RDC : « Que la communauté internationale ne dise pas qu

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RDC : « Que la communauté internationale ne dise pas qu
RDC : « Que la communauté internationale ne dise pas qu’elle ne savait pas. Nous la
prendrons à témoin…* »
(*Msg. François-Xavier Maroy Rusengo, archevêque de Bukavu, Sud-Kivu, Est de la
République Démocratique du Congo).
Par Nicolas Clemesac, responsable du plaidoyer pour le JRS Grands Lacs.
Après le Nord-Kivu1, le Sud-Kivu est gagné par l'instabilité: dans la nuit du 26 au 27 mai 2007, les
villages de Nyalubuze et de Muhungu2 ont été le théâtre d'un massacre effroyable. 18 personnes
ont été tuées à l'arme blanche « dans leur sommeil », 27 ont été blessées et 18 autres enlevées.
L'attaque aurait été perpétrée par des rebelles hutus rwandais appartenant au Front Démocratique
de Libération du Rwanda3 (FDLR) et aux « Rastas ».
Le lendemain, dans la nuit du 27 au 28 mai 2007, « huit personnes habillées en uniforme (militaire)
et une neuvième en tenue civile ont attaqué le village de Cidaho, dans la chefferie de Kabare4. Ils
ont enlevé sept personnes et ont grièvement blessé une femme à coups de couteaux », déclare à
l'AFP l'administrateur de Kabare, Jean-Marie Limange5. Des combattants hutus rwandais sont
soupçonnés d'avoir été les auteurs de cette agression, la population les ayant entendu parler le
kinyarwanda (langue parlée au Rwanda).
Dans un message adressé à l'ambassadeur de France, M. Bernard Prévost, l'archevêque de
Bukavu, Mgr François-Xavier Maroy Rusengo dénonce les risques d'une nouvelle guerre au SudKivu. Il compare la situation actuelle à celle qui prévalait juste avant le déclenchement de la guerre
par le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD, mouvement soutenu par le Rwanda)
en 1998. D'après lui, de nombreux combattants en provenance du Rwanda sont en train de se
déployer au Sud-Kivu et s'infiltrent par les points frontaliers de la rivière Ruzizi, d'Uvira, de
Nyangezi et de Kaza-Roho à Cahi Bukavu6. Un article du « Potentiel » en date du 30 mai 2007
signale lui aussi des infiltrations de combattants dans les hauts plateaux de Minembwe: un
ressortissant burundais aurait été arrêté et amené le 26 mai devant le gouverneur de la Province. Il
aurait été contacté à Bujumbura (Burundi) dans son club de sport pour participer à une compétition
sous-régionale à Uvira, au Sud-Kivu. Une fois arrivé sur le territoire congolais, il aurait été conduit
avec deux autres Burundais dans les hauts plateaux sous la menace d'armes. Il aurait réussi à
s'échapper et serait tombé dans les mains des éléments de la 10ème région militaire7.
Le gouverneur Célestin Cibalonza est formel: selon lui, il s'agirait « d'un recrutement continu visant
à déstabiliser la province [...] les infiltrés rejoignent les 47 insurgés qui ont refusé le brassage. Il y a
un plan qui est monté pour qu'il y ait une autre guerre dans le Sud-Kivu ». L'archevêque de
Bukavu abonde en ce sens et souligne que « tous les commandants militaires de la zone sont
issus des rangs du RCD ». Il ajoute que le massacre de Kanyola du 27 mai 2007 rappelle ceux de
Kasika (août 1998) et de Makobola (fin décembre 1998). Il insiste sur le fait qu'« on a envoyé des
militaires au front sans logistique ni ravitaillement suffisants, comme dans les guerres antérieures,
comme si on voulait les livrer à l'ennemi »8.
1 Depuis décembre 2006, le Nord-Kivu est le théâtre d'affrontements entre les brigades mixées des Forces Armées de
la République Démocratique du Congo (FARDC) et les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (les FDLR,
qui seraient composées d'anciens miliciens rwandais interahawme et d'anciens soldats des Forces armées rwandaises
du Président Habyarimana). Ces affrontements auraient causé le déplacement de plus de 113.000 personnes depuis
la mi-janvier 2007. Les brigades mixées sont toutes issues des troupes insurgées de Laurent Nkunda qui s’est engagé
à défendre tous les batutsi congolais vivant dans la région.
2 Groupement de Kanyola situé à environ 50 km à l'ouest de Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu.
3 L'ONU estime qu'environ 10.000 rebelles hutus rwandais sont présents dans les Kivu.
4 Environ 40 km de Kanyola.
5 « Nouvelle attaque au Sud-Kivu: sept personnes enlevées et une blessée » AFP, 31 mai 2007.
6 « Insécurité au Sud-Kivu – cri d'alarme de l'archevêque de Bukavu » Le Potentiel, 30 mai 2007.
7 « Sud-Kivu: des infiltrations signalées dans les hauts plateaux de Minembwe » Le Potentiel, 30 mai 2007.
8 « Insécurité au Sud-Kivu – cri d'alarme de l'archevêque de Bukavu » Le Potentiel, 30 mai 2007.
Face à cette situation de crise, le gouvernement de Joseph Kabila adopte des mesures que les
acteurs provinciaux jugent « inappropriées ». Il est important que le président actuel ne déçoive
pas une région qui a voté massivement pour lui lors des dernières élections. L'organisation d'une
« table ronde sur l'insécurité dans les Kivu » est envisagée mais est déjà dénoncée comme étant
insuffisante aussi bien par la presse que par l'Archevêque de Bukavu et le gouverneur du SudKivu9. Les deux députés du Nord et du Sud-Kivu ont annoncé lundi 28 mai la suspension de leur
participation à l'Assemblée, en attendant des signes forts du rétablissement de la sécurité et en
signe de protestation face à l'inaction du gouvernement10.
La Mission des Nations-Unies pour le Congo (MONUC), dont le mandat a été prolongé il y a peu,
invite quant à elle le gouvernement à poursuivre les auteurs du massacre de Kanyola11. Le 30 mai
2007, son porte-parole, M. Gabriel de Brosses, a souligné lors d'un point de presse que
« l'opération militaire menée par les éléments soupçonnés d'appartenir aux FDLR/Rastas avait été
minutieusement préparée car les maisons attaquées étaient celles qui étaient les plus isolées. De
même, les victimes ont été tuées à coups de bâtons ou de baïonnettes en plein sommeil, sans
coups de feu qui auraient pu alerter les patrouilles »12. M. de Brosses a ajouté que les « groupes
armés soupçonnés d'être les auteurs du massacre connaissent le terrain et bénéficient d'une
expérience de plus de 15 ans dans la région »13.
Les congolais ont de plus en plus de mal à comprendre le rôle de la MONUC et son utilité dans la
stabilisation de la région. Les habitants de Nyalubuze et de Muhungu, théâtre des atrocités du 27
mai, ont empêché une équipe d'évaluation de la mission onusienne, chargée d’enquêter sur les
circonstances du massacre, d'accéder à leurs villages en érigeant des barrières et en jetant des
pierres sur les véhicules. Selon une dépêche de l'AFP, « la zone (des deux villages où ont été
perpétrées les tueries) est théoriquement sous le contrôle de l'armée congolaise et des patrouilles
des casques bleus y circulent »14. « Où étaient-ils durant le massacre? » se demandent les
victimes et les témoins.
Dans ce contexte fragile, certains parlent d'étendre le processus de mixage15 entamé dans le Nord
à la province du Sud-Kivu. Pourtant, dans la région de Goma, les résultats, après presque six mois
de mise en oeuvre du « mixage », sont plutôt mitigés: les rapports de situation que fournit
l'Organisation pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) au Nord-Kivu font état de
combats quotidiens, ou plutôt d'accrochages entre les nouvelles brigades mixées, « autrefois »
fidèles au général Nkunda, et les FDLR. Ces brigades mixées continueraient d'adopter le
comportement qu'elles pouvaient avoir lorsqu'elles étaient encore en rébellion, comme en
témoignent les dépêches d'OCHA16. Les FARDC seraient également impliquées dans des
problèmes de tracasseries et de violations des droits de l'Homme, ainsi que les Mayi-Mayi17. Le
9 « Sud-Kivu: des infiltrations signalées dans les hauts plateaux de Minembwe » Le Potentiel, 30 mai 2007.
10 « Des députés des Kivu suspendent leur participation à l'Assemblée » AFP, 29 mai 2007.
11 « Sud-Kivu: Atrocités de Kanyola. La MONUC invite le gouvernement à poursuivre les auteurs des crimes » Le
Phare, 31 mai 2007.
12 idem.
13 idem.
14 « RD Congo: Massacres au Sud-Kivu: l'ONU empêchée d'atteindre les lieux du drame » AFP, 1er juin 2007.
15
Ce processus de mixage vise à mélanger les 81ème et 83ème brigades insurgées de Laurent Nkunda et ses
autres combattants, avec les 110ème et 116ème brigades des FARDC ainsi qu’avec la 1ère brigade de Réserve. Les
noms des cinq nouvelles brigades sont Alpha, Bravo, Charlie, Delta et Echo et elles sont déployées à travers la Province
du nord Kivu. « Le processus de mixage est en marche au Nord-Kivu », MONUC, 1er février 2007.
16
« Ibumba, axe Bunagana-Rubare: Un minibus a été pillé le 27 mai à 15h30 par des hommes armés et en
uniforme militaire. La population suspecte la Brigade Bravo. » OCHA North Kivu situation report, 28 mai 2007.
17
- « Butembo, territoire de Lubero: MERLIN a fait part de l’attaque hier à Butembo vers 21h25 d’un des
camions qu’il avait loués et qui arborait distinctement son logo sur des autocollants et un drapeau. Les militaires,
probablement appartenant aux FARDC, ont dépossédé le staff de l’ONG de tous ses biens (argent, téléphones,
chaussures, etc.) avant de s’éclipser. MERLIN s’étonne du fait que cet incident ait pu se dérouler dans une zone
urbaine, à une heure d'activité et à proximité de l’Auberge de Butembo. L’ONG a rapporté les faits au général Mayala
lequel a promis de donner une suite dans la journée du samedi. » OCHA North Kivu situation report, 31 mai 2007.
- « Buruzi, territoire de Rutshuru :Selon plusieurs sources, le 21 mai, un groupe armé non identifié a attaqué un
camp de gardes du Parc National des Virunga. Les assaillants ont tué un des agents de l’ICCN et blessé deux autres. Ils
processus de mixage n'a pas pour l'instant réussi à régler l'état d'anarchie ambiante qui règne
dans le Nord-Kivu. Il faut peut-être lui accorder du temps, ne pas « tirer sur l'ambulance » mais
aussi s'interroger sur les motivations réelles qui ont conduit à sa création et à son application.
D'après une dépêche de l'AFP en date du 24 mai 2007 qui cite un observateur de l’ONU, « il est
évident que Nkunda a massivement recruté au Rwanda. Mais il est aussi évident que toutes ces
recrues n'ont pas pu être engagées à l'insu des autorités rwandaises, ce qui pose sérieusement la
question de la position de Kigali par rapport aux risques de déstabilisation dans l'est de la
RDC18. »
En effet, « la MONUC a rapatrié au Rwanda depuis janvier 2007 environ 200 combattants
rwandais, dont près d'une centaine avaient été recrutés par le général Nkunda [...] La centaine de
rapatriés volontaires sont issus soit de sa garde personnelle, soit des nouvelles brigades mixées
[...] Ils ont expliqué avoir été recrutés dans différentes préfectures du Rwanda depuis début 2007,
avec la promesse d'avoir un emploi civil au Congo; Après avoir été acheminés clandestinement en
RDC, ils affirment avoir été conduits dans des camps d'entraînement a indiqué Mme Van Den
Wildenberg, la porte-parole de la MONUC pour le Nord-Kivu »19. N'est-ce pas sensiblement la
même méthode décrite par le ressortissant burundais qui s'est échappé des hauts plateaux de
Minembwe?20
Les résultats provisoires du processus de mixage sont tels qu'il paraît impensable de le transposer
au Sud-Kivu: plus de 113000 déplacés de guerre depuis la mi-janvier 2007, des violations
quotidiennes des droits humains commises par l'ensemble des belligérants dans le Nord... M.
Christopher Brown, attaché politique et militaire des Etats-Unis en RDC a rappelé lors de sa
dernière visite à Uvira et à Fizi qu'il était « conscient de la situation au Nord-Kivu en ce qui
concerne le soi-disant mixage et aussi la possibilité d'avoir le mixage ici au Sud-Kivu. » Il a assuré
que « les Etats-Unis étaient contre l'idée d'un mixage tel que prévu au Nord-Kivu21 ».
Il est vrai que ce processus n'est prévu par aucun texte, ni par l'Accord Global et Inclusif, ni par la
constitution qui n'évoque que le brassage. Il est le résultat d'une négociation entre le général
Nkunda, en position de force après les attaques de novembre 2006 qui l'ont conduit aux portes de
Goma, et les autorités de Kinshasa. Selon l'institut POLE des Grands Lacs22, les négociations
auraient notamment porté sur le mandat d'arrêt international lancé contre le général, auquel il
désirait échapper, et sur le système du brassage. Laurent Nkunda aurait souligné que le
processus de brassage n'était pas en soi mauvais mais qu'en général, dès que les Batutsi (ethnie
majoritairement présente dans ses troupes) étaient intégrés dans des structures militaires en RDC,
ils étaient éliminés à la première occasion comme ce fut le cas en 1998, lorsque plus ou moins 150
officiers issus de cette communauté furent massacrés à Kamina au prétexte qu'ils constituaient la
5ème colonne de l'armée rwandaise. C'est pour cette raison que le gouvernement de Kabila aurait
accepté le principe du « brassage alternatif » selon lequel les brigades « mixées » de Nkunda sont
déployées sur les territoires qu'elles contrôlaient auparavant, gardent le même effectif et la même
hiérarchie. Pour l'institut POLE des Grands Lacs, le mixage est plus « une co-gestion des espaces
militaires qu'une réelle intégration ».
Les circonstances qui ont prévalu à la création du mixage, ses effets dans le Nord-Kivu poussent à
exprimer les plus grandes réserves quant à son application dans la province du Sud. Il ne sera pas
la solution idéale à l'inquiétante montée de violence dont les massacres de Kanyola et de Kabare
sont les preuves. La « réconciliation des peuples » semble encore loin. Mais pourquoi réconcilier
des peuples qui n'ont jamais eu de problèmes, sauf d'être les otages d'enjeux politiques? A
Byumba et à Kibuye, comme dans de nombreux pays, les réfugiés congolais batutsi
ont également kidnappé leur chef de poste, qui a été libéré. Certains pensent qu’il pourrait s’agir d’une action d’un
groupe Mayi-Mayi ». OCHA North Kivu situation report, 25 mai 2007.
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« RDC: une centaine de Rwandais recrutés par Nkunda rapatriés depuis janvier-ONU » AFP, 24 mai 2007.
« RDC: une centaine de Rwandais recrutés par Nkunda rapatriés depuis janvier-ONU » AFP, 24 mai 2007.
Voir infra.
« Mixage au sein des FARDC: Bush dit non! » Le Palmarès, 31 mai 2007.
« Nord-Kivu: entre négociations politiques et mixage des armées » Institut POLE des Grands Lacs.
rwandophones, catégorisés comme tels, attendent.
Se dirige-t-on vers une nouvelle flambée de violences, comme l’a connue la RDC entre 1996 et
2002 ? Si tel est le cas, la communauté internationale ne pourra pas détourner les yeux comme
elle l’a fait pendant les 1ère et 2ème guerres du Congo. Culpabilisée par le génocide de 1994 et son
incapacité à l’enrayer, elle a laissé le Rwanda et ses alliés mettre à feu et à sang l’ex-Zaïre.
Aujourd’hui, de nombreux acteurs se lèvent pour prévenir les instances internationales et les
inviter à s’engager dans une action plus profonde que l’intervention humanitaire. L’archevêque de
Bukavu martèle : « Que la communauté internationale ne dise pas qu’elle ne savait pas. Nous la
prendrons à témoin… »