A Calais, les services de l`Etat parlent de départs en bus, les

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A Calais, les services de l`Etat parlent de départs en bus, les
A Calais, les services de l’Etat parlent de
départs en bus, les migrants rêvent d’Angleterre
Les équipes de l’Office de protection des réfugiés et de l’Office de l’immigration et de l’intégration ont sillonné la
« jungle » pour expliquer le démantèlement, qui commence lundi.
LE MONDE | 23.10.2016 à 17h07 • Mis à jour le 29.10.2016 à 10h54 | Par Aline Leclerc
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Celui-ci fait sa lessive, essorant sa veste pleine de mousse dans un bac improvisé posé à même le sol boueux. Pendant que
son linge sèche, celui-là se rase tranquillement. Sur la dune, assis sur une chaise au soleil, cet autre se fait couper les
cheveux. Ceux-là, en cercle, sont en train de jouer à un drôle de jeu où des bouchons en plastique verts ou jaunes font office
de pions.
Hormis un nombre de journalistes un peu plus important que d’habitude, ce dimanche 23 octobre a commencé comme un
jour habituel pour les près de 6 500 migrants qui vivent dans l’immense bidonville qu’est la « jungle » de Calais. Ce sera
pourtant peut-être le dernier.
L’opération de grande ampleur visant au démantèlement du camp – les services de l’Etat préfèrent parler d’une « opération
humanitaire de mise à l’abri des migrants » – doit commencer lundi matin et durer, pour sa première phase, au moins trois
jours.
Les migrants volontaires pour abandonner leur rêve d’Angleterre, et quitter le camp, pourront embarquer dans plus de
140 bus à destination de centres d’accueil et d’orientation (CAO) répartis dans toute la France. Ils pourront, une fois dans
ces lieux, se reposer, réfléchir à leur « projet migratoire », selon les termes officiels, et déposer, s’ils le souhaitent, une
demande d’asile.
Organisation au millimètre
Soixante bus devraient partir dès lundi, emmenant 2 400 personnes, Afghans, Irakiens, Erythréens, Soudanais, échoués
depuis parfois des mois sur les dunes de Calais.
L’organisation a été pensée au millimètre : « en théorie », tout doit bien se passer, soufflent les responsables, qui évoquent
des départs de bus minutés, « tous les quarts d’heure dès 8 heures du matin ».
Dans la tête des migrants installés dans la « jungle », les choses semblent cependant, ce dimanche, un peu plus confuses…
« Ils nous ont dit que c’est la fin de la “jungle”, c’est ça ? », croit avoir compris Amanuel, 17 ans, venu d’Erythrée, qui
tremble de froid sous son pull léger en ce matin glacial. Prendra-t-il un bus demain matin pour un CAO à l’autre bout de la
France ? « Moi, c’est en Angleterre que je veux aller… »
Non loin de lui, Girmay, un autre Erythréen, simples sandales de plastique aux pieds, a le regard inquiet : « Ils vont en
Angleterre, ces bus dont vous parlez ? » Accroupi devant un petit jardin potager où poussent de belles tomates cerise,
Mustafa, 28 ans, ingénieur ayant fui l’Irak, a bien reçu les informations diffusées ces derniers jours par les ONG. « Je ne
veux plus vivre dans ce camp, mais je ne veux pas vivre en France, je n’aime pas ici. »
Pédagogie dominicale
Signe que peu envisagent réellement la destruction prochaine de leur village de fortune, un groupe de Soudanais est en train
de cimenter un nouveau panneau indiquant une mosquée. Prendront-ils le bus ? Un jeune fait timidement oui de la tête,
avant de se raviser, voyant que le reste du groupe n’est pas d’accord avec lui. Il n’est peut-être pas si facile de revendiquer à
haute voix qu’on renonce au rêve de tous, qu’on abandonne le combat que chacun mène chaque nuit, parfois depuis des
mois : passer illégalement au Royaume-Uni.
Conscient qu’il est essentiel que l’esprit et le déroulé de l’opération soient compris du plus grand nombre, les équipes de
l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), de l’Office français de l’immigration et de l’intégration
(OFII) et de plusieurs associations ont chaussé leurs bottes ce dimanche pour faire œuvre de pédagogie dans les allées du
bidonville.
« Britain, Britain », répète un vieil homme inquiet à Mourad Derbak, chef de la division Europe de l’Ofpra, qui essaie de le
convaincre de partir pour un CAO. L’homme partage un cabanon avec un petit groupe de « bidounes » comme lui, des
apatrides originaires du Koweït. « Vous pouvez partir tous ensemble au même endroit. C’est tout à fait possible, lui
explique Mourad Derbak pour le décider. Demandez bien à rester en groupe. »
L’homme hoche doucement la tête, semblant peser le pour et le contre. Avant de poser encore plusieurs questions en arabe.
« Mais toute la France est belle, ne vous inquiétez pas », insiste Mourad Derbak.
Expliquer, réexpliquer, rassurer
Un peu plus loin, la présence d’un traducteur pachtoune vêtu du gilet bleu des équipes du Haut-Commissariat des Nations
unies pour les réfugiés (HCR) crée un spectaculaire attroupement. L’homme est entouré d’une nuée de jeunes Afghans aux
yeux pleins de questions. Plus de 1 200 mineurs vivent dans le bidonville, ils bénéficient d’une opération de mise à l’abri
spécifique : dans le cadre du règlement européen de Dublin, ceux qui ont de la famille outre-manche pourront être
accompagnés directement au Royaume-Uni.
Cent quatre-vingt-seize ont déjà quitté la France dans ce cadre cette semaine. Leur rêve, ils n’osent y croire, et harcèlent le
traducteur de question sur les conditions à remplir. Mais c’est aussi l’occasion pour les adultes d’obtenir plus
d’informations sur le reste du dispositif : « Demain, je peux demander un bus pour Rennes ? » « Non, tu n’auras le choix
qu’entre deux régions, tu ne peux rien demander de spécifique. » « Mais c’est comment dans les CAO ? »
Il faut expliquer, réexpliquer, rassurer, redire. « Nous avons visité 17 CAO récemment, nous essayons de leur donner le
maximum d’informations sur ce que nous avons vu », explique Céline Schmitt, porte-parole du HCR à Calais, qui, avec ses
interprètes, a organisé plusieurs séances d’information auprès des leaders communautaires. « Partager les informations
apaise les tensions. Et permet aussi que cette opération se fasse sur la base du volontariat, explique-t-elle. C’est une
question essentielle. D’ici demain, ils vont devoir prendre une décision cruciale. »
François Guennoc, vice-président de l’association L’Auberge des migrants, qui intervient dans la « jungle » depuis 2008,
pense qu’il y aura des volontaires demain. Reste à savoir combien. « Ce sera bien une opération de mise à l’abri pour
certains, qui ont renoncé à leur projet d’Angleterre et sont épuisés des conditions de vie ici : la boue, le froid, la violence.
Et pour les mineurs isolés. Ceux-là partiront pacifiquement. Mais d’autres vont s’accrocher, et on passera par une
opération de police assez violente », prédit-il. Et d’ajouter : « Tous les gouvernements depuis dix-huit ans croient que
quand on détruit un camp on trouve la solution. C’est faux. »
Calais: octobre 2016
Vocabulaire: Expliquez les mots suivants
1. un bidonville:
2. un CAO (centres d’accueil et d’orientation):
Des titres après le démantèlement :
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Hollande promet que « La Jungle » ne
renaîtra pas à Paris
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Jungle de Calais : quel avenir pour le
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le jour ?
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Démantèlement de la « jungle » de
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Les migrants contraints de quitter Calais
se pressent dans les camps de Paris
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Des députés somment le Royaume-Uni
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accompagnent ces titres. Discutez.