cyberpharmacies et médicaments contrefaits

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cyberpharmacies et médicaments contrefaits
SantéPUBLIQUE
Cyberpharmacies et médicaments contrefaits
Démêler le vrai du faux
La contrefaçon est un réel problème de société touchant de multiples industries. Le commerce pharmaceutique n’y échappe malheureusement pas. Tandis que certains patients achètent sciemment des médicaments contrefaits à caractère frauduleux flagrant, d’autres s’en
procurent sans le savoir, ceux-ci étant dissimulés parmi des marchandises réglementaires. L’avènement d’Internet dans les années 1990 a
donné, entre autres, l’occasion à des fournisseurs sans qualifications professionnelles de duper des patients en faisant le commerce illégal
et pernicieux de la médication contrefaite. Généralement très visibles dans les moteurs de recherche, les courriels publicitaires ou la
publicité attrayante sur Internet, ces cyberpharmacies illégales qui produisent de faux médicaments gagnent souvent sournoisement la
confiance des patients, ce qui constitue un risque majeur pour la santé publique.
La contrefaçon des médicaments :
un problème mondial
loppement économique, tels que la Chine,
l’Inde, les Philippines et une partie de la
Russie4.
De façon générale, les contrebandiers sont
attirés par deux types de médicaments : ceux
utilisés à grande échelle et ceux dont le prix de
vente est très élevé4. Selon l’OMS, dans les
pays en voie de développement, les médicaments les plus fréquemment contrefaits sont
les antibiotiques visant à guérir des maladies
infectieuses et des maladies graves, comme le
paludisme et la tuberculose, ainsi que les antirétroviraux5. Dans les pays industrialisés, les
médicaments liés au mode de vie, qui permettent de traiter des problèmes comme le dysfonctionnement érectile, la calvitie ou l’obésité, ainsi que les analgésiques opiacés et les
psychotropes seraient plus populaires. Une
nouvelle tendance visant à contrefaire des
Texte rédigé par Julie Duchaine, B. Pharm.,
Institut Philippe-Pinel de Montréal.
Selon l’Organisation mondiale de la santé
Texte original soumis le 16 décembre 2009.
(OMS), un médicament contrefait est défini
comme étant « délibérément et frauduleuseTexte final remis le 18 janvier 2010.
ment muni d’une étiquette n’indiquant pas
son identité et/ou sa source véritable »1. Il
Révision : Suzie Lavallée, B. Pharm., Pharmacie
s’agit généralement d’un produit original ou
Michel Couture et Richard Blais.
générique, contenant des ingrédients délétères
pour la santé, ne contenant aucun ou très peu
de principe actif ou dont le conditionnement
a été falsifié.
De par sa nature clandestine, il est plutôt difficile de quantifier la morbidité et la mortalité
causées par la contrefaçon de médicaments.
Aucune étude internationale n’a jamais pu
être effectuée pour en déterminer la prévalence et les dommages collatéraux2. Par contre,
l’OMS estime à 32 milliards de dollars, soit
10 % de tous les médicaments vendus dans le
monde, l’ampleur de la médication contrefaite3. Selon le Center for Medicine in the Figure 1
Public Interest aux États-Unis, la situation Types de médicaments contrefaits saisis en 2007
internationale devrait encore s’aggraver, l’aug- selon l’Organisation mondiale de la santé
mentation de la contrefaçon atteignant plus
de 90 % en 2010 par rapport à 20054. Cette
pratique illégale et dangereuse ne porte que
sur 1 % des médicaments vendus dans les
pays industrialisés comme le Canada et les
États-Unis; par contre, considérant la médication en provenance des cyberpharmacies, ce
Génito-urinaires
pourcentage grimpe à plus de 50 %3,4. Nos
patients ne sont donc pas à l’abri de cette
calamité.
Autres
Le commerce des médicaments contrefaits
est davantage répandu dans les pays en voie de
Anti-infectueux
développement, comme dans le Sud-Est asiatique et l’Afrique, où plus de 50 % des médicaments en circulation seraient contrefaits4,5.
Les contrebandiers utilisent principalement
l’Océanie et les îles des Bahamas comme interPsychotropes
médiaires pour vendre leurs faux médicaCardiovasculaires
ments. Depuis ces endroits, les médicaments
Gastro-intestinaux
sont vendus à des pays industrialisés à partir,
supposément, de cyberpharmacies légitimes
basées en Europe, au Canada ou aux ÉtatsUnis. Cette pratique corrompue serait fré- Adapté de International Medical Products Anti-Counterfeiting Taskforce, « Counterfeit Drugs Kill ! », Genève, 2008
quente dans les pays asiatiques en fort déve-
21 %
37 %
9%
9%
12 %
www.professionsante.ca
12 %
avril – mai 2010 vol. 57 n° 2 Québec Pharmacie
1
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traitements onéreux contre le cancer ou certaines maladies cardiovasculaires graves serait
également présente4.
Au Canada, la préoccupation principale de
nos forces de l’ordre s’avère l’importation de
médicaments contrefaits, soit à des fins personnelles, par l’entremise de cyberpharmacies, ou en très grandes quantités dans le but
d’en faire le trafic. À titre d’exemple, en 2003,
au port de Vancouver, elles ont saisi
74 000 doses de faux comprimés de ViagraMD
provenant de Chine, dissimulés dans de fausses cartouches de cigarettes. En 2005, un pilote
d’avion a été condamné à un an de prison
pour avoir fait entrer illégalement à Toronto
120 000 faux comprimés de ViagraMD, de CialisMD et de LevitraMD. Toutefois, le marché des
médicaments vendus en officine n’est pas non
plus à l’abri de l’infiltration de produits
contrefaits. Effectivement, par le passé, une
organisation clandestine se faisant passer pour
un distributeur autorisé de médicaments a
vendu de faux comprimés de NorvascMD à des
officines ontariennes, ce qui a causé le décès
de 11 patients5.
Conséquences sur la santé publique
Selon l’OMS, des milliers de gens sur la planète
tombent malades ou meurent à cause de médicaments contrefaits chaque année. Ceux-ci
sont rarement efficaces et, dans la plupart des
cas, ils sont nocifs pour la santé et entraînent
de lourdes charges pour les systèmes de santé1.
Bien que la situation semble endémique en
Afrique et en Asie, la contrefaçon de médicaments constitue néanmoins un réel problème
pour la santé publique des Canadiens. Dans la
plupart des cas, la pharmacothérapie n’est fondée sur aucune relation médecin-patient ou
pharmacien-patient légitime. Les consommateurs n’ont donc aucune indication claire sur la
posologie, les possibles interactions médicamenteuses et les effets indésirables des produits achetés, pas plus qu’ils n’ont un suivi adéquat4,5. Certaines cyberpharmacies offrent un
service de « consultation en ligne », mais il ne
s’agit, dans les faits, que d’un simple questionnaire non valide légalement. Dans certains cas,
l’absence de consultation médicale peut entraîner un sous-diagnostic, et des pathologies
sous-jacentes peuvent donc rester non traitées
et s’aggraver, comme c’est le cas avec la prise
d’un médicament sans principe actif1,5. De
plus, ces médicaments sont souvent de provenance et d’authenticité incertaines, et peuvent
contenir des ingrédients nocifs pour la santé.
Tout défaut de produit ou effet indésirable
2
grave ne pourra donc mener à un rappel de
produit adéquat. C’est connu, les contrefaçons
d’antibiotiques ou de vaccins peuvent entraîner des effets délétères pour toute la société.
Les médicaments contrefaits ont contribué,
entre autres, à créer des formes résistantes de
Shigella et de salmonelle, qui deviennent
conséquemment très difficiles à éradiquer5.
Finalement, tel que le décrit l’OMS, la contrefaçon de la médication risque de miner la
confiance qu’accordent les patients aux professionnels de la santé, aux organismes publics,
ainsi qu’à l’industrie pharmaceutique1.
Le rôle de Santé Canada
et des douanes
En ce qui concerne la mise en marché, le commerce, les importations et les exportations de
médicaments, le rôle de protection de la santé
publique est dévolu au ministère fédéral de la
santé, à savoir Santé Canada. Plus précisément, c’est l’Inspectorat de la Direction générale des produits de santé et des aliments
(IDGPSA) qui est responsable de la conformité des lois à cet égard, avec la collaboration
des douaniers de l’Agence des services frontaliers du Canada en ce qui a trait à l’importation de médicaments6.
Les lois et règlements canadiens sont clairs à
l’effet que l’importation de médicaments
d’ordonnance est interdite pour toute personne autre qu’un médecin, pharmacien,
fabricant dûment autorisé, ou résident d’un
pays étranger, durant son séjour au Canada7,8.
Dans ce dernier cas, Santé Canada est clémente avec les visiteurs, qui peuvent importer
en personne tout médicament en quantité
pour 30 à 90 jours de traitement, selon la
posologie et le type de médicament en cause.
Toutefois, pour un Canadien qui commande
un médicament via une cyberpharmacie
située hors du pays, la situation est bien différente. Tout envoi de médicaments d’ordonnance par la poste ou par messager est automatiquement saisi par un agent de conformité
de l’IDGPSA, à la suite du ciblage d’un agent
des douanes. En ce qui concerne les médicaments en vente libre et les produits de santé
naturels, une quantité d’au plus 90 jours de
traitement est tolérée, afin de limiter les éventuels détournements pour un commerce illégal9. Or, tous les colis ne faisant pas d’emblée
l’objet d’une fouille par les agents des douanes, plusieurs d’entre eux peuvent tout de
même entrer illégalement au Canada et se
rendre chez les patients qui consommeront
d’éventuels produits contrefaits.
Québec Pharmacie vol. 57 n° 2 avril – mai 2010
Comment pouvons-nous aider
nos patients ?
Plusieurs projets d’envergure internationale
ont été mis sur pied par l’OMS au cours de la
dernière décennie afin de favoriser la lutte
contre la contrefaçon des médicaments. Par
contre, la pierre angulaire pour minimiser
cette problématique demeure évidemment la
prévention auprès du public. Or, le pharmacien peut jouer un rôle actif d’éducation à cet
égard auprès de ses patients. Parmi les ressources mises à sa disposition, Santé Canada a
publié un feuillet d’information destiné au
grand public dans sa série Votre santé et vous.
Ce feuillet, intitulé Achat de médicaments par
l’entremise d’Internet met les Canadiens en
garde contre les vendeurs de produits pharmaceutiques en ligne, informe de la piètre
qualité possible des médicaments achetés et,
surtout, des risques pour la santé10. En outre,
afin de mieux renseigner nos patients qui
désirent importer des produits pharmaceutiques, la Politique sur les importations de drogues à usage humain et de produits de santé
naturels au Canada constitue un document
de référence très pertinent. Ces deux sources
de référence sont accessibles sur le site Internet de Santé Canada à l’adresse suivante :
www.hc-sc.gc.ca.
Enfin, une sensibilisation accrue de nos
patients face à la problématique de la contrefaçon des médicaments et des risques associés
à l’achat de produits pharmaceutiques sur
Internet est de mise pour éviter des conséquences désastreuses sur la santé de notre
population. Les contrebandiers sont rusés
quant à leurs techniques de contrefaçon de
médicaments et il semble qu’il faut maintenant être très inventif pour les déjouer. Par
exemple, au Ghana, où la situation des médicaments contrefaits est endémique, un nouveau système appelé MPedigree permet aux
consommateurs de découvrir un numéro de
série sur le produit – à la manière d’un billet
de loterie –, de le transmettre par messagerie
texte au manufacturier et de recevoir rapidement une confirmation de l’authenticité du
produit. Plusieurs autres technologies sont
présentement en développement, telles qu’une
identification des produits par un type d’ADN
synthétique ou une identification par radiofréquence11. Le Canada devra-t-il, lui aussi, se
doter de solutions ingénieuses afin de protéger la santé de sa population ? n
Cyberpharmacies et médicaments contrefaits : démêler le vrai du faux
Références
1. Organisation mondiale de la santé. Médicaments
contrefaits – Guide pour l’élaboration de mesures
visant à éliminer les médicaments contrefaits.
Département des médicaments essentiels et politique pharmaceutique. Genève, 2000.
2. Jones V. « Counterfeit Drugs : A Growing Global Health
Crisis ». Science-based Medicine [En ligne. Page
consultée le 14 septembre 2009.] www.sciencebasedmedicine.org/?%20p=525
3. Buzzeo RW. Counterfeit Pharmaceuticals and the Public Health. The Wall Street Journal 2005; 4 octobre
2005, p. A20.
4. European Alliance for Access to Safe Medicines. The
Counterfeiting Superhighway. Surrey, 2008.
5. Service canadien des renseignements criminels
(2006). La contrefaçon des médicaments au Canada.
[En ligne. Page consultée le 14 septembre 2009.]
www.cisc.gc.ca/pharmaceuticals/documents/counterfeit_pharmaceuticals_f.pdf
6. Santé Canada. P-0001 - Politique de conformité et
d’application, version 2. Inspectorat de la Direction
générale des produits de santé et des aliments,
Ottawa, 2005.
7. Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., c.
870, art. C.01.045.
8. Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19, art. 6.
9. Santé Canada. P-0019 - Politique sur les importations
de drogues à usage humain et de produits de santé
naturels au Canada. Inspectorat de la Direction générale des produits de santé et des aliments, Ottawa,
2006.
10. Santé Canada (2005). Achat de médicaments par
l’entremise d’Internet. Votre santé et vous. [En ligne.
Page consultée le 14 septembre 2009.] www.hc-sc.
gc.ca/hl-vs/alt_formats/pacrb-dgapcr/pdf/iyhvsv/med/internet-fra.pdf.
11. Stevens P, Harris J. Counterfeit medicines - A serious
threat to global health. Fraser Forum 2009: 23-25 [En
ligne. Page consultée le 17 septembre 2009.] www.
fraseramerica.org.
Questions de formation continue
X) Parmi les énoncés suivants, lequel est faux ?
A. Les médicaments utilisés à grande échelle et ceux dont
le prix de vente est très élevé sont les plus susceptibles
d’être contrefaits.
B. Le service de « consultation en ligne » offert
par les cyberpharmacies n’a aucune valeur légale.
C. Le trafic de médicaments contrefaits implique généralement
la participation d’intermédiaires commerciaux.
D. Les antibiotiques et les antirétroviraux sont les classes
de médicaments les plus fréquemment contrefaites
dans les pays en voie de développement.
E. Au Canada, le pourcentage de médicaments contrefaits
est évalué à 1 % des produits importés par l’entremise
des cyberpharmacies.
X) Cas : Monsieur Lavoie se fait livrer 180 capsules de
millepertuis 300 mg (la posologie recommandée est
d’une capsule trois fois par jour) par l’entremise d’une
cyberpharmacie située en Inde. Qu’arrivera-t-il à son colis
si celui-ci est ciblé par un agent de la douane postale ?
A. Le colis sera livré sans problème à M. Lavoie.
B. Le colis sera automatiquement envoyé à un agent de
conformité de Santé Canada qui le saisira.
C. Le colis sera automatiquement saisi par l’agent de la douane
postale.
D. Seulement 30 de ces capsules seront livrées à M. Lavoie,
tandis que les autres seront saisies.
E. Seulement la moitié de ces capsules seront livrées à
M. Lavoie, tandis que les autres seront saisies.
Veuillez reporter vos réponses dans le formulaire de la page XX 
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Québec Pharmacie vol. 57 n° 2 avril – mai 2010
La poussée dentaire : que peut-on proposer ?
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