énergie interne et fragmentation
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16 CHAPITRE III LES IONS : ENERGIE INTERNE ET FRAGMENTATION III . 1 Les ions formés par impact électronique III.1.A Ionisation et potentiel d'ionisation III.1.B Conversions internes III.1.C Énergie interne et constante de vitesse III.1.D Règles de fragmentation III.1.A Ionisation et potentiel d'ionisation Il a été montré qu'un électron possédant une énergie cinétique de 50 eV possède une vélocité de 4,2.108 cm/s qui lui permet de traverser des diamètres moléculaires de quelques Angströms en 10-16 s. Les vibrations les plus rapides existant dans les molécules sont à peu près 100 fois plus lentes. Par conséquent, on peut considérer que les positions des noyaux de la molécule ne changent pas pendant la période où l'électron se trouve dans son voisinage. Ainsi, lorsque le bombardement par l'électron conduit à l'arrachement d'un électron de valence pour donner un ion moléculaire, le processus se déroule sans changement significatif de la distance internucléaire. L'arrachement d'un électron à une molécule correspond à un changement de son état énergétique, en particulier de son niveau d'énergie électronique. Cela s'appelle une transition. Ces transitions sont décrites à l'aide des diagrammes d'énergie potentielle des molécules polyatomiques. énergie A B Distance interatomique Le processus d'ionisation est ainsi représenté par la transition verticale A (pas de changement de la distance internucléaire). Le processus de plus faible énergie qui peut se produire correspond à la perte d'un électron de l'orbitale occupée la plus élevée. Dans ce cas, A correspond au "potentiel d'ionisation" vertical, lequel autrement dit correspond à l'énergie perdue par l'électron de bombardement. Lorsque ce sont des électrons d'orbitales plus profondes qui sont arrachés, l'ion moléculaire se trouve sur des courbes d'énergie électronique plus élevées. On peut définir également un potentiel d'ionisation adiabatique (transition B), quantité nécessaire pour passer de la molécule à son plus faible niveau vibrationnel à l'ion moléculaire à son plus faible niveau vibrationnel. La probabilité d'une telle transition adiabatique est considérée comme très faible. III.1.B Conversions internes Lorsque l'ionisation confère aux ions moléculaires de grandes quantités d'énergie, cet excès d'énergie se retrouve comme énergie électronique d'excitation mais aussi, au sein d'un état électronique donné (Ee), les ions se répartissent sur différents niveaux d'énergie vibrationnelle (Evib). En spectrométrie de masse, où l'on n'est pas dans des conditions d'équilibre, les phénomènes sont approchés par la théorie dite du "quasi-équilibre" selon laquelle: 1. il faut considérer que tout ion est un système isolé en phase gazeuse: la somme des énergies Ee+Evib est constante, 2. toutes les courbes d'énergie électronique, dans un système donné, se croisent d'où a. tout ion peut être situé sur une courbe (défini par ses énergies électroniques et de vibration) 17 b. un niveau de vibration au sein d'une courbe inférieure peut être plus élevé qu'un niveau de vibration d'une courbe supérieure. Considérons, par exemple, deux états électroniques distincts, A et B, A énergie A représentant l'état électronique le plus excité. Ces deux états se croisent B (Figure). Au sein de chacun d'entre eux se trouvent différents niveaux d'énergie vibrationnelle. Parmi ceux-ci, un niveau dissociation d'énergie (noté en bleu) est commun aux deux courbes. Ainsi, un ion, doté E(B) E d'une énergie électronique A et d'une faible énergie vibrationnelle (premier niveau de la courbe A) peut, à énergie interne constante, passer à l'état B où il se trouve avec une énergie électronique Distance interatomique moindre et une énergie vibrationnelle accrue. Ce processus qui consiste à transformer de l'énergie électronique en énergie vibrationnelle à énergie interne constante s'appelle "conversion interne". S'il n'existe pas de mécanisme permettant à l'ion d'énergie E de perdre cet excès d'énergie vibrationnelle (par fragmentation, par exemple), il n'y aura pas de décomposition de l'ion moléculaire et la reconversion vers l'état A pourra avoir lieu. En revanche, si l'énergie vibrationnelle est assez importante pour atteindre le niveau d'énergie d'activation E(B), des réactions de décomposition (fragmentation) se produiront (flèche rouge). De manière générale, la conversion interne s'effectue dans le sens excitation électronique → excitation vibrationnelle. Cela conduit à une accumulation d'ions excités vibrationnellement au premier niveau d'énergie électronique. Ce sont ces ions qui sont responsables de la fragmentation. Remarque: c'est l'énergie vibrationnelle qui est responsable de la fragmentation d'un ion. Une liaison chimique peut en effet être comparée à un oscillateur (un ressort) dont l'amplitude des mouvements (son énergie vibrationnelle) conduit à la rupture ou, en d'autres termes, à sa fragmentation. III.1.C Énergie interne Eint et constante de vitesse k Soit une réaction de décomposition de ce type : . . . . M+ → F+( ) + n( ) k . (M+ : ion moléculaire, F+( ) fragment ionique, n: fragment neutre, k: constante de vitesse) Par approximation de la théorie du quasi-équilibre, la constante de vitesse k est liée à l'énergie interne: k = ν [(Eint-E0)/Eint]s-1 ν: Eint: E0: S: (13) facteur entropique (dit "de fréquence") qui caractérise l'état de transition de la réaction énergie interne de l'ion moléculaire avant fragmentation énergie d'activation, c'est l'énergie interne minimale nécessaire à la fragmentation nombre des oscillateurs Ø La réaction de fragmentation est d'autant plus rapide que ν est élevé, donc que l'état de transition est lâche (loose) plutôt que "tendu" (tight). Ø La réaction de fragmentation est d'autant plus rapide que Eint excède E0 (les ions les plus excités fragmentent le plus vite, les processus de plus faible énergie d'activation sont les plus rapides). Ø Pour une voie de fragmentation donnée (de même E0), celle ci est d'autant plus rapide que la molécule est petite (s petit). 18 A titre d'exemple, la pentanone-2 peut fragmenter selon deux voies différentes et compétitives: - par rupture simple (RS) conduisant à la perte d'un radical méthyle: O+ . O . . + . - + CH3 (m/z 71) par un réarrangement (R) dit de Mac Lafferty: H O+ . . H H O+ O+ m/z 58 Energie . Remarque: dans le cas de la rupture simple, le cation radical se dissocie en un neutre radical et un ion à nombre pair d'électrons. Dans le cas du réarrangement, le neutre perdu est une molécule et le fragment formé reste un cation radical. Comme dans le cas de la pentanone-2, les spectres d'ionisation par impact électronique présentent souvent simultanément des fragments à nombre pair et à nombre impair d'électrons (radicaux). Le réarrangement se traduit par une rupture de liaisons RS R mais aussi par la création d'autres liaisons. Une partie de l'énergie nécessaire à la fragmentation est ainsi m/z 71 rendue (released) par la formation de cette nouvelle liaison (énergie retour, energy release). E0RS m/z 58 Si l'on représente l'équation du quasi-équilibre (13) sur E0R un graphe, c'est à dire la constante de vitesse (k) en fonction de l'énergie interne, on constate que k tend . M+ vers ν lorsque l'énergie interne devient infinie. Or, l'état de transition de la rupture simple est lâche, ce qui conduit à une valeur élevée du facteur de fréquence νRS. Le réarrangement, en revanche, fait appel à une état de transition tendu qui s'accompagne d'une faible valeur de νR. Donc, à haute énergie interne, la rupture simple est plus rapide que le réarrangement (log kRS > log kR). En ce qui concerne l'énergie d'activation des processus, celle de la rupture simple, E0RS, est supérieure . à celle du réarrangement (E0R). En effet, la formation d'un radical CH3 correspond à une enthalpie très élevée. Par conséquent, l'énergie interne étant égale à l'énergie d'activation lorsque la constante de vitesse est nulle (équation 13), les courbes log k = f(Eint) correspondant aux mécanismes compétitifs de rupture simple et de réarrangement se croisent: log k Rupture simple Réarrangement E0R E0RS Diagramme de Warhaftig Ein 19 Énergie d'apparition et déplacement cinétique Une réaction de fragmentation dans la source d'ions, ne correspond jamais à un équilibre réactionnel au sens de la chimie en solution. Son rendement devrait donc tendre vers 100 % après un temps de réaction infini. En réalité, le temps de résidence des ions dans la source est très brève (de l'ordre de la microseconde ou moins) ce qui signifie que, pour que les fragments soient observés sur le spectre de masse, les constantes de vitesse doivent être très élevées (supérieures à 106 s-1 soit log k > 6). Si l'on reprend les courbes k=f(Eint), il est facile de constater que l'énergie interne pour laquelle la réaction de fragmentation peut être observée (donc log k > 6) est supérieure à l'énergie d'activation du processus (k = 0). Cette énergie s'appelle "énergie d'apparition" du fragment. C'est cette énergie qui pourra être mesurée par les systèmes expérimentaux. La différence entre énergie d'apparition et énergie d'activation s'appelle "déplacement cinétique". Outre le temps de résidence des ions dans la source, un autre paramètre temporel est à prendre en compte, en l'occurrence le temps de vol considéré ici comme le délai qui sépare l'ionisation du composé de l'arrivée de l'ion moléculaire sur le détecteur. Ce délai est très variable selon les instruments. Il signifie simplement que l'ion M+. observé sur le spectre de Eint E0 Eapp masse n'est pas nécessairement stable (au sens où son énergie interne serait Déplacement cinétique inférieure à l'énergie d'activation d'un processus de décomposition) mais n'a pas eu le temps de se dissocier avant d'avoir atteint le détecteur. Si l'on considère par exemple un temps de vol de 100 microsecondes, un ion dont l'énergie interne correspond à une cinétique plus lente que 10-4 secondes apparaît sur les spectres de masse comme ion moléculaire. log k 6 Distribution en énergie interne des ions moléculaires L'énergie interne des ions moléculaires n'est pas homogène au sein de la population ionique. Les ions moléculaires se trouvent en fait répartis sur différents niveaux d'énergie vibrationnelle. Si chacun de ces états peut être observé expérimentalement par certaines méthodes spectroscopiques (spectroscopie photoélectronique par exemple), la spectrométrie de masse ne peut guère mesurer que l'enveloppe globale de la distribution. Les deux paramètres temporels mentionnés plus haut (temps de résidence dans la source et temps de vol) permettent de définir trois classes d'ions moléculaires qui coexistent dans la source d'ions. Si l'on reprend les valeurs indicatives de 10-6 s et de 10-4 s pour ces deux valeurs nous définirons comme: Ions stables, les ions de durée de vie supérieure à 10-4 s qui forment le pic moléculaire des spectres de masse, Ions instables, les ions de durée de vie inférieure à 10-6 s qui forment les pics des ions fragments sur les spectres de masse Ions métastables, les ions de durée de vie intermédiaire qui se dissocient à un endroit quelconque de l'appareil entre la source d'ions et le détecteur. Les fragments issus de ces ions métastables et ceux formés dans la source d'ions à partir des précurseurs instables empruntent souvent des voies réactionnelles différentes. 20 En effet, si nous revenons au modèle de processus compétitifs entre un mécanisme de rupture simple et un mécanisme de réarrangement nous pouvons constater que, selon le diagramme de Warhaftig, la rupture simple est majoritaire Rupture simple log k dans la source d'ions alors que les réarrangements prédominent dans le cas des ions Réarrangement 6 métastables: 4 Important: Avant fragmentation, l'énergie interne se répartit sur tous les oscillateurs, c'est à dire toute la molécule (importance de "s" dans l'équation du quasiéquilibre) Eint P(E) (M+.) Ions M+. stables Remarque: La répartition d'énergie interne P(E) incluse toujours une contribution thermique <T>. Instables (RS majoritaire) Métastables (R majoritaire) III.1.D Mécanismes de fragmentation des ions formés sous IE Certains principes doivent guider l'analyse des spectres d'impact électronique. - Lors de l'ionisation, l'électron arraché est préférentiellement celui situé sur l'orbitale la plus superficielle (premier état électronique). S'il y a un hétéroatome dans la molécule, c'est là que se trouvera vraisemblablement la charge. Si un autre électron est arraché, le jeu des conversions internes conduit au même résultat. - La charge sera retenue sur le fragment de plus faible potentiel d'ionisation (règle de Stevenson). Par exemple, si la molécule contient une partie azotée et une partie aliphatique, la charge restera préférentiellement sur la partie azotée. - La stabilité du fragment joue un rôle important. En cela, la délocalisation résonante de la charge sur le fragment (par conjugaison) est un facteur favorable à sa formation. De même, un carbocation tertiaire sera plus stable qu'un carbocation secondaire, lui-même plus stable qu'un carbocation primaire. Cela explique que dans le cas de carbures saturés, les ruptures de liaison aient lieu préférentiellement aux points de branchement. Ruptures simples avec perte de radicaux: - stabilisation par résonance: . + . -CH3 + - formation d'ions "onium" (rupture en β d'un hétéroatome): +. N N+ . + + 21 Ruptures induites par la charge: Ce sont souvent des réactions secondaires qui conduisent à des ions fragments à nombre pair d'électrons. + + O + O Réarrangements: - Fragmentation par retro-Diels-Alder (RDA) + . + . + ou R R - . Fragmentation de Mac Lafferty: R H R . O + . R H H O + O + + . L'ion formé par réarrangement de Mac Lafferty est un radical cation distonique, c'est à dire dans lequel la charge et le radical ne sont pas portés par les mêmes atomes. Remarque: pour évaluer si l'ion fragment formé est à nombre impair (radical) ou pair d'électrons, on peut utiliser une règle simple dite règle de l'azote: Nombre d'atomes d'azote : Ion radical Ion à nombre pair d'électrons 0 ou pair Impair m/z pair . m/z impair (ex: NH3+ à m/z 17) m/z impair m/z pair (ex: NH4+ à m/z 18) III . 2 Les ions formés par ionisation chimique III.2.A Réaction de transfert de proton III.2.B Exemples III.2.A Réaction de transfert de proton (protonation) M + GH+ → MH+ + G Cette réaction entre molécule (M) et gaz (G) protoné ne se produit que si elle est exothermique (∆H°<0), l'enthalpie de cette réaction correspondant, on l'a vu (Chapitre I) à la différence d'affinités protoniques entre le gaz protonant et la molécule. Par conséquent, la différence d'affinité protonique entre réactifs donne une bonne approche de l'énergie interne des espèces formées qui accumulent une part de l'exothermicité de la réaction. La connaissance des affinités protoniques des gaz réactifs et des molécules permet de prévoir la possibilité d'une réaction de transfert de proton (donc d'orienter le choix du gaz réactif) et de connaître l'ordre de grandeur de l'énergie interne des ions formés (donc d'envisager des possibilités de fragmentation). Concrètement, on choisit le gaz réactant en fonction de la molécule étudiée et du type d'information désiré (poids moléculaire ou éléments de structure). Des tables d'affinité protonique de substances organiques ont été publiées, qui permettent a priori, d'évaluer les meilleures conditions d'ionisation pour le composé étudié. 22 Effet de pression La pression de gaz dans la source d'ions est un paramètre à prendre en considération. En effet, l'augmentation de pression se traduit par des collisions stabilisantes, donc par une diminution de l'énergie interne. Les ions [M+H]+ formés dans des conditions de haute pression sont dits alors "thermalysés", c'est à dire que leur répartition d'énergie interne est proche de la répartition thermique <T> qui suit une loi de Boltzmann. Si l'on considère ainsi un ion MH+* excité, deux processus sont en compétition qui peuvent conduire soit à sa stabilisation, soit à sa fragmentation: + F +n k MH+ Dans les cas où les constantes de vitesse k des processus de décomposition sont assez faibles, comme c'est souvent le cas de réactions de réarrangement, il y a compétition entre la dissociation et la stabilisation par collision. MH+ Pour des molécules dont les processus de décomposition nécessitent une faible énergie d'activation, le pic moléculaire est souvent absent des spectres d'impact électronique au profit d'une grande abondance de fragments. Du fait que les ions sont thermalisés, l'ionisation chimique conduit à des espèces stables, d'énergie interne plus faible qu'en ionisation par impact électronique; elles apparaîtront donc sur les spectres de masse. ks En ce qui concerne les lois régissant les énergies et cinétiques de dissociation sous ionisation chimique, s'agissant de réactivité unimoléculaire d'ions isolés en phase gazeuse, la théorie du quasiéquilibre reste évidemment valable. III.2.B Exemples Acétates: +O H O + ROH Le rapport [MH-ROH] diminue lorsque R H3C + augmente. Par conséquent, l'ion est d'autant plus O R m/z 43 stable et fragmente moins que la chaîne est longue. Cela s'explique par le fait que l'énergie interne se transmet à tous les oscillateurs, dont le nombre augmente avec la longueur de la chaîne. + H3C Rupture simple, assistance à la rupture (formation d'ions onium) + Y X et Y sont deux nucléophiles qui peuvnet être _ protonés en ionisation chimique. La perte de la Y H + XH X molécule XH sera favorisée par assistance du + nucléophile Y. Ainsi, dans le cas du butane-diol1,4, en fait de rupture simple (ci-dessous à gauche), on observe une assistance à la rupture (réarrangement) avec libération d'une énergie-retour (formation d'un oxonium, en l'occurrence un tétrahydrofuranne protoné): HO + (+H2O) H O+ (+H2O) [M+H]+ [M+H]+ 23 Réarrangement de Beckmann: + N O+H2 +N N Il s'agit d'une autre forme d'assistance à la rupture qui conduit au départ du groupement protoné par migration d'une liaison C-C liée à une double liaison. Autres exemples de réarrangement par migration de liaison: O+H H OH O + + + OH + H -H2O Réarrangement avec contraction de cycle et assistance: + O O+H2 O+H2 H OH perte d'eau lente + H2O aldéhyde protoné OH Le cas des cyclohexane-diols est un exemple typique de la différentiation par spectrométrie de masse d'isomères de position. Des résultats analogues peuvent être obtenus, avec d'autres types de fragmentation, sur des composés stéréoisomères.