contemple la peinture
de Balthus se retrouve de fait aé la place du satyre
tout en eètant impliqueè dans la situation: son regard
occupe la place reèserveèe dans la composition au
regard sondeur du satyre. La gravure de Carrache
eètait faite pour le voyeur. Quiconque veut observer
le secret d'autrui sans y eêtre confronteè, c'est-aé-dire
sans eêtre aucunement impliqueè ni provoqueè, peut la
regarder aé la deèrobeèe et sans risque aucun. C'est que
le voyeur entend voir sans eêtre vu et sans qu'on lui
adresse la parole. Sur la gravure, le personnage du
satyre propose un regard de l'inteèrieur ainsi qu'une
preèsence sur laquelle femme et putto se concentrent.
De ce fait, le spectateur n'est pas quelqu'un qui
regarde mais quelqu'un qui voit autrui regarder.
Le regard sondeur
45
Sur la toile de Balthus, aé l'inverse, le nain montre la
femme au spectateur devenu satyre. Par laé meême, la
gravure distante et voyeuriste se transforme en
image choquante et agressive º et plus encore
quand, au lieu d'en voir une reproduction, on se
retrouve de but en blanc devant le tableau grandeur
nature º qui investit le spectateur et fait de lui un
complice. Le caracteére eènigmatique qui pique la
curiositeè, et que tous les commentateurs de La
Chambre n'ont pas manqueè de souligner, repose
donc º comme le deèmontre la gravure de Carrache
º sur la mise aé l'eècart de l'un des personnages et sur
le fait que le regard du spectateur constitue la cleè
meême de l'eènigme.
La gravure de Carrache ne nous reèveéle pas uniquement la signature que portent La Chambre et les
toiles preèparatoires, telle La Semaine des quatre jeudis.
Quelques motifs surgissent aussi de fac°on isoleèe
dans d'autres Ýuvres. On releéve ainsi des repreèsentations de jeunes filles aux jambes nues et aé la jupe
releveèe, pencheèes en arrieére et somnolant sur une
banquette, avec aé leurs pieds un chat º dont un
lapant du lait º, autant d'Ýuvres qui confeérent au
spectateur un regard de satyre. [12] On pense surtout aé la ceèleébre toile Theèreése sur une banquette de 1939.
Elle montre l'une des filles les plus jeunes repreèsen-
46
aé propos de Balthus
teèe par Balthus: aé moitieè allongeèe sur la banquette,
en diagonale, elle redresse le genou gauche, sa jupe
ne lui couvrant plus que le haut des cuisses; de la
main gauche, elle prend appui sur le sol, de la main
droite elle tient un fil qui tombe perpendiculairement aé son bas-ventre. Sur des dessins preèparatoires,
un deuxieéme personnage, preés de la feneêtre,
compleéte la situation, le meême que celui qui figure
sur les esquisses de La Chambre. Monnier avance
que la jeune Theèreése joue avec un chien figurant sur
une esquisse º laquelle n'est eètonnement pas reprise
dans le Catalogue raisonneè : û La position de la jeune
fille se comprend si l'on note qu'elle tient aé la main
un fil au bout duquel pend une pelote avec laquelle
elle amuse un chien. ý [13] Dans le commentaire de
Jean Clair, le chien est devenu un chat: la jeune fille
joue avec û une pelote de fil invisible, qu'elle agite
au nez d'un chat ý. [14] Inveèrifiables et de nature
anecdotique, ces explications ne se satisfont pas de
surcro|êt de la simple repreèsentation: si Balthus avait
peint une sceéne de jeu, l'animal devrait eêtre visible
sous la banquette. En reèaliteè, il saute aux yeux que
cette peinture est elle aussi une transformation du
satyre sondeur de Carrache. La jeune fille est allongeèe sur une banquette aé l'instar de la femme de Carrache; on la voit certes de l'autre coêteè, ce qui fait
Le regard sondeur
47
que son bas-ventre reste cacheè ; mais le fil pend juste
au-dessus de son sexe en longeant la cuisse au meême
endroit que sur la gravure. Balthus fait sienne la
figuration de son preèdeècesseur tout en la rendant
trouble, de fac° on perverse. Certes, le spectateur
homme ou femme est placeè dans la position confortable du voyeur: il voit une jeune fille pubeére qui,
pour reprendre la terminologie de Michael Fried,
û se sonde elle-meême ý non pas theèaêtralement mais
en eètant absorbeèe en soi-meême. Mais la volupteè
directe de Carrache est devenue implicite. Le spectateur ne voit pas vraiment ce que le fil deèsigne et on
ignore en permanence si la jeune fille sait aé quoi elle
joue. Autrement dit, ce spectateur se trouve
confronteè aé ses propres deèsirs, sa curiositeè et ses fantasmes.
*
Constater que Balthus a eu recours aé au moins une
autre gravure de la seèrie Les Lascives nous permet de
deèduire qu'il a effectivement emprunteè le theéme du
satyre sondeur aé Carrache et non aé une quelconque
version posteèrieure. Le deuxieéme emprunt incontestable, c'est le û portrait ý d'une jeune fille, une peinture qui a une histoire: La Feneêtre (û La Peur des fantoê-
48
aé propos de Balthus
mes ý) de 1933. On raconte que le jour oué la jeune
modeéle, fille d'une connaissance de l'artiste, s'est
preèsenteèe pour la premieére fois aé l'atelier, Balthus,
qui avait passeè un vieil uniforme militaire et tenait
un poignard aé la main, aurait bondi sur elle et aurait
menaceè de lui arracher son corsage, faisant fuir la fillette effrayeèe vers la feneêtre. Balthus aurait repris
cette reèaction spontaneèe de l'enfant et son visage
atterreè comme theéme de sa peinture: tournant le
dos au vide, la fille est assise sur le rebord inteèrieur
de la feneêtre, une main leveèe comme pour se proteèger, l'autre en appui sur le rebord. Elle a un pied
qui repose sur le sol tandis qu'elle releéve la jambe
gauche. C'est graêce aé une photo que nous connaissons cette version initiale de la toile car Balthus l'a
retravailleèe º avant 1962 º en mettant un peu de
seèreèniteè dans le visage et surtout º modification la
plus notable º en deènudant un des seins du modeéle.
Monnier eècrit que cette seconde version est deènueèe
de û the physical expression of terror ý que Balthus û sought
to provoke on the young girl's face ý lorsqu'elle eètait entreèe
dans son atelier. [15] Et laé reèsiderait la raison pour
laquelle Balthus a demandeè aé Monnier et Clair, aé
l'eèpoque de la preèparation du Catalogue raisonneè,
d'ajouter le sous-titre û La Peur des fantoêmes ý. L'histoire de la sceéne au poignard, on la tient d'ailleurs
Le regard sondeur
49
de Balthus lui-meême et elle est û verbally confirmed by
Balthus ý. Mais il ne faut pas toujours croire ce que
les artistes racontent sur leur travail. Dans cette
mythification de l'origine de cette peinture, Balthus
joue avec l'ambigu|ëteè de la repreèsentation meême. La
pose adopteèe par la jeune fille n'est en rien une reèaction spontaneèe de nature anecdotique; c'est une citation de la version lubrique de Suzanne et les vieillards
par Carrache. L'histoire biblique, qui preèsente deux
vieillards eèpiant la jeune femme qui prend son bain
et s'approchant d'elle, a toujours inciteè les peintres aé
faire preuve d'une invention suggestive et ambigue« .
Carrache en reèalise toutefois pour sa part une version des plus explicites: les vieillards n'eèpient pas
Suzanne, l'un d'eux l'empoigne tandis que l'autre
les observe de preés, relevant son habit et portant la
main º tout juste hors du regard du spectateur º aé
son bas-ventre. Balthus reprend fideélement la pose
de la Suzanne de Carrache ainsi que ses gestes, il suit
la meême composition: les deux verticales, la ligne
de la balustrade et peut-eêtre aussi la skyline. La version û corrigeèe ý au sein deènudeè correspond plus
encore aé û l'original ý. L'histoire que l'artiste a colporteèe, et selon laquelle il aurait reveêtu un uniforme
et se serait, armeè d'un poignard, preècipiteè sur une
jeune fille, n'est rien d'autre qu'une version en par-
50
aé propos de Balthus
tie travestie de l'histoire de Suzanne oué Balthus
appara|êt comme l'un des vieillards.
La Feneêtre remonte aé 1933, le portrait de Theèreése aé
1939, La Chambre aé 1952. Cela montre qu'on retrouve la seèrie des gravures de Carrache au fil de
l'Ýuvre de Balthus. Il ne saurait eêtre question ici
d'un emprunt unique, incident. Ses quelques Ýuvres
explicitement eèrotiques, telle La Lec° on de guitare, Balthus les a ulteèrieurement minimiseèes comme autant
de provocations de jeunesse. Toutefois, il appara|êt
de ce qui preèceéde que les allusions aé l'eèrotisme
constituent l'une des bases d'un grand nombre de
ses Ýuvres et meême de l'ensemble de son Ýuvre º
ce que l'on pourrait dire eègalement de tant d'autres
artistes modernes, au premier rang desquels
Duchamp et Picasso. Souvent, les peintures suggeérent une tension maximale justement parce que cette
source explicite est tue ou occulteèe.
Ces remarques suffisent aé nous inciter aé poursuivre en confrontant plus avant l'Ýuvre de Balthus aé
la seèrie Les Lascives. Au moins une peinture et un
personnage-cleè s'imposent encore aé l'esprit. La gravure la plus obsceéne de la seèrie de Carrache est sans
doute La Toilette de Veènus: la û deèesse ý nue est assise
contre un rocher tandis qu'un putto lui lime les
ongles des orteils et qu'un petit satyre arborant une
Le regard sondeur
51
eèrection se glisse sous la jambe leveèe de Veènus et
insinue son doigt en elle tout en riant. La seconde
version de La Rue (1933) propose un geste obsceéne
pareillement explicite. Le peintre consideèrait cette
toile monumentale, grandeur nature et treés
complexe, comme la premieére grande peinture dans
laquelle il eètait parvenu aé dire exactement ce qu'il
avait aé dire. Une dizaine de personnages, dont
aucun ne parait conscient de l'existence des autres,
apparaissent ensemble en une sceéne eènigmatique et
hallucinatoire. Aé gauche, un homme qui s'est
approcheè d'une fillette s'empare du poignet gauche
de cette dernieére tandis qu'il plaque la main sur son
bas-ventre. Quand il fut question d'exposer la toile
au MoMA, cette main s'aveèra poser probleéme; Balthus proceèda alors aé une pudique correction en la
deèplac° ant quelque peu. La fille naine au premier
plan n'en reste pas moins le personnage qui attire le
plus l'attention. Elle tient dans la main gauche une
sorte de raquette de tennis sans cordes et semble
montrer de l'index de son autre main une balle
rouge qui tra|êne au milieu de la chausseèe. En l'observant de plus preés, on constate toutefois que son
regard n'est pas dirigeè vers la balle mais plutoêt vers
son index tendu º autrement dit laé oué se trouve,
sur la gravure de Carrache, le sexe de Veènus. La
52
aé propos de Balthus
taille et la pose de cette naine, et plus encore son
regard et le geste qu'elle fait, preèsentent d'eètranges
similitudes avec le petit satyre.
Il est entendu que La Rue est une Ýuvre d'une
rare complexiteè. Divers auteurs ont releveè ce que
doit chaque personnage aé la peinture occidentale,
mais personne n'a encore deègageè ce qui les rapproche ou les relie les uns aux autres. Voir dans la naine
le satyre de Carrache et dans le geste central une
caresse ne change rien aé cela. Toutefois, il s'agit de
deux eèleèments qui pourront eêtre utiles en vue d'une
tentative d'interpreètation globale. On sait en effet
que l'homme repreèsenteè derrieére la naine, entieérement veêtu de blanc et portant une planche sur
l'eèpaule, est un emprunt au cycle des fresques
d'Arezzo de Pierro della Francesca. Chez ce dernier,
l'homme ne porte toutefois pas de pantalon et on
voit de ce fait º deètail connu mais curieux º deèpasser de son habit un testicule. Balthus, pour sa part,
montre le personnage de l'autre coêteè, cachant, qui
sait, ce deètail derrieére sa cuisse.
*
Les peintures de Balthus et le genre d'interpreètation qui tend aé û reèsoudre ý les toiles releévent d'une
Le regard sondeur
53
ancienne tradition qui traite l'Ýuvre comme eènigme
ou û probleéme ý. (Le sens premier du mot û probleéme ý est, en grec, la reèponse eènigmatique que
donne l'oracle aé la question poseèe par l'homme. Aé
travers la reèponse de la pythie, c'est le dieu qui
parle; voilaé pourquoi la reèponse, qui vient û d'en
haut ý, ne peut eêtre autre chose qu'un obstacle, obscur et eènigmatique. La reèponse divine exige autrement dit toujours une explication. Il revient aé
l'homme de û deviner ý.) Faire une Ýuvre d'art
revient aé poser une eènigme, et observer cette Ýuvre,
aé la reèsoudre. L'eènigme est aé la fois graviteè et jeu
inextricablement imbriqueès, mensonge et profondeur. Le mysteére, simultaneèment eèvoqueè et occulteè
par l'Ýuvre, peut de surcro|êt s'aveèrer obsceéne dans
l'art moderne classique de Balthus: la peinture creèe
la possibiliteè de montrer subitement et explicitement
un mysteére º mysteére destineè aé eêtre proteègeè et dissimuleè º ainsi que l'attente de cette manifestation.
Une telle peinture fascine. Mais il ne faut pas oublier
qu'il y a preés d'un demi-sieécle que Balthus a reèaliseè
ces Ýuvres. Une reèutilisation plus reècente de l'image
du satyre de Carrache permet de prendre la mesure
de l'eèvolution de strateègies similaires, et au-delaé, de
la variation dans les modes de repreèsentation. En
1981, Jan Vercruysse a fait une installation photo
54
aé propos de Balthus
qui constitue, sans nul doute, la reprise du motif des
gravures de Carrache, avec toutefois un zoom sur la
partie centrale de l'image. Leda consiste en une photographie des cuisses nues, releveèes et eècarteèes d'une
femme dont le bas-ventre reste juste sous le cadre.
Devant l'image º et donc: en dehors d'elle º explicitement classique et encadreèe, pend une sonde dont
le poids pendouille devant le cadre. Vercruysse
reprend aé son compte Carrache, meême si ce n'est
pas le bas-ventre qui se trouve cette fois sondeè mais
l'image. Ce n'est plus le bas-ventre, traiteè dans Leda
aé la fac° on d'un contenu conventionnel, comme l'est
aussi d'ailleurs le nu dans l'ensemble de l'Ýuvre
photographique de Vercruysse, mais l'image meême
qui est devenue û eènigme ý et obstacle.
Le regard sondeur
55
Notes
[1] La meilleure documentation sur Balthus nous est fournie par les
catalogues du Centre Pompidou et du Palazzo Grassi : Balthus. Centre
Georges Pompidou, Museèe national d'art moderne, Paris, 5 novembre 1983 - 23 janvier 1984; The Metropolitan Museum of Art, NewYork, 21 feèvrier - 13 mai 1984,
Paris, 1983 ; Jean Clair (reèd.), Balthus, Milano, Bompiani, 2001. Il faut
y ajouter : Virginie Monnier & Jean Clair (reèd.), Balthus. Catalogue raisonneè de l'oeuvre complet, Paris, Gallimard, 1999, qui preèsente une
bibliographie quasi exhaustive. Le catalogue de 1983 regroupe les
principaux articles et commentaires anteèrieurs aé cette date.
[2] Balthus. Correspondance amoureuse avec Antoinette de Watteville 1928-1937,
Paris, Buchet/Chastel, 2001. La mention des pages figure entre parentheéses, ceci afin d'eèviter une inflation de notes.
[3] Reèponse de Balthus aé une question de John Russell poseè e dans le
cadre de la preèparation du catalogue de l'exposition de la Tate Gallery
en 1965. Meèmoires de Balthus. Recueillis par Alain Vircondelet, Paris, Eèd. du
Rocher, 2001, p. 135.
[4] J'ai eèvoqueè les implications theèoriques de cet argument dans
û Douce Meètamorphose ! Over gemaskerd spreken en het respect voor
de tekst ý, Tijdschrift voor Filosofie, (60/1) mars 1998, pp. 157-168.
[5] Balthus et Antoinette ont lu l'eèdition Payot 1929 dans la traduction de F. Delebecque (Correspondance amoureuse, note 55, p. 119).
Mentionnons celle que l'on doit aé un ami de Balthus : Emily Bronte« ,
Hurlevent des monts (Wuthering Heights), traduction de Pierre Leyris, GFFlammarion, 1984. Les dessins de Balthus figurent dans les deux catalogues mentionneès en note [1], tous accompagneès d'eètats intermeèdiaires ; le Catalogue raisonneè est bien entendu l'ouvrage le plus complet
de ce point de vue.
56
aé propos de Balthus
[6] Meèmoires de Balthus, p. 30 et p. 20.
[7] û Du tableau vivant dans la peinture de Balthus ý, texte de Pierre
Klossowski reè eèditeè dans le catalogue de Paris, 1983 (cf. note [1]), pp.
80-85.
[8] Meèmoires, p. 20.
[9] C'est surtout aé partir de 1955-1956 que Balthus travaille aux Trois
SÝurs en en abordant diverses variantes ainsi que des motifs apparenteès.
[10] Witold Gombrowicz, Ferdydurke (1937), traduction de Georges
Seèdir, Gallimard, 1995 (Folio n³ 3117) ; La Pornographie (1960), traduction de Georges Lisowski, Gallimard, 1995 (Folio n³ 2784). Citations :
page 40 de chaque roman.
[11] Jean Clair (reèd.), Balthus, Milano, Bompiani, 2001, p. 328.
[12] Il s'agit des peintures P 101 (Jeune fille au chat) et P 112 (Theèreése reêvant).
[13] op. cit., p. 136.
[14] Catalogue raisonneè, p. 38.
[15] op. cit., p. 230.
1. Balthus, La Montagne (L'eète)è (1937) º ß SABAM Belgium 2004
2. Balthus, Alors, pourquoi as-tu cette robe de soie?
(1933-1935) - ß SABAM Belgium 2004
3. Balthus, LaToilette de Cathy (1933) - ß SABAM Belgium 2004
4. Augustin Carrache, Le Satyre sondeur
5. Balthus, La Chambre (1952-1954) - ß SABAM Belgium 2004
6. Balthus, Theèreése sur une banquette (1939) - ß SABAM Belgium 2004
7. Jan Vercruysse, Leda - ß SABAM Belgium 2004
8. Augustin Carrache, Suzanne et les vieillards
9. Balthus, La Feneêtre (La peur des fantoêmes) (1933) - ß SABAM Belgium 2004
10. Augustin Carrache, La toilette deVeènus
11. Balthus, La Rue (1933) - ß SABAM Belgium 2004
12. Balthus, Le Roi des Chats (1935) - ß SABAM Belgium 2004
aé propos de Balthus
69
Illustrations
1. Balthus, La Montagne (L'eète)è (1937), (Catalogue raisonneè, P 102)
2. Balthus, Alors, pourquoi as-tu cette robe de soie? (1933-1935), (Catalogue
raisonneè, I 1570)
3. Balthus, LaToilette de Cathy (1933), (Catalogue raisonneè, P 74)
4. Augustin Carrache, Le Satyre sondeur
5. Balthus, La Chambre (1952-1954), (Catalogue raisonneè, P 221)
6. Balthus, Theèreése sur une banquette (1939), (Catalogue raisonneè, P 121)
7. Jan Vercruysse, Leda (1981)
8. Augustin Carrache, Suzanne et les vieillards
9. Balthus, La Feneêtre (La peur des fantoêmes) (1933), (Catalogue raisonneè, P 72)
10. Augustin Carrache, La toilette deVeènus
11. Balthus, La Rue (1933), (Catalogue raisonneè, P 73)
12. Balthus, Le Roi des Chats (1935), (Catalogue raisonneè, P 84)
Virginie Monnier & Jean Clair (reèd.), Balthus. Catalogue raisonneè de l'Ýuvre
complet, Paris, Gallimard, 1999.
La seèrie de gravures d'Augustin Carrache (1557-1602) a eèteè reècemment reèeèditeèe par les Eèditions de l'Amateur, Paris, 2003 : Augustin
Carrache, Les Lascives, textes de Lionel Dax et Augustin de Butler.
Leda de Jan Vercruysse figure dans Jan Vercruysse, Portrait de l'artiste, avec
un essai de Pier Luigi Tazzi, Gevaert-Ludion, Bruxelles-Gand, 1997,
p. 53.
70
aé propos de Balthus
Origine des textes
û Le Roi des chats ý a paru dans De Witte Raaf, n³ 96, 2002, sous le titre
û Gemengde gedachten. Over Balthus ý.
û Le regard sondeur ý a paru dans De Witte Raaf, n³ 104, 2003, sous le
titre û De peilende blik : Carracci, Balthus (& Vercruysse) ý
Le lecteur pourra consulter les textes neèerlandais dans les archives de
la revue De Witte Raaf sur le site www.dewitteraaf.be.
Colophon
La collection A&S/essays est eèditeèe par Bart Verschaffel,
Johan Lagae et Wouter Davidts.
A&S/books º Ghent University
Jozef Plateaustraat 22
B-9000 Gent (Belgium)
www.AndSbooks.ugent.be
AndSbooks(ad)ugent.be
Cet ouvrage a eèteè mis en page et a eèteè imprimeè par Cultura
(Wetteren, Belgique) en octobre 2004.
Copyright : Bart Verschaffel, A&S/books
Copyright illustrations 1-3, 5-7, 9, 11-12 :
SABAM Belgium 2004
ISBN : 9076714231
Deèpot leègal : D/2004/8734/6
BA RT VE RSCH A F FE L
Deèja parus dans la collection A&S/essays :
* Paul De Vylder, Onevenredige lichamen. Over de
onmogelijkheid van het spreken (2004) (en neè erlandais) º ISBN: 90-76714-19-3.
Bart Verschaffel º aé propos de Balthus
Neè en 1956, Bart Verschaffel est philosophe. Il
est professeur au Deèpartement Architecture &
Urbanisme de l'Universiteè de Gand. Il publie
principalement sur des questions touchant aé la
theèorie de l'architecture, aé l'estheètique et la
philosophie de la culture. Monographies : De
Glans der Dingen (L'Eèclat des Choses, 1989), Rome/
over theatraliteit (Rome/sur la theèaêtraliteè, 1990),
Figuren. Essays (Figures. Essais, 1995), Architecture is
(as) a gesture (2001), Nature morte, portrait, paysage:
essais sur les genres en peinture (2005).
aé propos de Balthus
Le Roi des chats
Le regard sondeur
ISBN : 90-76714-23-1
Deèpot leègal : D/2004/8734/6
A&S/books º Ghent University
www.AndSbooks.ugent.be
A&S/
books
A&S / books