Le Monde - entree
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Mardi 8 mars 2016 72e année No 22128 2,40 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry Directeur : Jérôme Fenoglio La fin du quinquennat se joue avec la loi El Khomri POLITIQUE « NKM », LEADER DE L’ANTISARKOZYSME → LIR E PAGE 1 0 ÉNERGIE ▶ Valls, El Khomri ▶ Le premier ministre a ▶ Derrière ce texte s’af ▶ Si le texte ne les satisfait et Macron recevaient, à partir de lundi, les parte naires sociaux afin de les entendre sur le projet de réforme du code du travail exclu, dans un entretien au « JDD », ce weekend, toute remise en cause des dispositifs les plus contestés par les syndicats frontent trois ambitions et l’avenir politique de François Hollande, de Manuel Valls et d’Emmanuel Macron pas toujours, les patrons plébiscitent l’idée de réformer le code du travail → LIR E PAGE 9 E T LE DOSS IE R DU C A HIE R É CO PAGE S 6 - 7 LE DIRECTEUR FINANCIER D’EDF DÉMISSIONNE, LA BOURSE S’ALARME → LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 4 Crise des réfugiés : l’Europe s’en remet à la Turquie LES AVERTISSEMENTS DE L’EUROPE CENTRALE ▶ Un sommet Union européenneTurquie était consacré, lundi 7 mars, à la crise des migrants LIRE PAGE 4 ▶ GrandeSynthe, l’antiCalais : MSF, habituée des horizons plus lointains, ouvre un camp d’accueil → LIRE PAGE 13 LI R E P A G E 25 PROCÈS ▶ Dix mille migrants qui changent le visage d’Athènes, reportage photo LE « DENTISTE BOUCHER » DE CHÂTEAU-CHINON AVAIT LA DENT DURE LIRE PAGES 14-15 ▶ En exRDA, où des élections régionales sont prévues le 13 mars, les attaques contre les nouveaux arri vants se multiplient → LIR E PAGE 1 2 MODE LIRE L’ENQUÊTE PAGE 16 Réfugiés arrivant au port du Pirée à bord d’un ferry, le 1er mars. LE VÊTEMENT DÉCONSTRUIT ET NOVATEUR DE BALENCIAGA VADIM GHIRDA/AP → LIR E DÉBAT SUR LE DROIT DES FEMMES BATTUES À SE DÉFENDRE par gaëlle dupont C’ est la conséquence de l’affaire Jacqueline Sauvage : la lutte contre les violences faites aux femmes est revenue au premier plan. Mardi 8 mars, à l’occasion de la Journée internatio nale des droits des femmes, la députée LR des Bou chesduRhône Valérie Boyer devait déposer une pro position de loi relative aux violences au sein des cou ples. Ce texte est inspiré par l’histoire de Mme Sauvage, condamnée à dix ans de réclusion pour avoir tué son mari, qui la frappait depuis quarante sept ans, puis partiellement graciée par François Hol lande le 31 janvier. La députée rappelle que, chaque année, plus d’une centaine de femmes sont tuées par leur conjoint, et que 223 000 femmes âgées de 18 à 75 ans subissent des violences conjugales graves, physiques ou sexuelles. Cependant, contrairement à ce qu’elle avait annoncé dans un premier temps, Mme Boyer ne propose pas de créer un état de légi time défense différée spécifique aux femmes battues qui s’en prendraient à leur conjoint, disposition assi milée à un « permis de tuer » par ses opposants. LE REGARD DE PLANTU → LIR E L A S U IT E PAGE 1 1 Le Roundup de Monsanto est-il cancérogène pour l’homme ? Imaginer le confort RCS Pau 351 150 859 - (1)Les innovateurs du confort VIOLENCES PAGE 2 2 THE INNOVATORS OF COMFORT™ ( 1 ) PLANÈTE Le sort du glyphosate, le principe actif du célèbre désherbant Roun dup de Monsanto, se joue à Bruxelles. La Commission euro péenne se préparait discrètement à renouveler l’autorisation, les 7 et 8 mars, de cet herbicide, sur la foi d’une étude européenne, alors que l’agence spécialisée sur le cancer de l’Organisation mon diale de la Santé (OMS) indique que le glyphosate est « un cancérogène probable pour l’homme ». Des députés européens ont de mandé le report de la décision. → NOUVEAUTÉ Fabriqué en Norvège Depuis 1934 www.stressless.fr LIR E PAGE 8 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2 | international 0123 MARDI 8 MARS 2016 Le chef du Parti démocratique des peuples, Selahattin Demirtas, à Diyarbakir, dans le sud-est de la Turquie, le 4 mars. ILYAS AKENGIN/AFP Les espoirs déçus des Kurdes de Turquie Selahattin Demirtas, leader du HDP, est critiqué pour son absence de condamnation des violences du PKK istanbul - correspondante C onsidéré il y a peu de temps encore comme le seul homme politique susceptible de faire de l’ombre au numéro un turc, Recep Tayyip Erdogan, le responsable kurde Selahattin Demirtas, 42 ans, qui semblait alors avoir pris ses distances avec le Parti des tra vailleurs du Kurdistan (PKK, inter dit en Turquie), est aujourd’hui menacé de poursuites judiciaires qui pourraient le mener en prison. Voici des mois que le gouverne ment islamoconservateur ré clame la levée de son immunité parlementaire et celle de quatre autres députés de son Parti démo cratique des peuples (HDP, gau che, prokurde), qui est la troi sième force politique au Parlement avec 59 députés sur 550. Ils sont accusés de faire le jeu du PKK, dont les combattants sont repartis en guerre contre l’Etat turc depuis l’échec des pourparlers de paix en 2015. « Vengeance » Vendredi 4 mars, le ministère de la justice a demandé aux services du premier ministre que les principales figures du HDP – Selahattin Demirtas, Figen Yüksekdag, Selma Irmak, Sirri Süreyya Önder, Ertugrul Kürkçü – soient privées de leur immunité et poursuivies en justice pour avoir soutenu l’idée d’une autonomie pour les régions kurdes, où les hostilités sont reparties de plus belle depuis la rupture d’une trêve que le PKK et l’armée turque observaient depuis deux ans. « Si notre immunité parlementaire est levée, il faudra lever aussi celle des députés soupçonnés d’avoir trempé dans des affaires de corruption, ce qui est le cas au sein du groupe parlementaire de l’AKP [le Parti de la justice et du développement, au pouvoir depuis 2002]. Notre groupe ne connaît pas ce genre d’affaires », a ex- pliqué Selahattin Demirtas, dimanche 6 mars, alors qu’il recevait les correspondants de la presse étrangère dans un grand hôtel d’Istanbul. Pour lui, ces poursuites ne sont qu’une « vengeance » du numéro un, Recep Tayyip Erdogan. « Il n’a pas digéré le bon score de notre parti aux législatives de juin [13 % des voix]. Il cherche à nous punir. » Mais quand bien même le Parlement en viendrait à se prononcer favorablement, « la mise en œuvre de la décision pourrait prendre plusieurs années ». Une affaire embarrasse autrement plus M. Demirtas. Le 23 février, une députée de son groupe, Tugba Hezer, est allée présenter des condoléances publiques à la famille d’Abdulbaki Sömer, l’auteur de l’attentat à la voiture piégée qui a causé la mort de 29 personnes à Ankara, le 17 février. La levée de son immunité parlementaire a également été demandée. Son geste a suscité la réprobation de larges pans de l’opinion publique, y compris parmi les représentants de la gauche prokurde qui ont donné leurs votes au HDP le 7 juin 2015, puis le 1er novembre, lors de la répétition des législatives. « Ces condoléances n’étaient pas une décision du parti, [Tugba Hezer] connaissait la famille, c’est pour cela qu’elle l’a fait. Elle aurait dû réfléchir à la sensibilité de l’opinion publique, mais elle s’est laissée guider par ses sentiments personnels », justifie M. Demirtas. L’hommage de la députée au kamikaze illustre l’ambiguïté qui prévaut au sein du parti kurde, perçu plus que jamais comme inféodé au PKK. Selahattin Demirtas dément : « Nous n’avons aucun lien avec le PKK. Nous sommes un parti pacifique et légal, le PKK est une organisation armée active au Moyen-Orient. » Il y a un an, cet avocat modeste d’origine kurde était vu comme l’étoile montante de la scène poli- tique turque. C’est sous son impulsion que le HDP a fait son entrée au Parlement, du jamais-vu depuis les débuts de la République en 1923. Débarrassé de son étiquette ethnique, le HDP avait élargi sa base (aux femmes, aux minorités, aux écologistes) et il était apparu alors comme la seule formation à visage européen de l’échiquier politique. Un nouveau courant avait émergé, une sorte de troisième voie, ni islamiste ni kémaliste. « Erdogan n’a pas digéré le bon score de notre parti aux législatives de juin. Il cherche à nous punir » Champs de bataille La guerre en Syrie a tout chamboulé. Grâce à l’expérience acquise à Kobané, la grande ville du nord de la Syrie reprise aux djihadistes de l’organisation Etat islamique par des combattants kur- des en janvier 2015, le PKK a choisi d’implanter la guérilla urbaine au cœur des quartiers centraux de plusieurs villes du sud-est de la Turquie (Diyarbakir, Cizre, Silvan, Silopi), transformés en champs de bataille entre les forces turques et SELAHATTIN DEMIRTAS coprésident du HDP les rebelles kurdes armés. Dès le début du soulèvement, Selahattin Demirtas a multiplié les messages de soutien aux rebelles, incitant la population à appuyer leurs « actions honorifiques ». En approuvant la nouvelle tactique du PKK, peu soutenue par les populations locales à en juger par le piètre succès remporté par son appel à manifester le 2 mars à Diyarbakir, il a compromis l’idée d’un HDP indépendant, redonnant au parti sa vocation ethnopolitique de porte-voix du PKK. Alors que l’organisation renoue avec la violence aveugle, ayant de plus en plus recours aux attentats-suicides, le HDP, qui peine à condamner ces actes, perd en légitimité. Dans les régions du SudEst, la déception est perceptible. « Nous n’avons pas voté pour la reprise de la guerre », assurent les Kurdes qui ont donné leur voix au Parti démocratique des peuples. « Leur critique est justifiée. Ils éprouvent du mécontentement envers nous, mais ils en veulent aussi au gouvernement pour sa politique. Le peuple kurde considère que la responsabilité de la situation actuelle revient à l’AKP », assure M. Demirtas. Un jour ou l’autre, « il faudra bien revenir aux négociations », concède-t-il. Difficile toutefois « de s’asseoir à la table avec Recep Tayyip Erdogan pour parler de démocratie. Il ne veut pas de la démocratie ni même d’un régime présidentiel, tout ce qu’il veut, c’est imposer sa dictature ». p marie jégo Des faubourgs de Van à Ankara, itinéraire d’un kamikaze le 17 février, la turquie et son armée étaient frappées en leur cœur. Dans le quartier administratif d’Ankara, un attentat-suicide à la voiture piégée visant un convoi transportant militaires et civils du ministère de la défense faisait vingt-neuf morts. Attribuée aux forces kurdes syriennes par le gouvernement turc, l’attaque terroriste était revendiquée, le 19 février, par les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), un groupe armé aussi radical que nébuleux, provenant des rangs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), dans le contexte d’affrontements renouvelés entre la guérilla kurde et les forces turques. Confirmée par des tests ADN, l’identité de l’auteur de l’attentat était révélée par les TAK comme celle d’un homme kurde de 27 ans, Abdulbaki Sömer, originaire de Van, dans le sud-est du pays. Dans les lointains faubourgs de Van, le quartier Haci-Bakir, où Abdulbaki Sömer a vu le jour, a des allures de village avec ses maisons basses, ses potagers boueux et ses ruelles où les neiges hivernales achèvent de fondre. « Abdulbaki est né dans le quartier le plus pauvre de Van. Comme tous ceux qui s’y sont installés, les Sömer ont dû quitter définitivement leur village, détruit par l’armée turque pendant la guérilla des années 1990 », raconte un proche de la famille. Peuplé d’exilés, de déclassés, se développant de manière anarchique en marge d’une guerre qui affecte chacun des habitants, le quartier Haci-Bakir laisse peu de perspectives aux enfants qui y naissent. « Dans le quartier, pour la plupart des garçons de ma génération, l’avenir c’était soit la précarité des petits métiers, soit le trafic de cigarettes, d’héroïne et d’êtres humains entre l’Iran et la Turquie, soit le PKK », explique une habitante née, comme Abdulbaki, en 1989. « Un héros » Le jeune homme choisira la dernière option. « Abdulbaki a grandi à une époque où le PKK contrôlait Haci-Bakir. Il y avait souvent des affrontements avec les forces de l’Etat. Ils entraient dans les maisons, fouillaient, contrôlaient nos pères », se souvient une parente qui a été élevée avec lui. « Les combattants du PKK étaient nos héros. Ils nous défendaient, poursuit-elle. Les parents essayaient de les en dissuader, mais la plupart des jeunes voulaient les rejoindre. » Courant 2005, inscrit en première année au lycée République de Van, Abdulbaki dis- paraît. A Haci-Bakir, les adolescents ne fuguent pas. Chacun comprend qu’Abdulbaki est « parti pour la montagne ». Une fois recrutés, les combattants du PKK coupent tous liens avec leurs familles, qui n’ont plus qu’à attendre la nouvelle de leur mort en martyr, célébrée par le parti. Dans la clandestinité, dans les zones grises où le PKK opère, Abdulbaki, qui a pris pour nom de guerre « Zinar Raperin », a rejoint les TAK avant de refaire brutalement irruption, par le truchement d’un portrait souriant accompagnant la revendication de l’attentat. Ses parents proches restent murés dans le silence, incités à la discrétion à la suite de l’interruption, par les forces de sécurité turques, de la cérémonie de recueil des condoléances organisée après la revendication de l’attentat par le TAK. La figure d’Abdulbaki ne leur appartient cependant déjà plus. « L’attentat est arrivé au moment où, après Kobané, puis le retour de la guerre dans les villes kurdes de Turquie, une nouvelle génération de militants plus radicale émerge, explique un acteur associatif de Van, lié au mouvement kurde. Pour ces jeunes, Abdulbaki est un héros. » p allan kaval (van, turquie, envoyé spécial) 5/#1 $#4,9/ 0-- (6/ 65,/ (441#656/ : 2/#1 8( $9""<1#6&# =5-C(& (H: ;263& CB5: GC8L"<BC: @-<EG F%: @<%EG%<: 5C :%<4G+% (% (L4%FB@@%E%C8 (5<-,F% -5 +I5< (% CB8<% B<"-CG:-8GBC> 2/#1 8%#6!(!#7#6. =5-C( 'A1 :% @F-+% %C 8J8% (%: +F-::%E%C8: (%: "<-C(%: %C8<%@<G:%: F%: @F5: (5<-,F%: 8B5: :%+8%5<: +BC#BC(5: ?$B<@B<-8% DCG"!8: .7;/0> 2/#1 8%#/419. 495669#1 =5-C( CB8<% (%<CGH<% +<L-8GBC GC8H"<% ;3 GCCB4-8GBC: EBC(G-F%:> 2/#1 8%<75.956 =5-C( CB5: #-G:BC: :% <%C+BC8<%< F*-<8 %8 F*-58BEB,GF% %C +<L-C8 F%: 'A1 )<8 $-<: -4%+ F%: @F5: "<-C(: -<8G:8%: +BC8%E@B<-GC:> 2/#1 8# 1;*# =5-C( GF @<%C( +B<@: -4%+ F% (%:G"C L@B5:8B5K-C8 (% F- 'A1 G9> 2/#1 8%54.979/7# =5-C( GF :*-"G8 (% +<L%< F- EB,GFG8L (5 #585< @B5< F%: ;77 @<B+!-GC%: -CCL%:> )))3'7)3"1+5/#1 4 | international 0123 MARDI 8 MARS 2016 Réfugiés : l’Europe officialise sa « bunkérisation » Les Vingt-Huit entérinent la fermeture de la route des Balkans, qui transforme la Grèce en camp humanitaire bruxelles - bureau européen F ermer la route des Balk ans empruntée par les milliers de demandeurs d’asile qui tentent de re joindre l’Allemagne ou la Scandi navie ; s’assurer une fois pour tou tes le soutien de la Turquie, aider davantage la Grèce ; rétablir l’espace Schengen : le nouveau « sommet de la dernière chance » consacré à la migration, lundi 7 mars à Bruxelles, avait un programme plus qu’ambitieux. Il devait surtout consacrer la victoire de la stratégie préconisée depuis des mois par les pays de l’est de l’Union : la « bunkérisation » de l’Europe, avec l’aide d’Ankara et aux dépens d’Athènes. Les dirigeants européens veulent, à tout prix, réduire les arrivées massives de migrants (de 15 000 à 20 000 par semaine) sur les côtes grecques, où seuls les réfugiés seraient acceptés dorénavant. Mais le flux continu et la fermeture des frontières transforment la Grèce en un gigantesque camp humanitaire. Voulue par la chancelière allemande, Angela Merkel, la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement devait commencer par un déjeuner avec le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu. Avant de rencontrer Mme Merkel, dès dimanche à Bruxelles, celui-ci avait évoqué les « pas importants » de son pays pour tenter de retenir les migrants voulant rejoindre la Grèce. Deux passeurs ont été arrêtés dimanche, et quelques dizaines de personnes stoppées. Vingtcinq autres, dont des enfants, sont en revanche mortes noyées. Mais le « plan d’action » signé entre Ankara et Bruxelles en novembre 2015 est, pour l’instant, resté quasiment lettre morte. M. Davutoglu devait confirmer que l’accord de réadmission conclu entre la Grèce et son pays serait enfin respecté : ceux qui ne peuvent prétendre à l’asile seraient rapidement reconduits en Turquie. Ankara n’avance toutefois aucun Alexis Tsipras invite ses partenaires à choisir entre « la peur et le racisme et la solidarité » chiffre, et sa bonne volonté sera conditionnée au progrès de la négociation sur la libéralisation des visas au profit des citoyens turcs voulant se rendre en Europe. Les Vingt-Huit tablent, faute de mieux, sur ce qu’un diplomate appelle « la force symbolique » des retours pour dissuader les passeurs et les migrants économiques. Recoller les morceaux A la veille du sommet, la Turquie a affiché un autre geste de « bonne volonté » : elle a accepté in extremis la présence d’une mission de l’OTAN dans ses eaux territoriales. Après une négociation de trois semaines, cette opération de surveillance et d’information, ciblée sur les réseaux de passeurs, pourra démarrer. Elle devrait compter une dizaine de navires, la GrandeBretagne ayant décidé dimanche de lui adjoindre un bâtiment de transport et deux vedettes d’interception. La France fera appareiller un navire dans quelques jours. Le président du Conseil, Donald Tusk, comptait aussi aborder la question de la liberté de la presse : à peine avait-il quitté le président Recep Tayyip Erdogan, vendredi 4 mars, que le régime a pris le contrôle du grand quotidien d’opposition, Zaman. Contraints à de nombreux exercices d’équilibrisme, les dirigeants européens doivent aussi tenter de recoller les morceaux d’une Union en pleine… désunion. Une tentative de réconciliation entre l’Est et l’Ouest a été menée par M. Tusk la semaine dernière. Le projet de conclusions du sommet de lundi lu par Le Monde Angela Merkel et les premiers ministres turc, Ahmet Davutoglu, et néerlandais, Mark Rutte, à Bruxelles, le 6 mars. B. MAAT/AFP prévoit une reconnaissance du point de vue défendu par les pays de l’Est et des Balkans, qui prônaient la fermeture des frontières et refusent, pour beaucoup, d’accueillir des réfugiés. La route des Balkans sera « désormais close », énonce ce texte, qui prône le retour à « une pleine application du code de frontières Schengen » à la fin de l’année. Cette version encore provisoire ne dénonçait pas, entre autres, la décision unilatérale de l’Autriche d’instaurer des quotas de migrants, ce qui a conduit à la fermeture de toutes les frontières des Balkans. Vienne devrait aussi re- fuser de participer au système de répartition des réfugiés entre les Etats membres, estimant avoir déjà accepté suffisamment de demandeurs (37 500). Alors que la situation dans son pays ne peut que s’aggraver, avec déjà 30 000 candidats à l’asile bloqués, le premier ministre grec, Alexis Tsipras, réclame des mesures d’« urgence absolue ». Lundi, ses collègues projetaient donc de valider une aide massive à Athènes, avec des moyens humains et matériels pour la protection des frontières extérieures grecques, et d’autres pour le bon fonctionnement des centres d’enregistre- En Slovaquie, la percée de l’extrême droite prive Robert Fico de majorité Malgré un discours antimigrants, le premier ministre social-démocrate a perdu 34 sièges vienne - correspondance L e social-démocrate Robert Fico a perdu son pari. En axant sa campagne sur le rejet des migrants, le chef du gouvernement slovaque sortant a, certes, réussi à se placer largement en tête, pour la quatrième fois d’affilée, à des élections législatives, le 5 mars. Mais son parti, le SMER-SD, affiche une très forte baisse, passant de 44,5 % des voix en 2012 à 28,3 % aujourd’hui. Il ne conserve que 49 de ses 83 députés, dans un Parlement qui en compte 150. Alors que son petit pays de 5,4 millions d’habitants va prendre la présidence tournante de l’Union européenne, le 1er juillet, il devra en plus faire avec l’entrée dans l’hémicycle d’une formation hostile aux idéaux communautaires. Car la surprise de ces élections, c’est le score du Parti populaire – Notre Slovaquie (LS-NS), un mouvement créé par le gouverneur néofasciste de la région de Banska Bystrica, Marian Kotleba. Il engrange 8 % des voix et profite d’un faible taux de participation. Le camouflet est sévère pour M. Fico, un quinquagénaire pourtant rompu aux techniques de communication. Il disait devoir « droitiser » son discours sur l’islam et les réfugiés pour couper l’herbe sous le pied de cet outsider. Depuis des mois, il affirme en conséquence vouloir « protéger » les Slovaques contre les quotas de réfugiés, alors que, en 2015, seules huit demandes d’asile ont été accordées par son pays. « Masquer le vrai problème » « Cette rhétorique est apparue comme un calcul politique visant à masquer le vrai problème du premier ministre face à l’insatisfaction des professeurs et des professions de santé », note Pavel Haulik, de l’institut de sondage MVK. Malgré tout, Robert Fico va essayer de former un gouvernement. Comme entre 2006 et 2010, il est tenté de s’allier avec les élus nationalistes du Parti national slovaque (SNS), qui font leur retour au Parlement avec près de 9 % des suffrages, après avoir gouverné entre 1994 et 1998. Leur nouveau leader, Andrej Danko, une personnalité charismatique à la tête d’un cabinet d’avocats puissant, mène une entreprise efficace de dédiabolisation. Interrogé par Le Monde avant les élections, cet ami de Heinz-Christian Strache, le numéro un de l’extrême droite autrichienne, semblait séduit par l’idée d’un retour du cabinet slovaque « rougebrun » qui valut à M. Fico, il y a dix Le chef du gouvernement est de nouveau tenté de s’allier avec les élus du Parti national slovaque ans, d’être exclu du Parti socialiste européen. M. Danko n’exige pas la sortie de la Slovaquie de la zone euro, dont elle est membre depuis 2009. Il prend aussi soin de ménager la minorité hongroise, victime des diatribes du SNS par le passé. Pour sa part, Richard Sulik, du parti libéral Liberté et Solidarité (SaS), arrivé en deuxième position avec 12,1 % des suffrages, a exclu de s’allier à la gauche. « Le SMER-SD, c’est une bande de voleurs ! », lançait-il lors d’un entretien à la veille du scrutin, alors que les soupçons de détournement de fonds publics, démentis par les intéressés, ont émaillé la campagne. « J’ai recensé 153 cas de corruption qui leur sont imputables. » Lui se verrait bien prendre la tête d’une coalition « anti-Fico » de cinq partis de la droite et du centre. Mais avec l’eurodéputé Sulik, l’Europe ne trouverait pas un partenaire plus conciliant sur la question cruciale des migrants, qui met à mal l’espace Schengen. « Pourquoi devrait-on prendre chez nous des criminels exportés par des pays tiers ? », demandait-il avant les élections. Toutefois, lui non plus n’aura peut-être pas l’occasion de faire valoir ses arguments. Car la présence au Parlement de la droite extrême empêche un sixième parti, chrétien-démocrate, de siéger. Or, il semblait indispensable à la constitution d’un cabinet alternatif stable. Si M. Sulik veut faire appel aux nationalistes du SNS, d’autres formations pourraient montrer des réticences. Le leader néofasciste Marian Kotleba, à peine la quarantaine, se frotte donc les mains. Elu gouverneur en novembre 2014, professeur d’informatique, il voue un culte à l’Etat slovaque clérical fasciste de 1939-1945, négocié directement auprès d’Hitler par un prêtre catholique, Jozef Tiso. En 2003, son précédent groupuscule violent fut le seul parti jamais dissous en Slovaquie. Il qualifiait alors le système démocratique de « supercherie ». A défaut d’être faiseurs de roi, ses 14 députés pourront peut-être couper des têtes. p blaise gauquelin ment (« hot spots »). Le 2 mars, la Commission a proposé la création d’un fonds humanitaire d’urgence, doté d’un montant initial de 300 millions d’euros. M. Tsipras continue de déplorer la stratégie d’isolement de son pays et invite ses partenaires à choisir entre « la peur et le racisme et la solidarité ». La Grèce semble toutefois impuissante, réduite à l’espoir de voir enfin fonctionner le mécanisme de relocalisation de 160 000 réfugiés adopté à l’automne 2015. Avec moins de 1 000 personnes relocalisées, le bilan est « ridicule », convient un diplomate bruxellois. Cent cin- quante réfugiés devaient arriver en France lundi. « Les oppositions de principe sont derrière nous », veut-il toutefois croire. Le projet de conclusions demeurait, en tout cas, évasif : « Les Etats membres sont aussi invités à proposer davantage de places de relocalisation. » De quoi confirmer que les Européens sont très loin d’avoir trouvé des réponses collectives et solidaires à la crise, alors que la fermeture de la route des Balkans pourrait entraîner la création d’autres voies, via l’Albanie notamment. p cécile ducourtieux et jean-pierre stroobants 10,3 % des voix pour l’extrême droite à Francfort Le parti d’extrême droite allemand Alternative für Deutschland (AfD) a réalisé une percée surprise lors d’élections municipales en Hesse, dimanche 6 mars. Selon des résultats encore provisoires, il obtiendrait 10,3 % des voix à Francfort, 12,2 % à Kassel et 16,2 % à Wiesbaden. Fondé en février 2013, l’AfD s’oppose fermement à la politique d’accueil des réfugiés menée par la chancelière allemande Angela Merkel. I RAK Au moins 47 morts dans un attentat revendiqué par l’Etat islamique Une attaque-suicide au camion piégé, perpétrée dimanche 6 mars dans la ville de Hilla, au sud de Bagdad, a fait au moins 47 morts. Selon un médecin à l’hôpital de Hilla, 20 membres des forces de sécurité figurent parmi les victimes. Cet attentat, le plus meurtrier depuis le début de l’année en Irak, a également fait au moins 72 blessés. Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux, l’organisation Etat islamique dit avoir visé des musulmans chiites qu’elle considère comme des hérétiques. – (AFP.) COR ÉE D U N OR D Pyongyang menace du feu nucléaire Washington et Séoul La Corée du Nord a menacé de répondre par des frappes nucléaires « à l’aveugle » aux manœuvres militaires débutées lundi 7 mars par les forces sud-coréennes et améri- caines sur la péninsule coréenne. Ces exercices annuels entre les deux alliés, d’une envergure jamais vue, interviennent cette année dans un contexte particulièrement crispé, deux mois après le quatrième essai nucléaire de la Corée du Nord et un mois après un tir nord-coréen de fusée longue portée, deux actions condamnées par le Conseil de sécurité de l’ONU qui vient de voter de nouvelles sanctions contre Pyongyang. – (AFP.) C HI N E Vol MH370 : des familles déposent des plaintes à Pékin Les proches de douze passagers chinois du vol MH370 de la Malaysia Airlines ont déposé des plaintes, lundi 7 mars à Pékin, contre la compagnie, à la veille du deuxième anniversaire de la disparition de l’appareil – qui s’est officiellement abîmé au sud de l’océan Indien le 8 mars 2014 – et de l’expiration du délai légal pour cette procédure. – (AFP.) JQ4GF< N.\XS* 7[YS".$W* W L 4[,$]T] Q\[\K!* J[[Y]W.T$R* +* N.\XS* 7[YS".$W* W ^ ,.Y$T." R.W$.-"*; 4$d&* V[,$." 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Affaibli par le procès de sa sœur, le roi doit jouer un rôle inédit entre des partis divisés ANGEL DIAZ/AFP madrid - correspondance A lors que la situation politique espagnole est complètement bloquée, tous les regards se tournent désormais vers lui. Après l’échec du socialiste Pedro Sanchez, incapable d’obtenir, vendredi, le soutien de la Chambre basse à son investiture, il est censé être le pilote de l’ultime phase de négociation pour tenter de former un gouvernement. Cet épisode, inédit et incertain, pose la question du rôle que doit jouer le chef de l’Etat, dont la fonction était jusqu’ici essentiellement symbolique dans la monarchie parlementaire espagnole. Elle met Felipe VI dans l’embarras, alors même qu’il est déstabilisé par le défi indépendantiste en Catalogne et le procès de sa sœur, l’infante Cristina, accusée de fraude fiscale. « Il n’existe pas de précédent d’échec d’investiture, rappelle le politologue Fernando Vallespin. Jusqu’à présent, il faisait une proposition de candidat évidente, car le Parlement dégageait des majorités claires. » Au contraire, les législatives du 20 décembre 2015 ont accouché d’un Parlement très fragmenté du fait de l’émergence des nouveaux partis Podemos, à gauche, et Ciudadanos, au centre. Fin janvier, lorsque Felipe VI avait convoqué les représentants des partis politiques pour les sonder, il avait été confronté au refus de Mariano Rajoy, le président du gouvernement en fonctions et chef de file du Parti populaire (PP, droite), de réclamer l’investiture. Première force politique avec 27,8 % des voix et 123 des 350 députés, le PP savait qu’il n’avait pas les soutiens suffisants pour obtenir le soutien de la majorité. Discrétion mise à mal Après une seconde ronde de consultations, Felipe VI avait proposé au chef de file du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), Pedro Sanchez, de se soumettre au vote de la Chambre basse. Cette décision, destinée à débloquer la situation politique, avait créé un malaise au sein du PP, certains estimant que le roi avait trop rapidement confié l’investiture aux socialistes. Les socialistes, arrivés en deuxième position avec 22 % des voix et à peine 90 députés, n’ont finalement pas réussi à sceller des accords suffisants pour gouverner. Mais ils n’abandonnent pas l’idée de rallier le parti de la gauche anti-austérité Podemos au pacte déjà signé avec le parti centriste libéral Ciudadanos. Ils ont jusqu’au 2 mai pour y parvenir. S’ils échouent, de nouvelles élections seraient convoquées le 26 juin. Pour la « zarzuela » (le palais royal), pas question cette fois-ci de proposer un candidat à l’investiture sans la certitude qu’il obtienne la confiance du Parlement. Mais que fera Felipe VI si Pedro Sanchez pense obtenir l’investiture grâce à une abstention de dernière minute de Podemos, comme certains l’envisagent au sein du parti de Pablo Iglesias ? Le proposera-t-il de nouveau comme candidat ? Le PP accepterait-il une telle décision ? Le PSOE tolérerait-il un blocage ? La Constitution confère au roi un pouvoir de médiation entre les partis. Mais il doit rester neutre et éviter l’ingérence politique. « Le roi doit démontrer qu’il est à la hauteur des circonstances, qu’il est utile, mais sans se faire trop remar- Pour le moment, le roi est loin de remplir sa fonction de garant de l’unité territoriale de l’Espagne quer », résume le journaliste José Garcia Abad, auteur d’El principe y el rey (« le prince et le roi », 2008, Punto prensa, non traduit), qui estime que « l’avenir de la Couronne est en jeu » : « Des partis forts se définissent clairement comme républicains [comme Podemos et les partis catalans]. Et la réforme de la Constitution que proposent le PSOE, Podemos et Ciudadanos, bien qu’elle n’ait pas cet objectif, risque d’ouvrir un débat social sur la monarchie elle-même. » Selon le sondage du Centre de recherche sociologique (CIS) de mai 2015, les Espagnols donnent une note de 4,3 sur 10 à l’institution monarchique. « Les Espagnols sont majoritairement républicains, mais cela ne signifie pas qu’ils souhaitent en faire une dispute politique. Je ne pense pas que la monarchie soit en danger, tempère Fernando Vallespin. Elle est très discrète, peu onéreuse et peut remplir une fonction d’intégration territoriale. » Fonction que le roi, pour le moment, est loin de remplir. Non seulement l’unité de l’Espagne, dont il est censé être le représentant symbolique, est menacée par le processus indépendantiste mené en Catalogne ; mais aussi, lorsqu’il a eu l’opportunité de s’affirmer comme chef de l’Etat face aux indépendantistes catalans, il a choisi le boycott. En janvier, il a ainsi refusé de recevoir la présidente de la nouvelle Cham- bre régionale, comme le veut pourtant le protocole. Quant à sa discrétion, elle a été mise à mal par le procès de l’infante Cristina, retransmis en direct sur plusieurs chaînes de télévision. La sœur du roi est accusée du détournement présumé de 900 000 euros provenant des contrats publics signés par l’Institut Noos, présidé par son époux Iñaki Urdangarin, et de l’évasion fiscale de 300 000 euros en 2007 et 2008, par le biais de la société Aizoon détenue à parts égales entre elle et son mari. « La monarchie a beaucoup de privilèges et peu d’obligations », ont l’habitude de dire les analystes espagnols. Parmi ses devoirs : maintenir une conduite exemplaire, symboliser l’unité du royaume et offrir sa médiation entre les partis politiques en cas de besoin. Or, sur tous ces fronts, Felipe VI se trouve sur la sellette. p sandrine morel Une Légion d’honneur en cachette pour le prince héritier saoudien L’Elysée estime que la remise de la décoration à Mohamed Ben Nayef est une « pratique protocolaire courante » beyrouth - correspondant L es ors de la République, mais en catimini. Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohamed Ben Nayef, qui est aussi le ministre de l’intérieur du royaume, a été décoré de la légion d’honneur, vendredi 4 mars, par le président de la République François Hollande, qui l’a reçu à l’Elysée. Si la visite figurait à l’agenda du chef de l’Etat, la remise de médaille en revanche, n’a fait l’objet d’aucune communication officielle, ni avant ni après la cérémonie. La présidence de la République s’est seulement contentée de publier sur son site Internet des photographies de l’entretien, sans légende, l’une d’elles montrant une poignée de mains entre François Hollande et son hôte saoudien, qui tient un écrin rouge contenant une décoration. Ce n’est que dimanche, à la demande de l’AFP, que l’Elysée a confirmé l’information publiée deux jours plus tôt par l’Agence de presse saoudienne (SPA). Celle-ci, visiblement moins embarrassée que les autorités françaises, s’était félicitée de voir le numéro deux du royaume recevoir « la plus haute distinction française » ; en raison, affirme le communiqué, de « ses efforts dans la région et dans le monde dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme ». Riyad devrait récupérer les armes françaises destinées au Liban L’industrie de défense française pourrait sauver la fourniture d’armement, pour 2,4 milliards d’euros, qui avait été initialement prévue pour le Liban dans le cadre du contrat « Donas » et menaçait d’être annulée. Financé par un don de l’Arabie saoudite, ce contrat destiné à soutenir les forces armées libanaises avait été suspendu en février par Riyad, qui craint de voir cette aide détournée par le Hezbollah chiite. « Le contrat sera mis en œuvre mais le client sera l’armée saoudienne », a déclaré le 5 mars Adel Al-Joubeir, chef de la diplomatie saoudienne. Signé en 2014, le montage triangulaire n’a débouché que sur une première livraison de missiles antichar en avril 2015, et seul un acompte de 600 millions a été versé à ce jour. Le profil bas inhabituel de la présidence était sans nul doute destiné à éviter la résurgence des polémiques que la proximité diplomatique entre la France et l’Arabie saoudite déclenche à intervalles réguliers. Le royaume wahhabite est sous le feu des critiques des organisations de défense des droits de l’homme du fait de la politique très répressive qu’il applique à l’encontre de tous ses opposants, ainsi que des bombardements qu’il mène au Yémen depuis un an, qui ont causé la mort de centaines de civils. La prudence de l’Elysée était rendue encore plus nécessaire par l’identité du dignitaire saoudien distinguée ce vendredi. En tant que ministre de l’intérieur, Mohamed Ben Nayef supervise aussi bien la traque des extrémistes de l’organisation Etat islamique, res- ponsables de nombreux attentats en 2015, que la lutte contre les dissidents non violents et libéraux, comme le blogueur Raef Badawi, condamné en 2014 à dix ans de prison. « Réalisme politico-commercial » En 2015, signe d’un durcissement du royaume, 153 personnes ont été exécutées, un niveau inégalé depuis vingt ans dans ce royaume ultra-conservateur régi par une interprétation rigoriste de la loi islamique. Le 2 janvier, 47 personnes avaient été mises à mort en une seule journée pour « terrorisme », notamment le dignitaire et opposant chiite saoudien Nimr Al-Nimr. Pour justifier son initiative, l’Elysée a parlé d’une « pratique protocolaire courante ». Le président de la République avait luimême été « décoré de l’ordre su- prême du Royaume » lors d’une de ses visites en Arabie saoudite, at-on rappelé de même source. Mais cela n’a pas suffi à prévenir les critiques. La décoration a notamment été dénoncée par le vice-président du Front national Florian Philippot, qui a évoqué sur Twitter une « légion du déshonneur ». Les blâmes ne sont pas venus que de l’extrême droite, le député socialiste de Haute-Garonne Gérard Bapt estimant dans un communiqué que « le réalisme politico-commercial ne devrait pas conduire à des postures morales à deux vitesses ». De son côté, l’essayiste Raphaël Glucksmann a relevé sur Twitter : « Une envolée féministe dans Elle. Puis une légion d’honneur au wahhabisme. François Hollande le Cohérent. » p benjamin barthe # + ( ) 2 ( 1 # % / ' + * # S + R A 0 ( M * 0 8 I # XISME ' D E " S + E # * L MAR E # * R T $ ' # + 4 , CON 2 S & E ' V I ( / S I ' . C 5 4 N I ) # ' / ES ET / T ' N + 4 A # V ) A ) S * , 4 / S 1!+ ' 3.(+/7# 4IQUES EXCEPTIONNELLE N 2 culture.fr O e c R + n H a C r ( f 0 1 ,. international | 7 0123 MARDI 8 MARS 2016 Les gros donateurs, perdants des primaires Donald Trump et Bernie Sanders critiquent le système des super-PAC, qui collectent des fonds sans limitation washington - correspondant L e plus grand perdant, pour l’heure, des primai res pour la présidentielle américaine de 2016 n’est peutêtre pas un candidat, mais un sigle : les super-PAC (comité d’action politique). Autorisés au nom de la liberté d’expression, depuis un arrêt de la Cour suprême de 2010, à dépenser autant d’argent que souhaité pour détruire ou promouvoir une candidature, théoriquement sans la moindre concertation avec les équipes de campagne, les comités d’action politique ont accumulé jusqu’à présent les défaites. L’ancien gouverneur de Floride Jeb Bush avait cru disposer d’une arme fatale avec les 120 millions de dollars (109 millions d’euros) amassés par le super-PAC Right to Rise. Il a abandonné la course le 20 février sans avoir remporté le moindre Etat. Avant lui, Rick Perry, ancien gouverneur du Texas, et Scott Walker, gouverneur du Wisconsin, avaient été également contraints d’abandonner à la suite d’une situation paradoxale : une trésorerie exsangue alors que leurs super-PAC disposaient chacun d’une dizaine de millions de dollars. De grandes fortunes ont donc déboursé de fortes sommes sans résultats. Maurice Greenberg et Miguel Fernandez pour M. Bush, Diane Hendricks et Marlene Ricketts pour M. Walker, Kelcy Warren et Darwin Deason pour M. Perry, même si certains ont pu recouvrer une partie de leur mise après l’abandon de leur candidat. Le milliardaire Paul Singer, qui s’est engagé derrière le sénateur de Floride Marco Rubio, est en passe de connaître pareille mésaventure. « Un système corrompu » Ce climat d’incertitude incite d’importants contributeurs conservateurs, les frères Charles et David Koch, à retarder leur engagement derrière un candidat. Ils avaient annoncé en 2015 vouloir consacrer la somme astronomique de 889 millions de dollars à la campagne présidentielle. Inefficaces, les super-PAC sont également la cible d’une offensive venue de candidats aussi opposés que l’on puisse l’imaginer : le magnat de l’immobilier républicain Donald Trump et le sénateur indépendant Bernie Sanders, candidat à l’investiture démocrate. Le premier s’appuie sur son expérience personnelle de contributeur (il a versé de fortes sommes dans sa carrière à des candidats démocrates puis républicains) pour dénoncer la sujétion des candidats à leurs donateurs. Le second, qui stigmatise Mme Clinton pour les 675 000 dollars acceptés de la part de la banque d’affaires Goldman Sachs pour trois conférences, ne cesse de dénoncer « un système corrompu » et plaide pour un financement public des campagnes. Milliardaire, M. Trump autofinance à 70 % sa campagne, selon Trump et Cruz distancent Rubio Ted Cruz, dauphin du magnat de l’immobilier Donald Trump dans la course à l’investiture républicaine pour la présidentielle de novembre, a remporté, samedi 5 mars, les caucus du Kansas et du Maine, tandis que l’homme d’affaires new-yorkais s’imposait en Louisiane et dans le Kentucky. Dimanche, le sénateur de Floride, largement distancé, a gagné la primaire de Porto Rico. Dans le camp démocrate, la favorite, Hillary Clinton, l’a emporté samedi en Louisiane, mais Bernie Sanders, son unique adversaire, résiste avec ses victoires dans le Kansas et le Nebraska, samedi et dans le Maine, dimanche. L'HISTOIRE DU JOUR Du rififi chez les yakuzas L a situation dégénère entre les malfrats nippons. Vendredi 4 mars, la police a arrêté Hidenobu Naruse, « boss » du Naruse Gumi, un gang basé à Hokkaido (nord), pour avoir ordonné de précipiter une voiture bélier sur le domicile du chef d’un groupe rival. Le 29 février, des cocktails Molotov enflammaient le siège du Takada Gumi, un gang de Toyama (centre du Japon). Au même moment, des coups de feu étaient échangés à Tokyo et dans le département de Fukui (centre). La multiplication des accrochages découle de la scission du Yamaguchi Gumi, le clan le plus puissant de la pègre nippone avec 23 400 membres avant la séparation. En août 2015, une partie de ses troupes a fait sécession et a créé une structure rivale appelée Kobé-Yamaguchi. La rupture traduit un mécontentement de la gestion du « boss » Shinobu Tuskasa, qui, pour les sécessionnistes, tendait à accorder trop de pouvoir aux membres de sa faction, la VÉRITABLE BATAILLE très riche Kodo Kai, tirant notamRANGÉE DANS LE ment ses ressources de sa mainmise les activités du port de Kobé QUARTIER CHAUD DE sur (ouest). Depuis, la tension monte enKABUKICHO, À TOKYO tre les deux groupes et entre leurs affiliés. Le Naruse Gumi est proche du Yamaguchi Gumi. Le Takada Gumi l’est du Kobé-Yamaguchi Gumi. Elle pourrait déboucher sur un conflit généralisé. Le 15 février, le quartier chaud de Kabukicho, à Tokyo, était le théâtre d’une véritable bataille rangée entre wakaishu – « les petits soldats » – des deux camps, faisant plusieurs blessés, dont des policiers intervenus pour ramener le calme. Or, le Kabukicho est la chasse gardée de la Sumiyoshi Kai, le puissant gang de la capitale. En janvier, dans ce même quartier, il avait réussi à empêcher un affrontement entre les deux émanations du Yamaguchi Gumi. Pour la police, la situation actuelle est un bon moyen d’accentuer sa lutte contre le crime organisé. Entre septembre 2015 et février, elle a procédé à 210 arrestations. Ce qui devrait accentuer le déclin des adhésions aux gangs nippons. Le nombre de yakuzas a baissé de 12 % en 2015 par rapport à 2014, pour s’établir à 46 900. p philippe mesmer (tokyo, correspondance) FONDS LEVÉS, EN MILLIONS DE DOLLARS, AU 24 FÉVRIER Par le comité de campagne Par les super-PAC TRUMP Républicains Démocrates KASICH CRUZ RUBIO CARSON* BUSH* CLINTON SANDERS 0 * Candidature retirée 50 100 150 200 SOURCES : CENTER FOR RESPONSIVE POLITICS 2016 / LE MONDE les chiffres publiés au 31 janvier par la Commission électorale fédérale. Son habileté à utiliser les médias en multipliant les controverses lui permet, par ailleurs, de dominer la course à l’investiture républicaine avec un budget modeste, inférieur à 30 millions de dollars (dont 25 ont d’ores et déjà été dépensés) au 31 janvier, selon la même source. M. Sanders, qui se flatte de n’avoir l’appui d’aucun super-PAC, dispose d’un trésor de guerre trois fois plus élevé (96 millions de dol- lars, dont 81 millions ont déjà été dépensés). Il bénéficie d’une vague de contributions individuelles directes qui lui a permis de collecter des sommes jamais atteintes. Ecrasant les records du démocrate Barack Obama en 2008 et en 2012, M. Sanders va dépasser ces jours-ci les 5 millions de dons, provenant de 1,5 million de supporteurs. Grande marge de manœuvre Son statut d’outsider face à Mme Clinton ne décourage pas ses partisans. Selon les chiffres de la Commission électorale fédérale, 77 % de ces contributions sont inférieures à 200 dollars. Le chiffre que ne cesse de répéter M. Sanders est la moyenne de 27 dollars par contribution. Elle lui donne une marge de manœuvre considérable puisque les dons de campagne sont plafonnés pour les individus à 2 700 dollars. Militant infatigable d’une réforme du financement de la vie politique américaine, Lawrence Lessig, qui enseigne à l’école de droit de Harvard, se félicite des coups de boutoir portés par M. Sanders et M. Trump contre un système qu’il juge dangereux pour la démocratie américaine. « Sanders évoque le financement public et c’est une bonne chose, alors que Trump dénonce sans rien proposer à la place », note-t-il. Pour autant, le professeur de Harvard, candidat éphémère à l’investiture démocrate, en 2015, pour attirer l’attention de l’opinion américaine sur la question des financements politiques, ne se fait guère d’illusions. « Pour obtenir une véritable réforme, il faut impérativement que cela passe par le Congrès, mais en l’état, il n’y a malheureusement rien à attendre de ce côté », regrette-t-il. M. Lessig redoute par ailleurs que les superPAC ne retrouvent leur puissance cet automne, lorsqu’il s’agira de départager les deux candidats investis par leurs partis respectifs. p gilles paris 8 | planète 0123 MARDI 8 MARS 2016 Bataille sur l’avenir du glyphosate en Europe La volonté de la Commission européenne de renouveler l’autorisation de l’herbicide se heurte à une forte opposition V otera, votera pas ? La Commission européenne espérait expédier l’affaire sans fracas et faire adopter par les Etats membres, au cours de la réunion du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale, prévue lundi 7 et mardi 8 mars, un renouvellement de l’autorisation du glyphosate, celle-ci expirant fin juin en Europe. Dans un projet de décision, dont Le Monde a obtenu copie, Bruxelles prévoyait une remise en selle de ce désherbant – principe actif du célèbre Roundup de Monsanto – jusqu’en 2031. Mais la semaine écoulée a vu la polémique s’intensifier sur la dangerosité de cette substance, la plus utilisée au monde, et contrarier les projets de Bruxelles. Au point que nul ne semble savoir si la réunion des 7 et 8 mars scellera, ou non, l’avenir de l’herbicide. « Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura discussion sur le glyphosate [les 7 et 8 mars en comité], dit un porteparole de l’exécutif européen. Mais nous ne sommes pas sûrs que le vote se tiendra. » La Commission s’appuie sur l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Celle-ci, dans un avis rendu le 12 novembre 2015, estime « improbable » que le glyphosate soit cancérogène pour l’homme. Les demandes d’interdiction du produit reposent, elles, sur un autre avis, diamétralement opposé, rendu en mars 2015 par le Centre inter- national de recherche sur le cancer (CIRC) – l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour le CIRC, le glyphosate est un « cancérogène probable pour l’homme », mutagène (toxique pour l’ADN) et cancérogène pour l’animal. Mobilisation de la société civile Devant ce désaccord, ce sont d’abord des députés européens qui ont demandé le report de la décision. A Strasbourg, quatre groupes parlementaires de gauche ont écrit, le 3 mars, au commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis, lui demandant de « reporter toute décision, au moins jusqu’à ce que le Parlement européen prenne une position formelle sur le sujet », après « un examen approfondi » du dossier. Le lendemain, la ministre française de l’environnement, Ségolène Royal, surprenait tous les observateurs en annonçant que la France s’opposerait à la proposition de Bruxelles. « La déci- « La décision proposée est une autorisation pour quinze ans. La France s’alignera sur la Suède pour dire non » SÉGOLÈNE ROYAL ministre de l’environnement sion proposée est une nouvelle autorisation pour quinze ans, dit Mme Royal au Monde. La France s’alignera sur la Suède pour dire non. » Les Pays-Bas ont de leur côté annoncé que si le vote était maintenu les 7 et 8 mars, ils voteraient contre le renouvellement. Ces réticences font suite à une intense mobilisation de la société civile. Des pétitions lancées par les organisations non gouvernementales (ONG) Avaaz et Greenpeace, demandant l’interdiction du glyphosate, ont rassemblé plus d’un million et demi de signatures. En France, des associations traditionnellement peu engagées dans la lutte pour la protection de l’environnement, comme la Ligue contre le cancer, ont également appelé à la fin du glyphosate. D’autres ONG européennes – les Amis de la Terre, Générations futures, Pesticide Action Network, etc. – ont annoncé le 3 mars le dépôt d’une plainte devant un tribunal viennois contre l’EFSA et la vingtaine d’industriels commercialisant des pesticides contenant du glyphosate pour « fraude réglementaire » et détournement des procédures en vigueur pour l’évaluation du risque. La discorde entre l’EFSA et le CIRC a conduit de nombreux scientifiques à examiner le dossier en détail. Pour une part, les divergences s’expliquent par les méthodologies des deux organismes. L’EFSA a pris en compte les études réalisées par les industriels euxmêmes, et tenues confidentielles. Au contraire, le CIRC n’a tenu /**!. 2 #$,"1"$&%(!' ")3&%"1$,&' !, 0+%(,$.1'-! D Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) invite les étudiants en journalisme, dans le cadre d’un concours qu’il organise en partenariat avec Le Monde, à écrire un article sur le thème de : Autriche : De jeunes réfugiés syriens se penchent à la fenêtre de leur nouvelle maison dans une petite ville. © UNHCR/Mark Henley '#+ 0/*(#)*% (/2+20+ . ,#!),$+ &,/2+3+ +*, 1-)&&*#21 $# ,3"*!23+ Le lauréat se verra offrir la possibilité de se rendre sur le terrain pour découvrir l’une des missions du HCR. Son article sera publié dans Le Monde. La date limite d’inscription à ce concours est ixée au 1er avril 2016. La date limite de dépôt, par voie électronique, des articles est ixée au 4 juin 2016 (minuit). Les articles seront jugés en fonction de la pertinence de l’histoire et du style, de l’objectivité, de la perspicacité ainsi que de la précision des termes employés dans la rédaction ainsi qu’à travers une approche originale de cette thématique. ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ LES RÈGLES DE PARTICIPATION : ■ Le ou la candidat(e) doit être âgé(e) de 18 ans et plus;il/ elle doit étudier le journalisme dans une université, une école ou un institut français en France, reconnu par la commission de la carte des journalistes. ■ Il/elle doit être en dernière année d’études dans son établissement. ■ Les salariés, contractuels ou personnes directement ou professionnellement liés à des employés du HCR ou du journal Le Monde ne peuvent pas participer à ce concours. ■ Le ou la candidat(e) doit présenter un seul article. ■ Son article doit avoir pour thème Mes nouveaux voisins: regards croisés sur l’accueil de réfugiés. ■ Il ne doit pas excéder 5500 signes et doit être soumis au jury uniquement par voie électronique aux adresses suivantes:[email protected] ou [email protected]. La date limite de réception des articles est ixée au 4 juin 2016 minuit. Chaque article précisera le nom, l’adresse, le téléphone et l’adresse courriel de l’auteur(e). Tous les articles devront être exclusivement réalisés par des étudiant(e)s et ne pas être des plagiats. Un plagiat entraînera une disqualiication immédiate. Les copyrights de tous les articles demeureront l’entière propriété de leurs auteur(e)s. En présentant un article à ce concours, les participant(e)s autorisent le journal Le Monde à en reproduire tout ou partie, y compris dans les publications de son groupe de presse. Le Monde et le HCR n’accepteront pas les articles arrivés au-delà de la date précisée ci-dessus. La sélection sera faite à la fois par des journalistes du quotidien Le Monde et par des représentants du HCR en France. La décision sera rendue au plus tard le 15 juin 2016 et le ou la lauréat(e) sera contacté(e) sitôt connu le résultat. La décision du jury sera sans appel. Le ou la lauréat(e) pourra se voir solliciter pour participer à une campagne publicitaire de ce concours (photos, interview…). Un séjour d’une semaine sur le terrain dans le cadre d’une mission du HCR et au sein de ses équipes sera offert au ou à la lauréat(e). Il devra être organisé (en fonction de la situation sur le terrain) avant la in de l’année pendant laquelle s’est déroulé le concours. Le ou la lauréat(e) devra être apte à voyager dans des pays particulièrement sensibles en termes, notamment, de sécurité, de situation humanitaire et sanitaire. Il ou elle doit maîtriser l’anglais (lu, écrit, parlé). Les formalités de voyage telles que visa et vaccinations et autres plus spéciiques, en fonction du pays retenu, restent à la charge du ou de la lauréat(e). Les dates de la mission seront discutées avec le ou la lauréat(e) en fonction de sa scolarité et de ses examens. La participation au concours implique l’acceptation des règles énoncées ci-dessus, au moment de l’inscription, qui se fera par courriel, au plus tard le 1er avril 2016, auprès des responsables désignés ci-dessous. Tout manquement entraînera une élimination d’ofice. Tout dossier arrivé incomplet sera automatiquement éliminé. LE DOSSIER DE PARTICIPATION COMPRENDRA IMPERATIVEMENT, POUR ÊTRE RETENU : ■ Le nom et l’adresse de l’école ou de l’institut d’inscription du ou de la candidat(e). ■ Une iche signée par les responsables de l’école ou de l’institut conirmant l’inscription du ou de la candidat(e). ■ Le nom et l’adresse personnelle du ou de la candidat(e). ■ L’article de 5 500 signes rédigé exclusivement par le ou la candidat(e). ■ Une cession des droits, à titre gracieux, pour une première publication de l’article dans Le Monde, dans l’hypothèse où il serait primé. ■ Le nom du pays où le ou la candidat(e) souhaiterait partir en mission avec le HCR dans l’hypothèse où il/elle gagnerait le concours. Ce choix sera accompagné d’une explication d’un maximum de 10 lignes (600 signes). ■ Il n’y aura qu’un(e) seul(e) lauréat(e). Enjeux économiques De leur côté, les industriels assurent que le glyphosate est sûr et qu’il est, dans tous les cas, moins problématique que les autres herbicides disponibles. Les enjeux économiques sont en outre considérables. Le glyphosate n’est pas seulement le principe LES DATES 2015 20 mars Le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l’Organisation mondiale de la santé, classe le glyphosate « cancérogène probable pour l’homme ». 12 novembre L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) estime « improbable » le potentiel cancérogène du glyphosate. 27 novembre Une centaine de scientifiques écrivent à la Commission européenne pour protester contre l’avis de l’EFSA. 2016 18 février Le médiateur européen dénonce le laxisme de Bruxelles dans les autorisations de mise sur le marché des pesticides. 7 et 8 mars Réunion du Comité permanent de la chaîne alimentaire et des denrées animales, avec le glyphosate à l’ordre du jour stéphane foucart La capitale organise, du 7 au 18 mars, une vaste simulation de gestion d’une inondation identique à celle de 1910 HCR-LE MONDE ■ compte que des études sur le sujet – environ un millier – publiées dans la littérature scientifique. Mais pour certains, la différence des corpus évalués par le CIRC et l’EFSA n’explique pas tout. Conduits par Christopher Portier, conseiller du CIRC, ancien directeur du National Center for Environmental Health américain et l’un des papes de la cancérogenèse, une centaine de toxicologues, d’épidémiologistes et de biologistes ont écrit fin novembre 2015 au commissaire européen à la santé, estimant l’avis de l’EFSA « trompeur », fondé sur une démarche « scientifiquement inacceptable ». Une virulence rare dans l’entre-soi des experts – réitérée dans un article publié le 3 mars par le Journal of Epidemiology and Community Health. actif du Roundup : selon les données colligées par l’OMS, il entre dans la composition de plus de 750 produits phytosanitaires, commercialisés par environ 90 fabricants répartis dans une vingtaine de pays. De plus, il est la pierre angulaire de la stratégie de développement des biotechnologies, la grande majorité des plantes transgéniques étant modifiées pour le tolérer et rendre ainsi plus simple son épandage. Ces dernières années, l’adoption rapide des cultures OGM dites « Roundup Ready » (résistantes au Roundup) et apparentées a tiré vers le haut la production mondiale de glyphosate : de 600 000 tonnes en 2008, elle atteignait 720 000 tonnes en 2012. Au-delà d’une controverse sur la dangerosité d’un pesticide, l’affaire cristallise la crise de confiance actuelle dans le système européen d’évaluation et de gestion des risques sanitaires et environnementaux. La Commission a ainsi été condamnée le 16 décembre 2015 par le Tribunal de l’Union européenne pour son inaction sur le dossier des perturbateurs endocriniens. Deux mois plus tard, le médiateur européen, dans une décision sévère, fustigeait le laxisme bruxellois en matière d’autorisation des pesticides. Mme Royal et M. Andriukaitis en ont d’ailleurs convenu lors d’une récente entrevue : il faut changer les règles de fonctionnement du système. p Paris se prépare à la « crue du siècle » CONCOURS ■ Le glyphosate entre dans la composition de plus de 750 produits phytosanitaires CONTACT HCR 36451% "'!25,, 162/%$5,269% )!,2"=% &% 9(:7#628,/;67 5.*9;3.% /)&2) (0+2,)$ '006);=% )!,2"=% &% 9, )688.7;),/;67 %/ &% 9(;7#628,/;67 )67)6.20!)2$9%867&%+.7!)2462" CONTACT LE MONDE 3!.5-,51% *)#%, -%)2=/,;2% "=7=2,9 &% 9, 2=&,)/;67 )67)6.20!)2$9%867&%+9%867&%4#2 ans les prochaines heures, la hauteur de la Seine au pont d’Austerlitz, à Paris, est susceptible de passer audelà de 7,2 m. Circulation normale sur les réseaux TER, mais trafic interrompu sur la ligne C du RER et fortement perturbé sur les lignes A et B. Nombreux tronçons routiers et ponts impraticables ou inaccessibles en Essonne, en Seine-et-Marne et en Seine-SaintDenis. Hôpitaux de Créteil et de Villeneuve-Saint-Georges (Valde-Marne) privés d’électricité. Centre d’incinération d’Issy-lesMoulineaux (Hauts-de-Seine) hors d’usage, les collectes de déchets ménagers doivent être détournées… A la Préfecture de police de Paris, dans les communes bordant la Seine et la Marne, chez les opérateurs téléphoniques, dans les hôpitaux… partout, depuis ce lundi 7 mars, au rythme des bulletins de situation diffusés au fil de la montée des eaux, l’effervescence s’accroît pour limiter les dégâts, maintenir l’activité des services vitaux et organiser la protection des Franciliens. C’est au scénario catastrophe d’une crue centennale identique ou supérieure à la grande crue de 1910 que Paris se prépare. Du 7 au 18 mars, avec le soutien de l’Union européenne, la Préfecture de police organise un exercice grandeur nature de gestion de crise, baptisé « EU Sequana 2016 ». Une opération hors norme à laquelle prendront part 87 institutions et entreprises (Assistance publique-Hôpitaux de Paris, EDF, RATP, SNCF, Orange, Veolia…), mais aussi six communes, l’ensemble des ministères et l’armée. Elle mobilisera dans cinq départements 150 policiers et 900 sauveteurs, dont certains viendront La crue centennale affectera près de 5 millions d’habitants d’Ile-de-France d’Italie, d’Espagne, de Belgique et de République tchèque. Certes, il ne s’agit que de simulation, pour l’instant. Aujourd’hui, si la population ne veut y croire, le scénario d’une crue centennale de la Seine se reproduira, c’est une certitude. Une telle crue affectera directement ou indirectement près de 5 millions d’habitants d’Ile-de-France, dont 500 000 à évacuer, et pourrait causer, selon un diagnostic publié au début de 2014 par l’Organisation de coopération et de développement économiques, jusqu’à 30 milliards d’euros de dommages directs. La seule incertitude : quand cela arrivera-t-il ? Beaucoup d’imprévus « Hors attentat, le risque d’inondation constitue le premier risque majeur susceptible d’affecter l’Ilede-France. Car il concerne tous les réseaux structurants : eau, transports, santé, énergie, téléphone, électricité… », rappelle-t-on au secrétariat général de la zone de défense de la Préfecture de police, qui tient à préciser que les scénarios de l’exercice, pour bluffant de réalisme qu’ils soient, ne sont que des hypothèses de travail. Il n’est pas possible, en effet, de tout anticiper et planifier, un tel événement naturel comportant beaucoup d’imprévus. La simulation consistera essentiellement en un exercice sur table, l’ensemble des acteurs com- muniquant entre eux via un logiciel partagé de gestion de crise. Le scénario de l’exercice, qui rythmera l’activité des différentes cellules de crise, a néanmoins été élaboré à partir de faits réels et suivra une montée des eaux de la Seine, de la Marne et de l’Yonne, au rythme de 50 centimètres puis 1 mètre par jour, pour atteindre un territoire de 500 km2 sous les eaux. Ce faisant, des opérations concrètes de terrain (opération de dépollution, évacuation d’une maison de retraite, sauvetage d’une péniche…) sont aussi prévues sur différents sites en Ile-deFrance au cours du week-end des 12 et 13 mars, au moment du pic de crue théorique. « L’objectif majeur de Sequana est de tester la capacité de réaction des différents opérateurs, et surtout à se coordonner, explique le préfet de police, Michel Cadot. Car si la plupart ont conçu un plan de continuité d’activité en cas de crue, l’interdépendance de tous ces plans n’a jamais été travaillée. Cette capacité sera éprouvée en phase de crue comme en phase de décrue, de retour à la normale. » L’exercice a aussi pour vocation de sensibiliser les populations au risque d’inondation. « L’objet n’est pas de créer de l’anxiété, précise Michel Cadot, mais de favoriser une prise de conscience du risque, d’inciter les habitants à prendre la mesure des conséquences d’une crue majeure et s’y préparer. » Au cours du week-end des 12 et 13 mars, le public pourra ainsi assister aux différentes manœuvres réelles. Et un site d’information sera aménagé sur le Champ-de-Mars, où un film en 3D de simulation d’inondation sera diffusé et des ateliers et des jeux permettront de tester sa vulnérabilité à la crue. p laetitia van eeckhout france | 9 0123 MARDI 8 MARS 2016 LES DATES LUNDI 7 MARS Manuel Valls, Myriam El Khomri et Emmanuel Macron reçoivent la CFTC, FO, la CGT, la CFDT et la CGPME. Les entretiens se poursuivent, mardi, avec la CFE-CGC et le Medef, et s’achèvent, mercredi, avec l’UNSA et l’UPA. Le PS réunit son bureau national au cours duquel Mme El Khomri sera interrogée sur l’avant-projet de loi réformant le droit du travail. MARDI 8 MARS Un séminaire se tient à l’Assemblée sur l’avant-projet de loi en présence du premier ministre. MERCREDI 9 MARS Des organisations étudiantes et lycéennes (UNEF, UNL, FIDL) se mobilisent contre le texte. La CGT, FO, la FSU, Solidaires soutiennent l’initiative. Des arrêts de travail sont annoncés à la SNCF et à la RATP – pour des motifs internes. SAMEDI 12 MARS Les syndicats dits « réformistes » (CFDT, CFE-CGC, CFTC) appellent à des rassemblements. Emmanuel Macron, Myriam El Khomri et Manuel Valls, lors de la visite de l’usine Solvay, à Chalampé (Haut-Rhin), le 22 février. JEUDI 24 MARS Le projet de loi est présenté en conseil des ministres. LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE » L’autorité de Valls à l’épreuve de la loi travail Le gouvernement amorce lundi des discussions avec les partenaires sociaux avant la mobilisation du 9 mars C’ est une semaine à hauts risques qui débute pour le gouvernement. Alors que plusieurs syndicats et des organisations de jeunes se mobilisent, mercredi 9 mars, contre la réforme du droit du travail, Manuel Valls tente de désamorcer la colère qui monte, y compris au sein de sa propre majorité, à l’égard d’un avant-projet de loi jugé beaucoup plus favorable aux employeurs qu’aux salariés. Derrière cette réforme se jouent aussi la fin du quinquennat et l’avenir politique du couple exécutif, entre un François Hollande contraint à l’équilibre pour ne pas hypothéquer ses chances en 2017 et un Manuel Valls décidé à faire le moins de concessions possibles s’il veut sauver son image de réformateur. Depuis plusieurs semaines, le premier ministre, en privé, ne cesse de pousser le chef de l’Etat à affirmer davantage sa volonté d’agir, comme il l’a notamment fait le 26 février, lors d’un dîner informel en présence d’une dizaine de ministres. A partir de lundi et jusqu’à mercredi, M. Valls, flanqué de la ministre de l’emploi, Myriam El Khomri, et du ministre de l’économie, Emmanuel Macron, va donc recevoir, une à une, les organisations syndicales et patronales. Ces entretiens visent à recueillir les remarques des partenaires sociaux sur le texte avant sa présentation en conseil des ministres, le 24 mars. La marge de négociation apparaît cependant très étroite. Dans le Journal du dimanche (JDD) du 6 mars, M. Valls a déclaré être prêt « à corriger, là où c’est nécessaire, le texte ». Mais son geste d’ouverture est très en deçà des attentes des organisations dites « réformistes » (CFDT, CFE-CGC, CFTC). Sur le barème obligatoire des indemnités prud’homales, le chef du gouvernement a indiqué que « des adaptations peuvent être possibles », sous-entendant par là que des plafonds de dédommagements pourraient être relevés ; cependant, il a souligné qu’il était hors de question de « remettre en cause » le dis- positif. Or l’intersyndicale, elle, réclame son retrait. Quant aux mesures inscrites dans l’avant-projet de loi sur le licenciement économique, il a parlé « d’améliorations » sans plus de précisions. Dernier point évoqué dans l’interview au JDD sur lequel des avancées sont envisagées : le compte personnel d’activité (CPA), que « nous voulons renforcer (…), particulièrement pour les jeunes », a confié M. Valls. A ce sujet, les syndicats « réformistes » aimeraient l’inclusion d’un « compte temps » dans le CPA, mais l’exécutif, de son côté, semble privilégier d’autres pistes – notamment celles consistant à accorder des heures de formation supplémentaires, selon une source au cœur du dossier. Le premier ministre fait mine d’adoucir son message. Reste que, sur le fond, il entrouvre peu d’espace de négociations. « Ce qui serait terrible, c’est le statu quo. (…) Je ne donnerai pas une seule seconde à l’immobilisme », a-t-il prévenu, rappelant que « réformer la France est vital ». Faire retomber la pression Pas sûr que sa position concourt à apaiser les esprits. « J’invite fortement le gouvernement à répondre à nos revendications, sinon il y aura une mobilisation de la CFDT », a mis en garde le secrétaire général de la centrale cédétiste, Laurent Berger, lundi sur Europe 1. Présidente de la CFE-CGC, Carole Couvert juge « positif » que M. Valls manifeste son intention de lâcher du lest, mais « ce qu’il propose d’amender n’est pas suffisant par rapport à ce que nous portons ». Joseph Thouvenel, viceprésident de la CFTC, avoue être dans l’expectative : « Je ne sais pas ce qui va être annoncé sur les indemnités prud’homales et les licenciements économiques. » Le premier ministre va devoir aussi s’employer pour faire retomber la pression exercée par de larges fractions du PS – bien au-delà du petit cercle des « frondeurs ». Mardi, un « séminaire » consacré à la réforme du droit du travail a lieu à l’Assemblée nationale, à l’initiative des députés PS – et en particulier de Christophe Sirugue (Saôneet-Loire). Celui-ci est pressenti pour être rapporteur du projet de loi, lors de son examen au PalaisBourbon. Mais l’intéressé, pour l’heure, refuse de jouer ce rôle si le texte demeure en l’état. « J’ai fait part des points sur lesquels je souhaite une évolution », confie-t-il. Parmi eux, le « plafonnement » des dédommagements versés par les prud’hommes et « l’assouplissement » des règles sur les licenciements économiques. Mais aussi la question du forfait jours qu’un patron d’une entreprise de moins de 50 personnes pourrait proposer à ses salariés, même en l’absence d’accord collectif. « J’ai besoin d’y voir clair », complète M. Sirugue. « Beaucoup de collègues de la majorité, y compris parmi les plus légi- « Beaucoup dans la majorité, y compris parmi les plus légitimistes, sont excédés par ce texte » CATHERINE LEMORTON députée (PS, Haute-Garonne) timistes, sont excédés par ce texte », enchaîne Catherine Lemorton, présidente (PS, Haute-Garonne) de la commission des affaires sociales. Même si le gouvernement parvenait à obtenir l’adhésion de la CFDT, « cela pourrait ne pas suffire à emporter celle des députés socialistes », estime-t-elle. Dans ce contexte, la journée d’ac- tion prévue mercredi pourrait être déterminante pour la suite. Plusieurs sources dans l’exécutif avouent ne pas savoir réellement quelle sera l’ampleur de la mobilisation. Depuis le début de son quinquennat, le spectre d’un mouvement social constitue l’inquiétude majeure du chef de l’Etat. A presque un an de la présidentielle, son effet n’en serait que plus dévastateur pour lui et pour le PS dans son ensemble. « Le front syndical n’est pas totalement uni. Côté étudiants, l’UNEF n’est plus aussi puissante qu’avant, mais il faut toujours faire attention. Si la musique libérale autour de la loi ne s’éteint pas rapidement, cela peut être un catalyseur important pour mobiliser dans la population », s’inquiète un proche de M. Hollande. Au ministère du travail, on se lamente sur « la communication du gouvernement [qui] a été catastrophique ». En cause, la menace d’emblée agitée d’un possible recours au 49-3 en cas de blocage de la majorité socialiste, et la mise en avant des points les plus sociauxlibéraux du texte. « Le gouvernement a braqué les syndicats, CFDT en tête, et avec le 49-3, il a avoué que son texte n’était pas très propre au regard de la gauche », n’en revient pas un poids lourd socialiste. « On aurait dû faire cette loi plus tôt pour qu’elle ait des résultats vraiment efficaces en termes d’emplois dans le quinquennat, regrette un ministre proche de M. Hollande. Faire ça en 2016, un an avant 2017, ce n’est vraiment pas idéal. » p bertrand bissuel et bastien bonnefous Lire notre dossier dans le cahier Eco & Entreprise, pages 6-7 Entre Hollande, Macron et Valls, une guerre d’influence larvée derrière la « loi travail » se cache un subtil jeu politique au cœur de l’exécutif. C’est un des problèmes, parmi d’autres, du futur projet de loi sur la réforme du travail : ce texte, en plus de provoquer de multiples résistances en s’attaquant à la refonte du code du travail, dissimule également une lutte à trois, entre le président de la République, le premier ministre et le ministre de l’économie. Le tout sous l’œil de la ministre du travail, réduite à compter les points. « On n’est pas seulement dans un débat technique sur l’évolution du marché du travail, on sent très bien qu’il y a des arrière-pensées politiques, des enjeux de pouvoir qui compliquent tout », résume un fin connaisseur des négociations sociales. Entre François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron, se jouent trois partitions différentes et, avec elles, la musique politique de la fin du quinquennat. Le projet de loi devait être, au départ, un texte équilibré, nourri par le rapport de Jean-Denis Combrexelle sur les conditions de la négociation sociale dans l’entreprise, et par les travaux de la commission Badinter sur les grands principes fondateurs du droit du travail. Mais il s’est transformé, dans la dernière ligne droite, en un texte en partie largement favorable aux revendica- tions du patronat. Selon nos informations, c’est le ministre de l’économie qui a fortement pesé pour y introduire l’article 30 bis sur les licenciements économiques. Une disposition qui donne satisfaction au Medef et aux autres organisations patronales. « Le 30 bis arrive à la dernière minute. Les syndicats étaient au courant de tout sauf de cet article », reconnaît-on au ministère du travail. Dans les négociations interministérielles, M. Macron a donc repris la main, en obtenant l’arbitrage de l’Elysée et de Matignon, quand Mme El Khomri et Michel Sapin, ministre des finances, étaient plus que mesurés. Mais ce changement ultime bouleverse la coloration de la future loi. Et remet en cause la stratégie politique qu’était en train de bâtir le chef de l’Etat pour 2017. « Séquence politicienne » En quelques semaines, le président de la République, qui avait envoyé un signal vers un rassemblement de la gauche avec le remaniement du 11 février, se trouve déporté à droite par une loi accusée d’accointance libérale. Un climat renforcé par M. Valls et sa menace un temps agitée de recourir à l’article 49-3 de la Constitution en cas d’absence de majorité pour voter le texte. Le premier ministre tente de profiter du moment pour se présenter comme un dirigeant prêt à affronter sa majorité comme les partenaires sociaux, pour réformer le marché du travail, comme l’ont fait Tony Blair au RoyaumeUni, Gerhard Schröder en Allemagne ou Matteo Renzi en Italie. « La loi El Khomri tombe très bien après le remaniement : à une séquence politicienne succède une séquence politique », explique l’entourage de M. Valls. Dans le Journal du dimanche du 6 mars, M. Valls a répété sa « loyauté » à M. Hollande et juré que « jamais [il n’a] fait et [il ne] ferai[t] de chantage à la démission ». Mais la question se pose toujours alors que l’exécutif s’apprête à rediscuter avec les syndicats, sous la menace d’un possible mouvement social. Soit M. Valls fait passer la loi sans trop écouter les partenaires sociaux ni les parlementaires, et il double M. Macron sur le terrain du meilleur réformiste, au risque d’un clash avec le chef de l’Etat. Soit il l’amende et recule sous la pression de la rue, et joue une partie de son avenir politique. « Hollande a besoin d’être le président du juste équilibre en 2017. La loi El Khomri va donc être jusqu’au bout un jeu de piste entre ceux qui veulent aller très loin, Valls en tête, et les autres. Le président, comme d’habitude, sera à l’hémistiche », prédit un de ses proches. p b. bo. 10 | france 0123 MARDI 8 MARS 2016 « NKM », une solitaire dans la primaire Malgré un mince réseau de soutiens, la députée LR de l’Essonne doit officialiser, mardi, sa candidature M on principal défaut ? Je suis chiante ! », dit-elle en plaisantant au volant de sa voiture, en fonçant à toute allure vers Fontainebleau (Seine-etMarne) où elle doit visiter une start-up et tenir une réunion publique. Nicolas Sarkozy, qui l’a évincée de la direction du parti Les Républicains en décembre 2015, en raison de ses prises de position trop souvent divergentes, ne dit pas le contraire : « C’est une tête de mule », peste-t-il en privé. Nathalie Kosciusko-Morizet, elle, assume. Et tente de faire de son caractère son atout au moment de se lancer, à son tour, dans la course à l’Elysée. La députée de l’Essonne, qui rêve d’être la première femme présidente de la République, doit annoncer sa candidature à la primaire de la droite et du centre, mardi 8 mars, au « 20 heures » de TF1, avant d’avoir « un échange convivial » avec ses partisans, le soir même, dans un pub du 6e arrondissement de Paris. La date n’a pas été choisie au hasard : le 8 mars est la journée internationale des droits des femmes, et son livre, Nous avons changé de monde (Albin Michel, 256 p., 15 €), où elle justifie sa candidature, sort mercredi. Celle que Jacques Chirac appelait « l’emmerdeuse » revendique sa liberté. Minoritaire dans son parti, elle se présente comme la seule responsable de droite ayant le courage de tenir tête à l’ancien chef de l’Etat. A l’entendre, ce serait son principal atout face à ses rivaux : « Moi, je n’hésite pas à dire ce que je pense et je suis la seule à l’ouvrir contre Sarkozy », se félicite-t-elle, en rappelant son opposition au « ni-ni » lors des régionales ou à la déchéance de nationalité. A ses yeux, les autres candidats à la primaire ne seraient que des « hypocrites ». Dans son viseur : Bruno Le Maire, accusé de se laisser aller à « des revirements purement électoralistes », ainsi qu’Alain Juppé et François Fillon, à qui elle reproche de ne pas oser voter contre les options de M. Sarkozy en bureau politique « pour ne pas se retrouver minoritaires ». « Moi, je m’en fous d’être minoritaire à un I LE- D E- F RAN C E Valérie Pécresse annonce 120 millions d’économies La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse (LR), annonce une hausse de 4,6 % des investissements, soit 70 millions d’euros, notamment dans les transports, la sécurité et l’éducation. Dans un entretien au Figaro du 7 mars, elle indique que ce « budget de relance par l’investissement » s’accompagnera d’une baisse des dépenses de fonctionnement de 120 millions d’euros par el biais d’une « chasse aux gaspillages ». Mme Pécresse dit vouloir « suspendre les financements des associations n’ayant pas fourni de compte rendu d’activité » et « optimiser l’occupation des surfaces immobilières ». – (Reuters.) N OMI N AT I ON Jean-Louis Debré, président du Conseil supérieur des archives Jean-Louis Debré, qui vient de quitter le Conseil constitutionnel, a été nommé à la présidence du Conseil supérieur des archives, a annoncé samedi 5 mars le ministère de la culture. M. Debré, 71 ans, succède à l’historienne Georgette Elgey à la tête de cette institution chargée notamment de conseiller le ministre sur la politique « en matière d’archives publiques et privées ». « Moi, je m’en fous d’être minoritaire à un moment donné ! Cela ne signifie pas qu’on a tort sur le long terme » NATHALIE KOSCIUSKOMORIZET députée (LR, Essonne) moment donné ! Cela ne signifie pas qu’on a tort sur le long terme », lâche-t-elle, avant d’expliquer, dans une langue qui n’appartient qu’à elle, qu’elle est « en mode greffage de couilles » avec ses collègues qu’elle juge trop timorés… A 42 ans, NKM présente sa rupture avec l’ancien chef de l’Etat comme un élément fondateur. « Au moins, désormais, je suis libre et n’ai plus Sarkozy qui me dit : “Tu as de l’audience car tu es numéro deux du parti !” » Elle lui reproche d’être « devenu monobloc » et d’avoir voulu « épurer le parti, en virant tous ceux qui ne partagent pas sa droitisation ». « A un moment, cela bougera » Reste que son divorce avec le président de LR a renforcé son isolement en interne. Le manque de soutiens de cette solitaire, intimement persuadée de n’avoir besoin de personne et qui ne s’est jamais vraiment constitué de réseaux, reste son principal point faible. A part les conseillers de Paris MarieLaure Harel et Jean-Didier Berthault, NKM n’est entourée que par Jérôme Peyrat, son directeur de campagne, le maire de Palaiseau (Essonne), Grégoire de Lasteyrie, et une petite équipe de près de 25 personnes qui planchent sur son projet. Mais aucun parlementaire n’est estampillé « NKMiste ». Dans son parti, beaucoup doutent de sa capacité à réunir les parrainages nécessaires pour se présenter à la primaire (250 élus, dont au moins 20 parlementaires et 2 500 militants). « En apparence, c’est compliqué mais il y a un mo- Nathalie Kosciusko-Morizet, au congrès national des Républicains, à Paris, le 13 février. ALAIN GUILHOT/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » ment où cela bougera. C’est comme sur la déchéance de nationalité : au début, on était 5 contre, puis 20, puis 74 », se rassure celle qui n’avait pas été en mesure de recueillir les 7 924 parrainages d’adhérents requis pour briguer la présidence de l’UMP, fin 2012. Pour ne dépendre de personne, elle tente de séduire les élus non alignés, qui l’ont suivie dans sa croisade contre le projet de révision constitutionnelle. Son sort semble en réalité dépendre de M. Sarkozy, qui pourrait demander à des élus de la soutenir, afin qu’elle grappille des voix à Alain Juppé, au premier tour, chez les électeurs modérés. Pour l’instant, il ne paraît toutefois pas disposé à l’aider. « Ministre, secrétaire d’Etat, porte-parole… C’est moi qui l’ai faite ! Désormais, on va voir si elle est encore quelqu’un sans moi », a-t-il récemment fulminé devant un proche. A l’entendre, son ex-alliée n’aurait pas encore le niveau pour jouer dans la cour des grands : « Elle est un syndrome de la dérive de la primaire car ce système donne l’impression à tout le monde qu’il peut avoir un rôle central, une dimension nationale. » « Elle est sans filtre » Dans les différentes écuries, on n’imagine pas la primaire sans cette polytechnicienne, mère de deux enfants. « Son atout majeur, c’est qu’il faut une femme dans la primaire pour ne pas donner une image ringarde à cette élection », résume un député LR. Un argument porteur, selon M. Peyrat : « Quand je contacte les parlementaires, je ne leur demande pas de voter pour NKM à la primaire, mais de lui permettre d’y participer, car cela permettrait de faire vivre le débat. » En bonne ambitieuse, NKM juge nécessaire de figurer sur la ligne de départ de la primaire pour être au cœur du jeu en 2017 et prendre date pour l’avenir. Avec l’idée de s’implanter dans la cour des futurs présidentiables. Se plaçant dans le camp des « visionnaires » face aux « réactionnaires », l’ex-ministre de l’écologie présente ainsi sa différence : « Les autres sont restés dans la vision de l’homme providentiel et d’une société conservatrice. Pas moi », explique-t-elle, en exposant son projet libéral dans le domaine économique (fin des 35 heures, retraite à 65 ans, fin du statut généralisé de fonctionnaires et politique pro-entrepreneurs) et sociétal (pour le mariage pour tous et la PMA mais contre la GPA). Créditée en moyenne de 5 % des intentions de vote à la primaire, elle sait ne pas pouvoir l’emporter. Depuis l’échec de M. Sarkozy en 2012, elle a perdu du terrain par rapport à ses rivaux de sa généra- tion, en particulier M. Le Maire, qui a pris la tête des « quadras ». Sa défaite à Paris, en 2014, a interrompu sa trajectoire ascendante : dans son camp, nombre d’élus lui ont alors reproché son côté « cassant » et son « manque d’empathie ». « C’est une tueuse assumée, qui s’est imposée dans un monde d’hommes, observe Pierre-Yves Bournazel, élu LR au conseil de Paris. Elle n’a peur de rien ni de personne. Elle cultive la modération sur le terrain des idées mais veut toujours être dans la démonstration de force avec les autres. » En témoigne l’opposition qu’elle mène face à Anne Hidalgo au conseil de Paris. « Elle est sans filtre », admet son entourage. « Elle ne fait guère de concessions, concède le député LR Dominique Bussereau, mais c’est sa seule manière de survivre dans ce milieu hostile. » p alexandre lemarié Marc Lazar : « La faille qui traverse le PS est structurelle » Le directeur du Centre d’histoire de Sciences Po croit davantage à un affaiblissement durable qu’à une scission du PS ENTRETIEN D irecteur du Centre d’histoire de Sciences Po, Marc Lazar est spécialiste de la gauche socialiste et sociale-démocrate en Europe occidentale, en particulier en France et en Italie. Comment analysez-vous la situation du PS, à l’aune de la charge de Martine Aubry contre le gouvernement [Le Monde du 25 février] et des débats autour de la déchéance de nationalité et du projet de loi travail ? Il y a des éléments conjoncturels, personnels et tactiques dans la descente en flamme du gouvernement par Martine Aubry et ses camarades : une vieille rancœur à l’égard de Manuel Valls, une façon de prendre date pour l’avenir et de préparer une éventuelle prise de contrôle du parti en 2017. Mais n’y voir que cela serait une erreur. A mes yeux, jamais la fracture n’a été aussi profonde depuis 2005, lors du débat sur le traité constitutionnel européen, qui avait mis le parti au bord de la scission. N’est-ce pas une énième répétition d’une crise qui a toujours frappé le socialisme français confronté à l’épreuve du pou- voir, entre ceux qui gouvernent et ceux qui leur reprochent de trahir les idées qu’ils avaient défendues dans l’opposition ? L’historien est frappé par ces récurrences. Cette faille à l’intérieur du PS renvoie à quelque chose de profond et de structurel. Cela a commencé dès 1899, quand la famille socialiste, pas encore unifiée au sein d’un même parti, s’est déchirée sur le « cas » d’Alexandre Millerand, qui avait décidé de participer au gouvernement de défense républicaine de WaldeckRousseau. Sous le Front populaire, il s’est passé la même chose, avec une forte opposition interne conduite par Marceau Pivert contre la politique jugée trop modérée de Léon Blum. Lionel Jospin, entre 1997 et 2002, a dû faire face à la « fronde » de l’aile gauche du PS, autour d’Henri Emmanuelli et de Jean-Luc Mélenchon. Enfin, ironie de l’histoire, sous François Mitterrand, en 1991, une vigoureuse critique contre la politique jugée trop libérale du ministre des finances, Pierre Bérégovoy, avait été portée par François Hollande et Pierre Moscovici. C’est un peu le même scénario qui se répète. Avec toutefois une intensité plus forte sous la Ve République, car les expériences du pouvoir sont plus longues. « Il se passe en France le même phénomène qu’en Europe : un écartèlement de la famille socialedémocrate » En quoi la crise d’aujourd’hui est-elle singulière ? Elle l’est d’abord parce que le chef du gouvernement, Manuel Valls, n’a jamais été majoritaire au PS. Mitterrand ou Jospin, eux, l’étaient : ils avaient une légitimité dont ne dispose pas M. Valls, qui n’a réalisé que 5 % aux primaires de 2011. L’autre différence est que la politique menée aujourd’hui semble déséquilibrée. Quand Mitterrand se convertit à la « rigueur », c’est après avoir fait les 39 heures et la cinquième semaine de congés payés. Quand Jospin privatise, il y a en même temps les 35 heures. Aujourd’hui, selon les opposants au président de la République, la politique de l’offre dans laquelle il s’est engagé depuis janvier 2014 et l’annonce du pacte de responsabi- lité ne s’accompagnent que de peu de contreparties sociales. Comment qualifiez-vous cette politique ? Il se passe en France le même phénomène que dans le reste de l’Europe : un écartèlement de la famille social-démocrate en trois sous-ensembles de plus en plus inconciliables. Le premier regroupe ceux qui plaident encore pour une alternative au capitalisme : JeanLuc Mélenchon en France, Jeremy Corbyn (Parti travailliste) en Grande-Bretagne, Die Linke en Allemagne ou Gauche, écologie et liberté en Italie. Le deuxième se réfère à la tradition sociale-démocrate et essaie, sur une ligne de crête, de concilier adaptation au réel et réformes sociales : une tendance incarnée par Martine Aubry, Pier Luigi Bersani en Italie et, même si c’est un peu moins vrai aujourd’hui, Sigmar Gabriel en Allemagne. Enfin, il y a les héritiers de la « troisième voie », théorisée dans les années 1990 par Tony Blair et Gerhard Schröder, et dont les principaux représentants sont Matteo Renzi en Italie et, dans des perspectives différentes, Manuel Valls et Emmanuel Macron en France. Une de leurs priorités est la réforme du marché de l’emploi, en rupture s’il le faut avec la tradition sociale-démocrate afin de résoudre le cancer du chômage et avec l’idée de reconfigurer les alliances électorales en faisant route avec les centristes. Quel avenir voyez-vous au PS ? Je le vois s’affaiblir durablement. Ce parti, en plus de la profonde crise politique et idéologique qu’il traverse, doit faire face à une situation sociologique inédite, avec l’éradication d’une bonne partie de son vivier local au gré des défaites électorales et sa perte d’influence dans la fonction publique. En revanche, son éclatement, que certains envisagent, me semble une hypothèse risquée. Le mode de scrutin n’y incite pas et, en outre, les scissions de gauche dans le passé ont toutes échoué, qu’il s’agisse du Parti socialiste ouvrier et paysan de Pivert, à la fin des années 1930, des dissidences PSA et PSU, à l’époque de Guy Mollet, du Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement, en 1993, ou du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, en 2009. Je pense plutôt que ce qui se prépare est moins une fracture du PS qu’une lutte sans merci pour son leadership en 2017. p propos recueillis par thomas wieder france | 11 0123 MARDI 8 MARS 2016 Débat sur le droit des femmes battues à se défendre La députée Valérie Boyer déposera le 8 mars une proposition de loi instituant une atténuation de la responsabilité pénale suite de la première page La députée souhaite faire reconnaître l’existence d’un syndrome de la femme battue, également désigné sous le nom d’« emprise ». Une fois constaté par une expertise médicale, il entraînerait une irresponsabilité ou une atténuation de la responsabilité pénale. Un constat est aujourd’hui largement partagé : la situation concrète des femmes victimes de violences est aujourd’hui mal connue des personnes chargées de les accueillir (quand elles sont victimes), et de les juger si elles commettent à leur tour des violences. « On ne cesse de leur demander, comme à Jacqueline Sauvage : “Pourquoi n’êtes-vous pas partie, pourquoi n’avez-vous pas porté plainte ?”, relève Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans la prise en charge des victimes. Cela découle du traumatisme massif qu’elles subissent. Elles ont un sentiment d’irréalité et sont à la merci de leur agresseur. » C’est ce que les professionnels appellent l’« emprise ». « L’altération des compétences et du discernement des personnes dans cette situation doit être prise en compte », affirme Muriel Salmona. Valérie Boyer travaille depuis plus d’un an avec les avocates Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta, les conseils de Jacqueline Sauvage lors du procès en appel, qui avaient sans succès demandé l’acquittement en plaidant la légi- time défense. Elles militent aujourd’hui en faveur d’une modification de ce régime. « Nous avons un texte de loi mathématique, argumente Me Tomasini. La riposte doit avoir lieu en même temps que l’attaque et doit lui être proportionnée. Mais une femme battue pendant des années est en danger de mort permanent. » Jacqueline Sauvage et son avocate, devant la cour d’assises de Loir-et-Cher, à Blois, le 31 janvier. PHILIPPE RENAUD/EPA/MAXPPP L’exemple canadien L’avocate se réfère au code pénal canadien, qui établit une liste de « faits pertinents » devant être pris en compte : la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause, la nature et l’historique de leurs rapports, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force. Cependant, après avoir consulté divers avis, Valérie Boyer a préféré « prendre le temps de la réflexion » avant d’avancer sur ce terrain jugé à la fois trop vaste et trop sensible, et se concentrer sur l’altération du discernement des femmes battues. Emanant de l’opposition, sa proposition a peu de chances d’être adoptée. Mais son constat est assez proche de celui effectué par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, qui a publié un rapport et émis des recommandations le 17 février. « La légitime défense, c’est tout ou rien, affirme Catherine Coutelle, députée (PS) de la Vienne et présidente de la délégation. Si on l’accorde, la personne est déclarée ir- responsable. On ne peut pas envoyer comme message à ces femmes : “La société a échoué à vous protéger, nous vous autorisons à vous faire justice vous-mêmes.” » Les députés préparent en revanche des amendements afin d’introduire la notion d’« emprise » dans le code pénal – sans préciser, pour l’heure, leur teneur exacte. Ils seront déposés à l’occasion de l’examen du projet de loi sur la justice du XXIe siècle, qui devrait être examiné à l’Assemblée nationale en mai. « Le cas de Jacqueline Sau- « Le cas de Jacqueline Sauvage a interpellé tout le monde » MAUD OLIVIER députée (PS, Essonne) vage a interpellé tout le monde, insiste la députée (PS) de l’Essonne Maud Olivier. Il faut faire reconnaître le rôle de l’antériorité des violences subies par les femmes battues. » Les députés demandent également un état des lieux des condamnations prononcées contre les conjoints violents, détaillées en fonction de leur sexe, afin d’avoir une « vision précise de la jurisprudence ». Cependant, tout ne se joue pas dans le code pénal, rappelle la délégation aux droits des femmes, qui effectue un bilan en demiteinte de la politique de prévention des violences conjugales. « Le drame de l’affaire Jacqueline Sauvage, c’est aussi qu’elle n’a jamais trouvé la personne qui aurait pu la sortir de là », analyse Catherine Coutelle. L’affaire remonte à plusieurs décennies. Des progrès ont été effectués récemment, notamment avec la création, en 2010, de l’ordonnance de protection. Mais ce dispositif, qui interdit au con- LE CONTEXTE joint violent d’entrer en relation avec sa victime si elle apporte la preuve d’un danger, reste mal connu des magistrats. « Elle est destinée à permettre à une femme sous emprise, qui a très peur, de demander une protection avant la plainte, relève la délégation aux droits des femmes. Or, encore trop souvent, les magistrats exigent une plainte comme élément de vraisemblance du danger. » Le délai de délivrance est en outre de trente-sept jours, alors que le législateur avait envisagé soixante-douze heures lors de sa création. Des amendements seront également déposés pour modifier son déclenchement. L’importance de la formation de toutes les personnes en relation avec les femmes victimes de violences (policiers, gendarmes, médecins, magistrats…) est également jugée capitale. Mais, vu le nombre de personnes concernées, c’est un chantier de très longue haleine. p AFFAIRE SAUVAGE Jacqueline Sauvage, 68 ans, condamnée en appel à dix ans de prison, le 3 décembre 2015, pour avoir tué son mari violent de trois coups de fusil dans le dos en 2012, après quarante-sept ans d’enfer conjugal, a été graciée « partiellement » par François Hollande le 31 janvier. Elle pourrait ainsi être libérée dès la mi-avril. AFFAIRE DIMET Bernadette Dimet, 60 ans, jugée pour avoir tué son mari à coups de fusil en 2012 après des années de violences conjugales, a été condamnée le 5 février à seulement cinq ans de prison avec sursis et est ressortie libre du palais de justice. Le parquet n’a pas fait appel. gaëlle dupont Le CFCM veut ouvrir les institutions musulmanes aux femmes L’institution devait diffuser le 8 mars un texte affirmant l’égalité de l’homme et de la femme aux yeux de l’islam C’ est avec un groupe de femmes que le Conseil français du culte musulman (CFCM) a rédigé une déclaration à l’occasion du 8 mars et c’est en soi une petite révolution pour cette institution quasi-intégralement masculine. Le texte, qui devait être rendu public mardi 8 mars, affirme l’égalité de l’homme et de la femme aux yeux de l’islam. « Malheureusement, ajoute-t-il, dans de nombreux cas, ces principes d’égalité et d’équité ne sont pas respectés par des hommes qui continuent parfois à imposer leur point de vue. Il convient donc de continuer à mener un travail de pédagogie et d’éducation pour que les femmes musulmanes ne soient plus l’objet de discrimination ou de soumission. » Cette initiative est un premier petit pas dans un domaine où les institutions du culte musulman ont fort à faire. Les femmes sont notoirement absentes non seulement du CFCM, l’institution créée en 2003 à l’initiative de Nicolas Sarkozy pour représenter cette religion auprès des pouvoirs publics, mais aussi de la vie de l’immense majorité des lieux de cultes. Hanane Karimi en sait quelque chose. Il y a deux ans, cette doctorante en sociologie a créé un collectif intitulé « Les femmes dans la mosquée » pour protester contre la décision de la Grande mosquée de Paris d’interdire la salle principale aux femmes et de les expédier prier au sous-sol. Cette mosquée emblématique n’est pas la seule en cause. « Dans la majorité des mosquées de France, explique Hanane Karimi, les femmes ne sont pas les bienvenues. On les présente comme des facteurs de tentation, de fitna [division]. Ce discours n’est plus possible ! » « Les femmes dans la mosquée » reproche à ceux qui les dirigent d’importer des pays d’origine des migrations un « islam culturel » dont ne veulent pas les générations nées en France. « Ce sont eux qui ont les positions de pouvoir, affirme la jeune femme. Ce sont eux qui peuvent changer les choses. Si les grandes fédérations décidaient d’ouvrir un espace aux femmes dans la salle principale de leurs mosquées, ce serait un vrai progrès. » En attendant, elle rêve d’une mosquée pour femmes, comme il en existe dans d’autres pays. Le CFCM peu représentatif La place des femmes n’est qu’un des aspects de la distance qui existe entre les gestionnaires du culte et de nombreux Français musulmans. Mais ceux-ci, après une attitude quelque peu léthargique ces dernières années, ont été bousculés par « la situation critique après les attentats », selon la formule d’Anouar Kbibech, et la volonté du gouvernement de diversifier ses interlocuteurs musulmans à travers l’instance de dialogue, qui se réunira au ministère de l’intérieur pour la deuxième fois le 21 mars. Anouar Kbibech, qui préside pour deux ans le CFCM, est conscient de ce décalage. Bien qu’issu de la mécanique CFCM, ce diri- geant d’une fédération liée au Maroc, qui a succédé en juin 2015 à Dalil Boubakeur, d’origine algérienne, a lancé une opération visant à « ouvrir » cette institution aux femmes, donc, mais aussi aux jeunes et aux convertis. Trois groupes de travail ont commencé à se réunir. Ces publics apparaissent comme des alliés pour « améliorer l’image de l’islam dans les médias », selon son expression, mais ils tournent jusqu’ici souvent le dos à une institution qu’ils considèrent comme peu représentative du terrain et surtout proche de l’Etat. Pour Anouar Kbibech, « le but est qu’à terme, les jeunes et les femmes soient associés, de façon d’abord informelle, aux instances du CFCM », qui ne seront pas renouvelées avant 2019. Parmi les autres missions que le CFCM n’a jamais menées à bien, il en est une qu’Anouar Kbibech compte faire aboutir. C’est la mise au point d’une charte du hallal. « Il n’existe pas aujourd’hui de définition de ce qu’est le hallal », relèvet-il. Depuis une vingtaine d’années, trois grandes mosquées (Paris, Lyon, Evry) ont un pouvoir d’agrément des sacrificateurs. Mais cela ne suffit pas, loin s’en faut, à certifier la chaîne, de la production à la distribution. Le CFCM a engagé des discussions avec les acteurs de la filière et « espère signer un référentiel avant fin mars. » En ce qui concerne les imams, Anouar Kbibech voudrait aussi instituer « une recommandation par le CFCM » sur la base de trois critères : la formation théologi- que de l’imam ; sa formation au cadre juridique français ; et le fait qu’il signe une charte, en cours de rédaction, l’engageant à un islam « respectueux de la République ». Cette recommandation serait attribuée sur la base du volontariat. Un conseil théologique serait institué pour y participer. Enfin le CFCM compte bénéficier de la refondation de la Fondation des œuvres de l’islam de France. Initialement fondée en 2006 pour financer le Conseil, la construction de lieux de culte et la formation de cadres, elle s’est rapidement trouvée paralysée entre les différentes fédérations. Après les attentats de 2015, le gouvernement a confié à un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur, Christian Poncet, le soin de la relancer sur de nouvelles bases. Elle devrait être financée par des entreprises pour un budget espéré de 5 millions d’euros. p cécile chambraud Les prix de l’innovation Vous avez développé une innovation remarquable dans le domaine de l’habitat, de la mobilité, des technologies de la ville, de l’énergie ou de la démocratie participative ? Entreprises, collectivités, associations, particuliers... 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Sur les façades souvent miteuses du Ginger, du 5e Saëns, du Dark Side, du Brasilia ou du Sweet Lady, hier ouverts jusqu’à 6 heures du matin, les scellés ont été apposés. Les néons aux couleurs criardes ne clignotent plus et les dames court vêtues ont quitté leur tabouret haut, placé en vitrine, d’où elles apostrophaient les hommes passant rue Glandeves : « Hé chéri ! » « Prime au bouchon » Baptisée « Affaire Brazil » par la brigade de répression des trafics et du proxénétisme, l’enquête ouverte après la plainte d’une ancienne « hôtesse » en 2014 a conduit une dizaine de gérantes, soupçonnées de jouer les mères maquerelles, à la maison d’arrêt des femmes des Baumettes. Elles sont le plus souvent sexagénaires, la plus âgée frôlant les 70 ans. Des mois de surveillance téléphonique, de sonorisation de véhicules, ont convaincu la justice que ces « bars à champagne » – les hôtesses parlent de « bars de passes » ou Le client payait la bouteille de champagne entre 250 et 400 euros, prix masquant le règlement d’une « passe » de « bars à putes » – abritaient « un proxénétisme discret ». Dans ces établissements, le client payait la bouteille de champagne entre 250 et 400 euros, prix masquant en réalité le règlement d’une « passe » pratiquée dans un hôtel voisin, « un salon privé » du bar, voire « derrière un rideau qu’on baisse ». La prestation sexuelle était différente pour le règlement d’un simple verre payé entre 20 et 60 euros. Les hôtesses étaient payées 20 euros par nuit et « la prime au bouchon » leur rapportait 80 euros sur la bouteille et 10 euros sur le verre. Pièces incontournables de ce proxénétisme, les gérantes et les barmaids – beaucoup d’entre elles ont pratiqué la prostitution ou travaillé comme hôtesses – ont toutes nié se livrer au proxénétisme. « Nous, on vend du vent », assure ainsi la patronne du Sweet Lady. « Je leur demande juste de discuter avec le client, le côté charnel, la séduction », renchérit « Gigi » du Dark Side. « Tant que je n’aurai pas vu de mes propres yeux que des hôtesses se livrent à la prostitution, je ne le croirai pas », assène Chantal, gérante du Brasilia et du Beverly. Et quand le juge d’instruction demande : « Quel intérêt il y a alors pour le client d’acheter une bou- teille 300 euros ? », la gérante répond : « Il y a un côté festif et c’est marrant ». Une barmaid du Sweet Lady l’a cependant reconnu à demi-mot : « Il arrivait qu’après une ou deux bouteilles, si le client voulait, s’il y avait une bonne entente avec l’hôtesse et si elle était d’accord, qu’ils s’isolent dans l’un des deux salons privés. » Sur les écoutes, les propos des gérantes entre elles se font plus crus, soulignant que la prostitution des hôtesses est le meilleur moyen de faire décoller un chiffre d’affaires. Souvent le champagne servi était coupé d’eau ou, comme l’avoue une patronne, « c’est du mousseux qu’on achète 1,50 euro à l’épicerie d’en face ». Cocaïne Les victimes sont nombreuses en raison d’un grand turnover des hôtesses. L’une d’elles a raconté comment la gérante l’avait embauchée « simplement pour inciter les clients à consommer » avant de recevoir le conseil de se montrer « plus aguichante ». « Un jour, elle m’a dit que je devais me débloquer et m’a demandé de monter avec un client habituel. Elle a dit qu’elle avait mes papiers et mes affaires chez elle et que je lui étais redevable. » Pour tenir parce que « les clients arrivent à 3 ou 4 heures du matin et que les nuits sont longues », les hôtesses consommaient de la cocaïne. Deux fournisseurs des bars de l’Opéra ont été mis en examen. En 2001 déjà, la police était intervenue dans ces bars dits « américains » parce que, longtemps, les escales des navires de guerre des Etats-Unis dans le port de Marseille leur apportaient une clientèle massive. Cette fois, la ville entend en finir avec ce Marseille sul- fureux de la nuit et « requalifier » le quartier de l’Opéra. « Je sais déjà ce que je ne veux pas, explique Sabine Bernasconi (LR), maire des 1er et 7e arrondissements, pas de bars à chicha, pas de snacks et tout ce qui pourrait tirer vers le bas alors qu’avec dix cellules commerciales qui se libèrent d’un coup, nous avons l’occasion de remplacer ces commerces de façon ambitieuse. » « Clientèle encadrée et tenue » Pas question cependant d’étouffer la vie nocturne de l’Opéra où fonctionnent boîtes de nuit et pianosbars, de véritables institutions « avec une clientèle encadrée et tenue ». La préfecture de police affiche également « une volonté d’assainir le secteur tout en lui gardant sa vocation nocturne ». A droite comme à gauche, on insiste sur la nécessité de « gentrifier » ce quartier où dans la journée fonctionnent déjà des bars et restaurants branchés. « Franchement, plaide Patrick Mennucci, député (PS) de la circonscription, avoir des basfonds aussi bas de gamme, ça n’a plus d’intérêt quand la prostitution passe aujourd’hui par Internet. » La mort annoncée des bars à champagne n’émeut que quelques nostalgiques. « Marseille est un port avec des marins et quel intérêt y a-t-il à nettoyer ce cœur de ville si, dans ces établissements où travaillent des malheureuses, il n’y a pas de violence ? », s’interroge Me Jean-Jacques Campana, avocat d’une des gérantes. Edouard, qui, dans son minuscule atelier d’horlogerie ouvrant sur la place de l’Opéra, a réparé les montres de luxe des parrains corso-marseillais dont le quartier a longtemps été le fief, s’accommodait parfaitement de la cohabitation. A 77 ans, il raconte qu’un jour, alors qu’il réparait le bijou d’une prostituée du quartier, celle-ci s’était fait apostropher par une collègue : « Rachel, viens vite ! Y’a les bateaux américains. » Et la cliente de rétorquer : « Je fais pas les Américains, ça boit comme des Polonais et ça te transpire sur le ventre. » « C’était ça, notre vieux Marseille », soupire l’artisan avant de le reconnaître : « C’est vrai qu’aujourd’hui, c’est tout à fait autre chose. » p luc leroux Le « dentiste boucher » de Château-Chinon face à ses victimes Le Néerlandais « Mark » Van Nierop est jugé à partir de mardi pour avoir mutilé plus d’une centaine de patients dans la Nièvre entre 2008 et 2012 D es dents saines arrachées ou dévitalisées, des mâchoires percées et infectées, des implants mal posés, des fragments de racine ou des morceaux d’instrument laissés dans la gencive. Le procès qui s’ouvre, mardi 8 mars, au tribunal correctionnel de Nevers devra déterminer ce qui a poussé l’ancien dentiste néerlandais Jacobus Marinus – dit « Mark » – Van Nierop, aujourd’hui âgé de 51 ans, à commettre de tels dégâts et à causer de telles souffrances chez plus d’une centaine de ses patients, à Château-Chinon (Nièvre), entre fin 2008 et juillet 2012. Poursuivi pour « escroqueries », « faux et usage de faux » et « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente », celui qui a été surnommé le « dentiste de l’hor- reur » ou le « dentiste boucher » encourt dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. Arrêté au Canada en 2014 et extradé vers les Pays-Bas, car il s’accusait du meurtre de sa seconde épouse quelques années plus tôt, il n’a été remis à la justice française qu’en janvier 2015. Recruté par un chasseur de têtes, « Mark » Van Nierop avait été accueilli en 2008 avec soulagement par les habitants de Château-Chinon, un désert médical où le précédent dentiste avait fermé les portes de son cabinet deux ans plus tôt, en 2006. Pour avoir le droit de s’installer et pour bénéficier des aides fiscales, M. Van Nierop avait caché au conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Nièvre les poursuites disciplinaires et les plaintes dont il faisait déjà l’objet aux Pays-Bas. venant de choc Afin de faire rentrer rapidement de l’argent et de financer un train de vie en apparence élevé, le dentiste multiplie rapidement les actes, en surfacture certains et en invente d’autres de toutes pièces. Il propose également parfois le paiement en liquide contre une réduction de moitié du montant des soins, qui peut s’élever à plusieurs milliers d’euros. « Petit piqûre, pas faire mal », a-t-il coutume de lancer à ses patients dans un français rudimentaire avant de les anesthésier lourdement pour plusieurs heures, et de partir s’occuper parallèlement d’un autre patient à l’étage du cabinet… Signaux d’alerte Ces pratiques sont parfois à l’origine de mutilations irréversibles. Certaines victimes ont perdu jusqu’à seize dents après être passées entre ses mains. « Il m’a fait sept ou huit piqûres, m’a arraché huit dents d’un coup et a posé l’appareil à vif. Je pissais le sang. Pendant trois jours ! », a par exemple témoigné, auprès de l’AFP, une femme de 65 ans opérée en mars 2012 pour la pose d’un appareil dentaire. Une autre a connu un début d’infarctus en raison du produit anesthésiant qui lui avait été administré. L’expertise de l’ordinateur du dentiste montrera qu’il ne procédait pas systématiquement à des clichés radiographiques des dents sur lesquelles il travaillait. A partir de 2011, les signaux d’alerte passent au rouge les uns après les autres. Prévenu par plusieurs dentistes de la région qui ont récupéré des patients blessés après une intervention de M. Van Nierop, le conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes entame des poursuites disciplinaires. Parallèlement, un collectif de patients victimes alerte les autorités sanitaires et judiciaires. La Caisse primaire d’assurance-maladie de la Nièvre ouvre elle aussi sa propre enquête, soupçonnant des facturations abusives. Le dentiste est finalement mis en examen en mai 2013. « “Mark” Van Nierop reconnaît n’avoir pas bien travaillé, [mais] il considère qu’il n’est pas le personnage horrible que certains ont décrit », a fait valoir son avocate, Delphine Morin-Meneghel, dans Le Journal du Centre en janvier. Aux policiers, le dentiste avait expliqué qu’il avait appliqué en France des techniques néerlandaises, jugeant n’avoir pas été informé des pratiques à adopter en France. Au tribunal de Nevers, les débats nicolas demorand le 18/20 monde 15 un jour dans le mond 18:15 19:20 le téléphone sonne porteront sur le profil psychologique et psychiatrique de l’accusé, qui assure souffrir de problèmes de type borderline, avec des phases maniaques et dépressives. Aux juges, il a ainsi expliqué connaître des « problématiques d’identité sexuelle » et des « tendances suicidaires ». Un expert psychologue a qualifié M. Van Nierop de « personnalité narcissique » avec un « défaut majeur de compassion ». Un autre expert a relevé « l’aspect cruel et pervers » du dentiste qui faisait payer des prothèses à une patiente aux faibles revenus et posait des prothèses immédiatement après, sans attendre la cicatrisation, « sachant pertinemment qu’il allait créer une souffrance qu’il refuserait de soulager ensuite ». p françois béguin avec les chroniques d’Arnaud Leparmentier et d’Alain Frachon dans un jour dans le monde de 18 :15 à 19 :00 france | 13 0123 MARDI 8 MARS 2016 Le camp de Grande-Synthe, un « anti-Calais » Un millier de migrants doivent rejoindre, d’ici au 9 mars, le premier camp humanitaire en France, géré par Médecins sans frontières Grande-Synthe DERNIÈRE ÉTAPE SUR LA ROUTE POUR LE ROYAUME-UNI... Vers Rotterdam Pour faire face à l’urgence du bidonville insalubre du Vers Hull Basroch, qui est passé en Vers Harwich quelques mois de 80 à 2 900 personnes (début décembre 2015), la municipalité a Zeebruges demandé à Médecins sans frontières d’aménager un Ostende camp humanitaire. ROYAUME-UNI Douvres Folkestone Principal axe autoroutier emprunté par les migrants Principale ligne de ferry Eurotunnel Frontière extérieure de l'espace Schengen. Renforcement des contrôles en France depuis 2003 Dunkerque ... LE NORD DE LA FRANCE EST CONFRONTÉ À LA PRESSION MIGRATOIRE Téteghem « Jungle » de Calais A2 6 e a Lens Autre campement informel de migrants... A1 a Déplacement probable des migrants fuyant l’évacuation de la « jungle » de Calais NORD-PAS-DE-CALAIS-PICARDIE ... dont camp démantelé Calais Ce bidonville toléré depuis avril 2015 accueillerait entre 4 000 et 7 000 personnes. Dans le but de recevoir sur le site un maximum de 2 000 migrants, l’Etat a commencé le démantèlement de la partie sud et aménagé dans la partie nord un centre d’accueil provisoire, fermé et sécurisé, de 1 500 places en conteneurs. 20 km Contrôles rétablis par la Belgique, depuis le 23 février pour stopper un éventuel afflux de migrants Arras A16 LE CAMP DE MÉDECINS SANS FRONTIÈRES (MSF) Amiens UN CAMP AMÉNAGÉ... Terrain assaini pour éviter la boue Eclairage Auchan 20 mn à pied Bâtiments désaffectés Abri en bois, prévu pour quatre personnes Pont piétonnier ZONE 1 Six zones, unités de vie dotées d’infrastructures ...RÉPONDANT ...REPONDANT AUX NORMES INTERNATIONALES... Bois et bosquets en zone inondable Decathlon Route boueuse 15 mn à pied Clairière marécageuse Jardiland Zone de tentes ...AUX INFRASTRUCTURES INSUFFISANTES ET SOUMISES AU RACKET... ZONE PAVILLONNAIRE Entrée principale Stadium du littoral Toilettes et douches pour un camp ayant accueilli jusqu’à 2 900 personnes Point d’eau potable Prises électriques pour recharger les téléphones... Clinique mobile (camion) Tente de distribution (nourriture, vêtements, médicaments) ZONE D’ACTIVITÉS Lieu de vie Toilettes et douches multiples Cabanons en bois, (3,60 m sur 2,60 m). Oganisés alternativement en rangées et îlots pour créer la possibilité d’espaces de vie Zone réservée aux personnes vulnérables (femmes et enfants) Zone organisée pour recharger les téléphones 71 abris 72 abris Lac du Puythouck ZONE 4 77 abris ZONE 5 71 abris Zones en cours d’aménagement Bâtiment médical (médecin, infirmiers, gynécologue) ...MAIS EXCENTRÉ ET ENCLAVÉ ZONE 2 ZONE 3 Espace de vie collective à aménager par les associations (cuisine, école...) Zone de stockage et/ou de distribution (fuel, kit nouvel arrivant...) Bâtiment médical Voi e UN BIDONVILLE INSALUBRE... Route asphaltée permettant une intervention d’urgence ZONE 6 Us 66 abris N Entrée 200 m Autoroute Voies ferrées Bâtiments désaffectés ...MAIS À PROXIMITÉ DES COMMERCES Habitat pavillonnaire A16 Commerce alimentaire N A 16 200 m oulin SOURCES : MÉDECINS SANS FRONTIÈRES ; AFP ; LA VOIX DU NORD ; LE MONDE Entrée Zone d’accueil A16 LE BIDONVILLE DU BASROCH 20 abris s fe rré es L M c n A25 Béthune h Bidonville de Grande-Synthe BELGIQUE La Manche Grillage construit par la mairie à la demande de la préfecture Dunkerque Supermarché GrandeSynthe Laverie Grands commerces (bottes, tentes, bâches...) A16 C Dunkerque à concevoir le premier camp en terre française. Quarante kilomètres séparent Calais et Grande-Synthe. Il y a quelques mois, les « jungles » de ces deux villes se ressemblaient. Aujourd’hui, les camps de réfugiés de chacune d’elles sont à des années-lumière. Et le camp de Grande-Synthe n’a pas pour vocation d’accueillir les migrants « expropriés » de Calais. Modèles différents A Calais, l’Etat – qui s’est rendu à l’évidence, en août 2015, qu’il lui fallait offrir des abris – a opté pour un alignement de 125 conteneurs de 12 places, chauffés, numérotés. A Grande-Synthe, MSF a installé des cabanons de bois rangés par microquartiers ; 213 abris chauffés y sont à la disposi- tion de groupes de quatre personnes. A Calais, cinq mois et plus de 15 millions d’euros ont été nécessaires pour abriter 1 500 personnes. Quand, dans la commune proche de Dunkerque, une fois obtenu le feu vert préfectoral, les humanitaires ont ouvert un camp en moins de deux mois pour un coût de 3,1 millions d’euros. Les modèles diffèrent. « Là où l’Etat fait appel à un prestataire pour la nourriture, nous misons sur une solidarité citoyenne. Les gens ont envie d’aider, nous l’observons ici depuis des mois », rappelle Angélique Muller, responsable du projet pour MSF. Utopia 56, qui assure la logistique du festival des Vieilles Charrues en Bretagne, a été choisie par la mairie pour gérer les services, quand une autre asso- Cappellela-Grande N225 CAMP MSF e jour est à marquer d’une pierre blanche. Pour la première fois, une association humanitaire, habituée aux horizons lointains, ouvre en France un camp pour les migrants. Après des mois de survie sous des tentes, dans la boue, les 1 050 exilés en transit à Grande-Synthe (Nord), près de Dunkerque, vont pouvoir, ce lundi 7 mars, rejoindre un lieu de vie répondant aux normes internationales. Las d’un Etat peu désireux de l’aider à offrir un accueil digne aux exilés kurdes bloqués chez lui, Damien Carême, maire EELV de Grande-Synthe, une ville de 21 000 habitants, a fait appel à Médecins sans frontières (MSF) fin décembre 2015. Depuis, les French Doctors travaillent dans la banlieue de CAMP DU BASROCH ciation s’occupera des sanitaires. Les bénévoles et associations diverses resteront les bienvenus, mais dans cet espace structuré. MSF et Médecins du monde disposeront, eux, d’une véritable clinique en dur ; un souhait fort pour Damien Carême, ce maire qui rêve depuis des années d’installer dans sa ville une « maison des migrants ». Quelque 2,5 millions d’euros devraient être nécessaires pour faire fonctionner le lieu en 2016. « Une somme que la commune ne peut prendre en charge et qui devrait être financée par l’Etat », estime M. Carême. Fort de sa vocation humanitaire et non policière, MSF s’est refusé à instaurer un contrôle des entrées et des sorties, contrairement au camp d’Etat 2 km de Calais. Le maire espère néanmoins limiter l’impact des passeurs sur la vie du nouveau lieu. Les 17 arrestations qui viennent d’avoir lieu lui donnent bon espoir, bien que son camp soit rempli de familles qui ont besoin des passeurs à qui elles ont déjà payé un « ticket » pour la Grande-Bretagne. Si le déménagement reste fondé sur le volontariat, la municipalité, qui prête cinq bus durant trois jours, compte raser les restes de l’ancien camp dès jeudi. MSF aurait aimé un temps plus long. Une simple sécurité, si l’on en croit les 600 personnes déjà inscrites sur les listes des humanitaires pour déménager. p maryline baumard, francesca fattori et delphine papin infographie : sylvie gittus-pourrias 14 | reportage 0123 MARDI 8 MARS 2016 Un réfugié syrien de Deir ez-Zor retrouve sa famille, arrivée en ferry au port du Pirée, à Athènes, le 1er mars. ALKIS KONSTANTINIDIS/REUTERS La nuit tombée, certains migrants quittent la place Victoria, dans le centre d’Athènes, pour passer la nuit dans un centre d’hébergement (ici le 3 mars). PANAYOTIS TZAMAROS/AFP reportage | 15 0123 MARDI 8 MARS 2016 Place Victoria, la nuit du 3 mars. PANAYOTIS TZAMAROS/AFP Des produits de première nécessité sont distribués par des bénévoles aux migrants, pour la plupart afghans, place Victoria, le 3 mars. ALKIS KONSTANTINIDIS/REUTERS Des centaines de personnes attendent chaque jour de pouvoir reprendre leur route vers l’Europe de l’Ouest. PANAYOTIS TZAMAROS/AFP Le 5 mars, la police a chassé les migrants qui dormaient sur la place Victoria, dans les stations de métro ou parfois à même le sol. PANAYOTIS TZAMAROS/AFP Les migrants parias de la Grèce Depuis le 21 février, seuls les Syriens et les Irakiens sont autorisés à passer la frontière avec la Macédoine. Les autres craignent d’être expulsés. Une situation explosive adéa guillot athènes - correspondance I l y a aujourd’hui en Grèce environ 35 000 réfugiés bloqués, dont un peu moins de 10 000 à Athènes. La capitale n’est pas en état de siège. La vie quotidienne continue pour la grande majorité de la population. Mais certains quartiers, traditionnellement lieux d’accueil ou de transit de migrants, sont débordés par les milliers de réfugiés refoulés à la frontière macédonienne. Tout commence au port du Pirée, où près de 3 000 personnes étaient, ce weekend encore, massées, dans des conditions d’hy- giène déplorables, dans les terminaux normalement réservés aux passagers. Les bénévoles se relaient sans relâche pour nourrir, assister, rassurer la grande majorité de familles syriennes et irakiennes débarquées des îles du Dodécanèse qui attendent de pouvoir monter dans les bus à destination d’Idomeni, petit village grec à la frontière macédonienne, où s’entassent désormais plus de 12 000 réfugiés. CONDITIONS D’HYGIÈNE DÉPLORABLES Depuis le 21 février, seuls les Syriens et les Irakiens sont autorisés à passer la frontière, les Afghans, les Somaliens, les Iraniens, les Marocains ou les Algériens sont, eux, coincés à Athènes. Les moins démunis vivent dans de petits hôtels glauques ou des appartements communautaires autour de la place Omonia, le lieu de tous les trafics à Athènes. Les autres dormaient, jusqu’au samedi 5 mars, sur la place Victoria. A même le sol, sur les bancs, dans les allées voisines ou les stations de métro. Samedi, une opération policière a vidé les lieux. Direction les bâtiments désaffectés depuis 2004 de l’ancien aéroport Helleniko. Là encore, sans douches ni sanitaires, les conditions d’hygiène sont déplorables et l’approvisionnement en vivres des 3 800 migrants présents largement laissé aux volontaires. Les centres les plus organisés de la capitale grecque, les camps d’Elaionas (700 réfugiés) et de Schisto (1 500), sont aujourd’hui remplis d’Afghans, blo- qués pour un temps indéterminé. Les Marocains et les Algériens arrêtés par la police sont, eux, transférés vers des centres de rétention autour d’Athènes dans l’attente de leur expulsion vers la Turquie. Personne ne veut rester en Grèce. Et la place Victoria est devenue la plaque tournante de tous les passeurs. Athènes et ses citoyens font preuve d’une solidarité et d’un engagement exemplaires. Mais, en moyenne, 2 000 réfugiés affluent chaque jour sur les îles de la mer Egée, dont environ 40 % de nationalités désormais refoulées. La situation est explosive. Conscient de l’impuissance de l’Europe à empêcher des Etats de fermer seuls leurs frontières, Athènes attend beaucoup du sommet UE-Turquie du 7 mars. p 16 | enquête 0123 MARDI 8 MARS 2016 Réfugiés non grata Les élections en Allemagne 1|3 En Saxe, dans l’ex-RDA, les attaques contre les migrants se multiplient. Une haine attisée par les partis populistes et d’extrême droite à la veille des régionales du 13 mars jean-baptiste chastand dresde, clausnitz, bautzen, stollberg, hohenmölsen (saxe) - envoyé spécial D epuis une semaine, Lena Aba Zid et ses deux sœurs ne sont pas sorties seules de leur petit appartement. « On a trop peur, on veut partir d’ici le plus vite possible », souffle cette Syrienne de 42 ans. A son arrivée à Clausnitz, petit village allemand perdu dans les monts Métallifères à la frontière de la République tchèque, le 18 février, Lena et une dizaine d’autres réfugiés ont été accueillis par une centaine d’habitants hurlant leur opposition devant le bus. Publiées sur Internet, les images montrant son visage effrayé et celui d’enfants en larmes ont choqué toute l’Allemagne. Depuis, à l’exception de deux voisines, « personne d’ici n’est venu nous aider ou nous parler », dit Lena. Dans ce coin de Saxe, elle ne peut compter que sur les bénévoles venus spontanément du reste de l’Allemagne pour faire quelques courses. L’ancien directeur du centre d’accueil, un membre du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), a été écarté quand la presse allemande a révélé que son frère était l’organisateur de la manifestation antiréfugiés. Son remplaçant, un peu perdu, sans traducteur, essaye depuis, tant bien que mal, de les rassurer. « On va essayer de leur donner envie de rester », promet le maire sans étiquette. Mais la partie ne semble pas gagnée. « On n’avait pas de réfugiés jusqu’ici et c’était très bien », lâche une passante. Avec ces images-chocs, Clausnitz a brutalement rappelé que l’arrivée d’un million de réfugiés en 2015 est loin d’avoir été acceptée par tous les Allemands. Et que ceux qui s’y opposent sont de plus en plus radicalisés. Déjà berceau depuis octobre 2014 du mouvement antiislam Pegida, le Land de Saxe est particulièrement concerné. Dans cette région récemment qualifiée de « tache de la honte » par un tabloïd ouest-allemand, il ne se passe pas un weekend sans qu’une attaque antiréfugiés soit signalée. « Clausnitz a fait scandale car les habitants ont été assez bêtes pour mettre la vidéo sur Internet. Mais c’était loin d’être la première fois que des manifestants bloquaient un bus avec des réfugiés », déplore Jane Viola Felber, du Kulturbüro Sachsen, une association qui lutte contre l’extrême droite dans la région. Deux jours après Clausnitz, des citoyens avinés ont ralenti l’intervention des pompiers devant l’incendie d’un futur centre de réfugiés, à Bautzen, en montrant « une joie non dissimulée », selon la police. En 2015, la Saxe a concentré 17 % des attaques contre des centres de réfugiés et plus d’un tiers des manifestations de toute l’Allemagne. Ce dimanche 28 février, ils sont près d’un millier à parcourir les rues glaciales de Stollberg, une commune de 11 500 habitants, située sur les contreforts des monts Métallifères. Certes, il y a quelques crânes rasés et des drapeaux célébrant le deuxième Reich. Mais il y a aussi des familles avec enfants et des retraités. « Je suis venu pour montrer que l’islam ne fait pas partie de l’Allemagne », dit l’un d’eux, sous couvert d’anonymat. PAYSBAS Berlin POLOGNE Mer Baltique Mer du Nord ALLEMAGNE Hohenmölsen SAXE Bautzen Dresde Clausnitz Stollberg B. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE L. FRANCE 100 km SUISSE AUTRICHE ALE+ALE A Stollberg, les pancartes accusent Angela Merkel d’être « la reine des passeurs ». Et la foule applaudit les propos les plus durs des orateurs, dont certains ne cachent pas leur appartenance au parti néonazi NPD (Parti national-démocrate). « S’il en allait de mes enfants, moi aussi je me tiendrais debout devant les bus de réfugiés », proclame l’un d’entre eux. « Résistance, résistance », lui répond la foule. Les journalistes sont accusés de manipulation. « Lügenpresse » (« presse menteuse »), tranche l’orateur en employant un terme utilisé par les nazis dans les années 1930. Ce soir-là, aucune contre-manifestation n’a été organisée : les célèbres mouvements antifascistes allemands ne font même plus le déplacement. MENACE « SOUS-ESTIMÉE » Si toute la Saxe n’est pas brune, loin s’en faut, l’extrême droite y a gagné la bataille de la rue. De quoi plomber la fête en l’honneur des milliers de bénévoles qui aident les réfugiés, donnée le 26 février à la patinoire de Dresde. « Cela me donne de la force de voir qu’on est nombreux », assure Linda Becker, 40 ans, qui anime un réseau de bénévoles dans une commune de 9 000 habitants où sont hébergés 120 réfugiés. « Mais je suis surtout venue pour poser une question sur la sécurité des réfugiés dans notre ville, explique-t-elle. Il y a deux semaines, des gens sont venus frapper avec des couteaux aux fenêtres des appartements de certains réfugiés en pleine nuit. Ils ont eu peur et se sont réfugiés à l’étage du dessus. Ils n’ont même pas appelé la police. De toute façon, la nuit, il n’y en a pas dans notre ville, il faut quarante-cinq minutes pour qu’ils arrivent. » Sur scène, Stanislaw Tillich, le ministre président CDU (Union chrétienne-démocrate, conservateurs) du Land de Saxe, prend un ton grave. Il sait que l’heure n’est pas à la fête. « Nous avons un problème avec l’extrême droite », admet le responsable politique. Il promet le déploiement de cent policiers supplémentaires et un renforcement de la justice. Les propos sont forts car la CDU, qui gouverne la région depuis la réunification, est accusée d’avoir trop longtemps fermé les yeux. M. Tillich admettra quelques jours plus tard avoir lui-même « sous-estimé » la menace. Si Clausnitz a réveillé les consciences, la Saxe a un problème depuis longtemps avec l’extrême droite. « Des néonazis, il y en a toujours eu ici », observe Jane Viola Felber. Le Land a été la base de repli de la NSU (Nationalsozialistischer Untergrund, « clandestinité nationalesocialiste »), cette organisation secrète accusée L’EXTRÊME DROITE A SU JOUER SUR LES SENTIMENTS AMBIVALENTS DE RELÉGATION ET DE FIERTÉ QUI ANIMENT LES SAXONS d’assassinats racistes dans toute l’Allemagne, de 2000 à 2011. Longtemps, cette implantation s’est expliquée par la mauvaise situation économique du Land après la réunification, mais l’argument n’est plus aussi fort. En Saxe, le chômage (8,5 %) a beaucoup baissé ces dernières années, à l’image du reste de l’Allemagne. Il est certes au-dessous de la moyenne des autres Länder d’ex-RDA, moins touchés par la violence d’extrême droite, mais reste supérieur à la moyenne nationale (4,3 %). Selon Hans Vorländer, chercheur à l’université technique de Dresde et auteur d’un ouvrage sur Pegida, en Saxe, la société civile a été encore plus imprégnée par le communisme que dans le reste de l’Allemagne de l’Est. « Les citoyens ont traversé un grand processus de transformation sociale sans le soutien d’organisations intermédiaires », avance-t-il. La faiblesse des églises, des syndicats, des partis politiques y est encore plus patente que dans le reste de l’ex-RDA. Il pointe aussi l’existence d’un « chauvinisme » associé à l’histoire spécifique de l’Electorat de Saxe au sein du Saint Empire romain germanique. « Les Saxons ont toujours été plus conservateurs que le reste de l’ex-RDA. Du coup, les responsables CDU ont réagi trop tard au mouvement Pegida après avoir longtemps montré une sympathie pour ceux qui y participent », ajoute le chercheur. La plus grande réussite de l’extrême droite est d’avoir su jouer sur les sentiments ambivalents de relégation et de fierté qui animent les Saxons. Côté fierté, les antiréfugiés locaux ont l’impression d’être, comme en 1989, au cœur de la révolution contre le pouvoir. Comme à l’époque, les manifestations de Pegida ont lieu tous les lundis. On y crie « Wir sind das Volk » (« nous sommes le peuple »), le slogan historique du mouvement anti-RDA. Côté relégation, l’extrême droite joue sur l’angoisse démographique qui existe partout en Allemagne, encore plus forte dans un Land qui a perdu 700 000 habitants depuis la réunification. En Saxe, les jeunes partent et personne ou presque ne vient s’installer. Le Land compte 2,9 % d’étrangers, la plupart arrivés avant la chute du communisme. Dans ces conditions, l’installation subite de 70 000 réfugiés dans le Land en 2015, issus majoritairement de Syrie, d’Afghanistan ou d’Irak, a créé un choc. La Saxe a pourtant largement la place d’accueillir dans ses nombreux logements vides son quota de réfugiés, imposé par l’Etat en vertu de la complexe clef de répartition entre Länder. « Mais, depuis cinq ou dix ans, on dit aux gens d’ici qu’il n’y a pas assez d’argent, que les écoles et les crè- ches doivent fermer. Et tout d’un coup ils voient qu’il y a de l’argent pour accueillir des milliers de réfugiés », fustige Uwe Kraneis, maire d’une petite commune du Land voisin de Saxe-Anhalt et candidat SPD (Parti social-démocrate) aux élections, où l’extrême droite pourrait faire une véritable percée. « Je ne vois pas d’acceptation pour les réfugiés. Cela va être la guerre civile si ça continue », ajoute-t-il. « ON A UNE CHANCE D’ARRÊTER ÇA » Voir un social-démocrate parler comme un membre de l’AfD n’est ici guère surprenant. Ce parti, créé il y a à peine trois ans, est crédité dans les sondages de 17 % des voix en Saxe-Anhalt, davantage que le SPD. L’AfD, dont la leader Frauke Petry est originaire de Saxe, atteint une influence que le NPD, plus radical, n’a jamais obtenue dans la région. En Saxe-Anhalt, le chef de file de l’AfD, André Poggenburg, veille à éviter les dérapages. « Nous sommes un parti national, mais pas nationaliste. Nous ne sommes pas racistes, nous ne sommes pas homophobes », explique-t-il en ouverture d’une rencontre avec des électeurs dans l’arrièresalle d’une brasserie de Hohenmölsen, une petite ville minière en perte de vitesse. Le but serait uniquement d’occuper la place laissée libre par une CDU qui aurait glissé vers la gauche. Mais sa partie la plus applaudie est sans conteste celle sur l’immigration. « Ce n’est pas une crise de réfugiés, c’est une vague d’immigration inorganisée », dénonce-t-il, en demandant la fermeture totale des frontières. « Ici, la situation n’est pas encore aussi mauvaise qu’en Allemagne de l’Ouest et dans les grandes villes, où un tiers des jeunes sont issus de l’immigration. On a une chance d’arrêter ça », renchérit son colistier. A Hohenmölsen, on n’avait jamais vu de gens de couleur avant l’arrivée d’une cinquantaine de réfugiés. Un électeur attend la fin du discours pour poser sa question. « Est-ce que l’AfD, c’est l’ancienne CDU ? Parce que moi, j’ai toujours voté pour le NPD et j’ai peur que l’AfD devienne un parti établi. » André Poggenburg ne cherche pas un seul instant à se distancer du parti néonazi : « On ne veut pas être une nouvelle CDU, on assume notre populisme de droite. Le 13 mars, les patriotes devront faire le bon choix, il n’y a qu’une force qui peut vraiment faire changer les choses », proclame-t-il au contraire. Vingtsix ans après la chute du Mur, son espoir est que la Saxe connaisse une nouvelle révolution. Cette fois-ci nationale-conservatrice. p Demain : La cour de Babel débats | 17 0123 MARDI 8 MARS 2016 L’Union européenne doit changer de cap et relancer l’idée d’un avenir commun On a besoin de plus d’intégration, de décentralisation, de démocratie, de transparence et de cohérence dans tous les secteurs de notre Union, y compris pour la question des migrants par rena dourou L’ homme n’accepte le changement que sous l’empire de la nécessité », disait Jean Monnet. On devrait longuement réfléchir sur ces mots car la crise multiple qu’affronte aujourd’hui l’Union européenne peut servir d’argument de taille pour changer, enfin, de cap politique. La crise migratoire actuelle n’est que la conséquence attendue de choix politiques fondamentaux de l’Union européenne. En réalité, les flux migratoires d’aujourd’hui sont le révélateur d’une double carence qui fait penser à un dysfonctionnement de la mécanique européenne, d’où le besoin de changement de cap politique. Je m’explique. La première carence concerne la conception même de l’euro qui s’avère être une monnaie uniquement pour le beau temps. Les recettes de rigueur, appliquées au cours de la crise déclenchée en 2008 aux Etats-Unis touchant le sud de l’Europe, mais également le reste de la zone euro, se sont révélées inefficaces et même dangereuses pour le modèle social de l’Union européenne. La seconde carence concerne la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne, qui témoigne du manque d’une volonté politique unique pour promouvoir des objectifs clairs, tant sur la question de l’Ukraine que sur la Syrie. On se souvient des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne exprimant, L’UE DOIT SAISIR L’OPPORTUNITÉ DE LA CRISE POUR DÉCLENCHER LA DYNAMIQUE QUI FASSE D’ELLE UN PÔLE DE PUISSANCE À LA HAUTEUR DE LA CONJONCTURE Mirage | par serguei au début de la crise en Syrie, en 2011, leur optimisme sur sa durée. Les événements ont cruellement contredit cet optimisme qui n’était basé que sur des vœux pieux. La crise, qui dure déjà depuis cinq ans, vient de déclencher un flux migratoire inédit depuis la seconde guerre mondiale. L’Union européenne, alors qu’il y a quelques années – en 2008 avec le pacte européen sur l’immigration et l’asile – elle se disait prête à accueillir des migrants pour des raisons démographiques mais également pour pallier les besoins du marché de travail, aujourd’hui se montre très réservée, très loin des défis posés par la crise migratoire. ACTION COLLECTIVE Au lieu d’une approche cohérente, claire, garantissant la prospérité, l’ordre et la sécurité de ses citoyens, on constate une politique européenne fragmentée, au cours d’un débat public uniquement axé sur la fermeture des frontières. Et tout cela sur fond d’un repli sur soi. La notion même de l’union dans l’action, qui a fait la force du projet européen, manque cruellement, marquant une étape de l’histoire européenne dont les conséquences peuvent être décisives pour son avenir. L’union dans la diversité, prônée par ses pères fondateurs, est ainsi piétinée par certains pays membres, qui ont adhéré au projet commun pendant les années 1990, comme l’Autriche et les pays du groupe de Visegrád. L’unité européenne est mise en cause, ainsi que la survie du projet européen. C’est pourquoi il y a urgence d’une action collective, cohérente et ciblée pour changer le cap au cours de ce temps de confusion. Les mots d’un grand Européen, l’ancien président de la République de la Grèce Constantin Caramanlis, contre les sceptiques et les fossoyeurs de l’unité européenne sont d’une actualité brûlante : « Aveuglés par les différences de surface, ils n’ont pas su voir l’unité de la profondeur. » Justement, aujourd’hui, on reste à la surface des choses, alors que l’on devrait commencer à mettre sur pied une politique de l’immi- gration ferme, cohérente et ciblée, la seule qui puisse garantir l’avenir de l’Union européenne. On en est très loin. Mais on doit commencer à y œuvrer dès aujourd’hui, loin des mesquineries, loin de ce repli sur soi qui est aussi dangereux pour le projet commun européen que pour ces pays qui se croient à l’abri de la crise en fermant leurs frontières. On doit commencer à œuvrer dès maintenant pour l’application effective de tous les volets du pacte européen sur l’immigration et l’asile. ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE On devrait également essayer d’articuler une politique étrangère commune, par la promotion active des initiatives visant à changer la donne sur l’échiquier du MoyenOrient – l’accord de Vienne du 14 juillet 2015 avec l’Iran sur son programme nucléaire marque des perspectives nouvelles pour l’économie de l’Union européenne qu’il ne faut pas rater. L’Union européenne doit saisir l’opportunité de la crise pour déclencher la dynamique qui puisse faire d’elle un pôle de puissance à la hauteur de la conjoncture actuelle. Une conjoncture marquée par l’instabilité économique et financière et la fluidité des marchés internationaux. En même temps, on doit œuvrer sur l’architecture institutionnelle de l’Union européenne pour y insérer la dimension régionale, un facteur crucial pour la décentralisation du pouvoir en faveur de la démocratie, de la transparence et de l’efficacité. L’Union européenne doit à tout prix gagner ce pari vital. Car plus que jamais, on a besoin de l’Europe, de ses valeurs démocratiques, de son modèle social, de sa stabilité, de son ordre. Selon un vieux dicton, l’Union européenne connaît l’art de toujours rater ses chances aux moments cruciaux de son histoire. Le temps est-il enfin venu de mettre fin à cette triste tradition ? p Parité femmes-hommes : les textes de loi ne suffisent pas ! Pour lutter contre la discrimination, femmes et hommes doivent modifier l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et la manière dont ils définissent la réussite professionnelle L ors de la remise du rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, en février, Pascale Boistard constatait des progrès mais retenait des motifs d’inquiétude « car la dynamique en faveur de la parité ne s’est pas encore tout à fait étendue à l’ensemble du périmètre des lois ». Les inégalités entre femmes et hommes sont connues sous l’angle de la discrimination à l’égard de celles-ci en termes de salaires et de mise à l’écart des meilleurs postes. Il en a résulté des lois obligeant les entreprises à recruter des femmes dans certaines catégories. Cela n’est pas suffisant. De nouveaux travaux montrent les limites de cette analyse. L’écart des revenus salariaux mensuels entre femmes et hommes, en France, est de 24 % – et de 23 % aux Etats-Unis – et les femmes représentent seulement 34 % des membres des conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Une lecture possible de ces deux informations tend à conclure à la double discrimination rappelée au début de ce texte. Concernant les salaires, cette lecture est contredite par les données relatives aux postes occupés qui montrent la quasi-inexistence des différences de salaires. A l’inverse, des différences importantes persistent dans la durée du travail et la répartition sexuée des métiers et des postes occupés. Ainsi, la moitié de l’écart salarial provient d’une durée du travail moindre pour les femmes et l’autre moitié résulte des caractéristiques des individus (expérience professionnelle) et des emplois (fonction, secteur d’activité). ABSENCE DE PROMOTIONS ¶ Rena Dourou est membre du parti Syriza et présidente de la région Attique (Grèce) EN FRANCE, L’ÉCART MOYEN DES REVENUS SALARIAUX MENSUELS ENTRE LES DEUX SEXES EST DE 24 % par cecilia garcia-peñalosa Claudia Goldin, économiste à Harvard, examine les choix d’emploi des femmes aux Etats-Unis, en se focalisant sur les avocats et les pharmaciens, deux professions à haut niveau de qualification et de rémunération. Le secteur de la pharmacie se caractérise par une grande flexibilité horaire, ce qui permet de combiner vie professionnelle et vie de famille. Les femmes sont ainsi nombreuses dans ce métier et l’écart salarial avec les hommes est presque inexistant. Les cabinets d’avocats, en revanche, exigent une présence sur des plages horaires longues et une disponibilité proche de 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Claudia Goldin note qu’en début de carrière les avocates perçoivent la même rémunération que les avocats, ce qui n’est plus le cas dès l’arrivée des enfants dans le ménage : le nombre de femmes au sein de la profession diminue et celles qui exercent encore ce métier occupent des postes à moindre responsabilité – et à plus faibles salaires – que les hommes. Il est difficile d’expliquer cette différence entre les deux professions par une discrimination qui n’existerait que chez les avocats, et non chez les pharmaciens. Il semblerait plutôt que ces emplois chronophages poussent les femmes vers d’autres métiers ou vers des postes plus compatibles avec les exigences domestiques et, de ce fait, moins rémunérés. L’écart salarial femmes-hommes semble ainsi être fortement lié à l’absence de promotions chez les femmes. La recherche d’une politique de parité nécessite, par conséquent, d’en comprendre les causes. Deux explications sont possibles : les femmes qui se portent candidates ne sont pas promues, ou elles ne sont pas candidates à une promotion. Avec deux autres chercheurs, Clément Bosquet et Pierre-Philippe Combes, nous examinons cette question dans un cadre particulier, celui des enseignants-chercheurs en économie dans notre pays, un métier dans lequel les femmes ne représentent que 13 % des professeurs-directeurs de recherche. Nos résultats indiquent que, à qualité scientifique donnée, il n’existe pas de différence significative quant à la probabilité de promotion entre hommes et femmes. En revanche, les femmes candidatent moins souvent aux postes de professeur-directeur de recherche que les hommes, ce qui explique la totalité des différences observées. Francesca Gino et ses coauteurs à Harvard ont cherché à comprendre pourquoi les femmes se sentiraient moins concernées par les promotions et ont interrogé des Américains à haut niveau d’études sur leurs objectifs personnels et professionnels. Dans ce groupe, les femmes considèrent que des avancements de carrière sont autant à leur portée que pour les hommes. Toutefois, interrogées sur leur désir d’obtenir de tels avancements, elles expriment un intérêt moindre que le sexe opposé pour une promotion. Les deux groupes en évaluent, de la même façon, les aspects positifs (pouvoir, rémunération), mais les femmes voient bien plus d’aspects négatifs (conflits au travail, contraintes sur la vie personnelle…). Le second facteur explicatif de la moindre recherche de promotion par les femmes provient de la persistance de normes sociales. L’idée selon laquelle, dans les ménages, l’homme doit pourvoir aux besoins de sa famille a la vie dure. Cela a pour conséquence de réduire le travail de la femme au statut de « revenu secondaire ». Marianne Bertrand, de l’université de Chicago, et ses coauteurs examinent la part du travail de la femme dans les revenus salariaux des ménages aux Etats-Unis. Le nombre de ménages dans lesquels les femmes contribuent jusqu’à 49 % des revenus familiaux est important mais, soudainement, à partir de 50 %, il chute fortement. De plus, leur étude montre que les femmes intègrent dans leurs comportements le fait de disposer de revenus inférieurs à ceux de leurs conjoints. Toutes ces études indiquent que, si d’énormes progrès ont été réalisés en faveur de l’égalité entre femmes et hommes, la partie la plus difficile de ce combat est encore à venir. Légiférer pour éviter la discrimination est une arme peu puissante si la source du problème se trouve dans les perceptions que femmes et hommes ont d’eux-mêmes et de la définition de leur identité par rapport à la réussite professionnelle. Aucune idée simple ne résoudra cette question. Encore faut-il poser les bonnes questions pour s’attaquer à ce vaste chantier ! p ¶ Cecilia García-Peñalosa est directrice de recherche au CNRS et membre de l’Ecole d’économie d’Aix-Marseille 18 | éclairages 0123 MARDI 8 MARS 2016 Les intentions illisibles de François Hollande pour 2017 ANALYSE thomas wieder Service France F PLUS LA FIN DU QUINQUENNAT APPROCHE, MOINS IL SEMBLE ENCLIN À TRANSIGER. HIER SI PRUDENT, LE VOILÀ DÉSORMAIS PRÊT À PRENDRE DES RISQUES rançois Hollande souhaite-t-il vraiment être candidat en 2017 ? Il y a encore quelques semaines, la question aurait été totalement incongrue. Elle est aujourd’hui posée. A treize mois de la présidentielle, le chef de l’Etat se comporte de façon déroutante. Certains de ses actes laissent penser qu’il réfléchit bel et bien à sa réélection. D’autres semblent au contraire indiquer qu’il a déjà renoncé à briguer un second mandat. En bon disciple de François Mitterrand, M. Hollande a toujours considéré que, pour conquérir le pouvoir, l’union de la gauche était un préalable nécessaire. Il s’y est efforcé en 2012, et cela lui a réussi : après le premier tour, malgré une campagne parfois musclée au cours de laquelle les autres candidats de gauche ne l’avaient pas ménagé, il a pu compter sur le soutien de la quasi-totalité de son camp pour l’emporter face à Nicolas Sarkozy. Quatre ans plus tard, le chef de l’Etat a en partie retenu la leçon de Mitterrand. Le remaniement du 11 février en témoigne. L’entrée de trois écologistes au gouvernement a montré son souci de se réconcilier avec une famille politique dont il sait que l’appui lui sera précieux s’il se représente. La nomination de Jean-Marc Ayrault au Quai d’Orsay va dans le même sens. En rappelant auprès de lui son ancien premier ministre, il a peut-être souhaité se faire pardonner son limogeage après les élections municipales de 2014. Mais il a aussi pensé à l’avenir : de nouveau ministre, M. Ayrault ne risque plus de faire entendre sa différence, comme il le fit ces derniers mois à propos de la réforme fiscale ou de la déchéance de nationalité. En cas de candidature en 2017, M. Hollande sait qu’il a intérêt à avoir à ses côtés un homme dont les critiques feraient mauvais effet si elles venaient à s’exprimer pendant la campagne présidentielle. UNE GAUCHE MALMENÉE Que le chef de l’Etat songe à sa réélection, voilà qui ne fait donc aucun doute. D’autres indices, pourtant, semblent indiquer tout le contraire. L’épisode de la déchéance de nationalité puis celui du projet de loi El Khomri en sont la preuve. Jamais, depuis le début du quinquennat, la gauche ne s’est trouvée à ce point malmenée par le président de la République. Jamais la fracture n’a été aussi profonde. La tribune de Martine Aubry dans Le Monde du 25 février est venue acter de façon fracassante cette rupture. Désormais, ce n’est plus seulement une poignée de « frondeurs » peu connus qui s’opposent à la politique du chef de l’Etat, mais des personnalités dont la voix compte à gauche, tel Daniel Cohn-Bendit, cosignataire de la philippique de Mme Aubry. M. Hollande connaît trop la vie politique pour ignorer le risque qu’il prend à heurter ainsi la gauche à un an de la présidentielle. Lui, l’apôtre de la synthèse, donne le sentiment d’avoir oublié ce qui fit jadis sa fortune politique : sa capacité à se situer opportunément au centre de gravité de son camp afin d’apparaître comme son plus petit dénominateur commun. C’est ainsi qu’il a procédé pendant onze ans à la tête du PS. Et c’est ainsi, également, qu’il a conquis le pouvoir en 2012. Aujourd’hui, le visage qu’il arbore est bien différent. Plus la fin du quinquennat approche, moins il semble enclin à transiger. Hier si prudent, le voilà désormais prêt à prendre des risques auxquels il ne nous avait pas habitués. Le projet de loi de sa ministre du travail en est la preuve. S’il était avant tout soucieux de ménager son camp, jamais le chef de l’Etat n’aurait avalisé l’avant-projet de loi de Myriam El Khomri. La réforme proposée aurait certes été moins ambitieuse, mais elle aurait été politiquement moins coûteuse. Peu importe désormais que le texte qui sera finalement débattu corresponde davantage aux attentes de la majorité. Le mal est fait : de cet épisode, la gauche retiendra que M. Hollande a d’abord voulu passer en force, et non qu’il s’est résigné à ce que le gouvernement amende sa copie. S’il procède ainsi, peut-être est-ce parce qu’il imagine d’ores et déjà qu’il ne sera pas candidat en 2017. Contre-intuitive, l’hypothèse ne doit pas forcément être écartée. A plusieurs reprises, le chef de l’Etat a laissé entendre qu’il faisait davantage confiance au jugement de l’histoire qu’au verdict des électeurs. Ce fut par exemple le cas le 27 juillet 2015, lors du dîner annuel de l’Association de la presse présidentielle. « Les électeurs votent même quand ils ne comprennent pas, et, quand ils votent, on ne les comprend pas toujours », déclara-t-il ce soir-là. Avant d’ajouter : « Ce qui doit compter pour moi, c’est la trace que je laisserai. Le pire pour un président, c’est quand il n’a rien fait d’essentiel. » Difficilement lisible car fondamentalement ambivalente, sa stratégie déroute y compris ses proches collaborateurs. Il y a quelques semaines, en pleine polémique sur la déchéance de nationalité, un de ses vieux amis nous confiait son désarroi : « C’est tout le joli schéma imaginé depuis des mois pour 2017 qui vient de tomber à l’eau en quelques jours. Pour nous, 2016 devait avoir un objectif : ne pas fâcher la gauche afin que Hollande fasse le meilleur score possible au premier tour. Là, tout est foutu en l’air : même des députés loyalistes sont vent debout. Alors qu’on devait amadouer les frondeurs, on réussit l’exploit d’en créer de nouveaux. Chapeau ! » M. Hollande, qui a toujours eu horreur de se lier les mains trop tôt, a dit qu’il attendrait l’automne pour se dévoiler. D’ici là, tout laisse penser qu’il continuera, comme il l’a fait ces derniers mois, d’envoyer aux Français des signaux contradictoires sur ses ambitions pour la suite. Reste deux questions que le chef de l’Etat devra toutefois se résoudre à trancher un jour ou l’autre : peut-on réussir sa sortie si l’on ne l’espère pas vraiment ? Peut-on espérer être réélu si l’on ne s’y prépare pas sérieusement ? p [email protected] LE GRAND RENDEZ-VOUS EUROPE 1, « LE MONDE », I-TÉLÉ Florian Philippot : « Le changement ne viendra pas de la rue » L’Eglise est accusée d’avoir couvert des actes de pédophilie entre 1978 et 1991. Des plaintes ont été déposées. Le cardinal Barbarin, primat des Gaules, est visé. Doit-il se mettre en retrait le temps que la justice se prononce ? C’est à l’Eglise de le dire, mais il faut que la justice aille jusqu’au bout sans aucune contrainte, car cette affaire est très grave. ¶ Florian Philippot Vice-président du Front national Le Grand Rendez-Vous avec « Le Monde » est diffusé chaque dimanche de 10 heures à 11 heures sur Europe 1 et i-Télé. Version intégrale sur Europe1.fr et Lemonde. fr Des manifestations sont prévues cette semaine contre le projet de loi El Khomri sur le travail à l’appel de syndicats et d’organisations de jeunes. Irez-vous manifester ? Non, ceci dit, je ne dissuade ni n’encourage personne. Nous laisserons la liberté à nos électeurs sympathisants, militants, d’y aller ou de ne pas y aller. Mais je pense que le changement ne viendra pas de la rue, il viendra des urnes, probablement en 2017 lors de la présidentielle et des législatives. Que reprochez-vous à ce projet de loi ? François Hollande déroule la feuille de route de Bruxelles, qui est d’une violence inouïe et qui ne va pas créer un seul emploi. Ce n’est pas en ayant un sa- LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE larié Kleenex, en organisant la précarisation générale de la société, donc en rendant tout le monde plus malheureux, plus stressé, plus en souffrance qu’on va arranger les affaires de la France. On croirait entendre les frondeurs ! Les seuls vrais frondeurs sont peutêtre les frontistes. Parce que, nous, nous sommes cohérents. Nous combattons les traités européens alors qu’eux sont dans une forme de cynisme et d’hypocrisie. Quand on est en concurrence déloyale avec le monde entier, quand on n’a pas le droit de faire du patriotisme dans son propre pays, quand on a une monnaie unique qui nous plombe, ça ne peut pas marcher. Les Français restent majoritairement attachés à l’euro. Où en êtesvous sur ce sujet ? Tout le monde au Front est pour la fin de l’euro et la souveraineté monétaire. Je vous assure, tout le monde. Si nous arrivons au pouvoir, la France aura une monnaie nationale, au bout de six mois maximum, soit parce qu’elle aura réussi à transformer l’Union européenne radicalement en une Europe des nations li- bres et souveraines. Soit parce qu’elle aura quitté l’UE si l’Europe ne veut pas se réformer, par référendum. Le FN n’a pas été convié lundi 7 mars au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France. N’est-ce pas le signe que la dédiabolisation, ça ne marche pas ? Ils ne veulent pas respecter le pluralisme, c’est leur affaire, ce n’est pas notre problème. On s’en moque un peu. Vous préconisez « la France apaisée », mais Marine Le Pen veut « faire la peau » du commissaire européen chargé de l’agriculture. N’est-ce pas un peu contradictoire ? Non, car ce qui est violent, c’est la politique qu’on inflige aux agriculteurs. La France apaisée, ce sera votre slogan pour 2017 ? Pas forcément mais la pacification de la société française, l’apaisement économique, social, sécuritaire, identitaire de notre pays, c’est un grand enjeu de 2017. nales et vous omniprésent ? Je vais tordre le cou à un canard : j’ai une admiration sans faille pour Marine. Elle est le chef, la candidate à la présidentielle. Je n’aime pas qu’on reprenne ce qui à la base venait de la presse d’extrême droite, considérer qu’une femme n’aurait pas de cerveau, qu’elle serait forcément la marionnette de quelqu’un d’autre. C’est une accusation misogyne. Serez-vous le directeur de campagne de Marine Le Pen ? On n’en est pas du tout là. Je ne suis pas sûr d’ailleurs de le vouloir. Qui va gagner la primaire à droite ? Je pense que Juppé est le mieux placé pour son camp, c’est le plus rassembleur. « J’AI UNE ADMIRATION SANS FAILLE POUR MARINE. ELLE EST LE CHEF, ELLE EST LA CANDIDATE À LA PRÉSIDENTIELLE » Donc, il vous écrase au second tour… Je ne le crois pas. Les Français, quand la campagne viendra, se rendront compte qu’ils ne veulent pas des vieilles recettes qui n’ont pas fonctionné. Ils veulent du renouveau, du changement dans l’apaisement, mais du vrai changement. p Pourquoi Marine Le Pen est-elle en retrait de la scène depuis les régio- propos recueillis par david doukhan, michaël darmon et françoise fressoz Quand une féministe s’inspire de la Révolution LE LIVRE DU JOUR béatrice gurrey L’ Anglaise Mary Wollstonecraft a 33 ans lorsqu’elle publie, en 1792, Défense des droits de la femme, une réponse directe et incisive au Rapport sur l’instruction publique, de Talleyrand, présenté à l’Assemblée nationale en 1791. Tout en prodiguant à l’ancien évêque d’Autun des marques de respect formelles, la jeune femme affirme que, « si la femme n’est point préparée par l’éducation à devenir la compagne de l’homme, elle arrêtera le progrès des Lumières ». Ce texte audacieux, dont Gallimard publie des extraits chez « Folio » à l’occasion de la Journée des femmes, le 8 mars, est remarquablement présenté par Martine Reid, professeure de littérature à l’université Lille-III et auteure d’une biographie intellectuelle de George Sand. Cette dernière sera l’héritière de Wollstonecraft au XIXe siècle, comme Flora Tristan ou Marie d’Agoult (alias Daniel Stern). Mais il faudra attendre Virginia Woolf pour que soit reconnue sa place dans l’histoire du féminisme. Née en 1759, près de Londres, dans une famille aisée qu’un père alcoolique va ruiner, Mary devient dame de compagnie, puis gouvernante dans l’aristocratie, avant de fonder deux écoles. En 1787, elle publie « Réflexions sur l’éducation des filles » (non traduit) et fréquente des philosophes radicaux comme Thomas Paine et William Godwin, qu’elle épousera dix ans plus tard. Elle meurt, en 1797, à 38 ans, quelques jours après avoir donné naissance à leur fille, Mary, future épouse de Percy Shelley et auteure de Frankenstein. DIATRIBES CONTRE LE MARIAGE Mary Wollstonecraft, tout imprégnée de la Révolution française, dont elle a fréquenté les penseurs, à Paris, en 1793 – et où elle a eu une première fille, Fanny, avec un Américain –, a écrit deux livres non traduits sur cette période : « Défense des droits des hommes », en réponse à Edmund Burke qui critiquait les progrès des Lumières, et une histoire de la Révolution. C’est dire si sa réflexion sur le rôle et la place des femmes s’inscrit dans la philosophie politique d’une époque, qui visait l’universalité. On pourra sourire de ses diatribes contre le mariage, « la seule voie pour les femmes de s’élever dans le monde (…), et ce violent désir étouffant toutes leurs idées morales pour n’en laisser que de basses, à peine sont-elles mariées qu’elles se conduisent comme des enfants ». Ou de la recommandation de refouler la passion amoureuse, peu propice à l’accomplissement « des devoirs de la vie ». Mais la vision de Mary Wollstonecraft témoigne de sa modernité, quand elle encourage les femmes à cultiver leur esprit et à mépriser les « qualités » que les hommes leur ont, de tout temps, assignées : « Ce ne sont que des vertus négatives telles que la patience, la docilité, la bonne humeur, la flexibilité, vertus incompatibles avec les profondes combinaisons de l’intelligence. » Wollstonecraft se livre enfin à une critique en règle du personnage de Sophie tel que l’a imaginé Jean-Jacques Rousseau dans Emile, une femme qui n’a été formée que pour plaire et se soumettre à l’homme. p Défense des droits de la femme de Mary Wollstonecraft Gallimard, « Folio », 2 euros, 141 pages. télévisions | 19 0123 MARDI 8 MARS 2016 Les enjeux de la domination masculine à la Libération VOTRE SOIRÉE TÉLÉ Xavier Villetard montre comment le corps des femmes fut l’objet d’une bataille politique entre Français et Américains FRANCE 2 MARDI 8 – 22 H 50 DOCUMENTAIRE D es Françaises acclamant les GI, quand elles ne les couvrent pas de baisers. Cette image a contribué à faire de la Libération une fête où les civils français et les militaires alliés communièrent dans la joie. Depuis une dizaine d’années, les travaux des historiens permettent de nuancer ce récit idyllique. A la lumière de ces éclairages, le réalisateur Xavier Villetard lève le voile sur de nombreuses zones d’ombre. Longtemps, les viols commis par les GI furent attribués aux troupes de soutien, le plus souvent composées de soldats noirs. Une centaine d’entre eux furent condamnés, parfois à la peine de mort. L’historienne américaine Mary Louise Roberts, auteure de Des GI et des femmes (Seuil, 2014), explique que l’armée américaine a « racialisé » ces viols pour ne pas porter atteinte l’image des GI. Il y eut également une part de racisme parmi les Françaises qui portèrent ces accusations. Certaines le regrettèrent amèrement. Pour motiver ses soldats, l’armée américaine leur vendit l’image d’une France charnelle aux femmes faciles qui n’attendaient qu’eux. 80 % des soldats améri- Une femme, accusée de collaboration avec les nazis, en août 1944. AFP cains fréquentèrent des prostituées françaises pendant leurs permissions. Mary Louise Roberts va jusqu’à qualifier ce phénomène de « tsunami de luxure ». Cette affirmation s’ajoute à la liste des dérapages commis par les soldats américains dans l’Hexagone que dresse ce film. Avant d’être les héros du monde libre, les GI formèrent, il est vrai, une armée comme les autres. Mais en insistant sur leur comportement de conquérants, on finit presque par oublier leur rôle de libérateurs. Reprendre le contrôle sur elles Le film montre bien que le corps de la femme française devient un enjeu politique entre les Américains libérateurs et les Français li- bérés. Les Français, qui ont vu certaines de leurs femmes entretenir des relations avec les occupants allemands puis avec les libérateurs américains, vont tenter de reprendre le contrôle sur elles. Les historiens Fabrice Virgili et Françoise Thébaud expliquent dans quelle mesure la tonte des femmes suspectées d’avoir « couché avec l’Allemand » participe à cette tentative de reprise de possession des corps féminins. Ces châtiments ont permis aux hommes de reporter la culpabilité de la collaboration sur ces « traîtresses à la nation ». Autre thème exploré : le retour à l’intime. En mai 1945, les Français détenus en Allemagne commencent à regagner leur pays : près de 1 million de prisonniers et 750 000 travailleurs, dont l’immense majorité a été requise au titre du Service du travail obligatoire, ainsi que des milliers de prisonnières et de travailleuses. Parmi celles parties à titre volontaire, beaucoup seront tondues. Pour celles restées en France, il faut retrouver l’homme qu’on pensait parfois mort. Lorsqu’une femme a mis au monde un enfant pendant l’absence du mari, il faut le convaincre de le garder. En avril 1945, les femmes votent pour la première fois aux élections municipales. Les journalistes s’interrogent sur la possibilité qu’elles perdent leur féminité. Les attentes sont très fortes : elles doivent rassurer les hommes, mais surtout repeupler la France. Année de tous les dangers, la Libération marque une série de bouleversements sans précédent dans la société française. p antoine flandrin Les Femmes de la Libération, de Xavier Villetard (Fr., 2016, 57 min). Kalachnikov en main, elles combattent l’organisation Etat islamique en première ligne en Syrie et en Irak U ne résistante kurde en treillis, kalachnikov à l’épaule, raconte comment, au bout d’un an, les forces kurdes ont repris Sinjar, dans le nord-ouest de l’Irak, en 2015. La réalisatrice Mylène Sauloy la suit au milieu des maisons dévastées de la ville. Le fief des yézidis, cette minorité kurde, cible de l’organisation Etat islamique, n’est plus qu’un champ de ruines. Cette combattante appartient à l’Unité des femmes libres, l’une des branches armées du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Formées militairement et politiquement, les femmes kurdes luttent en première ligne contre l’EI. « Pendant les affrontements, on se rendait bien compte que Daech ne supportait pas de combattre contre nous », affirme Rosa, membre des Unités de protection du peuple (YPG), branche militaire du Parti de l’union démocratique kurde syrien (PYD). Le film de Mylène Sauloy montre que cet enga- gement s’inscrit dans un mouvement de résistance ancien, créé il y a près de quarante ans en Turquie autour de Sakine Cansiz. Cofondatrice du PKK, assassinée, avec deux autres militantes kurdes, à Paris le 10 janvier 2013, cette icône a inspiré des générations de femmes. Camps d’entraînement Dès la fin des années 1990, elle a fondé des camps d’entraînement dans les montagnes du Qandil, au nord de l’Irak. Des femmes kurdes de la région et d’Europe ont rallié son mouvement, dont le slogan est : « Femmes ! Vie ! Liberté ! » En fait, tout a commencé dans sa province natale, le Dersim, renommé Tunceli par l’Etat turc en 1937 après le massacre perpétré par les troupes de Mustafa Kemal Atatürk. La résistance féminine ne s’est pas faite contre les hommes. Le film met en exergue leur projet de société égalitaire affranchie du patriarcat. Il aurait été toutefois intéressant d’interroger le rapport de ces femmes à la figure tutélaire du PKK, Abdullah Öcalan, incarcéré en Turquie depuis 1999. TF1 20.55 Person of Interest Série. Avec Jim Caviezel (EU, saison 4, ép. 19 et 20/22 ; S3, ép. 9/23). 23.30 Chicago Police Department Série. Avec Jon Seda, Sophia Bush, Markie Post et Jason Beghe (EU, S2, ép. 20/23). France 2 20.55 Un jour, une histoire Florence Arthaud, vague à l’âme Magazine présenté par Laurent Delahousse. 22.50 Les Femmes de la Libération Documentaire de François Xavier Villetard (Fr., 2016, 57 min). France 3 20.55 Elles… les filles du Plessis Téléfilm de Bénédicte Delmas. Avec Sandrine Bonnaire (Fr., 2015, 90 min). 22.25 Débat Ado et déjà maman Animé par Carole Gaessler. Canal+ 20.45 Football 8es de finale retour de Ligue des champions : Real Madrid-AS Roma. 22.50 Avengers : l’ère d’Ultron Film d’action de Joss Whedon. Avec Robert Downey Jr, Scarlett Johansson (EU, 2015, 144 min). France 5 20.40 La France se noie Documentaire de Marion VaquéMarti (Fr., 2015, 52 min). 21.45 Sale temps pour la planète La Bretagne contre vents et marées Documentaire de Morad Aït-Habbouche (Fr., 2015, 52 min). L’héroïsme des résistantes kurdes ARTE MARDI 8 – 22 H 35 DOCUMENTAIRE M AR D I 8 M ARS De même, la lutte armée contre l’Etat turc n’est pas abordée. On aurait aimé savoir ce qu’elles pensent des Etats-Unis, pays qui considère le PKK et le YPG comme des organisations terroristes, mais qui leur fournit des armes. Le film cherche à replacer leur combat dans le contexte de la condition des femmes au Moyen-Orient. En cela, il rend un bel hommage à l’héroïsme de ces femmes. p a. fl. Kurdistan, la guerre des filles, de Mylène Sauloy (Fr., 2015, 52 min). Arte 20.55 Thema : Journée internationale des femmes Les Femmes de pouvoir, James Rogan et Harrier Shawcross (All., 2016, 90 min). 22.35 Kurdistan, la guerre des filles Documentaire de Mylène Sauloy (Fr., 2015, 52 min). M6 20.55 Garde à vous Episode 4, Télé-réalité 23.30 Les Docs de l’info « Le Charles-de-Gaulle » Magazine. 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT GRILLE N° 16 - 057 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 056 HORIZONTALEMENT I. Rhumatologue. II. Honorera. Uns. III. Emit. Tague. IV. Tosse. Lue. Do. V. Olé. Oreiller. VI. Roxane. Œuvé. VII. Igue. Fil. Iu. VIII. Querelleuses. IX. Ue. Abel. René. X. Ereintements. VERTICALEMENT 1. Rhétorique. 2. Homologuer. 3. Unisexué. 4. Mots. Aérai. 5. Ar. Eon. Ebn. 6. Têt. Relet. 7. Orale. Ille. 8. Laguiole. 9. Uélé. Ure. 10. Gué. Lu. Sen. 11. Un. Dévient. 12. Essoreuses. I. Donne du temps ou en fait perdre. II. Préparation campagnarde de viandes et de légumes. A consommer avec une grande modération. III. Bon dans son domaine. Rassemblé. Personnel. IV. Accompagne souvent la mariée. A des hauts et des bas chez l’imprimeur. V. Evitez de marcher dessus. A mis quatre temps dans nos moteurs. VI. Avec Dédale dans le Labyrinthe. A su choisir ses robes avec soin. Préposition. VII. Règle sur la planche. Evite l’emploi de la force. Particulièrement fatigant. VIII. Se jette dans la Vilaine. Grecque. Prête à prendre la pose. IX. Propos espagnol. Permet de ranger poubelles et provisions. X. L’art de bâtir dans les arbres et la nature. VERTICALEMENT 1. Première sortie. 2. Disciple de Galilée qui nous a mis sous pression. 3. Calfata avec de la ilasse. Fait la lumière aujourd’hui. 4. Sur la portée. Du blanc dans la page. 5. Grande partie du monde. Une fois de plus. Invite le lecteur à consulter. 6. Vient de disparaître avec son pendule. Pousse sur la tête du vieux cerf. 7. Saurien herbivore. Le meilleur de tout. 8. Cours autrichien. Entendra comme avant. 9. Divisions du ciel chez l’astrologue. Fait la liaison. 10. Piégé. En fête. Contre tout. 11. Lin mal tissé. Indication pour le maestro. 12. N’importe quel poisson, mais pas le requin. SUDOKU N°16-057 du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). 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La première est de présenter dans la même soirée Iolanta et Casse-Noisette, composés par Tchaïkovski et créés ensemble au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg en 1892. La seconde, délibérément extravagante, consiste à hacher menu le ballet pour en distribuer des morceaux choisis à trois chorégraphes : le Portugais Arthur Pita, le Canadien Edouard Lock et le Belge Sidi Larbi Cherkaoui. A l’origine, ils devaient même être cinq à se partager le gâteau, mais Benjamin Millepied et Liam Scarlett ont été délestés de l’opération. Un tiers pour chacun maintenant, six mains au total, Tcherniakov en chef pâtissier veillant sur ses marmitons-chorégraphes, autant dire que cette friandise de Noël historique qu’est devenu Casse-Noisette s’annonce drôlement tutti frutti. A deux semaines de la première, le mercredi 9 mars, l’ambiance fuse joyeusement au Palais Garnier. A la bonne franquette mais pied au plancher. Les répétitions s’enchaînent tous les jours avec les trois chorégraphes qui attendent en retrait le moment de débouler dans le studio. Les horaires sont stricts : une heure quarante en moyenne top chrono pour chacun, c’est peu pour inventer du mouvement. Faut que ça cavale ! « Pour eux comme pour nous, il faut aller droit au but et atteindre rapidement le résultat, c’est délicat à gérer », résume le danseur étoile Stéphane Bullion. Chaud devant ! Pour l’heure, ça rigole, ça claque des pieds, tape des mains, ça crie. Les danseurs se jettent dans des sauts frétillants ou des farandoles. C’est la fête avec Arthur Pita. Ce chorégraphe inconnu en France donne le coup d’envoi : une grosse soirée pour l’anniversaire de Marie, l’héroïne. Pas de Clara ni de sapin de Noël comme dans le Casse-Noisette originel inspiré par le conte d’Hoffmann. « Faites du bruit », demande Pita aux danseurs. « La difficulté est de jouer de vraies personnes en train de faire des danses idiotes, des choses stupides comme lorsqu’on a trop bu, explique-t-il quelques minutes plus tard en souriant. Et que tout ça fonctionne sur les montagnes russes de Tchaïkovski. Person- nellement, j’aurais préféré chorégraphier la seconde partie, celle du cauchemar que met en scène Edouard Lock, mais bon ! » Stupéfiante partition La règle du jeu de cette stupéfiante partition est toute entre les mains de Tcherniakov. Il a écrit un nouveau livret qui connecte intimement Iolanta et Casse-Noisette grâce à certains personnages, dont le héros Vaudémont au cœur des deux spectacles. « C’est très surprenant de travailler à partir de l’imagination de quelqu’un d’autre, glisse Edouard Lock. Habiter un monde n’appartenant qu’à la vision d’un seul artiste peut permettre à des points de vue différents de coexister sur un terrain neutre. Les chorégraphes se côtoient rarement « Les chorégraphes se côtoient rarement de cette façon. Pour la danse, qui partage peu, cela peut être une opportunité intéressante » EDOUARD LOCK chorégraphe de cette façon. Pour la danse, qui partage peu, cela peut être une opportunité intéressante. » Chaque artiste s’est vu attribuer des séquences sans avoir le choix des armes. Pas de travail à la table tous ensemble pour évoquer le projet. « Tcherniakov veut que chaque moment du voyage soit différent, explique Arthur Pita. Cela laisse planer un mystère sur l’ensemble du processus. Lui et moi avons eu quelques réunions. Je lui ai indiqué ma façon de voir la scène d’un point de vue dramatique et musical, et j’ai avancé dans le travail. » Même ton chez les deux autres chorégraphes. « Dmitri est un visionnaire et, dans sa tête, tout le spectacle est déjà très clair, commente Sidi Larbi Cherkaoui. Il suit à la lettre le script qu’il a écrit. » « Je sais qu’il y a un film projeté, des phares de voitures sur scène, des interactions avec des animaux, mais je ne suis responsable que de la danse, raconte Edouard Lock. On découvre le projet en avançant. » Dans ce contexte « encapsulé », selon la formule de Lock, où « l’on a une vie dans la zone qu’on occupe », chacun se concentre et progresse au mieux. Trois ballets à concevoir dans un, le défi est de taille. Trois styles à intégrer pour les danseurs, aussi. Surtout en gardant l’œil sur la montre mais aussi sur son… téléphone portable ou sa tablette. Nouveaux outils pour la danse ? Oui. Le maître de ballet, Fabrice Bourgeois, filme tout, en particulier les séquences de travail avec Lock. « Sa danse est complexe, commente-t-il. Une di- © adaGP, Paris, 2015. chaGall, Marc - la daNsE, 1950-52, (détail) cENtrE PoMPidoU, MUséE NatioNal d’art ModErNE, Paris, EN déPôt aU MUséE NatioNal Marc chaGall, NicE © BaNqUE d’iMaGEs dE l’adaGP BElla aU col BlaNc, 1917, (détail) MUséE NatioNal d’art ModErNE - cENtrE GEorGEs PoMPidoU, Paris © BaNqUE d’iMaGEs dE l’adaGP / lE cirqUE roUGE, 1956-60, (détail) collEctioN ParticUlièrE lEs aMoUrEUx, 1916, (détail) collEctioN ParticUlièrE © BaNqUE d’iMaGEs dE l’adaGP / aU-dEssUs dE la villE, 1914-18, (détail) GalEriE NatioNalE trEtiakov, MoscoU / lEs aMoUrEUx, 1952, (détail) collEctioN ParticUlièrE © BaNqUE d’iMaGEs dE l’adaGP Un lien secret unit le metteur en scène et le compositeur UNE réalisatioN Gianfranco iannUZZi renato Gatto - MassiMiliano siccarDi UNE ProdUctioN dmitri tcherniakov n’a jamais été un passif, même s’il a su s’en créer – des passifs. A commencer dans son propre pays, la Russie, où il entretient des rapports complexes avec le Bolchoï, depuis le scandale provoqué par sa mise en scène de Rouslan et Ludmila, de Glinka, acte fondateur de l’opéra russe, présenté pour la réouverture du mythique théâtre de Moscou en novembre 2011. La production a depuis quitté l’affiche non sans avoir essuyé un procès que Tcherniakov n’a pas perdu, au contraire de celui, perdu en appel, intenté par les ayants droit de Poulenc et Bernanos à propos des Dialogues des carmélites montés en 2010 au Bayerische Staatsoper de Munich. En acceptant de mettre en scène pour l’Opéra de Paris Iolanta et Casse-Noisette, deux œuvres composées par Tchaïkovski pour la même soirée du 18 décembre 1892 à Saint-Pétersbourg, Tcherniakov sait qu’il prend un risque maximal. Il sait aussi que, s’il réussit son pari, il aura radicalement changé la face de ce diptyque dont les deux opus, qu’il considère comme une entité, ont depuis leur création suivi des chemins séparés. « Dans l’esthétique du XIXe siècle, opéra et ballet ne sont évidemment pas liés », concède-t-il. Si Casse-Noisette est rapidement devenu un standard du répertoire chorégraphique, le dernier des onze opéras de Tchaïkovski, Iolanta, n’a connu que récemment la reconnaissance des scènes lyriques européennes, au contraire d’Eugène Onéguine ou de La Dame de pique. Mais Tcherniakov en appelle d’abord à la musi- que. « L’inspiration de Tchaïkovski est devenue très sombre dans les dernières années de sa vie, qui ont vu naître la fameuse Symphonie Pathétique, argue-t-il. Derrière la brillance et la joie superficielle, on entend la peur, le désespoir, la frustration, une vision tragique de l’existence. Même dans le “Pas de deux” ou la “Valse de fleurs”, il y a cette terrible confession que la chorégraphie de Marius Petipa, à cette grande époque du ballet romantique, ne pouvait prendre en compte. » « Même substance » Pour étayer et légitimer sa propre liberté, Tcherniakov a procédé à son habitude par accumulation de preuves. Comme il était allé au bord du lac dont parle la Légende de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Fevronia (Rimsky-Korsakov) ou visiter à Compiègne les reliques des religieuses guillotinées pour Les Dialogues des carmélites, le metteur en scène a écumé les archives, carnets et brouillons de Tchaïkovski à la bibliothèque de Klin, la petite ville entre Moscou et Saint-Pétersbourg où le compositeur a passé les trois dernières années de sa vie. « C’est bordélique : des grandes feuilles blanches avec quelques mesures de thèmes posées n’importe où, au point que l’on ne sait pas dans quel sens il faut lire la partition. Mais certaines idées de Iolanta et de Casse-Noisette y sont mêlées. Il s’agit bien de la même substance. » Depuis toujours, un lien secret unit le metteur en scène au compositeur. C’est avec Eugène Onéguine que l’adolescent de 13 ans a ressenti pour la première fois de sa vie « cette émotion particulière, ce quelque chose d’incompréhensible et de magique » qui sera dans sa vie un acte fondateur. « C’était fin mai, peut-être 1982, raconte Tcherniakov. A Moscou, seuls les privilégiés pouvaient avoir des places pour le Bolchoï. Mais, ce jour-là, ma mère avait reçu deux places en guise de prime au travail. Elle m’a appelé et on s’est retrouvés devant le monument de Karl Marx, juste en face du théâtre. Je me souviens de la façon dont elle était habillée. Et c’était Eugène Onéguine, une production du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg, qui s’appelait encore à l’époque le Kirov. » En 2006, Eugène Onéguine fut aussi la première mise en scène de Tcherniakov pour le Bolchoï – « 150 représentations en dix ans », souligne-t-il avec fierté. Une production reprise par l’Opéra de Paris qui consacre en 2008 le talent du jeune metteur en scène de 38 ans. Amoureux fou d’art lyrique de 13 à 18 ans, passé par le théâtre, metteur en scène d’opéra en 1998 (c’était à Novossibirsk, avec Le Jeune David de Kobekine), Tcherniakov s’est beaucoup consacré au répertoire russe – en témoigne la magistrale Lady Macbeth de Mzensk, de Chostakovitch, récemment reprise à l’Opéra de Lyon. Mais c’est de Tchaïkovski qu’il entend cette fois réhabiliter l’œuvre et la pensée. « J’ai voulu rendre justice à la qualité de cette musique, plaide-t-il. Pour cela, il m’a fallu inventer une autre histoire. » p m.-a. r. culture | 21 0123 MARDI 8 MARS 2016 Jean Dubuffet, enragé de la négation Lors des répétitions du spectacle. A Bâle, une rétrospective réunit une centaine d’œuvres de l’artiste français AGATHE POUPENEY/PHOTOSCENE POUR « LE MONDE » ARTS zaine de mouvements s’enchaînent à toute vitesse qu’il faut mémoriser aussi vite. Il s’agit de rester concentré en permanence. D’où ma tablette ! » Un jeune vidéaste capte aussi en direct certaines variations pour les envoyer sur le portable des danseurs, qui peuvent ainsi travailler dans leur coin. La gestuelle urgente, segmentée de Lock, dont les mouvements des bras semblent parfois jeter un sort ou attaquer à distance, fait irruption comme une crise de nerfs. Entre la fiesta théâtrale de Pita et la tornade spiralée de Cherkaoui qui règle les tableaux des flocons et des fleurs, le gouffre est immense. Les interprètes, tous les mêmes pour les trois parties, sautent les obstacles. « Ce sont des chorégraphes extrêmes, chacun à sa façon, et je pense que c’est ce point commun qui fait le lien dans le ballet, commente, rêveur, Stéphane Bullion. Le plus difficile est de tenir son personnage en passant d’un style à l’autre. Je danse Vaudémont, qui est un homme réservé, et il faut rester juste quelle que soit la gestuelle. Mais j’en discute avec les chorégraphes et avec Tcherniakov aussi. » Le metteur en scène assiste régulièrement aux répétitions du ballet. Il observe, s’inquiète de l’avancée des travaux. Sérieux, discret, il sait aussi blaguer. Le voilà déguisé en petit bonhomme vert. Une humeur aux antipodes de celle de la dernière répétition de Iolanta, samedi 20 février dans la salle Ravel de l’Opéra Bastille, avant le rapatriement au Palais Garnier. Concentration extrême, tension perceptible. Iolanta et le chevalier Combat au millimètre La princesse vient d’apprendre ce que son père, le roi René, a tout fait pour lui cacher depuis sa naissance : elle est aveugle. Vaudémont, qui ignore l’interdit royal, va déclencher une tornade. « Scène 8 », a lancé le metteur en scène en jean et tee-shirt noir. Déjà les appels des femmes apeurées retentissent derrière les portes : « Iolanta ! Iolanta ! Iolanta ! », auxquels répond la pressante question du roi : « Où est ma fille ? » Toute la gent féminine est entrée en trombe dans la pièce pour découvrir Iolanta dans les bras d’un inconnu. Le roi, précédé de sa suite, a fait voler d’autres portes. Son courroux est impressionnant. « Il a complètement perdu le contrôle. Il a peur », insiste Tcherniakov. La puissante silhouette de la basse russe Alexander Tsymbalyuk semble dévaster l’espace exigu de ce cosy salon bourgeois de soir de Noël. Vaudémont est projeté dans un fauteuil par un garde, tandis que le souverain empoigne au collet le portier du château, repousse d’un lourd revers la nourrice Martha. La scène qui se règle est celle d’un combat au millimètre. Volubile et tactile, Tcherniakov positionne l’un, parle à l’autre, explique, commente, mêle le russe et l’anglais, que contrepointe le français traduit par une assistante. Sa parole tisse un lien entre les gestes et la musique. Le Russe chante en marquant tous les rôles, imite par bouffées des saillies d’orchestre. « J’ai une fibre psychopathe qui me pousse à tout contrôler », confie-t-il. A la furia du plateau répond le silence de la pianiste au bord du clavier muet, tandis que le chef d’orchestre Alain Altinoglu attend, bras croisés, que Tcherniakov lâche enfin : « On va le faire avec la partition maintenant ! » Voix et piano s’élancent, galvanisant encore davantage le metteur en scène maître de ballet resté au cœur de cette danse. « Pour moi, une nouvelle mise en scène, ça commence toujours par la peur. Et ça finit aussi par la peur (Tcherniakov rit un peu). Mais n’est-ce pas aussi le sujet de Iolanta ? Et de Casse-Noisette ? » Ce jour-là ne répondra pas encore à la question miraculeuse de la guérison de Iolanta. p rosita boisseau et marie-aude roux Iolanta/Casse-Noisette, de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Spectacle mis en scène par Dmitri Tcherniakov, à l’Opéra de Paris (4 h 05). Jusqu’au 1er avril. Operadeparis. fr EICHMANN A JERUSALEM OU LES HOMMES NORMAUX NE SAVENT PAS QUE TOUT EST POSSIBLE Théâtre Majâz DE Lauren Houda Hussein MISE EN SCÈNE Ido Shaked Réservations : 01 48 13 70 00 www.theatregerardphilipe.com Dans les villes – illustration Serge Bloch CRÉATION – DU 9 MARS AU 1ER AVRIL 2016 bâle (suisse) S erait-ce parce qu’elle a eu l’infortune d’ouvrir le 13 septembre 2001, deux jours après les attentats aux Etats-Unis ? La rétrospective que le Centre Pompidou avait consacrée à Jean Dubuffet (1901-1985) pour le centenaire de sa naissance n’a laissé que peu de traces dans les mémoires. Depuis, aux Etats-Unis et en Europe, de nombreuses expositions partielles ont été consacrées à certains aspects de son œuvre. Celle qui se tient, jusqu’au 8 mai, à la Fondation Beyeler, à Bâle, en Suisse, est d’une tout autre ampleur. Bien que le sous-titre, « Métamorphoses du paysage », donne à croire qu’elle serait thématique, elle tient de la rétrospective. En effet, Dubuffet avait affirmé ne pas attacher d’importance à la distinction entre genres et disait qu’il y avait du paysage dans le nu, le portrait et la nature morte. Ce glissement est donc légitime. Une centaine d’œuvres sont réunies : toiles de grand format, collages de toutes sortes, sculptures en charbon de bois et en mâchefer, maquettes pour milieu en plein air, sculptures en polyuréthane. Point culminant : Coucou Bazar, l’une des œuvres monumentales de Dubuffet. Elle se compose d’une cinquantaine de « praticables » pour la scène, découpes peintes et mobiles, anthropomorphes ou zoomorphes. Ils devraient être mis en mouvement par pantomime, danse et musique. Mais les costumes sont si lourds et raides qu’ils rendent tout déplacement difficile. Des masques sans regard dissimulent les visages. Le comique tourne au malaise, comme souvent chez Dubuffet, enragé de la négation. Dérision sans limite L’exposition trace le portrait d’un homme qui rit de tout et de tous. Les arts et les artistes, ses contemporains et leurs professions, les deux sexes, leurs relations compliquées ou rudimentaires : tout passe à la moulinette. Les sujets en ressortent en lambeaux, défigurés, écorchés, écrasés. Que Dubuffet ait été l’un des plus actifs défenseurs de Céline après la Libération se comprend ainsi : une fureur destructrice aussi intense chez l’un que chez l’autre, jusqu’à l’ignoble sans limite chez Céline, jusqu’à la dérision sans limite chez Dubuffet. Ils ont les mêmes victimes. Qui se souvient de Mme Gorloge, figure obscène de Mort à crédit, la reconnaît nue dans la série des « Corps de dames » de 1950, des femmes aussi grasses et impudiques que la bijoutière dépravée et voleuse. Bardamu (Voyage au bout de la nuit), c’est Le Voyageur égaré, autre œuvre de 1950, bonhomme à chapeau ricanant, debout dans un paysage blême incisé de cicatrices. Le Paris de Céline est celui des Façades d’immeubles de 1946, falaises noirâtres, ou du Commerce prospère, grande toile de 1961, carte d’une ville vue d’en haut. Les enseignes annoncent la « Banque la Grotesque », l’épicerie « Au poids truqué », le bistrot « Tordboyaux », le « Ministère des graisse-patte ». L’autobus bondé roule vers le Père-Jean-Foutre plutôt que vers le Père-Lachaise – cimetières quoi qu’il en soit. Déjà, en 1953, Dubuffet avait pris pour sujet sa table de travail. De loin, ce sont d’exquises harmonies entre roses tendres et orangées nacrés. De près, on y découvre reçus, quittances, factures : plus de poésie, mais la réalité du commerce. Lequel ? Le négoce en vin, dans lequel Dubuffet a fait fortune sous l’Occupation, « Fumeur au mur » (1945), de Jean Dubuffet. 2015 PROLITTERIS ZURICH comme il l’a lui-même raconté dans sa Biographie au pas de course (Gallimard, 1985) ? Ou le marché de l’art, où ses œuvres ont commencé à bien se vendre dès la fin des années 1940, avec Jean Paulhan dans le rôle du propagandiste en chef ? Quoi qu’il en soit, c’est de lui-même que Dubuffet met à nu les côtés les moins glorieux. Toujours le côté Céline et D’un château l’autre : aveux compromettants et grotesque maximal. A l’inventaire de ses détestations, il convient d’ajouter les paysans, l’automobile et l’architecture moderne. Défiguration et schématisation sont les modes principaux de sa satire. Rien de « brut », cet adjectif qu’il a popularisé. Jean Dubuffet a contribué à mettre en évidence les qualités plastiques de créations qui étaient tenues le plus souvent pour maladroites et enfermées dans les catégories de l’art « populaire », « aliéné » ou « autodidacte ». Chefs-d’œuvre de cruauté Par son action et ses écrits, en fondant la Compagnie de l’art brut en 1947, en réunissant la collection du même nom, il a placé au rang qui doit être le leur les « fous » Aloïse Corbaz ou Adolf Wölfli. Mais il les a aussi regardés de près et a développé, grâce à eux, son propre art. Le « primitif », le balbutié, le lacunaire sont employés avec une parfaite dextérité, amplifiés par des effets matiéristes et chromatiques prémédités. Cette savante sauvagerie crée des chefs-d’œuvre de cruauté, Le Commerce prospère, déjà cité, le Portrait d’Henri Michaux et les peintures à fond noir, procédé systématisé dans ses « Non-lieux », sa dernière et funèbre série, trop peu présente ici. L’œuvre et l’exposition ont cependant leurs moments contemplatifs, dont la lamentable humanité est absente, comme il se doit. « J’aime les amples mondes homogènes sans jalons ni limites comme sont la mer, les hautes neiges, les déserts et steppes », admettait Dubuffet. Il leur a consacré des œuvres géologiques, botaniques et – le terme est sien – « texturologiques ». Découpant et collant des fragments de peintures faites à cet effet, ajoutant gravillons et plâtre, empruntant à la nature écorces et ailes de papillon, il compose, dans les années 1950, des sortes d’abstractions figuratives, détails des sols et des arbres, coupes dans la terre ou dans les troncs. Ce sont les instants panthéistes d’un misanthrope enragé. p philippe dagen Métamorphoses du paysage, Fondation Beyeler, à Bâle (Suisse). Fondationbeyeler.ch. Tous les jours, de 10 heures à 18 heures, le mercredi jusqu’à 20 heures. Entrée : de 6 à 25 francs suisses (5,40 à 22,70 euros). Jusqu’au 8 mai. Théâtre de l’europe © Mélissa Boucher Vaudémont (la soprano Sonya Yoncheva et le ténor Arnold Rutkowski) sont blottis en position fœtale au pied d’un fauteuil. Dmitri Tcherniakov a resserré les bras de l’homme autour du dos de la jeune femme. « Ce sont deux enfants effrayés, presque des animaux », argumente-t-il. cAmpAgne de mécénAT pArTicipATif du 7 mArs Au 2 mAi 2016 Aidez des élèves à vivre un projet artistique européen ! Transmettez votre goût du théâtre, faites un don pour Génération(s) Odéon sur theatre-odeon.eu/ fr/generations-odeon CULTIVONS LEUR AVENIR ! #GOpourlavenir 22 | styles 0123 MARDI 8 MARS 2016 PARIS | PRÊT-À-PORTER AUTOMNE-HIVER 2016-2017 jeux de construction CHEZ BALENCIAGA, CHAQUE PETITE DISSONANCE SOULIGNE LA POÉSIE BRUTE DE L’ENSEMBLE ET LA NAISSANCE D’UN NOUVEAU LUXE Sur les podiums parisiens plus qu’ailleurs, la modernité s’épanouit dans une réflexion sur l’éternel dialogue entre le corps et le vêtement Céline. PATRICK KOVARIK/AFP Balenciaga. SWAN GALLET/WWD/SHUTTER/SIPA Givenchy. BERTRAND GUAY/AFP Comme des garcons. MARTIN BUREAU/AFP MODE L a chair et ce qui la couvre : la mode se joue toujours au fond dans la rencontre de ces deux entités. Elles se supportent l’une l’autre, entrent parfois en désaccord et c’est de ces rapports orchestrés par un créateur que naît un style, une vision de la féminité aussi. Cette saison, les stylistes ont des points de vue tranchés sur la question et cette capacité à prendre position vient conforter le rôle prescripteur de la capitale française. Celle-ci accueille les meilleurs architectes du vêtement, comme celui que l’on découvre chez Balenciaga. Evénement le plus attendu de la semaine, le show qui s’est tenu dimanche 6 mars dans les anciens locaux de Canal+ était le premier de Demna Gvasalia en tant que directeur artistique de la griffe du groupe Kering. L’homme est le cofondateur et le seul visage connu du collectif Vetements, label branché qui fait beaucoup parler de lui depuis trois saisons grâce à sa mode de rue déconstruite et post-punk. Sa nomination en octobre dernier avait provoqué des interrogations tant l’écart semblait grand entre l’esprit de cette jeune marque encline à la provocation et le luxe de Balenciaga en quête d’un nouveau souffle après les passages de Nicolas Ghesquière (marquant) et d’Alexander Wang (furtif). La collection montre pourtant combien cette rencontre improbable est réussie. Le créateur a parfaitement compris l’essence du travail de Cristobal Balenciaga en tant qu’architecte du vêtement et il en donne une interprétation libre d’emblée convaincante, puissante et intelligente. Les tailleurs à carreaux et les manteaux ont des angles aigus singuliers mais harmonieux et se portent avec des bottes vernies aux talons légèrement de guingois, les épaules dénudées sont soulignées par des décolletés de maille ou des maxi-cols. Blousons matelassés plus sportifs aux volumes savants, robes et jupes à fleurs aux drapés graphiques, maxi-sacs rayés qui rappellent des modèles industriels en Nylon chers à Barbès, la ligne est inventive et extrêmement cohérente. Chaque petite dissonance (le Lurex avec le Nylon, des plates-formes exagérées, le physique imparfait de beaucoup de mannequins issus de la cabine de Vetements) souligne la poésie brute de l’ensemble, la naissance d’un luxe moderne où les failles sont signes d’humanité, donc de sensibilité. Le Japonais Junya Watanabe se lance, lui, dans un jeu d’hyperconstruction moins subtil. Ses effets en 3D aux plissés cubistes transforment les silhouettes en figures de géométrie dans l’espace. C’est parfois gracieux, mais souvent proche d’un futurisme dépassé à la Pierre Cardin. La technique est parfaite mais, dans ce jeu, le corps n’est qu’un accessoire, voire un obstacle à la démonstration. Il faut l’imagination folle et puissante d’une Rei Kawakubo pour concilier sculpture abstraite et sentiment humain. Sur un thème « anarchic » : le punk version XVIIIe siècle, la créatrice de Comme des Garçons envoie sur le podium de drôles de silhouettes architecturées en brocarts fleuris et latex, animées de courbes prothèses et de volants pléthoriques. Ce happening hors de toute logique industrielle est un commentaire social sur le vêtement-carapace à la fois protection et outil d’expression d’une féminité capable de causer le chaos, parfois avec plaisir. Les Suédois d’Acne Studios sont moins extrêmes dans leurs jeux de dissections vestimentaires. Leur collection-collage reste cependant singulière. Manteaux capitonnés asymétriques ou en laine mohair soulignée de structure métallique, vinyle aux teintes brutes, maille extrafine drapée sur le corps en faux désordre, mosaïque d’imprimés panthère composent un vestiaire punk où le corps et ces constructions spontanées évoluent tout de même en harmonie. Une harmonie qui est plus évidente chez Céline, où Phoebe Philo pense en termes de graphisme autant que de confort. Elle superpose de manière précise et naturelle des formes et des pièces à la fois familières et décalées. Grand manteau de laine, trench multipoche en popeline kaki, blouson carapace en cuir extrafin froncé, pantalon trompette fendu, blouson court, robe teeshirt en soie rebrodée d’une maxi-chaîne en trompe-l’œil créent un vestiaire qui réussit à être athlétique et cérébral à la fois. Un oxymore vestimentaire que la créatrice anglaise est l’une des rares à maîtriser. Le corps, lui, est carrément conquérant chez Mugler, où David Koma cultive le goût des amazones sexy, signature de la maison. Carrure acérée, mini-robe de cuir à franges, découpes asymétriques, motif panthère brodé en franges de métal. Tout le répertoire d’une mode très anatomique est là, mais il manque de conviction pour être vraiment moderne. Chez Haider Ackermann, le corps est gainé de près, les pantalons seconde peau se portent avec des bottines pointues à talons aiguilles, les vestes sont courtes et les cheveux tirés en branches torsades sur le crâne. Les matières et les textures riches (velours froissé couleur bijoux, brocarts argent, granité de cristaux) contredisent cette tension musculaire qui ellemême reflète mal la poésie coutumière du créateur. A la chair, Guillaume Henry semble préférer le chic chez Nina Ricci. Il y a comme un air de Claude Sautet dans sa collection aux couleurs cinématographiques (gris, vert acide, rouge, une touche de parme). Le corps se devine ou se dévoile dans les fentes des jupes mi-longues, ou celles des blouses en satin, les robes à paillettes aux effets liquides ou les mousselines qui voilent des lingeries aériennes. Cette élégance a pourtant quelque chose de suranné, comme si cette femme compensait sa distance aux autres et au monde par une abondance d’efforts vestimentaires. Les filles qui circulent dans le labyrinthe de Riccardo Tisci pour Givenchy ont le sang chaud et la démarche altière et énigmatique du chat qu’il ne faudrait pas déranger. Pour elles, le créateur a imaginé un vestiaire lumineux et inédit. Des motifs empruntés à la richissime culture égyptienne (œil protecteur oudjat, ailes d’Isis, etc.) croisent les délires visuels du rock psychédélique. Ce mélange flamboyant s’additionne de peau de serpent et de léopard, de drap pourpre pour réveiller le noir. Cuirs Lurex multicolores, mousselines plissées graphiques saturées de motifs, peaux cloutées, velours denses, Nylon zippé, cuissardes seconde peau en veau velours, jupes-culottes de boxeur et manteaux tailleurs androgynes… Il y a comme une vibration tribale et urbaine dans cette opulence, une certaine tension sexuelle qu’aucune exhibition de chair n’a besoin d’expliquer. p carine bizet disparitions | 23 0123 MARDI 8 MARS 2016 Nikolaus Harnoncourt Chef d’orchestre autrichien T out le monde le redoutait depuis l’annonce, le 5 décembre 2015, de son retrait de la vie musicale : le grand chef d’orchestre autrichien Nikolaus Harnoncourt s’est éteint le 5 mars à l’âge de 86 ans dans sa maison de Sankt Georgen im Attergau, non loin de Salzbourg, en Autriche. « Mes forces physiques me contraignent à renoncer à mes projets futurs, avait-il écrit. De grandes pensées me viennent (…) – nous sommes devenus une heureuse communauté de pionniers ! » Pionnier, Nikolaus Harnoncourt l’est resté toute sa vie, quitte, parfois, à assumer ce que d’aucuns ont voulu prendre pour des contradictions. Faisant chanter les cantates de Bach par des voix d’enfants mais engageant des chanteurs d’opéra pour les passions, militant en faveur des instruments d’époque mais optant quand il le faut pour des solutions mixtes. « Je ne crois pas à l’“authenticité”, confiait-il au Monde en 1995 (…). Le risque aujourd’hui, avec la volonté de tout jouer sur instruments anciens, est de se contenter d’une sensation superficielle. Le “pittoresque” et l’“intéressant” ne sont pas ma préoccupation. Seule la nécessité de la musique doit compter. » Le passage de Nikolaus Harnoncourt laissera dans l’histoire de l’interprétation un avant et un après. Car le musicien autrichien a agi comme un puissant révélateur, renouvelant en profondeur l’écoute de toute une génération (et donc des suivantes) – non sans susciter d’ailleurs polémiques et controverses –, interrogeant les rapports dialectiques entre les partitions et leur historicité. Volontiers frondeur, puissamment charismatique, l’homme a toujours combattu le conservatisme. Celui de la Vienne musi- cale avec laquelle il a longtemps eu maille à partir avant d’en devenir icône – il la connaissait bien pour s’être « ennuyé » comme violoncelliste au sein de l’Orchestre symphonique de Vienne de 1952 à 1969, du moins dans Bach et Mozart. Mais il sut aussi s’ériger contre l’intransigeance de collègues baroqueux, gardiens d’un temple idéologue dont il s’est toujours méfié. Au pupitre ou dans la vie, Harnoncourt possédait une autorité que rehaussait sa puissante stature. Mais c’est à la force de ses convictions qu’il aura bouleversé le monde de la musique. Bach, bien sûr, dont il a gravé une version d’anthologie de la Passion selon saint Matthieu. Mozart, qu’il a dépouillé de sa galanterie pour lui rendre nerf, drame et alacrité. Mais aussi Beethoven qu’il enregistre avec le Chamber Orchestra of Europe avant de réitérer à la tête de son Concentus Musicus, comme en témoigne un album récemment sorti chez Sony (Quatrième et Cinquième symphonies). Sans oublier Schubert, Schumann, Brahms, et surtout Bruckner, dont il propose une décapante relecture. Etude critique des manuscrits Né le 6 décembre 1929 à Berlin (Allemagne), Johann Nikolaus, comte de La Fontaine et d’Harnoncourt-Unverzagt, avait passé son enfance à Graz dans le palais familial de Meran. Il ne faisait pas mystère de son ascendance : son père, ingénieur, issu de la famille de La Fontaine-d’Harnoncourt -Unverzagt, comtes de Luxembourg et de Lorraine, sa mère, arrière-petite-fille de l’archiduc Johann de Styrie, apparentée aux Habsbourg. La famille aime les arts et surtout la musique. Le petit garçon affectionne plus encore les marionnettes en bois qu’il a sculptées de ses propres mains, une activité qu’il conservera toute sa vie. S’il a pensé d’abord au théâtre et à la mise en scène, c’est à l’Académie de musique de Vienne qu’il part étudier le violoncelle en 1948. Il y rencontre celle qui deviendra sa femme en 1953 et une partenaire définitive, la violoniste Alice Hoffelner, avec laquelle il fonde le fameux Concentus Musicus Wien sur instruments d’époque (premier concert officiel en 1958) et une famille de quatre enfants, dont la mezzo-soprano Elisabeth von Magnus. La recherche et l’étude critique des manuscrits, associées à la pratique et l’étude des instruments historiques (une discipline enseignée au Mozarteum de Salzbourg) construisent une pensée musicale qu’il livre dans des ouvrages comme Le Discours musical ou Le Dialogue musical. Dès les années 1970, avec son ami le claveciniste néerlandais Gustav Leonhardt (1928-2012), il se lance dans le projet pharaonique d’une intégrale des cantates de Bach sur instruments anciens. Harnoncourt a 40 ans. Il dirige du violoncelle ou de la viole de gambe et se refuse encore à conduire un orchestre symphonique « traditionnel ». Le verrou saute en 1975 : La Passion selon saint Matthieu, de Bach, avec le Concertgebouw d’Amsterdam. L’homme connaît dans le même temps un succès de plus en plus vif comme chef d’opéra. Ses débuts en 1971, à Vienne, avec Le Retour d’Ulysse dans sa patrie, préludent au cycle légendaire des opéras de Monteverdi quatre ans plus tard à Zurich avec JeanPierre Ponnelle. Suivra en 1980 un autre cycle Mozart tout aussi novateur, toujours à Zurich avec Ponnelle. Harnoncourt est devenu un chef incontournable, LAUTERWASSER/LEBRECHT/LEEMAGE dont le répertoire s’étend du classicisme viennois aux confins du XXe siècle, en passant par le répertoire romantique. En 1984, le prestigieux Orchestre philharmonie de Vienne, intrigué, l’invite. Le début d’une collaboration houleuse qui lui vaudra cependant l’honneur de diriger en 2001 son premier Concert du Nouvel An. Le Festival de Salzbourg et Gerard Mortier en ont fait un hôte de marque. Pendant ce temps, dans le festival de musique classique, Styriate, qu’il a créé en 1985 près de Graz, Harnoncourt, qui aime à se surprendre, dirige Gershwin (Porgy and Bess), Bizet (Carmen), Verdi (Aïda), Smetana (La Fiancée vendue) ou Offenbach (Barbe-Bleue). Imprévisible jusqu’au bout comme lorsqu’il présentait en novembre dernier, à Vienne, un album Mozart pour le moins inattendu avec le pianiste Lang Lang. A l’évocation d’une prochaine collaboration, la star chinoise avait risqué : « Peut-être Bach ? » A quoi le patriarche au regard bleu avait répondu, dans un sourire : « Il faudrait alors le faire sans trop attendre. » p En 1979, il s’enfuit pour la Libye. En difficulté sur le plan intérieur, Nimeyri autorise son retour en 1979 et lui offre le poste de procureur général. Tourabi use de son poste et de son influence politique pour mettre en vigueur une version dure de la charia, la loi islamique. Tous les vendredis, les habitants de Khartoum sont conviés à assister à des exécutions et à des châtiments corporels (mains coupées, par exemple). Ce virage fondamentaliste entraîne le retour de la guerre civile dans le sud du pays, à dominante chrétienne et animiste, après une décennie de calme. En 1983, un jeune officier sudiste, John Garang, prend la tête d’un mouvement de guérilla, la SPLA. Le régime Nimeyri n’y survit pas et finit renversé, deux ans plus tard, par un soulèvement populaire. Hassan Al-Tourabi et son Front national islamique (NIF), évincés peu auparavant par le dictateur, échappent à la vindicte populaire. Malgré un score moyen aux élections libres de 1986, Tourabi occupe une place influente dans le gouvernement de son beau-frère Sadek AlMahdi. Il dirige la justice et, à partir de 1988, les affaires étrangères. En 1989, à la suite d’inondations meurtrières et d’une série de défaites humiliantes dans le Sud, le gouvernement de Sadek Al-Mahdi, au bilan catastrophique, est renversé par un coup d’Etat de jeunes officiers inconnus à l’étranger, dirigés par le colonel Omar Al-Bachir. Ils révèlent rapidement leur vrai visage islamiste et leur mentor n’est autre qu’Hassan Al-Tourabi. Sans occuper de poste officiel, ce dernier est omniprésent au sein du nouveau régime et à travers ses mesures d’islamisation à outrance. L’opposition est interdite, le conflit dans le Sud devient une « guerre sainte » pour laquelle on enrôle en masse des milices populaires. Lors d’un séjour au Canada, Hassan Al-Tourabi est agressé par un exilé soudanais qui manque de le tuer. 6 DÉCEMBRE 1929 Naissance à Berlin 1952 Violoncelliste à l’Orchestre symphonique de Vienne (jusqu’en 1969) 1953 Fonde le Concentus Musicus Wien 2001 Dirige l’Orchestre philharmonique de Vienne pour le Concert du Nouvel An 5 MARS 2016 Mort à Sankt Georgen im Attergau (Autriche) marie-aude roux Hassan Al-Tourabi Théoricien islamiste soudanais A u temps de sa splendeur, de 1989 à 1996, Hassan Al-Tourabi, mort, samedi 5 mars, à l’âge de 84 ans, a été un astre noir au centre de la galaxie islamiste. A lui seul, il tenait tous les bouts de la chaîne, du djihadiste Oussama Ben Laden aux Frères musulmans égyptiens, en passant par le Tunisien Rached Ghannouchi et même le Hezbollah libanais, d’obédience chiite : tous venaient à Khartoum participer aux rassemblements de son internationale islamiste antiaméricaine, dont il se voyait le théoricien. Les opinions parfois progressistes et audacieuses de cet homme affable et cultivé ont pu séduire et dérouter, malgré un exercice du pouvoir tout ce qu’il y a de dictatorial et de fondamentaliste, lorsqu’il dirigea le Soudan en sous-main, de 1990 à 1996. Né à Kassala, près de la frontière érythréenne, et d’ethnie béjja, Hassan Al-Tourabi n’appartient pas à la caste dirigeante soudanaise des « abna al-balad », les « enfants du pays », issus de la vallée du Nil, au nord de Khartoum. Elève en droit brillant, il est diplômé de l’université de Khartoum en 1955, un an avant l’indépendance du Soudan, puis parfait son cursus à Londres, jusqu’en 1959, avant d’effectuer une thèse à la Sorbonne, dont il rentre diplômé en 1964. Il accède à l’élite en épousant une descen- En 2010. ASHRAF SHAZLY/AFP dante du Mahdi, mythique chef politico-religieux soudanais de la fin du XIXe siècle. Virage fondamentaliste Actif chez les Frères musulmans soudanais, Hassan Al-Tourabi est arrêté et emprisonné en 1969 par le général Jaafar Nimeyri, qui vient de prendre le pouvoir à Khartoum avec l’aide des communistes. 1932 Naissance à Kassala (Soudan) 1989 Coup d’Etat d’Omar Al-Bachir, dont Tourabi est le mentor 1995 Devient président du Parlement soudanais 2003 Arrêté et incarcéré 5 MARS 2016 Mort à Khartoum Lâché par Bachir Au plan international, Khartoum devient la Mecque de tous les mouvements de contestation islamistes, qu’ils soient politiques ou armés. Hassan Al-Tourabi y organise des réunions annuelles de son Congrès populaire arabe et islamique, afin de semer sa parole « révolutionnaire » en Afrique et dans le monde arabe. Oussama Ben Laden, chassé de son pays par la famille royale saoudienne, s’implante au Soudan, où sa compagnie de construction remporte le contrat pour réaliser une autoroute reliant Khartoum à PortSoudan. Mais le milliardaire saoudien entretient aussi des camps d’entraînement djihadistes. Les terroristes Carlos, que Khartoum livrera plus tard à la France, et Abou Nidal s’installent également au Soudan. En 1995, un commando djihadiste égyptien venu du Soudan tente d’assassiner le président Hosni Moubarak, lors d’un sommet à Addis-Abeba, en Ethiopie. L’ONU adopte des sanctions contre Khartoum et d’intenses pressions contraignent les dirigeants soudanais à expulser Ben Laden vers la destination de son choix en 1996 : ce sera l’Afghanistan, où les talibans viennent de prendre le pouvoir et où le chef d’Al-Qaida a conservé de bons contacts. Trois ans plus tard, le président soudanais, Omar Al-Bachir, désireux de réintégrer le concert international, se débarrasse de son mentor Hassan Al-Tourabi, alors président du Parlement. Incarcéré jusqu’en 2003, il est réarrêté en 2004-2005 pour complot. Le pouvoir soudanais le soupçonne de sponsoriser le JEM (Mouvement pour la justice et l’égalité), un mouvement rebelle du Darfour. Devenu un opposant résolu au régime Al-Bachir, Hassan Al-Tourabi passera le reste de sa vie en résidence surveillée. Son adhésion à la démocratie, aux droits de l’homme et au fédéralisme laissèrent malgré tout une partie de l’opposition soudanaise dubitative. p christophe ayad 24 | disparitions & carnet Nancy Reagan Ancienne First Lady 0123 MARDI 8 MARS 2016 Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu. eqpitflu. pqokpcvkqpu. cuugodnfigu ifipfitcngu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT. fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Naissance Sèvres. Paris. En 1981. AP P rès de douze ans après son mari, le 40e président des Etats-Unis, Nancy Reagan est morte, dimanche 6 mars, des suites d’une insuffisance cardiaque dans sa maison de Bel-Air, à Los Angeles (Californie). Elle avait 94 ans. Elle sera inhumée à la Ronald Reagan Presidential Library à Simi Valley, à côté de l’ancien président, dont elle avait été l’une des plus proches conseillères à la Maison Blanche entre 1981 et 1989. Nancy Reagan, née Anne Frances Robbins le 6 juillet 1921 à New York, était la fille unique d’un concessionnaire automobile, Kenneth Robbins, et d’une actrice de radio, Edith Luckett. Le couple s’était séparé très rapidement après sa naissance et elle avait été élevée par sa tante, dans le Maryland, avant d’être adoptée par le second mari de sa mère, le neurochirurgien de Chicago Loyal Davis. Après des études d’anglais et d’art dramatique au Smith College, dans le Massachusetts, la Metro Goldwyn Mayer (MGM) l’avait fait venir à Hollywood en 1949. Elle a joué dans une douzaine de films, sans accéder au rang de star. Nancy Davis a rencontré Ronald Reagan à Hollywood alors que celui-ci, divorcé de l’actrice Jane Wyman, était le président de la Guilde des acteurs. Elle était allée le solliciter à propos de son inscription sur la liste des personnes soupçonnées de sympathies procommunistes. Reagan l’a rassurée – il s’agissait d’une homonyme – puis épousée en 1952. « Ma vie a vraiment commencé quand je me suis mariée », a-t-elle confié plus tard. Le couple a eu deux enfants avec lesquels elle n’a pas toujours été en bons termes : Patti Davis et Ronald Reagan Junior. Rénovation de la Maison Blanche Nancy Reagan a accompagné l’ascension politique de son mari, en Californie, pendant les huit années pendant lesquelles l’ancien acteur a été le gouverneur de l’Etat (1967-1975). Puis à la Maison Blanche après l’élection de novembre 1980. Elle veillait jalousement sur l’amour de sa vie. L’attentat dont il a été victime, en mars 1981, l’a profondément bouleversée. Après l’agression, elle a pris les conseils d’une astrologue. Sur le calendrier de la Maison Blanche, les dates étaient colorées en fonction des chances de succès des projets présidentiels. Ses interventions ont irrité le secrétaire général de la Maison Blanche, Donald Regan, qu’elle a rendu responsable du fiasco des ventes d’armes à l’Iran. Elle a eu sa tête, en février 1986. « Il est suicidaire Martine et Thomas DURAND 6 JUILLET 1921 Naissance à New York 1949 Rejoint Hollywood, où elle joue dans une douzaine de films 1952 Epouse Ronald Reagan 1980 Election de Ronald Reagan à la présidence des Etats-Unis 6 MARS 2016 Mort à Los Angeles de s’opposer à la première dame », a expliqué Marlin Fitzwater, le porte-parole du président. Après les années d’austérité de la présidence Carter, Nancy Reagan a tenu à restaurer les fastes de l’époque des Kennedy (56 dîners d’Etat en huit ans contre 6 pour George W. Bush et son épouse Laura). Dès son arrivée, elle a engagé un programme de rénovation de la maison présidentielle, payé par des dons privés. La presse lui a reproché d’avoir commandé un nouveau service de porcelaine pour 200 000 dollars en pleine période de récession. Elle a souvent été critiquée pour des tenues parfois extravagantes et son obsession à défendre la trace que laisserait son mari dans l’Histoire. Nancy Reagan aura surtout attaché son nom à une campagne contre la drogue, en 1982, prolongement de la « war on drugs », lancée par la Maison Blanche et visant particulièrement la minorité noire. A une adolescente qui lui demandait comment résister aux pressions des camarades, la First Lady a répondu : « Just say no », un slogan qui est passé à la postérité (« il suffit de dire non »). L’ex-First Lady n’a gagné l’admiration de ses compatriotes qu’après son départ de la Maison Blanche. La presse lui a rendu hommage pour son dévouement auprès de l’ancien président, qu’elle n’a pas quitté entre l’annonce de son retrait de la vie publique en novembre 1994, pour cause de maladie d’Alzheimer, et sa mort le 5 juin 2004, à l’âge de 93 ans. En 2001, elle n’a pas hésité à prendre le contre-pied du républicain George W. Bush et à plaider en faveur du financement public de la recherche sur les cellules souches, susceptible d’aider à combattre la maladie d’Alzheimer. Dimanche 6 mars, le président Barack Obama et son épouse Michelle ont salué sa mémoire et rendu hommage à son action en faveur de la recherche médicale. « Nos prières l’accompagnent maintenant qu’elle et son mari tant aimé sont de nouveau réunis », a ajouté le couple présidentiel. p corine lesnes sont heureux d’annoncer la naissance de leur petit-ils, Constantin, Catherine Fieschi, son épouse, Isabelle, Claire et Hélène, ses illes, Christophe, Guy et Frédéric, ses gendres, Ses petits-enfants, Sa famille Et ses chers amis, ont la douleur de faire part du décès de Dominique FIESCHI, ancien proviseur du lycée Jacques Monod, à Paris 5e, survenu le 2 mars 2016. La famille et les amis se réuniront le mercredi 9 mars, à 11 h 30, au crématorium du cimetière du PèreLachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e. Sa famille Et ses proches, ont la grande douleur d’annoncer le décès, à son domicile, du docteur Pierre GINESY, le 1er mars 2016. Un dernier hommage civil lui sera rendu au sein de la salle Mauméjean du crématorium du cimetière du PèreLachaise, à Paris 20e, entrée Gambetta, le mardi 8 mars, à 14 h 30, suivi de l’inhumation au cimetière de Charonne, à Paris 20e. Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements. Arnaud Goron, son ils, Pierre et Jacqueline Goron, son frère et sa belle-sœur, Christine Ribeil, Jean-Marie et Marielle Vauclare, ses amis, ont l’immense tristesse de faire part du décès de M. Jean-Jacques GORON, le 28 février 2016, survenu le 3 mars 2016, à l’âge de soixante-quinze ans. chez Quentin DURAND et Ioana DOKLEAN. La crémation aura lieu le mercredi 9 mars, à 11 heures, au crématorium du Gard, 490, rue Max-Chabaud, à Nîmes. Décès Paris. Saint-Seurin-de-Bourg (Gironde). M. Patrice Cambronne, son époux tendrement aimé, Betty, Brigitte, Bénédicte et Marie, ses illes et leurs conjoints, leurs enfants et petits-enfants, Marie Madeleine, Jean-Pascal, Emmanuelle, Anne-Christine et leurs conjoints, leurs enfants et leur petite-ille, La famille Dary, Parents et amis, ont la douleur d’annoncer que Marie France CAMBRONNE, née DARY, a été reçue dans la tendresse de Dieu. Cet avis tient lieu de faire-part. Mme Yves Guéna, née Oriane de La Bourdonnaye, son épouse, Frédéric, Guy-Philippe, Etienne, Brigitte, Nicolas, Elisabeth, Emmanuel (†), ses enfants et leurs conjoints, Ses vingt-trois petits-enfants, Ses seize arrière-petits-enfants, ont la tristesse de faire part du décès de Yves GUÉNA, ancien des Forces françaises libres 1940-1945, 1re DFL, 2e DB, Cet avis tient lieu de faire-part. conseiller d’État honoraire, ministre du général de Gaulle, président du Conseil constitutionnel, député, sénateur, conseiller général de la Dordogne, maire de Périgueux, Résidence La Chênaie, 6, avenue André-Lafon, 33820 Saint-Ciers-sur-Gironde. grand-croix de la Légion d’honneur, croix de guerre 1939-1945, médaille de la Résistance, Ses obsèques religieuses seront célébrées le mercredi 9 mars 2016, à 10 heures, en l’église de Saint-Seurin-deBourg. Jean-Louis Comolli, son époux, Michèle Carles et Elisabeth Scotto, ses sœurs, Annie Comolli, sa belle-sœur, Philippe Carles et Christian Gauffre, ses beaux-frères, Esther Eichelbaum et ses neveux et nièces, Pauline, Mathilde, Marceau Azzopardi et Gabriel Gauffre, ont la tristesse de faire part du décès de Marianne COMOLLI, née SCOTTO DI VETTIMO, chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres, survenu le 3 mars 2016. Une cérémonie aura lieu le mardi 8 mars, à 16 heures, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e, salle Mauméjean. Les sœurs Scotto Michèle Carles et Elisabeth Scotto ont la tristesse de faire part de la disparition de l’une d’elles, Marianne COMOLLI, journaliste et auteur culinaire, survenue le 3 mars 2016. Une cérémonie aura lieu mardi 8 mars, à 16 heures, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e, salle Mauméjean. survenu à Paris, le 3 mars 2016, dans sa quatre-vingt-quatorzième année. Une messe sera célébrée le mardi 8 mars, à 9 h 30, en l’église Saint-Louisdes-Invalides, Paris 7e, à l’issue de laquelle les honneurs militaires lui seront rendus. La cérémonie religieuse aura lieu le jeudi 10 mars, à 14 h 30, en l’église de Chantérac (Dordogne), où la famille recevra les condoléances. L’inhumation se fera dans le caveau familial, au cimetière de Chantérac. 13, rue René-Bazin, 75016 Paris. Château de Chantérac (24190). Jacques Godfrain, président, Le conseil d’administration, Les membres de la Convention Et le personnel de la Fondation Charles de Gaulle, ont la grande tristesse de faire part du décès de Le président Et le bureau des Amitiés de la Résistance, Forces Combattantes de la Résistance, font part avec leur grande peine du départ le 3 mars 2016, de Yves GUÉNA, notre idèle membre, grand résistant dès 1940 et haut serviteur de notre pays, maintes fois honoré et décoré. Nous assurons sa veuve, membre aussi des Amitiés de la Résistance, et sa famille, de notre profonde compassion. (Le Monde du 5 mars.) Me François Corone, son époux, Léo Corone, son ils, Le docteur Laurence Mechélany Leroy, sa mère, Le professeur Paul Didier, son beau-père, Jean Marie et Jacques Mechélany, ses frères Edith et Pascale, ses belles-sœurs, Ses neveux et nièces Catherine et Isabelle Ainsi que tous ses amis, ont l’immense tristesse d’annoncer la disparition du docteur Carine MECHÉLANY CORONE, ancien interne des Hôpitaux de Paris, spécialiste en endocrinologie et médecine nucléaire, survenue après un rude et courageux combat contre la maladie qui aura duré cinq ans. Une bénédiction sera célébrée le mardi 8 mars 2016, à 11 heures, en l’église de Marne-la-Coquette. Ses cendres reposeront ensuite au cimetière de Pinarello en Corse. Paul FUSTIER est décédé le 3 mars 2016. La Société française de psychothérapie psychanalytique de groupe (SFPPG), La Fédération des associations de psychothérapie analytique de groupe (FAPAG), partagent la tristesse de sa famille et de ses proches et rendent hommage à un grand pionnier de la Clinique institutionnelle. Remerciements À vous toutes et tous qui nous avaient entouré(e)s en paroles, en pensées, en présences, en témoignages, en écrits réconfortants, pendant le décès de Muriel NAESSENS, merci. Liliane, Camille, Suzanne, Marc-Aurèle et ses ami(e)s. Anniversaire de décès Denise DELBARY-ROCHE, 21 juin 1913 - 6 mars 2015. Elle a traversé le siècle, et ses blessures, avec endurance et dignité. En souvenir de sa présence. Françoise Jacerme-Delbary, Pierre Jacerme. Jours portes-ouvertes Sa famille, Ses amis de l’École moderne, sont au regret de faire part du décès de Michel PELLISSIER, instituteur pédagogie Freinet, survenu le 26 février 2016. Il repose auprès de ses parents, en Oisans, au cimetière d’Allemond. Paulette Soubeyrand, son épouse, Elisabeth et Emile Rafowicz, Pascal Soubeyrand et Françoise, Sophie Soubeyrand et Christian, Christophe Soubeyrand et Véronique, ses enfants, Sarah, Charlotte et Olivier, Nathan, Hugo et Elsa, Elie, ses petits-enfants, Anouchka, Arthur, Ismaël, Anton et Paul Guilad, ses arrière-petits-enfants, ont la profonde tristesse de faire part du décès de Roger SOUBEYRAND, ingénieur civil des Mines, survenu le 3 mars 2016. La cérémonie sera célébrée le mercredi 9 mars, à 10 h 30, en la chapelle de l’Est du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. Paulette Soubeyrand, 393, rue des Pyrénées, 75020 Paris. Danielle Sztabholz, née Maupu, son épouse, Lisbeth, David, Sophie, Samuel, ses enfants et leurs conjoints, Maxime, Théo, Camille, Eva, Jeanne, Jason, Simon, Léo et Luiza, ses petits-enfants, Ses belles-sœurs, Ses neveux et nièces, ont la tristesse de faire part de la disparition de Portes Ouvertes le samedi 19 mars 2016 Tables rondes sur les différents domaines artistiques : www.prepart.fr Prix Prix de la Recherche de l’Ecole nationale de la magistrature L’Ecole nationale de la magistrature décerne un prix destiné à distinguer annuellement des thèses en droit ou en histoire du droit relatives à l’organisation ou aux pratiques judiciaires. Ce prix ouvre droit à une aide à la publication de la thèse concernée. Les étudiants ayant soutenu leur thèse entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2015 peuvent se procurer le formulaire de candidature sur le site www.enm.justice.fr/les-prix-de-l-ENM ou par courrier électronique à : [email protected] Date limite de dépôt des candidatures : 8 avril 2016, à 16 heures. Département de la recherche et de la documentation, Ecole nationale de la magistrature, 10, rue des Frères Bonie, 33080 Bordeaux Cedex. Albert SZTABHOLZ, le 2 mars 2016, à Angers. Albert incarnait la bienveillance, la générosité et l’altruisme. Une cérémonie a été célébrée ce lundi 7 mars, à 11 heures, au cimetière de l’Est, à Angers (Maine-et-Loire). Ni leurs ni couronnes. Vos dons pour une association de recherche contre le cancer. Souvenons-nous de ses parents Samuel et Lisbeth, Yves GUÉNA, ancien des Forces françaises libres, président d’honneur de la Fondation Charles de Gaulle, ancien président du Conseil constitutionnel, ancien ministre, grand-croix de la Légion d’honneur, croix de guerre 1939-1945, médaille de la Résistance. Condoléances de sa sœur, Friedel, morts en déportation à Auschwitz et de son frère, Simon. # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 3"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % * +- % ++&# #$ $ $ %# $ $ ##+ /% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # % &.1 #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%3 * 3 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- 0123 | 25 0123 MARDI 8 MARS 2016 L'AIR DU TEMPS | CHRONIQUE par b e noît hop q uin Sacré Verdun ! C’ est reparti, comme en 14. Comme en 2014 s’entend. Avec le centenaire de Verdun se déclenche une nouvelle salve du souvenir. La France s’apprête à refaire ce qu’elle fait le mieux : commémorer. Envoyez la musique, militaire il va sans dire. Gerbes de lys, de roses, d’anthuriums, brassées d’honneurs. Envolées lyriques, rhétorique du sacrifice, assauts d’éloquence au seul péril de la tartufferie. Pompe et coups de pompe qui se perdent. Minute de silence. Sonnerie aux morts. Remballez les drapeaux ! A la revoyure ! Commémorez, commémorez, il en restera toujours quelque chose. Ces moments de consensus national sont si rares et si précieux. François Hollande le sait bien, qui entend coûte que coûte tenir sa position à l’Elysée, quand les sondages promettent une mutinerie en 2017 et le condamnent déjà au poteau. Les dates de l’élection présidentielle devraient d’ailleurs correspondre avec l’anniversaire de la funeste offensive du Chemin des Dames. Mauvais augure ! On va donc commémorer à tout-va, manger du Paris-Verdun dans une noria de voitures officielles, comme au temps de la Voie sacrée. Au programme des hostilités ou des festivités, on ne sait plus, Verdun donc, ses forts, ses cotes, ses bois mortifères, ses villages vidés à jamais, et la bataille de la Somme, ses mornes plaines, ses offensives suicidaires sous les mitrailleuses allemandes. Deux belles boucheries, mes aïeux. Deux bien belles fabriques à cimetières et à mémoires d’outre-tombe. Il va y en avoir, du beau linge, de l’uniforme d’apparat, à défiler sans craindre les attaques de gaz, de boches, de typhus, de rats ou de totos, par les allées de Fleury-devantDouaumont, de Longueval, de Beaumont-Hamel, de Thiepval… On ne saurait tous les citer, il y en a tant, de ces alignements de stèles, tirés au cordeau, comme à la parade, avec dessous des pauvres hères allongés au garde-à-vous. Depuis dix ans, anniversaire après anniversaire, pour Le Monde, on en a tant visité de ces nécropoles, on en a tant passé en revue de ces témoignages du grand abattoir ! C’en est devenu la risée de la rédaction, cette macabre fréquentation, comme un vice, une déviance qu’on nous prête. On a traîné ses guêtres dans des dizaines et des dizaines de ces lieux, sans que puisse s’éteindre la colère devant chaque tombe de gamin cueilli dans la fleur de l’âge. Entre fascination et horreur, quelque chose nous saisit toujours devant ce gâchis humain, une boule au fond de la gorge, un coup à l’estomac, comme une boîte de singe qui ne passerait pas. A Douaumont, huit habitants et 130 000 âmes dans l’ossuaire, soldats inconnus jetés là pêle-mêle, on repensait à ce que nous avait dit en 2005 Louis de Cazenave, un des derniers « poilus » alors en vie. On avait été le débusquer dans sa maisonnette de Brioude, en Haute-Loire, un jour où il était bien luné, c’est-à-dire disposé à râler. Alors qu’on parlait d’organiser une cérémonie nationale pour l’enterrement du der des ders, le centenaire, sorti anar et pacifiste de ce pandémonium, s’était emporté contre l’idée : « Certains de mes camarades n’ont même pas eu droit à IL FAUT COMMÉMORER 14-18, COMME UN RAPPEL RÉGULIER DE VACCIN GÎT LÀ PLUS QU’UNE ARMÉE MISE AU REPOS ÉTERNEL, UNE SOMME D’ÊTRES CHERS une croix de bois. » Par malchance, il mourut l’avant-dernier. Sinon, l’embarras de la République reconnaissante envers ce réfractaire aux hochets aurait pu être cocasse. Mais, bon, qu’ils le veuillent ou non, on va les commémorer ces soldats, on va leur rendre les honneurs, même à ceux qui n’en avaient que faire. Ça a commencé jeudi 3 mars, près d’Amiens, au mémorial britannique de Pozières où se sont rendus François Hollande et David Cameron. Une visite entre deux discussions sur les migrants. Ceux-là, tiens, on aimerait nous les faire passer pour des envahisseurs, tous autant qu’ils sont, tous pareils sous leur uniforme de pauvreté, des nouveaux uhlans venus nous envahir, violer nos filles et nos compagnes. C’est le principe de toutes les guerres réussies de pratiquer la haine indiscriminée, d’abolir le discernement humain, de nier la responsabilité individuelle. Un retour d’ypérite La France va commémorer, encore, toujours, sans cesse, comme une fuite en arrière. Et, dans le fond, il le faut, absolument, plus que jamais, car on sent bien monter par le pays et le continent un vent délétère, comme un retour d’ypérite. Il faut commémorer 14-18, comme un rappel régulier de vaccin, même si on devine que le rôle prophylactique de cette guerre ne joue plus trop. Et que l’image si forte de Kohl et Mitterrand se donnant la main à Verdun en 1984 appartient à une autre histoire, à une autre Europe. Sacré Verdun ! Verdun sans Pétain, bien sûr. Verdun, avec un V comme « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ». Triste victoire. Verdun, propagande devenue mythe national. Trois cents jours et trois cents nuits de cauchemar qui laissèrent 300 000 bonshommes au tapis. Parfois, on se prend à rêver que ces damnés de la guerre se mettent à chanter de sous l’herbe grasse, au passage des cortèges officiels, la chanson dite de Craonne, qui courait déjà les tranchées en cette année 1916 : « Adieu la vie, adieu l’amour/Adieu à toutes les femmes/C’est bien fini, c’est pour toujours/De cette guerre infâme/ C’est à Verdun, au fort de Vaux/ Qu’on a risqué sa peau/Car nous sommes tous condamnés/Nous sommes les sacrifiés. » La France s’en va commémorer, en grand apparat ou en famille. Des particuliers viendront en nombre sur les rives de la Meuse. Ils se recueilleront devant un nom, puis un autre, au hasard des rangs. Tant ces Edmond, ces Auguste, ces Eugène, ces Isaac, ces Sidi, ces Lahcène, ces Louis, ces vies volées avant l’heure nous semblent proches. Car gît là plus qu’une armée mise au repos éternel, une somme d’êtres chers, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Qu’est-ce qui nous attache à eux, de si loin ? Qu’est-ce qui nous fait les admirer et les aimer plus que d’autres ? Ce moment national de Verdun fut aussi et surtout une histoire personnelle. Une affaire de père, de grand-père ou d’arrière-grandpère trop taiseux, qui aura laissé une médaille dans un tiroir, une photo en soldat et tant de silences et de mystères sur cette traversée du malheur. Comment a-t-il tenu, pépé ? Enigme irrésolue. p Tirage du Monde daté dimanche 6 - lundi 7 mars : 288 459 exemplaires LES AVERTISSEMENTS DE L’EUROPE CENTRALE L’ Europe centrale postcommuniste est-elle en train de sortir du modèle démocratique libéral occidental ? La question a été posée par l’évolution du régime du premier ministre Viktor Orban, en Hongrie, depuis 2010. Elle est doublement justifiée depuis l’arrivée au pouvoir à Varsovie du parti conservateur-nationaliste Droit et justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski, en octobre. Samedi 5 mars, elle a trouvé une nouvelle actualité, avec la confusion politique issue des élections en Slovaquie, marquées par la montée de l’extrême droite nationaliste et par l’effondrement des partis démocrates-chrétiens traditionnels. Outre leur héritage communiste, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie ont en com- mun, avec la République tchèque, une alliance informelle : le groupe de Visegrad. Née en 1991 sur les ruines du communisme pour soutenir leur intégration européenne, cette alliance était tombée en désuétude après l’accession réussie de ces anciens satellites de l’URSS dans l’Union européenne, en 2004. La Slovaquie, seule des quatre à être membre de la zone euro, doit d’ailleurs prendre la présidence tournante de l’UE le 1er juillet. Mais le groupe de Visegrad a repris de l’activité récemment sous une nouvelle forme, celle d’un front du refus, au sein de l’Union, sur la crise migratoire. Le rejet des quotas de réfugiés, clairement justifié par la plupart des dirigeants de ces pays comme refus d’accueillir une population musulmane qui modifierait l’identité religieuse, culturelle et ethnique de leurs sociétés, a cristallisé la remise en cause, à Budapest, Varsovie, Prague et Bratislava, d’une culture démocratique considérée comme acquise par les Etats membres de l’UE. Il est encore trop tôt pour identifier clairement l’émergence d’un nouveau modèle politique « illibéral » à l’Est : la montée de l’extrême droite n’est, malheureusement, pas une exclusivité de l’Europe centrale, et l’accueil des réfugiés ne fait pas non plus l’unanimité dans les vieilles démocraties ouest-européennes. Le premier ministre slovaque, Robert Fico, qui se définit comme social-démocrate mais n’en a guère que le nom, partage le credo nationaliste de MM. Orban et Kaczynski sans pour autant manifester les mêmes tendances autoritaires. En Pologne, le PiS dispose de la majorité absolue pour gouverner, alors qu’en Slovaquie M. Fico va devoir former une coalition au sein d’un Parlement très fragmenté. A Prague comme à Bratislava, l’exécutif est divisé entre un président et un premier ministre qui ne parlent pas d’une seule voix sur les réfugiés ni sur l’Europe. Mais ce qui est commun à ces démocraties récentes est leur souverainisme, qui peut être poussé jusqu’à un nationalisme à outrance, la facilité avec laquelle elles s’opposent à l’autorité de Bruxelles tout en considérant l’aide des fonds structurels comme évidente, le rejet du multiculturalisme et la distance parfois prise avec des valeurs démocratiques solidement établies dans le reste de l’Europe. Un autre trait commun est leur niveau de vie, encore nettement en deçà de la moyenne de l’UE, vingt-six ans après la sortie du communisme. Sous prétexte de « protéger la Slovaquie » en misant sur la peur du migrant au lieu de se concentrer sur ses difficultés économiques, M. Fico l’a, en réalité, mise en danger et a renforcé les partis d’extrême droite. Le résultat, cependant, n’est pas seulement un défi pour lui : il l’est pour l’ensemble de l’UE. p LA MATINALE DU MONDE LE MEILLEUR DE L’INFO 7 JOURS SUR 7 SWIPEZ, SÉLECTIONNEZ, LISEZ L’application La Matinale du Monde est téléchargeable gratuitement dans vos stores. A retrouver en intégralité pour 4,99 € par mois sans engagement avec le premier mois offert. Les abonnés du Monde ont accès à l’intégralité des contenus. OFFRES D’EMPLOI CHAQUE LUNDI PAGES 8 ET 9 Loi travail : les petits patrons satisfaits mais inquiets L’Europe revoit le statut des travailleurs détachés ▶ Comme les syndicats, les dirigeants de PME plaident pour un certain rééquilibrage du texte en faveur des salariés P our moi, ce texte va dans le bon sens. Dommage que cela vire au combat idéologique… » Les propos d’Hervé Lecesne, PDG de Nactis Flavours, un fabricant d’arômes alimentaires de Bondoufle (Essonne), résument l’état d’esprit de nombreux chefs d’entreprise. L’avant-projet de loi de la ministre du travail, Myriam El Khomri, devait permettre à François Hollande de mener la dernière réforme de son quinquennat, point d’orgue d’une politique visant à redynamiser l’économie. Mais la « loi travail » est devenue le symbole de l’impéritie du gouvernement et de son incapacité à prendre en compte les inquiétudes des Français. Malgré le report au 24 mars de son passage en conseil des ministres (sous une forme modifiée), plusieurs organisations syndicales et mouvements étudiants ou lycéens ont appelé à une mobilisation, mercredi 9 mars, contre un texte jugé dangereux pour les acquis sociaux et source de précarité pour les salariés. Des critiques auxquelles les patrons opposent leur propre vécu, notamment dans les PME-ETI qui constituent à la fois l’essentiel du tissu économique français et le moteur des embauches. « Ce texte est une bonne initiative, le système actuel est trop rigide », résume Frédéric Durand, dirigeant de Diabolocom, un éditeur de logiciels comptant trente-quatre salariés. audrey tonnelier → LIR E L A S U IT E PAGE 6 L’EPR anglais fait valser les têtes chez EDF ▶ Thomas Piquemal a démissionné, jeudi 3 mars, de son poste de directeur financier de l’électricien ▶ Il pointe le risque financier que fait porter sur EDF le projet britannique d’EPR à Hinkley Point, estimé à 24 milliards d’euros → LIR E PAGE 4 REPORTAGE wroclaw (pologne) - envoyé spécial R adoslaw Galka est un patron en colère. En colère contre la France, pays qu’il porte pourtant dans son cœur. Il y a fait ses études et y a travaillé durant sept ans. Sa famille a largement bénéficié du « modèle social français », qui force toujours chez cet entrepreneur une certaine admiration. Un modèle social qu’il met depuis dix ans à l’épreuve, depuis qu’il a fondé Poland Workforce, une agence d’intérim spécialisée dans les travailleurs détachés vers la France. Depuis 2005, il y a envoyé près de 8 000 Polonais, essentiellement dans les secteurs du bâtiment, de l’industrie et du tourisme. Une affaire lucrative : sa PME réalise 7 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. L’objet de sa colère ? La volonté, qui devait être affirmée par la Commission européenne, mardi 8 mars, de réviser la directive sur les travailleurs détachés, et le « harcèlement » dont il dit être victime de la part des autorités françaises. Alors que sa société a été distinguée par l’inspection du travail polonaise comme un modèle de bonnes pratiques, elle a subi près de vingt contrôles en 2015. jakub iwaniuk → LIR E L A S U IT E PAGE 3 Sur le chantier britannique d’Hinkley Point, en novembre 2014. ADRIAN SHERRATT/REX/SIPA PORTRAIT DANIÈLE KAPEL-MARCOVICI, 50 % PATRONNE, 50 % MÉCÈNE, 100 % FEMME → LIR E PAGE 2 HAUT DÉBIT LA FIBRE NE VEUT PAS FAIRE LES FRAIS DE LA FUSION BOUYGUES TELECOM-ORANGE → LIR E PAGE 1 0 J CAC 40 | 4 451 PTS – 0,12 % j DOW JONES | 17 006 PTS + 0,37 % J EURO-DOLLAR | 1,0958 j PÉTROLE | 39,07 $ LE BARIL j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,62 % VALEURS AU 7 MARS – 9 H 30 1,92 MILLION C’EST LE NOMBRE DE TRAVAILLEURS DÉTACHÉS DANS L’UNION EUROPÉENNE EN 2014 PERTES & PROFITS | EDF Babel nucléaire L’ atome fait décidément peur à beaucoup de monde. Sa dernière victime n’est pas un écologiste saisi de frayeur au pied de l’usine de retraitement de déchets de la Hague (Manche), mais le directeur financier d’EDF. Le gardien des chiffres du premier exploitant nucléaire mondial démissionne avec fracas, en raison d’un désaccord sur le projet de construction de deux réacteurs de troisième génération (EPR) à Hinkley Point, en Grande-Bretagne. Ce n’est bien sûr pas le risque environnemental qui inquiète à ce point ce grand argentier, mais le risque financier. Selon lui, suivi en cela par d’autres cadres et syndicalistes de l’entreprise, EDF met ses comptes en péril en se lançant aujourd’hui dans la construction de ces monstres de béton et d’acier. Surgit alors un troisième risque, économique cette fois. S’il repousse de cinq ou dix ans ce programme britannique, il compromet sa crédibilité et ses chances de rester un acteur majeur d’une éventuelle relance du nucléaire dans le monde. Cornélien. Cathédrale technologique Ces trois risques, technologique, financier et économique, forment un piège dans lequel s’est enfermée progressivement la filière nucléaire française. Celui-ci s’est construit au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl en avril 1986. Dès le début des années 1990, Français et Allemands imaginent un réacteur dont le niveau de sûreté serait tel qu’il écarterait tout risque d’accident de ce type. Et comme la sensibilité des po- Cahier du « Monde » No 22128 daté Mardi 8 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément pulations reste vive, on privilégie la piste d’une machine de très forte puissance afin de limiter au maximum les sites d’implantation. Parois de 2,60 mètres de béton, enceinte renforcée, redondance accrue des mécanismes de secours, le réacteur à eau pressurisée européen (EPR), conçu par le français Areva et l’allemand Siemens, devient une cathédrale technologique. Son niveau de sûreté, à chaque fois rehaussé, est impressionnant. Son coût aussi, sans cesse revu à la hausse. Le premier chantier, en Finlande, met en lumière un autre obstacle : la perte de compétence de toute la filière. Coûts et délais seront multipliés par trois et conduiront Areva au démantèlement. En ravivant la peur de l’atome et donc la sévérité des autorités de sûreté, la catastrophe de Fukushima, en mars 2011, achève de doucher les espoirs placés dans cette technologie. Les coûts s’envolent au moment même où l’Allemagne abandonne son allié français en rase campagne et où la crise économique réduit les moyens d’investissements des éventuels clients. Et le chantier français de Flamanville, dont la facture grimpe sans cesse, n’est pas pour rassurer. Trop sensible, trop cher, trop tard, l’EPR est bien mal parti. Comment sortir du piège ? Hinkley Point montrait une issue avec, pour la première fois, un prix d’achat de l’électricité garanti par le client. Mais cela ne couvre pas les aléas de la construction. Cette nouvelle Babel nucléaire risque bien de se terminer comme celle de la Bible : dans la confusion. p philippe escande L’HISTOIRE DE L’OCCIDENT ÉDITION 2015 Un hors-série 188 pages - 12 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique 2 | portrait 0123 MARDI 8 MARS 2016 Danièle Kapel-Marcovici PDG et féministe, à parts égales A la tête du groupe Raja, le numéro un européen de la distribution d’emballage, comme par le biais de ses fondations, cette militante défend la cause des femmes dans le monde Q uand le bâtiment va, tout va », affirme le dicton. On pourrait également dire : « Quand l’emballage se porte bien, l’économie aussi », tant ce secteur est un indice fiable de la santé des entreprises. Nul n’est mieux placé pour en suivre les rebonds ou les faiblesses que le groupe Raja, leader européen de la distribution d’emballages, dirigé par Danièle KapelMarcovici. « C’est un vrai baromètre de l’économie mondiale », dit-elle. Méconnue du grand public, cette PDG française, qui porte fièrement sa chevelure rousse et ses convictions féministes, a su donner une dimension internationale à sa PME familiale, tout en faisant avancer la cause des femmes grâce à un large éventail d’activités, du mécénat d’art au financement de projets de développement. « Je mets mon féminisme un peu partout », explique-telle au siège de Raja, installé depuis 1996 à Paris-Nord 2, près de l’aéroport de RoissyCharles-de-Gaulle. Choisir un emplacement sur une ligne du RER était une promesse qu’elle avait faite à son personnel, qui compte 45 % de femmes au niveau du management : une quasi-parité, exceptionnelle dans le monde économique. La patronne de Raja déborde d’idées pour inciter les employés de son groupe, en France comme dans les quatorze autres pays européens où il est implanté, à s’investir bénévolement dans des associations de la région parisienne ou à effectuer des « microdons » réguliers pour celles qui se battent au profit des femmes. Et ce, avec l’aide de la Fondation Raja créée en 2006 et qui investit quelque 500 000 euros par an dans une vingtaine de pays d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. « Sa façon de faire partager ses convictions à son personnel n’est pas banale. Elle phosphore énormément, et connaît la moitié de la planète », observe Brigitte de La Houssaye, experte en développement économique à la Caisse des dépôts (et par ailleurs membre du comité exécutif de la Fondation). Ni lycée ni université Des femmes, on en voit beaucoup dans les bureaux parisiens de Raja, surtout dans ce lieu sensible qu’est l’interface avec la clientèle, là où il faut répondre chaque jour à 1 500 appels téléphoniques et à 600 courriels. « 96 % des appels sont pris dans les vingt secondes », indique Danièle Kapel-Marcovici, qui a construit une « culture d’entreprise du service personnalisé » aux PME. Pas question de sous-traiter à des standardistes interchangeables : pour assurer le sur-mesure cher à Raja, tous les collaborateurs suivent une formation de quatre mois. Même si l’environnement y est plus masculin, il y a aussi du personnel féminin au volant des Fenwick dans le gigantesque centre d’expédition, de 16 mètres de haut, qui jouxte le siège. Raja distribue des emballages, fournitures et équipements à quelque 500 000 clients en Europe. La gamme de produits va des étiquettes aux films à bulles, des cartons aux sacs-poubelles de couleur destinés au tri sélectif, des dévidoirs de ruban adhésif aux « banderoleuses » qui gainent les marchandises de feuilles de plastique. Soit 10 000 références qui s’alignent sur les 716 pages du catalogue Raja, la « bible de l’emballage ». Dès 2001, il a été disponible sur Internet. Aujourd’hui, 33 % des ventes passent par cette voie, la logistique étant la clé de voûte du système. A raison de 1 500 à 2 000 commandes quotidiennes rien qu’à Paris, tout doit fonctionner sur des roulettes. On est loin de la modeste entreprise fondée en 1954 par la mère de Danièle Kapel-Marco- CYRILLE CHOUPAS POUR « LE MONDE » 14 JUILLET 1946 vici, Rachel, qui avait de l’énergie à revendre et le don du commerce. La première syllabe de Raja, c’est elle, la seconde étant à mettre au crédit d’une éphémère associée prénommée Janine. « Ménil 00 20 » était le numéro de téléphone, à cette époque où l’annuaire parisien suivait les contours des quartiers : le nom de Ménilmontant évoque les chansons d’Aristide Bruant ou d’Edith Piaf, un Paris populaire et gouailleur, le terrain sur lequel a poussé la PME de Rachel, secondée par son mari Maurice Marcovici. Danièle a commencé à y travailler dès 16 ans, en 1962, dans l’équipe de vente qui faisait du porte-à-porte. Pas de lycée ni d’université pour elle, mais le contact direct avec les clients, une expérience qui fait qu’elle se fie davantage à son instinct et au dialogue avec ses collaborateurs qu’aux rapports des cabinets d’audit. Il n’a pas été facile de s’émanciper, de son vivant, d’une personnalité aussi charismatique que Rachel. « Elle me répétait : tout ce que tu fais, j’aurais pu le faire », se souvient sa fille, qui a pris les rênes de l’entreprise en 1982 et s’est lancée, douze ans plus tard, à l’international. Le saut décisif a été de racheter Binpac, en Belgique, autre gros centre de distribution qui irrigue l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suisse. Suivront, en 2010, le français Cenpac (l’ex-numéro deux du secteur), le norvégien Postemballasje et le polonais CrossTrade, trois acquisitions qui ont propulsé Raja (475 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015) à la tête du marché européen. « J’ai toujours préféré que la stratégie émerge de l’intérieur, souligne Mme KapelMarcovici. Nous organisons chaque année les réunions du comité stratégique dans un pays différent, une ouverture extraordinaire, car les directeurs locaux sont toujours des autochtones. Nous aurions pu rester une PME française, nous sommes devenus une ETI [en- Naissance en Seine-Saint-Denis LA FEMME D’AFFAIRES A FINANCÉ LA NUMÉRISATION DU FILM « L’UNE CHANTE L’AUTRE PAS », D’AGNÈS VARDA, EMBLÉMATIQUE DES COMBATS FÉMINISTES DES ANNÉES 1970 1982 2006 2010 Prend la direction des Cartons Raja, la PME fondée par sa mère, Rachel Marcovici Création de la Fondation Raja-Agir pour les femmes dans le monde Le groupe Raja devient le leader européen de la distribution d’emballages treprise de taille intermédiaire] européenne ». De celles dont la France manque, comme elle le déplore. Forte de cette réussite, Danièle Kapel-Marcovici s’est investi dans le mécénat artistique. Si sa mère collectionnait les moulins à café, elle achète beaucoup d’art contemporain, dont une collection… sur le thème de l’emballage. Elle est exposée au siège de l’entreprise « pour que tout le monde en profite ». De nombreuses œuvres sont aussi installées dans sa maison du Luberon, aménagée par son compagnon, l’architecte Tristan Fourtine, décédé début 2013. Expositions gratuites Ensemble, ils ont créé un fonds de dotation pour la sculpture contemporaine, la Villa Datris (un nom obtenu de la fusion de leurs deux prénoms), à Paris, dans les anciens locaux de la PME, ainsi qu’à l’Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse. Des expositions gratuites sont organisées chaque été : « Sculptrices », en 2013, réunissait ainsi 68 artistes, parmi lesquelles Mâkhi Xenakis. Danièle Kapel a acquis cinq des statues par lesquelles la fille du compositeur Iannis Xenakis veut rendre une identité aux « folles » jadis enfermées à l’hôpital Pitié-Salpêtrière de Paris : « J’ai tout de suite senti qu’elle faisait partie des collectionneurs qui veulent vivre avec les œuvres », se souvient l’artiste. L’idée de faire « adopter » ces statues par les acheteurs, qui doivent leur donner un prénom pour les tirer de l’oubli, l’a séduite. La même passion l’a portée vers les installations vidéo d’Agnès Varda, rencontrée grâce à la galeriste Nathalie Obadia. Elle a ainsi financé la numérisation du long-métrage L’une chante l’autre pas, emblématique des combats féministes des années 1970 : « C’est un film très engagé, que la jeune génération ne connaît pas », rappelle la fille de la cinéaste, Rosalie Varda, de Ciné-Tamaris, qui souligne ce qu’ont en commun les deux femmes malgré leur différence d’âge : « La parité, l’indépendance financière, le féminisme, ce sont des sujets qu’elles n’ont jamais lâchés. » L’une des lignes de force de la Fondation est d’encourager les femmes à créer une entreprise, à travers le concours Créatrices d’avenir, lancé en Ile-de-France en 2011, ou encore Paris Pionnières, dont les trophées récompensent les aventurières des « services innovants ». En France comme dans la Silicon Valley en Californie, elles ne sont que 8 % à se risquer dans ce secteur de pointe. « Mais les lignes bougent, il y a déjà 30 % de femmes créatrices d’entreprise », constate Mme de La Houssaye. Reste une question délicate, que tant de patrons d’entreprise familiale ont dû trancher : celle de la relève. A bientôt 70 ans, Danièle Kapel-Marcovici ne veut pas reproduire entre ses trois fils les dissensions qu’elle a connues avec l’un de ses frères, quand Rachel l’a désignée, elle, pour lui succéder. Fille d’une forte femme, sœur puis mère de garçons : une bonne école pour une féministe. p joëlle stolz économie & entreprise | 3 0123 MARDI 8 MARS 2016 Le dumping social dans l’œil de Bruxelles La Commission européenne propose une révision de la directive de 1996 sur les « travailleurs détachés » bruxelles - bureau européen L’ initiative va satisfaire la France et l’Allemagne mais elle risque de creuser un peu plus encore le fossé entre l’ouest et l’est de l’Europe : la Commission européenne devait annoncer, mardi 8 mars, une révision de la directive « travailleurs détachés ». Elle aura pour but de réduire au maximum les différences de coût du travail entre salariés dans un même pays. Cela faisait des années que Paris plaidait pour une telle réforme, avec l’appui de Berlin mais aussi des pays qui s’estiment le plus lésés par le système actuel et la concurrence jugée déloyale qu’il engendre : la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suède, l’Autriche. La commissaire Marianne Thyssen, une chrétienne-démocrate belge chargée de l’emploi et des affaires sociales, propose donc une réforme de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés. Principale nouveauté : le fait que ces derniers, employés dans un autre pays de l’Union avec un contrat de leur pays d’origine, devront bénéficier des mêmes conditions de rémunération que leurs collègues travaillant pour la même entreprise avec un contrat de ce pays « d’accueil ». Jusqu’à présent, la directive de 1996 n’imposait qu’une seule chose : que les travailleurs détachés touchent au moins le salaire minimum du pays d’accueil. Désormais, ils devraient aussi pouvoir prétendre au 13e mois, aux Mme Thyssen prévoit d’étendre le principe « à travail égal, salaire égal » à la main-d’œuvre des entreprises de sous-traitance primes de Noël ou d’ancienneté si elles existent dans le secteur ou la branche qui les emploient. « Nous devons imposer le principe d’un salaire égal pour un travail identique dans tous les secteurs », explique Mme Thyssen. C’est toutefois aux Etats qu’il appartiendra de fixer cette règle, pas à la Commission, souligne-t-elle. Un exemple ? Un travailleur détaché dans le secteur de la construction en Belgique devrait recevoir, en plus du smic local (il oscille entre 13,37 à 19,31 euros de l’heure), des avantages liés aux accords collectifs dans le secteur, c’est-à-dire une allocation en cas de mauvais temps, une prise en charge d’une partie de ses déplacements et de ses vêtements de travail, une prime liée à la pénibilité de certaines tâches, etc. « Par ailleurs, le travail détaché est par définition temporaire. Mais la notion de “temporaire” est restée jusqu’à présent trop vague dans les textes européens. Nous voulons que le détachement ne dure pas plus de deux ans. Au-delà de vingt-quatre mois, un travailleur détaché sera donc soumis à toutes les lois régissant les conditions de travail du pays d’accueil », précise la commissaire. En France, par exemple, il bénéficiera des 35 heures. Il n’est pas question toutefois, pour Bruxelles, d’abandonner le principe même du travailleur détaché. « Il est à la base de notre marché intérieur unifié. Mais les abus se sont multipliés, et l’incompréhension monte chez nos concitoyens, nous devons tenter d’y remédier », selon Mme Thyssen, qui fut la présidente du Parti chrétien-démocrate flamand (CD & V) entre 2008 et 2010, durant l’une des périodes les plus compliquées de l’histoire du royaume belge, avec une crise politique qui dura plus de cinq cents jours. Un phénomène marginal S’il demeure un phénomène marginal au regard de l’ensemble de la population salariée dans l’Union (0,7 %), le nombre de travailleurs détachés a fortement progressé (de près de 45 %) entre 2010 et 2014. Pourvus de missions de quatre mois, en moyenne, ils se concentrent dans le bâtiment (43,7 %), l’industrie manufacturière (21,8 %), l’éducation, la santé et les services sociaux (13,5 %). L’agriculture et les abattoirs ont, eux aussi, été en partie déstabilisés. La France, l’Allemagne et la Belgique regroupent aujourd’hui la moitié environ des 1,9 million de travailleurs détachés. Ils étaient 400 000 en France, en 2014. Selon « Les entreprises ne font pas appel à nous pour faire des économies » Près de 40 % des travailleurs détachés de l’Union européenne sont originaires de Pologne, pays pour lequel ce débat est un enjeu de taille suite de la première page « Le problème, ce ne sont pas les contrôles en soi mais leur caractère intempestif, précise le patron. C’est une spécificité française, car, de la part des Allemands, nous faisons l’objet d’un contrôle par an. Je considère qu’il s’agit de protectionnisme français. » Un protectionnisme qui remet en cause, selon lui, la liberté de prestation de services au sein de l’Union européenne. Le problème, dit-il, c’est la « présomption de culpabilité » dont fait systématiquement l’objet son entreprise de la part des inspecteurs. « Une erreur humaine minime et notre dossier est tout de suite estampillé “travail illégal”, s’indignet-il. Nous avons déjà gagné devant les tribunaux contre les autorités françaises. Nous n’avons reçu aucun dédommagement. » Découragés par les contrôles à répétition, certains clients se désistent : en 2015, l’entreprise estime son manque à gagner à 600 000 euros. « Défauts structurels » L’entrepreneur se défend de toute accusation de dumping social. « Contrairement aux idées reçues, les entreprises ne font pas appel à nous pour faire des économies significatives. C’était vrai il y a dix ans, mais le paradigme a changé. Nous vendions alors un maçon à 14 euros de l’heure, charges et hébergement compris. Aujourd’hui, c’est 23 euros. La différence avec un travailleur local est minime. » Pour lui, la première cause des détachements est la pénurie de main-d’œuvre. Les travailleurs polonais sont aussi réputés plus flexibles : « L’ouvrier polonais est devenu une marque, un gage de qualité. Il est polyvalent, mobile et ne compte pas ses heures : c’est cela que nous vendons. » La législation européenne impose aux travailleurs détachés les mêmes conditions de travail et de rémunération que les locaux. Seules les charges sociales sont celles du pays d’origine. Mais plusieurs pays, dont la France, dénoncent un dumping social. Mardi 8 mars, la Commission européenne devrait renforcer la lutte contre les abus dans une nouvelle directive sur les travailleurs détachés. Pour la Pologne, ce débat européen est un enjeu de taille. Le pays fournit à lui seul 36 % des travailleurs détachés de l’Union européenne, soit 430 000 personnes en 2014 (dont 32 000 en France). Près de 20 000 agences d’intérim polonaises sont spécialisées dans ce secteur, qui représente 1,3 milliard d’euros de recettes pour le budget de l’Etat. Poland Workforce en est l’un des leaders. Les textes européens précisent qu’une partie « significative » du chiffre d’affaires des agences doit être réalisé sur le territoire national. Mais, selon un arrêt récent de la Cour suprême polonaise, « la réglementation européenne ne prévoit pas de seuil de chiffre d’affaires dans le pays d’origine ». Pour Barbara Surdykowska, juriste au syndicat Solidarnosc, « cela démontre bien que la directive européenne souffre de défauts structurels qui laissent la place à l’interprétation et peuvent être largement exploités par des entreprises peu scrupuleuses ». Pawel est un jeune ouvrier agricole. Depuis plus de trois ans, il enchaîne les missions en France en tant qu’intérimaire. « Je suis passé par de nombreuses agences et les surprises, que ce soit au niveau des conditions de travail ou de la fiche paie, sont la règle. » Il travaille actuellement sur la base de deux contrats : l’un signé avec une entreprise basée au Royaume-Uni, l’autre avec une entreprise chypriote. La multiplication des intermédiaires – souvent des sociétés écrans – permet ainsi de dédouaner de leur responsabilité les employeurs en cas d’infraction aux normes. Syndicats impuissants L’agence qui l’emploie perçoit une commission sur son salaire : il touche 7,50 euros de l’heure au lieu des 8,60 euros réglementaires. « Mes heures supplémentaires ne sont pas majorées. Je n’ai ni congés payés ni arrêt maladie. Si je ne travaille pas, je ne suis pas rémunéré », confie Pawel, qui n’a jamais été témoin du moindre contrôle. « De toute façon, de ce point de vue, les entreprises sont assurées. Sur le papier, tout est légal », affirme-t-il. Malgré ces conditions, il se dit satisfait et n’a pas l’intention de changer d’employeur. « Par le passé, j’ai vu bien pire. Il m’arrivait de me retrouver à la fin du mois avec 750 euros net. Là, j’arrive à 1 300 euros. Ma sécurité sociale est payée. J’y trouve mon compte. » Dans la pratique, rares sont les salariés qui se plaignent. Et pour ceux qui franchissent le pas, les syndicats polonais se disent impuissants. « Le cas de ces travailleurs est du ressort des syndicats des pays d’accueil, où ils se heurtent souvent à la barrière de la langue, précise Andrzej Adamczyk, du Solidarnosc. Ce que nous espérons, c’est que les flous de la législation européenne soient rapidement levés. » p jakub iwaniuk Mouvement des travailleurs détachés en Europe PRINCIPAUX PAYS UTILISATEURS DE TRAVAILLEURS DÉTACHÉS EN 2014 EN MILLIERS DE PERSONNES POLOGNE ALLEMAGNE FRANCE SLOVÉNIE ESPAGNE PORTUGAL Envoyés SLOVAQUIE Reçus ITALIE HONGRIE BELGIQUE ROUMANIE LUXEMBOURG AUTRICHE PAYS-BAS CROATIE ROYAUME-UNI 0 100 200 300 400 SOURCE : COMMISSION EUROPÉENNE les données de la Commission européenne, dans quelques secteurs et certains Etats membres les travailleurs détachés gagnent jusqu’à 50 % de moins que les locaux. Le projet de directive élaboré par Mme Thyssen prévoit d’ailleurs d’étendre le principe « à travail égal, salaire égal » à la main-d’œuvre des entreprises de sous-traitance. Les agences de travail intérimaire seront également tenues d’appliquer les nouvelles règles. Un principe de base de la légalisation actuelle – le travailleur détaché restera assujetti à la sécurité sociale de son pays d’origine – ne changera pas. Rouvrir le débat sur la directive de 1996, n’est-ce pas risquer de provoquer une nouvelle réaction des pays d’Europe centrale et orientale, qui s’y opposaient ? Marianne Thyssen le conteste, affirmant qu’elle veut « travailler pour les Vingt-Huit et pour le marché intérieur en créant un système tenable, clair, accepté par nos concitoyens ». Mais elle convient que le débat ne s’annonce « pas simple » avec certaines capitales, qui entendent défendre le statu quo. N’aurait-il pas été plus sage, aussi, d’attendre le résultat du vote britannique sur un éventuel « Brexit » pour ne pas influer sur les électeurs sensibles à de telles questions ? Le projet de directive avait été décalé à la fin de 2015, pour ne pas interférer avec la discussion entre Bruxelles et Londres. Mais la question des travailleurs détachés n’a « rien à voir » avec le débat sur la sécurité sociale ou les allocations familiales pour les travailleurs étrangers en Grande-Bretagne, souligne la commissaire. Ces débats-là commenceront – ou non – dès le lendemain de la consultation populaire prévue le 23 juin, en fonction de son résultat… p cécile ducourtieux et jean-pierre stroobants APPEL À CANDIDATURES Prix ERIK IZRAELEWICZ de l’enquête économique CATÉGORIE ÉTUDIANTE* É 2016 SUJET RÉCOMPENSE UNE BOURSE DE 5 000 € Enquête écrite traitant d’un sujet microéconomique innovant en France ou en Europe annonçant ou révélant une tendance économique émergente forte DATE LIMITE DE CANDIDATURE 31 mars 2016 RÈGLEMENT ET INSCRIPTIONS AVEC LE SOUTIEN DE *Reservée aux étudiants d’HEC Paris, du CFJ et des 13 autres écoles de journalisme reconnues par la CPNEJ en formation initiale www.cfjparis.com 4 | économie & entreprise 0123 MARDI 8 MARS 2016 L’EPR anglais met EDF face à un choix cornélien Inquiet des risques du projet d’Hinkley Point, le directeur financier de l’électricien a préféré démissionner C ela faisait des semaines que le directeur financier d’EDF tirait la sonnette d’alarme sur les risques du projet de construction de deux réacteurs EPR sur le site britannique de Hinkley Point. En vain. Thomas Piquemal a finalement décidé, jeudi 3 mars, de démissionner, selon une information de l’agence Bloomberg, confirmée lundi 7 mars au matin par le groupe. « Je regrette la précipitation de son départ, et j’ai immédiatement nommé Xavier Girre [directeur financier d’EDF pour la France] à titre provisoire » pour le remplacer, a indiqué Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, lundi matin. A l’ouverture de la Bourse, le titre de l’énergéticien plongeait de plus de 8 %. Le désaccord portait moins sur le principe même de la participation d’EDF à la relance du nucléaire au Royaume-Uni que « sur sa faisabilité à court terme », selon l’entourage de M. Piquemal, au moment où l’effondrement des prix de l’électricité sur le marché européen ébranle les assises financières du groupe. EDF a dû annoncer, le 16 février, un résultat 2015 en net repli (1,2 milliard d’euros) en raison d’importantes provisions et dépréciations d’actifs. Après le retrait d’Areva (concepteur de l’EPR) l’an dernier du projet Hinkley Point, le groupe devra consolider dans ses comptes 24 milliards d’euros – dont 16 milliards à la charge d’EDF et 8 milliards financés par China General Nuclear (CGN). Cette démission a créé une fracture au sein même du gouvernement. L’écologiste Jean-Vincent Placé, qui vient d’être nommé secrétaire d’Etat à la réforme de l’Etat, a estimé, lundi, sur France Info, que « l’EPR est une impasse économique, industrielle et commerciale », évoquant les dérives du calendrier et des finances des EPR en construction à Flamanville (Manche) et Olkiluoto (Finlande). « Ces milliards, ils seraient bien mieux sur les énergies renouvelables, bien mieux sur la recherche et développement », a estimé l’élu. Soutien sans faille de M. Macron Le projet a pourtant le soutien sans faille du ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Il a été confirmé, le 3 mars, lors du sommet franco-britannique réuni à Amiens (Somme), François Hollande et David Cameron le présentant comme un « pilier » de la coopération entre Paris et Londres. « Avec le soutien de son actionnaire, EDF confirme étudier l’investissement dans les deux réacteurs de Hinkley Point dans les meilleures conditions financières pour le groupe », a réaffirmé lundi matin M. Lévy, évoquant une Un décret sur Fessenheim en 2016 « Le président de la République s’est engagé à fermer Fessenheim d’ici à la fin 2016. C’est ça, la date », a déclaré, dimanche 6 mars, Emmanuelle Cosse, ministre du logement et ex-secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, au Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI. En fait, la loi de transition énergétique, qui plafonne la puissance du parc nucléaire à son niveau actuel, va contraindre EDF à fermer deux tranches de 900 mégawatts (MW) lors de la mise en service de l’EPR de Flamanville (Manche). Celle-ci est prévue fin 2018. La ministre de l’environnement, Ségolène Royal, a annoncé qu’un décret actant l’arrêt de deux tranches sera pris en 2016. La loi ne précise pas qu’il doit s’agir des deux réacteurs de Fessenheim, mais EDF a indiqué travailler sur cette « unique hypothèse ». Le directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal, à Paris, en février 2014. GILLES ROLLE/RÉA « décision finale d’investissement dans un avenir proche ». Le conseil d’administration de l’électricien doit théoriquement voter, le 30 mars, ce qui a semble-t-il précipité le départ de M. Piquemal. Comptable de l’équilibre financier d’un groupe déjà lourdement endetté (37,4 milliards d’euros), M. Piquemal refusait d’endosser une décision engageant les fonds propres de l’entreprise. C’est une véritable crise interne qui secoue aujourd’hui EDF et fragilise son PDG. Car l’inquiétude du « grand argentier » rejoint celle d’autres dirigeants, tout aussi critiques sur l’aventure anglaise au moment où l’entreprise doit financer d’énormes investissements en France. A elles seules, la modernisation et l’exploitation des 58 réacteurs en service dans l’Hexagone, notamment leur mise aux normes de sûreté post-Fukushima, mobilisera 100 milliards, vient d’indiquer la Cour des comptes. A cela s’ajouteront le rachat d’Areva NP (réacteurs) pour plus d’un milliard, les investissements dans les énergies renouvelables ou les réseaux électriques, et le déploiement du compteur communiquant Linky. Calendrier irréaliste Cette inquiétude fait écho aux critiques de tous les syndicats du groupe. Favorables au développement nucléaire d’EDF au Royaume-Uni, ils n’en réclament pas moins un report de Hinkley Point C. Il n’y a aucune urgence, selon L’excès de dette, publique comme privée, menace l’économie mondiale L’ susceptibles de venir au secours de l’activité. Ces inquiétudes sont-elles justifiées ? Avant d’y répondre, la BRI, dont la principale mission est d’aider les instituts monétaires à assurer la stabilité financière, avance une explication : le responsable de toutes ces turbulences – mais aussi d’évolutions structurelles telles que le déclin de la productivité – est la dette, publique comme privée. « [Cette dernière] était à l’origine de la crise financière [de 2008] et, depuis lors, elle a continué à enfler dans le monde entier », explique M. Borio, dans une introduction au rapport. De fait, le niveau global d’endettement public et privé excède désormais son niveau de 2007, dépassant les 200 % du produit intérieur brut (PIB). Certes, le secteur privé des pays industrialisés a commencé à se désendetter, notamment aux Etats-Unis. Mais la dette publique, elle, y a explosé – elle culmine aujourd’hui à Le boom du crédit a déclenché une mauvaise allocation des ressources 104,5 % du PIB du pays, selon le Fonds monétaire international. Plus inquiétant encore, note la BRI, l’endettement en dollars des entreprises des pays émergents enregistre lui aussi une forte hausse. « Ce phénomène va de pair avec une envolée des prix de l’immobilier suscitée par une prise de risque audacieuse, constate M. Borio. Autant de signes qui rappellent les booms financiers observés avant la crise dans les économies qui en ont ensuite été victimes. » Cercle vicieux Depuis 2009, la dette des pays émergents libellée en dollars a ainsi doublé pour atteindre 3 300 milliards de dollars (soit plus de 3 000 milliards d’euros). Mais elle a cessé d’augmenter au troisième trimestre 2015. S’agit-il d’une accalmie, ou du début d’un krach ? Une chose est sûre : les conditions de financement extérieures se sont durcies pour les PME et les grands groupes d’Asie et d’Amérique latine, notamment du fait de la dépréciation face au dollar de plusieurs devises, comme le réal brésilien ou le yuan chinois. Du coup, nombre de ces entreprises ont cessé d’emprunter, ou bien tentent de rembourser leur dette en dollars. Le problème, c’est que ce durcissement intervient au moment où le cycle économi- ses détracteurs, qui ajoutent que le prix garanti de l’électricité par Londres sur trente-cinq ans (120 euros le mégawatt/heure) n’est pas compétitif : il s’établit à 28 euros le MWh en Europe actuellement. Résultat : des cadres dirigeants et les syndicats plaident pour un report du projet. Le temps qu’EDF et Areva NP mettent au point leur « EPR nouveau modèle », qu’ils espèrent construire pour 6 milliards d’euros, avec un prix de l’électricité de 60-70 euros le MWh. Mais son entrée en service n’interviendrait pas avant la fin de la prochaine décennie. Ce qui, selon les partisans de Hinkley Point, mettrait en danger toute la filière nucléaire française. Un choix cornélien. p jean-michel bezat 327 L’endettement global est supérieur à son niveau de 2007, avant la crise financière excès de dette sur les cinq continents menace la reprise et risque de plonger le monde dans une nouvelle crise destructrice. Tel est, en substance, le message d’alarme lancé par les chercheurs de la Banque des règlements internationaux (BRI) dans le rapport trimestriel de l’institution, publié dimanche 6 mars. « Sur fond de déclin de la croissance de la productivité, le stock mondial de dette continue d’augmenter et la marge de manœuvre des pouvoirs publics se rétrécit sans cesse. C’est la trilogie infernale », prévient ainsi Claudio Borio, chef du département économique et monétaire de la BRI. Intitulé « Un calme précaire fait place à des turbulences sur les marchés », le rapport de l’institution, parfois surnommée « la banque centrale des banques centrales », revient d’abord sur les secousses qui ont agité les Bourses mondiales en début d’année. Inquiets du ralentissement de l’économie chinoise et des pays émergents, les marchés, provoquant au passage l’effondrement des prix du pétrole, sont rapidement devenus nerveux à propos de l’état de santé des banques, notamment en Europe. A propos de la croissance mondiale dans son ensemble aussi, et du manque d’instruments monétaires et budgétaires eux, à lancer un tel investissement. Frappé par un recul de la consommation d’électricité, le pays n’est pas menacé de pénurie à un horizon de dix ans, grâce au développement de parcs éoliens en mer et aux interconnexions aux frontières, qui lui permettront de disposer d’une capacité supplémentaire de plus de 6 000 mégawatts (MW) à partir de 2020-2021. Au départ, Hinkley Point devait être un « copier-coller » de Flamanville. Mais l’Office de sûreté nucléaire britannique a demandé des modifications qui en ont fait une « tête de série », avec les risques industriels et financiers inhérents. Le calendrier de construction retenu (68 mois en moyenne par réacteur) est irréaliste, soulignent que commence à se retourner dans plusieurs de ces pays. Un cercle vicieux qui pourrait faire des ravages. Mais la dette est également « coupable », estime la BRI, de l’affaiblissement de la productivité dans la plupart des pays. Un mal qui mine la croissance mondiale. Le boom du crédit a en effet déclenché une mauvaise allocation des ressources, l’argent facile profitant surtout aux secteurs à fort rendement, comme l’immobilier, et non à ceux susceptibles d’augmenter la croissance future, comme les énergies renouvelables. « Autrement dit, il se pourrait que nous soyons face, non pas à des coups de tonnerre isolés, mais aux signes avant-coureurs d’une tempête qui couve depuis longtemps », s’alarme M. Borio. Quelles réponses apporter en cas de nouvelle crise ? C’est probablement le plus inquiétant : partageant le constat de nombreux économistes, les experts de la BRI notent que les banques centrales, « trop sollicitées, pendant trop longtemps, après la crise », ont désormais peu de marges de manœuvre. Les marchés commencent à le comprendre – ce qui explique d’ailleurs leur nervosité. « Les pouvoirs publics seraient bien avisés d’en prendre conscience eux aussi », conclut M. Borio. p marie charrel C’est le nombre de signalements reçus par l’Observatoire des négociations commerciales. Mis en place pour la première fois par l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), cet observatoire doit donner des indications sur le déroulement des négociations commerciales entre les industriels et le secteur de la distribution. Celles-ci se sont achevées le 29 février. L’ANIA, qui estime que ces discussions se sont encore une fois déroulées dans une ambiance particulièrement tendue, a annoncé, lundi 7 mars, avoir envoyé huit courriers aux enseignes pour leur demander de cesser leurs agissements, à la suite de la réception des 327 signalements de pratiques considérées comme frauduleuses. AGR I CU LT U R E 11 % de visiteurs en moins au Salon de l’agriculture Le 53e Salon de l’agriculture, qui s’est achevé dimanche 6 mars, a enregistré une baisse de sa fréquentation de 11 % par rapport à 2015. Plus de 611 000 visiteurs sont venus durant les neuf jours, contre 691 000 en 2015 et 703 000 en 2014. Le pic a eu lieu samedi 5 mars « où l’on a frôlé les 90 000 visiteurs », selon les organisateurs. BT P Vinci désigné pour la construction du plus long tunnel sous-marin Le groupe français de BTP figure au sein du consortium désigné pour la construction du plus long tunnel sous-marin au monde entre l’Allemagne et le Danemark. D’un montant de plus de 7 milliards d’euros, cet ouvrage de quatre voies routières et une double voie ferroviaire relierait sur 18 kilomètres l’île allemande de Fehmarn à l’île danoise de Lolland. Prévu en 2015, ce chantier reste soumis à l’aval des autorités allemandes, retardé après plusieurs plaintes. – (AFP.) AÉR I EN ADP entre au capital des aéroports vietnamiens Le gouvernement vietnamien a autorisé Aéroports de Paris (ADP) à entrer dans le capital d’Airports Corporation of Vietnam à hauteur de 20 %, dans le cadre de sa privatisation partielle, selon la presse quotidienne vietnamienne. L’opération sera achevée au troisième trimestre 2016. – (Reuters.) ÉN ER GI E Npower supprime 20 % de ses emplois au Royaume-Uni Le groupe d’énergie Npower, filiale de l’allemand RWE, s’apprête à annoncer la suppression de 2 500 emplois au Royaume-Uni, soit près de 20 % de ses 11 500 postes dans le pays, a indiqué Skynews dimanche 6 mars. management | 5 0123 MARDI 8 MARS 2016 Le blues de la parité et comment y remédier LE COIN DU COACH Les femmes comptent sur les nouvelles formes de management pour améliorer la mixité en entreprise ANALYSE C ombien êtes-vous, ce 8 mars, Journée des femmes, à vous être dit : « Ras le bol ! Assez ! » Assez de discours sur la parité. Assez de palabres sur le plafond de verre et autres inégalités quand, de fait, rien ne bouge ou si peu. Dans le monde anglo-saxon, cette lassitude a un nom : « gender fatigue », une forme ciblée de la « diversity fatigue », définie comme « une forme d’épuisement mental dû à l’attention constante requise pour s’assurer que le personnel est racialement ou ethniquement divers », expliquait, il y a dix ans dans The Network Journal, Herbert Smith, chasseur de têtes, spécialiste du recrutement de femmes ou de personnes issues des minorités. Les syndromes ? « Un sentiment de frustration, de colère, d’incapacité à aider, d’impossibilité à contrôler sa propre destinée et sa progression de carrière. » Chacun panique à l’idée d’entendre cette phrase terrifiante : « J’appartiens au service des ressources humaines et je suis venu vous voir pour organiser un séminaire sur la diversité », ironise le chroniqueur anonyme – comme c’est la règle – de The Economist du 13 février. Idées préconçues Le phénomène n’est pas spécifiquement américain. Il gagne aussi l’Europe, et la France en particulier, affirme Marie-Christine Maheas, directrice du développement de SilverRail technologies et coordinatrice de l’Observatoire de l’équilibre hommes-femmes (OEHF), un think tank créé fin 2015. « On ressent beaucoup de pression, de volontarisme pour améliorer la parité dans les entreprises. Les programmes et réseaux sont pléthoriques, mais les résultats restent insignifiants, poursuit cette bonne connaisseuse des programmes en faveur de la parité. Quand la culture de l’entreprise et ses hauts dirigeants n’encouragent pas vraiment ce genre d’initiative, les manageurs ne peuvent atteindre leurs objectifs et se disent qu’ils n’y arriveront jamais. » C’est en effet le cœur du problème. Très peu de PDG se sont CHEZ GERTRUD sincèrement engagés pour cette cause, ce qui est indispensable pour faire évoluer les cultures, effacer les stéréotypes. Car ce n’est ni le niveau d’éducation qui s’oppose à la carrière des femmes – celles-ci sont désormais aussi, voire plus diplômées que les hommes. Ni leur présence sur le marché du travail – en France, les femmes forment 47,82 % de la population active. Ni leur ambition – les études de l’institut Catalyst ont largement démontré ce point. Mais le blocage tient au fait que la majorité des manageurs continuent de penser plus ou moins consciemment qu’avoir une famille et des enfants est un obstacle à la prise de responsabilité par les femmes. Même s’il n’en est rien, en réalité. Il s’agit donc bien d’idées préconçues. Ce qui explique qu’à l’exception des conseils d’administration d’entreprises situées dans les pays à quotas, comme la France, les instances de direction restent globalement très peu féminisées. Les femmes ne représentent que 11,24 % des effectifs des comités de direction des soixante plus grandes entreprises françaises, selon le sociologue Michel Ferrary, professeur à l’université de Genève et à la Skema Business School. Or, dans les entreprises, « la parité hommes-femmes est nettement profitable », réaffirme une étude extrêmement complète et scientifiquement solide puisque portant sur 21 980 entreprises de 91 pays, publiée en février par le Peterson Institute for International Economics. Elle est signée de trois économistes, Marcus Noland, Tyler Moran et Barbara Kotschwar. « La marge nette des entreprises bénéficiaires comptant 30 % de femmes dirigeantes est supérieure de 15 % à celle des sociétés n’en comptant aucune. » Déploiement du numérique En revanche, les auteurs de l’étude n’observent pas de corrélation claire entre le profit généré et le fait qu’une entreprise ait une femme pour PDG. Pas de corrélation non plus entre profit et nombre de femmes administratrices. Leur présence a néanmoins une influence positive indirecte. Car Quels congés pour les travailleurs handicapés ? L ¶ Francis Kessler est maître de conférences à l’université Paris-I-PanthéonSorbonne plus il y a de femmes dans les conseils d’administration, plus il y en a dans les comités de direction. Le déploiement du numérique et des nouvelles formes de management induites pourraient débloquer la situation, veulent croire les membres du cercle InterElles, qui fédère les réseaux de quatorze grandes entreprises françaises de secteurs scientifiques et technologiques. Pourquoi ? Parce que le télétravail permet de mieux concilier tâches familiales et professionnelles tant pour les hommes que pour les femmes, estime Florence Gury, responsable qualité de General Electric Healthcare. Et que les opportunités de carrière seront davantage fondées sur les résultats et moins sur la présence, ajoute Anne-Isabelle Lichterowicz, directrice du développement des compétences pour Orange. « Parce que le manageur de demain va muter. Il devra faire preuve de qualités fédératives et collectives », ajoute Mme Gury. Enfin, les carrières hiérarchiques pourraient être moins linéaires. « Quelqu’un pourra être chef de projet un jour et contributeur le lendemain. Dans cette dynamique, les confrontations d’ego pourraient disparaître. » Sous-entendu : les qualités dites « féminines » seront à l’honneur. Comme au judo, les femmes pourront alors utiliser ce qui faisait la force de l’adversaire – en l’occurrence, les stéréotypes de genre – à leur profit et à celui de la société. Méthode Coué ? p annie kahn Le jeu au secours des enjeux Depuis des décennies, les enjeux stratégiques, commerciaux, professionnels, personnels sont devenus la quête du Graal de chacun. Ou du moins la caractéristique de la génération qui a accédé au marché du travail dans les années 1980, biberonnée au culte de la performance. Mais les crises d’un monde en changement constant ont fini par lasser et démobiliser les plus motivés. L’individu a oublié sa part d’humanité dans cette approche ; pire : sa part d’enfant. Le pédopsychiatre anglais Donald Winnicott a montré que « l’existence d’une aire d’expérience en continuité directe avec le jeu du petit enfant est à même de soulager la mise en relation de la réalité du dedans et de la réalité du dehors ». Bref, d’alléger les angoisses. Créatif, le jeu aide à s’affirmer en tant qu’individu. Il mobilise la concentration, l’imagination, la confiance, l’interprétation et la personnalisation de la réalité, en étant d’abord individuel, puis partagé et source de communication entre pairs. Si l’on en croit M. Winnicott, la créativité permet l’approche de la réalité extérieure, car être créatif par rapport à la réalité, c’est questionner le quotidien. C’est exactement ce qu’apportent dans l’entreprise les nouvelles générations. Le jeu serait-il le nouveau levier de motivation ? Jouer avec les objectifs commerciaux, les plans d’action et les stratégies comme autant de rébus à résoudre ? A condition que les missions soient simplifiées. Car la lourdeur et l’inefficacité de ce qui est parfois demandé accablent et découragent les plus engagés. Transformer nos enjeux en jeux pourrait devenir à terme le meilleur moyen de réaliser ses enjeux. p présentent MBA FAIR Le salon des MBA & executive masters QUESTION DE DROIT SOCIAL es personnes en situation de handicap qui ne peuvent travailler en milieu professionnel ordinaire peuvent exercer une activité tout en bénéficiant d’un suivi médico-éducatif dans une institution dite de « milieu protégé » : l’établissement et service d’aide par le travail (ESAT), qui a remplacé l’ex-centre d’aide par le travail (CAT). Comme le souligne le rapport d’information du sénateur Eric Bocquet du 15 avril 2015 sur le sujet, l’ESAT a aussi une fonction de « tremplin vers un emploi en entreprise ordinaire, le passage des travailleurs handicapés par l’établissement leur permettant d’acquérir ou de réapprendre les règles qui régissent le monde du travail. L’accueil en ESAT permet, en effet, aux personnes handicapées de conforter leurs capacités de travail et d’autonomie, ce qui renforce leur employabilité ». Mais l’activité en CAT/ESAT donne-t-elle droit à des congés ? La Cour de justice de l’Union européenne avait répondu positivement le 26 mars 2015, en partant du fait que les activités exercées au sein d’un CAT ne sont pas accessoires, car il ne s’agit pas seulement d’insérer la personne. Les activités sont réelles et effectives. Elles sont pratiquées sous la direction d’une personne et en contrepartie d’une rémunération. La Cour en a déduit que le droit communautaire, en l’espèce la directive 2003/88/CE, confère aux personnes handicapées évoluant dans une structure d’accueil à caractère social la qualité de travailleur, et, par conséquent, tous les droits qui découlent de par sophie péters Boostez votre carrière ! ce statut, notamment le droit aux congés ou à une indemnité compensatrice. La chambre sociale de la Cour de cassation du 16 décembre 2015 vient de contredire cette approche : les travailleurs handicapés travaillant en milieu protégé n’avaient pas de contrat de travail avant 2007. Ils « ne peuvent [donc] se prévaloir d’un droit à congés qu’à compter de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, du décret n° 2006-703 du 16 juin 2006 (…) ». Assistez aux conférences animées par les journalistes du Monde Échangez avec les directeurs des programmes Participez à 1 heure de master class animée par l’ESCP Europe Violation du principe Cette solution est pour le moins surprenante. Au point 25 de son arrêt, la Cour de justice avait pris la peine de rappeler que « aux fins de l’application de la directive 2003/88, la notion de “travailleur” ne saurait recevoir une interprétation variant selon les droits nationaux, mais revêt une portée autonome propre au droit de l’Union ». Donc, dès 2003, une personne en situation de handicap travaillant en milieu protégé est donc considérée comme « travailleur » par l’Union européenne avec tous les droits qui y sont attachés, dont les congés. Il peut donc y avoir un travailleur avec des droits (à congés) sans contrat formel de travail. Mais la Cour de cassation n’a pas retenu la règle communautaire : la qualification nationale et l’absence de droit à (indemnisation) de congés non pris (avant 2007) des personnes handicapées en CAT/ESAT l’emportent sur le droit de l’Union européenne. Il y a violation du principe fondamental de la primauté du droit européen. p SAMEDI 19 MARS 2016 11 H - 18 H PALAIS BRONGNIART 16, PLACE DE LA BOURSE 75002 PARIS ENTRÉE GRATUITE INFORMATIONS SUR : www.mbafair-lemonde.com INSCRIVEZ-VOUS MBA FAIR LE SALON DES MBA & EXECUTIVE MASTERS 6 | dossier 0123 MARDI 8 MARS 2016 P R OJ E T D E L O I T R AVA I L Le « oui, mais… » des chefs d’entreprise à la loi El Khomri Si les patrons plébiscitent l’idée de réformer le code du travail, certains dirigeants de PME plaident pour un rééquilibrage du texte en faveur des salariés suite de la première page « Quand on embauche quelqu’un, on sait qu’on prend un risque financier. Donc, on est frileux » Principales mesures qui cristallisent la colère : le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif et l’assouplissement des motifs de licenciement économique, par exemple dans les cas de plusieurs trimestres consécutifs de recul des ventes, sont plébiscités par les dirigeants de PME-ETI pour lever les « freins à l’embauche », selon la terminologie du gouvernement. « Le plafonnement des indemnités prud’homales me semble essentiel. Aujourd’hui, pour des sujets identiques, selon le tribunal, on peut être relaxé ou lourdement condamné. C’est la roulette russe ! », souligne Guillaume Richard, fondateur d’O2, un prestataire de services d’aide à domicile (ménage, garde d’enfants, etc.). Une incertitude potentiellement catastrophique pour les plus petites structures. « Nous avons eu une mise en cause aux prud’hommes : cela nous a coûté 500 000 euros, soit un an de résultat financier ! », déplore Thierry Borrat, patron de Deco Ader, un fabricant francilien d’adhésifs pour les façades et les véhicules. Même sans aller jusqu’aux prud’hommes, le sujet du licenciement trotte régulièrement dans la tête des petits patrons. « Quand on embauche quelqu’un, on sait qu’on prend un risque financier. Donc, on est frileux. En 2015, nous avons embauché un FRÉDÉRIC DURAND dirigeant de Diabolocom salarié senior au Royaume-Uni. Nous ne l’aurions pas fait en France : le risque potentiel est trop important », explique M. Durand, chez Diabolocom. « J’ai vingt-cinq salariés, je réfléchis à en embaucher deux de plus. Mais j’hésite, abonde Pierre Kuchly, le dirigeant d’ERA-SIB, une entreprise de robinetterie industrielle à Argenteuil (Val-d’Oise). Depuis la crise de 2008, ma PME est régulièrement confrontée à des chutes brutales de chiffre d’affaires, de 25 % à 30 %. Savoir que je pourrais me séparer d’un collaborateur en cas de coup dur m’aiderait à embaucher. » M. Kuchly se défend de vouloir licencier sans raison. « Je suis un ancien+++ salarié de ma société, que j’ai rachetée. Je peux vous dire que me séparer de quelqu’un est toujours un déchirement ! » Les petits patrons se disent également favorables aux assouplissements du temps de travail au- delà des 35 heures, et à l’abaissement du taux de majoration des heures supplémentaires. « Dans les arômes pour boissons, l’activité connaît un pic l’été. Aujourd’hui, nous payons des heures supplémentaires à nos 250 salariés, mais cela revient cher », indique M. Lecesne, chez Nactis Flavours. « Tous nos contrats intègrent quatre heures supplémentaires d’office, car la concurrence est mondiale. Face à des équipes de développeurs russes ou indiens, nous devons être compétitifs », explique de son côté M. Durand, chez Diabolocom. « Conserver du bipartisme » De nombreux petits chefs d’entreprise n’ont d’ailleurs pas attendu le débat actuel pour s’affranchir, dans les faits, des 35 heures. « Depuis un mois, mes affaires vont moins bien. En accord avec mes dix salariés, j’ai donc réduit le temps de travail, en leur demandant de poser leurs congés ou des jours de récupérations, pour passer de 39 à 37 heures par semaine. Ils jouent le jeu ! Je ne vais quand même pas leur dire : on est un de trop ! », détaille Béatrice Veyrac, gérante de Soud Hydro, une TPE aveyronnaise spécialisée dans la maintenance de matériel hydraulique. En revanche, modifier le temps de travail par référendum d’entreprise, une réforme censée permettre de mieux prendre en compte l’avis des salariés, fait débat entre grands et petits patrons. Dans son ETI de 250 personnes, M. Lecesne y est favorable. « Avec ce texte, on ne casse pas le dialogue social, on la ramène au niveau de l’entreprise », estime-t-il. « Le code du travail est à des années-lumière de ce qu’il devrait être pour faciliter la recherche d’un accord au sein des entreprises», a souligné Jean-Dominique Senard, le patron de Michelin, dans Le Figaro du 5 mars, qualifiant la loi d’« étape importante ». Les TPE sont, elles, plus réticentes. « Les référendums d’entreprise [qui doivent être précédés d’un accord signé par des syndicats représentant au moins 30 % des voix] sont complètement inapplicables dans les TPE-PME. C’est méconnaître notre réalité : je fais le tour de tous mes salariés chaque matin, je les connais ! », assure M. Kuchly. C’est aussi au nom de cette réalité du terrain que certains petits patrons sont favorables à un réé- quilibrage du texte. Des réformes comme la baisse des salaires en cas de difficultés conjoncturelles ou de nécessité de gagner de nouveaux marchés peuvent mener à des déséquilibres, avertissent-ils. « La flexibilité est importante car nous avons peu de visibilité vu les conditions économiques. Mais attention à ne pas oublier les notions de qualité et de confort de vie de chacun. Il faut conserver du bipar- La flexibilité à la française n’a pas permis d’éviter les licenciements Les accords de maintien de l’emploi devaient garantir l’activité en échange d’une baisse des salaires et d’un ajustement du temps de travail D partie de ces sacrifices, les salariés ont la garantie de conserver leur poste sur la période définie ; ceux qui refusent ces nouvelles conditions font l’objet d’un licenciement économique individuel. estinés aux entreprises confrontées à de « graves difficultés économiques conjoncturelles », les accords de maintien de l’emploi n’ont pas rencontré le succès escompté par le gouvernement. Moins d’une dizaine a été signée. Et les pionniers – les équipementiers Walor, à Legé (Loire-Atlantique), et Mahle-Behr, à Rouffach (Haut-Rhin) – en gardent un goût amer. Ce dispositif, inscrit dans la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, permet la signature d’accords majoritaires prévoyant, sur deux ans au maximum (cinq depuis la loi Macron du 10 juillet 2015), une baisse des salaires et/ou la flexibilité du temps de travail des personnels. En contre- « C’est sans fin » Le tout premier accord est intervenu chez Walor, un fabricant de pièces métalliques pour les airbags et les roues qui emploie une centaine de personnes et réalise 24 millions d’euros de chiffre d’affaires. Début 2013, la société, qui envisageait de licencier 18 de ses salariés, avait finalement accepté la proposition alternative de la CFDT – seul syndicat représentatif à l’époque – de négocier un accord de maintien de l’emploi. Celui-ci fut conclu le 19 juillet 2013. Il prévoyait soit des baisses de rémunération allant jusqu’à 80 euros par mois, selon la direction, soit de travailler en production un week-end sur quatre. La CFDT, qui a dû faire face aux critiques virulentes d’ouvriers dans les ateliers de l’entreprise, était convaincue de sauver des emplois. Las ! 18 salariés ont refusé les conditions de l’accord ; ils ont été licenciés. « J’ai été déçu par ces départs, confie Stéphane Cudelou, directeur du site. Nous voulions répartir le travail entre tous pour garder tout le monde. » Au bout du compte, il a fallu… recruter une quinzaine de personnes. Même scénario chez MahleBehr. Cette entreprise, filiale de 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 FRANÇOIS MITTERRAND 1986 1987 ALTERNANCE CHIRAC Mesures Balladur pour l’emploi des jeunes 1988 Loi quinquennale sur l’emploi 1989 1990 22,51 MILLIONS 1991 1992 FRANÇOIS MITTERRAND 2 millions de chômeurs 1993 1994 ALTERNANCE BALLADUR 3 millions de chômeurs Travaux d’utilité collective (TUC) 22,05 MILLIONS francine aizicovici Dégressivité des allocations chômage Réduction d’impôt de 50 % pour l’emploi d’un salarié à domicile. Allègement des cotisations pour l’emploi Ordonnance du 11 août 1986 : Le « travail différencié » facilite l’usage des temps partiels, des CDD et de l’intérim pour les entreprises Population active ayant un emploi Le 28 janvier, la direction a annoncé la nécessité de supprimer 110 emplois et de déployer « une série de mesures ». « Faute d’accord pour abaisser la masse salariale de 8 %, il y aura 180 suppressions d’emplois », déplore-t-il. Mahle-Behr « veut que l’on devienne plus compétitif qu’un autre site du groupe, en République tchèque, mais on n’y arrivera jamais puisque l’entreprise exige des personnels de cette usine aussi qu’ils fassent des efforts. C’est sans fin. Le problème n’est vraiment pas conjoncturel ». Le 9 mars aura lieu la première réunion du comité d’entreprise sur le plan social, alors que des lignes de production sont démontées et « laissent la place au vide ». p Echec des négociations patronat-syndicats sur l’adaptation des conditions d’emploi (dites « négociations sur la flexibilité ») VALÉRY GISCARD D’ESTAING 1 million de chômeurs Plus de deux ans et demi après, les effets sont contrastés. Chez Walor, M. Cudelou estime que l’accord « a apporté de la sérénité. Nous avons pu développer de nouveaux projets ». Une usine a même été ouverte au Mexique fin 2014 ; elle emploie 125 personnes et fabrique des pièces « pour le marché nordaméricain », explique le directeur. Il ajoute : « Il n’y a pas eu de délocalisation en Roumanie » Un site y avait été ouvert dès 2007. Dans cette entreprise, le paysage syndical a été bouleversé : la CFDT a disparu au profit de la CGT. A Rouffach, les commandes espérées ne sont pas arrivées. « Nous ne travaillons plus que sur des projets en fin de vie », dit Denis Pieczynski, délégué syndical UNSA. Yvon Gattaz, président du CNPF, propose de créer 471 000 emplois nouveaux à contraintes allégées (ENCA) Pactes nationaux pour l’emploi des jeunes, embauches avec exonérations 40 ans de charges sociales, CDD facilité de mesures en faveur de l’emploi 1974 l’allemand Mahle (66 000 salariés dans le monde, 9,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014), fournit des systèmes de climatisation pour véhicules. Destiné à éviter un plan de licenciement de 102 personnes, l’accord de maintien de l’emploi, signé par tous les syndicats maison le 26 juillet 2013, prévoyait notamment la suppression de cinq jours de réduction du temps de travail et un gel des salaires. A la différence de Walor, Mahle-Behr avait fixé des primes de départ significatives : 14 000 euros, plus 600 à 900 euros par année d’ancienneté. Résultat : 161 licenciements individuels sur 1 009 personnes ; une soixantaine de personnes ont été recrutées par la suite. Réforme des retraites Balladur Rapport « Choisir l’emploi du XIe Plan » Les experts se prononcent en faveur d’une baisse des cotisations sociales en janvier 1993 22,9 MILLIONS 1995 J dossier | 7 0123 MARDI 8 MARS 2016 Les syndicats face au dilemme des référendums Les organisations sont divisées sur la validation des accords par le biais de ce type de scrutin L’ avant-projet de loi de réforme du code du travail entend renforcer la place des accords d’entreprise dans le dialogue social et prévoit qu’ils soient validés par des organisations syndicales représentant 50 % des salariés ou 30 % à l’aide d’un référendum. Temps de travail, modulations salariales, contrat de travail pourraient en dépendre directement. Les organisations syndicales, « réformistes » ou pas, considèrent que consacrer la primauté de l’accord d’entreprise sur la branche peut devenir un problème. « Une négociation au plus près de l’entreprise, ce n’est pas automatiquement du moins-disant social », reconnaît le secrétaire général de la CFTC, Bernard Sagez. Mais « elle devient un problème quand on veut étendre leur champ à des sujets qui n’y sont pas pertinents et pour lesquels la négociation ne pourra pas être loyale [déséquilibrée en faveur de l’employeur] », dit Gérard Mardiné, secrétaire national de la fédération de la métallurgie CFE-CGC. Force ouvrière (FO) y voit une fragilisation du salarié « à double titre ». « Elle le prive du socle de minima sociaux garantis par la branche. D’autre part, ce projet de loi fait primer l’accord collectif sur le contrat de travail », explique Marie-Alice Medeuf-Andrieux, secrétaire confédérale FO, chargée de la négociation collective. « Toute disposition individuelle inscrite dans Sur le campus de l’université Paris-VIII, à Saint-Denis, le 3 mars. AURELIEN MORISSARD/IP3/MAXPPP tisme : ce n’est pas à l’entrepreneur d’imposer, mais à la communauté entrepreneurs-salariés de décider ensemble », insiste Jean-Yves Clément, gérant d’Atre et Loisirs, un fabricant de cheminées de Montmélian (Savoie). Au-delà de la polémique, les dirigeants de petites et moyennes entreprises appellent aussi le gouvernement à compléter le texte actuel. « Ce dont nous aurions besoin, c’est d’un véritable contrat de travail avec des droits (donc des indemnités) progressives, comme en Italie », suggère Hugues Souparis, le PDG d’Hologram Industries, qui conçoit des bandes de sécurité pour les passeports et les billets de banque. Alors que le taux de chômage dépasse encore 10 % en France, et frôle 25 % chez les moins de 25 ans, les chefs d’entreprise ne sont pas dupes de l’objectif affiché de cette loi pour l’exécutif : inverser la courbe du chômage. « Le vrai problème, ce n’est pas tant la perte d’un emploi, c’est la difficulté – voire l’impossibilité, pour certains – à en retrouver un. Et là-dessus, le texte ne fait rien pour les populations les plus fragiles : non diplômés, âgés ou habitants de zones d’emploi sinistrées », pointe M. Richard, chez O2. « La première des conditions pour embaucher, c’est que les entreprises aient du boulot ! Or, même si on nous répète à longueur de temps que tous les signaux sont au vert, je ne vois, au mieux, que de faibles frémissements de la croissance », conclut M. Kuchly. p audrey tonnelier 1996 1997 1998 JACQUES CHIRAC ler que la branche doit définir l’ordre public professionnel, ce qui n’est pas dans le texte du gouvernement aujourd’hui, tout en laissant la place à la négociation d’entreprise », remarque, de son côté, Véronique Descacq, la secrétaire générale adjointe de la CFDT. Mais la CGT et FO sont franchement contre. « Le référendum n’a pas de valeur démocratique, affirme M. Angeï. Il pose même un problème constitutionnel car la loi prévoit que les salariés soient représentés par les organisations syndicales. Or, le référendum les courtcircuite puisqu’il permet à un accord minoritaire de passer en force. » Il ajoute : « Ce procédé supprime de fait le droit d’opposition des organisations majoritaires, qui peuvent aujourd’hui s’opposer à un accord si elles représentent 50 % des voix. » Ce qu’elles ont, par exemple, fait pour bloquer l’accord sur le travail du dimanche à la Fnac. M. Angeï considère, en outre, que « le référendum est source de division entre les salariés », puis- que tous votent, même ceux n’étant pas concernés par la mesure. C’est ce qui s’est passé chez Smart fin 2015 pour décider d’un retour aux 39 heures sans augmentation de salaires. La consultation a été invalidée. « Le référendum légaliserait ce type de pratique », dénonce-t-il. Chez Smart, la mesure a été appliquée par des avenants aux contrats de travail « sous la menace d’un chantage à l’emploi », précise le syndicaliste. Pour FO, le recours au référendum affaiblirait le pouvoir syndical. « Soit les salariés approuvent l’accord minoritaire et c’est l’intérêt particulier qui prime sur le collectif, soit ils le rejettent et fragilisent l’organisation syndicale qui a signé l’accord », déplore Mme MedeufAndrieux. Les réformistes suggèrent par la voix de Bernard Sagez que « la branche puisse mettre un veto sur l’accord d’entreprise pour éviter toute dérive » et la CFDT, qui a rendez-vous lundi 7 mars avec la ministre du travail, estime que le statu quo n’est pas possible avec 5 millions de demandeurs d’emploi et qu’« il faut faire en sorte que toutes les modifications du droit actuel ne puissent se faire que par la négociation et par accord majoritaire ». Avec ou sans référendum ? Les syndicats, qui doivent se retrouver le 18 mars, tenteront de répondre à la question. p anne rodier En Europe, les gouvernements ont déjà joué la carte de la « flexisécurité » londres, berlin, madrid, rome correspondants F ace au chômage, les pays d’Europe n’ont pas adopté les mêmes stratégies ni agi dans le même « timing ». Le pragmatisme allemand Tombé à 4,3 % en février 2016 selon Eurostat, le taux de chômage en Allemagne a été spectaculairement réduit en une décennie, puisqu’il flirtait avec les 12 % en 2005. Cette décrue est le résultat de deux grandes modifications dans l’organisation du marché du travail. D’une part, au plan législatif, les lois dites « Hartz » de 2003 et 2005 ont introduit d’importantes réformes : réorganisation des agences pour l’emploi, réforme de l’assurance-chômage, conditions de refus d’un emploi durcies pour les chômeurs, renforcement du travail temporaire et création de contrats atypiques quasi exonérés de charges sociales. D’autre part, sur le plan du dialogue social, les syndicats ont opté pour une approche pragmatique dans les négociations avec le patronat dans le but de réduire le chômage. Ils ont accepté de limiter leurs revendications salariales Détricotage des 35 heures par l’extension des contingents d’heures supplémentaires Fin des emplois jeunes Loi Aubry II sur les 35 heures 1999 « Chantage à l’emploi » Les organisations syndicales dites « réformistes » – CFDT, CFE-CGC, CFTC, Unsa, Fage – partagent la crainte d’un risque de « dumping social ». « Si on ramène la négociation au niveau de l’entreprise, beaucoup de dirigeants vont être tentés d’en faire un élément de leur compétitivité commerciale et financière. La sauvegarde des emplois sera mise en avant par les directions et cela pèse lourd dans les négociations. Or, les délégués syndicaux ont une moindre indépendance au niveau de l’entreprise que dans les branches puisque leur interlocuteur est leur employeur », précise la CFE-CGC. Si la réaffirmation du « rôle intermédiaire et incontournable de la branche » fait la quasi-unanimité des organisations syndicales, ce n’est pas le cas de la validation des accords par référendum prévu par le projet El Khomri. La CFTC se déclare clairement « favorable au référendum ». « L’enjeu est de rappe- La réaffirmation du « rôle incontournable de la branche » fait, elle, la quasiunanimité Chômage et dialogue social : les recettes de nos voisins Loi Robien Allègement du coût du travail pour les entreprises qui réduisent le temps de travail afin de préserver l’emploi Loi Aubry I sur les 35 heures le contrat de travail pourrait être remise en cause par accord collectif », souligne-t-elle. Pour la CGT, « l’accord d’entreprise ne peut pas devenir la norme, tranche Fabrice Angeï membre du bureau confédéral, car ce serait remettre en cause la hiérarchie des normes qui veut que la loi garantisse un socle commun de droits pour les salariés et la branche protège l’activité ». 2000 2001 2002 2003 dans les années 2000, ce qui a permis aux entreprises de gagner en compétitivité. Les comités d’entreprise ont obtenu plus de liberté pour négocier des accords salariaux séparés avec la direction en cas de difficulté. Et durant la crise économique, qui a durement frappé l’Allemagne en 2009, les syndicats ont obtenu une limitation des licenciements en échange de mesures de chômage partiel cofinancé par l’Etat. La réforme « choc » espagnole A peine arrivé au pouvoir, le Parti populaire (PP, droite) de Mariano Rajoy a adopté une réforme du marché du travail destinée à réduire le chômage, qui dépassait alors 22,8 % des actifs. Adoptée en février 2012, cette réforme avait pour objectif de faciliter et d’abaisser les coûts de licenciement pour lutter contre la « peur d’embaucher » et imposer plus de flexibilité des contrats pour éviter le recours aux licenciements. Les suppressions de poste pour cause économique ont été facilitées pour toute entreprise qui justifie de trois trimestres consécutifs de baisse des ventes. La réforme a supprimé la demande d’autorisation administrative préalable aux Echec du contrat nouvelle embauche : CDI pour les entreprises de 20 salariés avec possibilité de licenciement sans justification pendant deux ans 2004 2005 2006 plans sociaux, affaiblissant le rôle des syndicats. Enfin, les entreprises peuvent imposer des baisses de salaire après deux trimestres de recul du chiffre d’affaires. Depuis l’adoption de la réforme, l’Espagne compte 800 000 chômeurs de moins, mais le taux de chômage reste très élevé, à 20,9 %. Les socialistes ont promis d’abroger les points les plus polémiques de cette réforme s’ils arrivent au pouvoir. Un salaire minimum britannique en forte hausse Si les lois du travail au Royaume-Uni sont parmi les plus flexibles d’Europe – contrats à zéro heure, autoentreprenariat déguisé, licenciements très faciles… –, le gouvernement a décidé de prendre à contre-pied cette tendance en luttant contre les bas salaires. A partir d’avril, le salaire minimum pour les plus de 25 ans va augmenter de 7,5 %, à 7,20 livres de l’heure (9,30 euros). D’ici à 2020, il doit faire un bond de 34 %, à 9 livres. Cette décision vise de fait… à réduire les aides sociales. Il y a une trentaine d’années, le RoyaumeUni a choisi un marché du travail très flexible : un employeur n’a presque pas à justifier d’un licenciement, à condition que celui-ci Réforme des retraites Fillon Emplois jeunes Ristourne Fillon sur les cotisations sociales jusqu’à 1,6 SMIC 24,67 MILLIONS Echec du contrat première embauche Le projet de CPE, destiné aux moins de 26 ans, est abandonné après une vague de manifestations Le « Jobs Act » à l’italienne Il est encore difficile de faire un premier bilan de la réforme du marché du travail adoptée par le parlement en décembre 2014. Baptisée « Jobs Act », elle instaure le CDI comme contrat unique à « protection Loi TEPA qui exonère les heures supplémentaires d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales 2007 2008 croissante » permettant aux employeurs de licencier un salarié, même sans cause réelle, en échange d’une indemnité d’une valeur maximale de 24 mensualités. Objectif : insuffler une dynamique au marché du travail, partagé jusqu’alors entre contrats précaires et emplois hyperprotégés. Selon le gouvernement, le Jobs Act aurait permis la signature de « plus de 700 000 nouveaux contrats ». Une astuce sémantique qui mêle dans la même formulation les emplois réellement créés et la transformation d’anciens CDD en CDI. Le taux de chômage est retombé de 12,4 % en 2014 à 11,5 % fin 2015. Mais pour Matteo Renzi cette réforme est avant tout synonyme d’une victoire politique. Il a déjoué l’opposition du plus important syndicat italien (CGIL) et des frondeurs du Parti démocrate pour venir à bout de l’article 18 de l’ancien code du travail. Véritable totem de la gauche, il contraignait les entreprises de plus de 15 salariés à réintégrer les travailleurs licenciés sans juste cause. p éric albert, cécile boutelet, sandrine morel et philippe ridet Loi sur la sécurisation de l’emploi accords de maintien dans l’emploi (AME), qui permet aux entreprises en difficulté une diminution du temps de travail et des salaires en échange de la conservation des effectifs 2009 JACQUES CHIRAC ALTERNANCE JOSPIN ne soit pas considéré comme une discrimination (pour l’âge, le sexe…) et pouvait payer des salaires au plancher. Pour tenter de limiter les abus, le gouvernement a introduit en 1998 un salaire minimum, mais très faible, ainsi que des crédits d’impôts (une forme d’aide sociale) pour les employés qui ont de faibles revenus. Cette mesure a très bien marché. Trop, selon le gouvernement, qui estime que la facture a enflé audelà du raisonnable : les crédits d’impôts représentent aujourd’hui 14 % du budget social britannique, soit 40 milliards d’euros. De facto, il s’agit d’une subvention aux entreprises qui paient mal. Le gouvernement britannique veut rééquilibrer cette approche, en faisant payer plus aux entreprises. Mais ces dernières tirent la sonnette d’alarme, estimant qu’elles risquent d’être forcées à licencier une partie de leur main-d’œuvre. 2010 2011 2012 2013 NICOLAS SARKOZY 1,98 million de chômeurs Création du dispositif d’autoentrepreneur 2015 2016 FRANÇOIS HOLLANDE 3 millions de chômeurs 3,5 millions de chômeurs Réforme des retraites de 2010 Non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite 27,7 MILLIONS 2014 Echec du contrat de génération 25,8 MILLIONS SOURCE : DARES INFOGRAPHIE LE MONDE 8/LE MONDE/MARDI 8 MARS 2016 REPRODUCTION INTERDITE LES OFFRES D’EMPLOI DIRIGEANTS - FINANCES, ADMINISTRATION, JURIDIQUE, R.H. - BANQUE, ASSURANCE - CONSEIL, AUDIT - MARKETING, COMMERCIAL, COMMUNICATION SANTÉ - INDUSTRIES & TECHNOLOGIES - ÉDUCATION - CARRIÈRES INTERNATIONALES - MULTIPOSTES - CARRIÈRES PUBLIQUES > Offres d’emploi Retrouvez toutes nos offres d’emploi sur www.lemonde.fr/emploi – VOUS RECRUTEZ ? M Publicité : 01 57 28 39 29 [email protected] 725262!*= 0)- 6" 1848,+:-" $" .*,#'$&(/+- %&(/+-&.") &!2./1 0 .& 18,,824 3);/*" 9-)4<)8,"# 62()68,= ,*- ' ()50*, $)4, 6", (25+=, $" 32, %4!"6", "+ $&.-)4!" PRINCIPAL EUROPEAN UNIVERSITY INSTITUTE ■ FLORENCE, ITALY -%("%-("% %)"#&!#*" '&'%+()$*# 0! ,*-30 "' ,-)(! !( 0!) /-"&01(2) "! #&."1(&('*! )-.( "1),-.1$0!) &' 01!. )'1%&.(+ "++/.!!#006#3!&54'2$ )))671+%-1*+701*3,("00363* he European University Institute (EUI) announces that the position of Principal will be vacant from September 2016. he appointment is for a period of 5 years, renewable for another 3 years. A distinctly international organization, today including 21 member states, the EUI was created in 1972 by the founding states of the European Union to provide advanced academic education and to promote academic research at the highest level in the areas of Economics, History and Civilization, Law, Political and Social Sciences. he EUI Principal, supported by a Secretary-General, directs the Institute in cooperation with professors, researchers and administrative staf and should: ■ be an internationally recognized scholar, with a distinguished record in terms of outstanding academic achievements, preferably in one of the EUI’s disciplines ■ have a good understanding of European afairs ■ have senior management competence and experience, preferably acquired in a university or other high‐level research institution, or have held positions of responsibility at a national or international level ■ have the proven capacity to lead, inspire and promote cooperation and manage change in a complex organisation, and the strategic insight to act as an efective advocate for the EUI internationally ■ have experience of working in an international context. he responsibilities of the Principal will include the management of cultural diversity. Proiciency in at least two European languages will be an asset. he EUI ofers a competitive salary and beneits package. Candidates should apply directly to the EUI with a full CV and a strategy paper enclosed. Complete information on application and selection procedures is available at: www.eui.eu/principalvacancy Closing date: April 6, 2016 ■ Shortlisted candidates will be interviewed on May 4, 2016 in Florence. Le Groupe Scolaire la Résidence de Casablanca, établissement partenaire de l’AEFE, homologué de la maternelle à la terminale, recrute pour la rentrée scolaire 2016/2017 : • Professeurs des écoles • Professeurs certiiés/agrégés • Titulaires ou non titulaires du MEN français • Professeurs documentalistes • Personnel de Direction Les candidats sont priés d’adresser leurs CV avec photo et lettre de motivation par email à l’adresse suivante : [email protected] www.gsr.ac.ma L’université du Luxembourg he EUI is an equal opportunity employer and encourages applications from all sectors of society. ,'"+-0+/" )1$1".% .,&#'$0 (!* =IA16/ Direction générale des afaires économiques et inancières, Bruxelles D7:0CP1H01P5H& Le rôle de la Direction générale des afaires économiques et inancières (DG ECFIN) au sein de la Commission européenne est de renforcer la stabilité inancière des +#LQE(RM )( ".3R#QR @KNQOT(RR( (L )( )TJ("QOO(N KR (RJ#NQRR(!(RL ONQO#+( U ".T+QRQ!#( +Q!OTL#L#J( (L U ".(!O"Q#8 4QKN +( '-#N(2 "- A> @D?<9 +QRLN#,K( U l’élaboration de politiques visant une croissance intelligente, durable et inclusive. est une université multilingue, internationale, centrée sur la recherche. La Commission européenne recrute un Directeur général adjoint (H/F) qui sera ON#R+#O-"(!(RL +$-N%T )( MQKL(R#N "( A#N(+L(KN %TRTN-" )-RM MQR NS"(2 RQL-!!(RL -K R#J(-K )( "- %(ML#QR (L )( "- +QQN)#R-L#QR )( "- A> @D?<98 L’Université du Luxembourg recrute pour la Faculté de Droit, d’Economie et de Finance *50 2"04560'&:8:/;0 9 ;- )#N(+L#QR2 +QQN)#R-L#QR (L MKO(NJ#M#QR )(M -+L#J#LTM )( LNQ#M A#N(+L#QRM N(MOQRM-,"(M )( F =#/ ".#RJ(ML#MM(!(RL2 "- +NQ#MM-R+( (L "(M NT'QN!(M MLNK+LKN(""(M2 (ii) la surveillance budgétaire et macroéconomique dans les Etats Membres, et (iii) la trésorerie et les opérations inancières ; ;- O-NL#+#O-L#QR -+L#J( -KG -+L#J#LTM $QN#BQRL-"(M )( "- A#N(+L#QR %TRTN-"( * La contribution à la déinition et à la mise en œuvre de la stratégie globale )( "- A> @D?<98 1 Assistant-Professeur en droit commercial européen et comparé (M/F) • Ref. : F2-090009 (à mentionner dans toute correspondance) • Statut de salarié, temps plein Les détails sont à consulter sur le lien suivant : http://emea3.mrted.ly/zb0e L’Université de Luxembourg est un employeur qui assure l’égalité des chances. Les personnes intéressées sont invitées à envoyer leur dossier de candidature complet avant le 08/05/2016 à l’adresse suivante : Université du Luxembourg Professeur Stefan Braum Doyen de la Faculté de Droit, d’Economie et de Finance 4, rue Alphonse Weicker L-2721 Luxembourg Un formulaire de candidature est à demander à [email protected] *50 %574;/"6%"0 9 De très bonnes connaissances, ainsi qu’une solide expérience, en économie et dans les principaux domaines politiques gérés par la DG ECFIN ; 3R L-"(RL -JTNT )( RT%Q+#-L(KN2 ).(G+(""(RL(M +Q!OTL(R+(M (R +Q!!KR#+-L#QR et une capacité à représenter la Commission européenne de manière eicace et eiciente aux niveaux politiques les plus élevés ; D’excellentes capacités managériales, un très bon sens politique ainsi qu’une habileté à générer et mettre en œuvre de nouvelles stratégies et processus globaux. La Commission européenne applique une politique d’égalité des chances. La Commission encourage tout particulièrement les candidatures féminines. Veuillez consulter le Journal Oiciel 5 -+ 6 )K P&0P50CP1H OQKN ".-RRQR+( )TL-#""T( et les critères d’admission. ;(M +-R)#)-LM MQK$-#L-RL OQMLK"(N U +( OQML(2 )(JNQRL M.#RM+N#N( MKN "( M#L( F ",,1.0!!%'7%*/21)7%*!&#.!"*4)3$/%.2*/'%.!.%382/4)3)#%4%3,()')3'8%. La date limite d’inscription est ixée au ) ',2:8 (.1)# 1( !"-2"02 $(KN( )( $2-+"88"03 REPRODUCTION INTERDITE MARDI 8 MARS 2016/LE MONDE/9 vous souHaiteZ devenir (Tripoli - LIBAN) conservateur recrute pour la rentrée 2016 Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) organise en 2016 deux concours pour le recrutement de conservateurs territoriaux de bibliothèques • un concours externe • un concours interne Dans toutes les disciplines suivantes > Lettres modernes > Sciences physiques > SES > Histoire Géographie > Mathématiques > Philosophie (complément de service PRIO) Enseignants du 1er degré (h/f) en savoir plus sur www.cnfpt.fr 2 postes de professeurs des Écoles Résidents Les épreuves écrites se dérouleront les 24 et 25 mai 2016. Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 25 mars 2016 Conseillère Principale d’Éducation (h/f) Merci de transmettre vos dossiers de candidatures, dans les meilleurs délais aux adresses e-mail suivantes: [email protected] et [email protected] quand les talents grandissent les collectivités progressent Les dossiers de candidature sont à télécharger sur le site web de l’AEFE. f ALTERNANCE le lundi 21 mars* dans Retrouvez toutes nos offres sur www.lemonde.fr * daté mardi 22 mars. recrute territorial de bibliotHèques Enseignants résidents du 2nd degré (h/f) Retrouvez notre opération spéciale Le Département des Yvelines 1 407 560 habitants - Budget : 1,256 milliard d’euros - 4 000 agents ACTEUR DE LA TRANSFORMATION PUBLIQUE Aux côtés des entreprises, des partenaires sociaux et des acteurs publics lors de mutations économiques et sociales, le Groupe Alpha connaît aujourd’hui une dimension toute autre, grâce à la forte dynamique engendrée par sa iliale de conseil, d’audit et d’expertise, Sémaphores. A la conjugaison de l’Expertise et des Territoires, Sémaphores devient l’alternative aux grands cabinets anglo-saxons, grâce à la complétude de son groupe (1.100 collaborateurs), sa dimension sociale et l’ambition de ses nouveaux dirigeants. Pour accentuer son développement au service des grands acteurs publics contraints aux mutations internes autant que de réinventer leurs politiques publiques, Sémaphores (200 collaborateurs) recherche son : Un Chargé de mission solidarités / éducation Cadre d’emploi : Administrateurs territoriaux, Attachés territoriaux (h/f) Sous l’autorité du directeur général des services, vous avez la charge de suivre l’ensemble des politiques publiques du Département des Yvelines dans le champ des solidarités, de l’action sociale et de l’éducation. Vous participez plus généralement à la stratégie du Département en matière d’action sociale départementale (« polyvalence de secteur ») et de développement éducatif. Vous pouvez être en charge plus particulièrement de porter un ou plusieurs chantiers de transformation transverses à la demande du DGS et du directeur de l’audit et de la modernisation. De formation supérieure, vous connaissez l’environnement institutionnel et les compétences des collectivités locales notamment dans le domaine des politiques sociales départementales, des acteurs du secteur médico-social et de l’Education nationale. Maîtrisant le travail en mode projets et doté d’un esprit de synthèse, vous avez la capacité à gérer, en autonomie, des projets complexes dans un contexte contraint. Votre goût prononcé pour l’action publique ainsi que votre volonté de servir l’intérêt général se conjuguent avec une aisance relationnelle, un sens du dialogue, de l’écoute et de la diplomatie. Permis B requis. Retrouvez l’offre détaillée et candidatez sur notre site Internet : www.yvelines.fr CONSULTANT SENIOR PERFORMANCE PUBLIQUE Référent Finances Publiques et Conduite du changement Rattaché au Directeur Général et au Directeur du bureau francilien, le consultant senior recherché intègre un pôle pluridisciplinaire dans lequel il devient un des référents au service du bureau, de Sémaphores et du Groupe Alpha. Accompagnant les décideurs des grandes collectivités et autres administrations de taille moyenne et grande d’Ile-deFrance voire du territoire national, il manage une équipe de consultants multi-experts autant que des projets complexes et globaux liés à des mutations d’acteurs publics. Il crée les partenariats idoines nécessaires et produit en direct certaines missions autant classiques qu’innovantes. Actif dans la relation aux décideurs publics dans des stratégies amont, il promeut la singularité du savoir-faire de l’entreprise, faite de dialogue social, de médiation autant que de concertation, et développe de nouvelles références. Très soutenu dans ses initiatives, il contribue par ses tribunes et autres manifestations à la notoriété de Sémaphores et se montre force de propositions en matière de solutions innovantes et précurseuses. Ce poste intéresse un professionnel expérimenté (h/f) bénéiciant d’une assise en inances publiques et conduite du changement d’administrations publiques, d’une solide capacité à manager des projets complexes et d’un sens du conseil engagé, du dialogue autant que de la mise en œuvre opérationnelle. Intelligence relationnelle, sens politique et qualités managériales et rédactionnelles sont attendus pour réussir dans ces fonctions de développeur. Basé à Métro Paris-Porte d’Ivry. Merci d'adresser votre candidature, sous la réf. CSPP, par mail à : [email protected], qui transmettra au Conseil en recrutement mandaté par Sémaphores dans les meilleurs délais. PARIS • LYON • MARSEILLE • LILLE • METZ • MONTPELLIER • NANTES • ROUEN • TOULOUSE Emploi > Offres d’emploi Le Lycée A. de Lamartine REGARD SUR www.semaphores.fr En partenariat avec DOSSIER RÉALISÉ PAR M PUBLICITÉ > INTÉRIM CADRE < Un contrat amélioré à ne pas négliger Pour les cadres débutants comme ceux en attente d’un emploi, passer par la case interim est une option qui n’est pas sans atouts. Les entreprises en quête de lexibilité et de réactivité ont intégré ce type de contrat dans leur politique de ressources humaines. Si l’intérim n’est plus un indicateur avancé aussi sensible de l’évolution du marché du travail qu’il le fut avant la crise, il n’en demeure pas moins qu’il donne une bonne idée des perspectives à venir. C’est évidemment plus pertinent pour les fonctions d’exécution que pour celles de cadres en raison du caractère très atypique de la situation en France: cette catégorie est proche du plein emploi dans la tranche des 25-55 ans. Ce qui ne signiie pas pour autant qu’elle ne présente pas de solides opportunités pour les jeunes diplômés et les salariés expérimentés en recherche d’un emploi: le statut de cadre intérimaire en CDI solidement encadré depuis la loi du 23 juillet 2015 qui prévoit la suppression du délai de carence, l’allongement de la durée du contrat de 18 à 36 mois et la possibilité de le renouveler deux fois en font un contrat de plus en plus utilisé par les entreprises de taille intermédiaire qui ont des besoins ponctuels mais de qualité. L’Observatoire de l’Interim note dans son dernier rapport que les demandes émanant des sociétés sont d’un bon niveau et que les volumes d’équivalent plein temps sont en hausse régulière : les missions de cadres intérimaires ont augmenté de 120 % en 15 ans. Ces CDI Intérimaires qui sont des CDI de droit commun s’inscrivent dans une recherche de plus en plus prononcée de lexisécurité. Flexibilité pour l’employeur et sécurité de l’emploi pour l’intérimaire. Et si les volumes qui concernent la population cadre n’ont rien de spectaculaires, ce type de contrat trouve sa place en priorité auprès des seniors et des jeunes diplômés pour qui c’est souvent l’occasion de mettre le pied dans le marché du travail. Ce sont ces deux groupes qui forment le gros du bataillon des 50 500 cadres qui ont été en mission l’an dernier. Pour les premiers c’est la possibilité de combler un vide dans un CV, d’optimiser ou d’acquérir des savoir- faire professionnels. Pour les seconds, ce sont les premières briques dans la construction d’un parcours. Mais aussi la stabilité indispensable pour s’installer, s’ouvrir la possibilité d’engager des démarches d’achat d’un bien immobilier ou de souscription d’un crédit. Étapes initiatiques interdites aux CDD. D’autant que le cadre de ces CDI Intérimaires n’impose aucune obligation de déplacement hors des zones géographiques déterminées par contrat et que les titulaires de ces contrats sont éligibles aux formations professionnelles de leur branche d’activité. Il n’est donc pas étonnant que les cadres représentent 31 % du volume des 3,7 milliards d’euros de masses salariales distribuées par les agences d’emplois intérimaires. La répartition sectorielle fait la part belle aux activités tertiaires (51 %) devant les offres de postes dans l’industrie 42 % et la construction 6 %. Si l’on en croit la dernière étude qualitative ils seraient près d’un sur deux (45 % des intérimaires) à considérer que cette situation d’attente leur convient. Une proportion probablement alimentée par les constats des professionnels de l’interim : les proils les plus performants sont très vite intégrés en CDI classique dans l’entreprise où ils sont en mission. Car, si le statut de CDI intérimaire a décomplexiié les cadres, et si c’est devenu l’une des composantes de la gestion des ressources humaines de l’entreprise, il n’en demeure pas moins, soulignent les acteurs du métier, que les attentes des employeurs souvent pressantes sont aussi très qualitatives. Avec la transformation des organisations, la numérisation accélérée et l’introduction de nouveaux modes de management qui privilégient l’eficacité, les paradigmes de l’intérim changent. Dans le palmarès des fonctions les plus demandées on trouve les métiers de la inance comme le contrôle de gestion ou la comptabilité, les spécialités juridiques Les C 60 K€ hiffres ainsi que les ressources humaines puis les expertises techniques avec une forte tonalité pour l’informatique et la numérisation. Cela signiie concrètement que les candidats doivent maintenir le niveau de leurs compétences comme ils doivent entretenir leur réseau. C’est particulièrement vrai pour les seniors qui sont aujourd’hui beaucoup plus sollicités qu’avant la crise pour des missions d’urgence ou le savoir-faire et le savoirêtre permettent d’éviter les susceptibilités hiérarchiques. On note aussi pour les plus conirmés d’entre eux, la multiplication des missions l’étage supérieur: celles de managers de transition. Il s’agit là d’interventions au côté des directions générales ou pour le compte d’investisseurs sur des projets structurants. Les postulants appartiennent en général à un club de cadres supérieurs familiers des comités de direction dont la base de rémunération est de 1000 à 1500€ par jour. Une catégorie hautement qualiiée et dont l’intérim passe le plus souvent par une société personnelle. rémunération de base d’un CDI Intérimaire cadre expérimenté. 6 mois la durée moyenne des missions proposées aux intérimaires cadres. 50 000 le nombre de cadres qui sont passés par l’intérim en 2015. 1000 c’est le nombre de postes du secteur Interim auxquels vous pouvez accéder sur Emploi en partenariat avec www.lemonde.fr/emploi L.PM 10 | MÉDIAS&PIXELS 0123 MARDI 8 MARS 2016 Bouygues Telecom- Orange : peur sur la fibre Selon certains élus, la fusion entre les deux opérateurs menacerait l’arrivée du très haut débit en zone rurale L es 10 000 habitants de Figeac, dans le Lot, ont de quoi être insatisfaits de leur accès Internet. « En centre-ville, l’ADSL est correct. Mais il s’affaiblit rapidement dès qu’on s’en éloigne », explique François Sançon, directeur infrastructures et aménagement du conseil général. Comme leurs voisins de Souillac ou Puy-l’Evêque, les Figeacois attendent avec impatience d’être raccordés à la fibre optique, qui offre des débits allant jusqu’à 100 mégabits par seconde. Dans ce département, où des sous-traitants de l’aéronautique, comme Ratier ou Figeac Aéro, ont élu domicile, l’Internet très haut débit est tout sauf un gadget pour vacancier. Pourtant, les Lotois devront attendre 2018 avant d’avoir des débits Internet plus élevés. Comme d’autres départements ruraux, le Lot connaît les affres de l’installation de la fibre optique, rendant incertaine la promesse faite en 2013 par François Hollande de couvrir toute la France en très haut débit à l’horizon 2025. Contrairement aux grandes agglomérations, où les opérateurs télécoms construisent le réseau, l’installation du très haut débit dans les campagnes repose sur les collectivités locales, qui mettent la main à la poche, par le biais des réseaux d’initiatives publiques (RIP), pour faire construire les tranchées et les fourreaux qui accueilleront ensuite la fibre optique. Dans les campagnes, les opérateurs n’interviennent que dans « Il est impératif de veiller à maintenir un niveau suffisant de concurrence » FÉDÉRATION DES INDUSTRIELS DES RÉSEAUX D’INITIATIVE PUBLIQUE un second temps, en louant le réseau des collectivités et en commercialisant leurs offres aux abonnés finaux. Mise en garde Dans ce contexte, le rachat potentiel de Bouygues Telecom par Orange inquiète les élus locaux, dont les concitoyens attendent avec impatience d’être équipés. Le sujet sera au cœur des débats, mardi 15 mars à Deauville, lors des Etats généraux des RIP. Vendredi 4 mars, la Fédération des industriels des Réseaux d’initiative publique (Firip) a adressé à l’Autorité de la concurrence et à l’Arcep, le gendarme des télécoms, un courrier de mise en garde. « Il est impératif de veiller à maintenir un niveau suffisant de concurrence pour empêcher le renforcement du duopole existant », dit la lettre, qui vise Orange et SFR. « Il y a deux ans, nous nous adressions à cinq opérateurs : Orange, Bouygues Telecom, Free, Numericable et SFR. Là, il ne devrait en rester que trois », se plaint le directeur d’un syndicat mixte, chargé d’un RIP. « La fusion, pourquoi pas, à condition de ne pas oublier les collectivités locales qui équipent la moitié de la population française. Il y a là une fenêtre de tir à ne pas manquer. Il faut faire comprendre aux opérateurs qu’il s’agit de l’intérêt général », souligne Patrick Chaize, sénateur (Les Républicains) de l’Ain et président de l’Avicca, le lobby des collectivités. Son département a déployé 100 000 lignes au très haut débit. Mais, à ce jour, seuls 20 000 clients ont adhéré à l’offre. La faute à l’absence des grands opérateurs sur le territoire, les petits opérateurs locaux, qui commercialisent la fibre en région, sont par nature moins connus. « Après SFR, Orange a dit qu’il viendrait, mais cela fait quatre ans qu’on en parle. Si les grands opérateurs étaient présents, cela irait plus vite », explique M. Chaize. Pourtant, Orange, qui compte investir 3 milliards d’euros dans la fibre d’ici à 2020, a fait du très haut débit fixe son cheval de ba- taille. L’opérateur comptait fin décembre 1,8 million de clients sur les 4,3 millions d’abonnés à la fibre recensés par l’Arcep. Mais il préfère investir avec ses concurrents dans les 3 800 zones les plus denses, représentant 57 % de la population française, avant de s’attaquer aux territoires ruraux. Sans compter que pour Orange, qui commercialise toujours son réseau cuivre (ADSL) aux opérateurs, l’arrivée de la fibre peut parfois représenter aussi « un concurrent potentiel », dit M. Chaize. Or, pour les collectivités qui s’endettent, la vitesse de commercialisation du réseau qu’elles construisent est cruciale. Ainsi, le Lot, qui compte 175 000 habitants, a prévu un plan de déploiement de 60 millions d’euros, dont 37 millions financés sur les deniers publics, et une partie empruntée. « Cela coûtera aux communes 3 millions d’euros par an pendant vingt ans. C’est lourd. Il est donc capital de savoir si les opé- rateurs répondront présent ou pas », indique François Sançon, le directeur infrastructures du conseil général. Les départements de l’Ardèche et de la Drôme ont uni leurs forces, par un syndicat mixte, Ardèche Drôme Numérique (ADN), pour déployer la fibre. Une enveloppe de 480 millions d’euros, qui inclut un emprunt de 100 millions, doit être débloquée sur dix ans. ADN est en train de choisir l’exploitant de son RIP, qui, lui, sera chargé de faire venir les opérateurs télécoms. Plutôt que s’adresser directement à un opérateur qui aurait tendance à privi- Nombreux sont les élus qui espèrent un geste du gouvernement légier ses propres offres, au détriment des concurrents, ADN préférerait un gestionnaire neutre, comme Altitude, Covage ou Axione, présents en Limousin, Hautes-Pyrénées, à Toulon ou à Vannes. Or, les grands opérateurs télécoms demandent à endosser ce rôle de gestionnaire, et en font parfois la condition de leur venue en région. Certains départements préfèrent d’ailleurs choisir cette solution. C’est le cas de l’Oise et de la Bretagne, qui ont confié leur RIP à SFR et à Orange. Nombreux sont les élus qui espèrent un geste du gouvernement. « J’ai entendu, lors de la dernière réunion sur les zones blanches de téléphonie mobile, le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, dire aux opérateurs qu’ils devaient s’y mettre », assure le député Jean Launay, député PS du Lot. Des déclarations qui sont toutefois loin de calmer les inquiétudes. p sandrine cassini La succession à la tête d’Albin Michel s’organise Francis Esmenard va passer les clés de la maison d’édition à Guillaume Dervieux F rancis Esmenard, patron d’Albin Michel, maison d’édition 100 % familiale fondée en 1902, a décidé d’organiser sa succession. Bientôt âgé de 80 ans, celui qui a hissé au milieu des années 1980 Albin Michel dans le quatuor des maisons indépendantes, avec Gallimard, Flammarion et Le Seuil devrait prendre du recul, d’ici à la fin de l’année. Entre-temps, le paysage éditorial français s’est beaucoup concentré, avec la constitution de trois grands groupes : Hachette, Editis et Madrigall, né en 2012 du rachat de Flammarion par Gallimard. Quant au Seuil, acquis en 2004 par Hervé de la Martinière, il est devenu depuis la propriété des Wertheimer, les actionnaires de Chanel. Ce sont ces changements qui poussent Francis Esmenard à faire évoluer la gouvernance de son groupe. Avec l’accord de ses deux frères, tous trois détenteurs du capital et petits-fils d’Albin Michel, Francis Esmenard devrait confier les rênes du groupe à Guillaume Dervieux, son « dauphin officiel ». Celui-ci travaillera avec Alexis Esmenard, fils de Francis et directeur du développement numérique pour l’ensemble du groupe. « Maison aux best-sellers » Entré en 2007 pour diriger le pôle éducation de la maison (Magnard-Vuibert), Guillaume Dervieux est actuellement vice-président du directoire et directeur éditorial d’Albin Michel. Dans ses fonctions, il sera assisté par Didier Couerbe, qui a été nommé, lundi 7 mars, directeur général d’Albin Michel, en remplacement de Bertrand Favreul. Aujourd’hui, Albin Michel est un groupe qui emploie près de 600 personnes, et réalise un chiffre d’affaires d’environ 170 millions d’euros. Outre l’édition grand public, jeunesse et scolaire, il est présent dans la distribution avec Dilisco et dans la librairie. Ce dernier investissement est récent et correspond à un choix politique et stratégique de Francis Esmenard. Après la débâcle du réseau des librairies Chapitre en 2011, il a décidé de reprendre sept librairies de ce réseau, présentes sur l’ensemble du territoire, dont l’ex-librairie Julliard, boulevard SaintGermain, rebaptisé depuis Albin Michel. Cinq ans plus tard, elles sont toutes à l’équilibre. Albin Michel est aussi le partenaire du groupe Hachette dans le livre de poche, dont il détient 40 %. Cela permet notamment de donner une seconde vie aux livres de la maison. Sous la direction de M. Esmenard, la maison s’est considérablement développée. Pendant plus de trois décennies, il a formé un tandem efficace et redouté avec Richard Ducousset et sous leur houlette, Albin Michel a même gagné le surnom de « maison aux best-sellers », en raison de la publication d’auteurs, comme Stephen King, Mary Higgins Clark, Jean-Christophe Grangé, Amélie Nothomb, etc. C’est dans ce sillage que Guillaume Dervieux compte s’inscrire. Directeur éditorial d’Albin Michel, il va aussi pouvoir réaliser un rêve de jeunesse : éditer avec Anne Michel, l’autobiographie du chanteur américain Bruce Springsteen, Born to run, dont Albin Michel a acquis les droits. La sortie est prévue pour le 27 septembre. p alain beuve-méry LE MONDE VOIT GRAND POUR VOTRE WEEK-END Nouvelles offres week-end Le vendredi : Le Monde + Éco & entreprise + M le Magazine + Sports + Idées Ce nouveau supplément est le lieu de l’enquête intellectuelle, de l’approfondissement des débats, autour de sujets de fond en résonance avec l’actualité. Le samedi : Le Monde + Éco & entreprise + L’époque Ce nouveau supplément raconte les petits c h a n ge m e n t s e t l es g ra n d es m u t a t i o n s de notre vie quotidienne, pour mieux profiter de notre époque.