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ACTUALITÉS
Décision importante en matière
de distribution parallèle,
la Cour suprême libère l’éléphant…
MARJOLAINE GAGNON, AVOCATE
Vous devriez
renouer avec l’éléphant
Côte d’Or d’ici quelque
temps puisque la Cour
suprême du Canada
a rendu le 26 juillet
dernier sa décision
Vous avez certainement remarqué que depuis
plusieurs mois les barres de chocolat Côte d’Or
portaient un autocollant de façon à camoufler
le logo constitué d’un éléphant. Vous devriez
renouer avec l’éléphant Côte d’Or d’ici quelque
temps puisque la Cour suprême du Canada a
rendu le 26 juillet dernier sa décision dans
l’affaire Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada
Inc. et elle a donné raison à Euro-Excellence.
dans l’affaire
Euro-Excellence Inc. c.
Kraft Canada Inc. et
elle a donné raison à
Euro-Excellence.
Depuis plusieurs années, Kraft Canada inc.
(KCI) tente d’empêcher Euro-Excellence (Euro)
de distribuer au Canada les chocolats de
marque Toblerone et Côte d’Or. Ces tablettes
de chocolat sont respectivement fabriquées
en Suisse par Kraft Foods Schweiz AG (KFS) et
en Belgique par Kraft Foods Belgium SA (KFB).
KCI est distributeur exclusif au Canada des
tablettes de chocolat Toblerone. Elle a été
distributeur autorisé des tablettes Côte d’Or
jusqu’en 1997. Euro a été distributeur autorisé
des tablettes de chocolat Côte d’Or au Canada
à partir de 1993 et distributeur exclusif
entre 1997 et 2000, moment auquel son
contrat a pris fin. En 2001, KCI est devenue
également distributeur exclusif des tablettes
de chocolat Côte d’Or au Canada.
Suite à la fin de son entente de distribution en
2000, Euro a entrepris de débuter l’importation
et la mise en circulation de véritables tablettes
de chocolat Toblerone et Côte d’Or sans en
être un distributeur autorisé et malgré les
contrats d’exclusivité qui lient KCI avec KFB
et KFS pour l’importation et la circulation
de ces produits au Canada.
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En octobre 2002, KFB et KFS ont respectivement enregistré au Canada les logos de Côte
d’Or et de Toblerone en tant qu’œuvres protégées par le droit d’auteur dans la catégorie
des œuvres artistiques. Des contrats de licence
ont été octroyés et enregistrés en faveur de
KCI visant notamment la reproduction de
ces oeuvres sur le territoire canadien.
Euro n’ayant pas obtempéré à la demande
de KCI de cesser de distribuer tout produit sur
lequel figuraient les œuvres protégées, KCI a
intenté une action contre celle-ci. KCI emploie
une stratégie intéressante en fondant son
recours contre Euro non pas sur la Loi sur les
marques de commerce, mais plutôt sur la Loi
sur le droit d’auteur (ci-après : la « Loi »). Elle
prétend qu’Euro a commis une violation à une
étape ultérieure au sens du paragraphe 27 (2)e)
de la Loi en important des exemplaires
d’œuvres protégées appartenant à KFS et à
KFB dans le but de les vendre ou de les mettre
en circulation au Canada. La Cour fédérale a
donné raison à KCI en enjoignant Euro non pas
de cesser purement et simplement de mettre
en circulation les tablettes de chocolat, mais
plutôt de cesser de mettre en vente, mettre en
circulation, exposer ou offrir en vente des
exemplaires des logos protégés par le droit
d’auteur. La Cour a par la suite donné des
directives applicables aux négociations des
parties portant sur les tentatives d’Euro de se
conformer à l’injonction en recouvrant le matériel protégé par le droit d’auteur d’une pellicule
de plastique autoadhésive afin d’empêcher
que le produit ne constitue une contrefaçon du
POINT DE MIRE Vol. 13, no 1, octobre 2007
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droit d’auteur. La Cour fédérale d’appel a rejeté
l’appel interjeté contre la décision de la Cour
fédérale. Euro en a donc appelé de cette
décision devant le plus haut tribunal du pays.
Aucun membre de la Cour suprême ne
conteste le fait que le premier élément pour
conclure en une violation en vertu du paragraphe 27 (2) e) de la Loi soit rencontré : les
logos en question sont légitimement visés par
le droit d’auteur. Il reste donc à examiner les
deux questions suivantes auxquelles la Cour a
dû répondre afin de déterminer si, tel que le
prétend KCI, il y a violation en vertu du paragraphe 27 (2) e) de la Loi :
1 - L’œuvre protégée par le droit d’auteur estelle « vendue » ou « mise en circulation »
lorsqu’elle est imprimée sur l’emballage
d’un produit de consommation ?
2 - Le titulaire d’une licence exclusive au
Canada peut-il invoquer une protection
contre la violation à une étape ultérieure
lorsque l’œuvre protégée par le droit
d’auteur a été produite par le titulaireconcédant ?
À la question 1, les juges Binnie, Deschamps,
Fish, Rothstein, McLachlin et Abella répondent
de façon positive. La Loi ne fait pas de distinction entre les oeuvres protégées par le droit
d’auteur qui sont vendues et les œuvres qui
sont un « simple élément accessoire » de
l’article vendu. Ces œuvres apposées sur les
tablettes de chocolat bénéficient donc de la
protection accordée par la Loi.
Quant à eux, les juges Bastarache, Lebel et
Charron répondent par la négative. Le fait de
vendre un bien de consommation sur lequel
figure un logo qui est une œuvre protégée ne
revient pas à vendre cette œuvre. Celle-ci n’est
simplement qu’un élément accessoire du bien
de consommation et la vente de ce bien ne
saurait être considérée comme étant la vente
de l’œuvre.
À la question 2, les juges Binnie, Deschamps,
Fish et Rothstein répondent non. Il n’y a aucune
violation hypothétique. Contrairement aux cessionnaires, la Loi ne permet pas aux licenciés
exclusifs d’intenter contre le titulaire concédant
du droit d’auteur une action pour violation de
son propre droit d’auteur. Si KFS ou KFB avait
reproduit les étiquettes de Kraft au Canada, le
seul recours dont disposerait KCI serait une
action pour rupture de contrat et non pour
violation de droit d’auteur.
Quant aux juges Bastarache, Lebel, Charron,
McLachlin et Abella, ils répondent à cette question par l’affirmative. Selon eux, l’existence
d’une violation a été établie : une concession
est une concession et la concession en l’espèce
est celle d’une licence exclusive conférant le
droit exclusif au droit d’auteur. Il y a donc violation hypothétique selon eux.
Comme seulement deux juges (la juge en chef
McLachlin et la juge Abella, dissidentes) ont
conclu que les trois éléments requis à
l’article 27 (2) e) avaient été rencontrés,
la prétention de KCI a été rejetée et le pourvoi
a été accueilli. Toutefois, fait important à noter,
chacune des questions a été répondue
positivement par la majorité des neuf juges.
À la lumière de cette
décision, les détenteurs
de droits désirant
contrecarrer la
distribution parallèle
de leurs produits
au Canada auraient
avantage à examiner
la pertinence de
procéder à la cession
des droits d’auteur
pertinents en faveur
des distributeurs
exclusifs au Canada
À la lumière de cette décision,
les détenteurs de droits désirant contrecarrer
la distribution parallèle de leurs produits
au Canada auraient avantage à examiner
la pertinence de procéder à la cession
des droits d’auteur pertinents en faveur
des distributeurs exclusifs au Canada
plutôt qu’à l’octroi d’une licence exclusive.
Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc.,
2007 CSC 37.
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plutôt qu’à l’octroi
d’une licence
exclusive.

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