Le Monde - entree

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Le Monde - entree
Mardi 8 mars 2016 ­ 72e année ­ No 22128 ­ 2,40 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio
La fin du quinquennat
se joue avec la loi El Khomri
POLITIQUE
« NKM », LEADER
DE L’ANTISARKOZYSME
→ LIR E
PAGE 1 0
ÉNERGIE
▶ Valls, El Khomri
▶ Le premier ministre a
▶ Derrière ce texte s’af­
▶ Si le texte ne les satisfait
et Macron recevaient, à
partir de lundi, les parte­
naires sociaux afin de les
entendre sur le projet de
réforme du code du travail
exclu, dans un entretien
au « JDD », ce week­end,
toute remise en cause
des dispositifs les plus
contestés par les syndicats
frontent trois ambitions
et l’avenir politique
de François Hollande,
de Manuel Valls
et d’Emmanuel Macron
pas toujours, les patrons
plébiscitent l’idée de
réformer le code du travail
→ LIR E
PAGE 9 E T LE DOSS IE R
DU C A HIE R É CO PAGE S 6 - 7
LE DIRECTEUR
FINANCIER D’EDF
DÉMISSIONNE,
LA BOURSE
S’ALARME
→ LIR E
LE C A HIE R É CO PAGE 4
Crise des réfugiés : l’Europe s’en remet à la Turquie
LES
AVERTISSEMENTS
DE L’EUROPE
CENTRALE
▶ Un sommet Union
européenne­Turquie
était consacré,
lundi 7 mars, à
la crise des migrants
LIRE PAGE 4
▶ Grande­Synthe,
l’anti­Calais : MSF,
habituée des horizons
plus lointains, ouvre
un camp d’accueil
→
LIRE PAGE 13
LI R E P A G E 25
PROCÈS
▶ Dix mille migrants
qui changent
le visage d’Athènes,
reportage photo
LE « DENTISTE
BOUCHER »
DE CHÂTEAU-CHINON
AVAIT LA DENT
DURE
LIRE PAGES 14-15
▶ En ex­RDA, où
des élections
régionales sont
prévues le 13 mars,
les attaques contre
les nouveaux arri­
vants se multiplient
→ LIR E
PAGE 1 2
MODE
LIRE L’ENQUÊTE PAGE 16
Réfugiés arrivant au port du Pirée
à bord d’un ferry, le 1er mars.
LE VÊTEMENT
DÉCONSTRUIT
ET NOVATEUR
DE BALENCIAGA
VADIM GHIRDA/AP
→ LIR E
DÉBAT SUR LE DROIT
DES FEMMES
BATTUES
À SE DÉFENDRE
par gaëlle dupont
C’
est la conséquence de l’affaire Jacqueline
Sauvage : la lutte contre les violences faites
aux femmes est revenue au premier plan.
Mardi 8 mars, à l’occasion de la Journée internatio­
nale des droits des femmes, la députée LR des Bou­
ches­du­Rhône Valérie Boyer devait déposer une pro­
position de loi relative aux violences au sein des cou­
ples. Ce texte est inspiré par l’histoire de
Mme Sauvage, condamnée à dix ans de réclusion pour
avoir tué son mari, qui la frappait depuis quarante­
sept ans, puis partiellement graciée par François Hol­
lande le 31 janvier. La députée rappelle que, chaque
année, plus d’une centaine de femmes sont tuées par
leur conjoint, et que 223 000 femmes âgées de 18 à
75 ans subissent des violences conjugales graves,
physiques ou sexuelles. Cependant, contrairement à
ce qu’elle avait annoncé dans un premier temps,
Mme Boyer ne propose pas de créer un état de légi­
time défense différée spécifique aux femmes battues
qui s’en prendraient à leur conjoint, disposition assi­
milée à un « permis de tuer » par ses opposants.
LE REGARD DE PLANTU
→ LIR E L A S U IT E PAGE 1 1
Le Roundup
de Monsanto
est-il cancérogène
pour l’homme ?
Imaginer
le confort
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VIOLENCES
PAGE 2 2
THE INNOVATORS OF COMFORT™ ( 1 )
PLANÈTE
Le sort du glyphosate, le principe
actif du célèbre désherbant Roun­
dup de Monsanto, se joue à
Bruxelles. La Commission euro­
péenne se préparait discrètement
à renouveler l’autorisation, les 7 et
8 mars, de cet herbicide, sur la foi
d’une étude européenne, alors
que l’agence spécialisée sur le
cancer de l’Organisation mon­
diale de la Santé (OMS) indique
que le glyphosate est « un cancérogène probable pour l’homme ».
Des députés européens ont de­
mandé le report de la décision.
→
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LIR E PAGE 8
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
2 | international
0123
MARDI 8 MARS 2016
Le chef du Parti
démocratique
des peuples,
Selahattin
Demirtas,
à Diyarbakir,
dans le sud-est
de la Turquie,
le 4 mars.
ILYAS AKENGIN/AFP
Les espoirs déçus des Kurdes de Turquie
Selahattin Demirtas, leader du HDP, est critiqué pour son absence de condamnation des violences du PKK
istanbul - correspondante
C
onsidéré il y a peu de
temps encore comme le
seul homme politique
susceptible de faire de
l’ombre au numéro un turc, Recep
Tayyip Erdogan, le responsable
kurde Selahattin Demirtas, 42 ans,
qui semblait alors avoir pris ses
distances avec le Parti des tra­
vailleurs du Kurdistan (PKK, inter­
dit en Turquie), est aujourd’hui
menacé de poursuites judiciaires
qui pourraient le mener en prison.
Voici des mois que le gouverne­
ment islamo­conservateur ré­
clame la levée de son immunité
parlementaire et celle de quatre
autres députés de son Parti démo­
cratique des peuples (HDP, gau­
che, prokurde), qui est la troi­
sième force politique au Parlement avec 59 députés sur 550. Ils
sont accusés de faire le jeu du
PKK, dont les combattants sont
repartis en guerre contre l’Etat
turc depuis l’échec des pourparlers de paix en 2015.
« Vengeance »
Vendredi 4 mars, le ministère de
la justice a demandé aux services
du premier ministre que les principales figures du HDP – Selahattin Demirtas, Figen Yüksekdag,
Selma Irmak, Sirri Süreyya Önder,
Ertugrul Kürkçü – soient privées
de leur immunité et poursuivies
en justice pour avoir soutenu
l’idée d’une autonomie pour les
régions kurdes, où les hostilités
sont reparties de plus belle depuis
la rupture d’une trêve que le PKK
et l’armée turque observaient depuis deux ans.
« Si notre immunité parlementaire est levée, il faudra lever aussi
celle des députés soupçonnés
d’avoir trempé dans des affaires
de corruption, ce qui est le cas au
sein du groupe parlementaire de
l’AKP [le Parti de la justice et du
développement, au pouvoir depuis 2002]. Notre groupe ne connaît pas ce genre d’affaires », a ex-
pliqué Selahattin Demirtas, dimanche 6 mars, alors qu’il recevait les correspondants de la
presse étrangère dans un grand
hôtel d’Istanbul.
Pour lui, ces poursuites ne sont
qu’une « vengeance » du numéro
un, Recep Tayyip Erdogan. « Il n’a
pas digéré le bon score de notre
parti aux législatives de juin [13 %
des voix]. Il cherche à nous punir. »
Mais quand bien même le Parlement en viendrait à se prononcer
favorablement, « la mise en œuvre
de la décision pourrait prendre
plusieurs années ».
Une affaire embarrasse autrement plus M. Demirtas. Le 23 février, une députée de son groupe,
Tugba Hezer, est allée présenter
des condoléances publiques à la
famille d’Abdulbaki Sömer,
l’auteur de l’attentat à la voiture
piégée qui a causé la mort de
29 personnes à Ankara, le 17 février. La levée de son immunité
parlementaire a également été
demandée. Son geste a suscité la
réprobation de larges pans de
l’opinion publique, y compris
parmi les représentants de la gauche prokurde qui ont donné leurs
votes au HDP le 7 juin 2015, puis le
1er novembre, lors de la répétition
des législatives.
« Ces condoléances n’étaient pas
une décision du parti, [Tugba Hezer] connaissait la famille, c’est
pour cela qu’elle l’a fait. Elle aurait
dû réfléchir à la sensibilité de l’opinion publique, mais elle s’est laissée guider par ses sentiments personnels », justifie M. Demirtas.
L’hommage de la députée au kamikaze illustre l’ambiguïté qui
prévaut au sein du parti kurde,
perçu plus que jamais comme inféodé au PKK. Selahattin Demirtas dément : « Nous n’avons
aucun lien avec le PKK. Nous sommes un parti pacifique et légal, le
PKK est une organisation armée
active au Moyen-Orient. »
Il y a un an, cet avocat modeste
d’origine kurde était vu comme
l’étoile montante de la scène poli-
tique turque. C’est sous son impulsion que le HDP a fait son entrée au Parlement, du jamais-vu
depuis les débuts de la République en 1923. Débarrassé de son
étiquette ethnique, le HDP avait
élargi sa base (aux femmes, aux
minorités, aux écologistes) et il
était apparu alors comme la seule
formation à visage européen de
l’échiquier politique. Un nouveau courant avait émergé, une
sorte de troisième voie, ni islamiste ni kémaliste.
« Erdogan n’a
pas digéré le bon
score de notre
parti aux
législatives
de juin. Il cherche
à nous punir »
Champs de bataille
La guerre en Syrie a tout chamboulé. Grâce à l’expérience acquise à Kobané, la grande ville du
nord de la Syrie reprise aux djihadistes de l’organisation Etat islamique par des combattants kur-
des en janvier 2015, le PKK a choisi
d’implanter la guérilla urbaine au
cœur des quartiers centraux de
plusieurs villes du sud-est de la
Turquie (Diyarbakir, Cizre, Silvan,
Silopi), transformés en champs de
bataille entre les forces turques et
SELAHATTIN DEMIRTAS
coprésident du HDP
les rebelles kurdes armés. Dès le
début du soulèvement, Selahattin
Demirtas a multiplié les messages de soutien aux rebelles, incitant la population à appuyer leurs
« actions honorifiques ».
En approuvant la nouvelle tactique du PKK, peu soutenue par les
populations locales à en juger par
le piètre succès remporté par son
appel à manifester le 2 mars à
Diyarbakir, il a compromis l’idée
d’un HDP indépendant, redonnant au parti sa vocation ethnopolitique de porte-voix du PKK.
Alors que l’organisation renoue
avec la violence aveugle, ayant de
plus en plus recours aux attentats-suicides, le HDP, qui peine à
condamner ces actes, perd en légitimité. Dans les régions du SudEst, la déception est perceptible.
« Nous n’avons pas voté pour la reprise de la guerre », assurent les
Kurdes qui ont donné leur voix au
Parti démocratique des peuples.
« Leur critique est justifiée. Ils
éprouvent du mécontentement envers nous, mais ils en veulent aussi
au gouvernement pour sa politique. Le peuple kurde considère que
la responsabilité de la situation actuelle revient à l’AKP », assure
M. Demirtas.
Un jour ou l’autre, « il faudra
bien revenir aux négociations »,
concède-t-il. Difficile toutefois
« de s’asseoir à la table avec Recep
Tayyip Erdogan pour parler de démocratie. Il ne veut pas de la démocratie ni même d’un régime présidentiel, tout ce qu’il veut, c’est imposer sa dictature ». p
marie jégo
Des faubourgs de Van à Ankara, itinéraire d’un kamikaze
le 17 février, la turquie et son armée
étaient frappées en leur cœur. Dans le
quartier administratif d’Ankara, un attentat-suicide à la voiture piégée visant un
convoi transportant militaires et civils du
ministère de la défense faisait vingt-neuf
morts. Attribuée aux forces kurdes syriennes par le gouvernement turc, l’attaque
terroriste était revendiquée, le 19 février,
par les Faucons de la liberté du Kurdistan
(TAK), un groupe armé aussi radical que
nébuleux, provenant des rangs du Parti
des travailleurs du Kurdistan (PKK), dans le
contexte d’affrontements renouvelés entre la guérilla kurde et les forces turques.
Confirmée par des tests ADN, l’identité de
l’auteur de l’attentat était révélée par les
TAK comme celle d’un homme kurde de
27 ans, Abdulbaki Sömer, originaire de Van,
dans le sud-est du pays.
Dans les lointains faubourgs de Van, le
quartier Haci-Bakir, où Abdulbaki Sömer a
vu le jour, a des allures de village avec ses
maisons basses, ses potagers boueux et ses
ruelles où les neiges hivernales achèvent
de fondre. « Abdulbaki est né dans le quartier le plus pauvre de Van. Comme tous ceux
qui s’y sont installés, les Sömer ont dû quitter définitivement leur village, détruit par
l’armée turque pendant la guérilla des années 1990 », raconte un proche de la famille. Peuplé d’exilés, de déclassés, se développant de manière anarchique en marge
d’une guerre qui affecte chacun des habitants, le quartier Haci-Bakir laisse peu de
perspectives aux enfants qui y naissent.
« Dans le quartier, pour la plupart des garçons de ma génération, l’avenir c’était soit la
précarité des petits métiers, soit le trafic de
cigarettes, d’héroïne et d’êtres humains entre l’Iran et la Turquie, soit le PKK », explique une habitante née, comme Abdulbaki,
en 1989.
« Un héros »
Le jeune homme choisira la dernière option. « Abdulbaki a grandi à une époque où
le PKK contrôlait Haci-Bakir. Il y avait souvent des affrontements avec les forces de
l’Etat. Ils entraient dans les maisons,
fouillaient, contrôlaient nos pères », se souvient une parente qui a été élevée avec lui.
« Les combattants du PKK étaient nos héros.
Ils nous défendaient, poursuit-elle. Les parents essayaient de les en dissuader, mais la
plupart des jeunes voulaient les rejoindre. »
Courant 2005, inscrit en première année
au lycée République de Van, Abdulbaki dis-
paraît. A Haci-Bakir, les adolescents ne fuguent pas. Chacun comprend qu’Abdulbaki
est « parti pour la montagne ». Une fois recrutés, les combattants du PKK coupent
tous liens avec leurs familles, qui n’ont
plus qu’à attendre la nouvelle de leur mort
en martyr, célébrée par le parti.
Dans la clandestinité, dans les zones grises où le PKK opère, Abdulbaki, qui a pris
pour nom de guerre « Zinar Raperin », a rejoint les TAK avant de refaire brutalement
irruption, par le truchement d’un portrait
souriant accompagnant la revendication
de l’attentat. Ses parents proches restent
murés dans le silence, incités à la discrétion à la suite de l’interruption, par les forces de sécurité turques, de la cérémonie de
recueil des condoléances organisée après
la revendication de l’attentat par le TAK. La
figure d’Abdulbaki ne leur appartient cependant déjà plus. « L’attentat est arrivé au
moment où, après Kobané, puis le retour de
la guerre dans les villes kurdes de Turquie,
une nouvelle génération de militants plus
radicale émerge, explique un acteur associatif de Van, lié au mouvement kurde.
Pour ces jeunes, Abdulbaki est un héros. » p
allan kaval
(van, turquie, envoyé spécial)
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4 | international
0123
MARDI 8 MARS 2016
Réfugiés : l’Europe officialise sa « bunkérisation »
Les Vingt-Huit entérinent la fermeture de la route des Balkans, qui transforme la Grèce en camp humanitaire
bruxelles - bureau européen
F
ermer la route des Balk­
ans empruntée par les
milliers de demandeurs
d’asile qui tentent de re­
joindre l’Allemagne ou la Scandi­
navie ; s’assurer une fois pour tou­
tes le soutien de la Turquie, aider
davantage la Grèce ; rétablir l’espace Schengen : le nouveau
« sommet de la dernière chance »
consacré à la migration, lundi
7 mars à Bruxelles, avait un programme plus qu’ambitieux. Il devait surtout consacrer la victoire
de la stratégie préconisée depuis
des mois par les pays de l’est de
l’Union : la « bunkérisation » de
l’Europe, avec l’aide d’Ankara et
aux dépens d’Athènes. Les dirigeants européens veulent, à tout
prix, réduire les arrivées massives
de migrants (de 15 000 à 20 000
par semaine) sur les côtes grecques, où seuls les réfugiés seraient
acceptés dorénavant. Mais le flux
continu et la fermeture des frontières transforment la Grèce en un
gigantesque camp humanitaire.
Voulue par la chancelière allemande, Angela Merkel, la réunion
des chefs d’Etat et de gouvernement devait commencer par un
déjeuner avec le premier ministre
turc, Ahmet Davutoglu. Avant de
rencontrer Mme Merkel, dès dimanche à Bruxelles, celui-ci avait
évoqué les « pas importants » de
son pays pour tenter de retenir les
migrants voulant rejoindre la
Grèce. Deux passeurs ont été arrêtés dimanche, et quelques dizaines de personnes stoppées. Vingtcinq autres, dont des enfants, sont
en revanche mortes noyées.
Mais le « plan d’action » signé
entre Ankara et Bruxelles en novembre 2015 est, pour l’instant,
resté quasiment lettre morte.
M. Davutoglu devait confirmer
que l’accord de réadmission conclu entre la Grèce et son pays serait
enfin respecté : ceux qui ne peuvent prétendre à l’asile seraient rapidement reconduits en Turquie.
Ankara n’avance toutefois aucun
Alexis Tsipras
invite ses
partenaires à
choisir entre « la
peur et le racisme
et la solidarité »
chiffre, et sa bonne volonté sera
conditionnée au progrès de la négociation sur la libéralisation des
visas au profit des citoyens turcs
voulant se rendre en Europe. Les
Vingt-Huit tablent, faute de
mieux, sur ce qu’un diplomate appelle « la force symbolique » des retours pour dissuader les passeurs
et les migrants économiques.
Recoller les morceaux
A la veille du sommet, la Turquie a
affiché un autre geste de « bonne
volonté » : elle a accepté in extremis la présence d’une mission de
l’OTAN dans ses eaux territoriales.
Après une négociation de trois semaines, cette opération de surveillance et d’information, ciblée
sur les réseaux de passeurs, pourra
démarrer. Elle devrait compter
une dizaine de navires, la GrandeBretagne ayant décidé dimanche
de lui adjoindre un bâtiment de
transport et deux vedettes d’interception. La France fera appareiller
un navire dans quelques jours.
Le président du Conseil, Donald
Tusk, comptait aussi aborder la
question de la liberté de la presse :
à peine avait-il quitté le président
Recep Tayyip Erdogan, vendredi
4 mars, que le régime a pris le contrôle du grand quotidien d’opposition, Zaman.
Contraints à de nombreux exercices d’équilibrisme, les dirigeants européens doivent aussi
tenter de recoller les morceaux
d’une Union en pleine… désunion. Une tentative de réconciliation entre l’Est et l’Ouest a été menée par M. Tusk la semaine dernière. Le projet de conclusions du
sommet de lundi lu par Le Monde
Angela Merkel et les premiers ministres turc, Ahmet Davutoglu, et néerlandais, Mark Rutte, à Bruxelles, le 6 mars. B. MAAT/AFP
prévoit une reconnaissance du
point de vue défendu par les pays
de l’Est et des Balkans, qui prônaient la fermeture des frontières
et refusent, pour beaucoup, d’accueillir des réfugiés.
La route des Balkans sera « désormais close », énonce ce texte,
qui prône le retour à « une pleine
application du code de frontières
Schengen » à la fin de l’année.
Cette version encore provisoire
ne dénonçait pas, entre autres, la
décision unilatérale de l’Autriche
d’instaurer des quotas de migrants, ce qui a conduit à la fermeture de toutes les frontières des
Balkans. Vienne devrait aussi re-
fuser de participer au système de
répartition des réfugiés entre les
Etats membres, estimant avoir
déjà accepté suffisamment de demandeurs (37 500).
Alors que la situation dans son
pays ne peut que s’aggraver, avec
déjà 30 000 candidats à l’asile bloqués, le premier ministre grec,
Alexis Tsipras, réclame des mesures d’« urgence absolue ». Lundi,
ses collègues projetaient donc de
valider une aide massive à Athènes, avec des moyens humains et
matériels pour la protection des
frontières extérieures grecques,
et d’autres pour le bon fonctionnement des centres d’enregistre-
En Slovaquie, la percée de l’extrême droite
prive Robert Fico de majorité
Malgré un discours antimigrants, le premier ministre social-démocrate a perdu 34 sièges
vienne - correspondance
L
e social-démocrate Robert
Fico a perdu son pari. En
axant sa campagne sur le rejet des migrants, le chef du gouvernement slovaque sortant a, certes,
réussi à se placer largement en
tête, pour la quatrième fois d’affilée, à des élections législatives, le
5 mars. Mais son parti, le SMER-SD,
affiche une très forte baisse, passant de 44,5 % des voix en 2012 à
28,3 % aujourd’hui. Il ne conserve
que 49 de ses 83 députés, dans un
Parlement qui en compte 150.
Alors que son petit pays de
5,4 millions d’habitants va prendre la présidence tournante de
l’Union européenne, le 1er juillet, il
devra en plus faire avec l’entrée
dans l’hémicycle d’une formation
hostile aux idéaux communautaires. Car la surprise de ces élections, c’est le score du Parti populaire – Notre Slovaquie (LS-NS), un
mouvement créé par le gouverneur néofasciste de la région de
Banska Bystrica, Marian Kotleba.
Il engrange 8 % des voix et profite
d’un faible taux de participation.
Le camouflet est sévère pour
M. Fico, un quinquagénaire pourtant rompu aux techniques de
communication. Il disait devoir
« droitiser » son discours sur l’islam et les réfugiés pour couper
l’herbe sous le pied de cet outsider. Depuis des mois, il affirme en
conséquence vouloir « protéger »
les Slovaques contre les quotas de
réfugiés, alors que, en 2015, seules
huit demandes d’asile ont été accordées par son pays.
« Masquer le vrai problème »
« Cette rhétorique est apparue
comme un calcul politique visant à
masquer le vrai problème du premier ministre face à l’insatisfaction des professeurs et des professions de santé », note Pavel Haulik,
de l’institut de sondage MVK.
Malgré tout, Robert Fico va essayer de former un gouvernement. Comme entre 2006 et 2010,
il est tenté de s’allier avec les élus
nationalistes du Parti national
slovaque (SNS), qui font leur retour au Parlement avec près de
9 % des suffrages, après avoir gouverné entre 1994 et 1998. Leur
nouveau leader, Andrej Danko,
une personnalité charismatique à
la tête d’un cabinet d’avocats
puissant, mène une entreprise efficace de dédiabolisation.
Interrogé par Le Monde avant les
élections, cet ami de Heinz-Christian Strache, le numéro un de l’extrême droite autrichienne, semblait séduit par l’idée d’un retour
du cabinet slovaque « rougebrun » qui valut à M. Fico, il y a dix
Le chef du
gouvernement
est de nouveau
tenté de s’allier
avec les élus
du Parti national
slovaque
ans, d’être exclu du Parti socialiste
européen. M. Danko n’exige pas la
sortie de la Slovaquie de la zone
euro, dont elle est membre depuis
2009. Il prend aussi soin de ménager la minorité hongroise, victime
des diatribes du SNS par le passé.
Pour sa part, Richard Sulik, du
parti libéral Liberté et Solidarité
(SaS), arrivé en deuxième position avec 12,1 % des suffrages, a exclu de s’allier à la gauche. « Le
SMER-SD, c’est une bande de voleurs ! », lançait-il lors d’un entretien à la veille du scrutin, alors que
les soupçons de détournement de
fonds publics, démentis par les intéressés, ont émaillé la campagne.
« J’ai recensé 153 cas de corruption
qui leur sont imputables. »
Lui se verrait bien prendre la
tête d’une coalition « anti-Fico »
de cinq partis de la droite et du
centre. Mais avec l’eurodéputé
Sulik, l’Europe ne trouverait pas
un partenaire plus conciliant sur
la question cruciale des migrants,
qui met à mal l’espace Schengen.
« Pourquoi devrait-on prendre
chez nous des criminels exportés
par des pays tiers ? », demandait-il
avant les élections.
Toutefois, lui non plus n’aura
peut-être pas l’occasion de faire
valoir ses arguments. Car la présence au Parlement de la droite
extrême empêche un sixième
parti, chrétien-démocrate, de siéger. Or, il semblait indispensable à
la constitution d’un cabinet alternatif stable. Si M. Sulik veut faire
appel aux nationalistes du SNS,
d’autres formations pourraient
montrer des réticences.
Le leader néofasciste Marian
Kotleba, à peine la quarantaine, se
frotte donc les mains. Elu gouverneur en novembre 2014, professeur d’informatique, il voue un
culte à l’Etat slovaque clérical fasciste de 1939-1945, négocié directement auprès d’Hitler par un
prêtre catholique, Jozef Tiso.
En 2003, son précédent groupuscule violent fut le seul parti jamais
dissous en Slovaquie. Il qualifiait
alors le système démocratique de
« supercherie ». A défaut d’être faiseurs de roi, ses 14 députés pourront peut-être couper des têtes. p
blaise gauquelin
ment (« hot spots »). Le 2 mars, la
Commission a proposé la création d’un fonds humanitaire d’urgence, doté d’un montant initial
de 300 millions d’euros.
M. Tsipras continue de déplorer
la stratégie d’isolement de son
pays et invite ses partenaires à
choisir entre « la peur et le racisme
et la solidarité ». La Grèce semble
toutefois impuissante, réduite à
l’espoir de voir enfin fonctionner
le mécanisme de relocalisation de
160 000 réfugiés adopté à
l’automne 2015. Avec moins de
1 000 personnes relocalisées, le bilan est « ridicule », convient un diplomate bruxellois. Cent cin-
quante réfugiés devaient arriver
en France lundi. « Les oppositions
de principe sont derrière nous »,
veut-il toutefois croire. Le projet de
conclusions demeurait, en tout
cas, évasif : « Les Etats membres
sont aussi invités à proposer davantage de places de relocalisation. »
De quoi confirmer que les Européens sont très loin d’avoir trouvé
des réponses collectives et solidaires à la crise, alors que la fermeture de la route des Balkans
pourrait entraîner la création
d’autres voies, via l’Albanie
notamment. p
cécile ducourtieux
et jean-pierre stroobants
10,3 %
des voix pour l’extrême droite à Francfort
Le parti d’extrême droite allemand Alternative für Deutschland (AfD)
a réalisé une percée surprise lors d’élections municipales en Hesse,
dimanche 6 mars. Selon des résultats encore provisoires, il obtiendrait
10,3 % des voix à Francfort, 12,2 % à Kassel et 16,2 % à Wiesbaden.
Fondé en février 2013, l’AfD s’oppose fermement à la politique d’accueil
des réfugiés menée par la chancelière allemande Angela Merkel.
I RAK
Au moins 47 morts dans
un attentat revendiqué
par l’Etat islamique
Une attaque-suicide au camion piégé, perpétrée dimanche 6 mars dans la ville
de Hilla, au sud de Bagdad, a
fait au moins 47 morts. Selon un médecin à l’hôpital
de Hilla, 20 membres des
forces de sécurité figurent
parmi les victimes. Cet attentat, le plus meurtrier depuis le début de l’année en
Irak, a également fait au
moins 72 blessés. Dans un
communiqué publié sur les
réseaux sociaux, l’organisation Etat islamique dit avoir
visé des musulmans chiites
qu’elle considère comme des
hérétiques. – (AFP.)
COR ÉE D U N OR D
Pyongyang menace
du feu nucléaire
Washington et Séoul
La Corée du Nord a menacé
de répondre par des frappes
nucléaires « à l’aveugle » aux
manœuvres militaires débutées lundi 7 mars par les forces sud-coréennes et améri-
caines sur la péninsule
coréenne. Ces exercices annuels entre les deux alliés,
d’une envergure jamais vue,
interviennent cette année
dans un contexte particulièrement crispé, deux mois
après le quatrième essai nucléaire de la Corée du Nord et
un mois après un tir nord-coréen de fusée longue portée,
deux actions condamnées
par le Conseil de sécurité de
l’ONU qui vient de voter de
nouvelles sanctions contre
Pyongyang. – (AFP.)
C HI N E
Vol MH370 : des familles
déposent des plaintes
à Pékin
Les proches de douze passagers chinois du vol MH370 de
la Malaysia Airlines ont déposé des plaintes, lundi
7 mars à Pékin, contre la compagnie, à la veille du
deuxième anniversaire de la
disparition de l’appareil – qui
s’est officiellement abîmé au
sud de l’océan Indien le
8 mars 2014 – et de l’expiration du délai légal pour cette
procédure. – (AFP.)
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6 | international
0123
MARDI 8 MARS 2016
Felipe VI, arbitre
contesté de
la crise politique
espagnole
Felipe VI et
le leader de
Podemos,
Pablo
Iglesias, à
Madrid, le
22 janvier.
Affaibli par le procès de sa sœur,
le roi doit jouer un rôle inédit
entre des partis divisés
ANGEL DIAZ/AFP
madrid - correspondance
A
lors que la situation
politique espagnole
est complètement bloquée, tous les regards
se tournent désormais vers lui.
Après l’échec du socialiste Pedro
Sanchez, incapable d’obtenir, vendredi, le soutien de la Chambre
basse à son investiture, il est
censé être le pilote de l’ultime
phase de négociation pour tenter
de former un gouvernement.
Cet épisode, inédit et incertain,
pose la question du rôle que doit
jouer le chef de l’Etat, dont la fonction était jusqu’ici essentiellement symbolique dans la monarchie parlementaire espagnole.
Elle met Felipe VI dans l’embarras,
alors même qu’il est déstabilisé
par le défi indépendantiste en Catalogne et le procès de sa sœur,
l’infante Cristina, accusée de
fraude fiscale.
« Il n’existe pas de précédent
d’échec d’investiture, rappelle le
politologue Fernando Vallespin.
Jusqu’à présent, il faisait une proposition de candidat évidente, car
le Parlement dégageait des majorités claires. » Au contraire, les législatives du 20 décembre 2015 ont
accouché d’un Parlement très
fragmenté du fait de l’émergence
des nouveaux partis Podemos, à
gauche, et Ciudadanos, au centre.
Fin janvier, lorsque Felipe VI avait
convoqué les représentants des
partis politiques pour les sonder,
il avait été confronté au refus de
Mariano Rajoy, le président du
gouvernement en fonctions et
chef de file du Parti populaire (PP,
droite), de réclamer l’investiture.
Première force politique avec
27,8 % des voix et 123 des 350 députés, le PP savait qu’il n’avait pas
les soutiens suffisants pour obtenir le soutien de la majorité.
Discrétion mise à mal
Après une seconde ronde de consultations, Felipe VI avait proposé
au chef de file du Parti socialiste
ouvrier espagnol (PSOE), Pedro
Sanchez, de se soumettre au vote
de la Chambre basse. Cette décision, destinée à débloquer la situation politique, avait créé un
malaise au sein du PP, certains estimant que le roi avait trop rapidement confié l’investiture aux
socialistes.
Les socialistes, arrivés en
deuxième position avec 22 % des
voix et à peine 90 députés, n’ont
finalement pas réussi à sceller
des accords suffisants pour gouverner. Mais ils n’abandonnent
pas l’idée de rallier le parti de la
gauche anti-austérité Podemos
au pacte déjà signé avec le parti
centriste libéral Ciudadanos. Ils
ont jusqu’au 2 mai pour y parvenir. S’ils échouent, de nouvelles
élections seraient convoquées le
26 juin.
Pour la « zarzuela » (le palais
royal), pas question cette fois-ci de
proposer un candidat à l’investiture sans la certitude qu’il obtienne la confiance du Parlement.
Mais que fera Felipe VI si Pedro
Sanchez pense obtenir l’investiture grâce à une abstention de
dernière minute de Podemos,
comme certains l’envisagent au
sein du parti de Pablo Iglesias ? Le
proposera-t-il
de
nouveau
comme candidat ? Le PP accepterait-il une telle décision ? Le PSOE
tolérerait-il un blocage ?
La Constitution confère au roi
un pouvoir de médiation entre les
partis. Mais il doit rester neutre et
éviter l’ingérence politique. « Le
roi doit démontrer qu’il est à la
hauteur des circonstances, qu’il est
utile, mais sans se faire trop remar-
Pour le moment,
le roi est loin
de remplir
sa fonction
de garant de
l’unité territoriale
de l’Espagne
quer », résume le journaliste José
Garcia Abad, auteur d’El principe y
el rey (« le prince et le roi », 2008,
Punto prensa, non traduit), qui estime que « l’avenir de la Couronne
est en jeu » : « Des partis forts se définissent clairement comme républicains [comme Podemos et les
partis catalans]. Et la réforme de la
Constitution que proposent le
PSOE, Podemos et Ciudadanos,
bien qu’elle n’ait pas cet objectif,
risque d’ouvrir un débat social sur
la monarchie elle-même. » Selon le
sondage du Centre de recherche
sociologique (CIS) de mai 2015, les
Espagnols donnent une note de
4,3 sur 10 à l’institution monarchique.
« Les Espagnols sont majoritairement républicains, mais cela ne signifie pas qu’ils souhaitent en faire
une dispute politique. Je ne pense
pas que la monarchie soit en danger, tempère Fernando Vallespin.
Elle est très discrète, peu onéreuse
et peut remplir une fonction d’intégration territoriale. »
Fonction que le roi, pour le moment, est loin de remplir. Non
seulement l’unité de l’Espagne,
dont il est censé être le représentant symbolique, est menacée
par le processus indépendantiste
mené en Catalogne ; mais aussi,
lorsqu’il a eu l’opportunité de
s’affirmer comme chef de l’Etat
face aux indépendantistes catalans, il a choisi le boycott. En janvier, il a ainsi refusé de recevoir la
présidente de la nouvelle Cham-
bre régionale, comme le veut
pourtant le protocole.
Quant à sa discrétion, elle a été
mise à mal par le procès de l’infante Cristina, retransmis en direct sur plusieurs chaînes de télévision. La sœur du roi est accusée
du détournement présumé de
900 000 euros provenant des
contrats publics signés par l’Institut Noos, présidé par son époux
Iñaki Urdangarin, et de l’évasion
fiscale de 300 000 euros en 2007
et 2008, par le biais de la société
Aizoon détenue à parts égales entre elle et son mari.
« La monarchie a beaucoup de
privilèges et peu d’obligations », ont
l’habitude de dire les analystes espagnols. Parmi ses devoirs : maintenir une conduite exemplaire,
symboliser l’unité du royaume et
offrir sa médiation entre les partis
politiques en cas de besoin. Or, sur
tous ces fronts, Felipe VI se trouve
sur la sellette. p
sandrine morel
Une Légion d’honneur en cachette pour le prince héritier saoudien
L’Elysée estime que la remise de la décoration à Mohamed Ben Nayef est une « pratique protocolaire courante »
beyrouth - correspondant
L
es ors de la République,
mais en catimini. Le prince
héritier d’Arabie saoudite,
Mohamed Ben Nayef, qui est
aussi le ministre de l’intérieur du
royaume, a été décoré de la légion
d’honneur, vendredi 4 mars, par
le président de la République
François Hollande, qui l’a reçu à
l’Elysée. Si la visite figurait à
l’agenda du chef de l’Etat, la remise de médaille en revanche, n’a
fait l’objet d’aucune communication officielle, ni avant ni après la
cérémonie.
La présidence de la République
s’est seulement contentée de publier sur son site Internet des
photographies de l’entretien,
sans légende, l’une d’elles montrant une poignée de mains entre
François Hollande et son hôte
saoudien, qui tient un écrin
rouge contenant une décoration.
Ce n’est que dimanche, à la demande de l’AFP, que l’Elysée a confirmé l’information publiée deux
jours plus tôt par l’Agence de
presse saoudienne (SPA). Celle-ci,
visiblement moins embarrassée
que les autorités françaises, s’était
félicitée de voir le numéro deux
du royaume recevoir « la plus
haute distinction française » ; en
raison, affirme le communiqué,
de « ses efforts dans la région et
dans le monde dans la lutte contre
le terrorisme et l’extrémisme ».
Riyad devrait récupérer les armes
françaises destinées au Liban
L’industrie de défense française pourrait sauver la fourniture d’armement, pour 2,4 milliards d’euros, qui avait été initialement prévue pour le Liban dans le cadre du contrat « Donas » et menaçait
d’être annulée. Financé par un don de l’Arabie saoudite, ce contrat
destiné à soutenir les forces armées libanaises avait été suspendu
en février par Riyad, qui craint de voir cette aide détournée par le
Hezbollah chiite. « Le contrat sera mis en œuvre mais le client sera
l’armée saoudienne », a déclaré le 5 mars Adel Al-Joubeir, chef de la
diplomatie saoudienne. Signé en 2014, le montage triangulaire n’a
débouché que sur une première livraison de missiles antichar en
avril 2015, et seul un acompte de 600 millions a été versé à ce jour.
Le profil bas inhabituel de la présidence était sans nul doute destiné à éviter la résurgence des polémiques que la proximité diplomatique entre la France et l’Arabie
saoudite déclenche à intervalles
réguliers. Le royaume wahhabite
est sous le feu des critiques des organisations de défense des droits
de l’homme du fait de la politique
très répressive qu’il applique à
l’encontre de tous ses opposants,
ainsi que des bombardements
qu’il mène au Yémen depuis un
an, qui ont causé la mort de centaines de civils.
La prudence de l’Elysée était rendue encore plus nécessaire par
l’identité du dignitaire saoudien
distinguée ce vendredi. En tant
que ministre de l’intérieur, Mohamed Ben Nayef supervise aussi
bien la traque des extrémistes de
l’organisation Etat islamique, res-
ponsables de nombreux attentats
en 2015, que la lutte contre les dissidents non violents et libéraux,
comme le blogueur Raef Badawi,
condamné en 2014 à dix ans de
prison.
« Réalisme politico-commercial »
En 2015, signe d’un durcissement
du royaume, 153 personnes ont été
exécutées, un niveau inégalé depuis vingt ans dans ce royaume ultra-conservateur régi par une interprétation rigoriste de la loi islamique. Le 2 janvier, 47 personnes
avaient été mises à mort en une
seule journée pour « terrorisme »,
notamment le dignitaire et opposant chiite saoudien Nimr Al-Nimr.
Pour justifier son initiative,
l’Elysée a parlé d’une « pratique
protocolaire courante ». Le président de la République avait luimême été « décoré de l’ordre su-
prême du Royaume » lors d’une de
ses visites en Arabie saoudite, at-on rappelé de même source.
Mais cela n’a pas suffi à prévenir
les critiques. La décoration a notamment été dénoncée par le vice-président du Front national
Florian Philippot, qui a évoqué
sur Twitter une « légion du déshonneur ».
Les blâmes ne sont pas venus
que de l’extrême droite, le député
socialiste de Haute-Garonne Gérard Bapt estimant dans un communiqué que « le réalisme politico-commercial ne devrait pas
conduire à des postures morales à
deux vitesses ». De son côté, l’essayiste Raphaël Glucksmann a relevé sur Twitter : « Une envolée féministe dans Elle. Puis une légion
d’honneur au wahhabisme. François Hollande le Cohérent. » p
benjamin barthe
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MARDI 8 MARS 2016
Les gros donateurs, perdants des primaires
Donald Trump et Bernie Sanders critiquent le système des super-PAC, qui collectent des fonds sans limitation
washington - correspondant
L
e plus grand perdant,
pour l’heure, des primai­
res pour la présidentielle
américaine de 2016 n’est
peut­être pas un candidat, mais
un sigle : les super-PAC (comité
d’action politique). Autorisés au
nom de la liberté d’expression,
depuis un arrêt de la Cour suprême de 2010, à dépenser autant
d’argent que souhaité pour détruire ou promouvoir une candidature, théoriquement sans la
moindre concertation avec les
équipes de campagne, les comités
d’action politique ont accumulé
jusqu’à présent les défaites.
L’ancien gouverneur de Floride
Jeb Bush avait cru disposer d’une
arme fatale avec les 120 millions
de dollars (109 millions d’euros)
amassés par le super-PAC Right to
Rise. Il a abandonné la course le
20 février sans avoir remporté le
moindre Etat. Avant lui, Rick
Perry, ancien gouverneur du
Texas, et Scott Walker, gouverneur du Wisconsin, avaient été
également contraints d’abandonner à la suite d’une situation paradoxale : une trésorerie exsangue
alors que leurs super-PAC disposaient chacun d’une dizaine de
millions de dollars.
De grandes fortunes ont donc
déboursé de fortes sommes sans
résultats. Maurice Greenberg et
Miguel Fernandez pour M. Bush,
Diane Hendricks et Marlene Ricketts pour M. Walker, Kelcy Warren
et Darwin Deason pour M. Perry,
même si certains ont pu recouvrer
une partie de leur mise après
l’abandon de leur candidat. Le milliardaire Paul Singer, qui s’est engagé derrière le sénateur de Floride
Marco Rubio, est en passe de connaître pareille mésaventure.
« Un système corrompu »
Ce climat d’incertitude incite
d’importants contributeurs conservateurs, les frères Charles et David Koch, à retarder leur engagement derrière un candidat. Ils
avaient annoncé en 2015 vouloir
consacrer la somme astronomique de 889 millions de dollars à la
campagne présidentielle.
Inefficaces, les super-PAC sont
également la cible d’une offensive
venue de candidats aussi opposés
que l’on puisse l’imaginer : le magnat de l’immobilier républicain
Donald Trump et le sénateur indépendant Bernie Sanders, candidat à l’investiture démocrate.
Le premier s’appuie sur son expérience personnelle de contributeur (il a versé de fortes sommes
dans sa carrière à des candidats
démocrates puis républicains)
pour dénoncer la sujétion des
candidats à leurs donateurs.
Le second, qui stigmatise
Mme Clinton pour les 675 000 dollars acceptés de la part de la banque d’affaires Goldman Sachs
pour trois conférences, ne cesse
de dénoncer « un système corrompu » et plaide pour un financement public des campagnes.
Milliardaire, M. Trump autofinance à 70 % sa campagne, selon
Trump et Cruz distancent Rubio
Ted Cruz, dauphin du magnat de l’immobilier Donald Trump
dans la course à l’investiture républicaine pour la présidentielle
de novembre, a remporté, samedi 5 mars, les caucus du Kansas
et du Maine, tandis que l’homme d’affaires new-yorkais s’imposait en Louisiane et dans le Kentucky. Dimanche, le sénateur
de Floride, largement distancé, a gagné la primaire de Porto Rico.
Dans le camp démocrate, la favorite, Hillary Clinton, l’a emporté
samedi en Louisiane, mais Bernie Sanders, son unique
adversaire, résiste avec ses victoires dans le Kansas
et le Nebraska, samedi et dans le Maine, dimanche.
L'HISTOIRE DU JOUR
Du rififi chez les yakuzas
L
a situation dégénère entre les malfrats nippons. Vendredi
4 mars, la police a arrêté Hidenobu Naruse, « boss » du
Naruse Gumi, un gang basé à Hokkaido (nord), pour avoir
ordonné de précipiter une voiture bélier sur le domicile du chef
d’un groupe rival. Le 29 février, des cocktails Molotov enflammaient le siège du Takada Gumi, un gang de Toyama (centre du
Japon). Au même moment, des coups de feu étaient échangés à
Tokyo et dans le département de Fukui (centre). La multiplication des accrochages découle de la scission du Yamaguchi
Gumi, le clan le plus puissant de la pègre nippone avec 23 400
membres avant la séparation.
En août 2015, une partie de ses troupes a fait sécession et a
créé une structure rivale appelée Kobé-Yamaguchi. La rupture
traduit un mécontentement de la gestion du « boss » Shinobu
Tuskasa, qui, pour les sécessionnistes, tendait à accorder trop de pouvoir aux membres de sa faction, la
VÉRITABLE BATAILLE
très riche Kodo Kai, tirant notamRANGÉE DANS LE
ment ses ressources de sa mainmise
les activités du port de Kobé
QUARTIER CHAUD DE sur
(ouest). Depuis, la tension monte enKABUKICHO, À TOKYO tre les deux groupes et entre leurs affiliés. Le Naruse Gumi est proche du
Yamaguchi Gumi. Le Takada Gumi
l’est du Kobé-Yamaguchi Gumi.
Elle pourrait déboucher sur un conflit généralisé. Le 15 février,
le quartier chaud de Kabukicho, à Tokyo, était le théâtre d’une véritable bataille rangée entre wakaishu – « les petits soldats » – des
deux camps, faisant plusieurs blessés, dont des policiers intervenus pour ramener le calme. Or, le Kabukicho est la chasse gardée
de la Sumiyoshi Kai, le puissant gang de la capitale. En janvier,
dans ce même quartier, il avait réussi à empêcher un affrontement entre les deux émanations du Yamaguchi Gumi.
Pour la police, la situation actuelle est un bon moyen d’accentuer sa lutte contre le crime organisé. Entre septembre 2015 et février, elle a procédé à 210 arrestations. Ce qui devrait accentuer le
déclin des adhésions aux gangs nippons. Le nombre de yakuzas a
baissé de 12 % en 2015 par rapport à 2014, pour s’établir à 46 900. p
philippe mesmer (tokyo, correspondance)
FONDS LEVÉS, EN MILLIONS DE DOLLARS, AU 24 FÉVRIER
Par le comité de campagne
Par les super-PAC
TRUMP
Républicains
Démocrates
KASICH
CRUZ
RUBIO
CARSON*
BUSH*
CLINTON
SANDERS
0
* Candidature retirée
50
100
150
200
SOURCES : CENTER FOR RESPONSIVE POLITICS 2016 / LE MONDE
les chiffres publiés au 31 janvier par
la Commission électorale fédérale.
Son habileté à utiliser les médias
en multipliant les controverses lui
permet, par ailleurs, de dominer la
course à l’investiture républicaine
avec un budget modeste, inférieur
à 30 millions de dollars (dont 25
ont d’ores et déjà été dépensés) au
31 janvier, selon la même source.
M. Sanders, qui se flatte de
n’avoir l’appui d’aucun super-PAC,
dispose d’un trésor de guerre trois
fois plus élevé (96 millions de dol-
lars, dont 81 millions ont déjà été
dépensés). Il bénéficie d’une vague
de contributions individuelles directes qui lui a permis de collecter
des sommes jamais atteintes.
Ecrasant les records du démocrate
Barack Obama en 2008 et en 2012,
M. Sanders va dépasser ces jours-ci
les 5 millions de dons, provenant
de 1,5 million de supporteurs.
Grande marge de manœuvre
Son statut d’outsider face à
Mme Clinton ne décourage pas ses
partisans. Selon les chiffres de la
Commission électorale fédérale,
77 % de ces contributions sont inférieures à 200 dollars. Le chiffre
que ne cesse de répéter M. Sanders est la moyenne de 27 dollars
par contribution. Elle lui donne
une marge de manœuvre considérable puisque les dons de campagne sont plafonnés pour les individus à 2 700 dollars.
Militant infatigable d’une réforme du financement de la vie
politique américaine, Lawrence
Lessig, qui enseigne à l’école de
droit de Harvard, se félicite des
coups de boutoir portés par
M. Sanders et M. Trump contre un
système qu’il juge dangereux
pour la démocratie américaine.
« Sanders évoque le financement
public et c’est une bonne chose,
alors que Trump dénonce sans rien
proposer à la place », note-t-il.
Pour autant, le professeur de
Harvard, candidat éphémère à l’investiture démocrate, en 2015, pour
attirer l’attention de l’opinion
américaine sur la question des financements politiques, ne se fait
guère d’illusions. « Pour obtenir
une véritable réforme, il faut impérativement que cela passe par le
Congrès, mais en l’état, il n’y a malheureusement rien à attendre de ce
côté », regrette-t-il. M. Lessig redoute par ailleurs que les superPAC ne retrouvent leur puissance
cet automne, lorsqu’il s’agira de
départager les deux candidats investis par leurs partis respectifs. p
gilles paris
8 | planète
0123
MARDI 8 MARS 2016
Bataille sur l’avenir du glyphosate en Europe
La volonté de la Commission européenne de renouveler l’autorisation de l’herbicide se heurte à une forte opposition
V
otera, votera pas ? La
Commission
européenne espérait expédier l’affaire sans fracas et faire adopter par les Etats
membres, au cours de la réunion
du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées
alimentaires et de l’alimentation
animale, prévue lundi 7 et mardi
8 mars, un renouvellement de
l’autorisation du glyphosate, celle-ci expirant fin juin en Europe.
Dans un projet de décision, dont
Le Monde a obtenu copie, Bruxelles prévoyait une remise en selle
de ce désherbant – principe actif
du célèbre Roundup de Monsanto
– jusqu’en 2031.
Mais la semaine écoulée a vu la
polémique s’intensifier sur la dangerosité de cette substance, la plus
utilisée au monde, et contrarier
les projets de Bruxelles. Au point
que nul ne semble savoir si la réunion des 7 et 8 mars scellera, ou
non, l’avenir de l’herbicide. « Ce
qui est sûr, c’est qu’il y aura discussion sur le glyphosate [les 7 et
8 mars en comité], dit un porteparole de l’exécutif européen.
Mais nous ne sommes pas sûrs que
le vote se tiendra. »
La Commission s’appuie sur
l’Autorité européenne de sécurité
des aliments (EFSA). Celle-ci, dans
un avis rendu le 12 novembre 2015, estime « improbable »
que le glyphosate soit cancérogène pour l’homme. Les demandes d’interdiction du produit reposent, elles, sur un autre avis,
diamétralement opposé, rendu
en mars 2015 par le Centre inter-
national de recherche sur le cancer (CIRC) – l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Pour le CIRC, le glyphosate est un
« cancérogène probable pour
l’homme », mutagène (toxique
pour l’ADN) et cancérogène pour
l’animal.
Mobilisation de la société civile
Devant ce désaccord, ce sont
d’abord des députés européens
qui ont demandé le report de la
décision. A Strasbourg, quatre
groupes parlementaires de gauche ont écrit, le 3 mars, au commissaire européen à la santé,
Vytenis Andriukaitis, lui demandant de « reporter toute décision,
au moins jusqu’à ce que le Parlement européen prenne une position formelle sur le sujet », après
« un examen approfondi » du dossier. Le lendemain, la ministre
française de l’environnement,
Ségolène Royal, surprenait tous
les observateurs en annonçant
que la France s’opposerait à la proposition de Bruxelles. « La déci-
« La décision
proposée est une
autorisation pour
quinze ans. La
France s’alignera
sur la Suède
pour dire non »
SÉGOLÈNE ROYAL
ministre de l’environnement
sion proposée est une nouvelle
autorisation pour quinze ans, dit
Mme Royal au Monde. La France
s’alignera sur la Suède pour dire
non. » Les Pays-Bas ont de leur
côté annoncé que si le vote était
maintenu les 7 et 8 mars, ils voteraient contre le renouvellement.
Ces réticences font suite à une
intense mobilisation de la société
civile. Des pétitions lancées par les
organisations non gouvernementales (ONG) Avaaz et Greenpeace,
demandant l’interdiction du glyphosate, ont rassemblé plus d’un
million et demi de signatures. En
France, des associations traditionnellement peu engagées dans la
lutte pour la protection de l’environnement, comme la Ligue contre le cancer, ont également appelé à la fin du glyphosate.
D’autres ONG européennes – les
Amis de la Terre, Générations futures, Pesticide Action Network,
etc. – ont annoncé le 3 mars le dépôt d’une plainte devant un tribunal viennois contre l’EFSA et la
vingtaine d’industriels commercialisant des pesticides contenant
du glyphosate pour « fraude réglementaire » et détournement des
procédures en vigueur pour l’évaluation du risque.
La discorde entre l’EFSA et le
CIRC a conduit de nombreux
scientifiques à examiner le dossier en détail. Pour une part, les divergences s’expliquent par les méthodologies des deux organismes.
L’EFSA a pris en compte les études
réalisées par les industriels euxmêmes, et tenues confidentielles.
Au contraire, le CIRC n’a tenu
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!, 0+%(,$.1'-!
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Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les
réfugiés (HCR) invite les étudiants en journalisme, dans
le cadre d’un concours qu’il organise en partenariat
avec Le Monde, à écrire un article sur le thème de :
Autriche : De jeunes réfugiés syriens se penchent à la fenêtre de
leur nouvelle maison dans une petite ville. © UNHCR/Mark Henley
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Le lauréat se verra offrir la possibilité de se rendre sur le terrain
pour découvrir l’une des missions du HCR. Son article sera publié
dans Le Monde.
La date limite d’inscription à ce concours est ixée au
1er avril 2016. La date limite de dépôt, par voie
électronique, des articles est ixée au 4 juin 2016 (minuit).
Les articles seront jugés en fonction de la pertinence de l’histoire
et du style, de l’objectivité, de la perspicacité ainsi que de la
précision des termes employés dans la rédaction ainsi qu’à
travers une approche originale de cette thématique.
■
■
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■
■
LES RÈGLES DE PARTICIPATION :
■ Le ou la candidat(e) doit être âgé(e) de 18 ans et plus;il/
elle doit étudier le journalisme dans une université,
une école ou un institut français en France, reconnu
par la commission de la carte des journalistes.
■ Il/elle doit être en dernière année d’études dans son
établissement.
■ Les salariés, contractuels ou personnes directement
ou professionnellement liés à des employés du HCR
ou du journal Le Monde ne peuvent pas participer à
ce concours.
■ Le ou la candidat(e) doit présenter un seul article.
■ Son article doit avoir pour thème Mes nouveaux
voisins: regards croisés sur l’accueil de réfugiés.
■ Il ne doit pas excéder 5500 signes et doit être soumis
au jury uniquement par voie électronique aux
adresses suivantes:[email protected]
ou [email protected]. La date limite
de réception des articles est ixée au 4 juin 2016
minuit. Chaque article précisera le nom, l’adresse, le
téléphone et l’adresse courriel de l’auteur(e).
Tous les articles devront être exclusivement réalisés par des étudiant(e)s et ne pas être des plagiats. Un plagiat entraînera une disqualiication immédiate.
Les copyrights de tous les articles demeureront l’entière propriété de leurs auteur(e)s. En présentant un article à ce concours, les participant(e)s
autorisent le journal Le Monde à en reproduire tout ou partie, y compris dans les publications de son groupe de presse.
Le Monde et le HCR n’accepteront pas les articles arrivés au-delà de la date précisée ci-dessus.
La sélection sera faite à la fois par des journalistes du quotidien Le Monde et par des représentants du HCR en France. La décision sera rendue au plus
tard le 15 juin 2016 et le ou la lauréat(e) sera contacté(e) sitôt connu le résultat.
La décision du jury sera sans appel.
Le ou la lauréat(e) pourra se voir solliciter pour participer à une campagne publicitaire de ce concours (photos, interview…).
Un séjour d’une semaine sur le terrain dans le cadre d’une mission du HCR et au sein de ses équipes sera offert au ou à la lauréat(e). Il devra être
organisé (en fonction de la situation sur le terrain) avant la in de l’année pendant laquelle s’est déroulé le concours. Le ou la lauréat(e) devra être apte
à voyager dans des pays particulièrement sensibles en termes, notamment, de sécurité, de situation humanitaire et sanitaire. Il ou elle doit maîtriser
l’anglais (lu, écrit, parlé). Les formalités de voyage telles que visa et vaccinations et autres plus spéciiques, en fonction du pays retenu, restent à la
charge du ou de la lauréat(e).
Les dates de la mission seront discutées avec le ou la lauréat(e) en fonction de sa scolarité et de ses examens.
La participation au concours implique l’acceptation des règles énoncées ci-dessus, au moment de l’inscription, qui se fera par courriel, au plus tard
le 1er avril 2016, auprès des responsables désignés ci-dessous. Tout manquement entraînera une élimination d’ofice.
Tout dossier arrivé incomplet sera automatiquement éliminé.
LE DOSSIER DE PARTICIPATION COMPRENDRA IMPERATIVEMENT, POUR ÊTRE
RETENU :
■ Le nom et l’adresse de l’école ou de l’institut d’inscription du ou de la candidat(e).
■ Une iche signée par les responsables de l’école ou de l’institut conirmant
l’inscription du ou de la candidat(e).
■ Le nom et l’adresse personnelle du ou de la candidat(e).
■ L’article de 5 500 signes rédigé exclusivement par le ou la candidat(e).
■ Une cession des droits, à titre gracieux, pour une première publication de
l’article dans Le Monde, dans l’hypothèse où il serait primé.
■ Le nom du pays où le ou la candidat(e) souhaiterait partir en mission avec
le HCR dans l’hypothèse où il/elle gagnerait le concours. Ce choix sera
accompagné d’une explication d’un maximum de 10 lignes (600 signes).
■ Il n’y aura qu’un(e) seul(e) lauréat(e).
Enjeux économiques
De leur côté, les industriels assurent que le glyphosate est sûr et
qu’il est, dans tous les cas, moins
problématique que les autres
herbicides disponibles. Les enjeux économiques sont en outre
considérables. Le glyphosate
n’est pas seulement le principe
LES DATES
2015
20 mars Le Centre international
de recherche sur le cancer,
une agence de l’Organisation
mondiale de la santé, classe
le glyphosate « cancérogène probable pour l’homme ».
12 novembre L’Autorité européenne de sécurité des aliments
(EFSA) estime « improbable »
le potentiel cancérogène du
glyphosate.
27 novembre Une centaine de
scientifiques écrivent à la Commission européenne pour protester contre l’avis de l’EFSA.
2016
18 février Le médiateur européen dénonce le laxisme de
Bruxelles dans les autorisations
de mise sur le marché des
pesticides.
7 et 8 mars Réunion du Comité
permanent de la chaîne alimentaire et des denrées animales,
avec le glyphosate à
l’ordre du jour
stéphane foucart
La capitale organise, du 7 au 18 mars, une vaste simulation de gestion
d’une inondation identique à celle de 1910
HCR-LE MONDE
■
compte que des études sur le sujet
– environ un millier – publiées
dans la littérature scientifique.
Mais pour certains, la différence
des corpus évalués par le CIRC et
l’EFSA n’explique pas tout.
Conduits par Christopher Portier,
conseiller du CIRC, ancien directeur du National Center for Environmental Health américain et
l’un des papes de la cancérogenèse, une centaine de toxicologues, d’épidémiologistes et de
biologistes ont écrit fin novembre 2015 au commissaire européen à la santé, estimant l’avis de
l’EFSA « trompeur », fondé sur une
démarche « scientifiquement inacceptable ». Une virulence rare
dans l’entre-soi des experts – réitérée dans un article publié le
3 mars par le Journal of Epidemiology and Community Health.
actif du Roundup : selon les données colligées par l’OMS, il entre
dans la composition de plus de
750 produits phytosanitaires,
commercialisés par environ
90 fabricants répartis dans une
vingtaine de pays.
De plus, il est la pierre angulaire
de la stratégie de développement
des biotechnologies, la grande
majorité des plantes transgéniques étant modifiées pour le tolérer et rendre ainsi plus simple
son épandage. Ces dernières années, l’adoption rapide des cultures OGM dites « Roundup Ready »
(résistantes au Roundup) et apparentées a tiré vers le haut la
production mondiale de glyphosate : de 600 000 tonnes en 2008,
elle atteignait 720 000 tonnes
en 2012.
Au-delà d’une controverse sur la
dangerosité d’un pesticide, l’affaire cristallise la crise de confiance actuelle dans le système
européen d’évaluation et de gestion des risques sanitaires et environnementaux. La Commission a
ainsi été condamnée le 16 décembre 2015 par le Tribunal de l’Union
européenne pour son inaction
sur le dossier des perturbateurs
endocriniens. Deux mois plus
tard, le médiateur européen, dans
une décision sévère, fustigeait le
laxisme bruxellois en matière
d’autorisation des pesticides.
Mme Royal et M. Andriukaitis en
ont d’ailleurs convenu lors d’une
récente entrevue : il faut changer
les règles de fonctionnement du
système. p
Paris se prépare à la « crue du siècle »
CONCOURS
■
Le glyphosate
entre dans
la composition
de plus de
750 produits
phytosanitaires
CONTACT HCR
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ans les prochaines heures, la hauteur de la Seine
au pont d’Austerlitz, à Paris, est susceptible de passer audelà de 7,2 m. Circulation normale
sur les réseaux TER, mais trafic interrompu sur la ligne C du RER et
fortement perturbé sur les lignes
A et B. Nombreux tronçons routiers et ponts impraticables ou
inaccessibles en Essonne, en Seine-et-Marne et en Seine-SaintDenis. Hôpitaux de Créteil et de
Villeneuve-Saint-Georges (Valde-Marne) privés d’électricité.
Centre d’incinération d’Issy-lesMoulineaux
(Hauts-de-Seine)
hors d’usage, les collectes de déchets ménagers doivent être détournées…
A la Préfecture de police de Paris,
dans les communes bordant la
Seine et la Marne, chez les opérateurs téléphoniques, dans les hôpitaux… partout, depuis ce lundi
7 mars, au rythme des bulletins de
situation diffusés au fil de la montée des eaux, l’effervescence s’accroît pour limiter les dégâts,
maintenir l’activité des services
vitaux et organiser la protection
des Franciliens.
C’est au scénario catastrophe
d’une crue centennale identique
ou supérieure à la grande crue de
1910 que Paris se prépare. Du 7 au
18 mars, avec le soutien de
l’Union européenne, la Préfecture de police organise un
exercice grandeur nature de gestion de crise, baptisé « EU Sequana 2016 ».
Une opération hors norme à laquelle prendront part 87 institutions et entreprises (Assistance
publique-Hôpitaux de Paris, EDF,
RATP, SNCF, Orange, Veolia…),
mais aussi six communes, l’ensemble des ministères et l’armée.
Elle mobilisera dans cinq départements 150 policiers et 900 sauveteurs, dont certains viendront
La crue
centennale
affectera près
de 5 millions
d’habitants
d’Ile-de-France
d’Italie, d’Espagne, de Belgique et
de République tchèque.
Certes, il ne s’agit que de simulation, pour l’instant. Aujourd’hui,
si la population ne veut y croire, le
scénario d’une crue centennale de
la Seine se reproduira, c’est une
certitude. Une telle crue affectera
directement ou indirectement
près de 5 millions d’habitants
d’Ile-de-France, dont 500 000 à
évacuer, et pourrait causer, selon
un diagnostic publié au début de
2014 par l’Organisation de coopération et de développement
économiques, jusqu’à 30 milliards d’euros de dommages directs. La seule incertitude : quand
cela arrivera-t-il ?
Beaucoup d’imprévus
« Hors attentat, le risque d’inondation constitue le premier risque
majeur susceptible d’affecter l’Ilede-France. Car il concerne tous les
réseaux structurants : eau, transports, santé, énergie, téléphone,
électricité… », rappelle-t-on au secrétariat général de la zone de défense de la Préfecture de police,
qui tient à préciser que les scénarios de l’exercice, pour bluffant de
réalisme qu’ils soient, ne sont que
des hypothèses de travail. Il n’est
pas possible, en effet, de tout anticiper et planifier, un tel événement naturel comportant beaucoup d’imprévus.
La simulation consistera essentiellement en un exercice sur table, l’ensemble des acteurs com-
muniquant entre eux via un logiciel partagé de gestion de crise. Le
scénario de l’exercice, qui rythmera l’activité des différentes
cellules de crise, a néanmoins été
élaboré à partir de faits réels et
suivra une montée des eaux de la
Seine, de la Marne et de l’Yonne,
au rythme de 50 centimètres
puis 1 mètre par jour, pour atteindre un territoire de 500 km2 sous
les eaux.
Ce faisant, des opérations
concrètes de terrain (opération
de dépollution, évacuation d’une
maison de retraite, sauvetage
d’une péniche…) sont aussi prévues sur différents sites en Ile-deFrance au cours du week-end des
12 et 13 mars, au moment du pic
de crue théorique. « L’objectif majeur de Sequana est de tester la capacité de réaction des différents
opérateurs, et surtout à se coordonner, explique le préfet de police, Michel Cadot. Car si la plupart ont conçu un plan de continuité d’activité en cas de crue, l’interdépendance de tous ces plans
n’a jamais été travaillée. Cette capacité sera éprouvée en phase de
crue comme en phase de décrue,
de retour à la normale. »
L’exercice a aussi pour vocation
de sensibiliser les populations au
risque d’inondation. « L’objet n’est
pas de créer de l’anxiété, précise Michel Cadot, mais de favoriser une
prise de conscience du risque, d’inciter les habitants à prendre la mesure des conséquences d’une crue
majeure et s’y préparer. » Au cours
du week-end des 12 et 13 mars, le
public pourra ainsi assister aux
différentes manœuvres réelles. Et
un site d’information sera aménagé sur le Champ-de-Mars, où un
film en 3D de simulation d’inondation sera diffusé et des ateliers
et des jeux permettront de tester
sa vulnérabilité à la crue. p
laetitia van eeckhout
france | 9
0123
MARDI 8 MARS 2016
LES DATES
LUNDI 7 MARS
Manuel Valls, Myriam El Khomri
et Emmanuel Macron reçoivent la
CFTC, FO, la CGT, la CFDT et la
CGPME. Les entretiens se poursuivent, mardi, avec la CFE-CGC et le
Medef, et s’achèvent, mercredi,
avec l’UNSA et l’UPA. Le PS réunit
son bureau national au cours duquel Mme El Khomri sera interrogée sur l’avant-projet de loi réformant le droit du travail.
MARDI 8 MARS
Un séminaire se tient à l’Assemblée sur l’avant-projet de loi en
présence du premier ministre.
MERCREDI 9 MARS
Des organisations étudiantes et
lycéennes (UNEF, UNL, FIDL) se
mobilisent contre le texte. La CGT,
FO, la FSU, Solidaires soutiennent
l’initiative. Des arrêts de travail
sont annoncés à la SNCF et à la
RATP – pour des motifs internes.
SAMEDI 12 MARS
Les syndicats dits « réformistes »
(CFDT, CFE-CGC, CFTC) appellent
à des rassemblements.
Emmanuel Macron, Myriam El Khomri
et Manuel Valls, lors de la visite de l’usine
Solvay, à Chalampé (Haut-Rhin), le 22 février.
JEUDI 24 MARS
Le projet de loi est présenté en
conseil des ministres.
LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE »
L’autorité de Valls à l’épreuve de la loi travail
Le gouvernement amorce lundi des discussions avec les partenaires sociaux avant la mobilisation du 9 mars
C’
est une semaine à
hauts risques qui débute pour le gouvernement. Alors que
plusieurs syndicats et des organisations de jeunes se mobilisent,
mercredi 9 mars, contre la réforme
du droit du travail, Manuel Valls
tente de désamorcer la colère qui
monte, y compris au sein de sa
propre majorité, à l’égard d’un
avant-projet de loi jugé beaucoup
plus favorable aux employeurs
qu’aux salariés. Derrière cette réforme se jouent aussi la fin du
quinquennat et l’avenir politique
du couple exécutif, entre un François Hollande contraint à l’équilibre pour ne pas hypothéquer ses
chances en 2017 et un Manuel Valls
décidé à faire le moins de concessions possibles s’il veut sauver son
image de réformateur. Depuis plusieurs semaines, le premier ministre, en privé, ne cesse de pousser le
chef de l’Etat à affirmer davantage
sa volonté d’agir, comme il l’a notamment fait le 26 février, lors
d’un dîner informel en présence
d’une dizaine de ministres.
A partir de lundi et jusqu’à mercredi, M. Valls, flanqué de la ministre de l’emploi, Myriam El Khomri,
et du ministre de l’économie, Emmanuel Macron, va donc recevoir,
une à une, les organisations syndicales et patronales. Ces entretiens
visent à recueillir les remarques
des partenaires sociaux sur le
texte avant sa présentation en
conseil des ministres, le 24 mars.
La marge de négociation apparaît cependant très étroite. Dans le
Journal du dimanche (JDD) du
6 mars, M. Valls a déclaré être prêt
« à corriger, là où c’est nécessaire, le
texte ». Mais son geste d’ouverture
est très en deçà des attentes des organisations dites « réformistes »
(CFDT, CFE-CGC, CFTC). Sur le barème obligatoire des indemnités
prud’homales, le chef du gouvernement a indiqué que « des adaptations peuvent être possibles »,
sous-entendant par là que des plafonds de dédommagements pourraient être relevés ; cependant, il a
souligné qu’il était hors de question de « remettre en cause » le dis-
positif. Or l’intersyndicale, elle, réclame son retrait. Quant aux mesures inscrites dans l’avant-projet
de loi sur le licenciement économique, il a parlé « d’améliorations » sans plus de précisions.
Dernier point évoqué dans l’interview au JDD sur lequel des avancées sont envisagées : le compte
personnel d’activité (CPA), que
« nous voulons renforcer (…), particulièrement pour les jeunes », a
confié M. Valls. A ce sujet, les syndicats « réformistes » aimeraient
l’inclusion d’un « compte temps »
dans le CPA, mais l’exécutif, de son
côté, semble privilégier d’autres
pistes – notamment celles consistant à accorder des heures de formation supplémentaires, selon
une source au cœur du dossier.
Le premier ministre fait mine
d’adoucir son message. Reste que,
sur le fond, il entrouvre peu d’espace de négociations. « Ce qui serait terrible, c’est le statu quo. (…) Je
ne donnerai pas une seule seconde
à l’immobilisme », a-t-il prévenu,
rappelant que « réformer la
France est vital ».
Faire retomber la pression
Pas sûr que sa position concourt à
apaiser les esprits. « J’invite fortement le gouvernement à répondre
à nos revendications, sinon il y
aura une mobilisation de la
CFDT », a mis en garde le secrétaire général de la centrale cédétiste, Laurent Berger, lundi sur Europe 1. Présidente de la CFE-CGC,
Carole Couvert juge « positif » que
M. Valls manifeste son intention
de lâcher du lest, mais « ce qu’il
propose d’amender n’est pas suffisant par rapport à ce que nous portons ». Joseph Thouvenel, viceprésident de la CFTC, avoue être
dans l’expectative : « Je ne sais pas
ce qui va être annoncé sur les indemnités prud’homales et les licenciements économiques. »
Le premier ministre va devoir
aussi s’employer pour faire retomber la pression exercée par de larges fractions du PS – bien au-delà
du petit cercle des « frondeurs ».
Mardi, un « séminaire » consacré à
la réforme du droit du travail a lieu
à l’Assemblée nationale, à l’initiative des députés PS – et en particulier de Christophe Sirugue (Saôneet-Loire). Celui-ci est pressenti
pour être rapporteur du projet de
loi, lors de son examen au PalaisBourbon. Mais l’intéressé, pour
l’heure, refuse de jouer ce rôle si le
texte demeure en l’état. « J’ai fait
part des points sur lesquels je souhaite une évolution », confie-t-il.
Parmi eux, le « plafonnement »
des dédommagements versés par
les prud’hommes et « l’assouplissement » des règles sur les licenciements économiques. Mais aussi la
question du forfait jours qu’un patron d’une entreprise de moins de
50 personnes pourrait proposer à
ses salariés, même en l’absence
d’accord collectif. « J’ai besoin d’y
voir clair », complète M. Sirugue.
« Beaucoup de collègues de la majorité, y compris parmi les plus légi-
« Beaucoup dans
la majorité, y
compris parmi les
plus légitimistes,
sont excédés
par ce texte »
CATHERINE LEMORTON
députée (PS, Haute-Garonne)
timistes, sont excédés par ce texte »,
enchaîne Catherine Lemorton,
présidente (PS, Haute-Garonne) de
la commission des affaires sociales. Même si le gouvernement parvenait à obtenir l’adhésion de la
CFDT, « cela pourrait ne pas suffire
à emporter celle des députés socialistes », estime-t-elle.
Dans ce contexte, la journée d’ac-
tion prévue mercredi pourrait être
déterminante pour la suite. Plusieurs sources dans l’exécutif
avouent ne pas savoir réellement
quelle sera l’ampleur de la mobilisation. Depuis le début de son
quinquennat, le spectre d’un mouvement social constitue l’inquiétude majeure du chef de l’Etat. A
presque un an de la présidentielle,
son effet n’en serait que plus dévastateur pour lui et pour le PS
dans son ensemble. « Le front syndical n’est pas totalement uni. Côté
étudiants, l’UNEF n’est plus aussi
puissante qu’avant, mais il faut toujours faire attention. Si la musique
libérale autour de la loi ne s’éteint
pas rapidement, cela peut être un
catalyseur important pour mobiliser dans la population », s’inquiète
un proche de M. Hollande.
Au ministère du travail, on se lamente sur « la communication du
gouvernement [qui] a été catastrophique ». En cause, la menace
d’emblée agitée d’un possible recours au 49-3 en cas de blocage de
la majorité socialiste, et la mise en
avant des points les plus sociauxlibéraux du texte. « Le gouvernement a braqué les syndicats, CFDT
en tête, et avec le 49-3, il a avoué que
son texte n’était pas très propre au
regard de la gauche », n’en revient
pas un poids lourd socialiste. « On
aurait dû faire cette loi plus tôt
pour qu’elle ait des résultats vraiment efficaces en termes d’emplois
dans le quinquennat, regrette un
ministre proche de M. Hollande.
Faire ça en 2016, un an avant 2017,
ce n’est vraiment pas idéal. » p
bertrand bissuel
et bastien bonnefous
Lire notre dossier dans le cahier
Eco & Entreprise, pages 6-7
Entre Hollande, Macron et Valls, une guerre d’influence larvée
derrière la « loi travail » se cache un
subtil jeu politique au cœur de l’exécutif.
C’est un des problèmes, parmi d’autres, du
futur projet de loi sur la réforme du travail :
ce texte, en plus de provoquer de multiples
résistances en s’attaquant à la refonte du
code du travail, dissimule également une
lutte à trois, entre le président de la République, le premier ministre et le ministre de
l’économie. Le tout sous l’œil de la ministre
du travail, réduite à compter les points.
« On n’est pas seulement dans un débat
technique sur l’évolution du marché du travail, on sent très bien qu’il y a des arrière-pensées politiques, des enjeux de pouvoir qui
compliquent tout », résume un fin connaisseur des négociations sociales. Entre François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel
Macron, se jouent trois partitions différentes et, avec elles, la musique politique de la
fin du quinquennat.
Le projet de loi devait être, au départ, un
texte équilibré, nourri par le rapport de
Jean-Denis Combrexelle sur les conditions
de la négociation sociale dans l’entreprise,
et par les travaux de la commission Badinter sur les grands principes fondateurs du
droit du travail. Mais il s’est transformé,
dans la dernière ligne droite, en un texte en
partie largement favorable aux revendica-
tions du patronat. Selon nos informations,
c’est le ministre de l’économie qui a fortement pesé pour y introduire l’article 30 bis
sur les licenciements économiques. Une
disposition qui donne satisfaction au Medef et aux autres organisations patronales.
« Le 30 bis arrive à la dernière minute. Les
syndicats étaient au courant de tout sauf de
cet article », reconnaît-on au ministère du
travail. Dans les négociations interministérielles, M. Macron a donc repris la main, en
obtenant l’arbitrage de l’Elysée et de Matignon, quand Mme El Khomri et Michel Sapin, ministre des finances, étaient plus que
mesurés. Mais ce changement ultime bouleverse la coloration de la future loi. Et remet en cause la stratégie politique qu’était
en train de bâtir le chef de l’Etat pour 2017.
« Séquence politicienne »
En quelques semaines, le président de la République, qui avait envoyé un signal vers un
rassemblement de la gauche avec le remaniement du 11 février, se trouve déporté à
droite par une loi accusée d’accointance libérale. Un climat renforcé par M. Valls et sa
menace un temps agitée de recourir à l’article 49-3 de la Constitution en cas d’absence
de majorité pour voter le texte. Le premier
ministre tente de profiter du moment pour
se présenter comme un dirigeant prêt à affronter sa majorité comme les partenaires
sociaux, pour réformer le marché du travail,
comme l’ont fait Tony Blair au RoyaumeUni, Gerhard Schröder en Allemagne ou
Matteo Renzi en Italie. « La loi El Khomri
tombe très bien après le remaniement : à une
séquence politicienne succède une séquence
politique », explique l’entourage de M. Valls.
Dans le Journal du dimanche du 6 mars,
M. Valls a répété sa « loyauté » à M. Hollande
et juré que « jamais [il n’a] fait et [il ne] ferai[t] de chantage à la démission ». Mais la
question se pose toujours alors que l’exécutif s’apprête à rediscuter avec les syndicats,
sous la menace d’un possible mouvement
social. Soit M. Valls fait passer la loi sans trop
écouter les partenaires sociaux ni les parlementaires, et il double M. Macron sur le terrain du meilleur réformiste, au risque d’un
clash avec le chef de l’Etat. Soit il l’amende et
recule sous la pression de la rue, et joue une
partie de son avenir politique. « Hollande a
besoin d’être le président du juste équilibre
en 2017. La loi El Khomri va donc être jusqu’au bout un jeu de piste entre ceux qui veulent aller très loin, Valls en tête, et les autres.
Le président, comme d’habitude, sera à l’hémistiche », prédit un de ses proches. p
b. bo.
10 | france
0123
MARDI 8 MARS 2016
« NKM », une solitaire dans la primaire
Malgré un mince réseau de soutiens, la députée LR de l’Essonne doit officialiser, mardi, sa candidature
M
on principal défaut ?
Je suis chiante ! »,
dit-elle en plaisantant au volant de sa
voiture, en fonçant à toute allure
vers Fontainebleau (Seine-etMarne) où elle doit visiter une
start-up et tenir une réunion publique. Nicolas Sarkozy, qui l’a
évincée de la direction du parti Les
Républicains en décembre 2015, en
raison de ses prises de position
trop souvent divergentes, ne dit
pas le contraire : « C’est une tête de
mule », peste-t-il en privé. Nathalie
Kosciusko-Morizet, elle, assume.
Et tente de faire de son caractère
son atout au moment de se lancer,
à son tour, dans la course à l’Elysée.
La députée de l’Essonne, qui rêve
d’être la première femme présidente de la République, doit annoncer sa candidature à la primaire de la droite et du centre,
mardi 8 mars, au « 20 heures » de
TF1, avant d’avoir « un échange convivial » avec ses partisans, le soir
même, dans un pub du 6e arrondissement de Paris. La date n’a pas
été choisie au hasard : le 8 mars est
la journée internationale des
droits des femmes, et son livre,
Nous avons changé de monde (Albin Michel, 256 p., 15 €), où elle justifie sa candidature, sort mercredi.
Celle que Jacques Chirac appelait
« l’emmerdeuse » revendique sa liberté. Minoritaire dans son parti,
elle se présente comme la seule
responsable de droite ayant le courage de tenir tête à l’ancien chef de
l’Etat. A l’entendre, ce serait son
principal atout face à ses rivaux :
« Moi, je n’hésite pas à dire ce que je
pense et je suis la seule à l’ouvrir
contre Sarkozy », se félicite-t-elle,
en rappelant son opposition au
« ni-ni » lors des régionales ou à la
déchéance de nationalité.
A ses yeux, les autres candidats à
la primaire ne seraient que des
« hypocrites ». Dans son viseur :
Bruno Le Maire, accusé de se laisser aller à « des revirements purement électoralistes », ainsi qu’Alain
Juppé et François Fillon, à qui elle
reproche de ne pas oser voter contre les options de M. Sarkozy en
bureau politique « pour ne pas se
retrouver minoritaires ». « Moi, je
m’en fous d’être minoritaire à un
I LE- D E- F RAN C E
Valérie Pécresse
annonce 120 millions
d’économies
La présidente de la région
Ile-de-France, Valérie Pécresse
(LR), annonce une hausse
de 4,6 % des investissements,
soit 70 millions d’euros, notamment dans les transports,
la sécurité et l’éducation.
Dans un entretien au Figaro
du 7 mars, elle indique que
ce « budget de relance par
l’investissement » s’accompagnera d’une baisse des dépenses de fonctionnement
de 120 millions d’euros par el
biais d’une « chasse aux gaspillages ». Mme Pécresse dit
vouloir « suspendre les financements des associations
n’ayant pas fourni de compte
rendu d’activité » et « optimiser l’occupation des surfaces
immobilières ». – (Reuters.)
N OMI N AT I ON
Jean-Louis Debré,
président du Conseil
supérieur des archives
Jean-Louis Debré, qui vient de
quitter le Conseil constitutionnel, a été nommé à la présidence du Conseil supérieur
des archives, a annoncé samedi 5 mars le ministère de la
culture. M. Debré, 71 ans, succède à l’historienne Georgette
Elgey à la tête de cette institution chargée notamment de
conseiller le ministre sur la
politique « en matière d’archives publiques et privées ».
« Moi, je m’en fous
d’être minoritaire
à un moment
donné ! Cela ne
signifie pas qu’on
a tort sur le long
terme »
NATHALIE KOSCIUSKOMORIZET
députée (LR, Essonne)
moment donné ! Cela ne signifie
pas qu’on a tort sur le long terme »,
lâche-t-elle, avant d’expliquer,
dans une langue qui n’appartient
qu’à elle, qu’elle est « en mode greffage de couilles » avec ses collègues
qu’elle juge trop timorés…
A 42 ans, NKM présente sa rupture avec l’ancien chef de l’Etat
comme un élément fondateur.
« Au moins, désormais, je suis libre
et n’ai plus Sarkozy qui me dit : “Tu
as de l’audience car tu es numéro
deux du parti !” » Elle lui reproche
d’être « devenu monobloc » et
d’avoir voulu « épurer le parti, en virant tous ceux qui ne partagent pas
sa droitisation ».
« A un moment, cela bougera »
Reste que son divorce avec le président de LR a renforcé son isolement en interne. Le manque de
soutiens de cette solitaire, intimement persuadée de n’avoir besoin
de personne et qui ne s’est jamais
vraiment constitué de réseaux,
reste son principal point faible. A
part les conseillers de Paris MarieLaure Harel et Jean-Didier Berthault, NKM n’est entourée que
par Jérôme Peyrat, son directeur de
campagne, le maire de Palaiseau
(Essonne), Grégoire de Lasteyrie, et
une petite équipe de près de 25 personnes qui planchent sur son projet. Mais aucun parlementaire
n’est estampillé « NKMiste ».
Dans son parti, beaucoup doutent de sa capacité à réunir les parrainages nécessaires pour se présenter à la primaire (250 élus, dont
au moins 20 parlementaires et
2 500 militants). « En apparence,
c’est compliqué mais il y a un mo-
Nathalie Kosciusko-Morizet, au congrès national des Républicains, à Paris, le 13 février. ALAIN GUILHOT/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
ment où cela bougera. C’est comme
sur la déchéance de nationalité : au
début, on était 5 contre, puis 20,
puis 74 », se rassure celle qui n’avait
pas été en mesure de recueillir les
7 924 parrainages d’adhérents requis pour briguer la présidence de
l’UMP, fin 2012. Pour ne dépendre
de personne, elle tente de séduire
les élus non alignés, qui l’ont suivie
dans sa croisade contre le projet de
révision constitutionnelle.
Son sort semble en réalité dépendre de M. Sarkozy, qui pourrait demander à des élus de la soutenir,
afin qu’elle grappille des voix à
Alain Juppé, au premier tour, chez
les électeurs modérés. Pour l’instant, il ne paraît toutefois pas disposé à l’aider. « Ministre, secrétaire
d’Etat, porte-parole… C’est moi qui
l’ai faite ! Désormais, on va voir si
elle est encore quelqu’un sans
moi », a-t-il récemment fulminé
devant un proche. A l’entendre,
son ex-alliée n’aurait pas encore le
niveau pour jouer dans la cour des
grands : « Elle est un syndrome de la
dérive de la primaire car ce système
donne l’impression à tout le monde
qu’il peut avoir un rôle central, une
dimension nationale. »
« Elle est sans filtre »
Dans les différentes écuries, on
n’imagine pas la primaire sans
cette polytechnicienne, mère de
deux enfants. « Son atout majeur,
c’est qu’il faut une femme dans la
primaire pour ne pas donner une
image ringarde à cette élection »,
résume un député LR. Un argument porteur, selon M. Peyrat :
« Quand je contacte les parlementaires, je ne leur demande pas de voter pour NKM à la primaire, mais de
lui permettre d’y participer, car cela
permettrait de faire vivre le débat. »
En bonne ambitieuse, NKM juge
nécessaire de figurer sur la ligne de
départ de la primaire pour être au
cœur du jeu en 2017 et prendre
date pour l’avenir. Avec l’idée de
s’implanter dans la cour des futurs
présidentiables. Se plaçant dans le
camp des « visionnaires » face aux
« réactionnaires », l’ex-ministre de
l’écologie présente ainsi sa différence : « Les autres sont restés dans
la vision de l’homme providentiel et
d’une société conservatrice. Pas
moi », explique-t-elle, en exposant
son projet libéral dans le domaine
économique (fin des 35 heures, retraite à 65 ans, fin du statut généralisé de fonctionnaires et politique
pro-entrepreneurs) et sociétal
(pour le mariage pour tous et la
PMA mais contre la GPA).
Créditée en moyenne de 5 % des
intentions de vote à la primaire,
elle sait ne pas pouvoir l’emporter.
Depuis l’échec de M. Sarkozy
en 2012, elle a perdu du terrain par
rapport à ses rivaux de sa généra-
tion, en particulier M. Le Maire, qui
a pris la tête des « quadras ». Sa défaite à Paris, en 2014, a interrompu
sa trajectoire ascendante : dans
son camp, nombre d’élus lui ont
alors reproché son côté « cassant »
et son « manque d’empathie ».
« C’est une tueuse assumée, qui
s’est imposée dans un monde
d’hommes, observe Pierre-Yves
Bournazel, élu LR au conseil de Paris. Elle n’a peur de rien ni de personne. Elle cultive la modération
sur le terrain des idées mais veut
toujours être dans la démonstration de force avec les autres. » En témoigne l’opposition qu’elle mène
face à Anne Hidalgo au conseil de
Paris. « Elle est sans filtre », admet
son entourage. « Elle ne fait guère
de concessions, concède le député
LR Dominique Bussereau, mais
c’est sa seule manière de survivre
dans ce milieu hostile. » p
alexandre lemarié
Marc Lazar : « La faille qui traverse le PS est structurelle »
Le directeur du Centre d’histoire de Sciences Po croit davantage à un affaiblissement durable qu’à une scission du PS
ENTRETIEN
D
irecteur du Centre d’histoire de Sciences Po, Marc
Lazar est spécialiste de la
gauche socialiste et sociale-démocrate en Europe occidentale, en
particulier en France et en Italie.
Comment analysez-vous la
situation du PS, à l’aune de la
charge de Martine Aubry contre
le gouvernement [Le Monde du
25 février] et des débats autour
de la déchéance de nationalité
et du projet de loi travail ?
Il y a des éléments conjoncturels,
personnels et tactiques dans la
descente en flamme du gouvernement par Martine Aubry et ses camarades : une vieille rancœur à
l’égard de Manuel Valls, une façon
de prendre date pour l’avenir et de
préparer une éventuelle prise de
contrôle du parti en 2017. Mais n’y
voir que cela serait une erreur. A
mes yeux, jamais la fracture n’a été
aussi profonde depuis 2005, lors
du débat sur le traité constitutionnel européen, qui avait mis le parti
au bord de la scission.
N’est-ce pas une énième répétition d’une crise qui a toujours
frappé le socialisme français
confronté à l’épreuve du pou-
voir, entre ceux qui gouvernent
et ceux qui leur reprochent de
trahir les idées qu’ils avaient
défendues dans l’opposition ?
L’historien est frappé par ces récurrences. Cette faille à l’intérieur
du PS renvoie à quelque chose de
profond et de structurel. Cela a
commencé dès 1899, quand la famille socialiste, pas encore unifiée
au sein d’un même parti, s’est déchirée sur le « cas » d’Alexandre
Millerand, qui avait décidé de participer au gouvernement de défense républicaine de WaldeckRousseau. Sous le Front populaire,
il s’est passé la même chose, avec
une forte opposition interne conduite par Marceau Pivert contre la
politique jugée trop modérée de
Léon Blum. Lionel Jospin, entre
1997 et 2002, a dû faire face à la
« fronde » de l’aile gauche du PS,
autour d’Henri Emmanuelli et de
Jean-Luc Mélenchon. Enfin, ironie
de l’histoire, sous François Mitterrand, en 1991, une vigoureuse
critique contre la politique jugée
trop libérale du ministre des finances, Pierre Bérégovoy, avait été portée par François Hollande et Pierre
Moscovici. C’est un peu le même
scénario qui se répète. Avec toutefois une intensité plus forte sous la
Ve République, car les expériences
du pouvoir sont plus longues.
« Il se passe en
France le même
phénomène
qu’en Europe : un
écartèlement de
la famille socialedémocrate »
En quoi la crise d’aujourd’hui
est-elle singulière ?
Elle l’est d’abord parce que le
chef du gouvernement, Manuel
Valls, n’a jamais été majoritaire au
PS. Mitterrand ou Jospin, eux,
l’étaient : ils avaient une légitimité dont ne dispose pas M. Valls,
qui n’a réalisé que 5 % aux primaires de 2011. L’autre différence est
que la politique menée
aujourd’hui semble déséquilibrée. Quand Mitterrand se convertit à la « rigueur », c’est après
avoir fait les 39 heures et la cinquième semaine de congés payés.
Quand Jospin privatise, il y a en
même temps les 35 heures.
Aujourd’hui, selon les opposants
au président de la République, la
politique de l’offre dans laquelle il
s’est engagé depuis janvier 2014 et
l’annonce du pacte de responsabi-
lité ne s’accompagnent que de
peu de contreparties sociales.
Comment qualifiez-vous cette
politique ?
Il se passe en France le même
phénomène que dans le reste de
l’Europe : un écartèlement de la famille social-démocrate en trois
sous-ensembles de plus en plus inconciliables. Le premier regroupe
ceux qui plaident encore pour une
alternative au capitalisme : JeanLuc Mélenchon en France, Jeremy
Corbyn (Parti travailliste) en Grande-Bretagne, Die Linke en Allemagne ou Gauche, écologie et liberté
en Italie. Le deuxième se réfère à la
tradition sociale-démocrate et essaie, sur une ligne de crête, de concilier adaptation au réel et réformes sociales : une tendance incarnée par Martine Aubry, Pier Luigi
Bersani en Italie et, même si c’est
un peu moins vrai aujourd’hui,
Sigmar Gabriel en Allemagne.
Enfin, il y a les héritiers de la
« troisième voie », théorisée dans
les années 1990 par Tony Blair et
Gerhard Schröder, et dont les principaux représentants sont Matteo
Renzi en Italie et, dans des perspectives différentes, Manuel Valls et
Emmanuel Macron en France. Une
de leurs priorités est la réforme du
marché de l’emploi, en rupture s’il
le faut avec la tradition sociale-démocrate afin de résoudre le cancer
du chômage et avec l’idée de reconfigurer les alliances électorales
en faisant route avec les centristes.
Quel avenir voyez-vous au PS ?
Je le vois s’affaiblir durablement.
Ce parti, en plus de la profonde
crise politique et idéologique qu’il
traverse, doit faire face à une situation sociologique inédite, avec
l’éradication d’une bonne partie
de son vivier local au gré des défaites électorales et sa perte d’influence dans la fonction publique.
En revanche, son éclatement,
que certains envisagent, me semble une hypothèse risquée. Le
mode de scrutin n’y incite pas et,
en outre, les scissions de gauche
dans le passé ont toutes échoué,
qu’il s’agisse du Parti socialiste
ouvrier et paysan de Pivert, à la fin
des années 1930, des dissidences
PSA et PSU, à l’époque de Guy Mollet, du Mouvement des citoyens de
Jean-Pierre Chevènement, en 1993,
ou du Parti de gauche de Jean-Luc
Mélenchon, en 2009. Je pense plutôt que ce qui se prépare est moins
une fracture du PS qu’une lutte
sans merci pour son leadership
en 2017. p
propos recueillis par
thomas wieder
france | 11
0123
MARDI 8 MARS 2016
Débat sur le droit
des femmes battues
à se défendre
La députée Valérie Boyer déposera
le 8 mars une proposition de loi instituant
une atténuation de la responsabilité pénale
suite de la première page
La députée souhaite faire reconnaître l’existence d’un syndrome
de la femme battue, également désigné sous le nom d’« emprise ».
Une fois constaté par une expertise médicale, il entraînerait une
irresponsabilité ou une atténuation de la responsabilité pénale.
Un constat est aujourd’hui largement partagé : la situation concrète des femmes victimes de violences est aujourd’hui mal connue
des personnes chargées de les accueillir (quand elles sont victimes),
et de les juger si elles commettent
à leur tour des violences. « On ne
cesse de leur demander, comme à
Jacqueline Sauvage : “Pourquoi
n’êtes-vous pas partie, pourquoi
n’avez-vous pas porté plainte ?”, relève Muriel Salmona, psychiatre
spécialisée dans la prise en charge
des victimes. Cela découle du traumatisme massif qu’elles subissent.
Elles ont un sentiment d’irréalité et
sont à la merci de leur agresseur. »
C’est ce que les professionnels appellent l’« emprise ». « L’altération
des compétences et du discernement des personnes dans cette situation doit être prise en compte »,
affirme Muriel Salmona.
Valérie Boyer travaille depuis
plus d’un an avec les avocates Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta, les conseils de Jacqueline
Sauvage lors du procès en appel,
qui avaient sans succès demandé
l’acquittement en plaidant la légi-
time défense. Elles militent
aujourd’hui en faveur d’une modification de ce régime. « Nous avons
un texte de loi mathématique, argumente Me Tomasini. La riposte
doit avoir lieu en même temps que
l’attaque et doit lui être proportionnée. Mais une femme battue pendant des années est en danger de
mort permanent. »
Jacqueline Sauvage et son avocate, devant la cour d’assises de Loir-et-Cher, à Blois, le 31 janvier. PHILIPPE RENAUD/EPA/MAXPPP
L’exemple canadien
L’avocate se réfère au code pénal
canadien, qui établit une liste de
« faits pertinents » devant être pris
en compte : la taille, l’âge, le sexe
et les capacités physiques des parties en cause, la nature et l’historique de leurs rapports, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force.
Cependant, après avoir consulté
divers avis, Valérie Boyer a préféré
« prendre le temps de la réflexion »
avant d’avancer sur ce terrain jugé
à la fois trop vaste et trop sensible,
et se concentrer sur l’altération du
discernement des femmes battues. Emanant de l’opposition, sa
proposition a peu de chances
d’être adoptée. Mais son constat
est assez proche de celui effectué
par la délégation aux droits des
femmes de l’Assemblée nationale,
qui a publié un rapport et émis des
recommandations le 17 février.
« La légitime défense, c’est tout ou
rien, affirme Catherine Coutelle,
députée (PS) de la Vienne et présidente de la délégation. Si on l’accorde, la personne est déclarée ir-
responsable. On ne peut pas envoyer comme message à ces femmes : “La société a échoué à vous
protéger, nous vous autorisons à
vous faire justice vous-mêmes.” »
Les députés préparent en revanche des amendements afin d’introduire la notion d’« emprise »
dans le code pénal – sans préciser,
pour l’heure, leur teneur exacte.
Ils seront déposés à l’occasion de
l’examen du projet de loi sur la justice du XXIe siècle, qui devrait être
examiné à l’Assemblée nationale
en mai. « Le cas de Jacqueline Sau-
« Le cas
de Jacqueline
Sauvage
a interpellé
tout le monde »
MAUD OLIVIER
députée (PS, Essonne)
vage a interpellé tout le monde, insiste la députée (PS) de l’Essonne
Maud Olivier. Il faut faire reconnaître le rôle de l’antériorité des
violences subies par les femmes
battues. » Les députés demandent
également un état des lieux des
condamnations prononcées contre les conjoints violents, détaillées en fonction de leur sexe,
afin d’avoir une « vision précise de
la jurisprudence ».
Cependant, tout ne se joue pas
dans le code pénal, rappelle la délégation aux droits des femmes,
qui effectue un bilan en demiteinte de la politique de prévention des violences conjugales. « Le
drame de l’affaire Jacqueline Sauvage, c’est aussi qu’elle n’a jamais
trouvé la personne qui aurait pu la
sortir de là », analyse Catherine
Coutelle. L’affaire remonte à plusieurs décennies. Des progrès ont
été effectués récemment, notamment avec la création, en 2010, de
l’ordonnance de protection. Mais
ce dispositif, qui interdit au con-
LE CONTEXTE
joint violent d’entrer en relation
avec sa victime si elle apporte la
preuve d’un danger, reste mal
connu des magistrats.
« Elle est destinée à permettre à
une femme sous emprise, qui a très
peur, de demander une protection
avant la plainte, relève la délégation aux droits des femmes. Or, encore trop souvent, les magistrats
exigent une plainte comme élément de vraisemblance du danger. » Le délai de délivrance est en
outre de trente-sept jours, alors
que le législateur avait envisagé
soixante-douze heures lors de sa
création. Des amendements seront également déposés pour modifier son déclenchement.
L’importance de la formation
de toutes les personnes en relation avec les femmes victimes de
violences (policiers, gendarmes,
médecins, magistrats…) est également jugée capitale. Mais, vu le
nombre de personnes concernées, c’est un chantier de très longue haleine. p
AFFAIRE SAUVAGE
Jacqueline Sauvage, 68 ans, condamnée en appel à dix ans de
prison, le 3 décembre 2015, pour
avoir tué son mari violent de trois
coups de fusil dans le dos
en 2012, après quarante-sept ans
d’enfer conjugal, a été graciée
« partiellement » par François Hollande le 31 janvier. Elle pourrait
ainsi être libérée dès la mi-avril.
AFFAIRE DIMET
Bernadette Dimet, 60 ans, jugée
pour avoir tué son mari à coups
de fusil en 2012 après des années de violences conjugales,
a été condamnée le 5 février à
seulement cinq ans de prison
avec sursis et est ressortie libre
du palais de justice. Le parquet
n’a pas fait appel.
gaëlle dupont
Le CFCM veut ouvrir les institutions musulmanes aux femmes
L’institution devait diffuser le 8 mars un texte affirmant l’égalité de l’homme et de la femme aux yeux de l’islam
C’
est avec un groupe de
femmes que le Conseil
français du culte musulman (CFCM) a rédigé une déclaration à l’occasion du 8 mars et
c’est en soi une petite révolution
pour cette institution quasi-intégralement masculine. Le texte,
qui devait être rendu public mardi
8 mars, affirme l’égalité de
l’homme et de la femme aux yeux
de l’islam. « Malheureusement,
ajoute-t-il, dans de nombreux cas,
ces principes d’égalité et d’équité
ne sont pas respectés par des hommes qui continuent parfois à imposer leur point de vue. Il convient
donc de continuer à mener un travail de pédagogie et d’éducation
pour que les femmes musulmanes
ne soient plus l’objet de discrimination ou de soumission. »
Cette initiative est un premier
petit pas dans un domaine où les
institutions du culte musulman
ont fort à faire. Les femmes sont
notoirement absentes non seulement du CFCM, l’institution créée
en 2003 à l’initiative de Nicolas
Sarkozy pour représenter cette religion auprès des pouvoirs publics, mais aussi de la vie de l’immense majorité des lieux de cultes. Hanane Karimi en sait quelque chose. Il y a deux ans, cette
doctorante en sociologie a créé un
collectif intitulé « Les femmes
dans la mosquée » pour protester
contre la décision de la Grande
mosquée de Paris d’interdire la
salle principale aux femmes et de
les expédier prier au sous-sol.
Cette mosquée emblématique
n’est pas la seule en cause. « Dans
la majorité des mosquées de
France, explique Hanane Karimi,
les femmes ne sont pas les bienvenues. On les présente comme des
facteurs de tentation, de fitna [division]. Ce discours n’est plus possible ! » « Les femmes dans la mosquée » reproche à ceux qui les dirigent d’importer des pays d’origine
des migrations un « islam culturel » dont ne veulent pas les générations nées en France. « Ce sont
eux qui ont les positions de pouvoir,
affirme la jeune femme. Ce sont
eux qui peuvent changer les choses.
Si les grandes fédérations décidaient d’ouvrir un espace aux femmes dans la salle principale de leurs
mosquées, ce serait un vrai progrès. » En attendant, elle rêve d’une
mosquée pour femmes, comme il
en existe dans d’autres pays.
Le CFCM peu représentatif
La place des femmes n’est qu’un
des aspects de la distance qui
existe entre les gestionnaires du
culte et de nombreux Français
musulmans. Mais ceux-ci, après
une attitude quelque peu léthargique ces dernières années, ont
été bousculés par « la situation critique après les attentats », selon la
formule d’Anouar Kbibech, et la
volonté du gouvernement de diversifier ses interlocuteurs musulmans à travers l’instance de
dialogue, qui se réunira au ministère de l’intérieur pour la
deuxième fois le 21 mars.
Anouar Kbibech, qui préside
pour deux ans le CFCM, est conscient de ce décalage. Bien qu’issu
de la mécanique CFCM, ce diri-
geant d’une fédération liée au
Maroc, qui a succédé en juin 2015
à Dalil Boubakeur, d’origine algérienne, a lancé une opération visant à « ouvrir » cette institution
aux femmes, donc, mais aussi
aux jeunes et aux convertis. Trois
groupes de travail ont commencé
à se réunir. Ces publics apparaissent comme des alliés pour
« améliorer l’image de l’islam dans
les médias », selon son expression, mais ils tournent jusqu’ici
souvent le dos à une institution
qu’ils considèrent comme peu représentative du terrain et surtout
proche de l’Etat. Pour Anouar Kbibech, « le but est qu’à terme, les jeunes et les femmes soient associés,
de façon d’abord informelle, aux
instances du CFCM », qui ne seront
pas renouvelées avant 2019.
Parmi les autres missions que le
CFCM n’a jamais menées à bien, il
en est une qu’Anouar Kbibech
compte faire aboutir. C’est la mise
au point d’une charte du hallal. « Il
n’existe pas aujourd’hui de définition de ce qu’est le hallal », relèvet-il. Depuis une vingtaine d’années, trois grandes mosquées
(Paris, Lyon, Evry) ont un pouvoir
d’agrément des sacrificateurs.
Mais cela ne suffit pas, loin s’en
faut, à certifier la chaîne, de la production à la distribution. Le CFCM a
engagé des discussions avec les acteurs de la filière et « espère signer
un référentiel avant fin mars. »
En ce qui concerne les imams,
Anouar Kbibech voudrait aussi
instituer « une recommandation
par le CFCM » sur la base de trois
critères : la formation théologi-
que de l’imam ; sa formation au
cadre juridique français ; et le fait
qu’il signe une charte, en cours de
rédaction, l’engageant à un islam
« respectueux de la République ».
Cette recommandation serait
attribuée sur la base du volontariat. Un conseil théologique serait
institué pour y participer.
Enfin le CFCM compte bénéficier de la refondation de la Fondation des œuvres de l’islam de
France. Initialement fondée
en 2006 pour financer le Conseil,
la construction de lieux de culte et
la formation de cadres, elle s’est
rapidement trouvée paralysée entre les différentes fédérations.
Après les attentats de 2015, le gouvernement a confié à un haut
fonctionnaire du ministère de
l’intérieur, Christian Poncet, le
soin de la relancer sur de nouvelles bases. Elle devrait être financée
par des entreprises pour un budget espéré de 5 millions d’euros. p
cécile chambraud
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12 | france
0123
MARDI 8 MARS 2016
Marseille tourne la page
de ses « bars américains »
Après la fermeture par la justice de dix bars à hôtesses,
la ville espère transformer le quartier de l’Opéra
marseille - correspondant
C
ibles d’une enquête pour
proxénétisme aggravé,
dix « bars à hôtesses » du
quartier de l’Opéra à
Marseille, à deux pas du VieuxPort, sont sous le coup d’une fermeture ordonnée par la justice
après un vaste coup de filet fin
2015. Quadrilatère bobo le jour, ces
quelques rues autour de l’opéra
municipal se transforment en basfonds la nuit. Plus pour longtemps, espère la municipalité, qui
souhaite profiter de ces fermetures pour transformer le quartier.
Est-ce l’une des dernières pages
d’un Marseille pittoresque que la
police judiciaire a tournée ? Sur
les façades souvent miteuses du
Ginger, du 5e Saëns, du Dark Side,
du Brasilia ou du Sweet Lady, hier
ouverts jusqu’à 6 heures du matin, les scellés ont été apposés. Les
néons aux couleurs criardes ne
clignotent plus et les dames court
vêtues ont quitté leur tabouret
haut, placé en vitrine, d’où elles
apostrophaient les hommes passant rue Glandeves : « Hé chéri ! »
« Prime au bouchon »
Baptisée « Affaire Brazil » par la
brigade de répression des trafics
et du proxénétisme, l’enquête
ouverte après la plainte d’une ancienne « hôtesse » en 2014 a conduit une dizaine de gérantes,
soupçonnées de jouer les mères
maquerelles, à la maison d’arrêt
des femmes des Baumettes. Elles
sont le plus souvent sexagénaires,
la plus âgée frôlant les 70 ans. Des
mois de surveillance téléphonique, de sonorisation de véhicules,
ont convaincu la justice que ces
« bars à champagne » – les hôtesses parlent de « bars de passes » ou
Le client payait
la bouteille de
champagne entre
250 et 400 euros,
prix masquant
le règlement
d’une « passe »
de « bars à putes » – abritaient « un
proxénétisme discret ».
Dans ces établissements, le
client payait la bouteille de champagne entre 250 et 400 euros, prix
masquant en réalité le règlement
d’une « passe » pratiquée dans un
hôtel voisin, « un salon privé » du
bar, voire « derrière un rideau qu’on
baisse ». La prestation sexuelle
était différente pour le règlement
d’un simple verre payé entre 20 et
60 euros. Les hôtesses étaient
payées 20 euros par nuit et « la
prime au bouchon » leur rapportait 80 euros sur la bouteille et
10 euros sur le verre.
Pièces incontournables de ce
proxénétisme, les gérantes et les
barmaids – beaucoup d’entre elles
ont pratiqué la prostitution ou
travaillé comme hôtesses – ont
toutes nié se livrer au proxénétisme. « Nous, on vend du vent »,
assure ainsi la patronne du Sweet
Lady. « Je leur demande juste de discuter avec le client, le côté charnel,
la séduction », renchérit « Gigi » du
Dark Side. « Tant que je n’aurai pas
vu de mes propres yeux que des hôtesses se livrent à la prostitution, je
ne le croirai pas », assène Chantal,
gérante du Brasilia et du Beverly.
Et quand le juge d’instruction demande : « Quel intérêt il y a alors
pour le client d’acheter une bou-
teille 300 euros ? », la gérante répond : « Il y a un côté festif et c’est
marrant ».
Une barmaid du Sweet Lady l’a
cependant reconnu à demi-mot :
« Il arrivait qu’après une ou deux
bouteilles, si le client voulait, s’il y
avait une bonne entente avec l’hôtesse et si elle était d’accord, qu’ils
s’isolent dans l’un des deux salons
privés. » Sur les écoutes, les propos
des gérantes entre elles se font
plus crus, soulignant que la prostitution des hôtesses est le meilleur
moyen de faire décoller un chiffre
d’affaires. Souvent le champagne
servi était coupé d’eau ou, comme
l’avoue une patronne, « c’est du
mousseux qu’on achète 1,50 euro à
l’épicerie d’en face ».
Cocaïne
Les victimes sont nombreuses en
raison d’un grand turnover des hôtesses. L’une d’elles a raconté comment la gérante l’avait embauchée
« simplement pour inciter les clients
à consommer » avant de recevoir le
conseil de se montrer « plus aguichante ». « Un jour, elle m’a dit que
je devais me débloquer et m’a demandé de monter avec un client habituel. Elle a dit qu’elle avait mes papiers et mes affaires chez elle et que
je lui étais redevable. » Pour tenir
parce que « les clients arrivent à 3
ou 4 heures du matin et que les
nuits sont longues », les hôtesses
consommaient de la cocaïne.
Deux fournisseurs des bars de
l’Opéra ont été mis en examen.
En 2001 déjà, la police était intervenue dans ces bars dits « américains » parce que, longtemps, les
escales des navires de guerre des
Etats-Unis dans le port de Marseille leur apportaient une clientèle massive. Cette fois, la ville entend en finir avec ce Marseille sul-
fureux de la nuit et « requalifier »
le quartier de l’Opéra. « Je sais déjà
ce que je ne veux pas, explique Sabine Bernasconi (LR), maire des 1er
et 7e arrondissements, pas de bars
à chicha, pas de snacks et tout ce
qui pourrait tirer vers le bas alors
qu’avec dix cellules commerciales
qui se libèrent d’un coup, nous
avons l’occasion de remplacer ces
commerces de façon ambitieuse. »
« Clientèle encadrée et tenue »
Pas question cependant d’étouffer
la vie nocturne de l’Opéra où fonctionnent boîtes de nuit et pianosbars, de véritables institutions
« avec une clientèle encadrée et tenue ». La préfecture de police affiche également « une volonté d’assainir le secteur tout en lui gardant
sa vocation nocturne ». A droite
comme à gauche, on insiste sur la
nécessité de « gentrifier » ce quartier où dans la journée fonctionnent déjà des bars et restaurants
branchés. « Franchement, plaide
Patrick Mennucci, député (PS) de la
circonscription, avoir des basfonds aussi bas de gamme, ça n’a
plus d’intérêt quand la prostitution
passe aujourd’hui par Internet. »
La mort annoncée des bars à
champagne n’émeut que quelques nostalgiques. « Marseille est
un port avec des marins et quel intérêt y a-t-il à nettoyer ce cœur de
ville si, dans ces établissements où
travaillent des malheureuses, il n’y
a pas de violence ? », s’interroge
Me Jean-Jacques Campana, avocat
d’une des gérantes.
Edouard, qui, dans son minuscule atelier d’horlogerie ouvrant
sur la place de l’Opéra, a réparé les
montres de luxe des parrains corso-marseillais dont le quartier a
longtemps été le fief, s’accommodait parfaitement de la cohabitation. A 77 ans, il raconte qu’un jour,
alors qu’il réparait le bijou d’une
prostituée du quartier, celle-ci
s’était fait apostropher par une collègue : « Rachel, viens vite ! Y’a les
bateaux américains. » Et la cliente
de rétorquer : « Je fais pas les Américains, ça boit comme des Polonais
et ça te transpire sur le ventre. »
« C’était ça, notre vieux Marseille »,
soupire l’artisan avant de le reconnaître : « C’est vrai qu’aujourd’hui,
c’est tout à fait autre chose. » p
luc leroux
Le « dentiste boucher » de Château-Chinon face à ses victimes
Le Néerlandais « Mark » Van Nierop est jugé à partir de mardi pour avoir mutilé plus d’une centaine de patients dans la Nièvre entre 2008 et 2012
D
es dents saines arrachées
ou dévitalisées, des mâchoires percées et infectées, des implants mal posés, des
fragments de racine ou des morceaux d’instrument laissés dans
la gencive. Le procès qui s’ouvre,
mardi 8 mars, au tribunal correctionnel de Nevers devra déterminer ce qui a poussé l’ancien dentiste néerlandais Jacobus Marinus
– dit « Mark » – Van Nierop,
aujourd’hui âgé de 51 ans, à commettre de tels dégâts et à causer
de telles souffrances chez plus
d’une centaine de ses patients, à
Château-Chinon (Nièvre), entre
fin 2008 et juillet 2012.
Poursuivi pour « escroqueries »,
« faux et usage de faux » et « violences volontaires ayant entraîné
une mutilation ou une infirmité
permanente », celui qui a été surnommé le « dentiste de l’hor-
reur » ou le « dentiste boucher »
encourt dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.
Arrêté au Canada en 2014 et extradé vers les Pays-Bas, car il s’accusait du meurtre de sa seconde
épouse quelques années plus tôt,
il n’a été remis à la justice française qu’en janvier 2015.
Recruté par un chasseur de têtes,
« Mark » Van Nierop avait été accueilli en 2008 avec soulagement
par les habitants de Château-Chinon, un désert médical où le précédent dentiste avait fermé les
portes de son cabinet deux ans
plus tôt, en 2006. Pour avoir le
droit de s’installer et pour bénéficier des aides fiscales, M. Van Nierop avait caché au conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la
Nièvre les poursuites disciplinaires et les plaintes dont il faisait
déjà l’objet aux Pays-Bas.
venant
de choc
Afin de faire rentrer rapidement
de l’argent et de financer un train
de vie en apparence élevé, le dentiste multiplie rapidement les actes, en surfacture certains et en invente d’autres de toutes pièces. Il
propose également parfois le
paiement en liquide contre une
réduction de moitié du montant
des soins, qui peut s’élever à plusieurs milliers d’euros. « Petit piqûre, pas faire mal », a-t-il coutume de lancer à ses patients dans
un français rudimentaire avant
de les anesthésier lourdement
pour plusieurs heures, et de partir
s’occuper parallèlement d’un
autre patient à l’étage du cabinet…
Signaux d’alerte
Ces pratiques sont parfois à l’origine de mutilations irréversibles.
Certaines victimes ont perdu jusqu’à seize dents après être passées
entre ses mains. « Il m’a fait sept
ou huit piqûres, m’a arraché huit
dents d’un coup et a posé l’appareil
à vif. Je pissais le sang. Pendant
trois jours ! », a par exemple témoigné, auprès de l’AFP, une
femme de 65 ans opérée en
mars 2012 pour la pose d’un appareil dentaire. Une autre a connu
un début d’infarctus en raison du
produit anesthésiant qui lui avait
été administré. L’expertise de l’ordinateur du dentiste montrera
qu’il ne procédait pas systématiquement à des clichés radiographiques des dents sur lesquelles il
travaillait.
A partir de 2011, les signaux
d’alerte passent au rouge les uns
après les autres. Prévenu par plusieurs dentistes de la région qui
ont récupéré des patients blessés
après une intervention de M. Van
Nierop, le conseil départemental
de l’ordre des chirurgiens-dentistes entame des poursuites disciplinaires. Parallèlement, un collectif de patients victimes alerte
les autorités sanitaires et judiciaires. La Caisse primaire d’assurance-maladie de la Nièvre ouvre elle
aussi sa propre enquête, soupçonnant des facturations abusives. Le
dentiste est finalement mis en
examen en mai 2013.
« “Mark” Van Nierop reconnaît
n’avoir pas bien travaillé, [mais] il
considère qu’il n’est pas le personnage horrible que certains ont décrit », a fait valoir son avocate, Delphine Morin-Meneghel, dans Le
Journal du Centre en janvier. Aux
policiers, le dentiste avait expliqué qu’il avait appliqué en France
des techniques néerlandaises, jugeant n’avoir pas été informé des
pratiques à adopter en France.
Au tribunal de Nevers, les débats
nicolas demorand
le 18/20
monde
15 un jour dans le mond
18:15
19:20 le téléphone sonne
porteront sur le profil psychologique et psychiatrique de l’accusé,
qui assure souffrir de problèmes
de type borderline, avec des phases maniaques et dépressives.
Aux juges, il a ainsi expliqué connaître des « problématiques
d’identité sexuelle » et des « tendances suicidaires ».
Un expert psychologue a qualifié M. Van Nierop de « personnalité narcissique » avec un « défaut
majeur de compassion ». Un autre
expert a relevé « l’aspect cruel et
pervers » du dentiste qui faisait
payer des prothèses à une patiente aux faibles revenus et posait des prothèses immédiatement après, sans attendre la cicatrisation, « sachant pertinemment
qu’il allait créer une souffrance
qu’il refuserait de soulager ensuite ». p
françois béguin
avec les chroniques
d’Arnaud Leparmentier
et d’Alain Frachon
dans un jour dans le monde
de 18 :15 à 19 :00
france | 13
0123
MARDI 8 MARS 2016
Le camp de Grande-Synthe, un « anti-Calais »
Un millier de migrants doivent
rejoindre, d’ici au 9 mars,
le premier camp humanitaire
en France, géré par Médecins
sans frontières
Grande-Synthe
DERNIÈRE ÉTAPE SUR LA ROUTE
POUR LE ROYAUME-UNI...
Vers Rotterdam
Pour faire face à l’urgence du
bidonville insalubre du
Vers Hull
Basroch, qui est passé en
Vers Harwich
quelques mois de 80 à 2 900
personnes (début décembre
2015), la municipalité a
Zeebruges
demandé à Médecins sans
frontières d’aménager un
Ostende
camp humanitaire.
ROYAUME-UNI
Douvres
Folkestone
Principal axe autoroutier
emprunté par les migrants
Principale ligne de ferry
Eurotunnel
Frontière extérieure de l'espace
Schengen. Renforcement des
contrôles en France depuis 2003
Dunkerque
... LE NORD DE LA FRANCE EST
CONFRONTÉ À LA PRESSION
MIGRATOIRE
Téteghem
« Jungle » de Calais
A2
6
e
a
Lens
Autre campement informel
de migrants...
A1
a
Déplacement probable des
migrants fuyant l’évacuation
de la « jungle » de Calais
NORD-PAS-DE-CALAIS-PICARDIE
... dont camp démantelé
Calais
Ce bidonville toléré depuis
avril 2015 accueillerait entre
4 000 et 7 000 personnes.
Dans le but de recevoir sur le
site un maximum de 2 000
migrants, l’Etat a commencé
le démantèlement de la
partie sud et aménagé dans
la partie nord un centre
d’accueil provisoire, fermé et
sécurisé, de 1 500 places en
conteneurs.
20 km
Contrôles rétablis par la Belgique,
depuis le 23 février pour stopper un
éventuel afflux de migrants
Arras
A16
LE CAMP DE MÉDECINS SANS FRONTIÈRES (MSF)
Amiens
UN CAMP AMÉNAGÉ...
Terrain assaini
pour éviter la boue
Eclairage
Auchan
20 mn à pied
Bâtiments
désaffectés
Abri en bois, prévu pour
quatre personnes
Pont piétonnier
ZONE 1
Six zones, unités de vie
dotées d’infrastructures
...RÉPONDANT
...REPONDANT AUX NORMES
INTERNATIONALES...
Bois et bosquets en
zone inondable
Decathlon
Route boueuse
15 mn à pied
Clairière marécageuse
Jardiland
Zone de tentes
...AUX INFRASTRUCTURES
INSUFFISANTES ET
SOUMISES AU RACKET...
ZONE PAVILLONNAIRE
Entrée
principale
Stadium du littoral
Toilettes et douches
pour un camp ayant
accueilli jusqu’à 2 900
personnes
Point d’eau potable
Prises électriques
pour recharger les
téléphones...
Clinique mobile
(camion)
Tente de distribution
(nourriture, vêtements,
médicaments)
ZONE
D’ACTIVITÉS
Lieu de vie
Toilettes et douches
multiples
Cabanons en bois,
(3,60 m sur 2,60 m).
Oganisés alternativement
en rangées et îlots pour
créer la possibilité
d’espaces de vie
Zone réservée aux
personnes vulnérables
(femmes et enfants)
Zone organisée
pour recharger
les téléphones
71 abris
72 abris
Lac
du Puythouck
ZONE 4
77 abris
ZONE 5
71 abris
Zones
en cours
d’aménagement
Bâtiment médical
(médecin, infirmiers,
gynécologue)
...MAIS EXCENTRÉ
ET ENCLAVÉ
ZONE 2
ZONE 3
Espace de vie collective à
aménager par les
associations (cuisine,
école...)
Zone de stockage
et/ou de distribution
(fuel, kit nouvel arrivant...)
Bâtiment médical
Voi
e
UN BIDONVILLE
INSALUBRE...
Route asphaltée
permettant une
intervention d’urgence
ZONE 6
Us
66 abris
N
Entrée
200 m
Autoroute
Voies ferrées
Bâtiments désaffectés
...MAIS À PROXIMITÉ
DES COMMERCES
Habitat pavillonnaire
A16
Commerce
alimentaire
N
A 16
200 m
oulin
SOURCES : MÉDECINS SANS FRONTIÈRES ; AFP ; LA VOIX DU NORD ; LE MONDE
Entrée
Zone
d’accueil
A16
LE BIDONVILLE DU BASROCH
20 abris
s fe
rré
es
L
M
c
n
A25
Béthune
h
Bidonville de Grande-Synthe
BELGIQUE
La Manche
Grillage construit par la
mairie à la demande de
la préfecture
Dunkerque
Supermarché
GrandeSynthe
Laverie
Grands commerces
(bottes, tentes,
bâches...)
A16
C
Dunkerque à concevoir le premier
camp en terre française. Quarante kilomètres séparent Calais et Grande-Synthe. Il y a quelques mois, les « jungles »
de ces deux villes se ressemblaient.
Aujourd’hui, les camps de réfugiés de
chacune d’elles sont à des années-lumière. Et le camp de Grande-Synthe
n’a pas pour vocation d’accueillir les
migrants « expropriés » de Calais.
Modèles différents
A Calais, l’Etat – qui s’est rendu à l’évidence, en août 2015, qu’il lui fallait offrir des abris – a opté pour un alignement de 125 conteneurs de 12 places,
chauffés, numérotés. A Grande-Synthe, MSF a installé des cabanons de
bois rangés par microquartiers ;
213 abris chauffés y sont à la disposi-
tion de groupes de quatre personnes.
A Calais, cinq mois et plus de 15 millions d’euros ont été nécessaires pour
abriter 1 500 personnes. Quand, dans
la commune proche de Dunkerque,
une fois obtenu le feu vert préfectoral,
les humanitaires ont ouvert un camp
en moins de deux mois pour un coût
de 3,1 millions d’euros.
Les modèles diffèrent. « Là où l’Etat
fait appel à un prestataire pour la nourriture, nous misons sur une solidarité citoyenne. Les gens ont envie d’aider,
nous l’observons ici depuis des mois »,
rappelle Angélique Muller, responsable du projet pour MSF.
Utopia 56, qui assure la logistique du
festival des Vieilles Charrues en Bretagne, a été choisie par la mairie pour gérer les services, quand une autre asso-
Cappellela-Grande
N225
CAMP MSF
e jour est à marquer d’une
pierre blanche. Pour la première fois, une association
humanitaire, habituée aux
horizons lointains, ouvre en France
un camp pour les migrants. Après des
mois de survie sous des tentes, dans la
boue, les 1 050 exilés en transit à
Grande-Synthe (Nord), près de Dunkerque, vont pouvoir, ce lundi 7 mars,
rejoindre un lieu de vie répondant
aux normes internationales.
Las d’un Etat peu désireux de l’aider à
offrir un accueil digne aux exilés kurdes bloqués chez lui, Damien Carême,
maire EELV de Grande-Synthe, une
ville de 21 000 habitants, a fait appel à
Médecins sans frontières (MSF) fin décembre 2015. Depuis, les French Doctors travaillent dans la banlieue de
CAMP DU
BASROCH
ciation s’occupera des sanitaires. Les
bénévoles et associations diverses resteront les bienvenus, mais dans cet espace structuré.
MSF et Médecins du monde disposeront, eux, d’une véritable clinique en
dur ; un souhait fort pour Damien Carême, ce maire qui rêve depuis des années d’installer dans sa ville une
« maison des migrants ». Quelque
2,5 millions d’euros devraient être nécessaires pour faire fonctionner le lieu
en 2016. « Une somme que la commune ne peut prendre en charge et qui
devrait être financée par l’Etat », estime M. Carême.
Fort de sa vocation humanitaire et
non policière, MSF s’est refusé à instaurer un contrôle des entrées et des
sorties, contrairement au camp d’Etat
2 km
de Calais. Le maire espère néanmoins
limiter l’impact des passeurs sur la vie
du nouveau lieu. Les 17 arrestations
qui viennent d’avoir lieu lui donnent
bon espoir, bien que son camp soit
rempli de familles qui ont besoin des
passeurs à qui elles ont déjà payé un
« ticket » pour la Grande-Bretagne.
Si le déménagement reste fondé sur
le volontariat, la municipalité, qui
prête cinq bus durant trois jours,
compte raser les restes de l’ancien
camp dès jeudi. MSF aurait aimé un
temps plus long. Une simple sécurité,
si l’on en croit les 600 personnes déjà
inscrites sur les listes des humanitaires pour déménager. p
maryline baumard,
francesca fattori et delphine papin
infographie : sylvie gittus-pourrias
14 | reportage
0123
MARDI 8 MARS 2016
Un réfugié syrien de Deir ez-Zor
retrouve sa famille, arrivée en ferry
au port du Pirée, à Athènes, le 1er mars.
ALKIS KONSTANTINIDIS/REUTERS
La nuit tombée, certains migrants
quittent la place Victoria, dans
le centre d’Athènes, pour passer la nuit
dans un centre d’hébergement
(ici le 3 mars). PANAYOTIS TZAMAROS/AFP
reportage | 15
0123
MARDI 8 MARS 2016
Place
Victoria,
la nuit
du 3 mars.
PANAYOTIS
TZAMAROS/AFP
Des produits de première nécessité sont distribués
par des bénévoles aux migrants, pour la plupart afghans,
place Victoria, le 3 mars. ALKIS KONSTANTINIDIS/REUTERS
Des centaines de personnes attendent chaque
jour de pouvoir reprendre leur route vers l’Europe
de l’Ouest. PANAYOTIS TZAMAROS/AFP
Le 5 mars, la police a chassé les migrants qui
dormaient sur la place Victoria, dans les stations
de métro ou parfois à même le sol. PANAYOTIS TZAMAROS/AFP
Les migrants parias de la Grèce
Depuis le 21 février, seuls les Syriens et les Irakiens sont autorisés à passer la frontière
avec la Macédoine. Les autres craignent d’être expulsés. Une situation explosive
adéa guillot
athènes - correspondance
I
l y a aujourd’hui en Grèce environ
35 000 réfugiés bloqués, dont un peu
moins de 10 000 à Athènes. La capitale
n’est pas en état de siège. La vie quotidienne continue pour la grande majorité de la population. Mais certains
quartiers, traditionnellement lieux d’accueil
ou de transit de migrants, sont débordés par les
milliers de réfugiés refoulés à la frontière macédonienne. Tout commence au port du Pirée,
où près de 3 000 personnes étaient, ce weekend encore, massées, dans des conditions d’hy-
giène déplorables, dans les terminaux normalement réservés aux passagers. Les bénévoles
se relaient sans relâche pour nourrir, assister,
rassurer la grande majorité de familles syriennes et irakiennes débarquées des îles du Dodécanèse qui attendent de pouvoir monter dans
les bus à destination d’Idomeni, petit village
grec à la frontière macédonienne, où s’entassent désormais plus de 12 000 réfugiés.
CONDITIONS D’HYGIÈNE DÉPLORABLES
Depuis le 21 février, seuls les Syriens et les Irakiens sont autorisés à passer la frontière, les
Afghans, les Somaliens, les Iraniens, les Marocains ou les Algériens sont, eux, coincés à Athènes. Les moins démunis vivent dans de petits
hôtels glauques ou des appartements communautaires autour de la place Omonia, le lieu de
tous les trafics à Athènes. Les autres dormaient, jusqu’au samedi 5 mars, sur la place
Victoria. A même le sol, sur les bancs, dans les
allées voisines ou les stations de métro.
Samedi, une opération policière a vidé les
lieux. Direction les bâtiments désaffectés depuis 2004 de l’ancien aéroport Helleniko. Là
encore, sans douches ni sanitaires, les conditions d’hygiène sont déplorables et l’approvisionnement en vivres des 3 800 migrants présents largement laissé aux volontaires. Les centres les plus organisés de la capitale grecque, les
camps d’Elaionas (700 réfugiés) et de Schisto
(1 500), sont aujourd’hui remplis d’Afghans, blo-
qués pour un temps indéterminé. Les Marocains et les Algériens arrêtés par la police sont,
eux, transférés vers des centres de rétention
autour d’Athènes dans l’attente de leur expulsion vers la Turquie.
Personne ne veut rester en Grèce. Et la place
Victoria est devenue la plaque tournante de
tous les passeurs. Athènes et ses citoyens font
preuve d’une solidarité et d’un engagement
exemplaires. Mais, en moyenne, 2 000 réfugiés
affluent chaque jour sur les îles de la mer Egée,
dont environ 40 % de nationalités désormais refoulées. La situation est explosive. Conscient de
l’impuissance de l’Europe à empêcher des Etats
de fermer seuls leurs frontières, Athènes attend
beaucoup du sommet UE-Turquie du 7 mars. p
16 | enquête
0123
MARDI 8 MARS 2016
Réfugiés non grata
Les élections en Allemagne 1|3
En Saxe, dans l’ex-RDA, les attaques
contre les migrants se multiplient.
Une haine attisée par les partis
populistes et d’extrême droite
à la veille des régionales du 13 mars
jean-baptiste chastand
dresde, clausnitz, bautzen, stollberg,
hohenmölsen (saxe) - envoyé spécial
D
epuis une semaine, Lena Aba
Zid et ses deux sœurs ne sont
pas sorties seules de leur petit appartement. « On a trop
peur, on veut partir d’ici le
plus vite possible », souffle
cette Syrienne de 42 ans. A son arrivée à Clausnitz, petit village allemand perdu dans les
monts Métallifères à la frontière de la République tchèque, le 18 février, Lena et une dizaine
d’autres réfugiés ont été accueillis par une
centaine d’habitants hurlant leur opposition
devant le bus. Publiées sur Internet, les images
montrant son visage effrayé et celui d’enfants
en larmes ont choqué toute l’Allemagne.
Depuis, à l’exception de deux voisines, « personne d’ici n’est venu nous aider ou nous parler », dit Lena. Dans ce coin de Saxe, elle ne
peut compter que sur les bénévoles venus
spontanément du reste de l’Allemagne pour
faire quelques courses. L’ancien directeur du
centre d’accueil, un membre du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland
(AfD), a été écarté quand la presse allemande a
révélé que son frère était l’organisateur de la
manifestation antiréfugiés. Son remplaçant,
un peu perdu, sans traducteur, essaye depuis,
tant bien que mal, de les rassurer. « On va essayer de leur donner envie de rester », promet le
maire sans étiquette. Mais la partie ne semble
pas gagnée. « On n’avait pas de réfugiés jusqu’ici et c’était très bien », lâche une passante.
Avec ces images-chocs, Clausnitz a brutalement rappelé que l’arrivée d’un million de réfugiés en 2015 est loin d’avoir été acceptée par
tous les Allemands. Et que ceux qui s’y opposent sont de plus en plus radicalisés. Déjà berceau depuis octobre 2014 du mouvement antiislam Pegida, le Land de Saxe est particulièrement concerné. Dans cette région récemment
qualifiée de « tache de la honte » par un tabloïd
ouest-allemand, il ne se passe pas un weekend sans qu’une attaque antiréfugiés soit signalée. « Clausnitz a fait scandale car les habitants ont été assez bêtes pour mettre la vidéo
sur Internet. Mais c’était loin d’être la première
fois que des manifestants bloquaient un bus
avec des réfugiés », déplore Jane Viola Felber,
du Kulturbüro Sachsen, une association qui
lutte contre l’extrême droite dans la région.
Deux jours après Clausnitz, des citoyens
avinés ont ralenti l’intervention des pompiers devant l’incendie d’un futur centre de
réfugiés, à Bautzen, en montrant « une joie
non dissimulée », selon la police. En 2015, la
Saxe a concentré 17 % des attaques contre des
centres de réfugiés et plus d’un tiers des manifestations de toute l’Allemagne. Ce dimanche 28 février, ils sont près d’un millier à parcourir les rues glaciales de Stollberg, une
commune de 11 500 habitants, située sur les
contreforts des monts Métallifères. Certes, il
y a quelques crânes rasés et des drapeaux célébrant le deuxième Reich. Mais il y a aussi
des familles avec enfants et des retraités. « Je
suis venu pour montrer que l’islam ne fait pas
partie de l’Allemagne », dit l’un d’eux, sous
couvert d’anonymat.
PAYSBAS
Berlin
POLOGNE
Mer
Baltique
Mer
du Nord
ALLEMAGNE
Hohenmölsen SAXE Bautzen
Dresde
Clausnitz
Stollberg
B.
RÉPUBLIQUE
TCHÈQUE
L.
FRANCE
100 km
SUISSE
AUTRICHE
ALE+ALE
A Stollberg, les pancartes accusent Angela
Merkel d’être « la reine des passeurs ». Et la
foule applaudit les propos les plus durs des
orateurs, dont certains ne cachent pas leur appartenance au parti néonazi NPD (Parti national-démocrate). « S’il en allait de mes enfants,
moi aussi je me tiendrais debout devant les bus
de réfugiés », proclame l’un d’entre eux. « Résistance, résistance », lui répond la foule. Les
journalistes sont accusés de manipulation.
« Lügenpresse » (« presse menteuse »), tranche
l’orateur en employant un terme utilisé par les
nazis dans les années 1930. Ce soir-là, aucune
contre-manifestation n’a été organisée : les
célèbres mouvements antifascistes allemands
ne font même plus le déplacement.
MENACE « SOUS-ESTIMÉE »
Si toute la Saxe n’est pas brune, loin s’en faut,
l’extrême droite y a gagné la bataille de la rue.
De quoi plomber la fête en l’honneur des milliers de bénévoles qui aident les réfugiés, donnée le 26 février à la patinoire de Dresde. « Cela
me donne de la force de voir qu’on est nombreux », assure Linda Becker, 40 ans, qui
anime un réseau de bénévoles dans une commune de 9 000 habitants où sont hébergés
120 réfugiés. « Mais je suis surtout venue pour
poser une question sur la sécurité des réfugiés
dans notre ville, explique-t-elle. Il y a deux semaines, des gens sont venus frapper avec des
couteaux aux fenêtres des appartements de
certains réfugiés en pleine nuit. Ils ont eu peur
et se sont réfugiés à l’étage du dessus. Ils n’ont
même pas appelé la police. De toute façon, la
nuit, il n’y en a pas dans notre ville, il faut quarante-cinq minutes pour qu’ils arrivent. »
Sur scène, Stanislaw Tillich, le ministre président CDU (Union chrétienne-démocrate, conservateurs) du Land de Saxe, prend un ton
grave. Il sait que l’heure n’est pas à la fête.
« Nous avons un problème avec l’extrême
droite », admet le responsable politique. Il promet le déploiement de cent policiers supplémentaires et un renforcement de la justice.
Les propos sont forts car la CDU, qui gouverne
la région depuis la réunification, est accusée
d’avoir trop longtemps fermé les yeux.
M. Tillich admettra quelques jours plus tard
avoir lui-même « sous-estimé » la menace.
Si Clausnitz a réveillé les consciences, la Saxe
a un problème depuis longtemps avec l’extrême droite. « Des néonazis, il y en a toujours
eu ici », observe Jane Viola Felber. Le Land a été
la base de repli de la NSU (Nationalsozialistischer Untergrund, « clandestinité nationalesocialiste »), cette organisation secrète accusée
L’EXTRÊME DROITE
A SU JOUER SUR
LES SENTIMENTS
AMBIVALENTS DE
RELÉGATION ET DE
FIERTÉ QUI ANIMENT
LES SAXONS
d’assassinats racistes dans toute l’Allemagne,
de 2000 à 2011. Longtemps, cette implantation
s’est expliquée par la mauvaise situation économique du Land après la réunification, mais
l’argument n’est plus aussi fort. En Saxe, le
chômage (8,5 %) a beaucoup baissé ces dernières années, à l’image du reste de l’Allemagne. Il
est certes au-dessous de la moyenne des
autres Länder d’ex-RDA, moins touchés par la
violence d’extrême droite, mais reste supérieur à la moyenne nationale (4,3 %).
Selon Hans Vorländer, chercheur à l’université technique de Dresde et auteur d’un
ouvrage sur Pegida, en Saxe, la société civile a
été encore plus imprégnée par le communisme que dans le reste de l’Allemagne de l’Est.
« Les citoyens ont traversé un grand processus
de transformation sociale sans le soutien d’organisations intermédiaires », avance-t-il. La faiblesse des églises, des syndicats, des partis politiques y est encore plus patente que dans le
reste de l’ex-RDA. Il pointe aussi l’existence
d’un « chauvinisme » associé à l’histoire spécifique de l’Electorat de Saxe au sein du Saint
Empire romain germanique. « Les Saxons ont
toujours été plus conservateurs que le reste de
l’ex-RDA. Du coup, les responsables CDU ont
réagi trop tard au mouvement Pegida après
avoir longtemps montré une sympathie pour
ceux qui y participent », ajoute le chercheur.
La plus grande réussite de l’extrême droite
est d’avoir su jouer sur les sentiments ambivalents de relégation et de fierté qui animent les
Saxons. Côté fierté, les antiréfugiés locaux ont
l’impression d’être, comme en 1989, au cœur
de la révolution contre le pouvoir. Comme à
l’époque, les manifestations de Pegida ont lieu
tous les lundis. On y crie « Wir sind das Volk »
(« nous sommes le peuple »), le slogan historique du mouvement anti-RDA. Côté relégation,
l’extrême droite joue sur l’angoisse démographique qui existe partout en Allemagne, encore plus forte dans un Land qui a perdu
700 000 habitants depuis la réunification.
En Saxe, les jeunes partent et personne ou
presque ne vient s’installer. Le Land compte
2,9 % d’étrangers, la plupart arrivés avant la
chute du communisme. Dans ces conditions,
l’installation subite de 70 000 réfugiés dans le
Land en 2015, issus majoritairement de Syrie,
d’Afghanistan ou d’Irak, a créé un choc. La Saxe
a pourtant largement la place d’accueillir dans
ses nombreux logements vides son quota de
réfugiés, imposé par l’Etat en vertu de la complexe clef de répartition entre Länder. « Mais,
depuis cinq ou dix ans, on dit aux gens d’ici qu’il
n’y a pas assez d’argent, que les écoles et les crè-
ches doivent fermer. Et tout d’un coup ils voient
qu’il y a de l’argent pour accueillir des milliers
de réfugiés », fustige Uwe Kraneis, maire d’une
petite commune du Land voisin de Saxe-Anhalt et candidat SPD (Parti social-démocrate)
aux élections, où l’extrême droite pourrait
faire une véritable percée. « Je ne vois pas d’acceptation pour les réfugiés. Cela va être la
guerre civile si ça continue », ajoute-t-il.
« ON A UNE CHANCE D’ARRÊTER ÇA »
Voir un social-démocrate parler comme un
membre de l’AfD n’est ici guère surprenant. Ce
parti, créé il y a à peine trois ans, est crédité
dans les sondages de 17 % des voix en Saxe-Anhalt, davantage que le SPD. L’AfD, dont la leader Frauke Petry est originaire de Saxe, atteint
une influence que le NPD, plus radical, n’a jamais obtenue dans la région. En Saxe-Anhalt,
le chef de file de l’AfD, André Poggenburg,
veille à éviter les dérapages. « Nous sommes un
parti national, mais pas nationaliste. Nous ne
sommes pas racistes, nous ne sommes pas homophobes », explique-t-il en ouverture d’une
rencontre avec des électeurs dans l’arrièresalle d’une brasserie de Hohenmölsen, une
petite ville minière en perte de vitesse. Le but
serait uniquement d’occuper la place laissée libre par une CDU qui aurait glissé vers la gauche. Mais sa partie la plus applaudie est sans
conteste celle sur l’immigration. « Ce n’est pas
une crise de réfugiés, c’est une vague d’immigration inorganisée », dénonce-t-il, en demandant la fermeture totale des frontières.
« Ici, la situation n’est pas encore aussi mauvaise qu’en Allemagne de l’Ouest et dans les
grandes villes, où un tiers des jeunes sont issus
de l’immigration. On a une chance d’arrêter
ça », renchérit son colistier. A Hohenmölsen,
on n’avait jamais vu de gens de couleur avant
l’arrivée d’une cinquantaine de réfugiés. Un
électeur attend la fin du discours pour poser
sa question. « Est-ce que l’AfD, c’est l’ancienne
CDU ? Parce que moi, j’ai toujours voté pour le
NPD et j’ai peur que l’AfD devienne un parti établi. » André Poggenburg ne cherche pas un
seul instant à se distancer du parti néonazi :
« On ne veut pas être une nouvelle CDU, on assume notre populisme de droite. Le 13 mars, les
patriotes devront faire le bon choix, il n’y a
qu’une force qui peut vraiment faire changer
les choses », proclame-t-il au contraire. Vingtsix ans après la chute du Mur, son espoir est
que la Saxe connaisse une nouvelle révolution. Cette fois-ci nationale-conservatrice. p
Demain : La cour de Babel
débats | 17
0123
MARDI 8 MARS 2016
L’Union européenne doit changer de cap
et relancer l’idée d’un avenir commun
On a besoin de plus d’intégration,
de décentralisation, de démocratie,
de transparence et de cohérence
dans tous les secteurs de notre Union,
y compris pour la question des migrants
par rena dourou
L’
homme n’accepte le changement que sous l’empire
de la nécessité », disait Jean
Monnet. On devrait longuement
réfléchir sur ces mots car la crise
multiple qu’affronte aujourd’hui
l’Union européenne peut servir
d’argument de taille pour changer,
enfin, de cap politique. La crise migratoire actuelle n’est que la conséquence attendue de choix politiques fondamentaux de l’Union
européenne. En réalité, les flux migratoires d’aujourd’hui sont le révélateur d’une double carence qui
fait penser à un dysfonctionnement de la mécanique européenne, d’où le besoin de changement de cap politique.
Je m’explique. La première carence concerne la conception
même de l’euro qui s’avère être une
monnaie uniquement pour le beau
temps. Les recettes de rigueur, appliquées au cours de la crise déclenchée en 2008 aux Etats-Unis touchant le sud de l’Europe, mais également le reste de la zone euro, se
sont révélées inefficaces et même
dangereuses pour le modèle social
de l’Union européenne.
La seconde carence concerne la
politique étrangère et de sécurité
commune de l’Union européenne,
qui témoigne du manque d’une
volonté politique unique pour promouvoir des objectifs clairs, tant
sur la question de l’Ukraine que
sur la Syrie. On se souvient des ministres des affaires étrangères de
l’Union européenne exprimant,
L’UE DOIT SAISIR
L’OPPORTUNITÉ
DE LA CRISE
POUR DÉCLENCHER
LA DYNAMIQUE
QUI FASSE D’ELLE
UN PÔLE DE PUISSANCE
À LA HAUTEUR
DE LA CONJONCTURE
Mirage | par serguei
au début de la crise en Syrie,
en 2011, leur optimisme sur sa durée. Les événements ont cruellement contredit cet optimisme qui
n’était basé que sur des vœux
pieux. La crise, qui dure déjà depuis cinq ans, vient de déclencher
un flux migratoire inédit depuis la
seconde guerre mondiale. L’Union
européenne, alors qu’il y a quelques années – en 2008 avec le
pacte européen sur l’immigration
et l’asile – elle se disait prête à accueillir des migrants pour des raisons démographiques mais également pour pallier les besoins du
marché de travail, aujourd’hui se
montre très réservée, très loin des
défis posés par la crise migratoire.
ACTION COLLECTIVE
Au lieu d’une approche cohérente,
claire, garantissant la prospérité,
l’ordre et la sécurité de ses citoyens, on constate une politique
européenne fragmentée, au cours
d’un débat public uniquement axé
sur la fermeture des frontières. Et
tout cela sur fond d’un repli sur
soi. La notion même de l’union
dans l’action, qui a fait la force du
projet européen, manque cruellement, marquant une étape de
l’histoire européenne dont les
conséquences peuvent être décisives pour son avenir. L’union dans
la diversité, prônée par ses pères
fondateurs, est ainsi piétinée par
certains pays membres, qui ont
adhéré au projet commun pendant les années 1990, comme
l’Autriche et les pays du groupe de
Visegrád.
L’unité européenne est mise en
cause, ainsi que la survie du projet
européen. C’est pourquoi il y a urgence d’une action collective, cohérente et ciblée pour changer le
cap au cours de ce temps de confusion. Les mots d’un grand Européen, l’ancien président de la République de la Grèce Constantin
Caramanlis, contre les sceptiques
et les fossoyeurs de l’unité européenne sont d’une actualité brûlante : « Aveuglés par les différences
de surface, ils n’ont pas su voir
l’unité de la profondeur. »
Justement, aujourd’hui, on reste
à la surface des choses, alors que
l’on devrait commencer à mettre
sur pied une politique de l’immi-
gration ferme, cohérente et ciblée,
la seule qui puisse garantir l’avenir
de l’Union européenne.
On en est très loin. Mais on doit
commencer à y œuvrer dès
aujourd’hui, loin des mesquineries, loin de ce repli sur soi qui est
aussi dangereux pour le projet
commun européen que pour ces
pays qui se croient à l’abri de la
crise en fermant leurs frontières.
On doit commencer à œuvrer dès
maintenant pour l’application effective de tous les volets du pacte
européen sur l’immigration et
l’asile.
ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE
On devrait également essayer d’articuler une politique étrangère
commune, par la promotion active
des initiatives visant à changer la
donne sur l’échiquier du MoyenOrient – l’accord de Vienne du
14 juillet 2015 avec l’Iran sur son
programme nucléaire marque des
perspectives nouvelles pour l’économie de l’Union européenne
qu’il ne faut pas rater. L’Union
européenne doit saisir l’opportunité de la crise pour déclencher la
dynamique qui puisse faire d’elle
un pôle de puissance à la hauteur
de la conjoncture actuelle. Une
conjoncture marquée par l’instabilité économique et financière et
la fluidité des marchés internationaux.
En même temps, on doit œuvrer
sur l’architecture institutionnelle
de l’Union européenne pour y insérer la dimension régionale, un
facteur crucial pour la décentralisation du pouvoir en faveur de la
démocratie, de la transparence et
de l’efficacité. L’Union européenne
doit à tout prix gagner ce pari vital.
Car plus que jamais, on a besoin de
l’Europe, de ses valeurs démocratiques, de son modèle social, de sa
stabilité, de son ordre. Selon un
vieux dicton, l’Union européenne
connaît l’art de toujours rater ses
chances aux moments cruciaux de
son histoire. Le temps est-il enfin
venu de mettre fin à cette triste
tradition ? p
Parité femmes-hommes :
les textes de loi
ne suffisent pas !
Pour lutter contre la discrimination, femmes
et hommes doivent modifier l’image qu’ils ont
d’eux-mêmes et la manière dont ils définissent
la réussite professionnelle
L
ors de la remise du rapport du
Haut Conseil à l’égalité entre
les femmes et les hommes, en
février, Pascale Boistard constatait
des progrès mais retenait des motifs
d’inquiétude « car la dynamique en
faveur de la parité ne s’est pas encore
tout à fait étendue à l’ensemble du
périmètre des lois ». Les inégalités entre femmes et hommes sont connues sous l’angle de la discrimination à l’égard de celles-ci en termes
de salaires et de mise à l’écart des
meilleurs postes. Il en a résulté des
lois obligeant les entreprises à recruter des femmes dans certaines catégories. Cela n’est pas suffisant. De
nouveaux travaux montrent les limites de cette analyse.
L’écart des revenus salariaux mensuels entre femmes et hommes, en
France, est de 24 % – et de 23 % aux
Etats-Unis – et les femmes représentent seulement 34 % des membres
des conseils d’administration des
entreprises du CAC 40. Une lecture
possible de ces deux informations
tend à conclure à la double discrimination rappelée au début de ce texte.
Concernant les salaires, cette lecture
est contredite par les données relatives aux postes occupés qui montrent la quasi-inexistence des différences de salaires. A l’inverse, des
différences importantes persistent
dans la durée du travail et la répartition sexuée des métiers et des postes occupés. Ainsi, la moitié de
l’écart salarial provient d’une durée
du travail moindre pour les femmes
et l’autre moitié résulte des caractéristiques des individus (expérience
professionnelle) et des emplois
(fonction, secteur d’activité).
ABSENCE DE PROMOTIONS
¶
Rena Dourou
est membre
du parti Syriza
et présidente
de la région
Attique (Grèce)
EN FRANCE,
L’ÉCART MOYEN
DES REVENUS
SALARIAUX
MENSUELS ENTRE
LES DEUX SEXES
EST DE 24 %
par cecilia garcia-peñalosa
Claudia Goldin, économiste à Harvard, examine les choix d’emploi
des femmes aux Etats-Unis, en se focalisant sur les avocats et les pharmaciens, deux professions à haut niveau de qualification et de
rémunération. Le secteur de la pharmacie se caractérise par une grande
flexibilité horaire, ce qui permet de
combiner vie professionnelle et vie
de famille. Les femmes sont ainsi
nombreuses dans ce métier et l’écart
salarial avec les hommes est presque
inexistant. Les cabinets d’avocats, en
revanche, exigent une présence sur
des plages horaires longues et une
disponibilité proche de 24 heures
sur 24, sept jours sur sept. Claudia
Goldin note qu’en début de carrière
les avocates perçoivent la même rémunération que les avocats, ce qui
n’est plus le cas dès l’arrivée des enfants dans le ménage : le nombre de
femmes au sein de la profession diminue et celles qui exercent encore
ce métier occupent des postes à
moindre responsabilité – et à plus
faibles salaires – que les hommes.
Il est difficile d’expliquer cette différence entre les deux professions
par une discrimination qui n’existerait que chez les avocats, et non chez
les pharmaciens. Il semblerait plutôt
que ces emplois chronophages
poussent les femmes vers d’autres
métiers ou vers des postes plus compatibles avec les exigences domestiques et, de ce fait, moins rémunérés.
L’écart salarial femmes-hommes
semble ainsi être fortement lié à
l’absence de promotions chez les
femmes. La recherche d’une politique de parité nécessite, par conséquent, d’en comprendre les causes.
Deux explications sont possibles :
les femmes qui se portent candidates ne sont pas promues, ou elles ne
sont pas candidates à une promotion. Avec deux autres chercheurs,
Clément Bosquet et Pierre-Philippe
Combes, nous examinons cette
question dans un cadre particulier,
celui des enseignants-chercheurs en
économie dans notre pays, un métier dans lequel les femmes ne représentent que 13 % des professeurs-directeurs de recherche. Nos résultats
indiquent que, à qualité scientifique
donnée, il n’existe pas de différence
significative quant à la probabilité
de promotion entre hommes et
femmes. En revanche, les femmes
candidatent moins souvent aux postes de professeur-directeur de recherche que les hommes, ce qui explique la totalité des différences
observées.
Francesca Gino et ses coauteurs à
Harvard ont cherché à comprendre
pourquoi les femmes se sentiraient
moins concernées par les promotions et ont interrogé des Américains à haut niveau d’études sur
leurs objectifs personnels et professionnels. Dans ce groupe, les femmes considèrent que des avancements de carrière sont autant à leur
portée que pour les hommes. Toutefois, interrogées sur leur désir d’obtenir de tels avancements, elles expriment un intérêt moindre que le
sexe opposé pour une promotion.
Les deux groupes en évaluent, de la
même façon, les aspects positifs
(pouvoir, rémunération), mais les
femmes voient bien plus d’aspects
négatifs (conflits au travail, contraintes sur la vie personnelle…).
Le second facteur explicatif de la
moindre recherche de promotion
par les femmes provient de la persistance de normes sociales. L’idée
selon laquelle, dans les ménages,
l’homme doit pourvoir aux besoins
de sa famille a la vie dure. Cela a
pour conséquence de réduire le travail de la femme au statut de « revenu secondaire ». Marianne Bertrand, de l’université de Chicago, et
ses coauteurs examinent la part du
travail de la femme dans les revenus salariaux des ménages aux
Etats-Unis. Le nombre de ménages
dans lesquels les femmes contribuent jusqu’à 49 % des revenus familiaux est important mais, soudainement, à partir de 50 %, il chute
fortement. De plus, leur étude montre que les femmes intègrent dans
leurs comportements le fait de disposer de revenus inférieurs à ceux
de leurs conjoints.
Toutes ces études indiquent que, si
d’énormes progrès ont été réalisés
en faveur de l’égalité entre femmes
et hommes, la partie la plus difficile
de ce combat est encore à venir. Légiférer pour éviter la discrimination
est une arme peu puissante si la
source du problème se trouve dans
les perceptions que femmes et hommes ont d’eux-mêmes et de la définition de leur identité par rapport à
la réussite professionnelle. Aucune
idée simple ne résoudra cette question. Encore faut-il poser les bonnes
questions pour s’attaquer à ce vaste
chantier ! p
¶
Cecilia García-Peñalosa
est directrice de recherche
au CNRS et membre de l’Ecole
d’économie d’Aix-Marseille
18 | éclairages
0123
MARDI 8 MARS 2016
Les intentions illisibles de François Hollande pour 2017
ANALYSE
thomas wieder
Service France
F
PLUS LA FIN
DU QUINQUENNAT
APPROCHE, MOINS
IL SEMBLE ENCLIN
À TRANSIGER.
HIER SI PRUDENT,
LE VOILÀ
DÉSORMAIS
PRÊT À PRENDRE
DES RISQUES
rançois Hollande souhaite-t-il vraiment être candidat en 2017 ? Il y a encore quelques semaines, la question
aurait été totalement incongrue. Elle
est aujourd’hui posée. A treize mois de la présidentielle, le chef de l’Etat se comporte de façon
déroutante. Certains de ses actes laissent penser qu’il réfléchit bel et bien à sa réélection.
D’autres semblent au contraire indiquer qu’il a
déjà renoncé à briguer un second mandat.
En bon disciple de François Mitterrand,
M. Hollande a toujours considéré que, pour
conquérir le pouvoir, l’union de la gauche était
un préalable nécessaire. Il s’y est efforcé
en 2012, et cela lui a réussi : après le premier
tour, malgré une campagne parfois musclée au
cours de laquelle les autres candidats de gauche ne l’avaient pas ménagé, il a pu compter
sur le soutien de la quasi-totalité de son camp
pour l’emporter face à Nicolas Sarkozy.
Quatre ans plus tard, le chef de l’Etat a en partie retenu la leçon de Mitterrand. Le remaniement du 11 février en témoigne. L’entrée de
trois écologistes au gouvernement a montré
son souci de se réconcilier avec une famille politique dont il sait que l’appui lui sera précieux
s’il se représente. La nomination de Jean-Marc
Ayrault au Quai d’Orsay va dans le même sens.
En rappelant auprès de lui son ancien premier
ministre, il a peut-être souhaité se faire pardonner son limogeage après les élections municipales de 2014. Mais il a aussi pensé à l’avenir : de nouveau ministre, M. Ayrault ne risque
plus de faire entendre sa différence, comme il
le fit ces derniers mois à propos de la réforme
fiscale ou de la déchéance de nationalité. En
cas de candidature en 2017, M. Hollande sait
qu’il a intérêt à avoir à ses côtés un homme
dont les critiques feraient mauvais effet si elles
venaient à s’exprimer pendant la campagne
présidentielle.
UNE GAUCHE MALMENÉE
Que le chef de l’Etat songe à sa réélection, voilà
qui ne fait donc aucun doute. D’autres indices,
pourtant, semblent indiquer tout le contraire.
L’épisode de la déchéance de nationalité puis
celui du projet de loi El Khomri en sont la
preuve. Jamais, depuis le début du quinquennat, la gauche ne s’est trouvée à ce point malmenée par le président de la République. Jamais la fracture n’a été aussi profonde. La tribune de Martine Aubry dans Le Monde du
25 février est venue acter de façon fracassante
cette rupture. Désormais, ce n’est plus seulement une poignée de « frondeurs » peu connus
qui s’opposent à la politique du chef de l’Etat,
mais des personnalités dont la voix compte à
gauche, tel Daniel Cohn-Bendit, cosignataire
de la philippique de Mme Aubry.
M. Hollande connaît trop la vie politique
pour ignorer le risque qu’il prend à heurter
ainsi la gauche à un an de la présidentielle. Lui,
l’apôtre de la synthèse, donne le sentiment
d’avoir oublié ce qui fit jadis sa fortune politique : sa capacité à se situer opportunément au
centre de gravité de son camp afin d’apparaître
comme son plus petit dénominateur commun. C’est ainsi qu’il a procédé pendant onze
ans à la tête du PS. Et c’est ainsi, également,
qu’il a conquis le pouvoir en 2012.
Aujourd’hui, le visage qu’il arbore est bien
différent. Plus la fin du quinquennat approche,
moins il semble enclin à transiger. Hier si prudent, le voilà désormais prêt à prendre des risques auxquels il ne nous avait pas habitués. Le
projet de loi de sa ministre du travail en est la
preuve. S’il était avant tout soucieux de ménager son camp, jamais le chef de l’Etat n’aurait
avalisé l’avant-projet de loi de Myriam
El Khomri. La réforme proposée aurait certes
été moins ambitieuse, mais elle aurait été politiquement moins coûteuse. Peu importe désormais que le texte qui sera finalement débattu corresponde davantage aux attentes de
la majorité. Le mal est fait : de cet épisode, la
gauche retiendra que M. Hollande a d’abord
voulu passer en force, et non qu’il s’est résigné
à ce que le gouvernement amende sa copie.
S’il procède ainsi, peut-être est-ce parce qu’il
imagine d’ores et déjà qu’il ne sera pas candidat en 2017. Contre-intuitive, l’hypothèse ne
doit pas forcément être écartée. A plusieurs reprises, le chef de l’Etat a laissé entendre qu’il
faisait davantage confiance au jugement de
l’histoire qu’au verdict des électeurs. Ce fut par
exemple le cas le 27 juillet 2015, lors du dîner
annuel de l’Association de la presse présidentielle. « Les électeurs votent même quand ils ne
comprennent pas, et, quand ils votent, on ne les
comprend pas toujours », déclara-t-il ce soir-là.
Avant d’ajouter : « Ce qui doit compter pour moi,
c’est la trace que je laisserai. Le pire pour un président, c’est quand il n’a rien fait d’essentiel. »
Difficilement lisible car fondamentalement
ambivalente, sa stratégie déroute y compris ses
proches collaborateurs. Il y a quelques semaines, en pleine polémique sur la déchéance de
nationalité, un de ses vieux amis nous confiait
son désarroi : « C’est tout le joli schéma imaginé
depuis des mois pour 2017 qui vient de tomber à
l’eau en quelques jours. Pour nous, 2016 devait
avoir un objectif : ne pas fâcher la gauche afin
que Hollande fasse le meilleur score possible au
premier tour. Là, tout est foutu en l’air : même
des députés loyalistes sont vent debout. Alors
qu’on devait amadouer les frondeurs, on réussit
l’exploit d’en créer de nouveaux. Chapeau ! »
M. Hollande, qui a toujours eu horreur de se
lier les mains trop tôt, a dit qu’il attendrait
l’automne pour se dévoiler. D’ici là, tout laisse
penser qu’il continuera, comme il l’a fait ces
derniers mois, d’envoyer aux Français des signaux contradictoires sur ses ambitions pour
la suite. Reste deux questions que le chef de
l’Etat devra toutefois se résoudre à trancher un
jour ou l’autre : peut-on réussir sa sortie si l’on
ne l’espère pas vraiment ? Peut-on espérer être
réélu si l’on ne s’y prépare pas sérieusement ? p
[email protected]
LE GRAND RENDEZ-VOUS EUROPE 1, « LE MONDE », I-TÉLÉ
Florian Philippot : « Le changement ne viendra pas de la rue »
L’Eglise est accusée d’avoir couvert
des actes de pédophilie entre 1978 et
1991. Des plaintes ont été déposées.
Le cardinal Barbarin, primat des
Gaules, est visé. Doit-il se mettre en
retrait le temps que la justice se prononce ?
C’est à l’Eglise de le dire, mais il faut que
la justice aille jusqu’au bout sans aucune
contrainte, car cette affaire est très grave.
¶
Florian Philippot
Vice-président
du Front national
Le Grand Rendez-Vous
avec « Le Monde »
est diffusé chaque
dimanche de
10 heures à 11 heures
sur Europe 1 et i-Télé.
Version intégrale
sur Europe1.fr
et Lemonde. fr
Des manifestations sont prévues
cette semaine contre le projet de loi
El Khomri sur le travail à l’appel de
syndicats et d’organisations de jeunes. Irez-vous manifester ?
Non, ceci dit, je ne dissuade ni n’encourage personne. Nous laisserons la liberté
à nos électeurs sympathisants, militants, d’y aller ou de ne pas y aller. Mais je
pense que le changement ne viendra pas
de la rue, il viendra des urnes, probablement en 2017 lors de la présidentielle et
des législatives.
Que reprochez-vous à ce projet de loi ?
François Hollande déroule la feuille de
route de Bruxelles, qui est d’une violence inouïe et qui ne va pas créer un
seul emploi. Ce n’est pas en ayant un sa-
LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE
larié Kleenex, en organisant la précarisation générale de la société, donc en rendant tout le monde plus malheureux,
plus stressé, plus en souffrance qu’on va
arranger les affaires de la France.
On croirait entendre les frondeurs !
Les seuls vrais frondeurs sont peutêtre les frontistes. Parce que, nous, nous
sommes cohérents. Nous combattons
les traités européens alors qu’eux sont
dans une forme de cynisme et d’hypocrisie. Quand on est en concurrence déloyale avec le monde entier, quand on
n’a pas le droit de faire du patriotisme
dans son propre pays, quand on a une
monnaie unique qui nous plombe, ça ne
peut pas marcher.
Les Français restent majoritairement attachés à l’euro. Où en êtesvous sur ce sujet ?
Tout le monde au Front est pour la fin
de l’euro et la souveraineté monétaire. Je
vous assure, tout le monde. Si nous arrivons au pouvoir, la France aura une
monnaie nationale, au bout de six mois
maximum, soit parce qu’elle aura réussi
à transformer l’Union européenne radicalement en une Europe des nations li-
bres et souveraines. Soit parce qu’elle
aura quitté l’UE si l’Europe ne veut pas se
réformer, par référendum.
Le FN n’a pas été convié lundi 7 mars
au dîner du Conseil représentatif
des institutions juives de France.
N’est-ce pas le signe que la dédiabolisation, ça ne marche pas ?
Ils ne veulent pas respecter le pluralisme, c’est leur affaire, ce n’est pas notre
problème. On s’en moque un peu.
Vous préconisez « la France apaisée », mais Marine Le Pen veut
« faire la peau » du commissaire
européen chargé de l’agriculture.
N’est-ce pas un peu contradictoire ?
Non, car ce qui est violent, c’est la politique qu’on inflige aux agriculteurs.
La France apaisée, ce sera votre slogan pour 2017 ?
Pas forcément mais la pacification de
la société française, l’apaisement économique, social, sécuritaire, identitaire de
notre pays, c’est un grand enjeu de 2017.
nales et vous omniprésent ?
Je vais tordre le cou à un canard : j’ai
une admiration sans faille pour Marine.
Elle est le chef, la candidate à la présidentielle. Je n’aime pas qu’on reprenne ce
qui à la base venait de la presse d’extrême droite, considérer qu’une femme
n’aurait pas de cerveau, qu’elle serait forcément la marionnette de quelqu’un
d’autre. C’est une accusation misogyne.
Serez-vous le directeur de campagne
de Marine Le Pen ?
On n’en est pas du tout là. Je ne suis
pas sûr d’ailleurs de le vouloir.
Qui va gagner la primaire à droite ?
Je pense que Juppé est le mieux placé
pour son camp, c’est le plus rassembleur.
« J’AI UNE
ADMIRATION
SANS FAILLE
POUR MARINE.
ELLE EST LE CHEF,
ELLE EST LA
CANDIDATE À LA
PRÉSIDENTIELLE »
Donc, il vous écrase au second tour…
Je ne le crois pas. Les Français, quand la
campagne viendra, se rendront compte
qu’ils ne veulent pas des vieilles recettes
qui n’ont pas fonctionné. Ils veulent du
renouveau, du changement dans l’apaisement, mais du vrai changement. p
Pourquoi Marine Le Pen est-elle en
retrait de la scène depuis les régio-
propos recueillis par
david doukhan, michaël darmon
et françoise fressoz
Quand une féministe s’inspire de la Révolution
LE LIVRE DU JOUR
béatrice gurrey
L’
Anglaise Mary Wollstonecraft a
33 ans lorsqu’elle publie, en 1792, Défense des droits de la femme, une réponse directe et incisive au Rapport
sur l’instruction publique, de Talleyrand, présenté à l’Assemblée nationale en 1791. Tout en
prodiguant à l’ancien évêque d’Autun des marques de respect formelles, la jeune femme affirme que, « si la femme n’est point préparée par
l’éducation à devenir la compagne de l’homme,
elle arrêtera le progrès des Lumières ».
Ce texte audacieux, dont Gallimard publie
des extraits chez « Folio » à l’occasion de la Journée des femmes, le 8 mars, est remarquablement présenté par Martine Reid, professeure
de littérature à l’université Lille-III et auteure
d’une biographie intellectuelle de George Sand.
Cette dernière sera l’héritière de Wollstonecraft
au XIXe siècle, comme Flora Tristan ou Marie
d’Agoult (alias Daniel Stern). Mais il faudra attendre Virginia Woolf pour que soit reconnue
sa place dans l’histoire du féminisme.
Née en 1759, près de Londres, dans une famille aisée qu’un père alcoolique va ruiner,
Mary devient dame de compagnie, puis gouvernante dans l’aristocratie, avant de fonder
deux écoles. En 1787, elle publie « Réflexions sur
l’éducation des filles » (non traduit) et fréquente des philosophes radicaux comme Thomas Paine et William Godwin, qu’elle épousera
dix ans plus tard. Elle meurt, en 1797, à 38 ans,
quelques jours après avoir donné naissance à
leur fille, Mary, future épouse de Percy Shelley
et auteure de Frankenstein.
DIATRIBES CONTRE LE MARIAGE
Mary Wollstonecraft, tout imprégnée de la Révolution française, dont elle a fréquenté les
penseurs, à Paris, en 1793 – et où elle a eu une
première fille, Fanny, avec un Américain –, a
écrit deux livres non traduits sur cette période :
« Défense des droits des hommes », en réponse
à Edmund Burke qui critiquait les progrès des
Lumières, et une histoire de la Révolution. C’est
dire si sa réflexion sur le rôle et la place des femmes s’inscrit dans la philosophie politique
d’une époque, qui visait l’universalité.
On pourra sourire de ses diatribes contre le
mariage, « la seule voie pour les femmes de
s’élever dans le monde (…), et ce violent désir
étouffant toutes leurs idées morales pour n’en
laisser que de basses, à peine sont-elles mariées
qu’elles se conduisent comme des enfants ». Ou
de la recommandation de refouler la passion
amoureuse, peu propice à l’accomplissement
« des devoirs de la vie ».
Mais la vision de Mary Wollstonecraft témoigne de sa modernité, quand elle encourage les femmes à cultiver leur esprit et à mépriser les « qualités » que les hommes leur ont,
de tout temps, assignées : « Ce ne sont que des
vertus négatives telles que la patience, la docilité, la bonne humeur, la flexibilité, vertus incompatibles avec les profondes combinaisons
de l’intelligence. » Wollstonecraft se livre enfin
à une critique en règle du personnage de Sophie tel que l’a imaginé Jean-Jacques Rousseau
dans Emile, une femme qui n’a été formée que
pour plaire et se soumettre à l’homme. p
Défense des droits de la femme
de Mary Wollstonecraft
Gallimard, « Folio », 2 euros, 141 pages.
télévisions | 19
0123
MARDI 8 MARS 2016
Les enjeux de la domination masculine à la Libération
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Xavier Villetard montre comment le corps des femmes fut l’objet d’une bataille politique entre Français et Américains
FRANCE 2
MARDI 8 – 22 H 50
DOCUMENTAIRE
D
es Françaises acclamant les GI, quand elles ne les couvrent pas
de baisers. Cette image
a contribué à faire de la Libération
une fête où les civils français et les
militaires alliés communièrent
dans la joie. Depuis une dizaine
d’années, les travaux des historiens permettent de nuancer ce
récit idyllique. A la lumière de ces
éclairages, le réalisateur Xavier
Villetard lève le voile sur de nombreuses zones d’ombre.
Longtemps, les viols commis
par les GI furent attribués aux
troupes de soutien, le plus souvent composées de soldats noirs.
Une centaine d’entre eux furent
condamnés, parfois à la peine de
mort. L’historienne américaine
Mary Louise Roberts, auteure de
Des GI et des femmes (Seuil, 2014),
explique que l’armée américaine
a « racialisé » ces viols pour ne pas
porter atteinte l’image des GI. Il y
eut également une part de racisme parmi les Françaises qui
portèrent ces accusations. Certaines le regrettèrent amèrement.
Pour motiver ses soldats, l’armée
américaine leur vendit l’image
d’une France charnelle aux femmes faciles qui n’attendaient
qu’eux. 80 % des soldats améri-
Une femme, accusée de collaboration avec les nazis, en août 1944. AFP
cains fréquentèrent des prostituées françaises pendant leurs
permissions. Mary Louise Roberts
va jusqu’à qualifier ce phénomène
de « tsunami de luxure ».
Cette affirmation s’ajoute à la
liste des dérapages commis par
les soldats américains dans
l’Hexagone que dresse ce film.
Avant d’être les héros du monde
libre, les GI formèrent, il est vrai,
une armée comme les autres.
Mais en insistant sur leur comportement de conquérants, on finit presque par oublier leur rôle
de libérateurs.
Reprendre le contrôle sur elles
Le film montre bien que le corps
de la femme française devient un
enjeu politique entre les Américains libérateurs et les Français li-
bérés. Les Français, qui ont vu certaines de leurs femmes entretenir
des relations avec les occupants allemands puis avec les libérateurs
américains, vont tenter de reprendre le contrôle sur elles. Les historiens Fabrice Virgili et Françoise
Thébaud expliquent dans quelle
mesure la tonte des femmes suspectées d’avoir « couché avec l’Allemand » participe à cette tentative
de reprise de possession des corps
féminins. Ces châtiments ont permis aux hommes de reporter la
culpabilité de la collaboration sur
ces « traîtresses à la nation ».
Autre thème exploré : le retour à
l’intime. En mai 1945, les Français
détenus en Allemagne commencent à regagner leur pays : près de
1 million de prisonniers et 750 000
travailleurs, dont l’immense majorité a été requise au titre du Service
du travail obligatoire, ainsi que des
milliers de prisonnières et de travailleuses. Parmi celles parties à titre volontaire, beaucoup seront
tondues. Pour celles restées en
France, il faut retrouver l’homme
qu’on pensait parfois mort. Lorsqu’une femme a mis au monde un
enfant pendant l’absence du mari,
il faut le convaincre de le garder.
En avril 1945, les femmes votent
pour la première fois aux élections municipales. Les journalistes s’interrogent sur la possibilité
qu’elles perdent leur féminité. Les
attentes sont très fortes : elles doivent rassurer les hommes, mais
surtout repeupler la France. Année de tous les dangers, la Libération marque une série de bouleversements sans précédent dans
la société française. p
antoine flandrin
Les Femmes de la Libération,
de Xavier Villetard (Fr., 2016,
57 min).
Kalachnikov en main, elles combattent l’organisation Etat islamique en première ligne en Syrie et en Irak
U
ne résistante kurde en
treillis, kalachnikov à
l’épaule, raconte comment, au bout d’un an, les forces
kurdes ont repris Sinjar, dans le
nord-ouest de l’Irak, en 2015. La
réalisatrice Mylène Sauloy la suit
au milieu des maisons dévastées
de la ville. Le fief des yézidis, cette
minorité kurde, cible de l’organisation Etat islamique, n’est plus
qu’un champ de ruines.
Cette combattante appartient à
l’Unité des femmes libres, l’une
des branches armées du Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK).
Formées militairement et politiquement, les femmes kurdes luttent en première ligne contre l’EI.
« Pendant les affrontements, on
se rendait bien compte que Daech
ne supportait pas de combattre
contre nous », affirme Rosa, membre des Unités de protection du
peuple (YPG), branche militaire
du Parti de l’union démocratique
kurde syrien (PYD). Le film de Mylène Sauloy montre que cet enga-
gement s’inscrit dans un mouvement de résistance ancien, créé il
y a près de quarante ans en Turquie autour de Sakine Cansiz. Cofondatrice du PKK, assassinée,
avec deux autres militantes kurdes, à Paris le 10 janvier 2013, cette
icône a inspiré des générations de
femmes.
Camps d’entraînement
Dès la fin des années 1990, elle a
fondé des camps d’entraînement
dans les montagnes du Qandil, au
nord de l’Irak. Des femmes kurdes
de la région et d’Europe ont rallié
son mouvement, dont le slogan
est : « Femmes ! Vie ! Liberté ! »
En fait, tout a commencé dans sa
province natale, le Dersim, renommé Tunceli par l’Etat turc
en 1937 après le massacre perpétré
par les troupes de Mustafa Kemal
Atatürk. La résistance féminine ne
s’est pas faite contre les hommes.
Le film met en exergue leur projet
de société égalitaire affranchie du
patriarcat. Il aurait été toutefois intéressant d’interroger le rapport
de ces femmes à la figure tutélaire
du PKK, Abdullah Öcalan, incarcéré en Turquie depuis 1999.
TF1
20.55 Person of Interest
Série. Avec Jim Caviezel
(EU, saison 4, ép. 19 et 20/22 ;
S3, ép. 9/23).
23.30 Chicago Police
Department
Série. Avec Jon Seda, Sophia Bush,
Markie Post et Jason Beghe
(EU, S2, ép. 20/23).
France 2
20.55 Un jour, une histoire
Florence Arthaud, vague à l’âme
Magazine présenté par Laurent
Delahousse.
22.50 Les Femmes
de la Libération
Documentaire de François Xavier
Villetard (Fr., 2016, 57 min).
France 3
20.55 Elles… les filles du Plessis
Téléfilm de Bénédicte Delmas. Avec
Sandrine Bonnaire (Fr., 2015, 90 min).
22.25 Débat Ado et déjà maman
Animé par Carole Gaessler.
Canal+
20.45 Football
8es de finale retour de Ligue des
champions : Real Madrid-AS Roma.
22.50 Avengers : l’ère d’Ultron
Film d’action de Joss Whedon.
Avec Robert Downey Jr, Scarlett
Johansson (EU, 2015, 144 min).
France 5
20.40 La France se noie
Documentaire de Marion VaquéMarti (Fr., 2015, 52 min).
21.45 Sale temps pour la planète
La Bretagne contre vents et marées
Documentaire de Morad
Aït-Habbouche (Fr., 2015, 52 min).
L’héroïsme des résistantes kurdes
ARTE
MARDI 8 – 22 H 35
DOCUMENTAIRE
M AR D I 8 M ARS
De même, la lutte armée contre
l’Etat turc n’est pas abordée. On
aurait aimé savoir ce qu’elles pensent des Etats-Unis, pays qui considère le PKK et le YPG comme des
organisations terroristes, mais qui
leur fournit des armes. Le film
cherche à replacer leur combat
dans le contexte de la condition
des femmes au Moyen-Orient. En
cela, il rend un bel hommage à
l’héroïsme de ces femmes. p
a. fl.
Kurdistan, la guerre des filles,
de Mylène Sauloy (Fr., 2015, 52 min).
Arte
20.55 Thema : Journée
internationale des femmes
Les Femmes de pouvoir,
James Rogan et Harrier Shawcross
(All., 2016, 90 min).
22.35 Kurdistan, la guerre
des filles
Documentaire de Mylène Sauloy
(Fr., 2015, 52 min).
M6
20.55 Garde à vous
Episode 4, Télé-réalité
23.30 Les Docs de l’info
« Le Charles-de-Gaulle »
Magazine.
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 16 - 057
PAR PHILIPPE DUPUIS
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I
II
III
IV
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VII
VIII
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SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 056
HORIZONTALEMENT I. Rhumatologue. II. Honorera. Uns. III. Emit. Tague.
IV. Tosse. Lue. Do. V. Olé. Oreiller. VI. Roxane. Œuvé. VII. Igue. Fil. Iu.
VIII. Querelleuses. IX. Ue. Abel. René. X. Ereintements.
VERTICALEMENT 1. Rhétorique. 2. Homologuer. 3. Unisexué. 4. Mots.
Aérai. 5. Ar. Eon. Ebn. 6. Têt. Relet. 7. Orale. Ille. 8. Laguiole. 9. Uélé.
Ure. 10. Gué. Lu. Sen. 11. Un. Dévient. 12. Essoreuses.
I. Donne du temps ou en fait perdre.
II. Préparation campagnarde de viandes et de légumes. A consommer
avec une grande modération. III. Bon
dans son domaine. Rassemblé. Personnel. IV. Accompagne souvent la
mariée. A des hauts et des bas chez
l’imprimeur. V. Evitez de marcher
dessus. A mis quatre temps dans nos
moteurs. VI. Avec Dédale dans le Labyrinthe. A su choisir ses robes avec
soin. Préposition. VII. Règle sur la
planche. Evite l’emploi de la force.
Particulièrement fatigant. VIII. Se
jette dans la Vilaine. Grecque. Prête
à prendre la pose. IX. Propos espagnol. Permet de ranger poubelles et
provisions. X. L’art de bâtir dans les
arbres et la nature.
VERTICALEMENT
1. Première sortie. 2. Disciple de
Galilée qui nous a mis sous pression.
3. Calfata avec de la ilasse. Fait la lumière aujourd’hui. 4. Sur la portée.
Du blanc dans la page. 5. Grande partie du monde. Une fois de plus. Invite
le lecteur à consulter. 6. Vient de disparaître avec son pendule. Pousse sur
la tête du vieux cerf. 7. Saurien herbivore. Le meilleur de tout. 8. Cours autrichien. Entendra comme avant.
9. Divisions du ciel chez l’astrologue.
Fait la liaison. 10. Piégé. En fête.
Contre tout. 11. Lin mal tissé. Indication pour le maestro. 12. N’importe
quel poisson, mais pas le requin.
SUDOKU
N°16-057
du « Monde » SA
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à compter du 15 décembre 2000.
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Montpellier (« Midi Libre »)
20 | culture
0123
MARDI 8 MARS 2016
Tchaïkovski à
la moulinette
Tcherniakov
Le metteur en scène a imaginé
pour l’Opéra de Paris un spectacle
qui fusionne l’opéra « Iolanta »
et le ballet « Casse-Noisette »
REPORTAGE
J
amais vu ça ! La nouvelle production signée par le metteur
en scène russe Dmitri Tcherniakov, à l’affiche de l’Opéra
national de Paris, explose de
partout. Opéra d’un côté avec
Iolanta, ballet de l’autre avec CasseNoisette, casting de cent quatrevingts chanteurs, danseurs, musiciens, artistes des chœurs et figurants. Ce programme mixte a tout
d’un phénomène.
Tcherniakov a eu deux idées folles (au moins). La première est de
présenter dans la même soirée Iolanta et Casse-Noisette, composés
par Tchaïkovski et créés ensemble
au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg en 1892. La seconde, délibérément extravagante, consiste à hacher menu le ballet pour
en distribuer des morceaux choisis à trois chorégraphes : le Portugais Arthur Pita, le Canadien
Edouard Lock et le Belge Sidi Larbi
Cherkaoui. A l’origine, ils devaient
même être cinq à se partager le
gâteau, mais Benjamin Millepied
et Liam Scarlett ont été délestés de
l’opération. Un tiers pour chacun
maintenant, six mains au total,
Tcherniakov en chef pâtissier
veillant sur ses marmitons-chorégraphes, autant dire que cette
friandise de Noël historique
qu’est devenu Casse-Noisette s’annonce drôlement tutti frutti.
A deux semaines de la première,
le mercredi 9 mars, l’ambiance
fuse joyeusement au Palais Garnier. A la bonne franquette mais
pied au plancher. Les répétitions
s’enchaînent tous les jours avec
les trois chorégraphes qui attendent en retrait le moment de débouler dans le studio. Les horaires
sont stricts : une heure quarante
en moyenne top chrono pour
chacun, c’est peu pour inventer
du mouvement. Faut que ça cavale ! « Pour eux comme pour
nous, il faut aller droit au but et atteindre rapidement le résultat,
c’est délicat à gérer », résume le
danseur étoile Stéphane Bullion.
Chaud devant ! Pour l’heure, ça rigole, ça claque des pieds, tape des
mains, ça crie. Les danseurs se jettent dans des sauts frétillants ou
des farandoles. C’est la fête avec
Arthur Pita. Ce chorégraphe inconnu en France donne le coup
d’envoi : une grosse soirée pour
l’anniversaire de Marie, l’héroïne.
Pas de Clara ni de sapin de Noël
comme dans le Casse-Noisette originel inspiré par le conte d’Hoffmann. « Faites du bruit », demande
Pita aux danseurs. « La difficulté est
de jouer de vraies personnes en
train de faire des danses idiotes, des
choses stupides comme lorsqu’on a
trop bu, explique-t-il quelques minutes plus tard en souriant. Et que
tout ça fonctionne sur les montagnes russes de Tchaïkovski. Person-
nellement, j’aurais préféré chorégraphier la seconde partie, celle du
cauchemar que met en scène
Edouard Lock, mais bon ! »
Stupéfiante partition
La règle du jeu de cette stupéfiante
partition est toute entre les mains
de Tcherniakov. Il a écrit un nouveau livret qui connecte intimement Iolanta et Casse-Noisette
grâce à certains personnages,
dont le héros Vaudémont au cœur
des deux spectacles. « C’est très
surprenant de travailler à partir de
l’imagination de quelqu’un d’autre,
glisse Edouard Lock. Habiter un
monde n’appartenant qu’à la vision d’un seul artiste peut permettre à des points de vue différents de
coexister sur un terrain neutre. Les
chorégraphes se côtoient rarement
« Les
chorégraphes se
côtoient rarement
de cette façon.
Pour la danse,
qui partage peu,
cela peut être
une opportunité
intéressante »
EDOUARD LOCK
chorégraphe
de cette façon. Pour la danse, qui
partage peu, cela peut être une opportunité intéressante. »
Chaque artiste s’est vu attribuer
des séquences sans avoir le choix
des armes. Pas de travail à la table
tous ensemble pour évoquer le
projet. « Tcherniakov veut que chaque moment du voyage soit différent, explique Arthur Pita. Cela
laisse planer un mystère sur l’ensemble du processus. Lui et moi
avons eu quelques réunions. Je lui
ai indiqué ma façon de voir la scène
d’un point de vue dramatique et
musical, et j’ai avancé dans le travail. » Même ton chez les deux
autres chorégraphes. « Dmitri est
un visionnaire et, dans sa tête, tout
le spectacle est déjà très clair, commente Sidi Larbi Cherkaoui. Il suit
à la lettre le script qu’il a écrit. » « Je
sais qu’il y a un film projeté, des
phares de voitures sur scène, des interactions avec des animaux, mais
je ne suis responsable que de la
danse, raconte Edouard Lock. On
découvre le projet en avançant. »
Dans ce contexte « encapsulé »,
selon la formule de Lock, où « l’on
a une vie dans la zone qu’on occupe », chacun se concentre et
progresse au mieux. Trois ballets
à concevoir dans un, le défi est de
taille. Trois styles à intégrer pour
les danseurs, aussi. Surtout en
gardant l’œil sur la montre mais
aussi sur son… téléphone portable
ou sa tablette. Nouveaux outils
pour la danse ? Oui. Le maître de
ballet, Fabrice Bourgeois, filme
tout, en particulier les séquences
de travail avec Lock. « Sa danse est
complexe, commente-t-il. Une di-
© adaGP, Paris, 2015. chaGall, Marc - la daNsE, 1950-52, (détail) cENtrE PoMPidoU, MUséE NatioNal d’art ModErNE, Paris, EN déPôt aU MUséE NatioNal Marc chaGall, NicE © BaNqUE d’iMaGEs dE l’adaGP
BElla aU col BlaNc, 1917, (détail) MUséE NatioNal d’art ModErNE - cENtrE GEorGEs PoMPidoU, Paris © BaNqUE d’iMaGEs dE l’adaGP / lE cirqUE roUGE, 1956-60, (détail) collEctioN ParticUlièrE
lEs aMoUrEUx, 1916, (détail) collEctioN ParticUlièrE © BaNqUE d’iMaGEs dE l’adaGP / aU-dEssUs dE la villE, 1914-18, (détail) GalEriE NatioNalE trEtiakov, MoscoU / lEs aMoUrEUx, 1952, (détail) collEctioN ParticUlièrE © BaNqUE d’iMaGEs dE l’adaGP
Un lien secret unit le metteur en scène et le compositeur
UNE réalisatioN Gianfranco iannUZZi
renato Gatto - MassiMiliano siccarDi
UNE ProdUctioN
dmitri tcherniakov n’a jamais été un
passif, même s’il a su s’en créer – des passifs.
A commencer dans son propre pays, la Russie, où il entretient des rapports complexes
avec le Bolchoï, depuis le scandale provoqué
par sa mise en scène de Rouslan et Ludmila,
de Glinka, acte fondateur de l’opéra russe,
présenté pour la réouverture du mythique
théâtre de Moscou en novembre 2011. La
production a depuis quitté l’affiche non
sans avoir essuyé un procès que Tcherniakov n’a pas perdu, au contraire de celui,
perdu en appel, intenté par les ayants droit
de Poulenc et Bernanos à propos des Dialogues des carmélites montés en 2010 au
Bayerische Staatsoper de Munich.
En acceptant de mettre en scène pour
l’Opéra de Paris Iolanta et Casse-Noisette,
deux œuvres composées par Tchaïkovski
pour la même soirée du 18 décembre 1892
à Saint-Pétersbourg, Tcherniakov sait qu’il
prend un risque maximal. Il sait aussi que,
s’il réussit son pari, il aura radicalement
changé la face de ce diptyque dont les
deux opus, qu’il considère comme une entité, ont depuis leur création suivi des chemins séparés.
« Dans l’esthétique du XIXe siècle, opéra et
ballet ne sont évidemment pas liés », concède-t-il. Si Casse-Noisette est rapidement
devenu un standard du répertoire chorégraphique, le dernier des onze opéras de
Tchaïkovski, Iolanta, n’a connu que récemment la reconnaissance des scènes lyriques européennes, au contraire d’Eugène
Onéguine ou de La Dame de pique. Mais
Tcherniakov en appelle d’abord à la musi-
que. « L’inspiration de Tchaïkovski est devenue très sombre dans les dernières années
de sa vie, qui ont vu naître la fameuse Symphonie Pathétique, argue-t-il. Derrière la
brillance et la joie superficielle, on entend la
peur, le désespoir, la frustration, une vision
tragique de l’existence. Même dans le “Pas
de deux” ou la “Valse de fleurs”, il y a cette
terrible confession que la chorégraphie de
Marius Petipa, à cette grande époque du
ballet romantique, ne pouvait prendre en
compte. »
« Même substance »
Pour étayer et légitimer sa propre liberté,
Tcherniakov a procédé à son habitude par
accumulation de preuves. Comme il était
allé au bord du lac dont parle la Légende de
la ville invisible de Kitège et de la demoiselle
Fevronia (Rimsky-Korsakov) ou visiter à
Compiègne les reliques des religieuses
guillotinées pour Les Dialogues des carmélites, le metteur en scène a écumé les archives, carnets et brouillons de Tchaïkovski à
la bibliothèque de Klin, la petite ville entre
Moscou et Saint-Pétersbourg où le compositeur a passé les trois dernières années
de sa vie. « C’est bordélique : des grandes
feuilles blanches avec quelques mesures de
thèmes posées n’importe où, au point que
l’on ne sait pas dans quel sens il faut lire la
partition. Mais certaines idées de Iolanta et
de Casse-Noisette y sont mêlées. Il s’agit
bien de la même substance. »
Depuis toujours, un lien secret unit le
metteur en scène au compositeur. C’est
avec Eugène Onéguine que l’adolescent de
13 ans a ressenti pour la première fois de sa
vie « cette émotion particulière, ce quelque
chose d’incompréhensible et de magique »
qui sera dans sa vie un acte fondateur.
« C’était fin mai, peut-être 1982, raconte
Tcherniakov. A Moscou, seuls les privilégiés pouvaient avoir des places pour le
Bolchoï. Mais, ce jour-là, ma mère avait
reçu deux places en guise de prime au travail. Elle m’a appelé et on s’est retrouvés devant le monument de Karl Marx, juste en
face du théâtre. Je me souviens de la façon
dont elle était habillée. Et c’était Eugène
Onéguine, une production du Théâtre
Mariinski de Saint-Pétersbourg, qui s’appelait encore à l’époque le Kirov. »
En 2006, Eugène Onéguine fut aussi la
première mise en scène de Tcherniakov
pour le Bolchoï – « 150 représentations en
dix ans », souligne-t-il avec fierté. Une production reprise par l’Opéra de Paris qui
consacre en 2008 le talent du jeune metteur en scène de 38 ans. Amoureux fou
d’art lyrique de 13 à 18 ans, passé par le
théâtre, metteur en scène d’opéra en 1998
(c’était à Novossibirsk, avec Le Jeune David
de Kobekine), Tcherniakov s’est beaucoup
consacré au répertoire russe – en témoigne la magistrale Lady Macbeth de
Mzensk, de Chostakovitch, récemment reprise à l’Opéra de Lyon. Mais c’est de
Tchaïkovski qu’il entend cette fois réhabiliter l’œuvre et la pensée. « J’ai voulu rendre justice à la qualité de cette musique,
plaide-t-il. Pour cela, il m’a fallu inventer
une autre histoire. » p
m.-a. r.
culture | 21
0123
MARDI 8 MARS 2016
Jean Dubuffet, enragé de la négation
Lors des répétitions
du spectacle.
A Bâle, une rétrospective réunit une centaine d’œuvres de l’artiste français
AGATHE POUPENEY/PHOTOSCENE
POUR « LE MONDE »
ARTS
zaine de mouvements s’enchaînent à toute vitesse qu’il faut mémoriser aussi vite. Il s’agit de rester
concentré en permanence. D’où
ma tablette ! » Un jeune vidéaste
capte aussi en direct certaines variations pour les envoyer sur le
portable des danseurs, qui peuvent ainsi travailler dans leur coin.
La gestuelle urgente, segmentée
de Lock, dont les mouvements des
bras semblent parfois jeter un sort
ou attaquer à distance, fait irruption comme une crise de nerfs. Entre la fiesta théâtrale de Pita et la
tornade spiralée de Cherkaoui qui
règle les tableaux des flocons et
des fleurs, le gouffre est immense.
Les interprètes, tous les mêmes
pour les trois parties, sautent les
obstacles. « Ce sont des chorégraphes extrêmes, chacun à sa façon,
et je pense que c’est ce point commun qui fait le lien dans le ballet,
commente, rêveur, Stéphane Bullion. Le plus difficile est de tenir son
personnage en passant d’un style à
l’autre. Je danse Vaudémont, qui
est un homme réservé, et il faut rester juste quelle que soit la gestuelle.
Mais j’en discute avec les chorégraphes et avec Tcherniakov aussi. »
Le metteur en scène assiste régulièrement aux répétitions du ballet. Il observe, s’inquiète de l’avancée des travaux. Sérieux, discret, il
sait aussi blaguer. Le voilà déguisé
en petit bonhomme vert. Une humeur aux antipodes de celle de la
dernière répétition de Iolanta, samedi 20 février dans la salle Ravel
de l’Opéra Bastille, avant le rapatriement au Palais Garnier. Concentration extrême, tension perceptible. Iolanta et le chevalier
Combat au millimètre
La princesse vient d’apprendre
ce que son père, le roi René, a
tout fait pour lui cacher depuis
sa naissance : elle est aveugle.
Vaudémont, qui ignore l’interdit royal, va déclencher une tornade. « Scène 8 », a lancé le metteur en scène en jean et tee-shirt
noir. Déjà les appels des femmes
apeurées retentissent derrière
les portes : « Iolanta ! Iolanta ! Iolanta ! », auxquels répond la
pressante question du roi : « Où
est ma fille ? » Toute la gent féminine est entrée en trombe dans
la pièce pour découvrir Iolanta
dans les bras d’un inconnu. Le
roi, précédé de sa suite, a fait voler d’autres portes. Son courroux est impressionnant. « Il a
complètement perdu le contrôle.
Il a peur », insiste Tcherniakov.
La puissante silhouette de la
basse russe Alexander Tsymbalyuk semble dévaster l’espace
exigu de ce cosy salon bourgeois
de soir de Noël. Vaudémont est
projeté dans un fauteuil par un
garde, tandis que le souverain
empoigne au collet le portier du
château, repousse d’un lourd revers la nourrice Martha. La scène
qui se règle est celle d’un combat
au millimètre. Volubile et tactile,
Tcherniakov positionne l’un,
parle à l’autre, explique, commente, mêle le russe et l’anglais,
que contrepointe le français traduit par une assistante.
Sa parole tisse un lien entre les
gestes et la musique. Le Russe
chante en marquant tous les rôles, imite par bouffées des saillies
d’orchestre. « J’ai une fibre psychopathe qui me pousse à tout
contrôler », confie-t-il. A la furia
du plateau répond le silence de la
pianiste au bord du clavier muet,
tandis que le chef d’orchestre
Alain Altinoglu attend, bras croisés, que Tcherniakov lâche enfin : « On va le faire avec la partition maintenant ! »
Voix et piano s’élancent, galvanisant encore davantage le metteur en scène maître de ballet
resté au cœur de cette danse.
« Pour moi, une nouvelle mise en
scène, ça commence toujours
par la peur. Et ça finit aussi par la
peur (Tcherniakov rit un peu).
Mais n’est-ce pas aussi le sujet de
Iolanta ? Et de Casse-Noisette ? »
Ce jour-là ne répondra pas encore à la question miraculeuse
de la guérison de Iolanta. p
rosita boisseau
et marie-aude roux
Iolanta/Casse-Noisette,
de Piotr Ilitch Tchaïkovski.
Spectacle mis en scène par
Dmitri Tcherniakov, à l’Opéra
de Paris (4 h 05). Jusqu’au
1er avril. Operadeparis. fr
EICHMANN
A JERUSALEM
OU LES HOMMES NORMAUX NE SAVENT PAS
QUE TOUT EST POSSIBLE
Théâtre Majâz
DE Lauren Houda Hussein
MISE EN SCÈNE Ido Shaked
Réservations : 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilipe.com
Dans les villes – illustration Serge Bloch
CRÉATION – DU 9 MARS AU 1ER AVRIL 2016
bâle (suisse)
S
erait-ce parce qu’elle a eu
l’infortune d’ouvrir le
13 septembre 2001, deux
jours après les attentats aux
Etats-Unis ? La rétrospective que
le Centre Pompidou avait consacrée à Jean Dubuffet (1901-1985)
pour le centenaire de sa naissance n’a laissé que peu de traces
dans les mémoires. Depuis, aux
Etats-Unis et en Europe, de nombreuses expositions partielles
ont été consacrées à certains aspects de son œuvre. Celle qui se
tient, jusqu’au 8 mai, à la Fondation Beyeler, à Bâle, en Suisse, est
d’une tout autre ampleur.
Bien que le sous-titre, « Métamorphoses du paysage », donne
à croire qu’elle serait thématique,
elle tient de la rétrospective. En
effet, Dubuffet avait affirmé ne
pas attacher d’importance à la
distinction entre genres et disait
qu’il y avait du paysage dans le
nu, le portrait et la nature morte.
Ce glissement est donc légitime.
Une centaine d’œuvres sont réunies : toiles de grand format, collages de toutes sortes, sculptures
en charbon de bois et en mâchefer, maquettes pour milieu en
plein air, sculptures en polyuréthane.
Point culminant : Coucou Bazar, l’une des œuvres monumentales de Dubuffet. Elle se compose d’une cinquantaine de
« praticables » pour la scène, découpes peintes et mobiles, anthropomorphes ou zoomorphes.
Ils devraient être mis en mouvement par pantomime, danse et
musique. Mais les costumes sont
si lourds et raides qu’ils rendent
tout déplacement difficile. Des
masques sans regard dissimulent les visages. Le comique
tourne au malaise, comme souvent chez Dubuffet, enragé de la
négation.
Dérision sans limite
L’exposition trace le portrait
d’un homme qui rit de tout et de
tous. Les arts et les artistes, ses
contemporains et leurs professions, les deux sexes, leurs relations compliquées ou rudimentaires : tout passe à la moulinette.
Les sujets en ressortent en lambeaux, défigurés, écorchés, écrasés. Que Dubuffet ait été l’un des
plus actifs défenseurs de Céline
après la Libération se comprend
ainsi : une fureur destructrice
aussi intense chez l’un que chez
l’autre, jusqu’à l’ignoble sans limite chez Céline, jusqu’à la dérision sans limite chez Dubuffet.
Ils ont les mêmes victimes. Qui
se souvient de Mme Gorloge, figure obscène de Mort à crédit, la
reconnaît nue dans la série des
« Corps de dames » de 1950, des
femmes aussi grasses et impudiques que la bijoutière dépravée et
voleuse. Bardamu (Voyage au
bout de la nuit), c’est Le Voyageur
égaré, autre œuvre de 1950, bonhomme à chapeau ricanant, debout dans un paysage blême incisé de cicatrices. Le Paris de Céline est celui des Façades d’immeubles de 1946, falaises
noirâtres, ou du Commerce prospère, grande toile de 1961, carte
d’une ville vue d’en haut. Les enseignes annoncent la « Banque la
Grotesque », l’épicerie « Au poids
truqué », le bistrot « Tordboyaux », le « Ministère des graisse-patte ». L’autobus bondé roule
vers le Père-Jean-Foutre plutôt
que vers le Père-Lachaise – cimetières quoi qu’il en soit.
Déjà, en 1953, Dubuffet avait
pris pour sujet sa table de travail.
De loin, ce sont d’exquises harmonies entre roses tendres et
orangées nacrés. De près, on y découvre reçus, quittances, factures : plus de poésie, mais la réalité
du commerce. Lequel ? Le négoce
en vin, dans lequel Dubuffet a
fait fortune sous l’Occupation,
« Fumeur
au mur »
(1945), de
Jean
Dubuffet.
2015
PROLITTERIS
ZURICH
comme il l’a lui-même raconté
dans sa Biographie au pas de
course (Gallimard, 1985) ? Ou le
marché de l’art, où ses œuvres
ont commencé à bien se vendre
dès la fin des années 1940, avec
Jean Paulhan dans le rôle du propagandiste en chef ? Quoi qu’il en
soit, c’est de lui-même que
Dubuffet met à nu les côtés les
moins glorieux. Toujours le côté
Céline et D’un château l’autre :
aveux compromettants et grotesque maximal.
A l’inventaire de ses détestations, il convient d’ajouter les
paysans, l’automobile et l’architecture moderne. Défiguration et
schématisation sont les modes
principaux de sa satire. Rien de
« brut », cet adjectif qu’il a popularisé. Jean Dubuffet a contribué
à mettre en évidence les qualités
plastiques de créations qui
étaient tenues le plus souvent
pour maladroites et enfermées
dans les catégories de l’art « populaire », « aliéné » ou « autodidacte ».
Chefs-d’œuvre de cruauté
Par son action et ses écrits, en
fondant la Compagnie de l’art
brut en 1947, en réunissant la collection du même nom, il a placé
au rang qui doit être le leur les
« fous » Aloïse Corbaz ou Adolf
Wölfli. Mais il les a aussi regardés
de près et a développé, grâce à
eux, son propre art. Le « primitif », le balbutié, le lacunaire sont
employés avec une parfaite dextérité, amplifiés par des effets
matiéristes et chromatiques prémédités. Cette savante sauvagerie crée des chefs-d’œuvre de
cruauté, Le Commerce prospère,
déjà cité, le Portrait d’Henri Michaux et les peintures à fond noir,
procédé systématisé dans ses
« Non-lieux », sa dernière et funèbre série, trop peu présente ici.
L’œuvre et l’exposition ont cependant leurs moments contemplatifs, dont la lamentable humanité est absente, comme il se
doit. « J’aime les amples mondes
homogènes sans jalons ni limites
comme sont la mer, les hautes neiges, les déserts et steppes », admettait Dubuffet. Il leur a consacré des œuvres géologiques, botaniques et – le terme est sien –
« texturologiques ».
Découpant et collant des fragments de peintures faites à cet effet, ajoutant gravillons et plâtre,
empruntant à la nature écorces
et ailes de papillon, il compose,
dans les années 1950, des sortes
d’abstractions figuratives, détails des sols et des arbres, coupes
dans la terre ou dans les troncs.
Ce sont les instants panthéistes
d’un misanthrope enragé. p
philippe dagen
Métamorphoses du paysage,
Fondation Beyeler, à Bâle (Suisse).
Fondationbeyeler.ch.
Tous les jours, de 10 heures
à 18 heures, le mercredi
jusqu’à 20 heures.
Entrée : de 6 à 25 francs suisses
(5,40 à 22,70 euros).
Jusqu’au 8 mai.
Théâtre de l’europe
© Mélissa Boucher
Vaudémont (la soprano Sonya
Yoncheva et le ténor Arnold Rutkowski) sont blottis en position
fœtale au pied d’un fauteuil.
Dmitri Tcherniakov a resserré
les bras de l’homme autour du
dos de la jeune femme. « Ce sont
deux enfants effrayés, presque
des animaux », argumente-t-il.
cAmpAgne de mécénAT pArTicipATif
du 7 mArs Au 2 mAi 2016
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#GOpourlavenir
22 |
styles
0123
MARDI 8 MARS 2016
PARIS | PRÊT-À-PORTER AUTOMNE-HIVER 2016-2017
jeux de construction
CHEZ BALENCIAGA,
CHAQUE PETITE
DISSONANCE SOULIGNE
LA POÉSIE BRUTE
DE L’ENSEMBLE
ET LA NAISSANCE
D’UN NOUVEAU LUXE
Sur les podiums parisiens plus qu’ailleurs,
la modernité s’épanouit dans
une réflexion sur l’éternel dialogue
entre le corps et le vêtement
Céline.
PATRICK KOVARIK/AFP
Balenciaga.
SWAN GALLET/WWD/SHUTTER/SIPA
Givenchy.
BERTRAND GUAY/AFP
Comme
des garcons.
MARTIN BUREAU/AFP
MODE
L
a chair et ce qui la couvre :
la mode se joue toujours
au fond dans la rencontre
de ces deux entités. Elles
se supportent l’une l’autre, entrent parfois en désaccord et c’est
de ces rapports orchestrés par un
créateur que naît un style, une vision de la féminité aussi.
Cette saison, les stylistes ont des
points de vue tranchés sur la question et cette capacité à prendre position vient conforter le rôle prescripteur de la capitale française.
Celle-ci accueille les meilleurs architectes du vêtement, comme celui que l’on découvre chez Balenciaga. Evénement le plus attendu
de la semaine, le show qui s’est
tenu dimanche 6 mars dans les
anciens locaux de Canal+ était le
premier de Demna Gvasalia en
tant que directeur artistique de la
griffe du groupe Kering. L’homme
est le cofondateur et le seul visage
connu du collectif Vetements, label branché qui fait beaucoup parler de lui depuis trois saisons grâce
à sa mode de rue déconstruite et
post-punk. Sa nomination en octobre dernier avait provoqué des
interrogations tant l’écart semblait grand entre l’esprit de cette
jeune marque encline à la provocation et le luxe de Balenciaga en
quête d’un nouveau souffle après
les passages de Nicolas Ghesquière (marquant) et d’Alexander
Wang (furtif).
La collection montre pourtant
combien cette rencontre improbable est réussie. Le créateur a parfaitement compris l’essence du travail de Cristobal Balenciaga en tant
qu’architecte du vêtement et il en
donne une interprétation libre
d’emblée convaincante, puissante
et intelligente. Les tailleurs à carreaux et les manteaux ont des angles aigus singuliers mais harmonieux et se portent avec des bottes
vernies aux talons légèrement de
guingois, les épaules dénudées
sont soulignées par des décolletés
de maille ou des maxi-cols. Blousons matelassés plus sportifs aux
volumes savants, robes et jupes à
fleurs aux drapés graphiques,
maxi-sacs rayés qui rappellent des
modèles industriels en Nylon
chers à Barbès, la ligne est inventive et extrêmement cohérente.
Chaque petite dissonance (le Lurex avec le Nylon, des plates-formes exagérées, le physique imparfait de beaucoup de mannequins
issus de la cabine de Vetements)
souligne la poésie brute de l’ensemble, la naissance d’un luxe moderne où les failles sont signes
d’humanité, donc de sensibilité.
Le Japonais Junya Watanabe se
lance, lui, dans un jeu d’hyperconstruction moins subtil. Ses effets en 3D aux plissés cubistes
transforment les silhouettes en
figures de géométrie dans l’espace. C’est parfois gracieux, mais
souvent proche d’un futurisme
dépassé à la Pierre Cardin. La technique est parfaite mais, dans ce
jeu, le corps n’est qu’un accessoire, voire un obstacle à la démonstration.
Il faut l’imagination folle et
puissante d’une Rei Kawakubo
pour concilier sculpture abstraite
et sentiment humain. Sur un
thème « anarchic » : le punk version XVIIIe siècle, la créatrice de
Comme des Garçons envoie sur le
podium de drôles de silhouettes
architecturées en brocarts fleuris
et latex, animées de courbes prothèses et de volants pléthoriques.
Ce happening hors de toute logique industrielle est un commentaire social sur le vêtement-carapace à la fois protection et outil
d’expression d’une féminité capable de causer le chaos, parfois avec
plaisir.
Les Suédois d’Acne Studios sont
moins extrêmes dans leurs jeux
de dissections vestimentaires.
Leur collection-collage reste cependant singulière. Manteaux capitonnés asymétriques ou en
laine mohair soulignée de structure métallique, vinyle aux teintes brutes, maille extrafine drapée sur le corps en faux désordre,
mosaïque d’imprimés panthère
composent un vestiaire punk où
le corps et ces constructions spontanées évoluent tout de même en
harmonie.
Une harmonie qui est plus évidente chez Céline, où Phoebe
Philo pense en termes de graphisme autant que de confort.
Elle superpose de manière précise
et naturelle des formes et des pièces à la fois familières et décalées.
Grand manteau de laine, trench
multipoche en popeline kaki,
blouson carapace en cuir extrafin
froncé, pantalon trompette
fendu, blouson court, robe teeshirt en soie rebrodée d’une
maxi-chaîne en trompe-l’œil
créent un vestiaire qui réussit à
être athlétique et cérébral à la fois.
Un oxymore vestimentaire que la
créatrice anglaise est l’une des rares à maîtriser.
Le corps, lui, est carrément conquérant chez Mugler, où David
Koma cultive le goût des amazones sexy, signature de la maison.
Carrure acérée, mini-robe de cuir à
franges, découpes asymétriques,
motif panthère brodé en franges
de métal. Tout le répertoire d’une
mode très anatomique est là, mais
il manque de conviction pour être
vraiment moderne.
Chez Haider Ackermann, le
corps est gainé de près, les pantalons seconde peau se portent avec
des bottines pointues à talons
aiguilles, les vestes sont courtes et
les cheveux tirés en branches torsades sur le crâne. Les matières et
les textures riches (velours froissé
couleur bijoux, brocarts argent,
granité de cristaux) contredisent
cette tension musculaire qui ellemême reflète mal la poésie coutumière du créateur.
A la chair, Guillaume Henry
semble préférer le chic chez Nina
Ricci. Il y a comme un air de
Claude Sautet dans sa collection
aux couleurs cinématographiques (gris, vert acide, rouge, une
touche de parme). Le corps se devine ou se dévoile dans les fentes
des jupes mi-longues, ou celles
des blouses en satin, les robes à
paillettes aux effets liquides ou
les mousselines qui voilent des
lingeries aériennes. Cette élégance a pourtant quelque chose
de suranné, comme si cette
femme compensait sa distance
aux autres et au monde par une
abondance d’efforts vestimentaires.
Les filles qui circulent dans le labyrinthe de Riccardo Tisci pour
Givenchy ont le sang chaud et la
démarche altière et énigmatique
du chat qu’il ne faudrait pas déranger. Pour elles, le créateur a
imaginé un vestiaire lumineux et
inédit. Des motifs empruntés à la
richissime culture égyptienne
(œil protecteur oudjat, ailes d’Isis,
etc.) croisent les délires visuels du
rock psychédélique. Ce mélange
flamboyant s’additionne de peau
de serpent et de léopard, de drap
pourpre pour réveiller le noir.
Cuirs Lurex multicolores, mousselines plissées graphiques saturées de motifs, peaux cloutées, velours denses, Nylon zippé, cuissardes seconde peau en veau velours, jupes-culottes de boxeur et
manteaux tailleurs androgynes…
Il y a comme une vibration tribale
et urbaine dans cette opulence,
une certaine tension sexuelle
qu’aucune exhibition de chair n’a
besoin d’expliquer. p
carine bizet
disparitions | 23
0123
MARDI 8 MARS 2016
Nikolaus Harnoncourt
Chef d’orchestre autrichien
T
out le monde le redoutait depuis l’annonce, le
5 décembre 2015, de son
retrait de la vie musicale : le grand chef d’orchestre
autrichien Nikolaus Harnoncourt
s’est éteint le 5 mars à l’âge de
86 ans dans sa maison de Sankt
Georgen im Attergau, non loin de
Salzbourg, en Autriche. « Mes forces physiques me contraignent à
renoncer à mes projets futurs,
avait-il écrit. De grandes pensées
me viennent (…) – nous sommes
devenus une heureuse communauté de pionniers ! »
Pionnier, Nikolaus Harnoncourt l’est resté toute sa vie,
quitte, parfois, à assumer ce que
d’aucuns ont voulu prendre pour
des contradictions. Faisant chanter les cantates de Bach par des
voix d’enfants mais engageant
des chanteurs d’opéra pour les
passions, militant en faveur des
instruments d’époque mais optant quand il le faut pour des solutions mixtes. « Je ne crois pas à
l’“authenticité”, confiait-il au
Monde en 1995 (…). Le risque
aujourd’hui, avec la volonté de
tout jouer sur instruments anciens, est de se contenter d’une sensation superficielle. Le “pittoresque” et l’“intéressant” ne sont pas
ma préoccupation. Seule la nécessité de la musique doit compter. »
Le passage de Nikolaus Harnoncourt laissera dans l’histoire de
l’interprétation un avant et un
après. Car le musicien autrichien
a agi comme un puissant révélateur, renouvelant en profondeur
l’écoute de toute une génération
(et donc des suivantes) – non sans
susciter d’ailleurs polémiques et
controverses –, interrogeant les
rapports dialectiques entre les
partitions et leur historicité.
Volontiers frondeur, puissamment charismatique, l’homme a
toujours combattu le conservatisme. Celui de la Vienne musi-
cale avec laquelle il a longtemps
eu maille à partir avant d’en devenir icône – il la connaissait bien
pour s’être « ennuyé » comme
violoncelliste au sein de l’Orchestre symphonique de Vienne de
1952 à 1969, du moins dans Bach
et Mozart. Mais il sut aussi s’ériger contre l’intransigeance de collègues baroqueux, gardiens d’un
temple idéologue dont il s’est toujours méfié.
Au pupitre ou dans la vie, Harnoncourt possédait une autorité
que rehaussait sa puissante stature. Mais c’est à la force de ses
convictions qu’il aura bouleversé
le monde de la musique. Bach,
bien sûr, dont il a gravé une version d’anthologie de la Passion selon saint Matthieu. Mozart, qu’il a
dépouillé de sa galanterie pour lui
rendre nerf, drame et alacrité.
Mais aussi Beethoven qu’il enregistre avec le Chamber Orchestra
of Europe avant de réitérer à la
tête de son Concentus Musicus,
comme en témoigne un album
récemment sorti chez Sony (Quatrième et Cinquième symphonies).
Sans oublier Schubert, Schumann, Brahms, et surtout Bruckner, dont il propose une décapante relecture.
Etude critique des manuscrits
Né le 6 décembre 1929 à Berlin (Allemagne), Johann Nikolaus,
comte de La Fontaine et d’Harnoncourt-Unverzagt, avait passé
son enfance à Graz dans le palais
familial de Meran. Il ne faisait pas
mystère de son ascendance : son
père, ingénieur, issu de la famille
de La Fontaine-d’Harnoncourt
-Unverzagt, comtes de Luxembourg et de Lorraine, sa mère, arrière-petite-fille de l’archiduc Johann de Styrie, apparentée aux
Habsbourg. La famille aime les
arts et surtout la musique. Le petit garçon affectionne plus encore
les marionnettes en bois qu’il a
sculptées de ses propres mains,
une activité qu’il conservera
toute sa vie.
S’il a pensé d’abord au théâtre et
à la mise en scène, c’est à l’Académie de musique de Vienne qu’il
part étudier le violoncelle
en 1948. Il y rencontre celle qui deviendra sa femme en 1953 et une
partenaire définitive, la violoniste Alice Hoffelner, avec laquelle il fonde le fameux Concentus Musicus Wien sur instruments d’époque (premier concert
officiel en 1958) et une famille de
quatre enfants, dont la mezzo-soprano Elisabeth von Magnus.
La recherche et l’étude critique
des manuscrits, associées à la pratique et l’étude des instruments
historiques (une discipline enseignée au Mozarteum de Salzbourg) construisent une pensée
musicale qu’il livre dans des
ouvrages comme Le Discours musical ou Le Dialogue musical. Dès
les années 1970, avec son ami le
claveciniste néerlandais Gustav
Leonhardt (1928-2012), il se lance
dans le projet pharaonique d’une
intégrale des cantates de Bach sur
instruments anciens. Harnoncourt a 40 ans. Il dirige du violoncelle ou de la viole de gambe et se
refuse encore à conduire un orchestre symphonique « traditionnel ». Le verrou saute en 1975 : La
Passion selon saint Matthieu, de
Bach, avec le Concertgebouw
d’Amsterdam.
L’homme connaît dans le
même temps un succès de plus
en plus vif comme chef d’opéra.
Ses débuts en 1971, à Vienne, avec
Le Retour d’Ulysse dans sa patrie,
préludent au cycle légendaire des
opéras de Monteverdi quatre ans
plus tard à Zurich avec JeanPierre Ponnelle. Suivra en 1980
un autre cycle Mozart tout aussi
novateur, toujours à Zurich avec
Ponnelle. Harnoncourt est devenu un chef incontournable,
LAUTERWASSER/LEBRECHT/LEEMAGE
dont le répertoire s’étend du classicisme viennois aux confins du
XXe siècle, en passant par le répertoire romantique.
En 1984, le prestigieux Orchestre philharmonie de Vienne, intrigué, l’invite. Le début d’une collaboration houleuse qui lui vaudra
cependant l’honneur de diriger
en 2001 son premier Concert du
Nouvel An. Le Festival de Salzbourg et Gerard Mortier en ont
fait un hôte de marque. Pendant
ce temps, dans le festival de musique classique, Styriate, qu’il a créé
en 1985 près de Graz, Harnoncourt, qui aime à se surprendre,
dirige Gershwin (Porgy and Bess),
Bizet (Carmen), Verdi (Aïda), Smetana (La Fiancée vendue) ou Offenbach (Barbe-Bleue).
Imprévisible jusqu’au bout
comme lorsqu’il présentait en
novembre dernier, à Vienne, un
album Mozart pour le moins
inattendu avec le pianiste Lang
Lang. A l’évocation d’une prochaine collaboration, la star chinoise avait risqué : « Peut-être
Bach ? » A quoi le patriarche au regard bleu avait répondu, dans un
sourire : « Il faudrait alors le faire
sans trop attendre. » p
En 1979, il s’enfuit pour la Libye. En
difficulté sur le plan intérieur, Nimeyri autorise son retour en 1979
et lui offre le poste de procureur
général. Tourabi use de son poste
et de son influence politique pour
mettre en vigueur une version
dure de la charia, la loi islamique.
Tous les vendredis, les habitants
de Khartoum sont conviés à assister à des exécutions et à des châtiments corporels (mains coupées,
par exemple).
Ce virage fondamentaliste entraîne le retour de la guerre civile
dans le sud du pays, à dominante
chrétienne et animiste, après une
décennie de calme. En 1983, un
jeune officier sudiste, John Garang, prend la tête d’un mouvement de guérilla, la SPLA. Le régime Nimeyri n’y survit pas et finit
renversé, deux ans plus tard, par
un soulèvement populaire. Hassan Al-Tourabi et son Front national islamique (NIF), évincés peu
auparavant par le dictateur, échappent à la vindicte populaire. Malgré un score moyen aux élections
libres de 1986, Tourabi occupe une
place influente dans le gouvernement de son beau-frère Sadek AlMahdi. Il dirige la justice et, à partir
de 1988, les affaires étrangères.
En 1989, à la suite d’inondations
meurtrières et d’une série de défaites humiliantes dans le Sud, le
gouvernement de Sadek Al-Mahdi, au bilan catastrophique, est
renversé par un coup d’Etat de jeunes officiers inconnus à l’étranger,
dirigés par le colonel Omar Al-Bachir. Ils révèlent rapidement leur
vrai visage islamiste et leur mentor n’est autre qu’Hassan Al-Tourabi. Sans occuper de poste officiel,
ce dernier est omniprésent au sein
du nouveau régime et à travers ses
mesures
d’islamisation
à
outrance. L’opposition est interdite, le conflit dans le Sud devient
une « guerre sainte » pour laquelle
on enrôle en masse des milices populaires. Lors d’un séjour au Canada, Hassan Al-Tourabi est
agressé par un exilé soudanais qui
manque de le tuer.
6 DÉCEMBRE 1929
Naissance à Berlin
1952 Violoncelliste
à l’Orchestre symphonique
de Vienne (jusqu’en 1969)
1953 Fonde le Concentus
Musicus Wien
2001 Dirige l’Orchestre philharmonique de Vienne pour
le Concert du Nouvel An
5 MARS 2016 Mort à Sankt
Georgen im Attergau
(Autriche)
marie-aude roux
Hassan Al-Tourabi
Théoricien islamiste soudanais
A
u temps de sa splendeur, de 1989 à 1996,
Hassan
Al-Tourabi,
mort, samedi 5 mars, à
l’âge de 84 ans, a été un astre noir
au centre de la galaxie islamiste. A
lui seul, il tenait tous les bouts de la
chaîne, du djihadiste Oussama
Ben Laden aux Frères musulmans
égyptiens, en passant par le Tunisien Rached Ghannouchi et même
le Hezbollah libanais, d’obédience
chiite : tous venaient à Khartoum
participer aux rassemblements de
son internationale islamiste antiaméricaine, dont il se voyait le théoricien. Les opinions parfois progressistes et audacieuses de cet
homme affable et cultivé ont pu
séduire et dérouter, malgré un
exercice du pouvoir tout ce qu’il y
a de dictatorial et de fondamentaliste, lorsqu’il dirigea le Soudan en
sous-main, de 1990 à 1996.
Né à Kassala, près de la frontière
érythréenne, et d’ethnie béjja, Hassan Al-Tourabi n’appartient pas à
la caste dirigeante soudanaise des
« abna al-balad », les « enfants du
pays », issus de la vallée du Nil, au
nord de Khartoum. Elève en droit
brillant, il est diplômé de l’université de Khartoum en 1955, un an
avant l’indépendance du Soudan,
puis parfait son cursus à Londres,
jusqu’en 1959, avant d’effectuer
une thèse à la Sorbonne, dont il
rentre diplômé en 1964. Il accède à
l’élite en épousant une descen-
En 2010. ASHRAF SHAZLY/AFP
dante du Mahdi, mythique chef
politico-religieux soudanais de la
fin du XIXe siècle.
Virage fondamentaliste
Actif chez les Frères musulmans
soudanais, Hassan Al-Tourabi est
arrêté et emprisonné en 1969 par
le général Jaafar Nimeyri, qui vient
de prendre le pouvoir à Khartoum
avec l’aide des communistes.
1932 Naissance à Kassala
(Soudan)
1989 Coup d’Etat d’Omar
Al-Bachir, dont Tourabi
est le mentor
1995 Devient président
du Parlement soudanais
2003 Arrêté et incarcéré
5 MARS 2016 Mort
à Khartoum
Lâché par Bachir
Au plan international, Khartoum
devient la Mecque de tous les
mouvements de contestation islamistes, qu’ils soient politiques ou
armés. Hassan Al-Tourabi y organise des réunions annuelles de
son Congrès populaire arabe et islamique, afin de semer sa parole
« révolutionnaire » en Afrique et
dans le monde arabe. Oussama
Ben Laden, chassé de son pays par
la famille royale saoudienne, s’implante au Soudan, où sa compagnie de construction remporte le
contrat pour réaliser une autoroute reliant Khartoum à PortSoudan. Mais le milliardaire saoudien entretient aussi des camps
d’entraînement djihadistes. Les
terroristes Carlos, que Khartoum
livrera plus tard à la France, et
Abou Nidal s’installent également
au Soudan.
En 1995, un commando djihadiste égyptien venu du Soudan
tente d’assassiner le président
Hosni Moubarak, lors d’un sommet à Addis-Abeba, en Ethiopie.
L’ONU adopte des sanctions contre Khartoum et d’intenses pressions contraignent les dirigeants
soudanais à expulser Ben Laden
vers la destination de son choix
en 1996 : ce sera l’Afghanistan, où
les talibans viennent de prendre le
pouvoir et où le chef d’Al-Qaida a
conservé de bons contacts.
Trois ans plus tard, le président
soudanais, Omar Al-Bachir, désireux de réintégrer le concert international, se débarrasse de son
mentor Hassan Al-Tourabi, alors
président du Parlement. Incarcéré
jusqu’en 2003, il est réarrêté
en 2004-2005 pour complot. Le
pouvoir soudanais le soupçonne
de sponsoriser le JEM (Mouvement pour la justice et l’égalité), un
mouvement rebelle du Darfour.
Devenu un opposant résolu au
régime Al-Bachir, Hassan Al-Tourabi passera le reste de sa vie en résidence surveillée. Son adhésion à
la démocratie, aux droits de
l’homme et au fédéralisme laissèrent malgré tout une partie de l’opposition soudanaise dubitative. p
christophe ayad
24 | disparitions & carnet
Nancy Reagan
Ancienne First Lady
0123
MARDI 8 MARS 2016
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Sèvres. Paris.
En 1981. AP
P
rès de douze ans après
son mari, le 40e président des Etats-Unis,
Nancy Reagan est
morte, dimanche 6 mars, des suites d’une insuffisance cardiaque
dans sa maison de Bel-Air, à Los
Angeles (Californie). Elle avait
94 ans. Elle sera inhumée à la Ronald Reagan Presidential Library à
Simi Valley, à côté de l’ancien président, dont elle avait été l’une des
plus proches conseillères à la Maison Blanche entre 1981 et 1989.
Nancy Reagan, née Anne Frances Robbins le 6 juillet 1921 à New
York, était la fille unique d’un
concessionnaire
automobile,
Kenneth Robbins, et d’une actrice
de radio, Edith Luckett. Le couple
s’était séparé très rapidement
après sa naissance et elle avait été
élevée par sa tante, dans le Maryland, avant d’être adoptée par le
second mari de sa mère, le neurochirurgien de Chicago Loyal Davis. Après des études d’anglais et
d’art dramatique au Smith College, dans le Massachusetts, la
Metro Goldwyn Mayer (MGM)
l’avait fait venir à Hollywood
en 1949. Elle a joué dans une douzaine de films, sans accéder au
rang de star.
Nancy Davis a rencontré Ronald
Reagan à Hollywood alors que celui-ci, divorcé de l’actrice Jane Wyman, était le président de la
Guilde des acteurs. Elle était allée
le solliciter à propos de son inscription sur la liste des personnes
soupçonnées de sympathies procommunistes. Reagan l’a rassurée
– il s’agissait d’une homonyme –
puis épousée en 1952. « Ma vie a
vraiment commencé quand je me
suis mariée », a-t-elle confié plus
tard. Le couple a eu deux enfants
avec lesquels elle n’a pas toujours
été en bons termes : Patti Davis et
Ronald Reagan Junior.
Rénovation de la Maison Blanche
Nancy Reagan a accompagné l’ascension politique de son mari, en
Californie, pendant les huit années pendant lesquelles l’ancien
acteur a été le gouverneur de l’Etat
(1967-1975). Puis à la Maison Blanche après l’élection de novembre 1980. Elle veillait jalousement
sur l’amour de sa vie. L’attentat
dont il a été victime, en mars 1981,
l’a profondément bouleversée.
Après l’agression, elle a pris les
conseils d’une astrologue. Sur le
calendrier de la Maison Blanche,
les dates étaient colorées en fonction des chances de succès des
projets présidentiels. Ses interventions ont irrité le secrétaire général de la Maison Blanche, Donald Regan, qu’elle a rendu responsable du fiasco des ventes
d’armes à l’Iran. Elle a eu sa tête,
en février 1986. « Il est suicidaire
Martine et Thomas DURAND
6 JUILLET 1921 Naissance
à New York
1949 Rejoint Hollywood,
où elle joue dans
une douzaine de films
1952 Epouse Ronald Reagan
1980 Election de Ronald
Reagan à la présidence
des Etats-Unis
6 MARS 2016 Mort
à Los Angeles
de s’opposer à la première dame »,
a expliqué Marlin Fitzwater, le
porte-parole du président.
Après les années d’austérité de
la présidence Carter, Nancy Reagan a tenu à restaurer les fastes
de l’époque des Kennedy (56 dîners d’Etat en huit ans contre 6
pour George W. Bush et son
épouse Laura). Dès son arrivée,
elle a engagé un programme de
rénovation de la maison présidentielle, payé par des dons privés. La presse lui a reproché
d’avoir commandé un nouveau
service de porcelaine pour
200 000 dollars en pleine période de récession. Elle a souvent
été critiquée pour des tenues parfois extravagantes et son obsession à défendre la trace que laisserait son mari dans l’Histoire.
Nancy Reagan aura surtout attaché son nom à une campagne
contre la drogue, en 1982, prolongement de la « war on drugs », lancée par la Maison Blanche et visant particulièrement la minorité
noire. A une adolescente qui lui
demandait comment résister aux
pressions des camarades, la First
Lady a répondu : « Just say no », un
slogan qui est passé à la postérité
(« il suffit de dire non »).
L’ex-First Lady n’a gagné l’admiration de ses compatriotes
qu’après son départ de la Maison
Blanche. La presse lui a rendu
hommage pour son dévouement
auprès de l’ancien président,
qu’elle n’a pas quitté entre l’annonce de son retrait de la vie publique en novembre 1994, pour
cause de maladie d’Alzheimer, et
sa mort le 5 juin 2004, à l’âge de
93 ans. En 2001, elle n’a pas hésité
à prendre le contre-pied du républicain George W. Bush et à plaider en faveur du financement
public de la recherche sur les cellules souches, susceptible d’aider
à combattre la maladie d’Alzheimer. Dimanche 6 mars, le président Barack Obama et son
épouse Michelle ont salué sa mémoire et rendu hommage à son
action en faveur de la recherche
médicale. « Nos prières l’accompagnent maintenant qu’elle et
son mari tant aimé sont de nouveau réunis », a ajouté le couple
présidentiel. p
corine lesnes
sont heureux d’annoncer la naissance
de leur petit-ils,
Constantin,
Catherine Fieschi,
son épouse,
Isabelle, Claire et Hélène,
ses illes,
Christophe, Guy et Frédéric,
ses gendres,
Ses petits-enfants,
Sa famille
Et ses chers amis,
ont la douleur de faire part du décès de
Dominique FIESCHI,
ancien proviseur
du lycée Jacques Monod, à Paris 5e,
survenu le 2 mars 2016.
La famille et les amis se réuniront
le mercredi 9 mars, à 11 h 30, au
crématorium du cimetière du PèreLachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e.
Sa famille
Et ses proches,
ont la grande douleur d’annoncer le décès,
à son domicile, du
docteur Pierre GINESY,
le 1er mars 2016.
Un dernier hommage civil lui sera rendu
au sein de la salle Mauméjean du
crématorium du cimetière du PèreLachaise, à Paris 20e, entrée Gambetta,
le mardi 8 mars, à 14 h 30, suivi de
l’inhumation au cimetière de Charonne,
à Paris 20e.
Cet avis tient lieu de faire-part et de
remerciements.
Arnaud Goron,
son ils,
Pierre et Jacqueline Goron,
son frère et sa belle-sœur,
Christine Ribeil,
Jean-Marie et Marielle Vauclare,
ses amis,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
M. Jean-Jacques GORON,
le 28 février 2016,
survenu le 3 mars 2016,
à l’âge de soixante-quinze ans.
chez
Quentin DURAND
et Ioana DOKLEAN.
La crémation aura lieu le mercredi
9 mars, à 11 heures, au crématorium
du Gard, 490, rue Max-Chabaud, à Nîmes.
Décès
Paris.
Saint-Seurin-de-Bourg (Gironde).
M. Patrice Cambronne,
son époux tendrement aimé,
Betty, Brigitte, Bénédicte et Marie,
ses illes
et leurs conjoints,
leurs enfants et petits-enfants,
Marie Madeleine, Jean-Pascal,
Emmanuelle, Anne-Christine
et leurs conjoints,
leurs enfants et leur petite-ille,
La famille Dary,
Parents et amis,
ont la douleur d’annoncer que
Marie France CAMBRONNE,
née DARY,
a été reçue dans la tendresse de Dieu.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Mme Yves Guéna,
née Oriane de La Bourdonnaye,
son épouse,
Frédéric, Guy-Philippe, Etienne,
Brigitte, Nicolas, Elisabeth,
Emmanuel (†),
ses enfants
et leurs conjoints,
Ses vingt-trois petits-enfants,
Ses seize arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
Yves GUÉNA,
ancien des Forces françaises libres
1940-1945,
1re DFL, 2e DB,
Cet avis tient lieu de faire-part.
conseiller d’État honoraire,
ministre du général de Gaulle,
président du Conseil constitutionnel,
député,
sénateur,
conseiller général de la Dordogne,
maire de Périgueux,
Résidence La Chênaie,
6, avenue André-Lafon,
33820 Saint-Ciers-sur-Gironde.
grand-croix de la Légion d’honneur,
croix de guerre 1939-1945,
médaille de la Résistance,
Ses obsèques religieuses seront
célébrées le mercredi 9 mars 2016,
à 10 heures, en l’église de Saint-Seurin-deBourg.
Jean-Louis Comolli,
son époux,
Michèle Carles et Elisabeth Scotto,
ses sœurs,
Annie Comolli,
sa belle-sœur,
Philippe Carles et Christian Gauffre,
ses beaux-frères,
Esther Eichelbaum
et ses neveux et nièces, Pauline,
Mathilde, Marceau Azzopardi
et Gabriel Gauffre,
ont la tristesse de faire part du décès de
Marianne COMOLLI,
née SCOTTO DI VETTIMO,
chevalier
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
survenu le 3 mars 2016.
Une cérémonie aura lieu le mardi
8 mars, à 16 heures, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue des
Rondeaux, Paris 20e, salle Mauméjean.
Les sœurs Scotto Michèle Carles
et Elisabeth Scotto
ont la tristesse de faire part de la disparition
de l’une d’elles,
Marianne COMOLLI,
journaliste et auteur culinaire,
survenue le 3 mars 2016.
Une cérémonie aura lieu mardi 8 mars,
à 16 heures, au crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux,
Paris 20e, salle Mauméjean.
survenu à Paris, le 3 mars 2016,
dans sa quatre-vingt-quatorzième année.
Une messe sera célébrée le mardi
8 mars, à 9 h 30, en l’église Saint-Louisdes-Invalides, Paris 7e, à l’issue de laquelle
les honneurs militaires lui seront rendus.
La cérémonie religieuse aura lieu
le jeudi 10 mars, à 14 h 30, en l’église
de Chantérac (Dordogne), où la famille
recevra les condoléances.
L’inhumation se fera dans le caveau
familial, au cimetière de Chantérac.
13, rue René-Bazin,
75016 Paris.
Château de Chantérac (24190).
Jacques Godfrain,
président,
Le conseil d’administration,
Les membres de la Convention
Et le personnel de
la Fondation Charles de Gaulle,
ont la grande tristesse de faire part du
décès de
Le président
Et le bureau
des Amitiés de la Résistance,
Forces Combattantes de la Résistance,
font part avec leur grande peine du départ
le 3 mars 2016, de
Yves GUÉNA,
notre idèle membre,
grand résistant dès 1940
et haut serviteur de notre pays,
maintes fois honoré et décoré.
Nous assurons sa veuve, membre aussi
des Amitiés de la Résistance, et sa famille,
de notre profonde compassion.
(Le Monde du 5 mars.)
Me François Corone,
son époux,
Léo Corone,
son ils,
Le docteur Laurence Mechélany Leroy,
sa mère,
Le professeur Paul Didier,
son beau-père,
Jean Marie et Jacques Mechélany,
ses frères
Edith et Pascale,
ses belles-sœurs,
Ses neveux et nièces
Catherine et Isabelle
Ainsi que tous ses amis,
ont l’immense tristesse d’annoncer
la disparition du
docteur Carine
MECHÉLANY CORONE,
ancien interne
des Hôpitaux de Paris,
spécialiste en endocrinologie
et médecine nucléaire,
survenue après un rude et courageux
combat contre la maladie qui aura duré
cinq ans.
Une bénédiction sera célébrée le mardi
8 mars 2016, à 11 heures, en l’église
de Marne-la-Coquette.
Ses cendres reposeront ensuite
au cimetière de Pinarello en Corse.
Paul FUSTIER
est décédé le 3 mars 2016.
La Société française de psychothérapie
psychanalytique de groupe
(SFPPG),
La Fédération des associations
de psychothérapie analytique de groupe
(FAPAG),
partagent la tristesse de sa famille
et de ses proches et rendent hommage
à un grand pionnier de la Clinique
institutionnelle.
Remerciements
À vous toutes et tous qui nous avaient
entouré(e)s en paroles, en pensées, en
présences, en témoignages, en écrits
réconfortants, pendant le décès de
Muriel NAESSENS,
merci.
Liliane, Camille, Suzanne, Marc-Aurèle
et ses ami(e)s.
Anniversaire de décès
Denise DELBARY-ROCHE,
21 juin 1913 - 6 mars 2015.
Elle a traversé le siècle,
et ses blessures, avec endurance
et dignité.
En souvenir de sa présence.
Françoise Jacerme-Delbary,
Pierre Jacerme.
Jours portes-ouvertes
Sa famille,
Ses amis de l’École moderne,
sont au regret de faire part du décès de
Michel PELLISSIER,
instituteur pédagogie Freinet,
survenu le 26 février 2016.
Il repose auprès de ses parents,
en Oisans, au cimetière d’Allemond.
Paulette Soubeyrand,
son épouse,
Elisabeth et Emile Rafowicz,
Pascal Soubeyrand et Françoise,
Sophie Soubeyrand et Christian,
Christophe Soubeyrand et Véronique,
ses enfants,
Sarah, Charlotte et Olivier, Nathan,
Hugo et Elsa, Elie,
ses petits-enfants,
Anouchka, Arthur, Ismaël, Anton
et Paul Guilad,
ses arrière-petits-enfants,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
Roger SOUBEYRAND,
ingénieur civil des Mines,
survenu le 3 mars 2016.
La cérémonie sera célébrée le mercredi
9 mars, à 10 h 30, en la chapelle de l’Est
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Paulette Soubeyrand,
393, rue des Pyrénées,
75020 Paris.
Danielle Sztabholz, née Maupu,
son épouse,
Lisbeth, David, Sophie, Samuel,
ses enfants
et leurs conjoints,
Maxime, Théo, Camille, Eva, Jeanne,
Jason, Simon, Léo et Luiza,
ses petits-enfants,
Ses belles-sœurs,
Ses neveux et nièces,
ont la tristesse de faire part de la disparition
de
Portes Ouvertes
le samedi 19 mars 2016
Tables rondes sur les
différents domaines artistiques :
www.prepart.fr
Prix
Prix de la Recherche
de l’Ecole nationale de la magistrature
L’Ecole nationale de la magistrature
décerne un prix destiné à distinguer
annuellement des thèses en droit ou en
histoire du droit relatives à l’organisation
ou aux pratiques judiciaires.
Ce prix ouvre droit à une aide
à la publication de la thèse concernée.
Les étudiants ayant soutenu leur thèse
entre le 1er janvier 2015
et le 31 décembre 2015
peuvent se procurer le formulaire
de candidature sur le site
www.enm.justice.fr/les-prix-de-l-ENM
ou par courrier électronique à :
[email protected]
Date limite de dépôt des candidatures :
8 avril 2016, à 16 heures.
Département de la recherche
et de la documentation,
Ecole nationale de la magistrature,
10, rue des Frères Bonie,
33080 Bordeaux Cedex.
Albert SZTABHOLZ,
le 2 mars 2016, à Angers.
Albert incarnait la bienveillance,
la générosité et l’altruisme.
Une cérémonie a été célébrée ce lundi
7 mars, à 11 heures, au cimetière de l’Est,
à Angers (Maine-et-Loire).
Ni leurs ni couronnes. Vos dons pour
une association de recherche contre
le cancer.
Souvenons-nous de ses parents
Samuel et Lisbeth,
Yves GUÉNA,
ancien des Forces françaises libres,
président d’honneur
de la Fondation Charles de Gaulle,
ancien président
du Conseil constitutionnel,
ancien ministre,
grand-croix de la Légion d’honneur,
croix de guerre 1939-1945,
médaille de la Résistance.
Condoléances
de sa sœur,
Friedel,
morts en déportation à Auschwitz
et de son frère,
Simon.
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0123 | 25
0123
MARDI 8 MARS 2016
L'AIR DU TEMPS | CHRONIQUE
par b e noît hop q uin
Sacré Verdun !
C’
est reparti, comme
en
14.
Comme
en 2014 s’entend.
Avec le centenaire de
Verdun se déclenche une nouvelle
salve du souvenir. La France s’apprête à refaire ce qu’elle fait le
mieux : commémorer. Envoyez la
musique, militaire il va sans dire.
Gerbes de lys, de roses, d’anthuriums, brassées d’honneurs. Envolées lyriques, rhétorique du sacrifice, assauts d’éloquence au seul
péril de la tartufferie. Pompe et
coups de pompe qui se perdent.
Minute de silence. Sonnerie aux
morts. Remballez les drapeaux ! A
la revoyure !
Commémorez, commémorez, il
en restera toujours quelque chose.
Ces moments de consensus national sont si rares et si précieux.
François Hollande le sait bien, qui
entend coûte que coûte tenir sa
position à l’Elysée, quand les sondages promettent une mutinerie
en 2017 et le condamnent déjà au
poteau. Les dates de l’élection présidentielle devraient d’ailleurs
correspondre avec l’anniversaire
de la funeste offensive du Chemin
des Dames. Mauvais augure !
On va donc commémorer à
tout-va, manger du Paris-Verdun
dans une noria de voitures officielles, comme au temps de la Voie
sacrée. Au programme des hostilités ou des festivités, on ne sait
plus, Verdun donc, ses forts, ses
cotes, ses bois mortifères, ses villages vidés à jamais, et la bataille de
la Somme, ses mornes plaines, ses
offensives suicidaires sous les mitrailleuses allemandes. Deux belles boucheries, mes aïeux. Deux
bien belles fabriques à cimetières
et à mémoires d’outre-tombe. Il va
y en avoir, du beau linge, de l’uniforme d’apparat, à défiler sans
craindre les attaques de gaz, de boches, de typhus, de rats ou de totos, par les allées de Fleury-devantDouaumont, de Longueval, de
Beaumont-Hamel, de Thiepval…
On ne saurait tous les citer, il y en a
tant, de ces alignements de stèles,
tirés au cordeau, comme à la parade, avec dessous des pauvres hères allongés au garde-à-vous.
Depuis dix ans, anniversaire
après anniversaire, pour Le
Monde, on en a tant visité de ces
nécropoles, on en a tant passé en
revue de ces témoignages du
grand abattoir ! C’en est devenu la
risée de la rédaction, cette macabre fréquentation, comme un
vice, une déviance qu’on nous
prête. On a traîné ses guêtres dans
des dizaines et des dizaines de ces
lieux, sans que puisse s’éteindre la
colère devant chaque tombe de gamin cueilli dans la fleur de l’âge.
Entre fascination et horreur, quelque chose nous saisit toujours devant ce gâchis humain, une boule
au fond de la gorge, un coup à l’estomac, comme une boîte de singe
qui ne passerait pas.
A Douaumont, huit habitants et
130 000 âmes dans l’ossuaire, soldats inconnus jetés là pêle-mêle,
on repensait à ce que nous avait
dit en 2005 Louis de Cazenave, un
des derniers « poilus » alors en vie.
On avait été le débusquer dans sa
maisonnette de Brioude, en Haute-Loire, un jour où il était bien
luné, c’est-à-dire disposé à râler.
Alors qu’on parlait d’organiser une
cérémonie nationale pour l’enterrement du der des ders, le centenaire, sorti anar et pacifiste de ce
pandémonium, s’était emporté
contre l’idée : « Certains de mes camarades n’ont même pas eu droit à
IL FAUT
COMMÉMORER
14-18, COMME UN
RAPPEL RÉGULIER
DE VACCIN
GÎT LÀ PLUS
QU’UNE ARMÉE
MISE AU REPOS
ÉTERNEL,
UNE SOMME
D’ÊTRES CHERS
une croix de bois. » Par malchance,
il mourut l’avant-dernier. Sinon,
l’embarras de la République reconnaissante envers ce réfractaire aux
hochets aurait pu être cocasse.
Mais, bon, qu’ils le veuillent ou
non, on va les commémorer ces
soldats, on va leur rendre les honneurs, même à ceux qui n’en
avaient que faire. Ça a commencé
jeudi 3 mars, près d’Amiens, au
mémorial britannique de Pozières
où se sont rendus François Hollande et David Cameron. Une visite entre deux discussions sur les
migrants. Ceux-là, tiens, on aimerait nous les faire passer pour des
envahisseurs, tous autant qu’ils
sont, tous pareils sous leur uniforme de pauvreté, des nouveaux
uhlans venus nous envahir, violer
nos filles et nos compagnes. C’est
le principe de toutes les guerres
réussies de pratiquer la haine indiscriminée, d’abolir le discernement humain, de nier la responsabilité individuelle.
Un retour d’ypérite
La France va commémorer, encore, toujours, sans cesse, comme
une fuite en arrière. Et, dans le
fond, il le faut, absolument, plus
que jamais, car on sent bien monter par le pays et le continent un
vent délétère, comme un retour
d’ypérite. Il faut commémorer
14-18, comme un rappel régulier
de vaccin, même si on devine que
le rôle prophylactique de cette
guerre ne joue plus trop. Et que
l’image si forte de Kohl et Mitterrand se donnant la main à
Verdun en 1984 appartient à une
autre histoire, à une autre Europe.
Sacré Verdun ! Verdun sans Pétain, bien sûr. Verdun, avec un V
comme « Vous n’aurez pas l’Alsace
et la Lorraine ». Triste victoire.
Verdun, propagande devenue mythe national. Trois cents jours et
trois cents nuits de cauchemar qui
laissèrent 300 000 bonshommes
au tapis. Parfois, on se prend à rêver que ces damnés de la guerre se
mettent à chanter de sous l’herbe
grasse, au passage des cortèges officiels, la chanson dite de Craonne,
qui courait déjà les tranchées en
cette année 1916 : « Adieu la vie,
adieu l’amour/Adieu à toutes les
femmes/C’est bien fini, c’est pour
toujours/De cette guerre infâme/
C’est à Verdun, au fort de Vaux/
Qu’on a risqué sa peau/Car nous
sommes tous condamnés/Nous
sommes les sacrifiés. »
La France s’en va commémorer,
en grand apparat ou en famille.
Des particuliers viendront en
nombre sur les rives de la Meuse.
Ils se recueilleront devant un nom,
puis un autre, au hasard des rangs.
Tant ces Edmond, ces Auguste, ces
Eugène, ces Isaac, ces Sidi, ces Lahcène, ces Louis, ces vies volées
avant l’heure nous semblent proches. Car gît là plus qu’une armée
mise au repos éternel, une somme
d’êtres chers, sans qu’on sache
vraiment pourquoi. Qu’est-ce qui
nous attache à eux, de si loin ?
Qu’est-ce qui nous fait les admirer
et les aimer plus que d’autres ? Ce
moment national de Verdun fut
aussi et surtout une histoire personnelle. Une affaire de père, de
grand-père ou d’arrière-grandpère trop taiseux, qui aura laissé
une médaille dans un tiroir, une
photo en soldat et tant de silences
et de mystères sur cette traversée
du malheur. Comment a-t-il tenu,
pépé ? Enigme irrésolue. p
Tirage du Monde daté dimanche 6 - lundi 7 mars : 288 459 exemplaires
LES
AVERTISSEMENTS
DE L’EUROPE
CENTRALE
L’
Europe centrale postcommuniste
est-elle en train de sortir du modèle
démocratique libéral occidental ?
La question a été posée par l’évolution du
régime du premier ministre Viktor Orban,
en Hongrie, depuis 2010. Elle est doublement justifiée depuis l’arrivée au pouvoir à
Varsovie du parti conservateur-nationaliste Droit et justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski, en octobre. Samedi 5 mars, elle a
trouvé une nouvelle actualité, avec la confusion politique issue des élections en
Slovaquie, marquées par la montée de l’extrême droite nationaliste et par l’effondrement des partis démocrates-chrétiens
traditionnels.
Outre leur héritage communiste, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie ont en com-
mun, avec la République tchèque, une alliance informelle : le groupe de Visegrad.
Née en 1991 sur les ruines du communisme
pour soutenir leur intégration européenne,
cette alliance était tombée en désuétude
après l’accession réussie de ces anciens satellites de l’URSS dans l’Union européenne,
en 2004. La Slovaquie, seule des quatre à
être membre de la zone euro, doit d’ailleurs
prendre la présidence tournante de l’UE le
1er juillet. Mais le groupe de Visegrad a repris de l’activité récemment sous une nouvelle forme, celle d’un front du refus, au
sein de l’Union, sur la crise migratoire.
Le rejet des quotas de réfugiés, clairement
justifié par la plupart des dirigeants de ces
pays comme refus d’accueillir une population musulmane qui modifierait l’identité religieuse, culturelle et ethnique de
leurs sociétés, a cristallisé la remise en
cause, à Budapest, Varsovie, Prague et
Bratislava, d’une culture démocratique
considérée comme acquise par les Etats
membres de l’UE.
Il est encore trop tôt pour identifier clairement l’émergence d’un nouveau modèle
politique « illibéral » à l’Est : la montée de
l’extrême droite n’est, malheureusement,
pas une exclusivité de l’Europe centrale, et
l’accueil des réfugiés ne fait pas non plus
l’unanimité dans les vieilles démocraties
ouest-européennes. Le premier ministre
slovaque, Robert Fico, qui se définit comme
social-démocrate mais n’en a guère que le
nom, partage le credo nationaliste de
MM. Orban et Kaczynski sans pour autant
manifester les mêmes tendances autoritaires. En Pologne, le PiS dispose de la majorité absolue pour gouverner, alors qu’en
Slovaquie M. Fico va devoir former une coalition au sein d’un Parlement très fragmenté. A Prague comme à Bratislava, l’exécutif est divisé entre un président et un premier ministre qui ne parlent pas d’une
seule voix sur les réfugiés ni sur l’Europe.
Mais ce qui est commun à ces démocraties récentes est leur souverainisme, qui
peut être poussé jusqu’à un nationalisme à
outrance, la facilité avec laquelle elles s’opposent à l’autorité de Bruxelles tout en considérant l’aide des fonds structurels
comme évidente, le rejet du multiculturalisme et la distance parfois prise avec des
valeurs démocratiques solidement établies
dans le reste de l’Europe. Un autre trait
commun est leur niveau de vie, encore nettement en deçà de la moyenne de l’UE,
vingt-six ans après la sortie du communisme. Sous prétexte de « protéger la Slovaquie » en misant sur la peur du migrant au
lieu de se concentrer sur ses difficultés économiques, M. Fico l’a, en réalité, mise en
danger et a renforcé les partis d’extrême
droite. Le résultat, cependant, n’est pas seulement un défi pour lui : il l’est pour l’ensemble de l’UE. p
LA MATINALE DU MONDE
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OFFRES
D’EMPLOI
CHAQUE LUNDI
PAGES 8 ET 9
Loi travail : les petits patrons
satisfaits mais inquiets
L’Europe revoit
le statut des
travailleurs
détachés
▶ Comme les syndicats, les dirigeants de PME plaident pour un certain rééquilibrage du texte en faveur des salariés
P
our moi, ce texte va dans le bon
sens. Dommage que cela vire au
combat idéologique… » Les propos
d’Hervé Lecesne, PDG de Nactis Flavours,
un fabricant d’arômes alimentaires de
Bondoufle (Essonne), résument l’état
d’esprit de nombreux chefs d’entreprise.
L’avant-projet de loi de la ministre du travail, Myriam El Khomri, devait permettre
à François Hollande de mener la dernière
réforme de son quinquennat, point d’orgue d’une politique visant à redynamiser
l’économie.
Mais la « loi travail » est devenue le symbole de l’impéritie du gouvernement et de
son incapacité à prendre en compte les inquiétudes des Français. Malgré le report
au 24 mars de son passage en conseil des
ministres (sous une forme modifiée), plusieurs organisations syndicales et mouvements étudiants ou lycéens ont appelé à
une mobilisation, mercredi 9 mars, contre un texte jugé dangereux pour les acquis sociaux et source de précarité pour
les salariés.
Des critiques auxquelles les patrons opposent leur propre vécu, notamment
dans les PME-ETI qui constituent à la fois
l’essentiel du tissu économique français
et le moteur des embauches. « Ce texte est
une bonne initiative, le système actuel est
trop rigide », résume Frédéric Durand, dirigeant de Diabolocom, un éditeur de logiciels comptant trente-quatre salariés.
audrey tonnelier
→ LIR E L A S U IT E PAGE 6
L’EPR anglais fait valser les têtes chez EDF
▶ Thomas Piquemal a démissionné, jeudi 3 mars,
de son poste de directeur financier de l’électricien
▶ Il pointe le risque financier que fait porter
sur EDF le projet britannique d’EPR
à Hinkley Point, estimé à 24 milliards d’euros
→ LIR E
PAGE 4
REPORTAGE
wroclaw (pologne)
- envoyé spécial
R
adoslaw Galka est un patron en colère. En colère
contre la France, pays qu’il
porte pourtant dans son cœur.
Il y a fait ses études et y a travaillé
durant sept ans. Sa famille a
largement bénéficié du « modèle
social français », qui force toujours chez cet entrepreneur
une certaine admiration. Un modèle social qu’il met depuis dix
ans à l’épreuve, depuis qu’il a
fondé Poland Workforce, une
agence d’intérim spécialisée dans
les travailleurs détachés vers la
France. Depuis 2005, il y a envoyé
près de 8 000 Polonais, essentiellement dans les secteurs du bâtiment, de l’industrie et du tourisme. Une affaire lucrative : sa
PME réalise 7 millions d’euros de
chiffre d’affaires annuel.
L’objet de sa colère ? La volonté,
qui devait être affirmée par la
Commission européenne, mardi
8 mars, de réviser la directive sur
les travailleurs détachés, et le
« harcèlement » dont il dit être victime de la part des autorités françaises. Alors que sa société a été
distinguée par l’inspection du travail polonaise comme un modèle
de bonnes pratiques, elle a subi
près de vingt contrôles en 2015.
jakub iwaniuk
→ LIR E L A S U IT E PAGE 3
Sur le chantier
britannique
d’Hinkley Point,
en novembre 2014.
ADRIAN SHERRATT/REX/SIPA
PORTRAIT
DANIÈLE
KAPEL-MARCOVICI,
50 % PATRONNE, 50 %
MÉCÈNE, 100 % FEMME
→ LIR E
PAGE 2
HAUT DÉBIT
LA FIBRE NE VEUT PAS
FAIRE LES FRAIS
DE LA FUSION BOUYGUES
TELECOM-ORANGE
→ LIR E
PAGE 1 0
J CAC 40 | 4 451 PTS – 0,12 %
j DOW JONES | 17 006 PTS + 0,37 %
J EURO-DOLLAR | 1,0958
j PÉTROLE | 39,07 $ LE BARIL
j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,62 %
VALEURS AU 7 MARS – 9 H 30
1,92
MILLION
C’EST LE NOMBRE DE TRAVAILLEURS
DÉTACHÉS DANS L’UNION
EUROPÉENNE EN 2014
PERTES & PROFITS | EDF
Babel nucléaire
L’
atome fait décidément peur à beaucoup de monde. Sa dernière victime
n’est pas un écologiste saisi de frayeur
au pied de l’usine de retraitement de
déchets de la Hague (Manche), mais le directeur
financier d’EDF. Le gardien des chiffres du premier exploitant nucléaire mondial démissionne avec fracas, en raison d’un désaccord sur
le projet de construction de deux réacteurs de
troisième génération (EPR) à Hinkley Point, en
Grande-Bretagne.
Ce n’est bien sûr pas le risque environnemental qui inquiète à ce point ce grand argentier,
mais le risque financier. Selon lui, suivi en cela
par d’autres cadres et syndicalistes de l’entreprise, EDF met ses comptes en péril en se lançant aujourd’hui dans la construction de ces
monstres de béton et d’acier. Surgit alors un
troisième risque, économique cette fois. S’il repousse de cinq ou dix ans ce programme britannique, il compromet sa crédibilité et ses chances
de rester un acteur majeur d’une éventuelle relance du nucléaire dans le monde. Cornélien.
Cathédrale technologique
Ces trois risques, technologique, financier et
économique, forment un piège dans lequel s’est
enfermée progressivement la filière nucléaire
française. Celui-ci s’est construit au lendemain
de la catastrophe de Tchernobyl en avril 1986.
Dès le début des années 1990, Français et Allemands imaginent un réacteur dont le niveau de
sûreté serait tel qu’il écarterait tout risque d’accident de ce type. Et comme la sensibilité des po-
Cahier du « Monde » No 22128 daté Mardi 8 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément
pulations reste vive, on privilégie la piste d’une
machine de très forte puissance afin de limiter
au maximum les sites d’implantation.
Parois de 2,60 mètres de béton, enceinte renforcée, redondance accrue des mécanismes de
secours, le réacteur à eau pressurisée européen
(EPR), conçu par le français Areva et l’allemand
Siemens, devient une cathédrale technologique. Son niveau de sûreté, à chaque fois rehaussé, est impressionnant. Son coût aussi,
sans cesse revu à la hausse. Le premier chantier,
en Finlande, met en lumière un autre obstacle :
la perte de compétence de toute la filière. Coûts
et délais seront multipliés par trois et conduiront Areva au démantèlement.
En ravivant la peur de l’atome et donc la sévérité des autorités de sûreté, la catastrophe de
Fukushima, en mars 2011, achève de doucher les
espoirs placés dans cette technologie. Les coûts
s’envolent au moment même où l’Allemagne
abandonne son allié français en rase campagne
et où la crise économique réduit les moyens
d’investissements des éventuels clients. Et le
chantier français de Flamanville, dont la facture
grimpe sans cesse, n’est pas pour rassurer.
Trop sensible, trop cher, trop tard, l’EPR est
bien mal parti. Comment sortir du piège ? Hinkley Point montrait une issue avec, pour la première fois, un prix d’achat de l’électricité garanti par le client. Mais cela ne couvre pas les
aléas de la construction. Cette nouvelle Babel
nucléaire risque bien de se terminer comme
celle de la Bible : dans la confusion. p
philippe escande
L’HISTOIRE DE L’OCCIDENT
ÉDITION 2015
Un hors-série
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2 | portrait
0123
MARDI 8 MARS 2016
Danièle Kapel-Marcovici
PDG et féministe, à parts égales
A la tête du groupe Raja, le numéro
un européen de la distribution
d’emballage, comme par le biais
de ses fondations, cette militante
défend la cause des femmes
dans le monde
Q
uand le bâtiment va, tout
va », affirme le dicton. On
pourrait également dire :
« Quand l’emballage se
porte bien, l’économie
aussi », tant ce secteur est
un indice fiable de la santé
des entreprises. Nul n’est mieux placé pour
en suivre les rebonds ou les faiblesses que le
groupe Raja, leader européen de la distribution d’emballages, dirigé par Danièle KapelMarcovici. « C’est un vrai baromètre de l’économie mondiale », dit-elle.
Méconnue du grand public, cette PDG française, qui porte fièrement sa chevelure
rousse et ses convictions féministes, a su
donner une dimension internationale à sa
PME familiale, tout en faisant avancer la
cause des femmes grâce à un large éventail
d’activités, du mécénat d’art au financement de projets de développement. « Je mets
mon féminisme un peu partout », explique-telle au siège de Raja, installé depuis 1996 à
Paris-Nord 2, près de l’aéroport de RoissyCharles-de-Gaulle. Choisir un emplacement
sur une ligne du RER était une promesse
qu’elle avait faite à son personnel, qui
compte 45 % de femmes au niveau du management : une quasi-parité, exceptionnelle
dans le monde économique.
La patronne de Raja déborde d’idées pour
inciter les employés de son groupe, en
France comme dans les quatorze autres pays
européens où il est implanté, à s’investir bénévolement dans des associations de la région parisienne ou à effectuer des « microdons » réguliers pour celles qui se battent au
profit des femmes. Et ce, avec l’aide de la Fondation Raja créée en 2006 et qui investit
quelque 500 000 euros par an dans une vingtaine de pays d’Europe, d’Afrique, d’Asie et
d’Amérique latine.
« Sa façon de faire partager ses convictions à
son personnel n’est pas banale. Elle phosphore
énormément, et connaît la moitié de la planète », observe Brigitte de La Houssaye, experte en développement économique à la
Caisse des dépôts (et par ailleurs membre du
comité exécutif de la Fondation).
Ni lycée ni université
Des femmes, on en voit beaucoup dans les
bureaux parisiens de Raja, surtout dans ce
lieu sensible qu’est l’interface avec la clientèle, là où il faut répondre chaque jour à
1 500 appels téléphoniques et à 600 courriels. « 96 % des appels sont pris dans les vingt
secondes », indique Danièle Kapel-Marcovici,
qui a construit une « culture d’entreprise du
service personnalisé » aux PME. Pas question
de sous-traiter à des standardistes interchangeables : pour assurer le sur-mesure cher à
Raja, tous les collaborateurs suivent une formation de quatre mois.
Même si l’environnement y est plus
masculin, il y a aussi du personnel féminin au
volant des Fenwick dans le gigantesque centre d’expédition, de 16 mètres de haut, qui
jouxte le siège. Raja distribue des emballages,
fournitures et équipements à quelque 500 000 clients en Europe. La gamme de
produits va des étiquettes aux films à bulles,
des cartons aux sacs-poubelles de couleur
destinés au tri sélectif, des dévidoirs de ruban
adhésif aux « banderoleuses » qui gainent les
marchandises de feuilles de plastique. Soit
10 000 références qui s’alignent sur les
716 pages du catalogue Raja, la « bible de l’emballage ». Dès 2001, il a été disponible sur Internet. Aujourd’hui, 33 % des ventes passent
par cette voie, la logistique étant la clé de
voûte du système. A raison de 1 500 à
2 000 commandes quotidiennes rien qu’à Paris, tout doit fonctionner sur des roulettes.
On est loin de la modeste entreprise fondée
en 1954 par la mère de Danièle Kapel-Marco-
CYRILLE CHOUPAS POUR « LE MONDE »
14 JUILLET
1946
vici, Rachel, qui avait de l’énergie à revendre
et le don du commerce. La première syllabe
de Raja, c’est elle, la seconde étant à mettre
au crédit d’une éphémère associée prénommée Janine. « Ménil 00 20 » était le numéro
de téléphone, à cette époque où l’annuaire
parisien suivait les contours des quartiers : le
nom de Ménilmontant évoque les chansons
d’Aristide Bruant ou d’Edith Piaf, un Paris populaire et gouailleur, le terrain sur lequel a
poussé la PME de Rachel, secondée par son
mari Maurice Marcovici.
Danièle a commencé à y travailler dès
16 ans, en 1962, dans l’équipe de vente qui faisait du porte-à-porte. Pas de lycée ni d’université pour elle, mais le contact direct avec
les clients, une expérience qui fait qu’elle se
fie davantage à son instinct et au dialogue
avec ses collaborateurs qu’aux rapports des
cabinets d’audit.
Il n’a pas été facile de s’émanciper, de son
vivant, d’une personnalité aussi charismatique que Rachel. « Elle me répétait : tout ce que
tu fais, j’aurais pu le faire », se souvient sa
fille, qui a pris les rênes de l’entreprise
en 1982 et s’est lancée, douze ans plus tard, à
l’international.
Le saut décisif a été de racheter Binpac,
en Belgique, autre gros centre de distribution qui irrigue l’Allemagne, les Pays-Bas,
l’Autriche et la Suisse. Suivront, en 2010, le
français Cenpac (l’ex-numéro deux du secteur), le norvégien Postemballasje et le polonais CrossTrade, trois acquisitions qui
ont propulsé Raja (475 millions d’euros
de chiffre d’affaires en 2015) à la tête du marché européen.
« J’ai toujours préféré que la stratégie
émerge de l’intérieur, souligne Mme KapelMarcovici. Nous organisons chaque année
les réunions du comité stratégique dans un
pays différent, une ouverture extraordinaire,
car les directeurs locaux sont toujours des
autochtones. Nous aurions pu rester une PME
française, nous sommes devenus une ETI [en-
Naissance en
Seine-Saint-Denis
LA FEMME
D’AFFAIRES A FINANCÉ
LA NUMÉRISATION
DU FILM « L’UNE
CHANTE L’AUTRE PAS »,
D’AGNÈS VARDA,
EMBLÉMATIQUE
DES COMBATS
FÉMINISTES
DES ANNÉES 1970
1982
2006
2010
Prend la direction
des Cartons Raja,
la PME fondée
par sa mère,
Rachel Marcovici
Création
de la Fondation
Raja-Agir
pour les femmes
dans le monde
Le groupe Raja
devient le leader
européen de la distribution d’emballages
treprise de taille intermédiaire] européenne ». De celles dont la France manque,
comme elle le déplore.
Forte de cette réussite, Danièle Kapel-Marcovici s’est investi dans le mécénat artistique. Si sa mère collectionnait les moulins à
café, elle achète beaucoup d’art contemporain, dont une collection… sur le thème de
l’emballage. Elle est exposée au siège de l’entreprise « pour que tout le monde en profite ».
De nombreuses œuvres sont aussi installées
dans sa maison du Luberon, aménagée par
son compagnon, l’architecte Tristan Fourtine, décédé début 2013.
Expositions gratuites
Ensemble, ils ont créé un fonds de dotation
pour la sculpture contemporaine, la Villa
Datris (un nom obtenu de la fusion de leurs
deux prénoms), à Paris, dans les anciens locaux de la PME, ainsi qu’à l’Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse. Des expositions gratuites sont organisées chaque été : « Sculptrices », en 2013, réunissait ainsi 68 artistes,
parmi lesquelles Mâkhi Xenakis. Danièle Kapel a acquis cinq des statues par lesquelles la
fille du compositeur Iannis Xenakis veut
rendre une identité aux « folles » jadis enfermées à l’hôpital Pitié-Salpêtrière de Paris :
« J’ai tout de suite senti qu’elle faisait partie
des collectionneurs qui veulent vivre avec les
œuvres », se souvient l’artiste. L’idée de faire
« adopter » ces statues par les acheteurs, qui
doivent leur donner un prénom pour les tirer de l’oubli, l’a séduite.
La même passion l’a portée vers les installations vidéo d’Agnès Varda, rencontrée
grâce à la galeriste Nathalie Obadia. Elle a
ainsi financé la numérisation du long-métrage L’une chante l’autre pas, emblématique des combats féministes des années
1970 : « C’est un film très engagé, que la jeune
génération ne connaît pas », rappelle la fille
de la cinéaste, Rosalie Varda, de Ciné-Tamaris, qui souligne ce qu’ont en commun les
deux femmes malgré leur différence d’âge :
« La parité, l’indépendance financière, le
féminisme, ce sont des sujets qu’elles n’ont
jamais lâchés. »
L’une des lignes de force de la Fondation est
d’encourager les femmes à créer une entreprise, à travers le concours Créatrices d’avenir,
lancé en Ile-de-France en 2011, ou encore Paris
Pionnières, dont les trophées récompensent
les aventurières des « services innovants ». En
France comme dans la Silicon Valley en Californie, elles ne sont que 8 % à se risquer dans
ce secteur de pointe. « Mais les lignes bougent,
il y a déjà 30 % de femmes créatrices d’entreprise », constate Mme de La Houssaye.
Reste une question délicate, que tant de patrons d’entreprise familiale ont dû trancher :
celle de la relève. A bientôt 70 ans, Danièle
Kapel-Marcovici ne veut pas reproduire entre ses trois fils les dissensions qu’elle a connues avec l’un de ses frères, quand Rachel l’a
désignée, elle, pour lui succéder. Fille d’une
forte femme, sœur puis mère de garçons :
une bonne école pour une féministe. p
joëlle stolz
économie & entreprise | 3
0123
MARDI 8 MARS 2016
Le dumping social dans l’œil de Bruxelles
La Commission européenne propose une révision de la directive de 1996 sur les « travailleurs détachés »
bruxelles - bureau européen
L’
initiative va satisfaire la
France et l’Allemagne
mais elle risque de creuser un peu plus encore le
fossé entre l’ouest et l’est de l’Europe : la Commission européenne
devait annoncer, mardi 8 mars,
une révision de la directive « travailleurs détachés ». Elle aura pour
but de réduire au maximum les
différences de coût du travail entre
salariés dans un même pays. Cela
faisait des années que Paris plaidait pour une telle réforme, avec
l’appui de Berlin mais aussi des
pays qui s’estiment le plus lésés
par le système actuel et la concurrence jugée déloyale qu’il engendre : la Belgique, les Pays-Bas, le
Luxembourg, la Suède, l’Autriche.
La commissaire Marianne
Thyssen, une chrétienne-démocrate belge chargée de l’emploi et
des affaires sociales, propose
donc une réforme de la directive
de 1996 sur les travailleurs détachés. Principale nouveauté : le
fait que ces derniers, employés
dans un autre pays de l’Union
avec un contrat de leur pays d’origine, devront bénéficier des mêmes conditions de rémunération
que leurs collègues travaillant
pour la même entreprise avec un
contrat de ce pays « d’accueil ».
Jusqu’à présent, la directive de
1996 n’imposait qu’une seule
chose : que les travailleurs détachés touchent au moins le salaire
minimum du pays d’accueil.
Désormais, ils devraient aussi
pouvoir prétendre au 13e mois, aux
Mme Thyssen
prévoit d’étendre
le principe
« à travail égal,
salaire égal »
à la main-d’œuvre
des entreprises
de sous-traitance
primes de Noël ou d’ancienneté si
elles existent dans le secteur ou la
branche qui les emploient. « Nous
devons imposer le principe d’un salaire égal pour un travail identique
dans tous les secteurs », explique
Mme Thyssen. C’est toutefois aux
Etats qu’il appartiendra de fixer
cette règle, pas à la Commission,
souligne-t-elle.
Un exemple ? Un travailleur détaché dans le secteur de la construction en Belgique devrait recevoir, en plus du smic local (il oscille
entre 13,37 à 19,31 euros de l’heure),
des avantages liés aux accords collectifs dans le secteur, c’est-à-dire
une allocation en cas de mauvais
temps, une prise en charge d’une
partie de ses déplacements et de
ses vêtements de travail, une
prime liée à la pénibilité de certaines tâches, etc.
« Par ailleurs, le travail détaché
est par définition temporaire. Mais
la notion de “temporaire” est restée jusqu’à présent trop vague
dans les textes européens. Nous
voulons que le détachement ne
dure pas plus de deux ans. Au-delà
de vingt-quatre mois, un travailleur détaché sera donc soumis
à toutes les lois régissant les conditions de travail du pays d’accueil »,
précise la commissaire. En France,
par exemple, il bénéficiera des
35 heures.
Il n’est pas question toutefois,
pour Bruxelles, d’abandonner le
principe même du travailleur détaché. « Il est à la base de notre
marché intérieur unifié. Mais les
abus se sont multipliés, et l’incompréhension monte chez nos concitoyens, nous devons tenter d’y remédier », selon Mme Thyssen, qui
fut la présidente du Parti chrétien-démocrate flamand (CD & V)
entre 2008 et 2010, durant l’une
des périodes les plus compliquées
de l’histoire du royaume belge,
avec une crise politique qui dura
plus de cinq cents jours.
Un phénomène marginal
S’il demeure un phénomène marginal au regard de l’ensemble de la
population salariée dans l’Union
(0,7 %), le nombre de travailleurs
détachés a fortement progressé
(de près de 45 %) entre 2010 et 2014.
Pourvus de missions de quatre
mois, en moyenne, ils se concentrent dans le bâtiment (43,7 %), l’industrie manufacturière (21,8 %),
l’éducation, la santé et les services
sociaux (13,5 %). L’agriculture et les
abattoirs ont, eux aussi, été en
partie déstabilisés.
La France, l’Allemagne et la Belgique regroupent aujourd’hui la
moitié environ des 1,9 million de
travailleurs détachés. Ils étaient
400 000 en France, en 2014. Selon
« Les entreprises ne font pas appel
à nous pour faire des économies »
Près de 40 % des travailleurs détachés de l’Union européenne sont
originaires de Pologne, pays pour lequel ce débat est un enjeu de taille
suite de la première page
« Le problème, ce ne sont pas les
contrôles en soi mais leur caractère
intempestif, précise le patron. C’est
une spécificité française, car, de la
part des Allemands, nous faisons
l’objet d’un contrôle par an. Je considère qu’il s’agit de protectionnisme
français. » Un protectionnisme qui
remet en cause, selon lui, la liberté
de prestation de services au sein
de l’Union européenne.
Le problème, dit-il, c’est la « présomption de culpabilité » dont fait
systématiquement l’objet son entreprise de la part des inspecteurs.
« Une erreur humaine minime et
notre dossier est tout de suite estampillé “travail illégal”, s’indignet-il. Nous avons déjà gagné devant
les tribunaux contre les autorités
françaises. Nous n’avons reçu
aucun dédommagement. » Découragés par les contrôles à répétition,
certains clients se désistent :
en 2015, l’entreprise estime son
manque à gagner à 600 000 euros.
« Défauts structurels »
L’entrepreneur se défend de toute
accusation de dumping social.
« Contrairement aux idées reçues,
les entreprises ne font pas appel à
nous pour faire des économies
significatives. C’était vrai il y a dix
ans, mais le paradigme a changé.
Nous vendions alors un maçon à
14 euros de l’heure, charges et hébergement compris. Aujourd’hui,
c’est 23 euros. La différence avec
un travailleur local est minime. »
Pour lui, la première cause des
détachements est la pénurie de
main-d’œuvre. Les travailleurs
polonais sont aussi réputés plus
flexibles : « L’ouvrier polonais est
devenu une marque, un gage de
qualité. Il est polyvalent, mobile et
ne compte pas ses heures : c’est cela
que nous vendons. »
La législation européenne impose aux travailleurs détachés les
mêmes conditions de travail et de
rémunération que les locaux. Seules les charges sociales sont celles
du pays d’origine. Mais plusieurs
pays, dont la France, dénoncent un
dumping social. Mardi 8 mars, la
Commission européenne devrait
renforcer la lutte contre les abus
dans une nouvelle directive sur les
travailleurs détachés.
Pour la Pologne, ce débat européen est un enjeu de taille. Le pays
fournit à lui seul 36 % des travailleurs détachés de l’Union européenne, soit 430 000 personnes
en 2014 (dont 32 000 en France).
Près de 20 000 agences d’intérim
polonaises sont spécialisées dans
ce secteur, qui représente 1,3 milliard d’euros de recettes pour le
budget de l’Etat. Poland Workforce
en est l’un des leaders.
Les textes européens précisent
qu’une partie « significative » du
chiffre d’affaires des agences doit
être réalisé sur le territoire national. Mais, selon un arrêt récent de
la Cour suprême polonaise, « la
réglementation européenne ne
prévoit pas de seuil de chiffre d’affaires dans le pays d’origine ». Pour
Barbara Surdykowska, juriste au
syndicat Solidarnosc, « cela démontre bien que la directive européenne souffre de défauts structurels qui laissent la place à l’interprétation et peuvent être largement exploités par des entreprises
peu scrupuleuses ».
Pawel est un jeune ouvrier agricole. Depuis plus de trois ans, il
enchaîne les missions en France
en tant qu’intérimaire. « Je suis
passé par de nombreuses agences
et les surprises, que ce soit au
niveau des conditions de travail ou
de la fiche paie, sont la règle. » Il
travaille actuellement sur la base
de deux contrats : l’un signé avec
une entreprise basée au Royaume-Uni, l’autre avec une entreprise chypriote. La multiplication
des intermédiaires – souvent des
sociétés écrans – permet ainsi de
dédouaner de leur responsabilité
les employeurs en cas d’infraction aux normes.
Syndicats impuissants
L’agence qui l’emploie perçoit une
commission sur son salaire : il
touche 7,50 euros de l’heure au
lieu des 8,60 euros réglementaires. « Mes heures supplémentaires
ne sont pas majorées. Je n’ai ni congés payés ni arrêt maladie. Si je ne
travaille pas, je ne suis pas rémunéré », confie Pawel, qui n’a jamais
été témoin du moindre contrôle.
« De toute façon, de ce point de vue,
les entreprises sont assurées. Sur le
papier, tout est légal », affirme-t-il.
Malgré ces conditions, il se dit
satisfait et n’a pas l’intention de
changer d’employeur. « Par le
passé, j’ai vu bien pire. Il m’arrivait de me retrouver à la fin du
mois avec 750 euros net. Là, j’arrive
à 1 300 euros. Ma sécurité sociale
est payée. J’y trouve mon compte. »
Dans la pratique, rares sont les
salariés qui se plaignent. Et pour
ceux qui franchissent le pas, les
syndicats polonais se disent impuissants. « Le cas de ces travailleurs est du ressort des syndicats des pays d’accueil, où ils se
heurtent souvent à la barrière de la
langue, précise Andrzej Adamczyk, du Solidarnosc. Ce que nous
espérons, c’est que les flous de la législation européenne soient rapidement levés. » p
jakub iwaniuk
Mouvement des travailleurs détachés en Europe
PRINCIPAUX PAYS UTILISATEURS DE TRAVAILLEURS DÉTACHÉS EN 2014
EN MILLIERS DE PERSONNES
POLOGNE
ALLEMAGNE
FRANCE
SLOVÉNIE
ESPAGNE
PORTUGAL
Envoyés
SLOVAQUIE
Reçus
ITALIE
HONGRIE
BELGIQUE
ROUMANIE
LUXEMBOURG
AUTRICHE
PAYS-BAS
CROATIE
ROYAUME-UNI
0
100
200
300
400
SOURCE : COMMISSION EUROPÉENNE
les données de la Commission
européenne, dans quelques secteurs et certains Etats membres
les travailleurs détachés gagnent
jusqu’à 50 % de moins que les
locaux. Le projet de directive élaboré par Mme Thyssen prévoit
d’ailleurs d’étendre le principe « à
travail égal, salaire égal » à la
main-d’œuvre des entreprises de
sous-traitance. Les agences de travail intérimaire seront également
tenues d’appliquer les nouvelles
règles. Un principe de base de la
légalisation actuelle – le travailleur détaché restera assujetti à
la sécurité sociale de son pays
d’origine – ne changera pas.
Rouvrir le débat sur la directive
de 1996, n’est-ce pas risquer de
provoquer une nouvelle réaction
des pays d’Europe centrale et
orientale, qui s’y opposaient ?
Marianne Thyssen le conteste,
affirmant qu’elle veut « travailler
pour les Vingt-Huit et pour le marché intérieur en créant un système
tenable, clair, accepté par nos concitoyens ». Mais elle convient que
le débat ne s’annonce « pas simple » avec certaines capitales, qui
entendent défendre le statu quo.
N’aurait-il pas été plus sage,
aussi, d’attendre le résultat du
vote britannique sur un éventuel
« Brexit » pour ne pas influer sur
les électeurs sensibles à de telles
questions ? Le projet de directive
avait été décalé à la fin de 2015,
pour ne pas interférer avec la discussion entre Bruxelles et Londres. Mais la question des travailleurs détachés n’a « rien à
voir » avec le débat sur la sécurité
sociale ou les allocations familiales pour les travailleurs étrangers
en Grande-Bretagne, souligne la
commissaire. Ces débats-là commenceront – ou non – dès le lendemain de la consultation populaire prévue le 23 juin, en fonction
de son résultat… p
cécile ducourtieux
et jean-pierre stroobants
APPEL À CANDIDATURES
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ERIK IZRAELEWICZ
de l’enquête économique
CATÉGORIE
ÉTUDIANTE*
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2016
SUJET
RÉCOMPENSE
UNE BOURSE DE 5 000 €
Enquête écrite traitant d’un sujet
microéconomique innovant en France
ou en Europe annonçant ou révélant une
tendance économique émergente forte
DATE LIMITE DE CANDIDATURE
31 mars 2016
RÈGLEMENT ET INSCRIPTIONS
AVEC LE SOUTIEN DE
*Reservée aux étudiants d’HEC Paris,
du CFJ et des 13 autres écoles de
journalisme reconnues par la CPNEJ
en formation initiale
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4 | économie & entreprise
0123
MARDI 8 MARS 2016
L’EPR anglais met EDF face à un choix cornélien
Inquiet des risques du projet d’Hinkley Point, le directeur financier de l’électricien a préféré démissionner
C
ela faisait des semaines
que le directeur financier d’EDF tirait la sonnette d’alarme sur les
risques du projet de construction
de deux réacteurs EPR sur le site
britannique de Hinkley Point. En
vain. Thomas Piquemal a finalement décidé, jeudi 3 mars, de démissionner, selon une information de l’agence Bloomberg, confirmée lundi 7 mars au matin par
le groupe.
« Je regrette la précipitation de
son départ, et j’ai immédiatement
nommé Xavier Girre [directeur financier d’EDF pour la France] à titre provisoire » pour le remplacer,
a indiqué Jean-Bernard Lévy, PDG
d’EDF, lundi matin. A l’ouverture
de la Bourse, le titre de l’énergéticien plongeait de plus de 8 %.
Le désaccord portait moins sur
le principe même de la participation d’EDF à la relance du nucléaire au Royaume-Uni que « sur
sa faisabilité à court terme », selon
l’entourage de M. Piquemal, au
moment où l’effondrement des
prix de l’électricité sur le marché
européen ébranle les assises financières du groupe.
EDF a dû annoncer, le 16 février,
un résultat 2015 en net repli
(1,2 milliard d’euros) en raison
d’importantes provisions et dépréciations d’actifs. Après le retrait
d’Areva (concepteur de l’EPR) l’an
dernier du projet Hinkley Point, le
groupe devra consolider dans ses
comptes 24 milliards d’euros
– dont 16 milliards à la charge
d’EDF et 8 milliards financés par
China General Nuclear (CGN).
Cette démission a créé une fracture au sein même du gouvernement. L’écologiste Jean-Vincent
Placé, qui vient d’être nommé secrétaire d’Etat à la réforme de
l’Etat, a estimé, lundi, sur France
Info, que « l’EPR est une impasse
économique, industrielle et commerciale », évoquant les dérives
du calendrier et des finances des
EPR en construction à Flamanville
(Manche) et Olkiluoto (Finlande).
« Ces milliards, ils seraient bien
mieux sur les énergies renouvelables, bien mieux sur la recherche et
développement », a estimé l’élu.
Soutien sans faille de M. Macron
Le projet a pourtant le soutien
sans faille du ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Il a été
confirmé, le 3 mars, lors du sommet franco-britannique réuni à
Amiens (Somme), François Hollande et David Cameron le présentant comme un « pilier » de la
coopération entre Paris et Londres. « Avec le soutien de son actionnaire, EDF confirme étudier
l’investissement dans les deux
réacteurs de Hinkley Point dans les
meilleures conditions financières
pour le groupe », a réaffirmé lundi
matin M. Lévy, évoquant une
Un décret sur Fessenheim en 2016
« Le président de la République s’est engagé à fermer Fessenheim
d’ici à la fin 2016. C’est ça, la date », a déclaré, dimanche 6 mars,
Emmanuelle Cosse, ministre du logement et ex-secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, au Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI.
En fait, la loi de transition énergétique, qui plafonne la puissance
du parc nucléaire à son niveau actuel, va contraindre EDF à fermer
deux tranches de 900 mégawatts (MW) lors de la mise en service
de l’EPR de Flamanville (Manche). Celle-ci est prévue fin 2018.
La ministre de l’environnement, Ségolène Royal, a annoncé qu’un
décret actant l’arrêt de deux tranches sera pris en 2016. La loi ne
précise pas qu’il doit s’agir des deux réacteurs de Fessenheim,
mais EDF a indiqué travailler sur cette « unique hypothèse ».
Le directeur
financier
d’EDF,
Thomas
Piquemal,
à Paris, en
février 2014.
GILLES ROLLE/RÉA
« décision finale d’investissement
dans un avenir proche ». Le conseil
d’administration de l’électricien
doit théoriquement voter, le
30 mars, ce qui a semble-t-il précipité le départ de M. Piquemal.
Comptable de l’équilibre financier d’un groupe déjà lourdement
endetté (37,4 milliards d’euros),
M. Piquemal refusait d’endosser
une décision engageant les fonds
propres de l’entreprise. C’est une
véritable crise interne qui secoue
aujourd’hui EDF et fragilise son
PDG. Car l’inquiétude du « grand
argentier » rejoint celle d’autres
dirigeants, tout aussi critiques sur
l’aventure anglaise au moment où
l’entreprise doit financer d’énormes investissements en France. A
elles seules, la modernisation et
l’exploitation des 58 réacteurs en
service dans l’Hexagone, notamment leur mise aux normes de sûreté post-Fukushima, mobilisera
100 milliards, vient d’indiquer la
Cour des comptes. A cela s’ajouteront le rachat d’Areva NP (réacteurs) pour plus d’un milliard, les
investissements dans les énergies
renouvelables ou les réseaux électriques, et le déploiement du
compteur communiquant Linky.
Calendrier irréaliste
Cette inquiétude fait écho aux critiques de tous les syndicats du
groupe. Favorables au développement nucléaire d’EDF au Royaume-Uni, ils n’en réclament pas
moins un report de Hinkley Point
C. Il n’y a aucune urgence, selon
L’excès de dette, publique comme privée,
menace l’économie mondiale
L’
susceptibles de venir au secours
de l’activité.
Ces inquiétudes sont-elles justifiées ? Avant d’y répondre, la BRI,
dont la principale mission est
d’aider les instituts monétaires à
assurer la stabilité financière,
avance une explication : le responsable de toutes ces turbulences
– mais aussi d’évolutions structurelles telles que le déclin de la productivité – est la dette, publique
comme privée. « [Cette dernière]
était à l’origine de la crise financière [de 2008] et, depuis lors, elle a
continué à enfler dans le monde
entier », explique M. Borio, dans
une introduction au rapport.
De fait, le niveau global d’endettement public et privé excède désormais son niveau de 2007, dépassant les 200 % du produit intérieur brut (PIB). Certes, le secteur
privé des pays industrialisés a
commencé à se désendetter, notamment aux Etats-Unis. Mais la
dette publique, elle, y a explosé
– elle culmine aujourd’hui à
Le boom
du crédit
a déclenché
une mauvaise
allocation
des ressources
104,5 % du PIB du pays, selon le
Fonds monétaire international.
Plus inquiétant encore, note la
BRI, l’endettement en dollars des
entreprises des pays émergents
enregistre lui aussi une forte
hausse. « Ce phénomène va de pair
avec une envolée des prix de l’immobilier suscitée par une prise de
risque audacieuse, constate M. Borio. Autant de signes qui rappellent
les booms financiers observés
avant la crise dans les économies
qui en ont ensuite été victimes. »
Cercle vicieux
Depuis 2009, la dette des pays
émergents libellée en dollars a
ainsi doublé pour atteindre
3 300 milliards de dollars (soit
plus de 3 000 milliards d’euros).
Mais elle a cessé d’augmenter au
troisième trimestre 2015. S’agit-il
d’une accalmie, ou du début d’un
krach ? Une chose est sûre : les
conditions de financement extérieures se sont durcies pour les
PME et les grands groupes d’Asie
et d’Amérique latine, notamment
du fait de la dépréciation face au
dollar de plusieurs devises,
comme le réal brésilien ou le
yuan chinois.
Du coup, nombre de ces entreprises ont cessé d’emprunter, ou
bien tentent de rembourser leur
dette en dollars. Le problème, c’est
que ce durcissement intervient
au moment où le cycle économi-
ses détracteurs, qui ajoutent que le
prix garanti de l’électricité par Londres sur trente-cinq ans (120 euros
le mégawatt/heure) n’est pas compétitif : il s’établit à 28 euros le
MWh en Europe actuellement.
Résultat : des cadres dirigeants et
les syndicats plaident pour un report du projet. Le temps qu’EDF et
Areva NP mettent au point leur
« EPR nouveau modèle », qu’ils espèrent construire pour 6 milliards
d’euros, avec un prix de l’électricité
de 60-70 euros le MWh. Mais son
entrée en service n’interviendrait
pas avant la fin de la prochaine décennie. Ce qui, selon les partisans
de Hinkley Point, mettrait en danger toute la filière nucléaire française. Un choix cornélien. p
jean-michel bezat
327
L’endettement global est supérieur à son niveau de 2007, avant la crise financière
excès de dette sur les
cinq continents menace
la reprise et risque de
plonger le monde dans une nouvelle crise destructrice. Tel est, en
substance, le message d’alarme
lancé par les chercheurs de la Banque des règlements internationaux (BRI) dans le rapport trimestriel de l’institution, publié dimanche 6 mars.
« Sur fond de déclin de la croissance de la productivité, le stock
mondial de dette continue d’augmenter et la marge de manœuvre
des pouvoirs publics se rétrécit
sans cesse. C’est la trilogie infernale », prévient ainsi Claudio Borio, chef du département économique et monétaire de la BRI.
Intitulé « Un calme précaire fait
place à des turbulences sur les
marchés », le rapport de l’institution, parfois surnommée « la banque centrale des banques centrales », revient d’abord sur les secousses qui ont agité les Bourses
mondiales en début d’année. Inquiets du ralentissement de l’économie chinoise et des pays émergents, les marchés, provoquant au
passage l’effondrement des prix
du pétrole, sont rapidement devenus nerveux à propos de l’état de
santé des banques, notamment
en Europe. A propos de la croissance mondiale dans son ensemble aussi, et du manque d’instruments monétaires et budgétaires
eux, à lancer un tel investissement.
Frappé par un recul de la consommation d’électricité, le pays n’est
pas menacé de pénurie à un horizon de dix ans, grâce au développement de parcs éoliens en mer et
aux interconnexions aux frontières, qui lui permettront de disposer d’une capacité supplémentaire
de plus de 6 000 mégawatts (MW)
à partir de 2020-2021.
Au départ, Hinkley Point devait
être un « copier-coller » de Flamanville. Mais l’Office de sûreté nucléaire britannique a demandé des
modifications qui en ont fait une
« tête de série », avec les risques industriels et financiers inhérents.
Le calendrier de construction retenu (68 mois en moyenne par
réacteur) est irréaliste, soulignent
que commence à se retourner
dans plusieurs de ces pays. Un cercle vicieux qui pourrait faire des
ravages.
Mais la dette est également
« coupable », estime la BRI, de l’affaiblissement de la productivité
dans la plupart des pays. Un mal
qui mine la croissance mondiale.
Le boom du crédit a en effet déclenché une mauvaise allocation
des ressources, l’argent facile profitant surtout aux secteurs à fort
rendement, comme l’immobilier,
et non à ceux susceptibles d’augmenter la croissance future,
comme les énergies renouvelables. « Autrement dit, il se pourrait
que nous soyons face, non pas à
des coups de tonnerre isolés, mais
aux signes avant-coureurs d’une
tempête qui couve depuis longtemps », s’alarme M. Borio.
Quelles réponses apporter en
cas de nouvelle crise ? C’est probablement le plus inquiétant : partageant le constat de nombreux économistes, les experts de la BRI notent que les banques centrales,
« trop sollicitées, pendant trop
longtemps, après la crise », ont désormais peu de marges de
manœuvre. Les marchés commencent à le comprendre – ce qui
explique d’ailleurs leur nervosité.
« Les pouvoirs publics seraient bien
avisés d’en prendre conscience eux
aussi », conclut M. Borio. p
marie charrel
C’est le nombre de signalements reçus par l’Observatoire des négociations commerciales. Mis en place pour la première fois par l’Association
nationale des industries alimentaires (ANIA), cet observatoire doit donner des indications sur le déroulement des négociations commerciales
entre les industriels et le secteur de la distribution. Celles-ci se sont
achevées le 29 février. L’ANIA, qui estime que ces discussions se sont
encore une fois déroulées dans une ambiance particulièrement tendue,
a annoncé, lundi 7 mars, avoir envoyé huit courriers aux enseignes pour
leur demander de cesser leurs agissements, à la suite de la réception
des 327 signalements de pratiques considérées comme frauduleuses.
AGR I CU LT U R E
11 % de visiteurs
en moins au Salon
de l’agriculture
Le 53e Salon de l’agriculture,
qui s’est achevé dimanche
6 mars, a enregistré une
baisse de sa fréquentation de
11 % par rapport à 2015. Plus
de 611 000 visiteurs sont venus durant les neuf jours,
contre 691 000 en 2015 et
703 000 en 2014. Le pic a eu
lieu samedi 5 mars « où l’on
a frôlé les 90 000 visiteurs »,
selon les organisateurs.
BT P
Vinci désigné pour
la construction du plus
long tunnel sous-marin
Le groupe français de BTP figure au sein du consortium
désigné pour la construction
du plus long tunnel sous-marin au monde entre l’Allemagne et le Danemark. D’un
montant de plus de 7 milliards d’euros, cet ouvrage de
quatre voies routières et une
double voie ferroviaire relierait sur 18 kilomètres l’île allemande de Fehmarn à l’île
danoise de Lolland. Prévu en
2015, ce chantier reste soumis
à l’aval des autorités allemandes, retardé après plusieurs
plaintes. – (AFP.)
AÉR I EN
ADP entre au capital des
aéroports vietnamiens
Le gouvernement vietnamien
a autorisé Aéroports de Paris
(ADP) à entrer dans le capital
d’Airports Corporation of
Vietnam à hauteur de 20 %,
dans le cadre de sa privatisation partielle, selon la presse
quotidienne vietnamienne.
L’opération sera achevée au
troisième trimestre 2016.
– (Reuters.)
ÉN ER GI E
Npower supprime
20 % de ses emplois
au Royaume-Uni
Le groupe d’énergie Npower,
filiale de l’allemand RWE,
s’apprête à annoncer la suppression de 2 500 emplois
au Royaume-Uni, soit près
de 20 % de ses 11 500 postes
dans le pays, a indiqué Skynews dimanche 6 mars.
management | 5
0123
MARDI 8 MARS 2016
Le blues de la parité et comment y remédier
LE COIN DU COACH
Les femmes comptent sur les nouvelles formes de management pour améliorer la mixité en entreprise
ANALYSE
C
ombien êtes-vous, ce
8 mars, Journée des femmes, à vous être dit :
« Ras le bol ! Assez ! » Assez de discours sur la parité. Assez
de palabres sur le plafond de verre
et autres inégalités quand, de fait,
rien ne bouge ou si peu. Dans le
monde anglo-saxon, cette lassitude a un nom : « gender fatigue »,
une forme ciblée de la « diversity
fatigue », définie comme « une
forme d’épuisement mental dû à
l’attention constante requise pour
s’assurer que le personnel est racialement ou ethniquement divers »,
expliquait, il y a dix ans dans The
Network Journal, Herbert Smith,
chasseur de têtes, spécialiste du
recrutement de femmes ou de
personnes issues des minorités.
Les syndromes ? « Un sentiment
de frustration, de colère, d’incapacité à aider, d’impossibilité à contrôler sa propre destinée et sa progression de carrière. » Chacun panique à l’idée d’entendre cette
phrase terrifiante : « J’appartiens
au service des ressources humaines et je suis venu vous voir pour
organiser un séminaire sur la diversité », ironise le chroniqueur
anonyme – comme c’est la règle –
de The Economist du 13 février.
Idées préconçues
Le phénomène n’est pas spécifiquement américain. Il gagne aussi
l’Europe, et la France en particulier, affirme Marie-Christine Maheas, directrice du développement de SilverRail technologies et
coordinatrice de l’Observatoire de
l’équilibre
hommes-femmes
(OEHF), un think tank créé fin
2015. « On ressent beaucoup de
pression, de volontarisme pour
améliorer la parité dans les entreprises. Les programmes et réseaux
sont pléthoriques, mais les résultats restent insignifiants, poursuit
cette bonne connaisseuse des programmes en faveur de la parité.
Quand la culture de l’entreprise et
ses hauts dirigeants n’encouragent
pas vraiment ce genre d’initiative,
les manageurs ne peuvent atteindre leurs objectifs et se disent qu’ils
n’y arriveront jamais. »
C’est en effet le cœur du problème. Très peu de PDG se sont
CHEZ GERTRUD
sincèrement engagés pour cette
cause, ce qui est indispensable
pour faire évoluer les cultures, effacer les stéréotypes. Car ce n’est
ni le niveau d’éducation qui s’oppose à la carrière des femmes
– celles-ci sont désormais aussi,
voire plus diplômées que les hommes. Ni leur présence sur le marché du travail – en France, les femmes forment 47,82 % de la population active. Ni leur ambition – les
études de l’institut Catalyst ont
largement démontré ce point.
Mais le blocage tient au fait que la
majorité des manageurs continuent de penser plus ou moins
consciemment qu’avoir une famille et des enfants est un obstacle à la prise de responsabilité par
les femmes. Même s’il n’en est
rien, en réalité.
Il s’agit donc bien d’idées préconçues. Ce qui explique qu’à l’exception des conseils d’administration d’entreprises situées dans
les pays à quotas, comme la
France, les instances de direction
restent globalement très peu féminisées. Les femmes ne représentent que 11,24 % des effectifs
des comités de direction des
soixante plus grandes entreprises françaises, selon le sociologue
Michel Ferrary, professeur à l’université de Genève et à la Skema
Business School.
Or, dans les entreprises, « la parité hommes-femmes est nettement profitable », réaffirme une
étude extrêmement complète et
scientifiquement solide puisque
portant sur 21 980 entreprises de
91 pays, publiée en février par le
Peterson Institute for International Economics. Elle est signée de
trois économistes, Marcus Noland, Tyler Moran et Barbara
Kotschwar. « La marge nette des
entreprises bénéficiaires comptant 30 % de femmes dirigeantes
est supérieure de 15 % à celle des
sociétés n’en comptant aucune. »
Déploiement du numérique
En revanche, les auteurs de l’étude
n’observent pas de corrélation
claire entre le profit généré et le
fait qu’une entreprise ait une
femme pour PDG. Pas de corrélation non plus entre profit et nombre de femmes administratrices.
Leur présence a néanmoins une
influence positive indirecte. Car
Quels congés pour les travailleurs handicapés ?
L
¶
Francis Kessler
est maître
de conférences
à l’université
Paris-I-PanthéonSorbonne
plus il y a de femmes dans les conseils d’administration, plus il y en
a dans les comités de direction.
Le déploiement du numérique
et des nouvelles formes de management induites pourraient débloquer la situation, veulent
croire les membres du cercle
InterElles, qui fédère les réseaux
de quatorze grandes entreprises
françaises de secteurs scientifiques et technologiques. Pourquoi ? Parce que le télétravail permet de mieux concilier tâches familiales et professionnelles tant
pour les hommes que pour les
femmes, estime Florence Gury,
responsable qualité de General
Electric Healthcare. Et que les opportunités de carrière seront davantage fondées sur les résultats
et moins sur la présence, ajoute
Anne-Isabelle Lichterowicz, directrice du développement des compétences pour Orange. « Parce que
le manageur de demain va muter.
Il devra faire preuve de qualités fédératives et collectives », ajoute
Mme Gury.
Enfin, les carrières hiérarchiques pourraient être moins linéaires. « Quelqu’un pourra être chef
de projet un jour et contributeur le
lendemain. Dans cette dynamique,
les confrontations d’ego pourraient disparaître. » Sous-entendu : les qualités dites « féminines » seront à l’honneur. Comme
au judo, les femmes pourront
alors utiliser ce qui faisait la force
de l’adversaire – en l’occurrence,
les stéréotypes de genre – à leur
profit et à celui de la société. Méthode Coué ? p
annie kahn
Le jeu au secours
des enjeux
Depuis des décennies, les enjeux stratégiques, commerciaux, professionnels,
personnels sont devenus la quête du
Graal de chacun. Ou du moins la caractéristique de la génération qui a accédé
au marché du travail dans les années
1980, biberonnée au culte de la performance. Mais les crises d’un monde en
changement constant ont fini par lasser
et démobiliser les plus motivés.
L’individu a oublié sa part d’humanité
dans cette approche ; pire : sa part d’enfant. Le pédopsychiatre anglais Donald
Winnicott a montré que « l’existence
d’une aire d’expérience en continuité directe avec le jeu du petit enfant est à
même de soulager la mise en relation de
la réalité du dedans et de la réalité du dehors ». Bref, d’alléger les angoisses.
Créatif, le jeu aide à s’affirmer en tant
qu’individu. Il mobilise la concentration,
l’imagination, la confiance, l’interprétation et la personnalisation de la réalité,
en étant d’abord individuel, puis partagé
et source de communication entre pairs.
Si l’on en croit M. Winnicott, la créativité
permet l’approche de la réalité extérieure, car être créatif par rapport à la
réalité, c’est questionner le quotidien.
C’est exactement ce qu’apportent dans
l’entreprise les nouvelles générations.
Le jeu serait-il le nouveau levier de motivation ? Jouer avec les objectifs commerciaux, les plans d’action et les stratégies comme autant de rébus à résoudre ?
A condition que les missions soient simplifiées. Car la lourdeur et l’inefficacité
de ce qui est parfois demandé accablent
et découragent les plus engagés. Transformer nos enjeux en jeux pourrait devenir à terme le meilleur moyen de réaliser
ses enjeux. p
présentent
MBA FAIR
Le salon des MBA & executive masters
QUESTION DE DROIT SOCIAL
es personnes en situation de handicap qui ne peuvent travailler en milieu professionnel ordinaire peuvent
exercer une activité tout en bénéficiant
d’un suivi médico-éducatif dans une institution dite de « milieu protégé » : l’établissement et service d’aide par le travail (ESAT),
qui a remplacé l’ex-centre d’aide par le travail (CAT). Comme le souligne le rapport
d’information du sénateur Eric Bocquet du
15 avril 2015 sur le sujet, l’ESAT a aussi une
fonction de « tremplin vers un emploi en entreprise ordinaire, le passage des travailleurs
handicapés par l’établissement leur permettant d’acquérir ou de réapprendre les règles
qui régissent le monde du travail. L’accueil
en ESAT permet, en effet, aux personnes handicapées de conforter leurs capacités de travail et d’autonomie, ce qui renforce leur employabilité ».
Mais l’activité en CAT/ESAT donne-t-elle
droit à des congés ? La Cour de justice de
l’Union européenne avait répondu positivement le 26 mars 2015, en partant du fait que
les activités exercées au sein d’un CAT ne
sont pas accessoires, car il ne s’agit pas seulement d’insérer la personne. Les activités
sont réelles et effectives. Elles sont pratiquées sous la direction d’une personne et
en contrepartie d’une rémunération. La
Cour en a déduit que le droit communautaire, en l’espèce la directive 2003/88/CE,
confère aux personnes handicapées évoluant dans une structure d’accueil à caractère social la qualité de travailleur, et, par
conséquent, tous les droits qui découlent de
par sophie péters
Boostez votre carrière !
ce statut, notamment le droit aux congés ou
à une indemnité compensatrice.
La chambre sociale de la Cour de cassation
du 16 décembre 2015 vient de contredire
cette approche : les travailleurs handicapés
travaillant en milieu protégé n’avaient pas
de contrat de travail avant 2007. Ils « ne peuvent [donc] se prévaloir d’un droit à congés
qu’à compter de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, du décret n° 2006-703 du
16 juin 2006 (…) ».
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Violation du principe
Cette solution est pour le moins surprenante. Au point 25 de son arrêt, la Cour de
justice avait pris la peine de rappeler que
« aux fins de l’application de la directive
2003/88, la notion de “travailleur” ne saurait
recevoir une interprétation variant selon les
droits nationaux, mais revêt une portée
autonome propre au droit de l’Union ».
Donc, dès 2003, une personne en situation
de handicap travaillant en milieu protégé
est donc considérée comme « travailleur »
par l’Union européenne avec tous les droits
qui y sont attachés, dont les congés. Il peut
donc y avoir un travailleur avec des droits (à
congés) sans contrat formel de travail.
Mais la Cour de cassation n’a pas retenu la
règle communautaire : la qualification nationale et l’absence de droit à (indemnisation) de congés non pris (avant 2007) des
personnes handicapées en CAT/ESAT l’emportent sur le droit de l’Union européenne.
Il y a violation du principe fondamental de
la primauté du droit européen. p
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6 | dossier
0123
MARDI 8 MARS 2016
P R OJ E T D E L O I T R AVA I L
Le « oui, mais… »
des chefs d’entreprise
à la loi El Khomri
Si les patrons plébiscitent l’idée de réformer le code
du travail, certains dirigeants de PME plaident
pour un rééquilibrage du texte en faveur des salariés
suite de la première page
« Quand
on embauche
quelqu’un, on sait
qu’on prend un
risque financier.
Donc, on est
frileux »
Principales mesures qui cristallisent la colère : le plafonnement
des indemnités prud’homales en
cas de licenciement abusif et l’assouplissement des motifs de licenciement économique, par
exemple dans les cas de plusieurs
trimestres consécutifs de recul
des ventes, sont plébiscités par les
dirigeants de PME-ETI pour lever
les « freins à l’embauche », selon la
terminologie du gouvernement.
« Le plafonnement des indemnités prud’homales me semble essentiel. Aujourd’hui, pour des sujets identiques, selon le tribunal,
on peut être relaxé ou lourdement
condamné. C’est la roulette
russe ! », souligne Guillaume Richard, fondateur d’O2, un prestataire de services d’aide à domicile
(ménage, garde d’enfants, etc.).
Une incertitude potentiellement
catastrophique pour les plus petites structures. « Nous avons eu
une mise en cause aux prud’hommes : cela nous a coûté
500 000 euros, soit un an de résultat financier ! », déplore Thierry
Borrat, patron de Deco Ader, un
fabricant francilien d’adhésifs
pour les façades et les véhicules.
Même sans aller jusqu’aux
prud’hommes, le sujet du licenciement trotte régulièrement
dans la tête des petits patrons.
« Quand on embauche quelqu’un,
on sait qu’on prend un risque financier. Donc, on est frileux.
En 2015, nous avons embauché un
FRÉDÉRIC DURAND
dirigeant de Diabolocom
salarié senior au Royaume-Uni.
Nous ne l’aurions pas fait en
France : le risque potentiel est trop
important », explique M. Durand,
chez Diabolocom.
« J’ai vingt-cinq salariés, je réfléchis à en embaucher deux de plus.
Mais j’hésite, abonde Pierre Kuchly, le dirigeant d’ERA-SIB, une
entreprise de robinetterie industrielle à Argenteuil (Val-d’Oise).
Depuis la crise de 2008, ma PME
est régulièrement confrontée à
des chutes brutales de chiffre d’affaires, de 25 % à 30 %. Savoir que je
pourrais me séparer d’un collaborateur en cas de coup dur m’aiderait à embaucher. » M. Kuchly se
défend de vouloir licencier sans
raison. « Je suis un ancien+++ salarié de ma société, que j’ai rachetée. Je peux vous dire que me séparer de quelqu’un est toujours un
déchirement ! »
Les petits patrons se disent également favorables aux assouplissements du temps de travail au-
delà des 35 heures, et à l’abaissement du taux de majoration des
heures supplémentaires. « Dans
les arômes pour boissons, l’activité
connaît un pic l’été. Aujourd’hui,
nous payons des heures supplémentaires à nos 250 salariés, mais
cela revient cher », indique M. Lecesne, chez Nactis Flavours. « Tous
nos contrats intègrent quatre heures supplémentaires d’office, car la
concurrence est mondiale. Face à
des équipes de développeurs russes
ou indiens, nous devons être compétitifs », explique de son côté
M. Durand, chez Diabolocom.
« Conserver du bipartisme »
De nombreux petits chefs d’entreprise n’ont d’ailleurs pas attendu
le débat actuel pour s’affranchir,
dans les faits, des 35 heures. « Depuis un mois, mes affaires vont
moins bien. En accord avec mes
dix salariés, j’ai donc réduit le temps
de travail, en leur demandant de
poser leurs congés ou des jours de
récupérations, pour passer de 39 à
37 heures par semaine. Ils jouent le
jeu ! Je ne vais quand même pas leur
dire : on est un de trop ! », détaille
Béatrice Veyrac, gérante de Soud
Hydro, une TPE aveyronnaise spécialisée dans la maintenance de
matériel hydraulique.
En revanche, modifier le temps
de travail par référendum d’entreprise, une réforme censée permettre de mieux prendre en compte
l’avis des salariés, fait débat entre
grands et petits patrons. Dans son
ETI de 250 personnes, M. Lecesne
y est favorable. « Avec ce texte, on
ne casse pas le dialogue social, on
la ramène au niveau de l’entreprise », estime-t-il. « Le code du travail est à des années-lumière de ce
qu’il devrait être pour faciliter la recherche d’un accord au sein des entreprises», a souligné Jean-Dominique Senard, le patron de Michelin, dans Le Figaro du 5 mars, qualifiant la loi d’« étape importante ».
Les TPE sont, elles, plus réticentes.
« Les référendums d’entreprise [qui
doivent être précédés d’un accord
signé par des syndicats représentant au moins 30 % des voix] sont
complètement inapplicables dans
les TPE-PME. C’est méconnaître notre réalité : je fais le tour de tous
mes salariés chaque matin, je les
connais ! », assure M. Kuchly.
C’est aussi au nom de cette réalité du terrain que certains petits
patrons sont favorables à un réé-
quilibrage du texte. Des réformes
comme la baisse des salaires en
cas de difficultés conjoncturelles
ou de nécessité de gagner de nouveaux marchés peuvent mener à
des déséquilibres, avertissent-ils.
« La flexibilité est importante car
nous avons peu de visibilité vu les
conditions économiques. Mais attention à ne pas oublier les notions
de qualité et de confort de vie de
chacun. Il faut conserver du bipar-
La flexibilité à la française n’a pas permis d’éviter les licenciements
Les accords de maintien de l’emploi devaient garantir l’activité en échange d’une baisse des salaires et d’un ajustement du temps de travail
D
partie de ces sacrifices, les salariés
ont la garantie de conserver leur
poste sur la période définie ; ceux
qui refusent ces nouvelles conditions font l’objet d’un licenciement économique individuel.
estinés aux entreprises
confrontées à de « graves
difficultés économiques
conjoncturelles », les accords de
maintien de l’emploi n’ont pas
rencontré le succès escompté par
le gouvernement. Moins d’une dizaine a été signée. Et les pionniers
– les équipementiers Walor, à Legé
(Loire-Atlantique), et Mahle-Behr,
à Rouffach (Haut-Rhin) – en gardent un goût amer.
Ce dispositif, inscrit dans la loi de
sécurisation de l’emploi du
14 juin 2013, permet la signature
d’accords majoritaires prévoyant,
sur deux ans au maximum (cinq
depuis la loi Macron du
10 juillet 2015), une baisse des salaires et/ou la flexibilité du temps de
travail des personnels. En contre-
« C’est sans fin »
Le tout premier accord est intervenu chez Walor, un fabricant de
pièces métalliques pour les airbags et les roues qui emploie une
centaine de personnes et réalise
24 millions d’euros de chiffre d’affaires. Début 2013, la société, qui
envisageait de licencier 18 de ses
salariés, avait finalement accepté
la proposition alternative de la
CFDT – seul syndicat représentatif
à l’époque – de négocier un accord
de maintien de l’emploi.
Celui-ci
fut
conclu
le
19 juillet 2013. Il prévoyait soit des
baisses de rémunération allant
jusqu’à 80 euros par mois, selon la
direction, soit de travailler en production un week-end sur quatre.
La CFDT, qui a dû faire face aux critiques virulentes d’ouvriers dans
les ateliers de l’entreprise, était
convaincue de sauver des emplois.
Las ! 18 salariés ont refusé les conditions de l’accord ; ils ont été licenciés. « J’ai été déçu par ces départs, confie Stéphane Cudelou, directeur du site. Nous voulions répartir le travail entre tous pour
garder tout le monde. » Au bout du
compte, il a fallu… recruter une
quinzaine de personnes.
Même scénario chez MahleBehr. Cette entreprise, filiale de
1975
1976
1977
1978
1979
1980
1981
1982
1983
1984
1985
FRANÇOIS MITTERRAND
1986
1987
ALTERNANCE CHIRAC
Mesures Balladur
pour l’emploi des jeunes
1988
Loi quinquennale
sur l’emploi
1989
1990
22,51 MILLIONS
1991
1992
FRANÇOIS MITTERRAND
2 millions de chômeurs
1993
1994
ALTERNANCE BALLADUR
3 millions de chômeurs
Travaux d’utilité collective (TUC)
22,05 MILLIONS
francine aizicovici
Dégressivité des allocations chômage
Réduction d’impôt de 50 % pour l’emploi d’un salarié
à domicile. Allègement des cotisations pour l’emploi
Ordonnance du 11 août 1986 :
Le « travail différencié » facilite l’usage
des temps partiels, des CDD et de
l’intérim pour les entreprises
Population active
ayant un emploi
Le 28 janvier, la direction a annoncé la nécessité de supprimer
110 emplois et de déployer « une série de mesures ». « Faute d’accord
pour abaisser la masse salariale de
8 %, il y aura 180 suppressions d’emplois », déplore-t-il. Mahle-Behr
« veut que l’on devienne plus compétitif qu’un autre site du groupe,
en République tchèque, mais on n’y
arrivera jamais puisque l’entreprise
exige des personnels de cette usine
aussi qu’ils fassent des efforts. C’est
sans fin. Le problème n’est vraiment
pas conjoncturel ». Le 9 mars aura
lieu la première réunion du comité d’entreprise sur le plan social,
alors que des lignes de production
sont démontées et « laissent la
place au vide ». p
Echec des négociations patronat-syndicats
sur l’adaptation des conditions d’emploi
(dites « négociations sur la flexibilité »)
VALÉRY GISCARD D’ESTAING
1 million de chômeurs
Plus de deux ans et demi après,
les effets sont contrastés. Chez Walor, M. Cudelou estime que l’accord
« a apporté de la sérénité. Nous
avons pu développer de nouveaux
projets ». Une usine a même été
ouverte au Mexique fin 2014 ; elle
emploie 125 personnes et fabrique
des pièces « pour le marché nordaméricain », explique le directeur.
Il ajoute : « Il n’y a pas eu de délocalisation en Roumanie » Un site y
avait été ouvert dès 2007. Dans
cette entreprise, le paysage syndical a été bouleversé : la CFDT a disparu au profit de la CGT.
A Rouffach, les commandes espérées ne sont pas arrivées. « Nous
ne travaillons plus que sur des projets en fin de vie », dit Denis Pieczynski, délégué syndical UNSA.
Yvon Gattaz, président du CNPF, propose
de créer 471 000 emplois nouveaux à
contraintes allégées (ENCA)
Pactes nationaux pour l’emploi
des jeunes, embauches avec exonérations
40 ans
de charges sociales, CDD facilité
de mesures
en faveur de l’emploi
1974
l’allemand Mahle (66 000 salariés
dans le monde, 9,9 milliards
d’euros de chiffre d’affaires
en 2014), fournit des systèmes de
climatisation pour véhicules. Destiné à éviter un plan de licenciement de 102 personnes, l’accord de
maintien de l’emploi, signé par
tous les syndicats maison le
26 juillet 2013, prévoyait notamment la suppression de cinq jours
de réduction du temps de travail et
un gel des salaires. A la différence
de Walor, Mahle-Behr avait fixé
des primes de départ significatives : 14 000 euros, plus 600 à
900 euros par année d’ancienneté. Résultat : 161 licenciements
individuels sur 1 009 personnes ;
une soixantaine de personnes ont
été recrutées par la suite.
Réforme des retraites
Balladur
Rapport « Choisir l’emploi du XIe Plan »
Les experts se prononcent en faveur d’une
baisse des cotisations sociales en janvier 1993
22,9 MILLIONS
1995
J
dossier | 7
0123
MARDI 8 MARS 2016
Les syndicats face au dilemme des référendums
Les organisations sont divisées sur la validation des accords par le biais de ce type de scrutin
L’
avant-projet de loi de réforme du code du travail
entend renforcer la place
des accords d’entreprise dans le
dialogue social et prévoit qu’ils
soient validés par des organisations syndicales représentant 50 %
des salariés ou 30 % à l’aide d’un
référendum. Temps de travail, modulations salariales, contrat de travail pourraient en dépendre directement. Les organisations syndicales, « réformistes » ou pas, considèrent que consacrer la primauté
de l’accord d’entreprise sur la branche peut devenir un problème.
« Une négociation au plus près de
l’entreprise, ce n’est pas automatiquement du moins-disant social »,
reconnaît le secrétaire général de
la CFTC, Bernard Sagez. Mais « elle
devient un problème quand on veut
étendre leur champ à des sujets qui
n’y sont pas pertinents et pour lesquels la négociation ne pourra pas
être loyale [déséquilibrée en faveur
de l’employeur] », dit Gérard Mardiné, secrétaire national de la fédération de la métallurgie CFE-CGC.
Force ouvrière (FO) y voit une
fragilisation du salarié « à double
titre ». « Elle le prive du socle de minima sociaux garantis par la branche. D’autre part, ce projet de loi
fait primer l’accord collectif sur le
contrat de travail », explique Marie-Alice Medeuf-Andrieux, secrétaire confédérale FO, chargée de la
négociation collective. « Toute disposition individuelle inscrite dans
Sur le campus de
l’université Paris-VIII,
à Saint-Denis, le 3 mars.
AURELIEN MORISSARD/IP3/MAXPPP
tisme : ce n’est pas à l’entrepreneur
d’imposer, mais à la communauté
entrepreneurs-salariés de décider
ensemble », insiste Jean-Yves Clément, gérant d’Atre et Loisirs, un
fabricant de cheminées de Montmélian (Savoie).
Au-delà de la polémique, les dirigeants de petites et moyennes entreprises appellent aussi le gouvernement à compléter le texte
actuel. « Ce dont nous aurions besoin, c’est d’un véritable contrat de
travail avec des droits (donc des indemnités) progressives, comme en
Italie », suggère Hugues Souparis,
le PDG d’Hologram Industries,
qui conçoit des bandes de sécurité
pour les passeports et les billets
de banque.
Alors que le taux de chômage dépasse encore 10 % en France, et
frôle 25 % chez les moins de 25 ans,
les chefs d’entreprise ne sont pas
dupes de l’objectif affiché de cette
loi pour l’exécutif : inverser la
courbe du chômage. « Le vrai problème, ce n’est pas tant la perte d’un
emploi, c’est la difficulté – voire
l’impossibilité, pour certains – à en
retrouver un. Et là-dessus, le texte
ne fait rien pour les populations les
plus fragiles : non diplômés, âgés
ou habitants de zones d’emploi sinistrées », pointe M. Richard, chez
O2. « La première des conditions
pour embaucher, c’est que les entreprises aient du boulot ! Or,
même si on nous répète à longueur
de temps que tous les signaux sont
au vert, je ne vois, au mieux, que de
faibles frémissements de la croissance », conclut M. Kuchly. p
audrey tonnelier
1996
1997
1998
JACQUES CHIRAC
ler que la branche doit définir l’ordre public professionnel, ce qui
n’est pas dans le texte du gouvernement aujourd’hui, tout en laissant
la place à la négociation d’entreprise », remarque, de son côté, Véronique Descacq, la secrétaire générale adjointe de la CFDT.
Mais la CGT et FO sont franchement contre. « Le référendum n’a
pas de valeur démocratique, affirme M. Angeï. Il pose même un
problème constitutionnel car la loi
prévoit que les salariés soient représentés par les organisations syndicales. Or, le référendum les courtcircuite puisqu’il permet à un accord minoritaire de passer en
force. » Il ajoute : « Ce procédé supprime de fait le droit d’opposition
des organisations majoritaires, qui
peuvent aujourd’hui s’opposer à un
accord si elles représentent 50 % des
voix. » Ce qu’elles ont, par exemple,
fait pour bloquer l’accord sur le travail du dimanche à la Fnac.
M. Angeï considère, en outre,
que « le référendum est source de
division entre les salariés », puis-
que tous votent, même ceux
n’étant pas concernés par la mesure. C’est ce qui s’est passé chez
Smart fin 2015 pour décider d’un
retour aux 39 heures sans augmentation de salaires. La consultation a été invalidée. « Le référendum légaliserait ce type de pratique », dénonce-t-il. Chez Smart, la
mesure a été appliquée par des
avenants aux contrats de travail
« sous la menace d’un chantage à
l’emploi », précise le syndicaliste.
Pour FO, le recours au référendum affaiblirait le pouvoir syndical. « Soit les salariés approuvent
l’accord minoritaire et c’est l’intérêt
particulier qui prime sur le collectif,
soit ils le rejettent et fragilisent l’organisation syndicale qui a signé
l’accord », déplore Mme MedeufAndrieux.
Les réformistes suggèrent par la
voix de Bernard Sagez que « la
branche puisse mettre un veto sur
l’accord d’entreprise pour éviter
toute dérive » et la CFDT, qui a rendez-vous lundi 7 mars avec la ministre du travail, estime que le
statu quo n’est pas possible avec
5 millions de demandeurs d’emploi et qu’« il faut faire en sorte que
toutes les modifications du droit
actuel ne puissent se faire que par
la négociation et par accord majoritaire ». Avec ou sans référendum ? Les syndicats, qui doivent
se retrouver le 18 mars, tenteront
de répondre à la question. p
anne rodier
En Europe, les gouvernements ont déjà joué la carte de la « flexisécurité »
londres, berlin, madrid, rome correspondants
F
ace au chômage, les pays
d’Europe n’ont pas adopté
les mêmes stratégies ni agi
dans le même « timing ».
Le pragmatisme allemand
Tombé à 4,3 % en février 2016 selon Eurostat, le taux de chômage
en Allemagne a été spectaculairement réduit en une décennie,
puisqu’il flirtait avec les 12 %
en 2005. Cette décrue est le résultat de deux grandes modifications
dans l’organisation du marché du
travail. D’une part, au plan législatif, les lois dites « Hartz » de 2003
et 2005 ont introduit d’importantes réformes : réorganisation des
agences pour l’emploi, réforme de
l’assurance-chômage, conditions
de refus d’un emploi durcies pour
les chômeurs, renforcement du
travail temporaire et création de
contrats atypiques quasi exonérés
de charges sociales.
D’autre part, sur le plan du dialogue social, les syndicats ont opté
pour une approche pragmatique
dans les négociations avec le patronat dans le but de réduire le
chômage. Ils ont accepté de limiter leurs revendications salariales
Détricotage des 35 heures
par l’extension des contingents
d’heures supplémentaires
Fin des emplois jeunes
Loi Aubry II
sur les 35 heures
1999
« Chantage à l’emploi »
Les organisations syndicales dites
« réformistes » – CFDT, CFE-CGC,
CFTC, Unsa, Fage – partagent la
crainte d’un risque de « dumping
social ». « Si on ramène la négociation au niveau de l’entreprise,
beaucoup de dirigeants vont être
tentés d’en faire un élément de leur
compétitivité commerciale et financière. La sauvegarde des emplois sera mise en avant par les directions et cela pèse lourd dans les
négociations. Or, les délégués syndicaux ont une moindre indépendance au niveau de l’entreprise que
dans les branches puisque leur interlocuteur est leur employeur »,
précise la CFE-CGC.
Si la réaffirmation du « rôle intermédiaire et incontournable de la
branche » fait la quasi-unanimité
des organisations syndicales, ce
n’est pas le cas de la validation des
accords par référendum prévu par
le projet El Khomri. La CFTC se déclare clairement « favorable au référendum ». « L’enjeu est de rappe-
La réaffirmation
du « rôle
incontournable
de la branche »
fait, elle, la quasiunanimité
Chômage et dialogue social : les recettes de nos voisins
Loi Robien
Allègement du coût du travail
pour les entreprises qui réduisent
le temps de travail afin de préserver
l’emploi
Loi Aubry I
sur les 35 heures
le contrat de travail pourrait être
remise en cause par accord collectif », souligne-t-elle. Pour la CGT,
« l’accord d’entreprise ne peut pas
devenir la norme, tranche Fabrice
Angeï membre du bureau confédéral, car ce serait remettre en
cause la hiérarchie des normes qui
veut que la loi garantisse un socle
commun de droits pour les salariés
et la branche protège l’activité ».
2000
2001
2002
2003
dans les années 2000, ce qui a permis aux entreprises de gagner en
compétitivité. Les comités d’entreprise ont obtenu plus de liberté
pour négocier des accords salariaux séparés avec la direction en
cas de difficulté. Et durant la crise
économique, qui a durement
frappé l’Allemagne en 2009, les
syndicats ont obtenu une limitation des licenciements en
échange de mesures de chômage
partiel cofinancé par l’Etat.
La réforme « choc » espagnole A
peine arrivé au pouvoir, le Parti
populaire (PP, droite) de Mariano
Rajoy a adopté une réforme du
marché du travail destinée à réduire le chômage, qui dépassait
alors 22,8 % des actifs. Adoptée en
février 2012, cette réforme avait
pour objectif de faciliter et
d’abaisser les coûts de licenciement pour lutter contre la « peur
d’embaucher » et imposer plus de
flexibilité des contrats pour éviter
le recours aux licenciements.
Les suppressions de poste pour
cause économique ont été facilitées pour toute entreprise qui justifie de trois trimestres consécutifs
de baisse des ventes. La réforme a
supprimé la demande d’autorisation administrative préalable aux
Echec du contrat
nouvelle embauche :
CDI pour les entreprises
de 20 salariés avec
possibilité de licenciement sans justification
pendant deux ans
2004
2005
2006
plans sociaux, affaiblissant le rôle
des syndicats. Enfin, les entreprises peuvent imposer des baisses
de salaire après deux trimestres de
recul du chiffre d’affaires. Depuis
l’adoption de la réforme, l’Espagne
compte 800 000 chômeurs de
moins, mais le taux de chômage
reste très élevé, à 20,9 %. Les socialistes ont promis d’abroger les
points les plus polémiques de cette
réforme s’ils arrivent au pouvoir.
Un salaire minimum britannique en forte hausse Si les lois du
travail au Royaume-Uni sont
parmi les plus flexibles d’Europe –
contrats à zéro heure, autoentreprenariat déguisé, licenciements
très faciles… –, le gouvernement a
décidé de prendre à contre-pied
cette tendance en luttant contre
les bas salaires. A partir d’avril, le
salaire minimum pour les plus de
25 ans va augmenter de 7,5 %, à
7,20 livres de l’heure (9,30 euros).
D’ici à 2020, il doit faire un bond
de 34 %, à 9 livres.
Cette décision vise de fait… à réduire les aides sociales. Il y a une
trentaine d’années, le RoyaumeUni a choisi un marché du travail
très flexible : un employeur n’a
presque pas à justifier d’un licenciement, à condition que celui-ci
Réforme des retraites
Fillon
Emplois jeunes
Ristourne Fillon
sur les cotisations sociales
jusqu’à 1,6 SMIC
24,67 MILLIONS
Echec du contrat
première embauche
Le projet de CPE, destiné
aux moins de 26 ans, est
abandonné après une
vague de manifestations
Le « Jobs Act » à l’italienne Il est
encore difficile de faire un premier
bilan de la réforme du marché du
travail adoptée par le parlement en
décembre 2014. Baptisée « Jobs
Act », elle instaure le CDI comme
contrat unique à « protection
Loi TEPA
qui exonère les heures
supplémentaires d’impôt
sur le revenu et de
cotisations sociales
2007
2008
croissante » permettant aux employeurs de licencier un salarié,
même sans cause réelle, en
échange d’une indemnité d’une
valeur maximale de 24 mensualités. Objectif : insuffler une dynamique au marché du travail, partagé jusqu’alors entre contrats précaires et emplois hyperprotégés.
Selon le gouvernement, le Jobs
Act aurait permis la signature de
« plus de 700 000 nouveaux contrats ». Une astuce sémantique
qui mêle dans la même formulation les emplois réellement créés
et la transformation d’anciens
CDD en CDI. Le taux de chômage
est retombé de 12,4 % en 2014 à
11,5 % fin 2015.
Mais pour Matteo Renzi cette réforme est avant tout synonyme
d’une victoire politique. Il a déjoué l’opposition du plus important syndicat italien (CGIL) et des
frondeurs du Parti démocrate
pour venir à bout de l’article 18 de
l’ancien code du travail. Véritable
totem de la gauche, il contraignait
les entreprises de plus de 15 salariés à réintégrer les travailleurs licenciés sans juste cause. p
éric albert,
cécile boutelet,
sandrine morel
et philippe ridet
Loi sur la sécurisation de l’emploi
accords de maintien dans l’emploi (AME),
qui permet aux entreprises en difficulté une
diminution du temps de travail et des salaires
en échange de la conservation des effectifs
2009
JACQUES CHIRAC
ALTERNANCE JOSPIN
ne soit pas considéré comme une
discrimination (pour l’âge, le
sexe…) et pouvait payer des salaires au plancher. Pour tenter de limiter les abus, le gouvernement a
introduit en 1998 un salaire minimum, mais très faible, ainsi que
des crédits d’impôts (une forme
d’aide sociale) pour les employés
qui ont de faibles revenus.
Cette mesure a très bien marché.
Trop, selon le gouvernement, qui
estime que la facture a enflé audelà du raisonnable : les crédits
d’impôts
représentent
aujourd’hui 14 % du budget social
britannique, soit 40 milliards
d’euros. De facto, il s’agit d’une
subvention aux entreprises qui
paient mal. Le gouvernement britannique veut rééquilibrer cette
approche, en faisant payer plus
aux entreprises. Mais ces dernières tirent la sonnette d’alarme, estimant qu’elles risquent d’être forcées à licencier une partie de leur
main-d’œuvre.
2010
2011
2012
2013
NICOLAS SARKOZY
1,98 million de chômeurs
Création du dispositif
d’autoentrepreneur
2015
2016
FRANÇOIS HOLLANDE
3 millions de chômeurs
3,5 millions de chômeurs
Réforme des retraites
de 2010
Non-remplacement d’un
fonctionnaire sur deux
partant à la retraite
27,7 MILLIONS
2014
Echec du contrat
de génération
25,8 MILLIONS
SOURCE : DARES
INFOGRAPHIE LE MONDE
8/LE MONDE/MARDI 8 MARS 2016
REPRODUCTION INTERDITE
LES OFFRES D’EMPLOI
DIRIGEANTS - FINANCES, ADMINISTRATION, JURIDIQUE, R.H. - BANQUE, ASSURANCE - CONSEIL, AUDIT - MARKETING, COMMERCIAL, COMMUNICATION
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he European University Institute (EUI) announces that the position of Principal will be vacant from September 2016.
he appointment is for a period of 5 years, renewable for another 3 years.
A distinctly international organization, today including 21 member states, the EUI was created in 1972 by the founding states of the European Union
to provide advanced academic education and to promote academic research at the highest level in the areas of Economics, History and Civilization,
Law, Political and Social Sciences.
he EUI Principal, supported by a Secretary-General, directs the Institute in cooperation with professors, researchers and administrative staf and should:
■ be an internationally recognized scholar, with a distinguished record in terms of outstanding academic achievements, preferably in one of the EUI’s
disciplines ■ have a good understanding of European afairs ■ have senior management competence and experience, preferably acquired in a university
or other high‐level research institution, or have held positions of responsibility at a national or international level ■ have the proven capacity to lead,
inspire and promote cooperation and manage change in a complex organisation, and the strategic insight to act as an efective advocate for the EUI
internationally ■ have experience of working in an international context.
he responsibilities of the Principal will include the management of cultural diversity. Proiciency in at least two European languages will be an asset.
he EUI ofers a competitive salary and beneits package.
Candidates should apply directly to the EUI with a full CV and a strategy paper enclosed.
Complete information on application and selection procedures is available at: www.eui.eu/principalvacancy
Closing date: April 6, 2016 ■ Shortlisted candidates will be interviewed on May 4, 2016 in Florence.
Le Groupe Scolaire la Résidence de Casablanca, établissement partenaire de l’AEFE, homologué de la maternelle à la
terminale, recrute pour la rentrée scolaire 2016/2017 :
• Professeurs des écoles
• Professeurs certiiés/agrégés
• Titulaires ou non titulaires du
MEN français
• Professeurs documentalistes
• Personnel de Direction
Les candidats sont priés d’adresser leurs
CV avec photo et lettre de motivation
par email à l’adresse suivante : [email protected]
www.gsr.ac.ma
L’université du Luxembourg
he EUI is an equal opportunity employer and encourages applications from all sectors of society.
,'"+-0+/" )1$1".% .,&#'$0 (!*
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Direction générale des afaires économiques et inancières, Bruxelles
D7:0CP1H01P5H&
Le rôle de la Direction générale des afaires économiques et inancières (DG ECFIN)
au sein de la Commission européenne est de renforcer la stabilité inancière des
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".T+QRQ!#( +Q!OTL#L#J( (L U ".(!O"Q#8 4QKN +( '-#N(2 "- A> @D?<9 +QRLN#,K( U
l’élaboration de politiques visant une croissance intelligente, durable et inclusive.
est une université multilingue, internationale,
centrée sur la recherche.
La Commission européenne recrute un Directeur général adjoint (H/F) qui sera
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R#J(-K )( "- %(ML#QR (L )( "- +QQN)#R-L#QR )( "- A> @D?<98
L’Université du Luxembourg recrute pour la Faculté de Droit,
d’Economie et de Finance
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;- )#N(+L#QR2 +QQN)#R-L#QR (L MKO(NJ#M#QR )(M -+L#J#LTM )( LNQ#M A#N(+L#QRM
N(MOQRM-,"(M )( F =#/ ".#RJ(ML#MM(!(RL2 "- +NQ#MM-R+( (L "(M NT'QN!(M MLNK+LKN(""(M2
(ii) la surveillance budgétaire et macroéconomique dans les Etats Membres,
et (iii) la trésorerie et les opérations inancières ;
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La contribution à la déinition et à la mise en œuvre de la stratégie globale
)( "- A> @D?<98
1 Assistant-Professeur en droit
commercial européen et comparé (M/F)
• Ref. : F2-090009 (à mentionner dans toute correspondance)
• Statut de salarié, temps plein
Les détails sont à consulter sur le lien suivant :
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L’Université de Luxembourg est un employeur qui assure
l’égalité des chances.
Les personnes intéressées sont invitées à envoyer leur
dossier de candidature complet avant le 08/05/2016 à
l’adresse suivante :
Université du Luxembourg
Professeur Stefan Braum
Doyen de la Faculté de Droit, d’Economie
et de Finance
4, rue Alphonse Weicker
L-2721 Luxembourg
Un formulaire de candidature est à demander à
[email protected]
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De très bonnes connaissances, ainsi qu’une solide expérience, en économie et dans
les principaux domaines politiques gérés par la DG ECFIN ;
3R L-"(RL -JTNT )( RT%Q+#-L(KN2 ).(G+(""(RL(M +Q!OTL(R+(M (R +Q!!KR#+-L#QR
et une capacité à représenter la Commission européenne de manière eicace et
eiciente aux niveaux politiques les plus élevés ;
D’excellentes capacités managériales, un très bon sens politique ainsi qu’une
habileté à générer et mettre en œuvre de nouvelles stratégies et processus globaux.
La Commission européenne applique une politique d’égalité des chances.
La Commission encourage tout particulièrement les candidatures féminines.
Veuillez consulter le Journal Oiciel 5 -+ 6 )K P&0P50CP1H OQKN ".-RRQR+( )TL-#""T(
et les critères d’admission.
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La date limite d’inscription est ixée au ) ',2:8 (.1)# 1( !"-2"02 $(KN( )( $2-+"88"03
REPRODUCTION INTERDITE
MARDI 8 MARS 2016/LE MONDE/9
vous souHaiteZ devenir
(Tripoli - LIBAN)
conservateur
recrute pour la rentrée 2016
Le Centre national de la fonction
publique territoriale (CNFPT)
organise en 2016 deux concours
pour le recrutement de conservateurs
territoriaux de bibliothèques
• un concours externe
• un concours interne
Dans toutes les disciplines suivantes
> Lettres modernes > Sciences physiques
> SES > Histoire Géographie > Mathématiques
> Philosophie (complément de service PRIO)
Enseignants du 1er degré (h/f)
en savoir plus sur www.cnfpt.fr
2 postes de professeurs des Écoles Résidents
Les épreuves écrites se dérouleront
les 24 et 25 mai 2016. Les inscriptions
sont ouvertes jusqu’au 25 mars 2016
Conseillère Principale d’Éducation (h/f)
Merci de transmettre vos dossiers de candidatures, dans
les meilleurs délais aux adresses e-mail suivantes:
[email protected]
et [email protected]
quand les talents
grandissent
les collectivités
progressent
Les dossiers de candidature sont à télécharger sur le site
web de l’AEFE.
f ALTERNANCE
le lundi 21 mars*
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* daté mardi 22 mars.
recrute
territorial de bibliotHèques
Enseignants résidents du 2nd degré (h/f)
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1 407 560 habitants - Budget : 1,256 milliard
d’euros - 4 000 agents
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Aux côtés des entreprises, des
partenaires sociaux et des acteurs
publics lors de mutations
économiques et sociales, le
Groupe Alpha connaît aujourd’hui
une dimension toute autre, grâce à
la forte dynamique engendrée par
sa iliale de conseil, d’audit et
d’expertise, Sémaphores.
A la conjugaison de l’Expertise et
des Territoires, Sémaphores devient
l’alternative aux grands cabinets
anglo-saxons, grâce à la
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(1.100 collaborateurs), sa
dimension sociale et l’ambition
de ses nouveaux dirigeants.
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au service des grands acteurs
publics contraints aux mutations
internes autant que de réinventer
leurs politiques publiques,
Sémaphores (200 collaborateurs)
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solidarités / éducation
Cadre d’emploi : Administrateurs territoriaux, Attachés territoriaux (h/f)
Sous l’autorité du directeur général des services, vous avez la charge de suivre
l’ensemble des politiques publiques du Département des Yvelines dans le
champ des solidarités, de l’action sociale et de l’éducation.
Vous participez plus généralement à la stratégie du Département en matière
d’action sociale départementale (« polyvalence de secteur ») et de développement éducatif. Vous pouvez être en charge plus particulièrement de porter un
ou plusieurs chantiers de transformation transverses à la demande du DGS et
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De formation supérieure, vous connaissez l’environnement institutionnel et
les compétences des collectivités locales notamment dans le domaine des
politiques sociales départementales, des acteurs du secteur médico-social et
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Maîtrisant le travail en mode projets et doté d’un esprit de synthèse, vous avez
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Rattaché au Directeur Général et au Directeur du bureau francilien, le consultant senior recherché intègre un pôle
pluridisciplinaire dans lequel il devient un des référents au service du bureau, de Sémaphores et du Groupe Alpha.
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changement d’administrations publiques, d’une solide capacité à manager des projets complexes et d’un sens du
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> INTÉRIM CADRE <
Un contrat amélioré à ne pas négliger
Pour les cadres débutants comme ceux en attente d’un emploi, passer par la case interim est une option
qui n’est pas sans atouts. Les entreprises en quête de lexibilité et de réactivité ont intégré ce type de contrat dans
leur politique de ressources humaines.
Si l’intérim n’est plus un indicateur avancé aussi sensible de
l’évolution du marché du travail qu’il le fut avant la crise, il n’en demeure pas moins qu’il donne une bonne
idée des perspectives à venir. C’est évidemment plus pertinent pour les fonctions d’exécution que pour celles de
cadres en raison du caractère très atypique de la situation en France: cette
catégorie est proche du plein emploi
dans la tranche des 25-55 ans. Ce qui ne
signiie pas pour autant qu’elle ne présente pas de solides opportunités pour les
jeunes diplômés et les salariés expérimentés en recherche d’un emploi: le
statut de cadre intérimaire en CDI solidement encadré depuis la loi du 23 juillet 2015 qui prévoit la suppression du
délai de carence, l’allongement de la
durée du contrat de 18 à 36 mois et la
possibilité de le renouveler deux fois en
font un contrat de plus en plus utilisé par
les entreprises de taille intermédiaire qui
ont des besoins ponctuels mais de qualité. L’Observatoire de l’Interim note dans
son dernier rapport que les demandes
émanant des sociétés sont d’un bon niveau et que les volumes d’équivalent
plein temps sont en hausse régulière :
les missions de cadres intérimaires
ont augmenté de 120 % en 15 ans.
Ces CDI Intérimaires qui sont des CDI
de droit commun s’inscrivent dans une
recherche de plus en plus prononcée de
lexisécurité. Flexibilité pour l’employeur et sécurité de l’emploi pour
l’intérimaire. Et si les volumes qui
concernent la population cadre n’ont
rien de spectaculaires, ce type de contrat
trouve sa place en priorité auprès des seniors et des jeunes diplômés pour qui
c’est souvent l’occasion de mettre le pied
dans le marché du travail. Ce sont ces
deux groupes qui forment le gros du
bataillon des 50 500 cadres qui ont été
en mission l’an dernier. Pour les premiers
c’est la possibilité de combler un vide
dans un CV, d’optimiser ou d’acquérir
des savoir- faire professionnels. Pour les
seconds, ce sont les premières briques
dans la construction d’un parcours. Mais
aussi la stabilité indispensable pour s’installer, s’ouvrir la possibilité d’engager des
démarches d’achat d’un bien immobilier ou de souscription d’un crédit.
Étapes initiatiques interdites aux CDD.
D’autant que le cadre de ces CDI Intérimaires n’impose aucune obligation de
déplacement hors des zones géographiques déterminées par contrat et que
les titulaires de ces contrats sont éligibles
aux formations professionnelles de leur
branche d’activité.
Il n’est donc pas étonnant que les cadres
représentent 31 % du volume des 3,7
milliards d’euros de masses salariales
distribuées par les agences d’emplois
intérimaires. La répartition sectorielle
fait la part belle aux activités tertiaires
(51 %) devant les offres de postes dans
l’industrie 42 % et la construction 6 %.
Si l’on en croit la dernière étude qualitative ils seraient près d’un sur deux (45 %
des intérimaires) à considérer que cette
situation d’attente leur convient.
Une proportion probablement alimentée par les constats des professionnels de
l’interim : les proils les plus performants
sont très vite intégrés en CDI classique
dans l’entreprise où ils sont en mission.
Car, si le statut de CDI intérimaire a décomplexiié les cadres, et si c’est devenu
l’une des composantes de la gestion des
ressources humaines de l’entreprise, il
n’en demeure pas moins, soulignent les
acteurs du métier, que les attentes des
employeurs souvent pressantes sont aussi
très qualitatives.
Avec la transformation des organisations,
la numérisation accélérée et l’introduction de nouveaux modes de management qui privilégient l’eficacité, les paradigmes de l’intérim changent.
Dans le palmarès des fonctions les plus
demandées on trouve les métiers de la
inance comme le contrôle de gestion ou
la comptabilité, les spécialités juridiques
Les
C
60 K€
hiffres
ainsi que les ressources humaines
puis les expertises techniques avec une
forte tonalité pour l’informatique et la
numérisation.
Cela signiie concrètement que les candidats doivent maintenir le niveau de
leurs compétences comme ils doivent
entretenir leur réseau. C’est particulièrement vrai pour les seniors qui sont
aujourd’hui beaucoup plus sollicités
qu’avant la crise pour des missions
d’urgence ou le savoir-faire et le savoirêtre permettent d’éviter les susceptibilités hiérarchiques.
On note aussi pour les plus conirmés
d’entre eux, la multiplication des missions l’étage supérieur: celles de managers de transition. Il s’agit là d’interventions au côté des directions générales ou
pour le compte d’investisseurs sur des
projets structurants. Les postulants appartiennent en général à un club de
cadres supérieurs familiers des comités
de direction dont la base de rémunération est de 1000 à 1500€ par jour. Une
catégorie hautement qualiiée et dont
l’intérim passe le plus souvent par une
société personnelle.
rémunération de base d’un CDI
Intérimaire cadre expérimenté.
6 mois
la durée moyenne des missions
proposées aux intérimaires cadres.
50 000
le nombre de cadres qui sont passés
par l’intérim en 2015.
1000
c’est le nombre de postes
du secteur Interim auxquels vous
pouvez accéder sur
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L.PM
10 | MÉDIAS&PIXELS
0123
MARDI 8 MARS 2016
Bouygues Telecom- Orange : peur sur la fibre
Selon certains élus, la fusion entre les deux opérateurs menacerait l’arrivée du très haut débit en zone rurale
L
es 10 000 habitants de Figeac, dans le Lot, ont de
quoi être insatisfaits de
leur accès Internet. « En
centre-ville, l’ADSL est correct. Mais
il s’affaiblit rapidement dès qu’on
s’en éloigne », explique François
Sançon, directeur infrastructures
et aménagement du conseil général. Comme leurs voisins de
Souillac ou Puy-l’Evêque, les Figeacois attendent avec impatience d’être raccordés à la fibre
optique, qui offre des débits allant
jusqu’à 100 mégabits par seconde. Dans ce département, où
des sous-traitants de l’aéronautique, comme Ratier ou Figeac
Aéro, ont élu domicile, l’Internet
très haut débit est tout sauf un
gadget pour vacancier. Pourtant,
les Lotois devront attendre 2018
avant d’avoir des débits Internet
plus élevés.
Comme d’autres départements
ruraux, le Lot connaît les affres de
l’installation de la fibre optique,
rendant incertaine la promesse
faite en 2013 par François Hollande de couvrir toute la France
en très haut débit à l’horizon 2025.
Contrairement aux grandes agglomérations, où les opérateurs
télécoms construisent le réseau,
l’installation du très haut débit
dans les campagnes repose sur les
collectivités locales, qui mettent
la main à la poche, par le biais des
réseaux d’initiatives publiques
(RIP), pour faire construire les
tranchées et les fourreaux qui accueilleront ensuite la fibre optique. Dans les campagnes, les opérateurs n’interviennent que dans
« Il est impératif
de veiller
à maintenir un
niveau suffisant
de concurrence »
FÉDÉRATION DES
INDUSTRIELS DES RÉSEAUX
D’INITIATIVE PUBLIQUE
un second temps, en louant le réseau des collectivités et en commercialisant leurs offres aux
abonnés finaux.
Mise en garde
Dans ce contexte, le rachat potentiel de Bouygues Telecom par
Orange inquiète les élus locaux,
dont les concitoyens attendent
avec impatience d’être équipés. Le
sujet sera au cœur des débats,
mardi 15 mars à Deauville, lors des
Etats généraux des RIP. Vendredi
4 mars, la Fédération des industriels des Réseaux d’initiative publique (Firip) a adressé à l’Autorité
de la concurrence et à l’Arcep, le
gendarme des télécoms, un courrier de mise en garde. « Il est impératif de veiller à maintenir un niveau suffisant de concurrence
pour empêcher le renforcement du
duopole existant », dit la lettre, qui
vise Orange et SFR. « Il y a deux
ans, nous nous adressions à cinq
opérateurs : Orange, Bouygues Telecom, Free, Numericable et SFR.
Là, il ne devrait en rester que
trois », se plaint le directeur d’un
syndicat mixte, chargé d’un RIP.
« La fusion, pourquoi pas, à condition de ne pas oublier les collectivités locales qui équipent la moitié
de la population française. Il y a là
une fenêtre de tir à ne pas manquer. Il faut faire comprendre aux
opérateurs qu’il s’agit de l’intérêt
général », souligne Patrick Chaize,
sénateur (Les Républicains) de
l’Ain et président de l’Avicca, le
lobby des collectivités. Son département a déployé 100 000 lignes
au très haut débit. Mais, à ce jour,
seuls 20 000 clients ont adhéré à
l’offre. La faute à l’absence des
grands opérateurs sur le territoire,
les petits opérateurs locaux, qui
commercialisent la fibre en région, sont par nature moins connus. « Après SFR, Orange a dit qu’il
viendrait, mais cela fait quatre ans
qu’on en parle. Si les grands opérateurs étaient présents, cela irait
plus vite », explique M. Chaize.
Pourtant, Orange, qui compte
investir 3 milliards d’euros dans la
fibre d’ici à 2020, a fait du très
haut débit fixe son cheval de ba-
taille. L’opérateur comptait fin décembre 1,8 million de clients sur
les 4,3 millions d’abonnés à la fibre recensés par l’Arcep. Mais il
préfère investir avec ses concurrents dans les 3 800 zones les plus
denses, représentant 57 % de la
population française, avant de
s’attaquer aux territoires ruraux.
Sans compter que pour Orange,
qui commercialise toujours son
réseau cuivre (ADSL) aux opérateurs, l’arrivée de la fibre peut parfois représenter aussi « un concurrent potentiel », dit M. Chaize.
Or, pour les collectivités qui
s’endettent, la vitesse de commercialisation du réseau qu’elles
construisent est cruciale. Ainsi, le
Lot, qui compte 175 000 habitants,
a prévu un plan de déploiement
de 60 millions d’euros, dont
37 millions financés sur les deniers publics, et une partie empruntée. « Cela coûtera aux communes 3 millions d’euros par an
pendant vingt ans. C’est lourd. Il
est donc capital de savoir si les opé-
rateurs répondront présent ou
pas », indique François Sançon, le
directeur infrastructures du conseil général.
Les départements de l’Ardèche
et de la Drôme ont uni leurs forces, par un syndicat mixte, Ardèche Drôme Numérique (ADN),
pour déployer la fibre. Une enveloppe de 480 millions d’euros, qui
inclut un emprunt de 100 millions, doit être débloquée sur dix
ans. ADN est en train de choisir
l’exploitant de son RIP, qui, lui,
sera chargé de faire venir les opérateurs télécoms. Plutôt que
s’adresser directement à un opérateur qui aurait tendance à privi-
Nombreux sont
les élus
qui espèrent
un geste du
gouvernement
légier ses propres offres, au détriment des concurrents, ADN préférerait un gestionnaire neutre,
comme Altitude, Covage ou
Axione, présents en Limousin,
Hautes-Pyrénées, à Toulon ou à
Vannes. Or, les grands opérateurs
télécoms demandent à endosser
ce rôle de gestionnaire, et en font
parfois la condition de leur venue
en région. Certains départements
préfèrent d’ailleurs choisir cette
solution. C’est le cas de l’Oise et de
la Bretagne, qui ont confié leur
RIP à SFR et à Orange.
Nombreux sont les élus qui espèrent un geste du gouvernement. « J’ai entendu, lors de la dernière réunion sur les zones blanches de téléphonie mobile, le ministre de l’économie, Emmanuel
Macron, dire aux opérateurs qu’ils
devaient s’y mettre », assure le député Jean Launay, député PS du
Lot. Des déclarations qui sont
toutefois loin de calmer les inquiétudes. p
sandrine cassini
La succession à la tête
d’Albin Michel s’organise
Francis Esmenard va passer les clés de
la maison d’édition à Guillaume Dervieux
F
rancis Esmenard, patron
d’Albin Michel, maison
d’édition 100 % familiale
fondée en 1902, a décidé d’organiser sa succession. Bientôt âgé de
80 ans, celui qui a hissé au milieu
des années 1980 Albin Michel
dans le quatuor des maisons indépendantes, avec Gallimard, Flammarion et Le Seuil devrait prendre
du recul, d’ici à la fin de l’année.
Entre-temps, le paysage éditorial français s’est beaucoup concentré, avec la constitution de
trois grands groupes : Hachette,
Editis et Madrigall, né en 2012 du
rachat de Flammarion par Gallimard. Quant au Seuil, acquis
en 2004 par Hervé de la Martinière, il est devenu depuis la propriété des Wertheimer, les actionnaires de Chanel.
Ce sont ces changements qui
poussent Francis Esmenard à
faire évoluer la gouvernance de
son groupe. Avec l’accord de ses
deux frères, tous trois détenteurs
du capital et petits-fils d’Albin Michel, Francis Esmenard devrait
confier les rênes du groupe à
Guillaume Dervieux, son « dauphin officiel ». Celui-ci travaillera
avec Alexis Esmenard, fils de
Francis et directeur du développement numérique pour l’ensemble
du groupe.
« Maison aux best-sellers »
Entré en 2007 pour diriger le pôle
éducation de la maison (Magnard-Vuibert), Guillaume Dervieux est actuellement vice-président du directoire et directeur
éditorial d’Albin Michel. Dans ses
fonctions, il sera assisté par Didier
Couerbe, qui a été nommé, lundi
7 mars, directeur général d’Albin
Michel, en remplacement de Bertrand Favreul.
Aujourd’hui, Albin Michel est un
groupe qui emploie près de
600 personnes, et réalise un chiffre d’affaires d’environ 170 millions d’euros. Outre l’édition
grand public, jeunesse et scolaire,
il est présent dans la distribution
avec Dilisco et dans la librairie. Ce
dernier investissement est récent
et correspond à un choix politique
et stratégique de Francis Esmenard. Après la débâcle du réseau
des librairies Chapitre en 2011, il a
décidé de reprendre sept librairies
de ce réseau, présentes sur l’ensemble du territoire, dont l’ex-librairie Julliard, boulevard SaintGermain, rebaptisé depuis Albin
Michel. Cinq ans plus tard, elles
sont toutes à l’équilibre.
Albin Michel est aussi le partenaire du groupe Hachette dans le
livre de poche, dont il détient
40 %. Cela permet notamment de
donner une seconde vie aux livres
de la maison. Sous la direction de
M. Esmenard, la maison s’est considérablement développée. Pendant plus de trois décennies, il a
formé un tandem efficace et redouté avec Richard Ducousset et
sous leur houlette, Albin Michel a
même gagné le surnom de « maison aux best-sellers », en raison de
la publication d’auteurs, comme
Stephen King, Mary Higgins
Clark, Jean-Christophe Grangé,
Amélie Nothomb, etc. C’est dans
ce sillage que Guillaume Dervieux
compte s’inscrire. Directeur éditorial d’Albin Michel, il va aussi pouvoir réaliser un rêve de jeunesse :
éditer avec Anne Michel, l’autobiographie du chanteur américain Bruce Springsteen, Born to
run, dont Albin Michel a acquis les
droits. La sortie est prévue pour le
27 septembre. p
alain beuve-méry
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