La signification de Pessa`h pour Don Isaac Abravanel

Transcription

La signification de Pessa`h pour Don Isaac Abravanel
Nous
étions
esclaves
en
Égypte, et maintenant… c’est
pire ! La signification de
Pessa’h
pour
Don
Isaac
Abravanel
Don Isaac Abravanel (1437, Lisbonne
– 1508, Venise) n’est pas quelqu’un de
facile à définir, tant sa biographie est
longue, et ses titres nombreux. Grand
érudit, auteur de nombreux ouvrages juifs
considérés
conseiller
comme
incontournables,
des rois, financier et
philanthrope, on peut dire qu’Abravanel
portait plusieurs casquettes !
Sa biographie n’est pas moins complexe. Sa famille était
considérée comme l’une des familles juives les plus nobles –
selon son propre témoignage, les Abravanel appartiendraient à
la dynastie du roi David. Il grandit à Lisbonne où il étudia
au coté des grands maîtres de son époque. Une fois adulte, il
amassa rapidement une grande fortune, grâce à son intelligence
rare et son sens des affaires. Très philanthrope, il
n’hésitera à dépenser une large partie de sa fortune pour
libérer des juifs vendus en esclavage, en Afrique du Nord.
Abravanel retourne alors en Castille (que ses parents avaient
fui en 1391, suite aux persécutions anti-juives) où les
affaires prospères. Après le décès du roi, son fils décide de
faire main-basse sur la fortune des Abravanel et l’accuse de
haute trahison – l’obligeant à fuir avec sa famille. En 1483,
il s’installe à Tolède et rédige une bonne partie de son
commentaire sur la Bible. Cependant, il est vite nommé
conseiller à la cour de Ferdinand II d’Aragon et d’Isabelle la
catholique. Mais à cette époque, l’inquisition commence sa
sombre tache sur le sol espagnol. Les cruels Ferdinand et
Isabelle signèrent le décret de l’Alhambra, qui laissait aux
juifs le choix historique : l’exil ou la croix.
Abravanel, alors très haut placé dans la politique du pays,
essaya par trois fois de faire annuler ce décret. Le roi et la
reine tenaient tant à lui, qu’ils ne l’inclurent pas dans le
décret royal. Ils lui proposèrent même de garder neuf autres
hommes juifs afin qu’il puisse disposer d’un minyan.
Abravanel demeura inflexible et refusa d’abandonner son
peuple. Il tenta cependant de soudoyer les souverains, en leur
proposant toute sa fortune pour annuler le décret. La légende
raconte que les souverains étaient sur le point de céder, mais
l’inquisiteur Torquemada rentra alors en disant au roi
: « Judas a vendu son maître pour 30 deniers d’argents, et
toi, tu t’apprêtes à le refaire ! ». Devant ce refus,
Abravanel rédigea ce que l’on nomme « la réponse au décret
d’Alhambra », où il maudit l’Espagne et interdit aux juifs d’y
remettre les pieds (à l’instar du commandement biblique nous
interdisant de vivre à nouveau en Égypte).
Dans une tentative désespérée, le roi chercha à kidnapper son
petit-fils, pour l’obliger à rester, mais toute la famille
Abravanel avait déjà quitté le sol espagnol, pour le Portugal.
Toujours appâté par sa fortune, le roi du Portugal persécuta à
nouveau Abravanel, l’obligeant à fuir pour l’Italie. Dans sa
fuite précipitée, Abravanel n’eut pas le temps d’emporter
grand chose, et préféra laisser sa famille au Portugal,
jusqu’à son retour. C’est seul et sans argent qu’il s’installa
à Venise.
Alors qu’il était déjà âgé, il décide d’écrire un nouveau
livre : un commentaire sur la Hagada de Pessa’h. Ce choix
n’est pas un hasard, car pour lui la Hagada symbolise l’exil
et la délivrance. Cet exil qu’il a connu toute sa vie, et
cette délivrance en laquelle il espéra jusqu’à son dernier
souffle. Abravanel introduit son commentaire par le
bouleversant récit de sa vie, qu’il décrit avec cette maîtrise
incomparable de l’hébreu que possédaient les rabbins
espagnols.
Loin de se lamenter, Abravanel affirme écrire ce commentaire
pour aider ses frères juifs exilés et persécutés. Sa
compassion pour le peuple juif est telle qu’on a parfois
l’impression que sa propre douleur n’existe pas. Ce
commentaire déborde d’idées passionnantes et je le conseille
vivement à ceux et celles qui maitrisent suffisamment l’hébreu
ancien. Je voudrais tout de même ramener une question parmi
les cents qu’Abravanel pose, ainsi que sa réponse.
Le récit de la Hagada s’ouvre sur le passage de « Avadim
ayinou », « nous étions esclaves ». On y lit :
Nous étions les esclaves de Pharaon en Égypte. Dieu nous
sortit de là-bas d’une main forte et d’un bras tendu. Et si
Dieu n’avait pas fait sortir nos ancêtre d’Égypte, nous
serions encore les esclaves des pharaons, nous et nos
descendants. C’est pourquoi, même si nous étions tous des
sages, des érudits, des connaisseurs de la Torah, nous
devrions tout de même raconter l’histoire de la sortie
d’Égypte. Et tout celui qui multiplie les histoires est digne
de louange.
Abravanel pose une question bouleversante sur ce passage,
question que ce sont surement posés d’autres juifs, à d’autres
époques douloureuses. Il écrit :
« Qu’avons nous gagné, nous les hommes de l’exil, à ce que nos
ancêtres soient sortis d’Égypte ? Et si Dieu n’avait pas fait
sortir nos ancêtre d’Égypte, nous serions encore les esclaves
des pharaons, nous et nos descendants. Cet esclavage n’est-il
pas préférable à notre exil en terres d’Edom [monde chrétien]
et d’Ismaël [monde musulman] ? Comme l’on dit nos ancêtres
: nous préférons servir l’Égypte plutôt que de mourir dans le
désert (Ex. 14:12) ! Désert des nations, qui nous détruisent
et nous déportent – c’est à qui périra par l’épée, par la
famine ou par la captivité… (Jer. 15:2). La menace de
l’abandon de la foi est devenue grande, à cause des malheurs
infinis. »
Une question poignante, qui traduit un véritable dilemme chez
l’auteur. Lorsque je l’ai lu, je me suis également remémoré le
témoignage du Rav Sinaï Adler, un rescapé d’Auschwitz
aujourd’hui grand rabbin d’Ashdod. Il raconta que durant le
Pessa’h de 1944, il se trouvait à Auschwitz. Durant les
quelques minutes de répit qu’il trouva, il se mit à réciter la
Hagada avec l’un de ses amis. Mais lorsqu’ils récitèrent ce
passage, ils furent troublés. Comment remercier Dieu pour nous
avoir fait sortir d’Égypte lorsque nous sommes à Auschwitz ?
La description de l’esclavage en Égypte apparaissait comme
douce à coté des camps de la mort. « Voici le pain pauvre que
nos ancêtres mangèrent en Égypte », eux au moins, avaient du
pain, dit le Rav Adler…
Abravanel apporte plusieurs réponses à cette question
bouleversante. La dernière de ses réponses me semble être la
plus centrale, et reste une réponse juive éternelle face à
l’oppression :
« Si nous n’étions pas sorti d’Égypte, dit Abravanel, nous ne
serions jamais arrivés au Mont Sinai, nous n’aurions pas reçu
la Torah et les mitsvot, la présence divine ne serait pas
parmi nous, nous n’aurions pas été le peuple choisi par Dieu
et sa providence n’aurait pas fait un avec nous. Cela est le
but suprême et notre plénitude – plénitude spirituelle. Toutes
ces choses là demeurent avec nous, malgré le fait que nous
soyons en exil. »
Une réponse d’autant plus poignante qu’Abravanel en est
l’application pratique la plus parfaite. Lui qui a tout perdu
lors des différents exils – son argent, son statut social, sa
famille. Que reste t-il ? La Torah et les mitsvot, la foi en
Dieu, celle pour laquelle il a tout perdu. Je n’avais pas lu
cette réponse pour la partager avec le Rav Adler, mais je
pense qu’elle lui aurait plu. Après tout, lui aussi est un
symbole de cette foi ardente.
Je finis cependant avec les propos du Rav Adler. A la fin de
la lecture de la Hagada, Rav Adler et son ami conclurent sur
le traditionnel « l’an prochain à Jérusalem ». Pourtant, nous
dit-il, Jérusalem semblait à des milliards d’années lumières
de l’endroit où je me trouvais. Mais voilà qu’un an plus tard,
pour Pessah’ de 1945, j’étais à Jérusalem…
En l’entendant dire cela, encore ému 65 ans plus tard, je ne
pouvais m’empêcher de penser avec humour aux célèbres paroles
d’Herzl : ‫ אין זו אגדה‬,‫אם תרצו‬. « Si vous le voulez, ce ne
sera pas une légende (Agada) ». Herzl faisait évidement
allusion au sionisme, mais cette phrase résume bien l’histoire
de Pessah’. Celle-ci peut être ‫( אגדה‬Agada/Légende) ou ‫הגדה‬
(Hagada/Histoire). A nous de ressentir cette histoire, qu’ont
vécu tant de juifs à travers les générations, comme si elle
était notre. La Hagada peut être classée au rang des
« légendes folkoriques », avec encore d’autres récits
miraculeux, mais nous croyons qu’il n’en n’est pas ainsi.
Comme nous l’enseigne le Talmud : « à chaque génération,
chacun doit se considérer comme s’il était lui même sorti
d’Égypte ». D’ailleurs, cette obligation n’est malheureusement
pas si difficile puisqu’à l’instar d’Abravanel ou du Rav
Adler, « à chaque génération on se lève pour nous exterminer »
et seul « Dieu nous sauve de leurs mains » (texte de la
Hagada).
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