eNQUêTe - Le Mensuel de Rennes

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eNQUêTe - Le Mensuel de Rennes
eNQUêTe
TabU KyGoma
ItInéraIre
D’un gangster
De VIllejean
Le 23 février, Tabu Kygoma s’est évadé de la cité judiciaire
de Rennes. La police le soupçonne d’être l’un des plus gros
trafiquants de drogue de l’Ouest. Retour sur l’itinéraire d’un
enfant de Villejean, toujours en cavale à l’heure où nous
écrivons ces lignes, qui fait carrière dans le grand banditisme.
n
om : Kygoma. Prénom :
Ta b u . Ag e : 33 a ns .
Taille : 1,70 m envi ron. la fiche du mandat d’arrêt européen de
Tabu Kygoma comporte de très nombreuses mentions. Dernière en date :
sa spectaculaire évasion de la cité judiciaire de rennes, le 23 février. Depuis
ses quinze ans, ce Congolais d’origine,
né à Kananga, au Zaïre, donne du fil
à retordre aux forces de l’ordre. Son
casier judiciaire est émaillé de lourdes
condamnations pour trafic de drogue, violence ou usage d’armes. Décrit
comme dangereux, il est considéré par
les sources judiciaires comme « l’un
des plus gros dealers présumés de Bretagne ». Il appartiendrait au « milieu ».
le 23 février vers 14 h, ce trentenaire,
originaire de villejean, est attendu
par le juge des libertés et de la détention. Il vient d’être mis en examen pour
enlèvement, séquestration, violence.
Une sombre affaire de règlement de
comptes. Alors qu’il se trouve dans le
parking souterrain de la cité judiciaire
de rennes, Tabu observe calmement
la porte du garage se refermer. D’un
coup, il bouscule le gendarme qui tient
la « laisse » reliée à ses menottes, bondit, puis se faufile dans l’entrebâillement
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de la porte. A l’extérieur, une fonctionnaire s’élance à sa poursuite, plonge
et lui fauche les jambes. Tabu Kygoma
chute. Mais le champion de breakdance
rebondit comme une balle et prend la
fuite. Malgré l’hélicoptère de la gendarmerie, les chiens et plusieurs dizaines
de gendarmes et policiers en patrouille,
l’homme, décrit comme « enveloppé »
mais bien plus sportif et musclé qu’il n’y
paraît, réussit à disparaître « avec l’aide
de complices », selon les enquêteurs.
Une évasion digne des films de gangsters. En tous points semblables à celle
qu’il avait réalisée le 10 décembre 2003.
Ce jour-là, Tabu s’était enfui du tribunal de grande instance de Coutances
(Manche). les gendarmes l’avaient rattrapé trois mois plus tard à Saint-Gilles,
près de rennes. Un jeune militaire avait
maîtrisé le fuyard après une lutte acharnée, alors qu’il venait de lui braquer un
pistolet sur la tempe.
Equipes à tiroirs
Avec cette nouvelle évasion, les enquêteurs de la police judiciaire et les gendarmes de la section de recherche
voient s’échapper un gros client. Cela
faisait des mois qu’ils enquêtaient sur
le milieu de la drogue en Bretagne et,
notamment, sur la participation pré-
sumée de Tabu Kygoma dans diverses
affaires. Décrit comme « prêt à tout »
par des personnes qui l’ont rencontré,
il avait été arrêté par la police judiciaire
à Nantes le 18 février. Il était « tombé »
en même temps que plusieurs autres
dealers présumés. « Nous avons un certain nombre de procédures qui ne sont
pas toujours liées les unes aux autres et
dans lesquelles ce monsieur apparaît
comme un auteur présumé », esquisse
Brigitte Ernoult-Cabot, procureure de
rennes en charge du crime organisé.
D’autres sources proches du dossier
complètent : « Nous le soupçonnons
d’avoir commis plusieurs faits de violence liés au trafic de drogue. Mais les
enquêtes sont compliquées, car nous
avons affaire à des équipes à tiroirs qui
peuvent s’allier sur une opération et
s’opposer ensuite. les individus agissent selon les opportunités. »
Interpellé par la police judiciaire pour
une affaire brestoise, Tabu Kygoma intéresse aussi les gendarmes de la section
de recherche. les militaires le soupçonnent d’avoir participé à une expédition
punitive liée au trafic de stupéfiants.
l’agression s’était déroulée dans la nuit
du dimanche 17 au lundi 18 octobre
2010, à Thorigné-Fouillard. vers 2 h
30 du matin, cinq hommes cagoulés,
valérie, belle-mère de Tabu,
avec une photo récente
de celui qu’elle considère
comme son fils (à droite).
r. Joly
t. KYGoma
armés et vêtus de blousons « Police »
forcent la porte d’entrée d’une pimpante résidence HlM. Avec un fusil à
pompe, ils tirent dans la serrure d’un
appartement. Ils s’en prennent très violemment au locataire. Cris et insultes
fusent. Une question se détache parmi
les hurlements : « Où as-tu planqué ton
fric ? » Au bout de plusieurs dizaines
de minutes, les hommes repartent.
leur victime est blessée à la tête et
souffre de très nombreuses contusions.
Quatre mois plus tard, les habitants de
l’immeuble se souviennent parfaitement de cette nuit d’octobre. « Pendant
que notre voisin était frappé, sa compagne hurlait. Je n’ai jamais entendu
quelqu’un crier comme ça. C’était hyper
impressionnant », raconte une locataire
du troisième. « J’ai passé la tête dans le
couloir histoire de voir ce qui se passait », explique un voisin du deuxième.
« Un homme noir est venu vers moi,
très menaçant. Il m’a hurlé dessus : "Toi,
tu fermes ta gueule ! Tu rentres chez
toi ! On est de la police." »
L’Espagne, eldorado
pour dealers
Trois jours plus tard, dans la nuit du
mercredi 20 au jeudi 21 octobre, cinq
à sept personnes, cagoulées, armées,
vêtues de blousons « Police » et
« Douane » font irruption chez un dealer présumé du quartier Pontanézen,
à Brest. les coups pleuvent. les faux
policiers réclament l’argent perdu trois
jours plus tôt après la saisie de 120 kg
de résine de cannabis par la police. la
victime, aujourd’hui emprisonnée pour
trafic de stupéfiants, est retrouvée le
lendemain peu avant 7 h du matin,
inconsciente, gisant dans une poubelle
de Quimperlé. les expertises médicales révèlent d’importantes blessures
à la tête, de nombreuses contusions
sur tout le corps, ainsi qu’un
viol effectué avec le canon
d’une arme.
vers 8 h, les gendarmes de
locminé sont appelés. Un
accrochage vient de se produire sur la quatre -voies
Quimper-rennes. les occupants d’un des véhicules acciLors d’une expédition punitive à Thorigné-Fouillard
« toI, tu fermes ta
gueule ! tu rentres
chez toI ! on est De
la polIce
»
dentés ont volé une voiture après en
avoir extirpé les automobilistes. Ils sont
trois et arborent des blousons siglés
« Police » et « Douane ». Hélicoptère,
chiens, barrages filtrants... Une centaine
de gendarmes quadrille le secteur.
En plein centre de Guer, aux confins
du Morbihan et de l’Ille-et-vilaine, les
forces de l’ordre ouvrent le feu sur la
voiture dérobée par l’un des fuyards.
Sans succès. Tabu a été reconnu par un
témoin, mais il a disparu.
Selon les enquêteurs, il se serait « mis
au vert en Espagne ». « l’Espagne est
une plaque tournante de la drogue,
confie un enquêteur rennais. la cocaïne
arrive du venezuela. le cannabis du
Maroc. les dealers s’y réfugient facilement, cela leur permet de poursuivre
leurs affaires tout en échappant à la
police française. » Coïncidence ? les
policiers y « logent » aussi lotfi rezigh.
Cet autre membre présumé du milieu
breton est une vieille connaissance de
Tabu. En 2003, les deux hommes ont
été condamnés à quatre ans de prison dans une affaire de vol aggravé, de
recel et de transport d’armes à Chartres
(Eure-et-loir).
lotfi rezigh est interpellé le 16 février,
deux jours avant Tabu Kygoma, à
Pont-de-Buis, près de Châteaulin
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15 décembre 1977 Naissance à
Kananga, au Zaïre
Juillet 1998 Condamné à quatre
ans de prison par le tribunal de
Rennes pour trafic de stupéfiants
2 juin 2003 Condamné à quatre
ans de prison par le tribunal de
Chartres (Eure-et-Loir) pour
vol aggravé, recel et transports
d’armes de première et
quatrième catégorie
10 décembre 2003 Evasion du
tribunal de Coutances (Manche)
5 avril 2005 Condamné à un
an de prison par le tribunal de
Coutances pour son évasion de
décembre 2003
17 juin 2005 Condamné à cinq
ans de prison par le tribunal
de Rennes pour violence sur
un gendarme, port d’arme et
de munitions, association de
malfaiteurs et recel de vols
Avril 2010 Sortie de prison
18 février 2011 Interpellation à
Nantes (Loire-Atlantique)
19 février 2011 Mise en examen
pour enlèvement, séquestration,
violence en bande organisée,
faits commis à Brest et
Quimperlé le 21 octobre 2010
23 février 2011 Evasion de la
cité judiciaire de Rennes 31
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r. Joly
le 23 février, Tabu Kygoma
profite de la légèreté de son
escorte pour s’évader de la cité
judiciaire de rennes.
( Finistère). Ce Nantais de 31 ans
conduisait une puissante berline dans
laquelle 94 kg de cocaïne « d’une
pureté exceptionnelle » ont été retrouvés. valeur estimée à la revente : plus
de huit millions d’euros.
Champion de breakdance
Mis en examen, Tabu Kygoma et lotfi
rezigh se retrouvent samedi 19 février
dans le bureau du magistrat de la Juridiction interrégionale spécialisée,
chargé d’enquêter sur le crime orga-
« tabu est un garçon
très gentIl, très généreux
Valérie, belle-mère
»
nisé. « Ils ont échangé quelques mots
et se sont demandé qui avait bien pu
les balancer », relate une source proche
du dossier. « Il y a de plus en plus d’interconnexions entre les trafiquants
nantais, brestois et rennais, explique
Jean-Paul le Tensorer, directeur interrégional de la police judiciaire. On le
constate dans les enquêtes en cours. »
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Connu par toutes les p olices de
France et de Navarre, Tabu l’est aussi
dans le quartier de villejean, où il a
grandi. Sur la dalle Kennedy, la réputation de « l’évadé » résonne d’une
cage d’escalier à l’autre. Ici, tout le
monde connaît au moins un membre
de la famille Kygoma, qui compte six
enfants. Quatre d’un premier lit, dont
Tabu, deux d’un second. Certains trentenaires ont été scolarisés dans les
mêmes classes. Un de ses amis d’enfance confie que Tabu est « un mec
super sympa », qui adore « faire marrer la galerie ». Un autre loue ses qualités physiques : « Il ne refusait jamais
un petit match de foot ou de basket. »
Mais c’est en breakdance, sa vraie passion, que Tabu excellait vraiment.
Quant à ses parents, qui habitent toujours un modeste appartement à deux
pas de la dalle Kennedy, ils jurent ne
pas comprendre pourquoi leur fils
« fait ça ». valérie, la belle-mère qui l’a
élevé depuis ses sept ans, se souvient
vaguement des premiers faits de violence de son fils adoptif. A quinze ans,
Tabu avait été mêlé à une « bagarre »
avec des « copains ». l’adolescent avait
ensuite rejoint un centre éducatif fermé
près de Saint-Malo. Puis « les histoires
ont empiré ». Pourtant, toujours selon
valérie, Tabu est « un garçon très gentil, très généreux ». les peines de prison
successives auraient exacerbé son côté
« nerveux » et Tabu Kygoma aurait très
mal vécu la non-obtention de la nationalité française. « Comme il était toujours derrière les barreaux, il ne pouvait pas se rendre au rendez-vous… Il
n’a donc pas eu sa nationalité. Ça l’a mis
en colère. vraiment. »
la mère de famille ne parvient pas
à mettre des mots sur ce qu’elle ressent. « Ça m’attriste… Quand on fait
des enfants, on voudrait que ce soit
meilleur… » les larmes lui montent aux
yeux. Elle ne finira pas sa phrase. l’écran
géant continue de diffuser les images
d’un jeu télévisé. les rires enregistrés
déchirent le silence pesant. la famille
ne reverra certainement pas son fils
avant plusieurs mois. Tout le contraire
des policiers. Eux sont persuadés de
retrouver sa trace dans peu de temps.
vingt ans que ça dure.
Claire Staes
[email protected]