Géohistoire de la Nouvelle-Zélande: unité

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Géohistoire de la Nouvelle-Zélande: unité
M@ppemonde
Géohistoire de la Nouvelle-Zélande : unité
territoriale et intégration à l’espace-monde
François Cognard
Université de Rouen, UMR IDEE-MTG
Résumé.— Tout au long de son histoire, la société néo-zélandaise s’est efforcée de nouer des liens
avec le monde extérieur tout en maintenant l’intégrité de son territoire multi-insulaire. Selon une
perspective privilégiant le temps long, cet article décrit les spécificités physiques et humaines de
l’archipel du Pacifique sud ainsi que son processus d’intégration à l’économie monde. Une approche
qui, à l’aide de la modélisation graphique, souligne l’originalité des dynamiques spatiales du territoire
national caractérisées par l’opposition entre ses deux principales îles.
Géohistoire • Modélisation graphique • Nouvelle-Zélande • Territoire
Abstract.— New Zealand's geo-history: a territorial unit and its integration into a global zone.—
Throughout its history, New Zealand society has been committed to maintaining ties with the outside
world while trying to preserve the integrity of its territory, constituted of multiple islands. This article
adopts a long-term approach to describe the human and physical features of the South Pacific
archipelago and its integration into world economy. Along with a graphical mode, this approach
underlines the specific spatial dynamics of a national territory characterized by the opposition between
its two main islands
Geo-history • Graphical modelling • New Zealand • Territory
Resumen.— A lo largo de su historia, la sociedad neo-zelandesa ha tratado de tener vínculos con el
exterior, manteniendo en el mismo tiempo la integridad de su territorio pluri-insular. En una perspectiva
priviligiendo el tiempo largo, este trabajo describe las especificidades físicas y humanas de este
archipiélago del Pacifico sur y su proceso de integración a la economía-mundo. La modelizacion
grafica recalca la originalidad de las dinamicas espaciales del territorio nacional caracterizadas por la
oposición entre las dos islas principales.
Geohistoria • Modelizacion grafica • Nueva-Zelanda • Territorio
R
elativement peu « explorée » par les géographes francophones, la NouvelleZélande présente, par son originalité géohistorique, un cas d’étude
intéressant. À travers l’évolution de son organisation spatiale, les logiques
socio-économiques s’expriment à différents niveaux d’échelle. L’archipel des
antipodes, intégré à un espace-monde en construction dès son annexion par la
Grande-Bretagne en 1840, connaît des formes de mise en valeur agricole qui valident
la transposition planétaire du modèle de von Thünen (Peet, 1969), avec les
spécificités humaines et écologiques d’une contrée du Pacifique sud. L’article
propose ici de montrer, à l’aide de schémas chorématiques, les différentes étapes de
la formation de l’espace néo-zélandais au cours d’une séquence confrontant les
temporalités de développement de ses deux principales îles. Selon une approche
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privilégiant le monde rural, on verra ainsi comment des évolutions technologiques,
politiques et économiques de niveau mondial se traduisent sur place par des
confrontations territoriales et l’émergence de systèmes agraires participant à la
différenciation spatiale et à la dynamique géohistorique de l’archipel. À contre-courant
des représentations simplistes d’un archipel aux contours stables et uniformément
mis en valeur selon un processus synchrone de transformation du « bush » au
« paddock » (1), le propos souligne les singularités et les rapports de force régionaux
participant, avec la question indigène, à la fragilisation d’un territoire néo-zélandais
proclamé dès 1840.
1850 – 1890 : l’ascendant de l’île du Sud
En annexant l’Australie en 1770, la Couronne britannique souhaite contrôler la région
du Pacifique sud convoitée par les flottes occidentales à la recherche de biens rares
(peaux de phoque, huile et fanons de baleine, bois précieux...) et garder ainsi la
mainmise du commerce avec la Chine (Steven, 1983). Après l’extinction des colonies
de mammifères marins dans le détroit de Tasman à la fin du XIXe siècle, des
entrepreneurs de Sydney ainsi que des équipages européens et américains abordent
les côtes néo-zélandaises et entrent en contact avec les tribus maories. Face au
désordre social engendré par ces rencontres et le commerce d’armes qui les
accompagne, des missionnaires demandent l’intervention de la Couronne. Dans le
même temps, une compagnie foncière britannique fondée par l’idéologue E.G.
Wakefield souhaite, après une tentative ratée en Australie, profiter de l’absence
d’autorités occidentales dans l’archipel pour acheter des terres à bas prix aux chefs
tribaux et mettre en œuvre un projet de colonisation systématique. Vendant aux
investisseurs des petits lots fonciers à un prix élevé, la compagnie veut éviter les
ravages sociaux de la dispersion du peuplement des nouveaux mondes et
promouvoir une société certes fondée sur la hiérarchie propriétaire/travailleur mais
aussi autorisant une mobilité sociale des ouvriers agricoles, dont le voyage est
financé, par l’accès à la propriété d’un lopin en quelques années (Marais, 1921).
En flattant la nostalgie de la campagne d’une société britannique traumatisée
par la rapidité de son urbanisation et en proposant un programme de colonisation
fondé sur l’économie rurale et familiale, la mobilité sociale et le regroupement des
populations en gros villages, la compagnie foncière néo-zélandaise dispose d’appuis
politiques et financiers sûrs. Ainsi, elle pourra lancer, dès 1838, ses premières
opérations de prospection sans l’aval direct du Colonial Office qui n’ordonne
l’annexion de l’archipel par la Couronne qu’en 1840. Le 6 février de cette même
année, le gouverneur Hobson signe avec une cinquantaine de chefs tribaux le traité
de Waitangi qui institue la souveraineté britannique sur l’archipel et accorde le même
statut juridique de sujets de la reine aux Maoris et aux Pakehas (2). En prononçant
lors de cette cérémonie la célèbre phrase « He iwi tahi tatou – We are all one people »,
le gouverneur souhaite montrer la voie d’un projet de société bi-culturelle inscrite
dans le territoire multi-insulaire (fig. 1).
Ce double mouvement d’appropriation de la part d’acteurs aux stratégies
divergentes a de lourdes conséquences en termes de localisation et de
développement des premières colonies de peuplement. Alors que la puissance
publique souhaite jouer un rôle pacificateur dans les relations souvent houleuses
entre Européens et Maoris et qu’elle s’installe dans les régions du Nord aux fortes
2
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densités indigènes, la compagnie privilégie de plus en plus des acquisitions foncières
dans les contrées situées plus au sud où les transactions avec les tribus locales
semblent plus aisées et où les vastes prairies naturelles offrent de meilleures perspectives de mise en valeur agricole (Marais, 1921) (fig. 2a). La décennie suivante ne
tarde alors pas à révéler le contraste de développement entre une île du Nord minée
par les conflits fonciers freinant l’expansion européenne et une île du Sud rapidement
acquise par la Couronne qui met ainsi un terme à l’activité de la compagnie privée
mais accompagne le développement de ses anciennes possessions (fig. 2b).
1. Carte de la colonie néo-zélandaise dessinée par J. Arrowsmith en 1841 (source : LINZ,
Land Information New Zealand)
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En effet, les promesses du traité de Waitangi reconnaissant aux Maoris la propriété
foncière ne tiennent pas face au flot de migrants britanniques bouleversant un
équilibre démographique jusqu’alors dominé par les Maoris (3). La logique tribale
consistant à asseoir sa suprématie sur les autres clans par l’acquisition d’un
monopole du commerce avec les Européens montre ses limites lorsque la population
pakeha atteint l’autonomie alimentaire et s’intéresse plus au foncier qu’aux produits
de première nécessité (Ballara, 1982). Face à une pression croissante des migrants
sur l’autorité coloniale britannique, seule autorisée par le traité à acquérir des terres
indigènes, le souhait collectif de maintenir une culture maorie en péril aboutit à la
création d’une coalition intertribale qui veut imposer l’arrêt des ventes de terres.
Interprété par le gouverneur britannique comme un acte de rébellion, ce mouvement
de résistance déclenche durant la décennie 1860 un conflit armé qui se terminera par
la confiscation de terres indigènes et le refuge des populations vaincues dans le
centre de l’île du Nord. Se crée alors un territoire de sécession indigène, le King
country, peuplé de groupes d’autochtones coupant les liens avec l’autorité coloniale
et refusant toute intrusion pakeha. Cette opposition entre l’île du Nord, enlisée dans
le conflit entre Pakeha et Maoris, et l’île du Sud relativement épargnée, croît du fait
de l’extraordinaire expansion de la frontière pastorale qu’a permise le vaste transfert
de cheptel opéré depuis l’Australie (Barber, 1983).
La question de la mise en valeur des domaines fonciers nouvellement acquis
souligne la contrainte des transports terrestres et maritimes de l’époque. À l’exception
des alentours immédiats des centres côtiers de peuplement développés par
l’agriculture familiale (territoire fermier), les espaces intérieurs ne peuvent être mis en
valeur que de manière extensive par des entrepreneurs possédant suffisamment de
capital. Le réseau routier naissant et la technologie maritime du milieu du XIXe siècle
n’autorisent en effet que les grands élevages ovins, seuls à même de fournir, avec la
prospection minière, des marchandises (laine, or) exportables avec profit vers la lointaine métropole britannique (4). Dans ce contexte, les vastes prairies naturelles
situées sur le versant oriental des montagnes de l’île du Sud sont rapidement
partagées en grands domaines participant à la prospérité économique des régions
d’Otago, de Canterbury et de Marlborough, alors que l’île du Nord, à l’exception de
son quart sud-est, voit son développement agricole restreint aux environs immédiats
des villes côtières (Cumberland, 1955).
Face à ce déséquilibre économique et démographique renforcé par le déclenchement d’une ruée vers l’or durant la décennie 1860 (5), le pouvoir colonial réagit en
transférant en 1865 sa capitale administrative d’Auckland à Wellington (fig. 2c).
Coûteux à aménager et à entretenir, le réseau routier joue un rôle majeur de liaison
entre l’hinterland et les villes côtières rassemblant banques, magasins, entrepôts de
stockage et petites unités de transformation. L’île du Sud, lieu d’expansion privilégié
des frontières agricoles et pastorales, connaît un développement plus rapide de ses
infrastructures même si le rythme de construction ne parvient pas à suivre l’extrême
mobilité des colons à la recherche d’or et de pâturages.
Dans l’île du Nord, le principal chantier routier d’envergure répond lui, à la stratégie
militaire du gouvernement central qui souhaite pouvoir mobiliser rapidement les
troupes impériales face à la « rebellion » indigène et mettre en valeur les terres tout
juste confisquées.
4
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Durant la décennie 1870, un grand emprunt public contracté auprès de banques
britanniques finance le développement du chemin de fer. Le rail relie ainsi les
principales villes de l’archipel sans encourager de véritables spécialisations agricoles,
ni parvenir à traverser le centre de l’île du Nord avant la fin des années 1880 (fig 2d).
Ainsi, outre l’épineuse question de la sécession indigène, le manque de
complémentarité économique entre régions et l’écart entre des provinces sudistes
très productives et leurs voisines absorbant d’importantes dépenses publiques dans
le cadre des guerres anglo-maories suscitent chez certains hommes politiques de
l’Otago et du Canterbury des velléités séparatistes (Eldred-Grigg, 1980).
2a. Logiques d'implantation des acteurs européens dans l'archipel
néo-zélandais au milieu du XIXe siècle
2b. Répartition des domaines fonciers maoris et européens à la fin de la
décennie 1850 dans l'archipel néo-zélandais
Auckland (1841)
Auckland
New Plymouth
(1841)
New Plymouth
Wanganui
Wanganui
(1840)
Wellington (1840)
Capitale administrative
Wellington
Nelson (1841)
Colonie de la New Zealand
Company
(1840): Date de fondation
Terres maories
Terres devenues
européennes
Nelson
Christchurch
(1850)
Forte
Moyenne
Faible
Dunedin (1848)
©Mappemonde 2012 (GS)
2c. Le recentrage politique face à l'inégale expansion des territoires
européens dans l'archipel néo-zélandais durant la décennie 1860
CANTERBURY
Réalisation: F. Cognard, 2011
Densité de population maorie
Réalisation: F. Cognard, 2011
Couverture forestière
Christchurch
OTAGO
Dunedin
©Mappemonde 2012 (GS)
2d. Réseau urbain et transports terrestres en Nouvelle-Zélande en 1881
Auckland
W
AI
KA
TO
Auckland
Voies ferrées
Principales routes
Nelson
Christchurch
Dunedin
Réalisation: F. Cognard, 2011
Territoires
2. 1850 - 1890 : L’ascendant de l’île du Sud
©Mappemonde 2012 (GS)
T
Wellington
MARLBOROUGH
Hokotika
OTAGO Provinces européennes
Région sécessioniste
indigène
Population totale de NouvelleZélande en 1881: 533 801 hab.
©Mappemonde 2012 (GS)
Hawke's Bay
Nelson
Infrastructures de transport
Principales zones
d'extraction minière
Délocalisation du centre
politico-administratif de la
colonie en 1865
WELLINGTON
Moins de 10 000 hab.
Wellington
Exportations de produits
agricoles ou miniers
Wanganui
Plus de 30 000 hab.
Territoire fermier
Territoire du grand élevage ovin
EA
Plus de 50 000 hab.
Wanganui
CANTERBURY
Christchurch
OTAGO
SOUTHLAND
Invercargill
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Dunedin
Réalisation: F. Cognard, 2011
Résistance indigène à
l'expansion européenne
ST
Réseau urbain
TARANAKI
KING COUNTRY
AS
New Plymouth
CO
New Plymouth
5
1900 – 1970 : vers la suprématie économique de l’île du Nord
Avec le succès en 1882 du premier convoi maritime réfrigéré entre la NouvelleZélande et la Grande-Bretagne, la colonie des antipodes entre dans une nouvelle ère
socio-économique qui marque la fin de l’hégémonie des grands éleveurs ovins. La
possibilité d’étendre l’éventail des exportations agricoles avec des marchandises
telles que la viande congelée, le beurre ou le fromage rend possible le
développement de systèmes agraires plus intensifs gérés à l’échelle familiale sur des
surfaces relativement réduites (Hawke, 1985). Fortement accompagnée par un
pouvoir central augmentant ses prérogatives, cette révolution agricole, mise en
œuvre à une période de hausse des prix mondiaux, permet l’extension du territoire
fermier dans les zones de plaine. Cette fois-ci, c’est l’île du Nord qui semble la plus à
même de bénéficier de ce processus d’intensification. Après avoir mis fin, dans les
années 1880, aux mouvements de résistance maoris et ordonné des politiques
d’achat massif de terres indigènes reléguant les tribus dans les zones accidentées de
l’intérieur, les gouvernements successifs opèrent de vastes opérations d’aménagement (déboisement, développement des transports et drainage des marais) et
ouvrent des fronts de peuplement sur des terres particulièrement fertiles. Dans l’île du
Sud, la subdivision spontanée ou imposée par l’État des parcours d’élevage permet
également l’installation de familles d’agriculteurs mais la moindre fertilité des terres et
les problèmes de sécheresse ne permettent pas d’atteindre les mêmes niveaux de
densité de peuplement que dans le Nord. Le modèle d’organisation spatiale des
campagnes néo-zélandaises fondé sur l’élevage intensif de plaine et le maintien de
pratiques plus extensives sur les reliefs s’affirme donc au début du XXe siècle
(Hargreaves, 1959) : modèle présentant des formes plus prononcées dans l’île du
Nord où des régions telles que le Waikato, le Taranaki ou le Manawatu, plus
réceptives aux nouvelles techniques de fertilisation (Smallfield, 1970) jouissent de
densités rurales et d’une industrie de transformation dynamique ; avec un contraste
de développement économique (6) à l’origine de migrations de l’île du Sud vers l’île
du Nord (Willoughby, 1962) (fig. 3).
Le plus grand développement des services liés au secteur de l’agro-alimentaire
dans les villes de l’île du Nord et l’exode rural des populations maories, qui
connaissent une véritable explosion démographique à partir des années 1930
(Metge, 1964), concourent ainsi à faire de l’île du Nord et d’Auckland les lieux du
dynamisme économique de l’archipel. L’île du Sud, elle, perd de plus en plus de
sièges d’entreprises et se présente davantage comme une périphérie productrice de
biens agricoles et d’énergie grâce à ses ressources hydro-électriques. La
construction de grands barrages et le projet, en 1952, d’un câble électrique reliant les
deux îles suscitent d’ailleurs la colère de Southerners qui voient là une occasion
perdue par les gouvernements en place de procéder à un rééquilibrage spatial de
l’armature industrielle au profit du Sud (fig. 4).
Accentuée par les deux épisodes de guerre mondiale durant lesquels l’archipel,
protégé des principaux fronts militaires, modernise ses systèmes de production pour
alimenter à bas prix une Europe meurtrie, l’intensification agricole encourage
également un exode rural pakeha qui accroît la population citadine, majoritaire dès
1911 (7). Les campagnes bénéficient dans les années 1920 de l’électrification et d’un
réseau routier pérenne tandis que les villes voient s’étendre de vastes zones
périurbaines sur le modèle américain des maisons individuelles.
6
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La période de prospérité permise par un protectionnisme économique, des
relations commerciales privilégiées avec la métropole britannique et une population
relativement faible (8) autorise les gouvernements successifs à entretenir une
politique d’État providence qui maintient le calme social (Condliffe, 1975) mais élude
la question ethnique et celle de la dépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne.
3a
OTAGO
MANUKAU-WAIKATO
3b
New
Plymouth
1890's
Hawke's
Bay
Wanganui
Wellington
Auckland
Masterton
Wellington
Nelson
Greymouth
Hokitika
Christchurch
Hamilton
Christchurch
Timaru
1970's
Dunedin
Dunedin
Balclutha
Réalisation: F. Cognard, 2011
Napier
Wanganui
Palmerston N.
Nelson
N
Rotorua
Taupo Gisborne
New
Plymouth
N
Auckland
Tauranga
Hamilton
Auckland
Dunedin
Whangarei
3c
Dunedin
Oamaru
Invercargill
Auckland
Contrainte à l'expansion
Lignes de chemin de fer
Les territoires agricoles
néo-zélandais en 1970
Invercargill
Réseau urbain en 1966
(NZ Census)
Territoire fermier
Territoire du grand élevage
Territoires d'élevage maoris
Espaces à faible valeur agricole
peu mis en valeur
3. 1900 - 1970 : vers une domination agricole et industrielle de l’île du Nord
©Mappemonde 2012 (GS)
Plus de 500 000 hab.
De 100 000 à 300 000
De 50 000 à 100 000
De 20 000 à 50 000
Câble électrique sous-marin
Barrages hydro-électriques
4. La perspective d’un câble électrique reliant les deux
principales îles de l’archipel provoque une réaction
amère dans l’île du Sud (source : Sid Scales, Otago Daily
Times, 17 juillet 1952)
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1980 - … : un rééquilibrage spatial insuffisant à l’échelle de
l’archipel
Longtemps considérée comme la ferme britannique des antipodes car bénéficiant
d’accords commerciaux privilégiés avec l’ancienne mère patrie, la Nouvelle-Zélande
subit de plein fouet la réorientation économique de la Grande-Bretagne qui intègre la
Communauté économique européenne en 1973. Traditionnellement alimentés en
subventions publiques, les systèmes agraires de l’archipel ne sont pas armés pour
entrer dans un système d’échanges concurrentiels et vivent douloureusement le
virage ultralibéral opéré par les gouvernements successifs à partir des années 1980.
Si l’entrée dans la mondialisation se traduit dans les campagnes néo-zélandaises par
une chute du nombre d’exploitations et la fermeture de nombreux services publics (Le
Heron, Pawson, 1996), elle est cependant l’occasion d’entrées nouvelles sur un
marché asiatique prometteur. Le renforcement de l’exploitation forestière et le
développement du tourisme, de l’horticulture et de la viticulture dans diverses régions
montrent que des reconversions fructueuses sont possibles pour les zones rurales
considérées jusque-là comme faiblement productives dans le système d’élevage
traditionnel et présentant les conditions environnementales favorables à l’implantation
de ces nouvelles activités (fig. 5a et 5b).
Auckland
5b. L'essor des nouvelles plantations
Northland,
Bay of Plenty et
Coromandel
5c. Les principales villes de l'archipel en 2010
Northland
Auckland
Whangarei
Hamilton
Rotorua
King country
Lac Taupo et
Tongariro national Park
Wanganui
Nelson
Marlborough
Hokitika
Christchurch
Marlborough
Plus d'un million d'hab.
Canterbury
De 300 000 à 400 000
Otago
central
De 100 000 à 200 000
Queenstown
Southland
Sylviculture
De 50 000 à 100 000
Horticulture
De 20 000 à 50 000
Viticulture
Napier
Masterton
Wellington
Palmerston N.
Wellington
Greymouth
Rotorua
Taupo
Gisborne
New
Plymouth
Hawke's
Bay
Nelson
Auckland
Tauranga
Pukekohe
Bay of
Plenty
Nelson
Blenheim
Christchurch
Timaru
Dunedin
Invercargill
Typologie touristique
Tourisme balnéaire
Nature et culture maorie
Nature et sports extrêmes
Tourisme viticole
Principaux itinéraires touristiques
5. 1980 - ... Une amorce de rééquilibrage régional
©Mappemonde2012 (GS)
Réalisation: F. Cognard, 2011
5a. L'opportunité touristique
L’essor touristique donne un nouveau souffle à d’anciennes villes minières de
l’Otago central, aux sites montagneux particulièrement attractifs, et traduit une
meilleure prise en considération de la condition maorie. Répondant au large
mouvement de revendications foncières lancé dès les années 1970, le
gouvernement, conseillé par le tribunal de Waitangi, concède en effet des réparations
symboliques et financières aux clans dénonçant les exactions commises dans le
passé au nom de la Couronne. Ainsi, les sommes versées en compensation
permettent aux comités tribaux d’investir dans l’agriculture, la pêche, l’immobilier ou
8
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le tourisme. L’élaboration d’une loi exigeant la participation et l’aval de leaders tribaux
dans l’élaboration de projets d’aménagement ou de protection de territoires
(Resource Management Act, 1991) montre également les efforts de reconnaissance ;
même si ces nouvelles politiques éveillent des protestations au sein de certaines
populations pakehas et maories qui s’estiment lésées par ces mesures ciblées de
discrimination positive.
Si ce revirement économique favorise, dans les campagnes, une diffusion
relativement large de ces stratégies entrepreneuriales à l’échelle de l’archipel, l’essor
du secteur privé, stimulé par le désengagement de l’État dans de nombreux services
(poste, transports, conseil agricole…), donne lieu, dans le monde urbain, à une
concentration des activités au profit d’Auckland devenue capitale économique
millionnaire surpassant les autres métropoles de l’archipel (fig. 5c).
Avec 1 303 000 habitants, l’agglomération d’Auckland abrite un tiers de la population
nationale (32,4 %) et constitue le lieu central de la diaspora polynésienne avec près
de 155 000 individus originaires des îles du Pacifique (Statistics New Zeland, 2010).
Revendiquant près de 35 % de la production économique nationale et accueillant la
majeure partie des événements internationaux, la métropole apparaît comme un
monde à part, ce qui encourage, chez certains provinciaux, des revendications égalitaristes mais aussi des postures de dénigrement moral vis-à-vis d’un monde citadin
cosmopolite éloigné des valeurs terriennes néo-zélandaises (Baker, Crellin, 2004).
Cette amorce de rééquilibrage cache néanmoins de véritables défis dont la gestion
sera capitale pour l’avenir économique et politique de l’archipel. Le développement du
tourisme et de nouveaux secteurs agricoles (notamment de la filière laitière) dans l’île
du Sud pose la question de la difficile gestion de la ressource en eau durant les
prochaines décennies. Outre les conflits d’usage liés à la multiplication des acteurs et
aux besoins croissants dans une région sujette aux sécheresses, la question
énergétique, capitale pour le pays, rajoute de la complexité au problème. Face aux
besoins grandissants d’une société urbanisée, refusant catégoriquement le recours
au nucléaire, des mouvements identitaires de Southerners accusent à nouveau l’État
et les entreprises en charge des nouveaux projets hydroélectriques de sacrifier les
ressources écologiques et paysagères de leur île au profit du Nord sans assurer de
mesures de compensatoires acceptables en termes de transferts budgétaires ou
d’activités. Ce sentiment de fragilité ressenti par une partie de la population de l’île du
Sud ne semble pas s’apaiser au vu des tragiques événements qui touchent sa
capitale économique, Christchurch, depuis septembre 2010. La répétition des
séismes qui remettent en cause la reconstruction d’une partie de la métropole sur un
site reconnu comme trop vulnérable a contraint un grand nombre de sinistrés à
émigrer vers l’Australie (Statistics New Zealand, 2011), et a fragilisé la confiance des
Southerners dans un cycle de renouveau économique longtemps attendu.
Conclusion
La description illustrée de la dynamique géohistorique de l’archipel néo-zélandais
montre ainsi la complexité du processus d’intégration d’un espace multi-insulaire,
physiquement et humainement différencié, dans un système monde en perpétuelle
évolution. Elle souligne les défis auxquels cette société des antipodes a dû faire face
afin d’ancrer une conscience nationale dans un territoire périodiquement marqué par
des contrastes de développement entre provinces. La focalisation de cet article sur
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les campagnes se justifie non seulement par l’importance du développement des
hinterlands dans la dynamique urbaine et les déséquilibres régionaux mais aussi par
le rôle du monde rural dans l’affirmation du pouvoir étatique et dans la construction
d’une identité nationale, fondée sur une mythologie agreste (Cognard, 2011). Elle
permet également de souligner l’enjeu des formes futures de mise en valeur des
ressources foncières et naturelles dans le contexte particulier d’un archipel
caractérisé depuis longtemps par les inégalités de développement. Ainsi, face au
faible rééquilibrage économique entre les deux principales îles de l’archipel et face
aux revendications politiques dénonçant la mise en périphérie croissante des régions
méridionales, on peut légitimement se demander si, dans les décennies à venir, la
fragilisation de l’unité nationale néo-zélandaise se fondera moins sur la question
ethnique que sur une problématique d’opposition de nature spatiale pointant les
inégalités entre le Nord et le Sud.
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Notes
1. Le paddock désigne l’enclos d’élevage symbolisant la nature domestiquée à des fins agricoles.
2. Pakeha : terme désignant les habitants de la Nouvelle-Zélande d’origine européenne.
3. Passant d’environ 150 000 à 85 000 individus durant la période des premiers contacts avec les
Européens (1800-1840) (Ulrich, 1969), la population maorie, évaluée à 56 000 habitants au premier
recensement indigène de 1858 (Statistics of the colony of New Zealand, 1858), est alors minoritaire et
atteint son niveau le plus bas en 1896 avec seulement 42 113 personnes (New Zealand Census,
1896).
4. On voit ici comment le principe d’Aix-la-Chapelle de Christian Grataloup (1996) s’avère d’une grande
utilité pour comprendre les logiques en œuvre dans le développement des systèmes agraires de la
Nouvelle-Zélande coloniale.
5. En 1869, l’île du Sud compte 150 718 habitants contre 86 531 pour l’île du Nord (Statistics of New
Zealand, 1869).
6. La part de l’île du Nord dans le nombre total d’exploitations agricoles passe de 48 % en 1881 à 64 %
en 1951 (New Zealand Census 1881 – 1951).
7. Cf le principe d’Hakata (Grataloup, 1996).
8. En 1968, la population néo-zélandaise est évaluée à 2 773 000 habitants (New Zealand Census,
1968).
Adresse de l’auteur
François Cognard, UMR IDEES, équipe MTG, Université de Rouen.
Courriel : [email protected]
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