CNGOF 2013 – MISE À JOUR EN GYNÉCOLOGIE ET
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CNGOF 2013 – MISE À JOUR EN GYNÉCOLOGIE ET
sim_08_Dupuis_bat2_jm_cngof09 12/11/13 11:31 Page437 Simulation et extraction instrumentale. La théorie de la symétrie (théorie de « l’œuf ») O. DUPUIS (Lyon) Résumé Lors d’un accouchement, l’application d’une force mécanique de grande intensité de manière symétrique pourrait être moins dangereuse que l’application d’une force mécanique de faible intensité de manière asymétrique. Autrement dit, l’amélioration de la sécurité des extractions instrumentales dépend non seulement de l’application de forces mécaniques d’intensité la plus faible possible (aspect quantitatif) mais aussi de forces mécaniques qui sont appliquées de manière aussi symétrique que possible (aspect qualitatif). Ce concept est appelé « théorie de l’œuf ». Les techniques de simulation appliquées à l’extraction instrumentale permettent non seulement la formation des étudiants mais aussi la démonstration d’une partie de cette théorie. Mots clés : simulation, sécurité, contrôle qualité, formation, extraction instrumentale, forceps, ventouse, échographie Hospices civils de Lyon - CHU Lyon-Sud - Service de chirurgie gynécologique et de maternité - 165 chemin du Grand-Revoyet - 69495 Pierre-Bénite cedex Université Claude Bernard Lyon 1 - Service de chirurgie gynécologique et obstétrique 3 boulevard du 11 novembre 1918 - 69622 Villeurbanne cedex Correspondance : [email protected] 437 sim_08_Dupuis_bat2_jm_cngof09 12/11/13 11:31 Page438 DUPUIS Déclaration publique d’intérêt L’auteur est l’inventeur principal du simulateur d’accouchement qui fait l’objet d’un brevet européen. Les erreurs et les accidents médicaux peuvent être utilisés pour comprendre les mécanismes qui ont rendu l’accident possible. Quand ils font l’objet d’une étude approfondie, la compréhension de leur mécanisme permet in fine une meilleure gestion du parcours de soin et une diminution des risques de récidive de l’incident. Les obstétriciens manipulent des têtes de nouveau-nés fragiles et malléables avec des instruments rigides comme des ventouses ou des forceps. Afin de comprendre la manière optimale d’utilisation du forceps, nous avons étudié une série de complications néonatales à type d’embarrures crâniennes [1]. Cette étude a été conduite dans deux unités de neurochirurgie pédiatrique à Paris et à Lyon. Entre janvier 1990 et décembre 2000, 75 nouveau-nés avec une embarrure crânienne ont été admis dans ces services. Sept cas ont été exclus (6 dossiers médicaux incomplets et 1 nouveau-né qui avait un large kyste porencé phalique anténatal). Les 68 nouveau-nés étudiés se répartissaient en un groupe issu d’accouchements par voie basse spontanée (n = 18, groupe « spontané ») et un groupe issu d’accouchements instrumentaux (n = 50, groupe « instrumental »). En utilisant les images des scanners cérébraux et les dossiers médicaux, nous avons montré que 15 nouveau-nés du groupe « instrumental » avaient des lésions intracrâniennes associées alors qu’aucun des nouveau-nés du groupe « spontané » n’en avait (30 % versus 0 %, p = 0,02). Quant aux lésions associées extra-crâniennes, 438 sim_08_Dupuis_bat2_jm_cngof09 12/11/13 11:31 Page439 SIMULATION ET EXTRACTION INSTRUMENTALE. LA THÉORIE DE LA SYMÉTRIE nous avons trouvé 9 nouveau-nés atteints dans le groupe « instrumental » versus 0 dans le groupe « spontané ». Enfin, les deux enfants qui avaient des séquelles neurologiques sévères étaient issus du groupe « instrumental ». Les différences entre ces deux groupes pourraient refléter un mécanisme lésionnel spécifique associé à l’utilisation d’un instrument. D’un point de vue mécanique, il y a une relation linéaire entre la déformation du crâne et les contraintes. Les contraintes sont égales au rapport de la traction (lui-même égal au rapport force/surface) sur le module de Young. Ainsi les contraintes peuvent être minimisées en appliquant la force la plus faible possible sur la surface la plus grande. Quand les forceps sont appliqués de manière symétrique, la courbure céphalique des forceps se superpose à la courbure crânienne et rend possible l’application de la force sur une surface large. À l’inverse si les forceps sont appliqués de manière asymétrique, la courbure céphalique ne se superpose pas aux os de la voûte, la tension augmente et une déformation apparaît. Une traction mécanique peut être divisée en une force normale perpendiculaire à la surface d’application et en une force de cisaillement tangente au plan d’application. L’application symétrique des forceps entraîne l’apparition d’une force de compression sans force de cisaillement, inversement une application asymétrique entraîne l’apparition de forces de cisaillement. Appliquées à un crâne de nouveau-né, des forces de cisaillement pourraient déchirer des veines intracrâniennes et entraîner une hémorragie intracrânienne. Cette explication mécanique pourrait rendre compte des différences qui existent dans le taux de lésions intra- et extra-crâniennes associées entre les deux groupes. Cette théorie est donc un plaidoyer pour une application symé trique des instruments d’extraction : forceps et ventouse. Une expé rience très simple peut être réalisée pour tester la véracité de cette « théorie de la symétrie » : l’expérience de l’œuf. Si vous appliquez des forces mécaniques symétriques de grande intensité sur un œuf, rien ne se passe ; à l’inverse l’application d’une force mécanique de faible intensité de manière asymétrique entraîne un éclatement de l’œuf. Cette expérience montre que la « qualité » des forces mécaniques appliquées (leur degré de symétrie) peut avoir un impact bien plus important que la « quantité » de force mécanique appliquée. Nous avons ensuite essayé de comprendre comment les forces asymétriques pouvaient apparaître pendant un accouchement. 439 sim_08_Dupuis_bat2_jm_cngof09 12/11/13 11:31 Page440 DUPUIS Lors d’un accouchement, des forces mécaniques asymétriques peuvent apparaître à 3 étapes (Figure 1). Figure 1 - Théorie de la symétrie dite de « l’œuf » (Pr Olivier Dupuis) 440 sim_08_Dupuis_bat2_jm_cngof09 12/11/13 11:31 Page441 SIMULATION ET EXTRACTION INSTRUMENTALE. LA THÉORIE DE LA SYMÉTRIE La première étape à laquelle peuvent apparaître des forces asymétriques est l’étape de diagnostic du niveau de hauteur de la tête fœtale. Avant que la tête fœtale ne s’engage, celle-ci est mobile dans l’utérus et n’est pas centrée par le canal pelvien. À l’inverse, l’engagement de la tête centre automatiquement celle-ci dans le canal pelvien et en cas d’extraction instrumentale, cela diminue les risques d’asymétrie. Lors de cette étape la question est : des obstétriciens peuventils faire des erreurs de diagnostic d’engagement de la tête fœtale et appliquer parfois un instrument sur une tête non engagée ? Peu d’études ont été réalisées sur la fiabilité de l’examen clinique vaginal et la réalisation d’une étude in vivo paraît impossible. L’utilisation d’un simulateur d’accouchement comprenant une tête fœtale équipée d’un capteur de position a permis la réalisation de cette étude. Le capteur de position situé dans la tête fœtale était considéré comme la référence et nous a permis d’étudier la fiabilité de l’examen clinique. Une étude prospective comprenant 32 étudiants et 25 médecins a été réalisée [2]. Chacun a examiné la patiente alors que la tête avait été mise aléatoirement dans chacune des 11 hauteurs possibles selon la classification de l’ACOG (American Congress of Obstetricians and Gynecologists). Les erreurs ont été définies comme les différences qui existaient entre la hauteur donnée par le capteur et celle donnée par l’opérateur. Les étudiants et les médecins faisaient en moyenne 12 % d’erreurs de diagnostic d’engagement. Ces erreurs étaient réparties également entre des faux diagnostics d’engagement et des faux diagnostics de non-engagement. En d’autres termes, si une naissance était souhaitable, une césarienne inutile (faux diagnostic de non-enga gement) ou une extraction instrumentale dangereuse (faux diagnostic d’engagement) étaient réalisées dans 12 % des cas. La deuxième étape de la théorie concerne les erreurs de diagnostic de variétés de la tête fœtale. Dans tous les manuels d’obstétrique, il est indiqué que la position de la tête doit être connue avec précision avant la réalisation d’une extraction instrumentale. La question est : les obstétriciens peuvent-ils faire des erreurs de diagnostic de position de la tête fœtale ? L’examen clinique est haute ment subjectif et plusieurs situations peuvent entraîner des erreurs de diagnostic de variétés de position. Une large bosse sérosanguine peut masquer les sutures et les fontanelles ; un asynclitisme peut augmenter les difficultés du diagnostic… Entre mai et décembre 2003, nous avons étudié 110 patientes qui avaient une grossesse unique en présentation céphalique [3]. L’examen clinique était réalisé après randomisation soit par un étudiant en 441 sim_08_Dupuis_bat2_jm_cngof09 12/11/13 11:31 Page442 DUPUIS médecine, soit par un médecin, puis une échographie abdominale était réalisée. Dans 20 % des cas, il existait une différence significative (> à 45°) entre les résultats de l’examen clinique et de l’échographie. Le taux d’erreur de variétés de position atteignait 50 % dans les variétés postérieures et transverses. Ceci a permis de démontrer que l’échographie abdominale était une manière simple, efficace et rapide d’améliorer la connaissance de la position de la tête fœtale avant une extraction instrumentale. Enfin, la troisième étape de la théorie concerne le positionnement correct de l’instrument que ce soit un forceps ou une ventouse. En effet même si la hauteur et la position de la tête sont connues avec précision, une asymétrie peut survenir si l’instrument est appliqué de manière asymétrique. Autrement dit, les deux étapes précédentes sont nécessaires mais non suffisantes pour garantir l’application symétrique des forces mécaniques sur la tête fœtale (Figure 1). In vivo l’étude du positionnement de l’instrument d’extraction paraissait impossible. En revanche il nous paraissait possible d’étudier la trajectoire des instruments dans un simulateur, c’est la raison pour laquelle nous avons réalisé un nouveau forceps que l’on pourrait utiliser dans le simulateur d’accouchement. Un forceps de Levret a été numérisé, puis conçu en lui incorporant deux logettes aux extrémités des manches, chacune contenant un capteur de position à six degrés de liberté. Plusieurs logiciels de simulation ont été réalisés pour permettre l’enregistrement des trajectoires du forceps. En utilisant cette technologie, nous avons pu démontrer qu’il existait un plus grand degré de répétabilité chez les médecins seniors que chez les médecins juniors [4]. Une extraction instrumentale ne peut être réalisée en sécurité que si l’opérateur connaît avec précision la hauteur de la tête fœtale, la variété de position de la tête et que s’il applique symétriquement l’instrument d’extraction. L’obstétricien peut ensuite procéder à la traction. Durant la traction trois types de forces mécaniques coexistent, la force expulsive volontaire liée aux efforts expulsifs de la mère (A), la force expulsive automatique liée aux contractions utérines (B), et la force de traction développée par le médecin (C). Les forces A et B entraînent l’apparition de forces mécaniques « naturelles » probablement symétriques sur la tête fœtale, en revanche les forces de type « C » sont « artificielles » et peuvent avoir une composante asymétrique. Cela explique pourquoi lors d’une 442 sim_08_Dupuis_bat2_jm_cngof09 12/11/13 11:31 Page443 SIMULATION ET EXTRACTION INSTRUMENTALE. LA THÉORIE DE LA SYMÉTRIE extraction instrumentale, une synchronisation optimale est importante : la synchronisation des forces A, B et C va permettre de minimiser la composante C et donc de limiter au maximum l’intensité des forces mécaniques potentiellement asymétriques. Dans notre expérience la simulation permet non seulement la formation des étudiants mais aussi la réalisation d’études expé rimentales. Remerciements À mon épouse et aux Prs Patrice Mathevet et Michel Berland pour leur soutien attentionné et continu. Bibliographie [1] Dupuis O et al. Comparison of instrument associated and spontaneous obstetric depressed skull fractures in a cohort of 68 neonates. American Journal of Obstetrics and Gynecology 2005;192:165-70. [2] Dupuis O et al. Birth simulator: reliability of transvaginal assessment of fetal head station as defined by the American College of Obstetricians and Gynecologists classification. American Journal of Obstetrics and Gynecology 2005; 192:868-74. [3] Dupuis O et al. Fetal head position during the second stage of labor: comparison of digital vaginal examination and ultrasonographic examination. Eur J Obstet Gynecol 2005;123: 193-7. [4] Dupuis O et al. A new obstetric forceps for the training of junior doctors: a comparison of the spatial dispersion of forceps blade trajectories between junior and senior obste tricians. American Journal of Obstetrics and Gynecology 2006:1524-31. 443 sim_08_Dupuis_bat2_jm_cngof09 12/11/13 11:31 Page444