Nouveautés thérapeutiques dans le diabète de type 1 Situation
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Nouveautés thérapeutiques dans le diabète de type 1 Situation
Dossier : Diabètes Nouveautés thérapeutiques dans le diabète de type 1 Situation actuelle et perspectives I. L’approche biologique Laurence Kessler, François Moreau Service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, Pôle NUDE, Clinique médicale B, 1, Place de l’Hôpital, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Université de Strasbourg, 67000 Strasbourg <[email protected]> La greffe d’îlots pancréatiques est aujourd’hui une alternative thérapeutique chez les diabétiques de type 1 greffés du rein pour lesquels la transplantation pancréatique est contre-indiquée en raison d’une atteinte macrovasculaire sévère. Du fait de sa faible morbidité par rapport à la transplantation pancréatique, elle peut être proposée au diabétique de type 1 à fonction rénale normale et présentant des hypoglycémies sévères malgré un traitement insulinique bien conduit. La détermination du degré de l’instabilité glycémique est fondamentale afin de bien évaluer pour le patient le rapport bénéfice/risque de ce nouveau traitement. Le but actuel de la greffe d’îlots pancréatiques n’est pas l’insulino-indépendance à tout prix, bien que souhaitable, mais le retour à une stabilité glycémique avec normalisation de l’HbA1c et disparition des hypoglycémies sévères permettant une amélioration de la qualité de vie. La poursuite des essais cliniques avec des molécules de plus en plus ciblées et le développement de nouvelles stratégies de greffe sont indispensables pour améliorer l’efficacité de la greffe d’îlots et permettre son extension à un plus grand nombre de patients diabétiques pour la décennie à venir. Mots clés : diabète de type 1, greffe d’îlots pancréatiques, instabilité glycémique, qualité de vie doi: 10.1684/met.2010.0241 L’ mt Tirés à part : L. Kessler épidémie mondiale de diabète concerne principalement le diabète de type 2 sans pour autant épargner le diabète de type 1 (DT1). En effet, l’incidence du DT1 est en augmentation dans tous les pays européens et non européens, touchant principalement les sujets de moins de 15 ans [1]. Dans cette population, l’incidence du diabète est passée de 0,6 % à 9,3 % de 1989 à 2003. Selon l’étude EURODIAB, le nombre de nouveaux cas de diabète en Europe est estimé à 15 000 en 2005 et à 24 400 en 2020. Ces données suggèrent que la prévalence du DT1 en Europe va augmenter chez les moins de 15 ans de 94 000 en 2005 à 160 000 en 2020 [2]. Ces données épidémiologiques auront pour consé- mt, vol. 16, n° 2, avril-mai-juin 2010 quence une ancienneté du diabète de plus en plus grande chez les patients et un risque augmenté de complications dégénératives en cas d’hyperglycémie non contrôlée. Les objectifs thérapeutiques en matière de traitement du diabète de type 1 visent à prévenir les complications chroniques et invalidantes de la maladie tout en assurant au patient une qualité de vie optimale. Cet objectif passe par l’obtention d’une glycémie la plus normale possible, le plus tôt possible et le plus longtemps possible. À l’heure actuelle, la solution biologique qui consiste à remplacer les cellules défectueuses autorégulées, soit dans le cadre d’une transplantation pancréatique, soit dans le cadre d’une greffe d’îlots pancréatiques permettrait 87 Dossier : Diabètes d’atteindre ces résultats. À côté de la transplantation pancréatique, la greffe d’îlots pancréatiques est apparue comme un traitement potentiel du diabète de type 1 du fait de sa faible morbidité et de la possibilité d’étendre la source de recueil d’îlots. Dix ans après les premiers résultats du groupe d’Edmonton rapportant une insulino-indépendance consécutive à un an chez des diabétiques de type 1 instables [3], quels sont les résultats actuels de la greffe d’îlots, sa place dans l’arsenal thérapeutique diabétologique et, enfin, quelles sont les perspectives d’avenir qu’ouvrent ces nouveaux traitements ? À côté de la solution biologique, le pancréas artificiel implantable s’est heurté aux difficultés de développement des systèmes sanguins d’analyse en continu de la glycémie et de stabilisation de l’insuline dans les pompes implantées [4]. Toutefois, les avancées biotechnologiques ont permis le développement de systèmes de contrôle en continu du glucose interstitiel couplés à des pompes à insuline externe permettant de mettre « le pied à l’étrier » d’un pancréas artificiel externe miniaturisé. Quelle est la place actuelle de ces dispositifs dans le traitement du diabète de type 1 et leur évolution potentielle ? L’approche technologique du traitement du diabète de type 1 fera l’objet de la partie II de cet article dans une revue spécifique. L’allogreffe d’îlots pancréatiques Pour la première fois en 2000, le groupe canadien d’Edmonton montre chez 7 diabétiques de type 1 que la greffe d’îlots pancréatiques permet d’obtenir un parfait contrôle glycémique en l’absence d’injection d’insuline [3]. Depuis cette date, de nombreux groupes américains et européens ont réalisé des greffes d’îlots pancréatiques afin de reproduire ces résultats [5-8]. Dix ans plus tard, quelle est la place de la greffe d’îlots pancréatiques dans le traitement diabète de type 1, quelles sont ses avantages et limites et enfin quelles perspectives d’avenir ouvrent cette nouvelle thérapeutique ? 88 La première étape au laboratoire consiste à réaliser l’isolement des îlots pancréatiques, c’est-à-dire la séparation des îlots pancréatiques du tissu pancréatique exocrine par une technique semi-automatique faisant appel à une digestion enzymatique (libérase) du pancréas [9]. Une des limites actuelles de la technique d’isolement d’îlots est sa faible prédictibilité du fait des variations importantes d’activité de la libérase observées aux différents lots. Après digestion pancréatique, les îlots pancréatiques sont isolés des acini exocrines par séparation selon un gradient de densité. Il est possible d’obtenir, à partir d’un pancréas humain qui comprend environ un million d’îlots, 200 000 à 400 000 îlots pancréatiques avec un niveau de pureté de 60 à 70 % (présence de 40 à 30 % de tissu exocrine) ; l’ensemble de la préparation d’îlots représentant un volume total de 2 à 4 mL de tissu. Les îlots sont ensuite cultivés dans l’attente de la greffe. Cette période de culture, qui permet de réaliser l’ensemble des tests microbiologiques et fonctionnels des îlots, a montré son efficacité sur le plan immunologique en améliorant la tolérance immunologique de la greffe. Toutefois, cette période de culture ne doit pas excéder 48 heures car au-delà de cette période elle conduit à une lyse des cellules (figure 1). L’étape hospitalière va consister à réaliser la greffe d’îlots pancréatiques chez le patient diabétique sous anesthésie locale ou générale par injection intraportale de la suspension des îlots au moyen d’un cathétérisme transhépatique réalisé sous contrôle échographique. La suspension d’îlots (200 000 à 400 000 îlots) est diluée dans 250 mL de sérum physiologique, puis conditionnée sous poche de transfusion avant d’être injectée par gravité dans le foie sous surveillance de la pression veineuse portale (figure 2). Certaines équipes réalisent l’injection des îlots chirurgicalement par cathétérisation d’une veine épiploïque au décours d’une incision de Mc Burney. Son avantage réside dans un meilleur contrôle des incidents hémorragiques mais au prix de la morbidité plus élevée du geste chirurgical. Technique de greffe d’îlots pancréatiques chez l’homme Modalités de la greffe d’îlots pancréatiques La greffe d’îlots comprend deux étapes : la première est réalisée au laboratoire où sont pratiqués l’isolement, la purification, puis la culture des îlots pancréatiques. La seconde est une étape hospitalière où est réalisée la greffe chez le patient diabétique. Après prélèvement du pancréas humain dans le cadre d’un prélèvement multiorgane chez un patient en état de mort cérébrale, le pancréas est acheminé au laboratoire dans un délai inférieur à 8 heures. La qualité du prélèvement du pancréas, et notamment la préservation de la capsule péripancréatique, sont des facteurs pronostiques importants qui vont conditionner les étapes ultérieures d’isolement et de purification des îlots. Depuis les dix dernières années, les progrès réalisés dans les techniques d’isolement d’îlots ont constitué une avancée importante permettant de greffer un plus grand nombre d’îlots chez le patient diabétique. Les données récentes des groupes nord-américains rapportent que la greffe d’îlots nécessite pour un patient l’injection de 10 000 îlots/kg de receveur nécessitant, compte tenu du rendement de la procédure d’isolement d’îlots, l’injection d’un nombre équivalent en îlots provenant au moins de deux pancréas humains (figure 3). Deux injections itératives d’îlots au minimum seront pratiquées à trois mois d’intervalle chez un même patient. Comme pour toute greffe, la greffe d’îlots est réalisée en compati- mt, vol. 16, n° 2, avril-mai-juin 2010 1. Digestion 4. Implantation 2. Purification 3. Transplantation Figure 1. Les principales étapes d’isolement d’îlots pancréatiques humains. bilité ABO entre le donneur et le receveur et après un cross match négatif (ganglion du donneur + lymphocytes du receveur). La deuxième avancée dans le domaine de la greffe d’îlots pancréatiques a été le recours à des protocoles d’immuno-suppression n’utilisant plus de corticoïdes et faisant appel à des associations de sirolimus (Rapamune®) à des inhibiteurs de calcineurine (tacrolimus, Prograf®) utilisés à faibles doses du fait de leur effet diabétogène. L’induction de la greffe est actuellement réalisée à l’aide d’anticorps anti-récepteur de l’interleukine 2 (daclizumab, Zenapax®) administrés juste avant la greffe et toutes les deux semaines pendant un mois et demi après la greffe. La durée d’hospitalisation pour la greffe d’îlots est en moyenne d’une semaine. Les indications de la greffe d’îlots Les indications de la greffe d’îlots pancréatiques concernent actuellement des diabétiques de type 1 en insuffisance rénale terminale, relevant d’une transplantation simultanée de rein et d’îlots pancréatiques ou des diabétiques de type 1 insuffisants rénaux déjà greffés du rein. Chez ces patients, la transplantation pancréatique n’a pu être réalisée du fait de leur état macrovasculaire très altéré, notamment coronarien, incompatible avec la morbidité particulièrement élevée de la transplantation de pancréas. Dans cette indication, l’immunosuppression, déjà en place pour la greffe de rein, permet d’induire la tolérance des îlots pancréatiques. L’obtention d’un équilibre glycémique optimal est recherchée afin de protéger le greffon rénal de l’effet délétère de l’hyperglycémie. La deuxième indication de greffe d’îlots pancréatiques concerne les diabétiques de type 1 non compliqués à grande instabilité glycémique en échec thérapeutique. Ce type de diabète, malgré un traitement insulinique optimisé, se caractérise par la survenue d’hypoglycémies sévères définies par la nécessité d’avoir recours à une tierce personne pour la correction de l’hypoglycémie et soumettant par conséquent le patient à un risque vital. Dans cette indication, le risque évolutif spontané de la maladie diabétique est jugé plus important que le risque lié à la technique de greffe d’îlots et à la mise en place du traitement immunosuppresseur. Chez ces patients, la transplantation isolée de pancréas peut être une alternative thérapeutique mais au prix de complications chirurgicales plus importantes. Du fait de la toxicité néphrologique des protocoles d’immunosuppression actuels, seuls les diabétiques à fonction rénale conservée et stable dans le temps peuvent bénéficier d’une greffe d’îlots sans risquer de voir leur fonction rénale se dégrader. Les résultats de la greffe d’îlots pancréatiques Une efficacité clinique démontrée au plan métabolique et sur la qualité de vie En 2008, le CITR (Cell Islet transplant Registry) rapporte à partir de l’évaluation de 352 patients diabétiques de type 1 avec instabilité glycémique ou greffé du rein représentant 649 infusions intraportales que la greffe d’îlots pancréatiques selon le protocole d’Edmonton permet d’obtenir une insulinodépendance à 1 an dans 80 % des cas associée à une fonction des cellules à insuline chez 95 % des patients. Huit ans après la greffe, mt, vol. 16, n° 2, avril-mai-juin 2010 89 Dossier : Diabètes A A B B Figure 3. Préparation d’îlots pancréatiques humains colorés par la dithizone en vue d’une greffe (A) avant et après (B) purification (les îlots apparaissent en rouge et le tissu exocrine en jaune). Figure 2. Injection dans le foie des îlots pancréatiques sous contrôle échographique (A) : portographie après injection intraportale des îlots (B). 90 Évolution de la fonction β l’insulino-indépendance chute à 13 % alors que la fonction bêta-insulaire (C peptide > 0,5 ng/mL) est présente chez 67 % des patients chez qui est réintroduit de faibles doses d’insuline. Le degré de la compensation métabolique, c’est-à-dire la quantité d’insuline exogène nécessaire à l’obtention d’une HbA1C < 6,5 %, est directement corrélée à la quantité d’îlots greffés [10] (figure 4). Malgré la perte progressive d’insulino-indépendance, les patients ayant une production endogène d’insuline ont une réduction d’au moins 50 % de leurs besoins en insuline associé à une normalisation d’HbA1C en absence d’hypoglycémies sévères et mineures. Cet effet constitue un bénéfice métabolique majeur notamment chez le diabétique instable en échec thérapeutique malgré une 1,00 0,75 0,50 0,25 0,00 0 5 10 15 20 Mois 25 30 35 40 Figure 4. Évolution de la fonction des îlots pancréatiques (C peptide > 0,5 ng/mL) – courbe bleue – et de l’insulino-indépendance – courbe noire – chez des diabétiques de type 1 instables après greffe d’îlots ; données du CITR [10]. mt, vol. 16, n° 2, avril-mai-juin 2010 insulinothérapie intensive par multi injection ou pompe à insuline [11]. Cette amélioration a été confirmée lors des enregistrements continus du glucose sous cutané [12] (figure 5). Cette abolition des hypoglycémies sévères s’explique par la restauration d’une inhibition de la sécrétion endogène d’insuline associée à la réponse sympatho-adrénergique durant l’hypoglycémie sans que la contre-régulation de la sécrétion de glucagon ne soit complètement corrigée. Sur le plan lipidique, la greffe d’îlots améliore le profil lipidique avec une diminution du cholestérol et des triglycérides plasmatiques chez des patients diabétiques recevant une greffe d’îlots après greffe rénale comparé à des patients diabétiques de type 1 uniquement greffé du rein A 400 [13]. Chez le diabétique instable non insuffisant rénal, une dyslipidémie peut apparaître nécessitant le recours à un traitement par satine du fait de l’utilisation de rapamycine dans les protocoles d’immunosuppression. La greffe d’îlots pancréatiques du fait de la restauration d’une stabilité glycémique avec disparition des hypoglycémies améliore de façon significative la qualité de vie des patients diabétiques instables même chez les patients chez qui il est nécessaire de reprendre le traitement insulinique à faible dose. Cette amélioration porte sur une meilleure satisfaction de l’état de santé globale et une diminution du retentissement du diabète [14]. Chez le diabétique greffé du rein, la greffe d’îlots n’améliore pas de façon significative la qualité de vie. En effet, chez ces patients déjà soumis à un traitement immunosuppresseur, la greffe d’îlots est proposée principalement pour améliorer le contrôle glycémique en vue de la protection métabolique du greffon rénal et pas nécessairement pour la présence d’une instabilité glycémique avec hypoglycémie sévère [15]. Glucose interstitiel (mg/dL) 350 Une efficacité potentielle qui reste à confirmer sur la survie des patients et les complications dégénératives 300 250 200 150 100 50 0 - 50 12:00 4:00 8:00 12:00 4:00 8:00 12:00 8:00 12:00 Évolution journalière B 400 Glucose interstitiel (mg/dL) 350 300 250 200 150 100 50 0 - 50 12:00 4:00 8:00 12:00 4:00 Évolution journalière Figure 5. Enregistrement continu du glucose sous-cutané au moyen d’un holter glycémique chez un patient diabétique de type 1 traité par pompe portable à insuline avant (A) et après transplantation d’îlots pancréatiques humains (B). Peu d’articles sont dévolus à l’influence de la greffe d’îlots sur la survie des patients. Un travail récent compare la survie de deux populations de patients diabétiques greffés du rein et d’îlots pancréatiques : une première population ayant une fonction des îlots avec un taux de C peptide sanguin > 0,5 ng/mL et une population ayant perdu dans les 6 premiers mois la fonction des îlots [16]. À 7 ans, la survie des patients avec fonction persistante des îlots est de 90 % contre 51 % pour les diabétiques en échec de greffe d’îlots avec un nombre de décès d’origine cardiovasculaire supérieur dans ce dernier groupe. Cette étude préliminaire nécessite d’être confirmée par des études contrôlées portant sur un plus grand nombre de patients. Quelques études suggèrent un effet protecteur de la greffe d’îlots envers les complications dégénératives du diabète. Il s’agit toutefois d’études concernant des petits échantillons de patients et pour la plupart non contrôlées et rétrospectives. Sur le plan macrovasculaire, le groupe de Fiorina rapporte une augmentation de l’épaisseur intima média chez des diabétiques de type 1 greffés du rein en échec de greffe d’îlots, en comparaison avec un groupe présentant les mêmes caractéristiques mais ayant une greffe d’îlots fonctionnelle [16]. Sur le plan rénal, le même groupe montre une augmentation de la survie du greffon rénal chez des patients diabétiques recevant une greffe rein-îlots pancréatiques avec îlots fonctionnels comparés aux patients ayant perdu leur fonction bêta-insulaire. Cet effet positif est objectivé par une diminution de l’excrétion urinaire d’albumine et de sodium. Les auteurs suggèrent que la restauration d’une sécrétion endogène de C peptide pourrait activer la pompe Na/K mt, vol. 16, n° 2, avril-mai-juin 2010 91 Dossier : Diabètes des cellules tubulaires rénales [17]. Au plan ophtalmologique, la greffe d’îlots pancréatique a été associée à une stabilité de la rétinopathie diabétique, mais ces études n’ont porté que sur un suivi d’une année [18]. Enfin, au plan de la neuropathie périphérique des membres inférieurs, le groupe de Milan a rapporté une amélioration de la neuropathie périphérique objectivée par des données électromyographiques chez des diabétiques de type 1 greffés du rein recevant une greffe d’îlots fonctionnelle [19]. Ces données sont en accord avec la grande sensibilité de l’atteinte neurologique périphérique diabétique à la normoglycémie. Les grandes orientations de la greffe d’îlots pancréatiques La source de recueil d’îlots La greffe d’îlots pancréatiques se heurte actuellement, sur le plan clinique, au nombre limité de pancréas humains disponibles pour permettre l’isolement des îlots. Cette difficulté se trouve accrue par la nécessité d’utiliser, chez plus de 80 % des patients, deux pancréas humains pour obtenir la quantité minimale d’îlots susceptible de pouvoir reverser le diabète. Afin d’augmenter le rendement en îlots, le groupe d’Hering propose une standardisation de la procédure d’isolement permettant de greffer l’équivalent en îlots issu d’un seul pancréas [20]. D’autres groupes essayent d’améliorer la fonction des îlots en traitant les patients greffés par analogue du GLP-1 afin de diminuer l’apoptose cellulaire. Ainsi l’équipe de Chicago a rapporté chez 5 patients une efficacité comparable de la greffe d’îlots à partir de deux donneurs comparés à 5 autres patients recevant moitié moins d’îlots mais traités par exénatide [21]. Un grand essai multicentrique international randomisé prospectif contrôlé est en cours visant à évaluer l’effet du liraglutide sur l’efficacité de la greffe d’îlots pancréatiques. Même si l’amélioration des techniques d’isolement et de purification du pancréas humain permet d’espérer des meilleurs rendements avec une plus grande reproductibilité, le nombre de pancréas humains disponibles constituera une sévère limitation à l’extension des indications de la greffe d’îlots face à un nombre croissant de patients diabétiques. Le développement de nouvelles sources de tissu insulino-sécréteur représente un avenir prometteur, que ce soit les cellules souches embryonnaires ou les lignées cellulaires. De nombreuses équipes de recherche essayent de mettre en évidence au plan expérimental les conditions de culture et l’ensemble des facteurs de différentiation des cellules souches en cellules à insuline. Récemment, un laboratoire nordaméricain a pu transformer des cellules souches embryonnaires de souris en cellules à insuline autorégulée [22]. L’application de ces données à l’Homme se heurte aux limitations éthiques d’utilisation des 92 cellules souches embryonnaires. Cette difficulté peut être contournée par la mise en évidence de cellules souches adultes dans le pancréas humain mais aussi par l’utilisation de cellules comme les fibroblastes qu’il est possible dans certaines conditions de culture de dédifférentier en cellules souches [23]. La réaction inflammatoire précoce La transplantation d’îlots pancréatiques est limitée par l’absence de cause identifiée de perte de fonction des cellules greffées, dans la mesure où nous ne disposons actuellement ni de marqueur de suivi de la masse insulaire, ni de marqueurs de rejet des cellules. Or, du fait de la procédure d’isolement, la ramification vasculaire péri-insulaire est détruite, soumettant les îlots à des conditions d’hypoxie très délétère. Très précocement après la greffe, les îlots endommagés vont libérer des substances chimiotactiques capables d’activer le macrophage. En réponse à cette stimulation, les macrophages vont migrer sur le site de la greffe, libérer des cytokines et entraîner une destruction des îlots greffés. Par ailleurs, il existe au niveau du foie une réaction inflammatoire locale médiée par la production de facteur tissulaire libéré par les îlots pouvant être responsable d’un état procoagulant in situ au site de la greffe et d’une perte initiale des îlots [24]. Afin de contrôler cette « CIVD » localisée au niveau du foie, a été proposé un traitement par héparine au moment de la procédure d’injection d’îlots puis une anticoagulation prophylactique dans la semaine qui suit la greffe [25]. Ce traitement est bien sûr à mettre en balance avec un des effets indésirables les plus fréquents de la greffe d’îlots qui est l’hémorragie au cours de la ponction transcutanée de la veine porte. Sur le plan expérimental, les recherches portent sur le développement de marqueurs de suivi de la masse et de la fonction bêta-insulaire. Le dosage du mRNA de l’insuline des îlots a été proposé par l’équipe de Genève mais ne permet pas d’identifier la cause de la perte cellulaire [26]. Les microparticules (MP) qui sont des fragments de membrane plasmique aux propriétés procoagulantes, émis par les cellules stimulées ou apoptotiques, pourraient présenter un intérêt dans le monitoring de la greffe d’îlots. En effet, la composition membranaire et le contenu protéique des MP permet l’identification des cellules émettrices et des molécules mobilisées en réponse au stress cellulaire. Son intérêt déjà évalué en transplantation cardiaque suggère que les MP pourraient être un candidat pour le monitoring de la greffe d’îlots pancréatiques [27]. L’immunosuppression Depuis le premier rapport du groupe d’Edmonton, les protocoles d’immunosuppression ont évolué au vu de la mise en évidence de l’effet antiangiogénique de la rapamune, très délétère pour les îlots au début de la greffe, mais aussi de la tolérance clinique parfois mauvaise de cette molécule [28, 29]. Par ailleurs, il est apparu mt, vol. 16, n° 2, avril-mai-juin 2010 fondamental de mieux contrôler la réaction inflammatoire locale au niveau du foie et son « orage » cytokiniques, là encore très délétère pour les îlots. Si l’absence d’utilisation de corticoïde reste la règle, les nouveaux protocoles s’orientent vers l’utilisation d’une induction plus puissante à base de thymoglobuline, le contrôle de la réaction inflammatoire précoce par l’utilisation d’anti-TNFα (étanercept), et enfin le recours à la rapamune uniquement en début de greffe pour bénéficier de son rôle antimacrophagique puis secondairement relayée par les inhibiteurs des calcineurines (Prograf®) afin de limiter son effet antiangiogénique. Différents agents dépléteurs en lymphocyte T ont été testés au plan expérimental. Une combinaison d’antithymoglobuline et de rituximab (anti-CD20) a permis de prolonger l’efficacité de la greffe d’îlots chez le primate [30]. Extension des indications de la greffe d’îlots au diabète insulino prive non auto-immun La transplantation pulmonaire représente l’ultime possibilité de traitement chez le patient atteint de mucoviscidose au stade de l’insuffisance respiratoire terminale. À ce stade, un patient sur deux présente un diabète d’équilibration souvent difficile du fait de l’association d’une sécrétion insulinique endogène altérée dans un contexte d’insulino-résistance sévère liée à l’infection chronique. L’existence d’un diabète antérieur à la greffe pulmonaire augmente la morbi-mortalité post-greffe [31]. Du fait de sa faible morbidité, la greffe d’îlots pancréatiques combinée à la transplantation issue du même donneur est apparue comme une nouvelle approche du traitement de la mucoviscidose. Deux observations récentes de greffe combinée de poumon et d’îlots pancréatiques ont été rapportées chez des patients atteints de mucoviscidose au stade de l’insuffisance respiratoire terminale. La greffe d’îlots a permis l’obtention d’un contrôle glycémique optimal avec une normalisation de l’HbA1C, la disparition des hypoglycémies et une réduction de 50 % des besoins en insuline [32]. regroupe 6 CHU français (Nancy, Strasbourg, Besançon, Grenoble, Lyon, Montpellier) autour du laboratoire d’isolement d’îlots de Genève, est un des premiers réseaux multicentriques à avoir démontré la faisabilité et l’efficacité de la greffe d’îlots dans ce mode de fonctionnement (figure 6) [33]. Afin d’augmenter la production d’îlots, le groupe GRAGIL dispose depuis fin 2009 d’un autre laboratoire d’isolement d’îlots localisé à Grenoble. L’expérience du GRAGIL a donné l’impulsion à la création du groupe G-4 du nord de la France qui réunit les CHU d’Amiens, Caen, Rouen, autour du laboratoire d’isolement d’îlots de Lille et également au regroupement d’équipes nord-américaines et scandinaves. Ce travail en réseau permet d’optimiser les procédures de prélèvement, de transport, de greffe des îlots pancréatiques. Il a l’avantage également de pouvoir réaliser des protocoles cliniques et d’évaluer ainsi de nouvelles modalités thérapeutiques. La reconnaissance par les assurances maladies En France et dans la plupart des pays, la greffe d’îlots pancréatiques est réalisée dans le cadre de protocoles cliniques du fait de la nécessité de poursuivre des améliorations en termes de contrôle de l’inflammation, du traitement immunosuppresseur… Cependant le protocole d’Edmonton a permis d’ores et déjà de faire la preuve de l’efficacité de la greffe d’îlots dans le diabète instable par la disparition des hypoglycémies. Dans ce contexte et afin d’étendre la greffe d’îlots pancréatiques à un plus grand nombre de patients et le plus précocement possible, c’està-dire avant la survenue des complications dégénératives, une étude nationale française (TRIMECO) doit débuter en 2010 afin de réaliser l’évaluation médico-économique de Nancy La couverture géographique La greffe d’îlots pancréatiques se heurte actuellement, sur le plan clinique, au nombre limité de pancréas humains disponibles, mais également à la nécessité, pour obtenir des résultats satisfaisants, de disposer d’une équipe chirurgicale de prélèvement d’organe formée à la transplantation, d’un laboratoire d’isolement d’îlots ayant une expérience et une grande maîtrise dans la procédure d’isolement des cellules. Afin de permettre à un plus grand nombre de patients diabétiques de pouvoir bénéficier d’une greffe d’îlots pancréatiques, se sont développés des réseaux multicentriques regroupant des équipes cliniques autour d’un laboratoire d’isolement d’îlots pancréatiques. Le GRAGIL (Groupe Rhin Rhône Alpe Genève pour la greffe d’IIots Pancréatiques), qui Strasbourg Besançon Dijon Lyon Genève Grenoble Montpellier Figure 6. Le réseau GRAGIL. mt, vol. 16, n° 2, avril-mai-juin 2010 93 Dossier : Diabètes la greffe d’îlots et de proposer un coût de ce traitement à l’Assurance-Maladie. Cette démarche devrait permettre ainsi de sortir la greffe d’îlots du domaine de la recherche clinique et la considérer comme un traitement à part entière du diabète de type 1. La greffe d’îlots pancréatiques est aujourd’hui une alternative thérapeutique chez les diabétiques de type 1 greffés du rein contre-indiqués à la transplantation pancréatique en raison de leur atteinte macrovasculaire sévère. Du fait de sa faible morbidité par rapport à la transplantation pancréatique, elle peut être proposée au diabétique de type 1 à fonction rénale normale et présentant des hypoglycémies sévères malgré un traitement insulinique bien conduit. La détermination du degré de l’instabilité glycémique est fondamentale afin de bien évaluer pour le patient le rapport bénéfice/risque de ce nouveau traitement. La poursuite des essais cliniques avec des molécules de plus en plus ciblées et le développement de nouvelles stratégies de greffe est indispensable pour améliorer l’efficacité de la greffe d’îlots et permettre son extension à un plus grand nombre de patients diabétiques pour la décennie à venir. Remerciements et autres mentions Financement : aucun ; conflit d’intérêts : FM a participé en qualité de co-investigateur à l’essai Navigator (Abbott) et à Télédiab, et a bénéficié d’invitations en qualité d’auditeur (Medtronic-Abbott). Références 1. EURODIAB ACE Study Group. 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