Chopin : Biographie critique, illustre de douze reproductions hors texte
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Chopin : Biographie critique, illustre de douze reproductions hors texte
10 C54 64 906 Les Musiciens Célèbres CHOPIN Far Elie POIREE PROVn PROVO. yr^ATT UTAH * ^ LES MUSICIENS CÉLÈBRES CHOPIN t \ LES MUSICIENS CÉLÈBRES COLLECTION d'e N SEIG NE M EN T ET DE Placée sous le VULGARISATION Haut Patronage DE L'ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS Parus : Gounod, parP.-L. Hillemacher. Liszt, par M.-D. Calvocoressi. Rossini, par Lionel Dauriau. Gluck, par Jean d'Udine. Hérold, par Arthur Pougin. Mozart, par Camille Bellaigue. Schumann, par Weber, Georges Servières. par Camille Mauclair. En préparation Wagner. MM. — Auber. — Beethoven. : — Schubert, etc. Fourcaud Charles Malherbe; Vincent d'iNDY; Bourgault-Ducoudray; etc. Par Louis de ; (Ml Mb • C-^H LES MUSICIENS CÉLÈBRES pc*H CHOPIN PAR ÉLIE POIRÉE Conservateur-adjoint à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. BIOGRAPHIE CRITIQUE ILLUSTRÉE DE DOUZE REPRODUCTIONS HORS TEXTE PARIS LIBRAIRIE RENOUARD HENRI LAURENS, ÉDITEUR 6, Tous RUE DE TOURNON (VI e ) droits de traduction et de reproduction réservés- pour tous pays. Q rVV^ HÂROLD B. LEE LIBRARï BRIGHAM YOUNG UNIVERSITE PROVO,UTAH FRÉDÉRIC CHOPIN INTRODUCTION Il n'est personne qui ne connaisse son nom, qui n'ait entendu quelqu'une de ses œuvres. Sa musique figure sur tous les pianos ; n'y eût-il ni Mozart, ni Beethoven, Schumann, on trouverait certainement un de ni ses nocturnes ou une de ses valses. Cette extraordinaire popularité, que pourrait justifier, sans l'expliquer complètement, la valeur de fut Chopin comme et il la un type jusqu'ici unique et que, créa une forme typique très reconnais- sable et très frappante. comme que de son œuvre, provient de ce que Chopin, pianiste, réalisa compositeur, l'artiste H y a une mélodie à la Chopin y a des figures à la Raphaël, à la Rubens, à Rembrandt. Mais cette phrase mélodique qui incarne, pour il le public, le génie d'un artiste dont la réputation de son vivant alla peut-être plus au virtuose qu'au compositeur, cette phrase n'est pas seulement un document intéressant pour l'histoire de l'évolution musicale, elle partie d'une écriture, œuvre encore très vivante, elle une technique qui représentent fait inaugure une les tendances FREDERIC CHOPIN 6 procédés de et les moderne. On aime ou on n'aime l'art pas la musique de Chopin, mais on ne peut rester indif- une férent devant par le éclosion d'art, telle peu préparée si passé, apparaissant tout d'un coup et spontané- ment. Chopin, en il effet, est surtout un musicien instinctif, appartient à cette classe d'artistes merveilleusement doués qui n'ont presque rien à apprendre, ayant néité des choses d'art, l'in- qui écrivent d'une façon tout impulsive. Spontanéité, homogénéité, originalité, tous ces caractères qu'on trouve dans leurs œuvres, se ren- contrent au plus haut degré dans celles de Chopin, et s'y révèlent dès siasme Schumann 1 On début. le sait avec quel enthou- salua les premières compositions du jeune pianiste, entre autres sa première œuvre éditée, Variations pour piano et orchestre sur le Juan « La ci darem mano la ». On Thème de Don a cité maintes fois le Chapeau bas, Messieurs, un génie » poussé par un des compagnons de David, un de ces cri d'admiration : « Davidsbiïndler que ! le maître se plaisait à faire intervenir dans ses articles de critique. Or, l'auteur de ce morceau — un artiste polonais dont inconnu de Schumann — le nom était tout à fait avait quelque vingt ans, lors- qu'il publiait ses variations ; il en avait dix-huit à peine lorsqu'il les écrivait. Et là, rien qui sentît les leçons de l'école, les exercices sévères parties; 1 une connaissance Allgemeine Zeitung, 1831. d'un contrepoint à quatre profonde de l'harmonie, FREDERIC CHOPIN 7 un tour mélodique nouveau, une compréhension prodi- gieuse des ressources et des sonorités du piano y dénotaient un maître, une personnalité déjà complètement formée. Cette personnalité ne se modifiera pas sensiblement par la suite à peu de chose près, Chopin restera ce au temps de sa jeunesse. Le était qu'il : romantique auquel que médiocrement Dans se trouve il et les querelles qui musiciens il de Rossini ses mêlé à Paris ne le touche seulement son œuvre. effleure passionnent les littérateurs Non plus que nombreux imitateurs, ne prend pas et cle mouvement parti. et les Fart facile le roman- tisme sincère de Berlioz, l'éclectisme savant et faux de Meyerbeer n'ont de prise sur sa musique. C'est qu'elle traduit en une forme spéciale, remplie du zal 1 qu'elle raconte protestant contre affublés à la les titres », il c'est « le dit lui seul son àme volontiers, dont ses morceaux sont mode du jour par des éditeurs peu scrupu- leux, démentant les interprétations des salons littéraires, les soi-disant histoires que ces morceaux représentent. L'idée, chez lui, est plus proche de la sensation que de la pensée. sensibilité fonde, Son concept musical est le reflet d'une extrême, qu'un état maladif rendra plus pro- plus pénétrante, que la souffrance aiguisera Zal, mot polonais, presque intraduisible, correspondant à un état d'âme plein de mélancolie, qui mêle le plaisir et la souffrance et trouve dans la douleur une sorte de volupté. C'est le thème qui domine dans la poésie des peuples du Nord, ce fut aussi celui des romantiques qui, après l'avoir emprunté aux nations voisines, en firent un système d'art, ce qui lui ôta toute sa spontanéité, sa profondeur et une partie de son cl) arme. 1 FREDERIC CHOPIN 8 encore, avec des exaltations et des prostrations subites, des enthousiasmes suivis de désespoirs. Hors de n'est plus qu'un écho affaibli de pu dire justement de et Liszt a lui-même ou là, il d'autrui, de ses composi- telles tions qu'il se trouve plus de volonté que d'inspiration dans ces pages où tion, l'originalité disparaît devant l'imita- une imitation souvent maladroite, avec des ments impropres ou peu adaptés. S a nature si elle ne l'entraîne pas du côté de tructif, le l'art élé- fine, exquise, énergique, cons- préserve des idées vulgaires, des formes gran- diloquentes ou emphatiques, mais elle le fréquemment dans un féminisme, une pourra s'atténuer, mais dont tomber préciosité qui n'aura pas il fait le courage de s'affranchir entièrement. Chez ni les lui les la nature ne dépassèrent premières années de jeunesse, pays natal; tard, impressions de c'est à ces ni les frontières souvenirs qu'il se reporte plus lorsqu'il continue d'écrire des polonaises mazurkas. Les campagnes du Berry, Baléares ne semblent avoir éveillé en tion d'art. Mais alors que offraient à son du paysages des les lui ou des aucune sensa- les spectacles de la nature contemporain Schumann une source iné- puisable d'inspirations, Chopin allait chercher une exci- tation factice dans les soirées mondaines, dans les salons parisiens. L'amour garda pour lui les gentillesses et les préciosités de la vingtième année. Si Schumann venait chez sa fiancée en petit bourgeois simplet, Chopin se rendait chez ses belles amies, ganté de blanc, élégam- ment cravaté, le stick en main, comme un parfait gen- FREDERIC CHOPIN tleman. Et quand un jour il 11 rencontrera la passion vraie qui eût pu féconder son génie et l'épanouir en une virile maturité, il n'aura que les tristesses, l'amertume de l'amour qui n'est pas partagé. Les seuls rayons qui minèrent çà et là cette existence furent les candélabres et des lustres pensait-il, ; illu- flammes des en ce milieu brillant et superficiel, trouver l'oubli de ses propres souf- frances, souffrances morales, souffrances physiques d'un mal que rien ne pouvait guérir? De perçoit dans son vie : œuvre là vient mélange le singulier que l'on qu'offrit sa une collection de sensations recueillies au fur mesure, profondes et inconsistantes, frivoles, et à capri- cieuses, rarement énergiques, gardant l'exquise cheur de la jeunesse, fraî- quoique devenant de plus en plus maladives. Schumann, à diverses exprima reprises, le regret voir son ami se confiner exclusivement dans la musique de piano, ne pas aborder des œuvres plus hautes. demanda bien des lui « Chopin, lui dit un jour le pour d'écrire fois il répondait modestement : laissez-moi ne faire que de la faire des théâtre ne pouvait le tenter, un opéra? Ah Monsieur « ! il exige chez et plastique qui faisait sonorités davantage : le de piano » comte, le musique de piano; pour au compositeur. La musique de grandes théâtre. le opéras, je ne suis pas assez savant un sens pictural On comte de Perthuis, avec vos idées admirables, pourquoi ne faites-vous pas et de la l'orchestre lui suffisait, le ! » Le musicien totalement défaut voix humaine, les ne l'attirèrent pas avec son virtuosisme FREDERIC CHOPIN 12 dont possédait instinctivement le génie. il Il le prit pour- unique interprète de toute son œuvre. Pour qu'une évolution se produisît, il lui eût fallu avoir à chercher des comme Liszt, qu'il était vir- formes nouvelles, oublier, tuose. Il lui surtout eût fallu la vie plus longue et plus belle, et calme, la force de la santé qui permet de le grandes entreprises. Mais le pauvre artiste qui, dès Fâge de trente ans, se mourait de la phtisie et dont Fexistence ne fut prolongée pendant dix ans qu'à force de soins, qui composait au jour le jour, n'a-t-il pas qu'il pouvait donner? N'a-t-il pas enrichi mieux que des musiciens dont le donné tout ce l'art beaucoup bag"age est bien plus considérable, et contribué largement à ses progrès, à son évolution? Dans son ensemble l'œuvre du compositeur semble devoir être regardée comme une œuvre de transition. Ses types mélodiques école, les ils conservent courbes dont les l'eurythmie de l'ancienne balancement régulier et les sinuosités ; mais et féconds, ils ils et continu, gracieuses de la danse, se sont inspirés classiques dans la symphonie nouveaux le ont si — abondamment offrent aussi des éléments sont exprimés en une belle langue, riche, variée, infiniment et délicatement nuancée. L'œuvre de Chopin marque donc une étape dans toire de la musique pure qui, après lui, l'his- cherchera une expression de plus en plus précise, ira de plus en plus vers le théâtre par des d'orchestre, le gramme, routes diverses, par la suite poème symphonique, et qui, de même que la la poésie, musique à proévoluera à son FREDERIC CHOPIN symbolisme dont Wagner tour vers l'épopée, vers le lisera le type avec 13 réa- une magnificence incomparable. \ A et la fin un ans, fort de Tannée 1831, Chopin, alors âgé de vingt arrivait à Paris. peu de temps rait se faire comme une Son intention était de rester de gagner l'Angleterre, où et comme brillante situation il espé- professeur et virtuose. Les premiers mois de séjour ne furent guère plaisants. Il s'était petit logement deux modestes curiosité boulevard Poissonnière, dans un installé, 27, situé au quatrième étage pièces. amusée la De sa chambre il composé de et suivait avec une longue rangée des boulevards, va-et-vient perpétuel de la foule ; le mais bientôt tout ce populaire avec ses camelots, ses crieurs de journaux et de brochures, d'allure faubourienne et de gestes gouailleurs, qui semblaient les maîtres de la rue, lui parut répugnant. Ce spectacle contrastait si fort de Varsovie, ou de Vienne quittée il y avait quelques badauderie pari- mois. A cette époque, d'ailleurs, la avec l'aspect sienne était plus agitée, plus turbulente que de coutume. Les événements politiques avaient échauffé on manifestait volontiers raient parfois en émeutes. et les les esprits; manifestations dégéné- Lorsque la nouvelle de l'in- surrection de Pologne était parvenue à Paris, les Parisiens, chaleureusement, avaient pris fait et cause pour FREDERIC CHOPIN 14 les opprimés contre les oppresseurs, et quand une troupe de jeunes gens, de ceux qu'on appelait la Jeune France, alla saluer de ses acclamations un des héros de l'insur- Ramo- rection alors complètement anéantie, le général Chopin avait de sa fenêtre rino, la scène, enthousiasmé assisté à une partie de de la généreuse attitude des Parisiens, alors qu'à Vienne on était tout à phile ; mais tinctive le pour jeune étranger, avec la foule, et sa répulsion ins- mouvements désorville du monde » il se ces tapageurs, et dans la sentit plus isolé russo- ne tarda pas à prendre en dégoût ces démonstrations violentes, donnés fait « que jamais. L'artiste, chez lui, était plus déçu encore. Deux lettres de recommandation, données à Vienne, lui avaient per- mis d'être présenté à quelques-uns des musiciens en renom de la capitale échange de : politesses quelques minutes d'entretien, ou de banalités. artiste semblait ignorer ses brillants succès et Le en Autriche en Allemagne. Les préparatifs du concert proposait traînaient de donner avant de monde qu'il pour Londres partir en longueurs interminables, irritantes date, primitivement fixée au se ; la mois de décembre précé- dent, avait été remise en janvier, et voici que de nou- veaux empêchements malgré et de l'aide l'obligeaient d'ajourner encore, complaisante de Paër, de Kalkbrenner Norblin. Bien des illusions chaque jour. Découragé, Frédéric s'en allaient Chopin mélancoliquement les boulevards sa pensée ; Frycek, comme on l'appelait chez lui, — ainsi regardait — au pauvre se reportait FRÉDÉRIC CHOPIN là-bas, au pays natal, Là-bas, aux années de sa toute jeunesse. c'était le foyer de famille abandonné voici plus d'un an, c'était la maison de Varsovie des primats, la — l'ancien palais — où son père, Nicolas Chopin, professait, avant les troubles de 1831, le Lycée français au et à l'École militaire préparatoire, et joignait à ses fonctions officielles la direction d'un pensionnat fréquenté par les jeunes gens des familles nobles polonaises grand salon où, le soir, c'était le ; avec les amis de son père, les pensionnaires devenus des amis personnels de Frédéric, les membres de la famille se rassemblaient d'aspect sévère, au visage entièrement rasé loin, assise à sa place habituelle sa nowska, femme d'une meilleure des mères son père, un peu plus mère, Justine Krzyza- sensibilité délicate et exquise, « la », écrivait-il, sa vie, dira plus tard George ses ; : — Sand deux sœurs aînées, Louise ; la seule — passion de et à côté d'elle, et Isabelle, qui devaient épouser plus tard la première Jedrzejewicz, la seconde Antoine Barcinski, tous deux professeurs. Hélas ! depuis plusieurs années une place dans ce salon restait vide, celle de la petite sœur chérie entre toutes, Emilie, plus jeune que lui de trois ans, si frêle, si mignonne, sa com- pagne de jeux, sa collaboratrice dans les charades les comédies que tous deux signaient Emile Pichon et qu'ils jouaient, et et Frédéric avec un brio étourdissant, en acteurs consommés, à l'occasion de quelque anniversaire, Emilie, terrible dont il morte à quatorze ans de a, lui aussi, le germe et qui la maladie transformera bientôt son existence en une longue agonie. FREDERIC CHOPIN 16 C'étaient aussi des évocations soudaines de paysages contemplés bien souvent d'immenses plaines coupées : de quelque large rivière, bordées à l'horizon de sombres forêts à ; au milieu d'une campagne verdoyante, c'était, une vingtaine de verstes de Varsovie, Zelazowa-Wola, de la comtesse Skarbek, où son père, Nico- la propriété las Chopin l lorrain , tribulations depuis son quelques années pour y de la comtesse, avait, après d'origine, départ l'aire Frédéric, de Nancy, demeuré l'éducation du que le bien des fils unique compositeur devait avoir pour parrain; c'était la chère maison où Nicolas Chopin avait rencontré, épousé une parente éloignée de M mo sœurs, Skarbek. Dans cette maison étaient nés ses deux et lui-même, le petit village le 22 février 1810... C'était encore mazovien de Szafarnia où il passait ses vacances... Laissant ses camarades, forts et vigoureux, chasser et chevaucher au loin, lui s'en au hasard des sentiers, recueillant, allait, rêvant, ineffaçables, des sensations poétiques et musicales, s'arrêtant à la porte des auberges où un violoneux raclait des thèmes populaires, écoutant danses... Un le jour chant des paysans, assistant à leurs même n'excita-t-il pas l'admiration D"après un biographe, M. A. Szulc, Nicolas aurait été le fils naturel d'un gentilhomme polonais, qui, ayant accompagné Stanislas Leczynski en Lorraine, aurait pris le nom de Chopin. On a supposé également que le père du compositeur descendait d'un certain Szop, valet au service de Stanislas et qui aurait suivi son maître à Nancy. Dans les deux cas cette origine polonaise serait une explication très plausible du long voyage entrepris vers 1790 à travers l'Europe par Nicolas pour retrouver sa véritable patrie, voyage que le fils devait faire quarante ans plus tard en sens inverse, et sans esprit de retour. 1 PORTRAIT DE C 11 P I N (D'après la lithographie de Vigneron, 183:; FREDERIC CHOPIN 19 de marchands juifs qui s'étaient attablés au cabaret d'un village voisin en leur jouant la marche nuptiale des synagogues, fameux majufes De le ces années d'étude au lycée ?... il se rappelait maintes — espiègleries, maintes polichinades, un talent naturel pour les marginés de caricatures; nirs étaient encore que, déjà, il il car Chopin avait imitations, ses cahiers étaient — mais les meilleurs ceux qui se rapportaient à aimait passionnément. avait débuté, en public, à A l'âge la musique de huit ans, un concert de bienfaisance; vêtu à l'anglaise avec un grand col blanc dont très fier, il souve- il était avait ravi, électrisé l'assistance par son exé- cution d'un concerto de Gyrowetz. Des invitations très nombreuses avaient suivi ce succès. nalités aristocratiques de A l'envi, les person- Varsovie avaient fêté le petit virtuose; entre autres, la princesse Gztwertynska, les Radziwill, dont l'un d'eux, le prince Antoine, bon musi- un de ses grands cien, auteur d'un Faust, devait devenir protecteurs, et jusqu'au vice-roi, le grand-duc Cons- tantin, en qui les Polonais mettaient tout leur espoir et à qui ils savaient gré de son mariage avec la gentilhomme polonais. L'Altesse Impériale, sensible à la musique, avait néanmoins fille fort que la musique du mar- rythme de certaine marche militaire exécuta ensuite, à la parade, sur une place de la Frédéric le peu été frappée talent prodigieux de l'enfant et elle avait daigné quer de son auguste pied d'un s'était fait ville. Un peu plus tard le jeune applaudir dans un concerto de Mos- cheles et dans une merveilleuse improvisation; bientôt FREDERIC CHOPIN 20 après, avait eu l'honneur d'essayer devant l'empereur il Alexandre un nouvel instrument l'œolomelodicon. Mais aussitôt ses études terminées, commencé pour tiques avaient en 1826, mère il tournées artis- L'année précédente, accompagné aux eaux de Reinerz sa sœur Emilie, déjà hien malade lui-même avait — et sa étant assez souffrant, fice lui. les — et s'était fait entendre au béné- de deux pauvres orphelins. Maintenant, et sur les vives instances de son professeur de musique, Elsner, directeur du Conservatoire, qui lui prédisait le plus bel avenir, s'en irait, seul, tenter fortune. il par Berlin. Un ami de son père, le débuterait Il professeur Jarocki y devait assister à un congrès de naturalistes, Fréen sepdéric l'accompagna. Dans les quinze jours — — tembre 1828 qu'il beaucoup de savants, sohn, si la lement et il avait rencontré d'artistes, entre autres, Mendels- avait suivi régulièrement les représentations de il l'Opéra, pris dans son Mais, passa à Berlin, il musique en fit album de nombreuses l'avait très peu, caricatures. beaucoup occupé, personnel- — point du tout en seulement au retour, à Posen, chez le public, — prince Antoine Radziwill qui jouait du violoncelle et dont la fille, la prin- cesse Élise, était excellente pianiste. Beaucoup plus importante la et profitable tournée de l'année suivante en août 1829. Il s'y révéla piano et — le lui fut — vingt jours à Vienne au grand public comme un — le Pour son premier concert programme avait annoncé deux morceaux pianiste hors ligne. 11 août pour orchestre du jeune compositeur, Variations sur FRÉDÉRIC CHOPIN 21 un thème de Don Juan et Krakoviak, rondeau de concert. A la répétition, devenue passablement houleuse, le rondeau n'avait pu être répété, Chopin par une improvisation qui eut pour la mauvaise humeur de messieurs nois », et à son second concert parties d'orchestre, très de effet — remplaça « désarmer archets vien- les 18 août, le mal copiées — d'ailleurs, fautives, ayant été revues et corrigées, le le le les très rondeau obtint plus grand succès. Entre temps le compositeur avait pris musiciens résidants à Vienne, contact avec les Gyrowetz, Kreutzer, Lachner, homme... très satisfait, dit Czerny, un « brave ironiquement Chopin, de sa dernière transcription pour huit pianos et seize mains » avait il qui, vu plusieurs malgré la fois l'éditeur de musique Haslinger recommandation d'Elsner, les publier, plusieurs : gardait, sans manuscrits du jeune artiste, pro- mettant cependant de faire paraître les Variations sur thème de Don Juan. Et le le triomphateur était rentré à Varsovie en septembre par Prague, Teplitz et Dresde. A Prague, Klengel Dresde, écrit-il, 1 , le chef d'orchestre de l'Opéra de qui s'en allait en Italie, lui avait « deux heures de musique fuguée beaucoup de musique au château de la » ; infligé, à Teplitz, princesse Klary. L'année suivante (1830), à part quelques brèves absences, notamment à Antonin, chez le prince Radziwill, Chopin était resté à Varsovie, caressant bien des projets Klengel, mort en 1852, était un musicien de valeur, un original qui, dans tous ses voyages, emportait, comme viatique, son recueil de canons et de fugues, auxquels il travailla sans cesse et qui ne parurent qu'après sa mort (1854). 1 FRÉDÉRIC CHOPIN 22 de dépari, d'installation à l'étranger, pour se créer une situation impossible à Varsovie. vaillé, beaucoup fréquenté donné trois concerts, avait Il les salons beaucoup tra- de l'aristocratie, deux en mars où il joua son con- le un en octobre pour faire connaître deuxième concerto en mi mineur (le premier écrit et maintes certo en fa mineur, fois retouché), enfin une fantaisie piano et orchestre sur des airs polonais. Puis reprendre partir, à le le 1 er au milieu de démonstrations amies, « J'ai le éternel décidé à s'était chemin de Vienne... Mais que de dans ce départ effectué tristesses il novembre 1830 touchantes. très pressentiment, écrivait-il, que je dis un adieu à mon pays natal !» Et de ce pays natal il emportait un peu de terre offerte par des amis dans une coupe d'argent. A Dresde, grâce à l'entremise du baron de Friesen, maître des cérémonies à la cour, il avait eu l'agréable surprise de jouer au château, sans le soupçonner, devant les majestés saxonnes qui, après l'audition, ser à l'artiste stupéfait des compliments firent adres- et des lettres de recommandation auprès des cours royales et princières d'Italie. Mais à Vienne, à peine que luxueusement installé — pres- — avec son ami Titus Wojciechowski, que d'émotions, d'inquiétudes à la nouvelle de l'insur- rection de Pologne et des terribles événements de Varsovie... Titus parti resté seuL le pour défendre la patrie, cœur navré, tremblant pour il était les siens. Il avait été sur le point de rejoindre son ami, et de s'en- gager; mais, frôle et délicat comme il l'était, que pou- FREDERIC CHOPIN Et ce second séjour à Vienne, qui s'annonçait vait-il"? brillamment si avait sans doute moroses trouvé chez consolante hospitalité mais au concert dura jusqu'en et qui été rempli de jours rées, 23 il ; et juillet 1831, avait d'heures sombres. le 11 docteur Malfatti une avait eu de nombreuses soi- n'avait paru qu'une seule fois en public, il M me de Garcia-Vestris les ; par artistes, jalousie, par courtisanerie politique, ne l'avaient plus — accueilli tile; lui — qu'avec une froideur hos- Polonais, Haslinger s'en tenait aux variations de les autres éditeurs comprit qu'il devenue inhospitalière, mais annonçant dans ses lettres fallait quitter il avait dû faire passeport pour l'Angleterre 20 qu'à la juillet 1831, lin il à ses parents, à son l'Italie, « s'était de l'année, après semaines à Munich, la A ami court appel aux subsides paternels. Renonçant définitivement à et, le , hésitait toujours, il Matuszewski un départ toujours abandonné. d'argent, 1 ne rêvaient que valses genre Strauss ou Lanner. Chopin ville Don Juan il avait demandé son en passant par Paris », mis en route. Ce ne fut un séjour de plusieurs qu'il arriva à Paris. Tels étaient tous ces souvenirs qui lui revenaient en foule, lui rappelant un passé glorieux, et qui, en le réconfortant pour l'avenir, lui faisaient sentir davantage ce qui lui manquait dans sa solitude présente, en ce Paris où était si 1 il La maison Haslinger ne publia qu'après en 1851, les ni « i ' i wnn r . ii-iTii . la Il correspon- mort du compositeur, autres manuscrits par lui déposés plus de vingt ans aupa- ravant. mif t. complètement ignoré. i- . -n .'i ». -. , FREDERIC CHOPIN 24 dait régulièrement avec ses parents ses et amis de Pologne, plus volontiers avec Titus Woyciechowski. camarade préféré, confident de le ses premiers enthou- siasmes féminins, de ses premières conquêtes amoureuses, de sa passion pour Constance Gladkowska, la cantatrice de l'Opéra de Varsovie, adorée de loin pen- dant six mois ses concertos. n'oubliait pas ses Il estimait particulièrement et à qui affection, Zywny 1 et guère enseigné que peu il Elsner qui la plus — Zywny, éléments de les lui avait fait faire d'harmonie il visites, la durable violoniste, qui et ne lui musique avait et de composition. et avait — A ce dernier, tout récem- rendu compte de ses démarches, de ses notamment de ému dans un des études assez complètes celle à Kalkbrenner, le grand pianiste. Cette visite, dont le jeune si garda qu'il piano qu'en réalité IV-nfant apprit tout seul; le ment, Elsner 2 deux maîtres eu pour élève jusqu'à douze ans l'avait d'un de et qui lui avait inspiré l'adagio ses lettres, mentaires. Les amis de Chopin lui-même, siastes, ont prêté à et homme s'était montré a donné lieu à bien des com- Chopin, beaucoup plus que avec eux les biographes enthou- Kalkbrenner une attitude hautaine, désobligeante et plutôt ridicule. D'après un ancien élève de Chopin, artiste très distingué. M. Péru, qui, pour d où Adaibert Zywny, né en Bohème en 1756. mort en 1842 à Varsovie, donnait depuis longtemps des leçons de musique. Ses composi- il tions restèrent inédites. 2 Elsner, né à Grotkau (Silésie) en 1769. mort à Varsovie en 1854. Directeur du Conservatoire fondé dans cette dernière ville en 1821. Auteur de nombreuses compositions (19 opéras, ballets, concertos, symphonies et musique d'église). Musicien estimable et médiocre. FRÉDÉRIC CHOPIN 25 maintes parties de cette étude a bien voulu mettre à notre disposition sa parfaite obligeance, son savoir souvenirs personnels, ses l'accueil et Kalkbrenner de 1 au contraire, extrêmement cordial. Ce qui aurait été, que Kalkbrenner proposa à son jeune est certain, c'est confrère de prendre des leçons Chopin, l'intention de tion. A trois ans d'études en croire — et — telle était d'ailleurs de travailler sous sa direc- correspondance, la « question de fut il pour devenir un grand artiste », mots ajoutés par Chopin avec quelque ironie dans un accès d'humeur. Il douteux que n'est pas le célèbre pianiste comprenait quelle gloire ce lui serait de former un tel élève qui « sans toucher de Field 2 méthode encore mais avec et le style de Cramer 3 », le pouvait lui succéder plus tard, continuer son enseignement, son école, sa méthode, la seule ! l'unique !! On devine la réponse indignée d'Elsner. Le vieux maître, après sa réprobation d'une brer un talent autres amis tutelle, le si de telle proposition où risquait de som- personnel, ajoutait, d'accord avec les Pologne, qu'au lieu de se mettre en jeune compositeur devait aller de l'avant, l'avait tenté — des sujets polonais. Chopin avait répondu jugeant le aborder l'opéra, traiter — comme Elsner projet irréalisable, au-dessus de ses forces : il déclarait au surplus qu'il ne serait jamais la copie de Kalkbrenner, 1 Kalkbrenner, pianiste réputé, né à Berlin en 1788, mort à Enghien près Paris en 1849. 2 ''' Field, pianiste, né à Dublin en 1782, mort à Moscou en 1837. Cramer, pianiste né à Mannheini en 1771, mort à Londres en 1838. FREDERIC CHOPIN 26 que et celui-ci ne détruirait pas son audacieuse, mais noble intention de se créer un monde nouveau, une nouvelle ère musicale..., que d'aucuns, d'ouvrir d'ailleurs, trouvaient son jeu l'égal de celui du grand virtuose. Malgré ces déclarations avait pris des leçons de il Kalkbrenner, quelques-unes seulement, mais qui firent naître bientôt une grande amitié entre eux deux. quand dînaient fréquemment ensemble, et seuls, ou dans une très petite intimité, étaient ils se défiaient ils courtoisement, l'un l'autre, au piano. très Cependant, après de multiples pourparlers, paratifs se Ils du concert qu'il organisait terminaient définitivement, Chopin paraissait pour la Y progamme primitif? depuis son arrivée, le première parisien à la salle Pleyel. tions au et fois eut-il les pré- 26 1832 février devant le public quelques modifica- Des renseignements exacts manquent à cet égard. Nous savons seulement par la Revue musicale que ce programme comprenait un morceau pour six pianos avec Kalkbrenner, des intermèdes de chant, de hautbois par Brod, un ven « célèbre hautboïste, — probablement de quintette de violon » — le exécuté magistralement par Baillot, certo en fa Beetho- et le con- mineur de Chopin. Chopin joua son reuvre d'une façon incomparable ; il fut acclamé. Non seule- ment ses compatriotes réfugiés à Paris, venus en grand nombre, mais toutes les notabilités musicales fixées ou de passage dans la capitale, proclamèrent son succès. Hiller, Liszt et Mendelssohn applaudirent vigoureusement. FRÉDÉRIC CHOPIN La Revue musicale ne lui 27 grandement louait le virtuose, reprochant que de manquer de sonorité et de vigueur, défaut que feraient disparaître les leçons de Kalkbrenner très nouvelle ; quant à l'œuvre, elle paraissait originale, dans ses formes mélodiques, dans sa tech- nique de l'instrument, quoique un peu décousue et trop chargée de modulations. A Vienne déjà on avait remarqué la faible sonorité de son jeu d'une délicatesse exquise, exagérée dans les pianissimos. Chopin Favait attribuée à la qualité inférieure des instruments, mais cette médiocrité de puis- sance restera un élément caractéristique de son talent. Chopin ne sera jamais le pianiste des grandes salles, des grands concerts. L'auteur des Trois romans de Chopin, le comte Wodzinski rapporte qu'un jour Chopin à ce sujet à Liszt : La « foule m'intimide ; je me dit sens asphyxié par ces haleines précipitées, paralysé par ces regards curieux, muet devant ces visages étrangers ; mais vous, vous y êtes destiné, car, quand vous ne gagnez pas votre public, vous avez de quoi l'assommer. » Une deuxième audition du concerto eut lieu en mai, à un concert de bienfaisance, avec un succès très bril- lant. Si Chopin s'était imposé comme virtuose, monde s'il avait conquis d'emblée ses entrées dans le où sa présence côté financier de sa était recherchée situation était déplorable. , le des arts Les recettes de son concert n'avaient pas couvertles frais, les ressources s'épuisaient rapidement. Lui, qui s'était plaint de son isolement, FREDERIC CHOPIN 28 voyait maintenant son logement encombré de visites, compatriotes accueillis avec joie, mais aussi quémandeurs inlassables, gêneurs tenaces, tels que le pianiste polonais Sowinski, auteur d'un très médiocre recueil de chants de son pays, et qui, ayant pris Chopin en grande amitié, venait pendant des heures démolir son piano ses énormes doigts improvisant », « « avec sans savoir au juste quoi », et qu'il fallait supporter. Le temps passait, la gêne persistait, s'aggravant et Chopin tait, ainsi qu'à allait sans énergie et rendaient plus pénibles et plus insolubles. de nouveau à partir pour l'Angleterre, on mers », presque décidé à était Il lorsqu'un des Radziwill, rencontré sur sen- Vienne, repris de ses hésitations que son peu de volonté, son caractère faible l'Amérique. se le boulevard, le le « Il songeait lui parla de traverser les prince Valentin, conduisit en soirée chez le baron James de Rothschild. Son jeu, qui portait merveilleusement dans un salon, délirante et le lendemain, geait brusquement monde le : excita une sa mauvaise fortune chan- des demandes de leçons dans le plus aristocratique de Paris, dans la plus belle et la plus riche clientèle lui arrivèrent en foule. D'après M. Niecks, auteur d'une fie de Chopin et admiration très complète, cette soirée, biographies, serait, comme relatée très documentée dans toutes la plupart les des anecdotes, d'une authenticité douteuse. Mais que cette aubaine fût venue par les Rothschild ou par les grandes familles polonaises résidant à Paris, Chopin avait possibilité assurée de vivre largement : dès lors la il voyait se FRÉDÉRIC CHOPIN transformer subitement sa vie. Il 29 allait devenir le mode virtuose préféré des salons, le professeur à la ; comme compositeur, nombre déjà considérable d'œuvres restées manuscrites, mais achevées À cette et il apportait dans ses bagages un prêtes à être publiées. époque, en bien qu'il n'eût que vingt- effet, deux ans, Chopin avait beaucoup produit. On voit par le choix et le caractère des morceaux d'abord se constituer et qu'il voulu qu'il avait s'était constitué un réper- toire de virtuose: Fantaisies sur des airs polonais (op. 13), Krakoviak rondeau de concert le thème de Don Juan (op. 2) ; (op. Grande polonaise précé- dée d'une Andante spianato (op. piano et violoncelle (op. 3) ; 14); Variations sur les 22) ; Polonaise pour deux concertos pour piano (op. 11 et 21) qu'il n'acheva qu'en 1830, avant de partir pour Vienne; Allegro de concert M. Niecks suppose vraisemblablement mouvement d'un (op. être le 46) que premier troisième concerto qui ne fut pas con- tinué. Il avait écrit, en outre, dans la forme classique, plu- sieurs Rondos, dont l'un, en ut majeur retouché par plusieurs fois et arrangé définitivement lui à deux pianos, période, quelques Il faut aussi noter, pour cette morceaux de danse ou de salon polonaises, deux valses, des écossaises, même 73) fut une Sonate en ut mineur, un Trio piano, violon et violoncelle. mazurka (op. : trois un nocturne, une vraisemblablement bien d'autres pièces du genre restées à l'état d'ébauche et mises au point et plus tard, mais ce qui est à retenir, dans cette énumé- FREDERIC CHOPIN 30 une des plus ration, c'est belles œuvres posées, les douze premières Études (op. qu'il ait dont 10), comil est question dans une lettre du 14 novembre 1829. Chopin comme n'avait donc que dix-neuf ans, et, certes, nique de l'instrument, — très belles et très comme sous le tech- rapport des idées simplement exposées. — le compo- siteur n'ira pas plus loin. De toutes ces œuvres, trois publiées, les Variations de linger de Vienne, Rondo à ta Mazur le seulement avaient Don Juan en Rondo en ut été 1831, par Has- mineur (op. 1) et le à Varsovie. Les autres ne verront le jour que peu à peu et à des intervalles très différents. Sur le chemin de la fortune et de la gloire, Chopin n'aura plus de peine, maintenant, à trouver le chemin des éditeurs. De 1832àl837 Chopinfut véritablement, complètement heureux. Durant ces cinq années, les plus belles et les plus fécondes de sa vie, sa réputation va achever de Rétablir tant à l'étranger qu'en France, où Paris la consécration rêvée. un engouement lui, incroyable... ceux qui ont eu autres. Il Dans le lui apporte les salons parisiens, c'est Tout le monde parle de bonheur de l'entendre, et les n'y a que lui qui sache jouer du piano. Les admirations ne s'adressaient pas seulement au virtuose, elles allaient aussi à l'homme, à sa personne même, à sa qualité de Polonais, à cette nature étrange de Slave, si ou accentuée chez lui et qui très réservées cachait sionné. sous des apparences froides un tempérament ardent et pas- FREDERIC CHOPIN L'ensemble de sa personne, « quent et exubérant panégyrique monieux. Son regard bleu — notons ici nait pas amer. La de Chopin, était har- était plus spirituel et ; encore, ses cheveux bruns ses membres long et frêles. et fin ne deve- transparence de son et la — — crochu, — rectifions étaient soyeux, son nez recourbé, expressivement accentué le définissait yeux de cheveux blonds ses que rêveur les que — son sourire doux finesse teint séduisaient Fœil dans son élo- dit Liszt 1 que Liszt se trompe Chopin étaient bruns, 31 — Chopin lui-même sa stature peu élevée, Ses gestes étaient gracieux, le timbre de sa voix, un peu assourdi, souvent étouffé. Ses allures avaient une distinction telle ses manières, et un tel cachet de haute compagnie qu'involontairement on traitait celle en prince. Toute son apparence faisait le penser à des convolvulus, balançant sur des tiges d'une incroyable finesse leurs coupes divinement colorées, mais d'un si vaporeux ténu que le moindre contact les déchire. » De mise extrêmement sans gants blancs — rait les bijoux, les les soignée, gants il « à la ne sortait jamais Chopin », — il ado- cannes, les belles cravates. Dans sa démarche comme dans son langage, on retrouvait toutes les délicatesses hommes de son jeu. Bien qu'il fût devenu un des les plus à la jours, au fond, un mode du Paris élégant, il était tou- vrai Polonais, et Louis Enault pou- vait dire de lui, très justement Une « symphonie funèbre L'œuvre de Lis/t en 1851. 1 », : disait « un Les Slaves se prêtent critique à l'apparition de FREDERIC CHOPIN 32 volontiers, mais ne se donnent jamais Polonais que la Pologne. purent jamais connaître sible. ment « est plus Ses amis les plus intimes ne les secrets à sa popularité, à ses succès Chopin, rend tous « Chopin de son âme inacces- Cette attitude de mystère contribuait singulière- un de écrit tant et vigoureux. et » ; Me Il ses compatriotes, est bien por- tourne la tête à toutes maris jaloux. les mondains. voilà lancé, écrit les » Chopin vers la fin de 1832 à son ami Dominique Dziewanowski. Je de la plus haute société, j'ai femmes ma place Tannée fais partie marquée au milieu d'ambassadeurs, de princes, de ministres, sans savoir moi-môme comment j'y goût. existence Et cependant c'est une condition presque indispensable de là aujourd'hui mon suis arrivé. car c'est d'en haut que. nous vient : On vous le bon trouve immédiatement beaucoup plus de talent parce qu'on vous aura reçu et applaudi à l'ambas- sade anglaise ou à l'ambassade d'Autriche. On reconnaît plus de finesse à votre jeu parce que la duchesse de Vaudemont, la vous protéger... dernière des Montmorency, » Et après avoir parlé de ses accoin- tances artistiques, de musiciens qui, brenner, « lui font pour en croirais l'honneur de finir, si j'étais me trouver a daigné lui moins à l'apogée de comme Pixis etKalk- dédier leurs œuvres, sot que je ne le suis, je ma carrière. Cependant nul ne se rend compte mieux que moi de ce qui me reste à acquérir ». Malgré le ton simple et modeste de cette lettre dont on vient de lire quelques fragments, il est aisé de deviner \ X. >>„«/. A*> ./t-H^/tZ. SAMUEL BOGUMIL LINDE, RECTEUR DU LYCÉE DE VARSOVIE ET AMI DU PÈRE DE CHOPIN (D'après un dessin de Chopin). FREDERIC CHOPIN que Chopin est bien près de partager les préjugés artis- du monde tiques 35 et que cette société raffinée, parfumée, brillante et superficielle, va devenir l'élément nécessaire à sa vie. Chopin appartement où confortable médecine de Paris. Dans nait quatre ou cinq leçons dont inférieur à vingt francs compositeur ; allait la le de la cours à matinée, il don- cachet n'était pas une partie de l'après-midi, travaillait, puis le des visites, insurgé maintenant chargé de révolution polonaise, Il faisait vint bientôt le rejoindre ami Matuszewski, l'ancien soir fidèle l'École de Chaussée-d'Antin, dans uu s'était installé, 5, le gentleman apparaissait. dîner sur les boulevards, et se rendait eu soirée ou au théâtre, le plus souvent avec son ami. Ce train de vie était fort coûteux, mais Chopin, quand se trouvait il sans compter gages, il en fonds, dépensait, selon son habitude, : il avait invitait ses un un cocher à restaurants à la mode, cabriolet à lui, amis dans les payait en grand seigneur, quelquefois sans daigner dîner lui-même, souper tons 1 . et ses intimes, les Aussi avoue-t-il qu'il ne — ce qu'il n'avoue pas. plus d'un compatriote certs il donnés au — emmenait chez profit des bénéficiaient régulièrement pas fortune faisait qu'il obligea malheureux et lui ; pour ajou- de sa bourse que dans les con- réfugiés polonais, ceux-ci du cachet offert à l'artiste. Si les leçons rapportaient suffisamment, s'il lui plai- Observons, avec M. Niecks,que Liszt, à propos de ces réceptions à la Chaussée-d'Antin, se livre à son imagination coutumière, lorsqu'il décrit l'assistance composée de personnalités artistiques ou littéraires qui ne s'y sont jamais rencontrées. 1 FREDERIC CHOPIN 36 sait d'ailleurs pour « bien davantage de jouer dans les salons dames les encore renoncé faire », selon son expression, il n'avait pas — comme cela arriva plus tard, — à se entendre en public, nous ne disons pas devant grand public, car Chopin redoutait par le instinct et par expérience les vastes salles avec des milliers d'auditeurs. Au courant de l'hiver 1832-1833, concerts de Bach celui d'Hiller : ; il parut dans différents avec Liszt, dans un concerto 1 avec Liszt également au concert donné par miss Smithson, femme de Berlioz, et à Le séjour que Field, l'occasion de anglaise qui fut la première l'actrice celui des frères Herz. comparer cet hiver-là, le fit à Paris, fournit jeu des deux artistes ; mais, quelques ressemblances qu'on trouvât dans la finesse de leur toucher, dans leur legalo également parfait, Field, s'il pouvait être regardé pin, n'était, comme le comme un précurseur de Cho- déclare M. Marmontel qu'un Cho- pin sans rêve, sans poésie, sans passion. M. Marmontel ajoute que Field, au physique, corpulent, grossier, de manières vilaines, empestant la plus le répugnante ivrognerie, Pendant l'hiver de 1834 et tabac et buveur jusqu'à faisait l'effet de Falstaff. au printemps suivant, le public entendit encore Chopin à la salle Pleyel avec Liszt, Hiller, Osborne 2 , Stamaty 3 Ferdinand Hiller, pianiste mort à Cologne en 1885. 1 et . Mais au Conservatoire, au compositeur, né à Francfort en 1811, 2 Osborne, pianiste et compositeur de salon, né en Irlande à Limerick en 1806, mort à Londres en 1893. ;i en Stamaty, pianiste et compositeur, né à Rome en 1811, mort à Paris, 1870, iils d'un Grec naturalisé Français. FREDERIC CHOPIN 37 mois de décembre, son interprétation du larghetto du concerto en fa mineur n'eut qu'un demi-succès. Plus froid encore fut l'accueil au concert du Théâtre-Italien — 4 avril 1835, au bénéfice des réfugiés polonais, figuraient Liszt, le violoniste Ernst, Nourrit et Si bientôt après certs — le 26 avril —à M lle il où Falcon. la Société des du Conservatoire (concert Habeneck), — Con- prenait sa revanche en jouant merveilleusement la Polonaise précédée d'un anclante spianato, ces deux échecs ou demi-échecs l'affectèrent sieurs années, il si vivement que pendant plu- s'abstint de jouer en public 1 En 1835 Chopin rencontre ne tardent pas à se beaucoup lier Bellini. sicilien « Les deux artistes d'une étroite amitié. Il y avait nature de Chopin et celle d'affinités entre la du compositeur . blond comme les blés, dit Léon comme les anges, jeune comme l'aurore, mélancolique comme le couchant. » Tous deux avaient le même idéal, souffraient de la même langueur et la même fatalité devait peser sur leurs destinées. Escudier, doux mourait en septembre 1835 Bellini tard et quatorze ans plus Chopin viendra reposer auprès de son ami. La pro- fonde sympathie qui les avait rapprochés devait aussi — Chopin, toutefois, participa à un concert donné en 1838 le 25 mars à Rouen, au prolit du professeur polonais Orlowski. Legouvé, qui assistait à ce concert, en fit un compte rendu enthousiaste, dont voici l'éloquente et lyrique (!) péroraison « En avant, Chopin, en avant! Que ce triomphe vous décide. Ne soyez pas égoïste, donnez-nous sans réserve votre beau talent, consentez à passer pour ce que vous êtes, mettez fin au grand dérmt qui divise les artistes, et quand on demandera quel est le premier pianiste d'Europe, Liszt ou Thalberg, que le monde entier réponde comme ceux; qui vous ont entendu « C'est Chopin. 1 — : : )) 38 FREDERIC CHOPIN rapprocher leurs œuvres. Chopin fut considérable L'influence de Bellini celui-ci ; larmes lorsqu'il entendait la il est aisé était Norma ou ému sur jusqu'aux les Puritains, et de voir qu'il s'est inspiré souvent de ces tendres mélodies sans les copier et en leur donnant une forme que le musicien du tout harmoniste, En italien, fort était peu instruit et point incapable de créer. même année (1835), Thalberg faisait la conquêtedeParis etdevenaitle « premier pianiste du monde»; cette Chopin, qui avait horreur de ses « fameuses mécaniques ». s'amusait à les parodier de la plus drôle façon. Pendant Chopin l'été, On l'y Mendelssohn. Schumann Allemagne. en ses visites, taient si attendait — indicible voyageait et impatience; avec encore se dispu- et d'autres courtes fussent-elles. d'interminables causeries, charme Paris quittait Il y avait des réunions intimes d'un chacun s'asseyait tour à tour au piano, Chopin jouait ses dernières compositions, reli- gieusement écoutées, aussi discutées. Et la admirées, applaudies quand il partait, et parfois on exigeait de lui promesse de revenir l'année suivante. Pourquoi Cho- pin ne sut-il pas demeurer dans ce milieu ami et vivi- où Ton fiant, où il faisait y avait de si fêtes artistiques, sohn? A tif, si bonne et si grande musique, nobles tentatives d'art, avec de belles comme celles qu'organisait Mendels- Paris, sans doute, le professorat était très lucra- mais cet argent, sait plus de si aisément gagné, Chopin aisément encore, vie, ses forces, gaspillées et qui pis est, il le dépen- dépensait sa aux vaines exigences de la FREDERIC CHOPIN société mondaine. Là-bas, il 39 eût pu avoir l'avenir assuré par quelque fonction modestement rétribuée, con- le tact de ces grands musiciens eût apporté plus de matu- rité à son génie, et Schumann, eût peut-être réalisé il : sacrifiait et la beaucoup aux goûts d'un public ignorant, peu accessible aux grandes œuvres; innovations des musiciens roman- les tiques, fort contestées, avaient restait indifférent ; il peu de succès. Chopin n'aimait pas Berlioz et quant à Liszt, grand propagateur de ce mouvement, plus camarades qu'amis brouiller « de y revenait sans cesse produire l'œuvre qui eût donné toute mesure de sa capacité. A Paris on le vœu celui d'Elsner qui sans succès trop le un jour camarade » la et ». Une « ils étaient sotte histoire devait les Chopin envia toute sa vie à son puissance qu'il exerçait sur les masses par sa personnalité, par l'énorme sonorité de son jeu. De ces excursions en pays allemand les séjours les plus longs furent ceux de Carlsbad avait retrouvé il revu depuis Vienne, sœur de ses Dresde son père à Dresde amis Wodzinski. Elle tout enfants, puis perdus de vue. et de Bohême. pas qu'il n'avait Marie Wodzinska, et lui s'étaient Chopin dont A la connus cœur le s'enflammait facilement était toujours amoureux. D'après George Sand, ce passions qui le if était pas une passion, mais cinq, six tenaient à la fois, toutes sincères, qui triomphaient alternativement les unes des autres vent dans une môme soirée il s'éprenait de ; sou- deux ou trois femmes, et, aussitôt. Marie Wodzinska donc rencontrée à Dresde, à leur grand désappointement, les oubliait FREDERIC CHOPIN 40 Bohème, la camaraderie enfantine de jadis tourna au roman d'amour. Ce fut une idylle charmante. Cho- puis en vite pin, sérieusement épris, paraissait transformé retrouvé sa gaîté, son exultait. Il demanda ; il avait humeur naturellement joyeuse, la il main de Marie, ayant déjà orga- nisé sa vie, une installation prés de Varsovie, au village natal, dans le voisinage de ses parents, demande, favorablement accueillie par la — mais mère, ne cette fut pas Wodzinski avaient une des plus grosses fortunes territoriales et Chopin ne possédait que agréée du père les ; son admirable talent. Le refus lui fut-il signifié à Marien- bad en 1836, au moment du départ précipité des Wodzinski, ou, est Il comme le ditKarasowski, certain que l'Allemagne ne seulement en 1837? revit pas cette le année-là, qu'il tomba gravement malade, et qu'en juillet seulement il fit une apparition à Londres pour jouer chez Broadwood, mais sans visiter aucun artiste, ni Moscheles, ni Mendelssohn de passage en cette ville et qui les écrivait à Hiller Revenu à : « Chopin est encore très souffrant! Paris, brisé au physique comme » au moral, en proie au plus sombre découragement, voyant son rêve d'amour anéanti, sa vie désormais sans but 1 , il s'aban- donnait de nouveau, lorsqu'une rencontre, une simple présentation s'en vint modifier une fois de plus cette existence qui à tout moment devenait un fardeau trop lourd pour les frêles épaules du pauvre grand artiste. Sur le paquet de lettres des Wodzinski, noué d'une faveur rose, se trouvent écrits de la main de Chopin, ces mots « Moïa biéda (mon malheur). » (Karlowicz, Souvenirs inédits de Chopin.) 1 : ^ ^3 N a <; fl < e o o H o ~a a> z PC ,^j ^ H - _i Z & O s — câ ,*3 =5 O 3 H FRÉDÉRIC CHOPIN 43 Dans les Trois romans de Frédéric Chopin, le comte Wodzinski rattache ingénieusement, poétiquement, le au troicelui de Marie Wodzinska second roman — — sième, dont George S and fut L'héroïne, 11 assister à fait thème polonais, coup devant lui, les une certaine soirée chez pensée. la même marquise de plus averti et attitude de femme grande, hrune que George Sand et qui évoqua de Marie, toujours présente à sa Le charme, dans D'après une tout près du piano, dans et pâle qui n'était autre soudain l'image la adieux du lancier, aperçut tout à recueillement et d'admiration, une tible. sait. comMarliani où Chopin, après avoir improvisé sur un nous tesse comme on cette illusion, aurait été irrésis- Karasowski, la soirée avait lieu chez Mais d'après M. Niecks, C... (Gustine). mieux documenté, la réalité a été beaucoup plus prosaïque. Liszt fut l'artisan de cette entrevue. connaissait George fut pris Sand par M mc Il d'Agoult; rendez-vous pour un après-midi où Chopin venait soit chez Liszt, soit chez son amie, essayer quelques compositions — non nouvelles, averti d'ailleurs, car il détestait les bas bleus et ne désirait aucunement être présenté à l'auteur de Lé lia. Mais qui savent s'imposer M mc quand s'imposer et s'imposa. Les rement le Sand était de ces femmes elles veulent, elle voulut circonstances, particuliè- voyage aux Baléares dont nous allons parler, créèrent bientôt une vie commune, une famille, d'intérieur bourgeois avec opposés de goûts tout à fait devant sauvegarder cette et deux sorte de vie de êtres associés de tempérament, situation bizarre par lui une FREDERIC CHOPIN 44 correction et une réserve parfaites, elle devant mêler à une affection véritable, prouvée par des soins assidus, des fantaisies et des libertés déconcertantes. Inquiète de la santé de son quinze ans, — résolut et elle M me Sand — fils c'était Maurice, alors âgé de dans l'automne de 1838, dans d'aller passer l'hiver midi, à Majorque le proposa à Chopin, toujours très souffrant, de l'accompagner; celui-ci accepta, sans rien dire toutefois On à ses amis. se retrouva en novembre à Perpignan, on s'embarqua à Port-Vendres pour Barcelone Barcelone pour Palma. Ces deux traversées se heureusement et firent aux Baléares, sous un et l'arrivée à ciel admirable, au sein d'une nature presque tropicale, fut une surprise délicieuse. L'enchantement dura peu. Le logement — à grand peine à bitable « ; les Palma chez un sieur gens du pays, pratiquant hospes hostis une chaux, trois pièces blanchies à la hostilité », très Gomez, — trouvé était inha- la devise antique marquèrent bientôt à nos voyageurs manifeste, due aux craintes de la contagion que causait la présence d'un malade soup- çonné de le phtisie. Il fallut, après sieur Cornez, quitter cette « au mois de décembre la indemnisé avoir maison du Vent smala Sand s'installait » et dans une partie inoccupée d'un ancien monastère, à Valdemosa, à peu de distance de Palma. « Entre les rochers et la mer, dans une grande chartreuse aban- donnée, en une cellule dont que a les portes les portes sont plus cochères à Paris, tu son ami Fontana le me vois, écrit grandes Chopin 28 décembre, sans gants blancs, FRÉDÉRIC CHOPIN les d'habitude. Ma forme d'une bière de haute dimension, les cheveux sans cellule à la 45 comme frisure, pâle voûtes sont couvertes de poussières, la fenêtre, petite, donne sur des orangers, des palmiers et des cyprès. En face de la fenêtre, sous une rosace découpée dans le style mauresque, se trouve mon lit. Auprès, une table à un chandelier de plomb et une chandelle de suif. Les c'est un grand luxe, œuvres de Bach, mes manuscrits, mes notes et quelécrire, vieille, carrée, et dessus, — — ques autres paperasses, voilà tout ce que je possède. Le piano demandé qu'à la fin d'énormes à Pleyel et si » attendu ne fut installé de janvier, après mille difficultés et avec frais de transport. M me Sand et ses deux enfants Le reste des bâtiments par des femmes de service, êtres avaient des cellules voisines. étaient occupés méchants de et sournois, l'église, très par deux moines, parle sacristain scandalisé de constater que les Français Dans un Hiver à Majorque 1 George Sand, avec son style imagé et luxuriant, a n'assistaient pas aux offices. , raconté les mille détails du séjour à la chartreuse de Yaldemosa. Malgré la d'hiver, six humidité, — contraire. Il douceur du climat — il y eut, semaines de grosses pluies la santé de et en guise de grande Chopin ne s'améliorait pas, au toussait continuellement, avait de terribles crises, des suffocations qui causèrent de vives alarmes. Puis un mieux se produisit. Mais Chopin s'ennuyait 1 Voir également l'Histoire de ma vie et la Correspondance. FREDERIC CHOPIN 46 extrêmement; nervosité sa humeur, de plus en plus Le thème de « la mort devenait excessive, irritable. Il se jugeait perdu. son esprit d'évocations lugubres, telait Les plus veille. d'apparitions même d'atroces cauchemars, terrifiantes, petits incidents prenaient des M jour un sion dans birlocho chevaux pouvant les — défoncés, avant dans au piano l'air morts! « » Il se dans un lac, était il se leva d'un que vous je savais bien voyait, lui aussi, dit bond, étiez tous George Sand, noyé des gouttes d'eau pesantes et glacées lui il la poitrine, et « l'on George Sand ajoute venait de la représenter admirable- ment dans une improvisation pluie... chemins étant Chopin, horriblement inquiet, Ah! cette scène, mineur), où — fort tombant lentement sur que en excur- violent orage à peine marcher, les en les apercevant, : un surpris par propor- ne rentrèrent à Yaldemosa que la soirée. ; égaré ils ; de à l'état tions fantastiques et déprimaient le moral. me Sand et ses enfants partirent Un mar- qui l'obsédait sans cesse, » son (le prélude en si bémol entend précisément les gouttes de )) Cette dernière partie de l'historiette n'est pas exacte. Un des élèves de meilleur élève, Chopin, qui ne Gutmann 1 fut certainement pas son a certifiera diverses reprises, presque jamais à Paris sans être accompagné de taillé en hercule avec de gros servait de garde du corps. D'un certain talent comme pianiste, très médiocre compositeur, Gutmann. après des tournées plus ou moins fructueuses, abandonna la musique et s'occupa, à Florence, de l'impression en couleurs sur satin, procédé dont il était l'inventeur. Il mourut en 1882, à l'âge de soixante-tre^sans. 1 Chopin ne sortait Gutmann. un grand garçon, membres, des mains énormes, et qui lui ce fidèle FREDERIC CHOPIN que Préludes attribués généralement au séjour de les Valdemosa avaient lui — 47 — Gutmann compositeur. moments où A composés antérieurement, été avant les avait copiés Valdemosa, Chopin, le clans que et départ du les rares sa santé lui permettait de travailler, ne fit donc pas autre chose que de retoucher son ceuvre, de la mettre au point. Nous savons déjà, d'ailleurs, qu'il gar- longtemps ses manuscrits en portefeuille, dait fort for- cément, tout d'abord, faute d'éditeurs, puis par habitude, par le désir qu'il avait de modifier sans cesse, de cher- cher quelques variantes nouvelles, quitte à revenir comme il lui arrivait il —à la version primitive, Nous savons aussi que de 1832 à 1837, mit au jour un certain nombre d'œuvres nouvelles, au premier s'il souvent, — jet. s'occupa principalement de publier le stock qu'il avait rapporté de Vienne ou de Varsovie, et qui datait de l'époque où sa productivité avait été très intense, productivité qui se ralentira considérablement ensuite, lorsque les plaisirs mondains de Paris absorberont la meilleure partie de son temps et surtout lorsqu'il sera aux prises avec les atteintes de la terrible maladie. S'il est impossible de préciser la date de ces Préludes, elle doit — à notre avis arrière, lorsque Chopin d'Études (1830), soit semble avoir fait — que le être reportée sensiblement en écrivit soit second (1834). la A Majorque Polonaise (op. 40, n° mineur d'un caractère sombre, z son premier cahier le 3 e 2) il ne en ut scherzo (op. 39) plus sombre et plus désolé encore, et qui se rapproche d'une œuvre maîtresse parue en 1841, de la sonate en FRÉDÉRIC CHOPIN 48 si bémol mineur, dont raient bien avoir été Au les premières esquisses pour- commencées là-bas. début de mars, les approches du printemps permi- rent à nos insulaires de mettre à exécution le projet de départ impatiemment attendu; Chopin, dangereuse- si ment malade à nouveau, pouvait fatigue d'un déplacement, mais à peine supporter la se sentait incapable de il une semaine de plus dans un pays rester A en horreur. Marseille fut il qu'il avait pris un peu mieux, grâce aux soins du docteur Cauvière qui exigea, pour obtenir malade ne résultat plus durable, que le avant seille l'été, George Sand chands où la répulsion la femme de Nourrit ramena tint l'orgue désaccordé, Mont. le Il qu'inspirait à — dans si à Marseille le tragiquement, ce — un méchant instrument la petite église de « grand chanteur aimait particulièrement. pagner et, M tout Astres Il », que put accom- Sand dans une rapide excursion à Gênes, en juin 1839, on arrivait enfin dans Nohant où fut Notre-Dame du joua une mélodie de Schubert, les me mar- cette ville d'affaires, « cette cité de corps de son mari mort à Naples Chopin qui Mar- n'y avait pas de vie intellectuelle. » il Lorsque malgré quittât pas un se trouvait la propriété de le Berry, à M me Sand. Chopin, qui y était venu en 1837 et en 1838, y prenait définitivement ses quartiers, devenant Phôte habituel du « château », pour Pété tout au moins; entre temps, chargé son ami Fontana — qui montre chez l'artiste un côté et préparer l'installation à Paris de il avait avec un luxe de détails très bourgeois, M me — de Sand pour laquelle PIANO \ QUEUE EN USAGE A VARSOVIE VERS 1830 FREDERIC CHOPIN 51 deux pavillons, au fond d'une cour, furent loués au n° 16 de la rue Pigalle. Revenu à Paris, en octobre, Chopin, qui avait conservé un appartement rue Tronche! n° 5, ne tardait pas à le quitter pour se rapprocher de son amie et lui sous-louait un des deux pavillons de rue Pigalle. la Les années qui vont de 1840 à 1847 ne contiennent pour ou la vie trois de Chopin aucun événements fait important, sinon deux menus artistiques, quelques inci- dents que pourrait relater une biographie très détaillée, certaines anecdotes où le chroniqueur et a le choix entre plusieurs variantes, probablement toutes inexactes. Chopin passait l'hiver et le printemps à Paris, l'été et l'automne à Nouant. Et à Paris même vie familiale Chipette était — elle le abondante, Ce rôle, : Chip, la Chop ou malade ordinaire, George avait définit — établie Nohant à le rôle elle-même avec une rhétorique très sœur de de garde-malade, de du moins, se proposait elle de le charité. remplir, et remplit effectivement avec un grand dévouement. elle le On le s'était comme recevait beaucoup : artistes, hommes cantatrices, poètes, écrivains et Pierre comédiens, chanteurs, politiques, — Leroux, Balzac, Louis Blanc, Edgar Quinet, Etienne Arago, Henri Martin, Bocage, le chanteur Lablache, le général Pepe, l'acteur M me Pauline Yiardot et son mari fréquentaient rue Pigalle avec bien d'autres notabilités françaises ou étrangères. C'était une société FREDERIC CHOPIN 52 un milieu d'élite, mais qui ne sons les plaisait guère à Chopin dont nous connais- tendances qu'il prît divers, très vivant, très ardent, très aristocratiques. jamais une part active à 11 ne semble pas aux la conversation, discussions qui s'engageaient. Quelquefois, mais rare- ment, par de il charmait l'auditoire en jouant ses morceaux ou délicieuses improvisations; le plus souvent en une attitude silencieuse restait absorbé, Chopin ne un fut pas intellectuel, il en comme on effet, n'était ni encore moins un philosophe: conception de l'art était un il il et réservée. dit aujourd'hui, lettré, ni un penseur, ne voyait pas grand, sa plutôt étroite et il eût été fort en peine de l'exposer. Les intimes disaient indifféremment Chopin ou dait la les le il gar- sympathie des premiers jours à ses compatriotes, musiciens de son pays exceptés une sévérité les piano de Chopin. Resté très polonais, justifiée ; De ses , qu'il jugeait avec mais, à partie poète Mickiewicz, Polonais ne venaient pas chez aimait pas. 1 amis à nous ne pouvons guère elle citer M me Sand qui ne devenus des amis à que le les lui, grand peintre Eugène Delacroix qui eut pour le compositeur, comme le violoncelliste Franchomme, un ami de date antérieure, une affection très vive, jamais démentie. Pendant dernière maladie de Chopin, nous voyons, par du peintre, qu'il ne montât chez le la journal ne se passait pas de jour où ce dernier le malade pour le réconforter par d'af- fectueuses paroles. Ces longues et profondes amitiés que Sauf le pianiste Julius Fontana, ami très intime, avec qui Chopin correspondait très fréquemment. 1 FREDERIC CHOPIN Chopin 53 sut inspirer aussi bien dans ses relations intimes que parmi ses élèves ne sont-elles pas un démenti au portrait peu flatteur que Fétis a tracé de tère sournois, dissimulé, perJide table même? jugement de Fétis En 1842 la doit être rue Pigalle fut abandonnée pour raient alors Alexandre M me Dans Dumas, avait attirés vers cette La Marliani. lanstère — — dont M le me bouillir la « petite ce square Athènes . demeuDantan, celle qui les », la comtesse Marliani était la directrice, chargée de faire marmite », les repas se prenant en com- « réaliser quelques la saison d'été, fort château » Aux effet toujours Parisiens qui s'y succédaient sans dis- continuer et que Chopin prisait mêlaient les voisins de campagne davantage, entre autres, polyte Chatiron, dispendieuse de Nohant qui pouvait contenir beaucoup d'invités en contenait en beaucoup square phalanstérisme était alors en grande vogue, Berry. Le 1 le de famille se transforma en un pha- vie économies en vue de le le à laquelle on et enfin mun. Cet arrangement permettait de dans et le caricaturiste Zimmermann Viardot, mais soit! absolument réformé. accédait par la rue Taitbout. « carac- Qu'il fût irri- mordant, d'Orléans, cité disparue aujourd'hui et : au plus haut degré, capricieux, fantasque, d'es- prit caustique et paraît-il assez M. l'artiste le si qui médiocrement, le se choquaient bien demi-frère de M mc Sand, Hip- gentilhomme campagnard, grossier, tapageur, aux allures de rustre. 1 une maison spacieuse, sans un pays plat, sans beauté. C'était ilans caractère, assez tristement situé, FREDERIC CHOPIN 54 Cependant, premiers les séjours dans furent pas sans agréments. L'air de la santé du poitrinaire missait la là, ; le Berry ne campagne il raffer- se reposait des fatigues mondaines, reprenait des forces, avait tout le loisir de composer, ou de mettre au point des œuvres La anciennes. somme i tiers fort Ton menait au château était en agréable. Eugène Delacroix en parle volonvie que de grands éloges des hôtes et fait plus aimables pour lui plaire » ment inévitable Quand on « lui mais ; pèse bientôt... on ne peut « « le désœuvre- » pour dîner, déjeuner, n'est pas retenu jouer au billard ou se promener, on estdans sa chambre à ou à lire, se goberg-er sur son canapé. vous arrive par fenêtre la côté ; cela se le le il faut que le il jardin des travaille de mêle au chant des rossignols des rosiers... cependant donner ouverte sur Chopin qui bouffées de la musique de Par instants son et à Fodeur travail vienne grain de sel à tout cela. Cette vie est trop facile... » Et dans une autre lettre : « J'ai des tête-à-tête à perte de vue avec Chopin que j'aime beaucoup, et qui est un homme que d'une distinction rare j'aie rencontré. peut admirer Le soir on et Il est de estimer. faisait ; c'est le plus vrai artiste ceux en petit nombre qu'on » de la musique, surtout lorsque M Yiardot était là, ou Liszt, toujours accompagnée de M me d'Àgoult. Les deux pianistes rivalisaient, Liszt uie 1 Lettres d'Eugène Delacroix, recueillies par Philippe Burty. FREDERIC CHOPIN jouait fréquemment du Chopin, les 55 Études admirable- ment; maïs Chopin, à qui Liszt paraissait le seul pia- une concurrence redoutable, niste capable de lui faire Técoutait avec quelque méfiance, le reprenait très vive- ment, lorsque l'interprète usait à l'égard du texte musi- que seul Fauteur a cal de libertés mettre. Un droit de se per- soir qu'au salon toutes les lumières avaient été éteintes, était le pour ainsi dire fortuitement, et que Chopin au piano, Lisztse substitua prestement à sa place, continua de jouer, qu'au moment où et la supercherie ne fut découverte Liszt ralluma [soudain les bougies du piano. Chopin, légèrement vexé que personne n'eût deviné le lui-même Liszt, changement de jeu, s'y serait [trompé. que s'écria avec ironie « Gela prouve, conclut que Liszt peut être Chopin, mais Chopin peut-il être Liszt ? » La supériorité artistique, intellectuelle du grand virtuose qui prenait volontiers un ton protecteur avec ses amis, Legouvé lui annonçant proposait de faire un compte rendu très brageux compositeur; que Liszt se sans irriter parfois l'om- n'était pas et à enthousiaste d'un de ses concerts, nous allons parler, « Oui, je sais, empire. » il « répondit amèrement Et peu de temps après insignifiante : l'artiste me donnera un petit royaume dans nistes cessaient de ment — — celui de 1841, dont se voir, brouillés que chacun Nos dames les deux grands : son pia- pour une cause d'eux interprétait différem- se sont fâchées, disait Liszt, et en bons chevaliers nous leur avons donné raison... » Revenons à Nohant. Nohant possédait un théâtre, FREDERIC CHOPIN 5i) théâtre de marionnettes, resté célèbre et qui eut pendant des années, pour imprésario, une illustre marionnette, nommée Balandard. C'était une des grandes occupa- tions de Maurice Sand, théâtre, passionné pour les choses du que ces représentations, qui comprenaient des charades, des pantomimes, des ballets, voire des drames — parfois remplacé par était — avec de vrais acteurs, les et - où l'orchestre charmantes improvisations au piano de Chopin. Autre distraction non moins goûtée les charges, les imitations et les si : polichinadesdu maestro, divertissantes parla mobilité de la physionomie et le jeu rapide de leurs transformations. Bocage, qui en spectateur, prétendait que Chopin aurait été fut un grand Acteur bouffe, s'entend, bien que nous ayons acteur. quelque peine à l'imaginer comme rival de Ravel ou de Grassot. En 1841, comme mieux portant; il en 1842, Chopin parut beaucoup donna deux concerts années auparavant(1839) il s'était salle Pleyel. Deux rendu avecMoscheles, de passage à Paris, au château de Saint-Cloud, conviés tous deux par petit comité, le roi dans Louis-Philippe à une audition en Salon carré. Après une sonate de le Moscheles à quatre mains dont l'andante eut neurs au bis, ils « ternellement la gloire deux frères et les » se partagèrent fra- compliments. Chopin reçut de Sa Majesté une coupe en or ciselé une « le roi a cassette, hon- jouèrent, chacun, divers morceaux, puis improvisèrent. Les ment, les et. dit-il plaisam- donné à Moscheles un objet de voyage, pour être plus tôt débarrassé de lui. » FREDERIC CHOPIN Le premier des deux concerts de lieu le et 26 avril 1841, avec le 57 la salle M concours de me Pleyel eut Damoreau du violoniste Ernst qui interpréta son Elégie, restée classique dans la musique de violon. Le second concert du 20 février 1842 réunissait au programme divers intermèdes de chant par M rao Viardot, un solo de violoncelle par Franchomme, et comme œuvres du pianiste, la troisième Ballade, des Nocturnes, des Préludes, des Études et des Mazurkas. L'auditoire, en majorité féminin, fut transporté critique, la ; très élogieuse, reproduisit à peu près les appréciations déjà faites, dix ans auparavant. pas gagné habiles, en sonorité, Le jeu de mais par l'artiste n'avait ménagements des arrivait à procurer, sans taper jamais, l'im- il pression d'un véritable forte. Avec quelle merveilleuse rapidité les traits les plus difficiles couraientsur le clavier dans un legato inimitable! Avec quel art moyen encore nouveau, — fameux tempo rubato donné que basses conservaient les mesure, procédé dont les il employait deux pédales, et — le à la ligne mélodique, alors le rythme régulier et la amateurs les professionnels et les abusèrent tant depuis, non sans l'avoir au préalable défiguré, négligeant faite par gauche la compositeur lui-même le soit votre mesure. De 1840 recommandation trop souvent la : Que votre main « maître de chapelle et garde toujours » à 1842, publie beaucoup. Chopin travaille Chaque morceau avec lui ardeur était et payé de 300 à 500 francs, droit de vente à l'étranger réservé. FREDERIC CHOPIN 58 Somme gent toute, cela ne représentait pas le ; Chopin aurait pu y professorat valait mieux. faire fortune, mais beaucoup d'ar- donnait peu de leçons il rement. Etre élève de Chopin et irréguliè- rêve de beaucoup fut le de pianistes, maisle maestro étaitdifficilement accessible, plus encore peut-être pour les musiciens de profession qu'il fréquentait — il cher, fallait de moins en moins, que pour les autres, au square d'Orléans forcer, pour l'appro- une consigne très sévère. que grâce à une carte de Liszt sable. Le W. et à de Lenz n'y réussit un entêtement récit de ses visites est conté par verve humoristique des plus amusantes : lui 1 inlas- avec une comment Lenz joua du Chopin devant Chopin qui, reconnaissant dans certains passages l'influence des conseils de Liszt, en malicieusement la remarque; comment fît rencontra il George Sand qui échangea avec lui quelques mots aigresdoux, tout en fumant par Fred; le « fîdibus » comment Chopin et lui galamment apporté causèrent d'art et de musique, Fred ignorant ou feignant d'ignorer certaines œuvres classiques des plus connues, connaître du grand cratie, dans se consacra presque entiè- clientèle féminine recrutée les ne rien mouvement romantique de Weber. Chopin comme professeur rement à sa et disant dans grandes familles polonaises ; l'aristoil forma peu de pianistes de profession. Citons, avec M. Niecks, 1 Die çrossen l'ianoforte-Virtuosen unserer Zeit. FREDERIC CHOPIN 59 M. Georges Mathias. l'eminent professeur, durant de longues années, au Conservatoire, Lysberg, de son vrai nom Samuel Bovy, Norvégien Tellefsen le Mikuli, publicateurs de l'œuvre du Adolphe Gutmann, et Filtsch, maître ajoutons ; un enfant prodige mort à un merveilleux treize ans et qui eût été Charles et virtuose. Sur son enseignement les confus; probable que les aptitudes de l'élève il est renseignements recueillis sont assez lui indiquaient la méthode qu'il devait employer. Les débutants étudiaient les concertos, dont il démenti, Bach, Field dont puis Hummel, ne comprit jamais la très il prisait fort rarement Beethoven grandiose synthèse 1 . On n'abordait pas ses œuvres sans de longues préparations, souvent et il interdisait certaines de ses compositions, jugeant l'élève incapable de les interpréter. Pas avec aisance, toujours « facilement », d'effort, selon son mot, quelle que fût la difficulté à vaincre, surtout pas de bruit La ! position normale de la main, au lieu d'être établie sur les touches blanches, était reportée plus avant sur le clavier, soit, la\ vers les touches noires, représentant si. Il mi fa\ exerçait l'élève, nous dit M. Péru, à varier sans cesse l'attaque d'une lui-même, frappant la même note, comme il le faisait touche de plus de vingt façons, et avec des sonorités différentes. Son doigter, très révolutionnaire, ne tenait aucun compte des règles vénérables; Kalkbrenner en avait remarqué jadis l'étrange fantaisie, Chopin recommandait à ses élèves de « toujours travailler Bach ». en jouait lui-même fréquemment; la veille ou le jour même d'un concert, c'est à la musique du vieux maître qu'il recourait pour calmer ses nerfs et exercer ses doigts. 1 11 FREDERIC CHOPIN 60 Moscheles s'en était indigné, et un critique allemand, Rellstab, qui ne cessa de décrier l'artiste et l'œuvre, parle, dans Y Iris, à propos de ce doigter, de combinaisons perverses, exigeant une opération chirurgicale pour que la main disloquée, tordus fussent capables de les doigts A vrai dire, dans une pareille musique, comme il peut. Chopin avait une grande jouer les Etudes. chacun doigte main, l'hercule Gutmann en une plus grande avait encore. Très méticuleux, s'attacliant aux détails, son ensei- gnement correspondait à son jeu L à son individualité très spéciale, ainsi qu'à son œuvre Mais l'expression populaire « il : ne fonda pas d'école. jouer à la Chopin » qui représente un jeu maniéré, d'une sentimentalité outrée mesquine, un rythme absolument désordonné dans et son perpétuel rubato, ne veut pas dire Chopin. « jouer comme » L'été de 1846 fut le dernier été que Chopin passa à Nohant. L'année d'après une brouille survenait, qui aboutissait à une rupture. On là-dessus, invoqué bien des causes du compositeur, sie une beaucoup disserté a : attitude un accès de jaloude blâme l'occasion du mariage, en 1847, de Solange, la M me Sand, avec le sculpteur Clésinger, d'égards, Chopin ayant été servi 1 « Le jour où l'on un fille à de un manque soir à table après aura inventé un microscope pour Blazc de Bury, ce jour-là Chopin sera divinisé. prise » le» oreilles, dit FREDERIC CHOPIN 61 Maurice Sand avec qui il La George Sand ne pouvant, d'après vérité fut celle-ci Franchoinrne son gendre comme et M. Niecks \ s'entendre avec le dit de mis à lui, Chopin avait passé outre, — il du prince Karol, un Très vivement le que quelques toutefois sous peine de repré- M mc Sand avait cessé — avaient que dans son dernier roman Lucrezia Floriani, George Sand fou. défense à fait y en a toujours en pareil cas, averti charitablement Gliopin traits Nohant rupture fut accomplie. D'autre part, lui écrire et la des amis la porte de du mois de juin 1847, lettre Gliopin de les recevoir chez sailles. en assez mauvais tenues... et sa fille, les avait dans une et, : était représentait sous les le être détraqué, névrosé, à moitié romancier protesta, traits il est certain de caractère devaient avoir servi de modèle. Et de fait, dans cette association de près de dix ans, croître, de l'autre si il d'un côté l'affection n'avait n'y avait eu qu'un sager, évanoui depuis longtemps. que M me artiste, la compagne qui convient Chopin aucune collaboration George Sand n'avait pas geait d'ailleurs cadavre que engouement pasy avait beau jour Sand avait repris toute sa liberté. Elle était trop je veux dire trop professionnellement artiste pour être et Il fait » les à l'artiste. Entre elle n'était possible mêmes ; sur l'art idées, elle en chan- fréquemment. Elle soigna « son cher sans comprendre ou sans vouloir comprendre que l'ami qui s'acheminait vers la contre deux morts, la mort de son tombe avait à cœur où lutter palpitaient Ri', dans le même sens la nouvelle publication de M. Rocheblave George Sand et sa fille (Paris 1905). 1 : FREDERIC CHOPIN 62 les restes d'un amour déçu mort de son corps qui de plus en plus. s'affaiblissait deux dernières années de Faut-il poursuivre? Les vie de et la la Chopin ne sont plus qu'un épilogue lamentable. Les soins d'un homéopathe, le docteur Molin, avaient eu raison d'une crise terrible, compliquée d'une véritable névrose, mais le mal — une phtisie laryngée — avait fait des progrès effrayants, réduit l'artiste à une maigreur consomptive. La moindre marche, causaient des suffocations escaliers; il il ; le fallait le ne sortait qu'en voiture, la fatigue d'en plus petit effort monter dans et, pour les lui éviter descendre, l'éditeur Schlesinger, but ordi- naire de ces courses, venait dans la voiture causer avec lui. il Quelques leçons seulement avaient les été conservées ; donnait à grand'peine, étendu sur un divan près d'un piano de « démonstration », souvent il se faisait suppléer par un de ses élèves. Cependant, cédant aux sollicitations de ses être parles amis anglais événements politiques nous sommes en 1848, Angleterre. Peut être brumeux et écossais, et Avant de — — n'oublions pas que il résolut de se rendre en allait-il chercher, dans un climat malsain, la mort pour en partir il apeuré peut- finir plus vite? voulut se faire entendre une der- Le concert du 22 février à la salle Pleyel réunissait Alard, Franchomme, et pour Molina de Mondi et Roger, les intermèdes de chant, M nière fois au public parisien. lle le célèbre ténor. chomme piano les trois Chopin exécuta avec Alard derniers et violoncelle; seul, il mouvements de et Fran- sa sonate joua délicieusement la Bar- FREDERIC CHOPIN carolle, la Berceuse, la Valse « au 63 petit chien », un Noc- La turne, une Etude et diverses pièces de danse. per- de son jeu était restée idéale, les sonorités, fection ménagées si habilement, faisaient illusion sur ses forces véritables. Mais l'effort pour que le public ne s'aperçût de son état d'épuisement ni dans son attitude ni dans son mécanisme, fut si grand et si prolongé que l'infor- tuné, au sortir de cette séance où la salle entière l'accla- tomba évanoui dans mait, le foyer. Huit jours après, Paris était en pleine insurrection, le projet d'un second concert pour lequel presque tous forcément aban- les billets étaient retenus, se trouvait donné, et au mois d'avril Chopin s'embarquait pour l'Angleterre où il devait rester près d'un an moment, on espéra l'y ou du théâtre, des qu'il reçoit, un sur ce séjour d'intéressants Chopin parle des nombreuses ; où, retenir définitivement. La correspondance donne détails et visites qu'il fait artistes avec lesquels il est en relations, des invilations qui lui sont adressées et qu'il n'accepte pas toujours, ne confiant qu'à Julius Fontana le véritable motif de ses refus, son misérable état de santé. dans Il les salons se fait entendre quelquefois, rarement, de l'aristocratie londonienne, — pour se procurer l'argent dont que deux matinées avec M lle il a il ne donne grand besoin, de Mondi et M me — Viardot chez miss Sartoris et chez lord Farmouth. devant un public payant, mais très restreint. En Ecosse où il réside environ trois mois, mondaine, plus agitée encore. Avec une même vie activité plus FRÉDÉRIC CHOPIN 64 fébrile on le voit aller de ville en — Manchester, château. Ses trois concerts Glasgow, 27 septembre, de château en ville, — Edimbourg, — 28 août, 4 octobre, n'ont qu'un demi-succès; à part les fidèles et les initiés, le public, trouvant exagéré le prix des billets, s'abstient, reste indifférent. Epuisé, l'artiste n'a plus rité: pour ne pas se trahir, tions où il modifie les nuances, sup- programme qu'au dernier moment, selon prime presque tous définitivement il aucune sono- se trouve. les forte ; le n'est arrêté les disposi- Mais ces voyages, ces déplacements continuels, ces réceptions finissent d'absorber force nerveuse qui lui reste. les deux ou trois Il le peu de ne peut plus travailler: pianos toujours installés chez — Broadwood, le Pleyel, FErard, tiles. Levé tard dans l'après-midi, il lui lui — le sont devenus inu- occupé que des n'est soins de sa toilette, de sa coiffure, de sa mise plus recher- chée que celle d'un Après avoir une de petit- maître. miss Stirling. été l'hôte de la famille de ses élèves et ferventes admiratrices, Chopin revint à Londres et Londres eut occasion de l'entendre encore une fois, en novembre 1848, dans une sance donnée à nais. la de bienfai- Guildhall au profit des réfugiés polo- Mais dans quelles conditions! Tandis que la foule dansait aux sons d'un bruyant orchestre, une fête petite salle voisine... lui, jouait dans personne ne l'écouta comptes rendus des journaux ne signalèrent et les même pas sa présence. Revenu en France en janvier 1849, Chopin se retrouva avec une immense joie dans Paris. On avait loué square FRÉDÉRIC CHOPIN numéro 67 un appartement où Pleyel avait fait porter un piano et que son ami Grzymala avait préparé, orné de bouquets de violettes, parfum préféré de l'artiste. d'Orléans, au 9, Mais l'amélioration espérée ne survint pas. La mort subite du docteur Molin qui avait toute sa confiance profondément. Un instant il l'affecta eut l'idée de rejoindre en Belgique son ami Titus, mais, incapable à cette heure de se déplacer, il se fît transporter, sur le conseil des médecins, dans un quartier plus aéré, rue de Chaillot. La détresse financière était si grande que des amis payèrent une partie du modeste loyer (300 à 400 francs par an) ; son caissier habituel, Franchomme, l'ami dévoué, n'arrivait plus à conjurer les déficits. Mise au courant de cette situation, miss Stirling apporta généreusement une somme raconte à ce sujet que On de 20 à 25 000 francs. la concierge, à qui fut remis le pli renfermant cette y eut même à ce sujet l'intervention bizarre d'un célèbre somnambule. somme, résolut de se l'approprier; il Sans nouvelle de son argent, inquiète de savoir ce était devenu, miss Stirling consulta l'oracle qui naître que le pli était caché sous fit qu'il con- un globe de pendule. C'était vrai, et l'infidèle portière dut restituer le dépôt, s'excusant avec oubli. L'état humeur de ce qu'elle appela du malade ne laissait plus d'espoir. un simple Au milieu de septembre une consultation de médecins dénonçait péril; la famille fut me M prévenue et la sœur de Chopin, Louise Jedrzejewicz accourut en au chevet du malade avec Chopin fut le fidèle ramené de nouveau dans le et le hâte, s'installa bon Gutmann. centre de Paris, FREDERIC CHOPIN 68 place Vendôme, n° 12. Dans de visiteurs se pressait tout le le salon une foule d'amis et jour, anxieux d'avoir des nouvelles, mais, seuls, quelquesintimes pénétraient dans la chambre où veillaient jour et nuit la princesse Mar- Gutmann, et Louise qui gardait à demeure dans ses mains la pauvre main décharnée de son malheureux frère. C'était l'agonie lente des phtisiques celine Czartorywska, sans fièvre, sans délire, en pleine connaissance. . . Informée de ce qui passait, la comtesse Potocka, qui se trouvait à Nice, arriva à temps. le A sa vue un éclair de joie illumina visage du moribond; d'une voix éteinte, affreusement chuchota quelques paroles de bienvenue changée, il demanda à la visiteuse de chanter. en hâte dans la chambre indicible émotion, les divinement un et la Le piano et fut roulé comtesse, en proie à une yeux pleins de larmes, chanta air de la Béatrice di Tenda, de Bellini 1 . Le peintre Barrias a reproduit cette scène inoubliable. Le lendemain, 16 octobre, Chopin se confessa à l'abbé Jelowicki, il communia, adressa encore quelques mots aux amis rassemblés près du lit, aux Gavard, à Fran- chomme, à la princesse Marceline... et le 17, à quatre heures du matin, bras pour présenter à boire, lui faiblement : comme Gutmann « Cher ami ! » il le soulevait dans ses expira, en murmurant Quelques heures après, Clé- singer prenait l'empreinte de ce visage déjà rasséréné par la mort et qui retrouvait une beauté juvénile. Le D'après certains témoins, suivant Franchomme, c'aurait été un Marcello, ou un air de Pergolèse, ou encore l'hymne bien connu de Stradella. 1 Psaume de FREDERIC CHOPIN peintre Kwiatkowski 69 aussi une très belle esquisse. fit Les funérailles de Chopin ne furent célébrées que le 30 octobre, les détails de la cérémonie que Ton voulait digne du grand artiste exigèrent l'accomplissement de nombreuses formalités. Le service eut la Madeleine, Giraud, M mes et Castellan, Dupont, placés derrière l'autel et grande draperie noire, exécutèrent (préludes en et mi mineur et si Franchomme Grandiose apothéose et dissimulés par une Requiem de Mozart; ! que et suivi d'une file le le Et, les prince Czartorywski, Dela- malgré nous, tandis que reten- marche funèbre orchestrée par cortège va grandissant sans cesse, interminable d'équipages, nous songeons sans un ami, seul par tombe glacée quand le froid un parent, pénétrant, par la neige !... La tombe de Chopin « jeta, dit le corps dont le corbillard à Mozart, à cet enterrement de pauvre, sans Bellini et le Gutmann, marchait Meyerbeer. tissent les accents de la qui et Alexis une foule considérable accompagna cordons étaient tenus par Reber, le Lablache mineur). L'assistance était jusqu'au Père-Lachaise. Derrière croix, l'église de Lefébure-Wély joua deux préludes du défunt à l'orgue énorme en du Conservatoire dirigé par l'orchestre Viardot lieu le fut creusée à côté de celle de corps y fut descendu, une main amie comte Wodzinski, sur cette terre natale qu'il avait la bière emportée avec un peu de lui, il y avait de cela près de vingt ans, en souvenir de la patrie absente, et l'on rendit à la patrie le l'avait aimée d'un si ardent et si cœur d'un tenace amour. fils » qui FREDERIC CHOPIN 70 II Gracieuse, d'une grâce toute féminine, délicate et comme gile la fra- première fleur d'un printemps précoce, souriante dans sa tristesse et triste dans son sourire, la phrase mélodique de Chopin a une expression très par- Les classiques ont ignoré ticulière qui ne peut s'oublier. cette sensation, les ils ils l'ont dépassée modernes l'ont recherchée avidement, même, mais en voulant aller plus loin, n'ont plus retrouvé ce qui en faisait la délicatesse profonde et exquise, presque insaisissable. La phrase mélodique de Chopin venait Elle resplendit au déclin de classique, l'art une lueur merveilleuse, dans un beau rayon de rêve, fugitif, la ciel comme couchant, qui sera sans lendemain. Les mélodies de Chopin sifs; le à son heure. offrent plusieurs types expres- plus caractéristique de tous, celui qui constitue mélodie « à la parfois excessif. Chopin On d'un charme extrême, » est désirerait çàet là des contours plus fermes, des arêtes plus vives mais dans ces chairs ado- ; lescentes et molles, dans ces traits que l'âge n'a pas encore accentués, quelle grâce séduisante, quelle poésie émouvante en Féclosion de La phrase comme le la est longue, elle a sentiment dont ampleur, par ses incidentes, véritable vingtième année du elle souffle, elle grandit est l'écho. elle diffère thème symphonique, ! bref, Par son absolument du concentré en lui- même FREDERIC CHOPIN 71 et qui a toute sa valeur, toute son énergie ryth- mique en quelques notes. Les cadences féminines abondent. Sur ces terminaisons des groupes sonores se place Chopin « à la », le fameux ornement tantôt le grupetto classique, la fiori- ture du bel canto italien, tantôt une broderie plus étendue, qui s'élance librement, capricieusement, avec l'apparence d'une improvisation dentelle sera jetée sur le groupe même 1 . comme un dans sa forme A l'intérieur du cette elle laissera c'est alors comme une groupe mélodique, pris initiale et simple, des courbes revêtent le caractère de forme ornementale, mais ralentie, non ad libitum. Et lorsque ce groupe, débupar une note haute, s'infléchit pour remonter plus mesurée tant et geste plus doux, plus persuasif, longue caresse. même Parfois, dont peine deviner les notes principales, à beaucoup et ou moins brusquement vers son point de départ, résulte une descente puis une lente, une symétrie réalisée avec des vitesses il en montée rapide, différentes. Ces formes sinueuses, ces mouvements équivalents, équilibrés, éveillent en nous quelque idée vague de et c'est effectivement la danse qui la les a inspirés. danse La len- teur de leur allure, la longueur de la phrase où les parties Remarquons que la note finale dans ces terminaisons est souvent une note aiguë, amenée ou non par un trait ornemental. Exemples ut # grave montant à l'octave ut# par /a# la% ré % ut% (terminaison du premier groupe au début du nocturne en /a# majeur). ut montant d'une septième et s'infléchissant légèrement, ut si\> la\> (terminaison du premier groupe du motif de la Marche funèbre, en ré majeur fa sot fa mi ré\> ut si la b). Etc., etc.. 1 : — \> \> \> \) FREDERIC CHOPIN 72 similaires sont plus espacées et moins apparentes que morceaux de danse proprements dits, quelques autres artifices relatifs au rythme et aux harmodans les nies, effacent l'impression d'une danse réelle et don- nent un caractère de pantomime idéale Mais bientôt s'élargit; des sions le geste, resté calme et mystérieuse. jusqu'ici, s'anime, groupes de notes s'organisent en progreslibrement modulées. ascendantes, semble une mélodie vocale : La mélodie une voix qui c'est inter- vient et qui chante. Les notes, empruntées à un registre de plus en plus aigu, se répètent; les appogiatures, les accents se multiplient sur chaque temps ou une partie de temps clure, mais elle refait et elle ; la même sur voix s'infléchit alors, paraît con- remonte encore, — ou à peu près — ne s'arrête qu'à bout de le elle insiste à nouveau, chemin déjà parcouru, souffle, épuisée. Cette envolée lyrique, n'est-ce pas celle du poète qui, peu à peu se grise de celle mots, de gestes emphatiques du comédien ? N'est-ce pas dans l'exaltation du qui, lui aussi, jeu et de la scène, semble grisé par le son de sa voix, par ses intonations tantôt basses, tantôt élevées? Ces mouvements passionnés, réalisent instinctivement délirants, avec que les Italiens leurs voix chaudes et sonores, qui se retrouvent dans tous les opéras, dans drame lyrique moderne, même dans cette mélodie annoncée et agrandie, cette sans cesse retardée, des classiques qui, à la fin le drame wagnérien, conclusion si le toujours différente de celle des phrases, saluaient modes- tement, cérémonieusement, toutes ces formes nouvelles, Ujp 444-r • : s- ***»'; j vf /. -v Y < O- I r: ^ ^ \ -V \ V*" K.\ —— iii 4 •-*** _Ji -<^. -v\-- NÀ \ -*. ..;:>. - -« . -if»- » s lw _"^ j -1-— Ç —-"^ * _ •O -3 * '•"'**"' a, ' «s i^^N H — . -«#-» •***" as _j "o O -«J t/cr- x ' O N s $V _ . -«i t> -, / S ~ L. <r <rcr rtf ^ S <y -«! -*-*+ fti rt ij c s «#" &C H Q ^ ai £ — 1— H « H & cq W C _ 4 -v **- (h t- (S r* ^ 3 £3 rt S * FREDERIC CHOPIN théâtrales, dans Chopin fut pure musique. la évitant, atténuant formule. le côté 75 un des premiers à le fît Il avec tact, employer les avec mesure, — tout au moins, — l'aspect Il factice et pratiqua merveilleusement Fart des préparations qui amèneront dans la phrase cette poussée lyrique. Grâce à ces transitions insensibles, l'introduc- des procédés de la musique italienne, d'ailleurs tion sensiblement modifiés, ne produit pas un et nous constatons une fois de plus, ici, effet disparate combien l'artiste lui-même, compositeur ou exécutant. est semblable à Tout s'enchaînait dans l'admirable legato de son jeu, tout s'enchaîne dans la composition de la phrase mélodique, par soin qu'il prend de relier toutes les parties, de le rattacher à l'un l'autre, groupes sonores. On dans progressions, les dirait tantôt d'un fil ténu, léger, tantôt d'un lien plus fort, résistant, d'une de chaînons constitués par des les très série accords étroitement serrés. Dans sans ce type mélodique qui se rapproche du théâtre aller jusqu'au drame réside encore, comme dans véritable, l'effet expressif la musique de danse, beau- coup plus dans Y eurythmie des formes que dans ces formes mêmes ; il est obtenu beaucoup moins par le choix instinctif ou volontaire des intervalles qui ont, par exemple, un rôle émotif wagnériens, que par courbes de la le si important dans balancement mélodie que les thèmes et l'équilibre souligne la des monotonie systématique des formes accompagnantes. Les mêmes tendances se manifestent dans l'emploi de l'écriture chro- FREDERIC CHOPIN 76 matique dont Chopin, comme Wagner, usa très fréquem- ment. Le chromatisme chez Wagner, représente presque toujours la difficulté de vaincre et qui reste insurmontable dramatique, dans la l'effort, l'arrêt il un élément est comme dans Tristan; l'écriture chromatique, musique de Chopin, a surtout un but pianistique, deux groupes mélodiques, un c'est le conduit qui relie trait , devant l'obstacle à de virtuosité pure, le moyen de donner à une mélo- légèreté et de mobilité. C'est die plus d'élan, plus de aussi un saisi dans de plus petites nuances; ce pourra être éga- artifice élégant, lement l'écho un geste se faisant plus raffiné, douce et résignée, d'un Nous sommes donc en présence de conceptions d'art d'une plainte accent douloureux. distinctes, si elles ne sont pas opposées; alors que la conception wagnérienne est d'un réalisme poétique très saisissant, celle de Chopin se plaît au vague, elle flotte entre le rêve et la passion, elle va volontiers vers les sou- un instant ranimés pour retomber bientôt néantdécevant des choses. Elle associera doncaux venirs du passé dans le formes rêveuses de l'Allemagne l'Italie, où de l'acte momentané donne l'illusion de volontaire. Extrêmement féminine, les supercheries de la femme, quand elle elle ne en a les de Chopin se lamente, sa tristesse, pareille à d'une jeune veuve, ne lui est jolie. elle la force, Quand la mélodie petites roueries innocentes. celle formes passionnées de l'effort dédaigne pas pleure, les Les couleurs sombres fait pas oublier qu'elle lui siéent infiniment et son deuil aime à s'entourer de broderies, de dentelles FREDERIC CHOPIN 77 Nous aimons mieux la douleur plus simple, moins habillée ou moins parée. Chopin lui- et de bijoux. plus crue, même nous donnera cette impression clans certaines œuvre dans les études, les scherzos, dans ébauches, quand il ne fignole pas le morceau, quand parties de son les il n'écrit pas pour le public distingué, pour les belles dames qui sont son auditoire préféré, en un mot, pour le dire crûment, quand il n'a pas mis ses gants blancs sa cravate de cérémonie. et En ces esquisses d'une valeur plus haute que les longs morceaux, Chopin véritablement du grand si même il ne art, il se fait rapproche des maîtres, les égale pas. III Très différent de l'accompagnement de l'école classique, la qui, établi à plusieurs parties réelles, fait de mélodie un contour extérieur, une partie dans un ensemble de mouvements combinés entre eux certains l'image reproduisent, par même le — et procédé des imitations, de cette mélodie, directe ou renversée, l'accompagnement de la ou descendent librement sur un milieu amorphe d'où celle d'un — phrase mélodique de Chopin, réalisé par des accords, des arpèges qui oscillent, tent dont mon- l'échelle sonore, est s'élève, isolée, une voix improvisateur habile et inspiré. Par idéale, le choix de ces accords, par leur disposition surtout, de ce simple accompagnement se dégage une atmosphère harmo- FRÉDÉRIC CHOPIN 78 nique qui insaisissable, flotte, autour de la ou moins dense, l'enveloppe qui, légère, plus mélodie, et la pénètre tout entière. Tantôt elle est transparente et limpide, sant, ainsi qu'un ciel clair, surgir à nos yeux tous fai- les détails, toutes les sinuosités de l'horizon, tantôt elle se voile, s'embrume, avec de belles éclaircies, traversées soudain de rayons qui semblent avoir emprunté aux couleurs du prisme leur vivacité et leur irisation. Chopin s'entend admirablement à distribuer ces jeux de lumière, à en varier les effets, à les graduer et nous pouvons nous demander musique si n'est pas l'impression que nous produit sa due plus à ce milieu harmonique qu'à la mélodie elle-même. Cette impression, d'ailleurs, — abstraction de quelques compositions médiocres, — nous retrouvons dans toutes parties de l'œuvre, faite les la indépendamment des il s'est servi et il mélodiques dont dont nous avons analysé dans graphes précédents De même différents types le les para- plus caractéristique de tous. qu'il n'est pas le n'est pas l'harmoniste des poète des grands poèmes, grands espaces. Il n'a pas — peut-être faudrait-il excepter quelques passages des scherzos, d'envergure plus large — tions les qui font pressentir l'arrivée ou tonalité, il n'a pas davantage ces moniques où la tonalité de parenthèses vénienne et qui si le retour d'une intercalations » har- régnante est suspendue, sorte fréquentes dans la symphonie beetho- dans le drame wagnérien vont prendre des proportions colossales. l'invention « longues prépara- C'est dans les détails que harmonique de Chopin est la plus féconde. FREDERIC CHOPIN Non seulement il évite, en mariant 79 accords d'une les tonalité, les alternances vulgaires, banales, les formules ressassées des habituelles cadences, mais en valeur telle il sait mettre note de la mélodie, souligner un accent par des rapports nouveaux, des associations librement formées qui feront çà et là des taches Toutes ces trouvailles originales, à c'est sombres ou lui bien personnelles, son merveilleux instinct d'harmoniste qui les a suggérées, et cet instinct s'est développé moins par tact claires. les enseignements de l'école lui beaucoup que par le con- de la musique hongroise et tchèque qui ont une remarquable allure harmonique. Chopin s'en est tou- jours souvenu, a toujours subi cette influence. Ouvrier habile, n'ayant pas d'outils appropriés, naisons s'il est et se fabrique ainsi pure 1 , et fait des combi- son propre matériel. Mais, un harmoniste audacieux, très nette et très il il conserve une écriture ne tombe jamais, sous pré- texte de profondeur, dans l'obscur et l'incompréhensible. Les modulations sont fréquentes ; mais se fût-il égaré en chemin, son inspiration Feût-elle conduit très loin, 1 Matériellement cette écriture est très souvent défectueuse et compliquée à plaisir. Chopin choisissait de préférence les tonalités chargées de dièzes ou de bémols qui lui semblaient plus expressives et parce que les touches noires émettent est-ce une illusion? des sonorités plus veloutées, assez différentes des autres; mais, dans lé courant des modulations, son amour pour les dièzes ou les bémols l'entraîne à s'en servir enharmoniquement pour les tonalités qui en comptent le moins ou même pas du tout. Figurer les accords de si bémol majeur ou d'ut majeur au moyen de Za# utXmift, ou si# re'X faX, c'est jouer à un petit jeu de rébus. Cette coquetterie de ne pas écrire comme tout le monde rappelle celle des écrivains à la poursuite constante des mots bizarres ou baroques. Il y a dans cette musique assez de difficultés pour qu'on n'y ajoute pas celle de la lecture. — — FREDERIC CHOPIN 80 beaucoup trop loin, il revient au ton route ordinaire, longue, aux un nombreux sentier rapide, escarpé, connaît et qui mène initial, non par la détours, mais par une traverse que lui droit au but. Ici encore, seul comme dans sa mélodie, point de spécialisation expressive; les modulations sont principalement un élément de variété, l'occasion de présenter diversifiées, un thème avec des couleurs chatoyantes, sous des aspects différents, lumineux ou assombris, mais assez souvent elles amè- nent dans une œuvre quelque peu étendue des longueurs inutiles en substituant à un développement véritable la répétition pure et simple, en d'autres tonalités, de certains passages Par la ou même de pages entières. connaissance parfaite qu'il a des ressources harmoniques, par sa compréhension instinctive éléments dissonants un nouveau système tôt, et de leur rôle, Chopin inaugura d'écriture. Wagner qui donnera à ce système toute faisant de des ces combinaisons viendra bien- son ampleur, en dissonantes courant du discours musical, où le principe la mobilité est ainsi plus accentuée, la sonorité plus riche, plus pleine, et plus égale. Chopin, en cela, est donc Ton en doutait, publiait de il suffirait de un précurseur, lire ce — si qui se jouait et se son temps. Ces nouveautés, ces licences contre la règle ne furent pas admises du premier coup. Schumann, malgré son admiration constante, déclare certaine suite d'accords sauvage et arbitraire, Moscheles qualifie de tard il barbares ces modulations audacieuses. Plus changera d'avis. Plus tard aussi presque tous les 13 On 3 sa. s o =3 S FREDERIC CHOPIN 83 musiciens s'engageront dans la voie que maître a le ouverte, et qui sera continuée, agrandie. Mais où per- sonne ne Fa dépassé, dans les adaptations pour le là où il semble inimitable, c'est de cette écriture qu'il a réalisées piano. Les œuvres classiques étaient le clavecin, les orchestrale, mécanisme, pour l'orgue ou écrites sonates de Beethoven avaient une allure Chopin compose pour piano dont le le du clavecin, venait très supérieur à celui alors de recevoir d'importants perfectionnements, et à cet égard nous venons de un maître le dire, c'est écri- de pure virtuosité. D'autres y ont brillé au moins autant, sinon plus que lui. Liszt vain. Il ne pas s'agit ici a plus de puissance, il est plus exubérant, plus fou- gueux, plus fantaisiste. Thalberg, sur le piano, se livre à des exercices qui deviennent de la haute école. Chopin, beaucoup plus simplement, obtient de l'instrument des sonorités merveilleuses, en nouvelles, donnant aux accords l'extension la plus grande possible, jusqu'à l'extrême limite, — soit — poussée en frappant les notes plusieurs fois redoublées de l'accord, soit, ce qui est le moyen préféré, en les arpégeant successivement. Ce sont, en général de longs arpèges, embrassant deux, trois octaves, ou davantage, la l'harmonie étant exceptionnelle On me répondra que de même bien — la artistes le Liszt, position serrée dans et ne persistant pas. son contemporain, a dans sa musique de piano, mais date de la composition des prouve il fait semble œuvres des deux surabondamment, — - que Liszt ne fut FREDERIC CHOPIN 84 En qu'un imitateur. outre Liszt, avec ses mains puis- santes, transportait des montagnes, entassait Pélion sur Ossa, lançait des masses énormes à l'assaut de la mélodie l'accompagnement ; fin et délicat de Chopin ne vise jamais à ce fracas pianistique. Chopin y reproduit, en l'interprétant largement et librement, la disposition de la série naturelle des sons harmoniques émanés d'un son grave fondamental demeurant effet, le son dominant cherché instinctivement par paraîtrait complètement dans le le bruit, or cet : compositeur, dis- dans le tapage de toutes les notes frappées lourdement ou violemment. — bien que l'exécution, — paraît Schumann qu'à le passage suivant n'ait trait avoir eu l'intuition de ce caractère, lorsqu'il écrit dans ses Daoidsbùndler « : Qu'on imagine une harpe éolienne qui aurait toute l'échelle des sons et que la main d'un artiste jette ces sons pêle-mêle en toutes sortes d'arabesques fantastiques, de façon que toujours damental grave et on entende un son fon- une délicate note haute continue... on aura une idée de l'incomparable virtuose. Schumann ne aperçu que » parle que du jeu de l'artiste. S'est-il le secret et très sobres était de ces sonorités à la fois très riches dans l'œuvre même, que le désordre de ces sons pêle-mêle, de ces arabesques n'était qu'ap- parent? A-t-il compris que l'extension de la forme accompagnante correspondait à l'extension, parfois grande, de la forme mélodique, remplie de de gammes, réalisait — et qu'ainsi très traits et l'ensemble de la sonorité se dans un parfait équilibre ? FREDERIC CHOPIN Le piano de Chopin, joué non 85 Chopin à la « », mais par Chopin lui-même, montrait à travers la pluie d'étoiles firmament bleu le et obscur, Finfini profond et grave une plénitude qui avait se ; il rapprochait de celle d'un orchestre entier. Aussi nous comprenons, malgré l'exa- gération de certaines idées ou Fextravagance de cer- que George Sand taines épithètes, lignes suivantes, citées très souvent ce Le génie de Chopin d'émotion qui et a ait existé. Il saxophone, ni a su résumer en dix immense, des drames d'une énergie pour donner riels passer à un seul n'a jamais eu besoin de grands Il sentiment enfant pouvait jouer des poèmes d'une lignes qu'un égale. fait il écrire les : est le plus plein de instrument la langue de Finfini, élévation pu ait le mot de son ni ophicléide — génie. (ceci à sans moyens maté- Il ne lui a fallu Fadresse de Ber- — pour remplir l'âme de terreur, ni orgues d'église — maintenant à Meyerbeer), — pour lioz, apparemment), (et la remplir de et il ne l'est progrès dans foi et d'enthousiasme. Il pas encore de la foule. le goût et l'intelligence n'a pas été Il connu faut de grands de Fart pour que œuvres deviennent populaires. Un jour viendra où l'on orchestrera sa musique sans rien changer à sa parses tition de piano, et où tout le monde saura que ce génie aussi vaste, aussi complet, aussi savant que celui des plus grands maîtres qu'il s'était assimilés, a gardé une individualité encore plus exquise que celle de Bach, encore plus puissante que celle de Beethoven, encore plus dramatique que celle de Weber. Il est tous les FREDERIC CHOPIN 86 trois ensemble et il est encore lui-même, c'est-à-dire plus délicat dans le goût, plus austère dans le grand, plus déchirant dans la douleur. Mozart seul lui est supérieur, parce que Mozart a en plus conséquent la plénitude Appréciation le calme de de la vie. surtout la santé, par » littéraire, musicalement peu fondée, et sous bien des rapports peu exacte. Transportée telle quelle à l'orchestre mélodie un arpège et aussi pauvre que la i la , musique de Chopin — produirait un musique de — une effet aussi terne, Bellini. Les belles harmoniques y seraient perdues, dispersées comme un amas de feuilles que le vent d'ouest vient trouvailles balayer ; ce ne serait plus de la musique, mais de la poussière musicale. Seul le piano, avec son immense clavier et sa parfaite égalité de timbre, peut se prêter à la réalisation et de ces combinaisons, produire une grande puissante impression harmonique et donner la sen- sation, comme on l'a déjà dit, je crois, d'une pluie de perles tombant sur un plateau de cristal. IV Les formes musicales qui viennent imparfaitement, d'ailleurs, — en d'être esquissées, pareille matière il est 1 L'essai de M. Giacomo Orefice, Chopin, opéra en quatre actes, poème de Angeolo Orvieto, composé entièrement sur des mélodies de l'artiste, est tout à fait significatif à cet égard. Si, aux représentations qui eurent lieu à Paris en 1905, quelques passages furent chaleureusement applaudis, cette musique, dans son ensemble, parut, en général, tout à fait impropre à exprimer le drame et ses évolutions, comme à fournir une matière orchestrale suffisante. FRÉDÉRIC CHOPIN difficile d'être clair et trop techniques, œuvres; — sont celles tomber dans des détails de la majeure partie des sont très manifestes dans certaines, notam- elles ment dans précis sans 87 les Nocturnes. Les Nocturnes de Chopin ont eu une vogue énorme parmi ses compositions il ; en est peu qui aient contribué autant à sa gloire, indiqué plus nettement ses tendances, mieux accusé son style et fait dans les salons une plus rapide et plus brillante fortune. Tous les amateurs ont entendu jouer ou ont joué eux-mêmes ces morceaux délicats, charmants, d'une aimable mélancolie, élégies gracieuses où chantent les vers du poète : Mais la tendre élégie et sa grâce touchante M'ont séduit; l'élégie, à la voix gémissante, Au ris Belle, Bien que mêlé de pleurs, aux longs cheveux épars. levant au ciel des humides regards 1 ... la composition des Nocturnes se répartisse sur l'ensemble de la carrière du compositeur, tous — à l'exception air de jeunesse, la d'éphèbe, - — vingt ans. et et des et Ils ils ont — même même grâce touchante — une grâce de deux ou de trois, semblent avoir été le écrits entre dix-huit ont défrayé l'imagination des biographes commentateurs désireux de leur trouver quel- que sens romantique, quelque interprétation littéraire. Là-dessus, Chopin ne s'expliqua jamais, gardant un secret qui, sans doute, n'existait pas. Plus encore toute autre, sa 1 musique ne représente-t-elle pas des André Chénier. Elégie XXXII. que états FRÉDÉRIC CHOPIN 88 émotifs, des étals d'âme antérieurs à l'idée et où celle-ci ne pourrait apparaître sans en altérer ou rompre charme la et mystérieuse beauté régions vagues et ? le Puisée dans les profondes de la sensibilité, l'inspira- tion a créé l'image sonore sans intermédiaire, sans passer par l'idée qui l'enfermerait en une formule beaucoup trop étroite, et cette image sonore obtenue, le siteur, qu'il soit lui donne compoChopin, Beethoven ou Schumann, ne sa forme définitive que par moins long, travail libre, pation que cette forme un travail plus accompli sans autre préoccu- même. Le plau du Nocturne de Chopin extrêmement est simple; c'est celui du Nocturne de Field, date, visiblement imité une phrase unique, ou 1 , le premier en avec quelques modifications longue, quelquefois suivie thèmes accessoires ou d'une partie intermédiaire : de très différente. Mais, le plus souvent, cette partie accessoire prend le caractère d'un récitatif instrumental, libre, modulant, comparable à une déclamation vocale, avec toute l'extension que la traitée musique de piano peut comporter. Ce procédé qui tranche avec par son allure agitée, violente même, et la mélodie que Chopin emploiera volontiers dans beaucoup d'autres œuvres, Même système d'accompagnement en général, même recherche des broderies et des fioritures, avec beaucoup moins d'invention chez Field il y a même dans les formes mélodiques des premiers nocturnes de Chopin (par exemple le célèbre nocturne en mi bémol) des analogies frappantes avec ceux de Field. Mais la mélodie de Field ne s'écarte pas du type classique dans son développement et dans ses cadences; l'harmonisation en est le plus souvent peu remarquable. 1 ; î 1 a <2 < ce s- a ^ 5 FREDERIC CHOPIN fréquemment constitue belle la partie la plus du morceau. Citons seulement Nocturne (op. une modalité mineur n° 15, très 1) à neuve, la plus du ici « le récitatif » en fa majeur, dont le motif a allemande, celui du Nocturne en fa (op. 48, n° 2) qui, tiles, atteint 91 malgré des répétitions inu- une ampleur presque beethovénienne. Dans ce recueil de dix-huit Nocturnes diversifiées par des nuances 1 les élégies très fines, qui dominent, vont s'éle- vant jusqu'à une véritable grandeur (nocturne en ut mineur, op. 27, n° 1, pièce maîtresse du recueil) ques autres accents s'y rencontrent. une sistant de la basse indique, en flux et le reflux d'une barcarolle ment de la enlacées chaque note portant accord, colique quel- ; un arpège per- tonalité claire que 3 . ; là, 2 , le suit capricieuse- et un chant d'église — — succède au motif mélan- d'une mazurka interrompue sur une longue Ce caractère religieux se retrouve çà Nocturne en ut mineur (op. 48, n° reux Ici # mélodie, formée de deux voix idéales, deux voix femme étroitement tenue # 1), et là. Le au début doulou- sombre, contient un véritable hymne, enthou- siaste, triomphal, lourdement établi sur accompagné d'immenses accords, ensuite, — très cas est très le rare chez le compositeur. Mais en général Chopin se montre peu inventif de prière ; Lamartine, et peu original dans thèmes son lyrisme n'a pas la religiosité de celui de et devant le grand problème de 1 Dix-neuf, en y comprenant celui qui ne porte pas de 2 En En 3 les sol majeur (op. 37, n° 2). sol mineur (op. 15, n° 3). la fin numéro d'œuvre. FREDERIC CHOPIN 92 humaine de la vie future, c'est l'épouvante qui l'em- et porte. Les Impromptus peuvent aisément Nocturnes; leurs éléments sont les être rapprochés des mêmes, dans un ordre morceau débute par une phrase rythmique qui encadre le thème sentimental de ses traits brillants, inverse : le Le plus célèbre assez difficiles et de vive allure. Impromptus plus joué de ces impromptu, et le (op. 66), intitulé Fantaisie- mort de Chopin fut publié après la son ; chant très doux, très pénétrant, est d'un sentiment poétique très analogue à celui du thème de la Dans deuxième Impromptu, le à la basse, comme la mélodie est transportée contiée à si elle était disposition dont on trouve de marche funèbre. un violoncelle : nombreux exemples dans l'œuvre du musicien qui avait pour cet instrument une prédilection toute spéciale. Si Chopin emprunta à Field le Nocturne, morceau de salon teur d'un autre chanson Le plan des Ballades, basé sur deux thèmes, nocturnes est : de la et l'alternance de beaucoup plus étendu que et tout s'y quatre Ballades fut le créa- très apprécié naguère, la Ballade, qui participe à la fois de la danse. il celui des développe en proportion. Il y a toutes quatre furent inspirées, paraît-il, par les poèmes de Mickiewicz ; très différentes les unes des autres, elles n'ont, dit Ehlert, que « deux points communs, le romantisme de leur développement et la On regarde généralement la comme la plus belle et même noblesse de leurs thèmes». première, en sol mineur, comme un des plus beaux morceaux de piano qui aient FREDERIC CHOPIN été jamais 93 Rubinstein jouait volontiers la seconde écrits. en fa mineur, « fleur sauvage, enlevée et caressée par un coup de vent »... Il nous semble, au début, entendre des paysans qui chantent en chœur, en passant sur la quelque antique légende; route, comme une qui survient le rafale, est mouvement agité, fort beau. Nous ne saurions en dire autant, malgré ses succès mondains et un début heureux, de la Ballade suivante, en la bémol; son second thème est un motif vulgaire de danse, un air de ballet qui penser à un théâtre de marionnettes fait morceau trop voisin de Liszt dit, très musique de salon, dont cette justement, qu'elle ne demande à ses audi- teurs distraits aucun sacrifice de leurs petites préoccu- pations mesquines, musique pour les gens du dont, en fait : de poésie comme en fait d'art, « les s'inhalent en quelques minutes, s'épuisent en monde émotions une soirée, s'oublient le lendemain. » La quatrième plutôt à Ballade, en fa mineur, qui ressemble une barcarolle, au contraire absolument est remarquable par l'invention des motifs — le de la première phrase a une grâce exquise, final manière dont et les ils groupe — par la sont traités, par l'écriture barmonique modulations. Dans un genre très voisin, Chopin écrivit quelques compositions, également d'une exécution très autres difficile. Le Boléro tion a peu d'originalité et point de couleur locale. : il (op. 19) ne retiendra pas notre atten- La Barcarolle (op. 60) est jolie; un dessin persistant à la basse indique et maintient le caractère du morceau. FREDERIC CHOPIN 94 Tausig y voit une scène d'amour dans une gondole discrète. En quelque lieu que se passe cette « discrète » aventure, la musique est très italienne, empreinte de cette Italie « vers laquelle, Chopin s'inclinait comme le remarquait Schumann, peu à peu par-dessus l'Allemagne. » — celui en la majeur Un des thèmes de cette barcarolle — d'un caractère tout différent, rappelle en ses pre- mières notes La le début de la Rapsodie norvégienne de Lalo. plus curieuse de ces diverses compositions est sans contredit la Berceuse (op. 57), une des dernières sitions du maître et qu'on pourrait regarder l'apothéose de l'ornementation. C'est un petit compo- comme poème musical, exquis jusque dans son extraordinaire préciosité. Le mouvement monotone du berceau y par une seule mesure à la basse péroraison et — et où — est représenté répétée jusqu'à la se balancent les accords de tonique de dominante sur un rythme uniforme. L'enfant s'en- dort... une main prévoyante, pour cheur du soir, le garantir de la fraî- recouvre son visage de voiles légers délicats qui laissent entrevoir ses traits et de fée ont brodés merveilleusement. endormi... et à travers les dentelles, un tées, nous apercevons Tout cela le et que des doigts L'enfant s'est moment écar- sommeil adorable du mignon. est bien précieux, trop précieux pour de la grande musique, mais aussi, au sens propre du terme, tout cela est précieux à la façon d'un objet d'art finement ciselé, Il de d'un bijou serti par le plus habile ouvrier. y a également beaucoup de piano dans la Tarentelle « bravoure (op. 43) », beaucoup en la bémol, FREDERIC CHOPIN 95 visiblement inspirée du style de Rossini; mais les bru- meuses modulations qui l'enveloppent n'y laissent pas percer le moindre rayon de soleil. Le génie de Chopin n'est pas là; il cesse d'être lui-même en empruntant à autrui. Y Voici des accents plus mâles et plus fiers, un art qui n'est plus l'élégie « à la voix gémissante »,nila fantaisie de salon, mais presque de l'épopée : il s'agit des polo- naises. L'origine de la polonaise est obscure et controversée; son rythme actuel 1 n'est pas très ancien et ne paraît pas remonter au delà de Bach qui s'en trois temps exprimés en croches, ses deux doubles pré- cédant tion est servi; avec ses le deuxième temps, il semble soit la d'une danse populaire à deux temps, transforma- comme la krakoviak, soit une mazurka dégénérée, rendue pesante et disgracieuse. C'est une danse masculine, danse de bottes frappant le sol, détaillant la mesure, alors que la svelte et féminine grâce. mazurka Nous savons encore dans marche, les glisse avec légèreté et avec d'ailleurs que la polonaise, usitée pays du Nord, devint en — marche de cour ou de fête réalité une par laquelle s'ou- vraient les bals et les grandes réceptions de la noblesse 1 Voir à ce sujet une intéressante étude de M. Adolf Lindgren, Contribution à V histoire de la polonaise, dans le volume du Congrès international d'histoire de la musique de 1900. FREDERIC CHOPIN 96 polonaise, cortège magnifique où, à travers les salons illuminés, une suite de couples défilait, étalant orgueil- leusement splendeur des costumes, la des pierreries. Cet rythme de le en la polonaise le mieux encore par prit être la pompe ruissellement écrasante, massive, rend bien; Chopin le com- les interprétations très libres qu'il par les variantes fit, de effet le y introduisit, et c'est peutseule partie de son œuvre où les représentations visuelles s'offrent précision. qu'il avec quelque insistance quelque et impossible d'imaginer quelque chose de Il est plus fastueux ou de plus majestueux que la Polonaise en la bémol dont le début, d'une brillante solennité, est une marche au rythme serré, aux pas pesants, accentués par des basses mouvementées et puissantes. Il est impossible de ne pas éprouver soudain, sur le rythme le le frisson sacré de l'art lorsque roulement prodigieux des octaves graves, se transforme, s'agrandit, éclate en une fan- y a là quelques moments d'une émotion saisissante que Chopin ressentit lui-même. fare d'allure triomphale. Il On dit que, se dresser comme il il vit dans sa chambre tout un cortège de princes, de magnats, de héros, intensité, composait cette polonaise, une Kwiatkovski et telle réalité fit l 'hallucination prit une telle que l'artiste s'enfuit. Le peintre de cet épisode, vrai ou supposé, le sujet de plusieurs compositions. Largement conçues, riches de plusieurs thèmes, les polonaises ne sont pas seule- ment des pièces décoratives, somptueuses, elles ont un caractère patriotique, un souffle héroïque qui se retrouve dans les types mélodiques mêmes, plus fermes, moins H H a < H <! H «H H -*J M O 5K a ta -«J H H a a a j FREDERIC CHOPIN 99 sinueux en leurs contours, vigoureux, d'une écriture beaucoup plus sobre. La vie y circule plus abondante ces pages ; éloquentes parlent de la patrie, disent ce qu'elle était aux jours de gloire, ce qu'elle devint aux jours de détresse; elles s'emplissent alors de clameurs guerrières, d'appels aux armes, de bruits de combats, auxquels succèdent la désespérance de la défaite, les plaintes des blessés, les sanglots des vaincus. Les polo- naises n'ont pas toutes cet aspect de révolte et de sauvagerie, comme celle une phrase douce dans laquelle mazurka en ut mineur qui a pour contre-partie et attristée, Chopin délicate avec comme celle intercale un peu en fa par # mineur une contraste trop d'insistance. Les pre- miers essais du compositeur se rapprochent davantage des polonaises nationales ou classiques, virtuosité du genre de celle de Weber elles 1 . ont une Plus tard le rythme convenu s'émancipe, réhabilitant une forme banale, et la conception de Chopin, dans les marches de fêle, sera, en divers passages, celle de Meyerbeer; elle rappelle certains ensembles rythmiques des opéras de celui-ci, comme Meyerbeer donnera dans une impression analogue à certaines son Takseltanz polonaises de Chopin. Cette habileté de Chopin à manier les rythmes prove- Polonaise terminant les variations sur le thème de Don Juan Polonaise pour piano et violoncelle (op. 3) souvent exécutée dans les concerts; Polonaise pour piano et orchestre (op. 22) composée vers 1830 précédée d'un andante spianato, où se trouvent deux thèmes délicieux; ajoutons enfin une œuvre très postérieure, la Fantaisie-polonaise 1 ; — — {op. 61), dont le début est charmant. FREDERIC CHOPIN 400 nant directement ou indirectement de danse, son la esprit inventif, curieux de détails et de nuances, recher- chant partout toujours le côté eurythmique de la et forme, donne à ses compositions de danse proprement dites une valeur particulière, d'autant plus grande que défaut ordinaire à ce genre de musique, la vulgarité, le est évité soigneusement. mazurkas, une quinzaine mazurkas œuvre autre. est à la fois un de valses. Le des recueil folk-lore impersonnel et individualiste. très y a une soixantaine de Il C'est Les éléments en sont un pris une art greffé sur dans les un productions anonymes nationales en possession de son modèle, Chopin l'idéalise, le commente d'une façon poétique ou sentimentale, lui donne le cachet de sa propre originalité et en tire un grand nombre de copies. Il eût pu en ; même type mélodique indéfiniment, comme l'ont montré écrire trois, quatre fois plus, le pouvant se reproduire Rossini, Bellini et leurs imitateurs. A même raison de leurs origines, les mazurkas ne manquèrent pas de plaire champion convaincu, comme infiniment le chanteurs^ de l'art populaire. cachés sous des fleurs, ennemi le ples des mazurkas, il savait quel écrit-if, à Schumann, Hans Sachs des Maîtres « Ce sont des canons et si l'autocrate du Nord menace dans les interdirait cette mélodies musique. si sim» La remarque de Schumann s'appliquerait mieux, semblet-il, aux polonaises qu'au rythme souple, fragile et fort peu dynamique des mazurkas. Celles-ci amoureuses, très rarement gaies, sont tendres, tristes le plus sou- FRÉDÉRIC CHOPIN Leur vent. allure 101 — sentimentale a des admirateurs moins nombreux que jadis; mais leur technique est fort y a là des documents qui résument manière mélodique ou harmonique du maître intéressante : il la 1 . Chopin ne devait pas moins réussir dans qui est par excellence le — où les accents la presto le plus rapide. public, selon son habitude, meilleures . La la valse pas Les valses de populaires, tradition ayant décidé, n'avait-il combi- les et ne choisit pas toujours donné le les pour ces valses, — Chopin l'exemple? — on qu'elles ne doiventpas être jouées en lui-même — possibles, depuis le immédiatement Chopin devinrent 2 danse mesure, où toutes mouvements sont naisons, tous les la rythme peuvent se porter successivement sur chacun des temps de lento jusqu'au rythme de le mesure les comme non dansantes, on oublie sans doute en serait de même de n'importe quelle musique regarde qu'il rythmée, lorsque Fexécutant la transforme au gré de son caprice. Plus raffinées encore que les mazurkas dont elles ont fréquemment l'allure, prétentieuses parfois, parfumées au musc, relevées d'une pointe d'émotion, ces valses évoquaient dans l'imagination de Schumann l'image d'un bal de marquises ou de comtesses. Elles semblent parfois, en effet, le compte rendu poétique des Signalons, par exemple, les emprunts très habilement faits à l'art populaire quant à l'emploi des gammes tonales modifiées, mélodique1 ment ou harmoniquement. 2 Première valse en mi bémol, banale à force d'avoir été imitée valse en ré bémol, dite « du Petit chien » qui tourne sur lui-même, et ; quelques autres. FREDERIC CHOPIN 102 réceptions du grand monde, avec Jeurs sonorités cha- toyantes comme de belles toilettes, scintillantes Féclat des lustres ou des diamants; leurs accents disent quelque émus amoureux, discrètement engagé, flirt de 1 et tristement dans les larmes... Presque toutes qui finit ces valses, gentleman Chopin les composa au jour écrirait le à Paris, comme un jour son journal mondain ; cependant quelques-unes datent de Vienne ou d'ailleurs, et ce la ne sont pas les moins bonnes Valse en la que trante et C'était un de mineur (op. 34) d'une mélancolie morceaux ses Téloge semblait au maître qu'on pûtjamais de l'œuvre de citons seulement péné- compositeur préférait à toute autre. le Et maintenant, : le favoris ; en parler, en compliment le plus faire flatteur lui adresser. il faut le reconnaître, toute cette partie Chopin, qu'elle mêle sa langueur et sa mélancolie aux grandes ombres de la nuit ou aux bruits des fêtes, aux sourires d'un bal, à la grâce des soirées mondaines, est assez uniforme dans son ensemble dans l'impression qu'elle fait naître. Cette et monotonie musicale provient des rythmes choisis presque exclu- sivement dans la rythmique de danse, de la manière avec laquelle se succèdent les thèmes mis bout à bout, et aussi de la monotonie des états d'âme qui y sont Ce caractère émotif, passionnel, marque une évolution de la musique de danse qui, jusqu'alors, s'attachait à en traduire fidèlement le côté voyez Y Invitation à la valse, purement plastique. Weber avait fait, avant Chopin, cette innovation, qui eut beaucoup de succès; il en est résulté une véritable transformation du genre, il en est résulté aussi que les rythmes spéciaux et caractéristiques ont, pour certaines danses, disparu en partie, qu'ils tendent à disparaître de plus en plus. 1 — — FREDERIC CHOPIN 103 exprimés, qui se répètent, quels que soient les milieux; on sent que, pareil au voyageur dont Sénèque parle à Lucilius, emportant avec lui son âme Chopin attristée, promène partout dans son œuvre son inguérissable neurasthénie. H y a plus cette déviation des : rythmes des formes de la danse qui les jette hors de leur et voie d'expression simple et naturelle, dont, en poésie, Baudelaire, Verlaine et d'autres encore ont tant abusé, peut produire et produit réellement un tique; mais cet effet ne varie guère, il après nous avoir séduits tout d'abord, il nous lasser efïet artis- est factice, et ne tarde pas à l . VI Les compositions écrites — mettons à part scherzos, — datent presque ou du rondo les dans la forme de la sonate en la sonate si bémol et premières toutes des années de jeunesse. Ce sont, bien plutôt que des œuvres définitives, des essais dans un genre que Chopin ne par- vintpas à s'assimiler 2 L'ordonnance classique y est suivie . ne faut pas s'en nourrir, mais s'en servir comme d'une essence », empruntant la phrase de Pascal comme épiW. de Lenz, graphe, en tète de son chapitre sur Chopin, dans les Virtuoses du Piano, ouvrage déjà cité. 1 « 11 inscrit — — 2 Dans l'œuvre de Chopin, il n'y a pas une seule fugue les imitations sont exceptionnelles, sans développement, sans portée, même dans les parties traitées classiquement (je signalerai, à titre de curiosité, celles qui se trouvent dans les mazurkas, ir s 32, 34, 38, édition Breitkopf). Quant à la grande variation qu'il ne faut pas confondre avec l'air varié, la Berceuse ne saurait être considérée comme un essai en ce genre, et ; FREDERIC CHOPIN 104 un peu à l'aventure, le style, les ce matériaux » mélo- diques ne sont pas appropriés. Venues après Beethoven, ces compositions ne manifestent que davantage leur Beethoven débute par un thème bref qui insuffisance. deviendra l'élément principal du développement, il crée tout d'abord une sorte de milieu rythmique et ne fait apparaître qu'ensuite la mélodie proprement dite. Chopin expose immédiatement nous connaissons, la mélodie, la longue phrase que livre sans réticence et toute sa pensée; puis il du premier coup passe à un autre thème, com- blant les vides par des traits brillants, purement pianistiques. Si ingénieuses, soient ces combinaisons, artistement agencées que leur défaut capital de lien nécessaire avec ce qui précède et ce suit; elles pourraient être utilisées n'importe où, dans un allegro, un rondo, ou un andante de régler convenablement l'écriture basses. L'ensemble une est un n'avoir pas qui si suite de sensations dispersées, cohésion, offrant un « flottement » presque désagréable. Dans toutes ces œuvres de piano, musique de chambre pourraient être détachées suffirait rythme des et le manque donc de il : — musique — où beaucoup de pages qui feraient de charmants nocturnes, les meilleures parties sont les mouvements lents, là où les longues cantilènes ne se trouvent pas déplacées. Parmi les rondos, au nombre de quatre, le Rondo Chopin, ainsi que beaucoup d'autres, n'a pas soupçonné les ressources d'une forme que Beethoven avait employée en ses dernières compositions et qui suscite dans l'art moderne, M. Vincent d'Indy l'a l'ait justement remarquer, un grand nombre de belles œuvres. — — Cliché Moreau. PORTRAIT DE CHOPIX, PAR EUGENE DELACROIX (Collection Marmontel). FREDERIC CHOPIN Mazur à la (o\> nationaux; le 5) tire . Rondo 107 quelque agrément de ses timbres à deux pianos, huit ans, a beaucoup de charme — répétons-le, — composé à dix- et de grâce. un peu mièvre et fort incomplet; le type expressif de Chopin ne se prête nullement à un travail symphonique Les compositions pour piano avec accompagnement Mais il n'y a là qu'un art 1 . d'orchestre — pièces de concert, concertos, — destinées aux tournées de Fartiste, valent surtout par leurs mérites au virtuosisme plat et banal de la plupart des pianistes de l'époque, pianistiques. Infiniment elles appellent les cédentes. mêmes s'y rencontre réserves que les œuvres pré- également de jolis passages, de nocturnes; des arcs-en-ciel apparaissent à travers jolis les Il supérieures ondées sonores. Mais, à vrai d'art qui n'a et tiste pour but que de où tout lui dire, dans cette forme faire briller l'instrumen- est sacrifié, l'œuvre elle-même n'a forcément qu'une importance très secondaire. La Fantaisie sur les airs polonais et la Krakociak sont de gracieux tableaux de danse très ornés sur le thème de Don Juan du compositeur, le le morceau début plein de promesses — a une belle variation en qui transporte dans une byronien — ; sombre forêt, si J> mineur dans un décor lumineux thème de Mozart. Les deux concertos, en fa mineur et en mi mineur, que Chopin exécutait volontiers, tantôt entièrement, L'Allégro de concert (op. 46) dans lequel les pianistes concoururent tout récemment au Conservatoire, premier mouvement d'un troisième concerto que Chopin, nous l'avons dit, se proposait d'écrire, est un morceau très médiocre, tout à fait indigne de lui. 1 FREDERIC CHOPIN 408 tantôt le plus souvent par fragments, durent peut-être le meilleur de leur succès à une interprétation que plus tard les élèves s'efforcèrent d'imiter. travailla longtemps reux vers un la ; ils révèlent un Le compositeur y effort parfois art plus noble et plus heu- haut que celui de pure virtuosité. Mais l'écriture symphonique reste faible, les sonorités orchestrales sont plates et ternes. La pauvreté ciens, de cette orchestration inspira à deux musi- Klindworth réinstrumenter, possible. et Tausig, l'idée singulière de les le texte pianistique Klindworth arrangea le concerto en fa mineur, — mi mineur, Tausig, celui en respecté autant que pieuse intention et labeur ingrat qui demeurèrent inutiles. Si les concertos de Chopin gardent un réel intérêt didactique, on ne les joue plus en public depuis long- temps, pas plus que la musique à virtuosité du dernier siècle. leur De telles œuvres ne survivent presque jamais à époque. Les tendances en plus; d'ailleurs de plus modernes la admettent est celle qui vient, wagnérien, concourir à s'en écartent seule virtuosité qu'elles comme dans l'orchestre l'idée et lui fournir la plénitude de son expression. Vil Jusqu'ici l'étude des œuvres de Chopin a montré le parallélisme rigoureux entre sa musique et les vicissi- tudes de sa vie, ses tendances et ses préoccupations; FREDERIC CHOPIN elle a fait Les connaître l'homme, trois influences qui le patriote et le virtuose. dominèrent le compositeur sont nettement représentées jusqu'au bout malgré 109 la vie : mondaine, continuée maladie, qui les souffrances et la inspirales nocturnes, les valses et la musique de salon; la patrie, dans dont il traduisit les plaintes et les les polonaises et les mazurkas; enfin les héroïsmes débuts de sa carrière de pianiste à qui l'on doit des compositions secondaire. d'ordre Les œuvres examiner font connaître qu'il nous reste seul, l'artiste, l'artiste à dégagé y échapper complètement; et n'entends pas une entité métaphysique, quel- ambiances, sans des par là je que chose d'immatériel ou de spéculatif, mais un état d'âme suffisamment affranchi des contingences immédiates et trop personnelles, parvenu à ce haut degré de perfection où Fart n'apparaît plus dans l'œuvre, où la forme extérieure plus les procédé matériel ne se distinguent dans l'intégrale animo Il et le beauté : qui materiam vieil, vie tus. y a beaucoup d'art dans les Nocturnes, mais dans Préludes infiniment plus beaux il n'y en a presque y a beaucoup de recherche dans les concertos, il n'y en a aucune dans les immortelles Études. Devant ces plus. Il œuvres magistrales, quel peut A être le rôle du critique? quoi bon commenter ou expliquer longuement ce qui s'impose à l'admiration et défie la critique elle-même? Publiées en deux cahiers de douze numéros trois dernières, beaucoup rément dans la — les moins remarquables, sépa- Méthode des méthodes de Moscheles, — FREDERIC CHOPIN 110 les Etudes sont l'aboutissement suprême des tendances harmoniques de Chopin, l'expression des effets d'harmonie qu'il la plus parfaite chercha au piano par moyen d'une virtuosité transcendante. Le but immédiat des Études est un but d'école : le pré- senter successivement les difficultés de mécanisme, difficultés de notes ou de rythmes, diversement réparties entre les deux mains. Gammes en tierces, en sixtes, en octaves, traits chromatiques simples ou avec notes inter- immenses ou grands accords plaqués, calaires, arpèges contretemps ou associations simultanées de rythmes dif- férents (trois contre deux, trois contre quatre), tels sont chacun les sujets passés en revue, quement, avec des sonorités superbes, incomparable. Le traités côté didactique, très méthodi- d'une pureté à peine sensible à l'exécution, ne nuit en rien à la variété, et l'imagination de Chopin s'y déploie à l'aise. Dans tel de ces morceaux prend fantaisie au compositeur de ne promener il main droite que sur et fa, les seules les la touches noires du clavier, Y ut touches blanches de la tonalité [? {sol bémol majeur), ne figurant qu'à l'accompagnement. Une sombre énergie éclate dans la belle Etude en ul mineur avec le mouvela dernière du premier recueil i — — ment bouleversé et persistant de ses grands traits à la moment de la fut surnommée basse; composée, paraît-il, en 1831, au prise de Varsovie par les Russes, elle Étude de 1 Même deuxième la Révolution. caractère dans l'Etude en la mineur (dernier cahier), très belle également. numéro du FREDERIC CHOPIN Au 111 début du second recueil, une autre 1 à travers le , jeu des harmonies arpégées, apporte un bruissement mélodique une imperceptible, ses groupes élancés, ses encore autre trilles brefs d'artifice... Quelques-unes ont pour but d'apprendre à lier le admirables que phrase ut # mineur antique et l'élève à chant, et ce sont des compositions soi-disant ces (n° 19) exercices. La belle main gauche dans l'Étude à la confiée avec , emportés dans une course vertigineuse, semble quelque feu phraser et à 2 en évoque l'image d'une cérémonie elle rappelle, en sa modernité, certains pas- sages des Erynnies de M. Massenet. Mais rien, peut-être n'est comparable, en mi majeur, en le « Wahnfried a-t-il » comme tête mélodie, au début de l'Étude de laquelle on serait tenté d'écrire de la maison de Wagner à Bayreuth. N'y pas dans ces quelques mesures, dans cette phrase qui dévie ensuite vers des formes un peu italiennes, la représentation la plus sublime de la sérénité d'un confiant, partagé, de presque religieuse? deux âmes unies dans une paix Il se rencontrera, en une Étude 3 des accents analogues, mais , 4 En la bémol majeur (op. En fa majeur (op. 25, n° 25, n° autre cette paix profonde, ce calme, Chopin ne les retrouvera jamais 2 amour 4 . 1). 3). 3 Etude en si mineur en octaves (op. 25, n° 10) qui y est intercalé au milieu. : le chant en si majeur Les Études ont été l'objet de nombreux et savants commentaires (Klindworth, Bùlow, Riemann, Kullak, Mikuli) un pianiste polonais, M. Godowski, a fait plus que les commenter, il les a superposées les unes aux autres, les combinant librement entre elles. Ce travail, d'une rare ingéniosité, est resté, croyons-nous, inédit jusqu'ici. 4 ; FREDERIC CHOPIN 112 Les vingt-quatre Préludes sont comme les pages d'un de pensées musicales, courtes parfois à la façon livre des maximes, énoncées dans le premier jet de l'inspira- tion avant tout enjolivement, toute sertissure. dépassant de beaucoup les morceaux du maître, ils Dans aussi. (la ?, sol les plus travaillés sont d'une simplicité imposante, reposante de ces Préludes, un l'un obtenu par est Ébauches la seule prodigieux etfet répétition obstinée d'une note sur laquelle se succèdent deux thèmes très {?) différents, l'un, à l'aigu, d'une douceur exquise, l'autre, à la basse, mystérieux nien. Mais faudrait citer toutes les pages de cet il et sombre, presque beethové- album où, sur les sujets les plus divers, élégies, courtes épopées ou même scènes de danse, les miniatures côté des Études et des Préludes, « perles de la Chopin collection être aqua- avec des dessins largement exécutés. relles alternent A et les moins parfaites, grande musique , se placent des », œuvres qui, pour expriment cependant une noble et imprégnée de très la tradition alle- mande. La Fantaisie en fa mineur (op. 59) contient divers éléments longue : une jolie marche, esquissée seulement, une Schumann, coupée de d'un andante, aboutissant à un phrase emportée à parties récitatives et la thème large. D'allure orchestrale, cette composition fait l'effet d'une ouverture pour un drame lyrique. Chopin, en la concevant, aurait-il ses amis l'y invitaient ensuite pour le piano? ? songé au théâtre, Serait-ce là un comme essai, adapté Cliché Fiorillo. MONUMENT DE CHOPIN, PAR J. FROMENT- M EURIGE (Parc Monceau, à Paris). FREDERIC CHOPIN 115 Les quatre Scherzos comptent parmi les plus les morceaux longs du compositeur, et ne se rattachent à rien dans son œuvre. Leur plan est celui du scherzo classique démesurément agrandi, dont les diverses parties, sont mêlées intimement. La reprise de la partie principale est ou amenée après coda est la Chopin « à la fort » y le trio par une modulation; la strette développée. est caractéristique employée, mais avec d'autres types mélodiques d'un aspect grave controns chez La phrase et sévère, lui nulle autre part. La que nous ne ren- Les lignes sont nobles, rythmique y est très inspirée des scherzos des symphonies beethovéniennes, d'une grande sobriété. partie rythme de danse, au lieu de persister comme dans ces symphonies, est interrompu à tout instant par mais le des passages lents, des mélodies ou des récitatifs qui n'ex- priment aucunement la brève mesure ternaire du scherzo. Évidemment Peffet cherché est d'opposer, en les alternant, des rythmes et des mouvements différents, mais restés solidaires entre eux un rythme très bref, comme le trois temps d'un scherzo, et un rythme large qui s'étend sur : plusieurs mesures. Cet effet, scherzo qui offre, au trio en tralto délicieux, nifeste dans peu sensible dans le premier si majeur, un chant de con- délicieusement accompagné, est très ma- les trois autres. Le second scherzo en si bémol mineur, débutant par une interrogation pianissimo, en est un des plus beaux spécimens; Schumann quelque de mépris et « poème de Byron, il semblait à plein de tendresse, de dédain... » Avec leurs gestes impétueux, désordonnés, avec leurs accalmies passagères, les Scher- FREDERIC CHOPIN 116 zos ne justifient pas leur titre et n'éveillent que bien rare- ment la d'une danse l'idée même idéalisée. Mais, forme seule paraît se singulariser. aspects variés, dans un Ici, mêmes le caprices, la les luttes, même les mêmes réalité, sous des musique musique de art, la Chopin représente presque toujours mêmes effet, style très éloigné de la de salon et qui est vraiment du grand d'âme, les en en mêmes états angoisses et les névrose; de tous ces drames, plus poignant sera celui que traduit la sonate en si bémol mineur, par lequel nous terminerons ce rapide examen. La Sonate en si bémol mineur date, très vraisembla- blement, de la crise terrible où la maladie rition foudroyante en celui de la n'est pas le Mort dont il et l'artiste après le voyage poème de la Souffrance, sentit, c'est à cette époque, courir frisson sur ses chairs meurtries. Et à cette l'idée son appa- 1838, et qui étreignit durant de longs mois, avant, pendant aux Baléares. Ce fit le Mort dont devenait de plus en plus obsédante, Chopin con- sacra quatre chants, les quatre mouvements de la sonate. Le poème — une épopée véritable, — s'ouvre dans l'épouvante. L'allégro met en présence un motif d'un — quelque chose comme avec terreur, — repousse brusquement rythme haletant, haché et bref un geste qui et une pensée apaisée, grande au début et de lyrisme ments et ; et et noble, assez wébérienne montant ensuite dans une superbe envolée le développement fourni par ces deux un peu écourté çà et là, notamment élé- à la fin, FRÉDÉRIC CHOPIN est néanmoins fort 117 beau, l'écriture, d'une audace harmo- nique remarquable. Le scherzo forme le deuxième chant du poème c'est encore, au début, un effet analogue de poursuite terrifiante et de fuite éperdue. La Mort rôde dans une salle : de bal, dont les échos parviennent tantôt tantôt ralentis, que la mélodie animés, d'une grâce langoureuse. Et pendant douce, pénétrante, des voix chante, sur des accords alternés, quelque graves chuchotent, troublante psalmodie. elles vifs et tombent avec Un instant la mélodie se tait et quand elle, et elle reprend, les voix mystérieuses recommencent aussi... Mais la Mort a triomphé. Glorieuse, magnifique, voit courbée devant elle toute hommage le et où demain, ce une foule qui soir peut-être, elle lui elle rend promènera tranchant de sa faux. Ce Triomphe de la Mort, troi- sième partie du drame, populaire dans monde le alternés, qui en font tituent c'est l'admirable entier. marche funèbre Les deux accords l'accompagnement principal, cons- une trouvaille d'harmonie absolument géniale. Tandis que ce glas résonne lugubrement, s'ébranle. Le motif de la marche le est superbe, rythme saccadé, sa ligne qui va tout cortège avec son droit, sans détour, sans hésitation, exprimant l'implacable destinée qui est celle de l'homme. La foule ralentit le pas. Alors, au milieu des fumées d'encens qui montent des basses, un chant s'élève : ce n'est ni une prière, ni un hymne un appel résigné, une aspide quelque espoir. La mélodie une mélo- gieux, mais une plainte douce, ration faite reli- — FREDERIC CHOPIN 118 Chopin à la die « », — a une émotion contenue, du lyrisme, elle ne vaut pourtant pas le thème grandiose de la marche. Ce morceau fut composé antérieurement au reste de l'apprenait, la sonate. Si correspondance ne nous la nous eussions pu le deviner à son écriture beaucoup plus calme que ce qui précède ce qui va suivre. L'opinion à place cette que et surtout de Schumann, regrettant quelque beau largo, ne comprend se guère, car c'est cette marche qui a été l'idée première, l'occasion de la sonate, c'est centre, à notre avis et, elle du moins, demeure qui en le la seule explication possible. Le quatrième chant, le final, a paru longtemps une chose laide, monstrueuse, repoussante, un non-sens, cependant cet immense plus de sauvagerie geste qui, trait, assez semblable — et avec — à celui d'une des Études, ce grand pendant quelques minutes, va balayer le clavier de ses octaves furibondes, unisonnantes et sans forme appréciable, qui ait été écrite montre avec détruit et le page est peut-être la dans toute la la plus hardie musique. La Mort s'y réalisme atroce de sa force brutale qui ruine tout. C'est la Camarde, celle maudit, à laquelle nul n'échappe. Le dernier Manfred expirant faisait monter à qu'on effort de ses lèvres l'écume sanglante d'une insulte, d'un blasphème; cette dernière page de l'œuvre de Chopin donne l'abîme où l'être, le vertige, elle encore plein de forces disparaître et pour toujours s'anéantir. thème lyrique, a inspiré tous les et ouvre de vie, va La Mort, comme grands poètes, mais FREDERIC CHOPIN 119 aucun, peut-être, ne Ta rendue en termes plus saisissants. Les contemporains de Chopin, excepté sans doute en Allemagne, ignorèrent presque complètement cette belle composition, les ils ne connurent pas beaucoup mieux Études, les Préludes et les Scherzos. Ces œuvres maîtresses n'ont été vraiment mises en lumière crue de nos jours, faisant apparaître tout révélant au grand public Chopin l'artiste, un maître insoupçonné, et comme fondateur de la musique de piano. Sans lui manquerait non seulement à l'art génie de est considéré aujourd'hui, à juste titre, le véritable il le l'histoire générale de musical un chapitre important, mais l'histoire du piano n'existerait pas, et, à supposer l'œuvre entière de Chopin anéantie, on peut affirmer, même Schumann subsistant, qu'il serait presque impossible de comment la musique de piano comprendre a passé sans transition des formes classiques anciennes aux formes actuelles. — — o 03 a; p £ cd —o ~£ a» V s tn 3 c p o !~ . et, > -03 03 ^ ^ • ^ eu S «3 OS 03 2 E 03 03 o S J £ ca « g o-gsô s:. u u & eu « r "S 03 03 fil ^ — ' eu -« :r 03 -ct3 C eS O 03 C3 Si es eS rt rt £ 2 S O 03 os c/) P. ~ 3 "ai 03 03 .— .j* p "E C eS eS > > ^ fi 03 03 eu -a êù .C 'O. j ô || J §T3 § Q. 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La ci darem la bémol majeur), varié pour le piano avec accompagnement d'orchestre. A M. Woycie- vie, 1825. mano {si chowski. Haslinger, Vienne, 1830. 3. Polonaise brillante en ut majeur, avec introduction pour piano et violoncelle. A M. Joseph Merk. Mèche tti, Vienne, 1833. 4. Sonate en ut mineur. A Joseph Elsner. Haslinger, Vienne, 1851. [Le manuscrit en avait été déposé par Chopin, en 1828, pendant son premier séjour à Vienne]. 5. — — — Rondo la à la Mazur {fa majeur). A comtesse Alexandrine de Moriol- les. Brzezina, Varsovie, 1827. — Quatre mazurkas. A la comtesse Pauline Plater. Schlesinger \ 1834. 7. Cinq mazurkas. A M. Johns. 6. — Schlesinger, 1834. — 8. Premier mineur) pour piano, viovioloncelle. Au prince An- trio {sol lon et toine Radziwill. Schlesinger, 1834. 9. Trois nocturnes. A M"16 Camille — Schlesinger, Pleyel. 1834. — 10. Douze grandes études. A M. Fr. Liszt. Schlesinger, puis Lemoine, 1833. 11. Grand concerto en ?mmineur pour piano avec orchestre. A M. Op. Fr. Ralkbrenner. Schlesinger, 1833. — 12. Variations brillantes sur le rondeau favori de Ludovic d'Hérold A M me Emma . Schlesinger, 1834. — Horsford 13. Grande fantaisie {la majeur) sur des airs polonais, pour piano avec orchestre. A J.-P. Pixis. Schlesinger, — 1834. 14. Krakowiak, grand rondo de concert {fa majeur), pour piano avec orchestre. A la Czartoryska. Schlesin15. Trois nocturnes. Fer'd. Hitler. Schlesinger, 1834. princesse ger, 1834. A — — Rondo en mi bémol majeur. 16. A M me C. — Hartmann. Schlesinger. Quatre Lina Freppa. 1834. 18. Grande bémol majeur. A Harsford [Horsford]. 1834. M 17. n,e — mazurkas. A Schlesinger, valse en mi M lle Laura Schlesinger, Maurice Schlesinger, éditeur de musique à Paris, qui eut pour successeur Brandus premier publicateur en France, à de rares exceptions, de l'œuvre entier de Chopin, les droits du compositeur étant réservés pour l'étranger. Les premiers publicateurs étrangers furent Probst-Kistner, Breitkopf et Hârtel, Peters, tous trois à Leipzig, Wessel, à Londres... Les éditions anglaise, allemande et française paraissaient simultanément ou à peu de distance; l'édition française est seule mentionnée ici. Les dates indiquées à la fin de chacun nous les avons empruntées des articles de ce répertoire ne sont parfois qu'approximatives à l'excellent catalogue qui termine l'ouvrage, déjà cité, de M. Niecks. 1. et C ie , — : CATALOGUE DE L'OEUVRE — 19. Boléro puis Lemoine, 1834. (ul majeur). A la comtesse de Flahault. Prilipp (partie du fonds d'Ignace Pleyel), 1834. —20. Premier scherzo (si mineur). A M. T. Albrecht. Schlesinger, 1835. Op 2 1 Second concerto en fa mineur, . . pour piano avec orchestre. A la comtesse Delphine Potocka. Schle- — 22. Grande polosinger, 1836. naise brillante (mi bémol majeur), précédée d'un andante spianato. A la baronne d'Est. Schlesinger, 23. Ballade (sol mineur). 1836. Au baron de Stockhausen. Schle- — — 24. Quatre masinger 1836. zurkas. Au comte de Perthuis. 25. Douze Schlesinger, 1836. études. A la comtesse d'Agoult. Schlesinger, puis Lemoine, 1837. 26. Deux polonaises (ut% mineur et mi bémol majeur). A M. Des27. sauer. Schlesinger. 1836. Deux nocturnes. A la comtesse d'Appony. Schlesinger, 1836. 28. Vingt-quatre préludes. A son ami Pleyel (dans l'édition allemande de Breitk. et H. à J -C. — — — — Kessler). Ad. — 29. jeur). Gatelin et C ie Impromptu A la Schlesinger, (la comtesse 1837. — , 1839. bémol made 30. Lobau. Quatre mazurkas. A la princesse de Wurtemberg, née Czartoryska. Schlesinger, 1837. Op. 31. Deuxième scherzo (si bémol mineur). A la comtesse de Furs- — 32. Deux nocturnes. A la baronne de Billing. Schlesinger, 1837. — 33. Quatre mazurkas. A la comtesse Mostowska. Schlesinger, 1838. — tenstein. Schlesinger, 1837. 34. Trois valses brillantes. ses dédicaces. Schlesinger, — Diver1839. Sonate en si bémol mineur. Troupenas, 1840. 36. Deuxième impromptu (fa # mineur). Trou35. — 123 — 37. Deux nocturnes. — Deuxième ballade (fa majeur). A Robert Schumann. Troupenas, 1840. — penas, 1840. Troupenas, 1840. 39. A .38. Troisième scherzo (ul # mineur) Gutmann. Troupenas, 1840. A. — 40. Deux polonaises. A Julius Fontana. Troupenas, 1840. Op. 41. Quatre mazurkas. A M. Witwicki. Troupenas, 1840. 42. — Valse (la — bémol majeur). Pacini, 1840. 43. Tarentelle. Troupenas, 1841. —44. Polonaise (fa # majeur). A la princesse de Beauvau. Schlesinger, 1841. 45. Prélude (ut # mineur). A la princesse Czernicheff. Schlesinger, 1841. 46. Allegro de concert (la majeur). A lle Mùller. Schlesinger, 1841. 47. Troisième ballade (la bémol llo majeur). A de Noailles. Schle- — — — M M singer, 1841, A M — 48. Deuxnocturnes. Duperré. Schlesinger, 1841. en fa mineur. A la princesse de Souzzo. Schlesinger, 1841. 50. Trois mazurkas. A M. L. Szmitkowski. Schlesinger, 1842. Op. 51. Troisième impromptu (sol bémol majeur). A la comtesse Esterhazy. Schlesinger, 1843. 52. Quatrième ballade (fa mineur). A la baronne G. de Rothschild. lle — 49. Fantaisie — — — 53. Huitième Schlesinger, 1843. polonaise. A M. A. Léo. Schlesin54. Quatrième scherzo ger, 1843. Ue de Caraman. (mi majeur). A 55. Deux nocSchlesinger. 1843. lI ° Stirling. Schlesinturnes. A 56. Trois mazurkas. ger, 1844. A lle Maberly. Schlesinger, 1844. Ue Elisa Ga57. Berceuse. A vard. Meissonnier, 1845. 58. — M — M — — M M — Sonate en si mineur. A la comtesse de Perthuis. Meissonnier, 1845. 59. Trois mazurkas. Brandus,1846. 60. Barcarolle. A la baronne de Stockhausen. Brandus, 1846. — CATALOGUE DE L'OEUVRE 124 — Fantaisie (la béAM me Veyret. Bran- Trois valses. Dédicaces diverses. 1 846. — 62. Deux nocturnes. A de Kônneritz Brandus, 1 846. Trois mazurkas. A la comtesse Brandus, 1847. 65. Sonate en sol mineur pour piano et violoncelle. A A. Franchomme. Brandus. 1847. Op. 61. Polonaise. mol majeur). dus, M 1 '* 63. publiées 1847. — 64. — — . Œuvres le Czosnowska. Brandus, par Chopin sans numérotation : Grand duo concertant pour piano et violoncelle sur des thèmes de Robert Diable (en collaboration avec Franchomme). Schlesinger. 1833. Trois nouvelles études (dans la Méthode des méthodes de Moscheles et Fétis). Schlesinger. 1840. Grandes variations de bravoure sur la marche des Puritains de Bellini, n° 6 d'un recueil de divers auteurs, intitulé VHexaméron. Troupenas, 1841. Mazurka. n e 2, de Notre temps. Schott, Œuvres posthumes publiées à Op. impromptu en 66. Fantaisie 67. 68. Quatre mazurkas. Quatre mazurkas. 69. Deux à Mayence, 1842. Paris, chez Meissonnier par Julius Fonlana, qui — — — — — — — — fils, les numérota de 66 à 74 fils (1855) : ut # mineur. valses. Trois valses. 71. Trois polonaises. 70. — Nocturne en mi mineur. Marche funèbre en ut mineur (de Trois écossaises. 73. Rondo en ut majeur pour deux pianos. 74. Dix-sept mélodies (poèmes de Witwicki, Mickiewicz.Zaleski, etc.). piano et chant. 72. 1829). — convient d'ajouter à cette liste un certain nombre de morceaux importants (mazurkas, valses, polonaises, variations), publiés après la mort de Chopin à Varsovie ou en Allemagne, notamment à Posen chez Leitgeber, et dont l'authenticité est souvent douteuse. Il peu Œuvres complètes : Les éditions originales, faites trop hâtivement, étaient remplies de négligences qui disparurent, en grande partie tout au moins, dans les éditions des Œuvres complètes publiées successivement à partir de 1855, date de l'édition de Julius Fontana chez Meissonnier fils. En 1860, alors que Schonenberger insérait un texte fautes et de — CATALOGUE DE L'OEUVRE 125 — de l'œuvre d'ailleurs incomplet de Chopin dans sa Bibliothèque des pianistes (t. XXI-XXV), Richault donnait une version beaucoup meilleure, mais encore défectueuse, révisée, en partie seulement par un élève de Chopin, ïellefsen (12 vol.). La première édition véritablement complète fut faite à Varsovie, non amendé par Gebethner et Wolff. Celle de Jurgenson à Moscou (6 vol., 1873-1876) est des plus estimées le texte, soigneusement corrigé par Klindworth, est celui que choisirent pour leur publication les éditeurs Bote et Bock de Berlin. L'édition Breitkopf et Hartel (1878-1880), par W. Dargiel, Brahms, Franchomme, Liszt, lUidorff (avec les doigtés de Reinecke) comprend les tutti des concertos, la musique de chambre et les lieder qui ne figurent généralement pas dans les autres. Les éditions de Peters et de Kistner (Leipzig, 1879) eurent pour publicateurs la première, H. Scholtz, la seconde, Mikuli. Signalons encore à Leipzig, les éditions de Schuberth (A. Richter), de Kahnt (Jadassohn), Stetngraber (Mertke), et celle, très populaire en France, de Litolff. Des œuvres choisies ont paru chez Heugel et chez Schlesinger (de Berlin), avec les doigtés pour l'une, de Marmontel, pour l'autre, de Th. Kullak. Rappelons enfin que les Etudes de Chopin ont été publiées séparément par Riemann et par H. de Bûlow avec des commentaires intéressants, des arrangements rythmiques très ingénieux. On en trouvera l'analyse comparée et critique dans l'ouvrage de Huneker Chopin, l'homme et sa musique. ; : BIBLIOGRAPHIE — Fr. Chopin, sa vie et ses œuvres. Paris, 1880. — Fr. Chopin (Novello's Primers musical Biography). Londres. Bennett Enault (Louis). — Frédéric Chopin. Paris, 1856. Awdley (M me ) . (J.). Hoesick (Ferdynand). Chopin, tome — I (1810-1831). Varsovie, 1904. Chopin the man and his music. Huneker (James). La traduction française d'une partie de cet ouvrage a paru dans The Weckly Critical Review, Paris, 1903. Karasowski. — Fr. : Chopin : Sein Leben, seine Werke und seine Briefe. Dresde. Karlowicz. — Souvenirs inédits de Chopin. Paris, 1904. Recueil contenant la plus grande partie de la correspondance il s'y trouve 14 lettres du compositeur, écrites principalement de 1844 à 1849. ; — Fr. Chopin. De l'interprétation de ses Kleczynski (J.), conférences faites à Varsovie. Paris, 1880. Leichentritt (H.). — Fr. œuvres; trois Chopin (Beriihmte Musiker de Riemann, XVI), Berlin. Liszt. — Frédéric — Chopin. Paris, 1852. Frederick Chopin as a Niecks (Fr.). Londres, 1902, 2 vol. Szulc (A.). Willeby — man and musician. Third édition, Fryderyk Chopin. Posen. 1873. — Frédéric-François Chopin. (comte). — Les trois romans de Chopin. (Ch.). Wodzinski Paris, 1886. TABLE DES GRAVURES Maison natale de Chopin a Zelazowa-Wola 9 Portrait de Chopin (d'après la lithographie de Vigneron. 1833). . Samuel Bogumil Linde, recteur du lycée de Varsovie et ami du père de Chopin (d'après un dessin de Chopin) 17 33 Chopin chez le prince Radzivill, a Posen (Tableau de H. Siemiradzki) 41 , Piano a queue en usage a Varsovie vers 1830 Main gauche de Chopin Dérut et fin (d'après de la mazurka un moulage de (op. 63, n° 1). 49 Clésinger) .... Manuscrit autographe. Lv chartreuse de Valdemosa 65 73 81 Chopin, d'après un dessin au crayon de George Sand 89 Chopin, par A. Besnard 89 Le CHATEAU DE NoHANT, ÉTAT ACTUEL Portrait de Chopin, par Eugène Delacroix Monument de Chopin, par J. Froment-Meurice Fac-similé d'un numéro du journal de Chopin (1824) 97 105 113 121 TABLE DES MATIERES Introduction I. II. III. IV. V. VI. VII. — — — — — — — 5 Esquisse biographique 13 La mélodie de Chopin 70 Les formes accompagnantes, les harmonies 77 Les Elégies les nocturnes. Les impromptus, les ballades, la musique de salon. : . . Les Epopées nationales les polonaises. Les mazurkas et les valses 86 : Les œuvres classiques : les Les OEuvres Maîtresses Les études, les préludes, 95 morceaux de concert 103 : les scherzos, le poème de la Mort 108 Catalogue de l'oeuvre 122 Bibliographie 126 EVREUX, IMPRIMERIE CH. HÉRISSEY ET FILS ,o ® A* {h. LAURENT] «ffijl EDITEUR PARIS fëto