L`influence du droit européen en Turquie et en Suisse / Der Einfluss

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L`influence du droit européen en Turquie et en Suisse / Der Einfluss
75
Publications de l’Institut suisse de droit comparé
Veröffentlichungen des Schweizerischen Instituts für Rechtsvergleichung
Pubblicazioni dell’Istituto svizzero di diritto comparato
Publications of the Swiss Institute of Comparative Law
Franz Werro / Başak Baysal / Lukas Heckendorn Urscheler (éds)
L’influence du droit européen
en Turquie et en Suisse
Der Einfluss des Europarechts
in der Türkei und der Schweiz
Franz Werro / Başak Baysal / Heckendorn Urscheler (éds)
L’influence du droit européen en Turquie et en Suisse
Der Einfluss des Europarechts in der Türkei und der Schweiz
75
ISBN 978-3-7255-6982-3
www.schulthess.com
7880025-VSIR 75 Journée turco suisse 2011 UG.indd Alle Seiten
13.07.15 15:30
75
Publications de l’Institut suisse de droit comparé
Veröffentlichungen des Schweizerischen Instituts für Rechtsvergleichung
Pubblicazioni dell’Istituto svizzero di diritto comparato
Publications of the Swiss Institute of Comparative Law
Franz Werro / Başak Baysal / Lukas Heckendorn Urscheler (éds)
L’influence du droit européen
en Turquie et en Suisse
Der Einfluss des Europarechts
in der Türkei und der Schweiz
Citation suggérée de l’ouvrage : Franz Werro / Başak Baysal / Lukas Heckendorn Urscheler (éds), L’influence
du droit européen en Turquie et en Suisse / Der Einfluss des Europarechts in der Türkei und der Schweiz,
Publications de l’Institut suisse de droit comparé, Genève / Zurich 2015, Schulthess Éditions Romandes
ISBN 978-3-7255-6982-3
© Schulthess Médias Juridiques SA, Genève · Zurich · Bâle 2015
www.schulthess.com
Diffusion en France : Lextenso Éditions, 70, rue du Gouverneur Général Éboué,
92131 Issy-les-Moulineaux Cedex
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TABLE DES MATIÈRES - INHALTSVERZEICHNIS
Table des matières - Inhaltsverzeichnis
Préface - Vorwort ..................................................................................................7
Franz Werro, Başak Baysal, Lukas Heckendorn Urscheler
I. Introduction - Einleitung
Einleitende Gedanken zur 14. Türkisch-Schweizerischen-Juristentagung ..........11
Adem Sözuer
II. Droit civil - Zivilrecht
Les développements en droit familial turc ..........................................................15
Yalçın Tosun
Zum Erbschaftserwerb in Europa .......................................................................25
Stephan Wolf
Grundprinzipien des Erbschaftserwerbs und der Ausschlagung der Erbschaft
im türkischen Erbrecht .......................................................................................41
Gamze Turan Başara
III. Droit des obligations – Obligationenrecht
La jurisprudence de la CJUE en matière de responsabilité du fait des produits et
son impact sur l’application de l’art. 208 II CO.....................................................71
Franz Werro
Das neue türkische Obligationenrecht ................................................................89
Murat İnceoğlu
La responsabilité pour actes illicites selon
le nouveau Code des obligations turc ................................................................107
Halûk Burcuoğlu
L’adaptation du contrat dans le nouveau Code des obligations turc
(art. 138 COT) ..................................................................................................123
Başak Baysal
5
TABLE DES MATIÈRES - INHALTSVERZEICHNIS
IV. Droit commercial - Handelsrecht
Les impacts de l’Union Européenne sur le nouveau Code de commerce turc .....149
H. Ercüment Erdem
The Impact of EU Law on Swiss and Turkish Regulation of Competition
With Specific Consideration given to Abuse of Dominant Position Cases ...........189
Erdem Büyüksagis
Entwicklungen des türkischen Urheberrechts
im Prozess der Harmonisierung mit dem EU-Recht ...........................................239
Mustafa Aksu
V. Droit administratif - Verwaltungsrecht
La pratique en droit administratif turc
concernant les investissements étrangers ..........................................................277
Aydın Gülan
Alternative dispute resolution methods on relations between public authorities
and private parties ............................................................................................285
Nilay Arat
Interaction between «regulation» and «administrative procedure» ....................301
Cenk Şahin
Auswirkungen des europäischen Rechts auf die Visumspflicht der türkischen
Staatsbürger .....................................................................................................315
Zeynep Derya Tarman
VI. Droit pénal - Strafrecht
Gedanken zur türkischen Strafrechtsreform ......................................................329
Adem Sözüer
L’impact du droit européen sur le droit pénal matériel suisse
dans le domaine de la criminalité économique ..................................................335
Bertrand Perrin/Pascal de Preux
VI. Conclusion - Schlussfolgerung
Conclusion ........................................................................................................355
Hasan Erman
6
DROIT PÉNAL DANS LE DOMAINE DE LA CRIMINALITÉ ÉCONOMIQUE
Bertrand Perrin* / Pascal de Preux**
L’impact du droit européen sur le droit pénal
matériel suisse dans le domaine de la
criminalité économique
Table des matières
1.
Introduction
336
2.
Définition de la criminalité économique
337
3.
Le blanchiment d’argent et le défaut de vigilance en matière
d’opérations financières
En Suisse
Au niveau européen
De l’influence du droit européen sur le droit suisse en matière
de blanchiment d’argent
3.1.
3.2.
3.3.
4.
4.1.
4.2.
4.3.
5.
5.1.
5.2.
5.3.
6.
6.1.
6.2.
6.3.
*
**
338
338
339
340
Criminalité organisée/organisation criminelle
L’incrimination en Suisse
L’incrimination de l’organisation criminelle au niveau
européen
De l’influence du droit européen sur le droit suisse en matière
d’organisation criminelle
340
340
L’incrimination du financement du terrorisme
En droit suisse
L’incrimination du financement du terrorisme au niveau
européen
De l’influence du droit européen sur le droit suisse en matière
de financement du terrorisme
343
343
La corruption
L’incrimination en droit suisse
L’incrimination en droit européen
De l’influence du droit européen sur le droit suisse en matière
de lutte contre la corruption
345
345
346
341
342
344
345
348
Professeur de droit pénal à l’Université de Fribourg
Lecteur à l’Université de Fribourg, avocat à Lausanne.
Les auteurs remercient Mariame Krauer-Diaby, assistante de recherche à l’Institut de lutte
contre la criminalité économique (Neuchâtel), pour sa contribution. Ils remercient également
Nicolas Wider, assistant diplômé à l’Université de Fribourg, pour sa relecture attentive du
manuscrit.
335
BERTRAND PERRIN / PASCAL DE PREUX
7.
7.1.
7.2.
Les infractions contre le patrimoine
État des lieux de la législation suisse
L’influence du droit européen
349
349
349
8.
Conclusion
350
Bibliographie
1.
Introduction
La Suisse s’est souvent montrée jalouse de son indépendance ou en tout cas d’une
certaine idée de celle-ci. Beaucoup se souviennent, avec satisfaction ou regret, que
le corps électoral fédéral avait refusé de ratifier l’accord sur l’espace économique
européen (EEE) le 6 décembre 1992. Pourtant, un pays, dont la majorité des
échanges s’effectue avec les États membres de l’Union européenne (UE), ne saurait
échapper à l’adaptation de sa législation aux exigences de cette dernière1. Par
ailleurs, avec le phénomène de l’européanisation du droit continental, la neutralité
juridique et juridictionnelle s’avère presque impossible. Vu l’importance de sa
place financière, la Suisse ne saurait se mettre en marge de cette internationalisation. C’est pourquoi, elle adapte sa législation au contexte mondial et communautaire.
Ces dernières années, l’influence du droit européen sur le droit suisse a été perceptible dans plusieurs domaines. Le droit des contrats s’est par exemple trouvé enrichi de nouvelles réglementations, notamment celles relatives aux voyages à forfait
ou encore au crédit à la consommation. Ce phénomène a entre autres eu pour
conséquence la prise en compte dans ce domaine de la jurisprudence de l’Union
européenne. Aussi bien au niveau législatif que judiciaire, l’examen de l’ «euro
compatibilité» est devenu un aspect très important de l’activité juridique suisse2.
Mais, au-delà de l’influence de l’UE, la Suisse semble plutôt se laisser convaincre
par des arguments d’ordre économique et sécuritaire pour adapter sa législation
aux exigences internationales ou encore pour s’en inspirer, surtout en matière de
criminalité économique. Le présent article vise à faire un survol de l’état des lieux
de l’influence du droit européen3 sur des secteurs choisis de la criminalité économique: le blanchiment d’argent, le défaut de vigilance en matière d’opérations financières, l’organisation criminelle, le financement du terrorisme, la corruption et
les infractions contre le patrimoine.
Nous examinerons l’influence exercée par le droit européen sur le droit pénal
matériel en nous focalisant uniquement sur son incidence en matière législative.
1
2
3
ROTH, p. 227.
Idem.
La notion de «droit européen» dans le présent article fait à la fois référence au droit de l’UE et
à celui du Conseil de l’Europe.
336
DROIT PÉNAL DANS LE DOMAINE DE LA CRIMINALITÉ ÉCONOMIQUE
Son apport à la jurisprudence suisse ne sera pas abordé4. Un tel exercice s’avérerait
richement complémentaire, mais excéderait le cadre assigné au présent exposé.
2.
Définition de la criminalité économique
Différents auteurs s’étant exprimés sur le sujet de la criminalité économique ont
essayé d’en donner une définition satisfaisante incluant tous ses aspects. Nous
retiendrons dans la présente contribution celle de Jean-Luc Bacher, qui, s’inspirant
de celle de Nicolas Queloz, nous a semblé particulièrement complète dans le contexte qui est le nôtre. Sa définition englobe, sous l’appellation de «criminalité économique», des infractions au sens pénal du terme, «dont l’enjeu est économique,
dont la réalisation requiert des aptitudes ou un pouvoir qui ne sont pas strictement
physiques, qui sont commis sans violence, dans des contextes fondamentalement
légitimes»5. La criminalité économique s’établit comme un champ de la criminologie dont les objets sont une vaste gamme d’activités criminelles et la somme des
réactions sociales, formelles et informelles que suscitent ces infractions. Elle apparaît comme l’ensemble des actes délictueux commis dans le cadre des relations
économiques par l’emploi abusif de la confiance nécessaire au déroulement de la
vie économique et portant préjudice à la libre manifestation de la volonté des
acteurs économiques.
Eu égard certainement à son importance et à ses ramifications internationales, une
attention particulière lui est accordée au niveau fédéral. En effet, conformément à
l’article 24 alinéa 1 du Code de procédure pénale suisse (CPP), la participation ou
le soutien à une organisation criminelle (art. 260ter CPS), le financement du
terrorisme (art. 260quinquies CPS), le blanchiment d’argent (art. 305bis CPS), le défaut de vigilance en matière d’opérations financières (art. 305ter CPS), la corruption d’agents publics suisses et étrangers (art. 322ter à 322septies CPS), ainsi que tous
les crimes qui sont le fait d’une organisation criminelle, relèvent de la compétence
de la juridiction fédérale. Cette compétence fédérale est de nature impérative.
L’article 24 alinéa 1 lettres a et b CPP précise toutefois qu’il faut que ces infractions
aient été commises pour une part prépondérante à l’étranger ou dans plusieurs
cantons sans qu’il y ait de prédominance évidente dans l’un d’entre eux. Il s’agit ici
d’éviter de confier aux autorités fédérales des infractions qui n’ont que des
ramifications locales.
4
5
Par exemple, en matière de blanchiment d’argent, dans son arrêt 124 IV 274 (JdT 1999 IV 81),
pour confirmer sa jurisprudence stipulant que l’auteur du crime générateur de l’argent peut
être aussi le blanchisseur de cet argent, le Tribunal fédéral, dans une perspective de droit
comparé, s’est basé sur l’article 6 chiffre 2 lettre b de la Convention du Conseil de l’Europe
relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
(consid. 3c, JdT p. 85).
BACHER, p. 19.
337
BERTRAND PERRIN / PASCAL DE PREUX
Le Ministère public de la Confédération peut (compétence facultative) également
se saisir des crimes contre le patrimoine et des faux dans les titres pour autant que
l’infraction ait été commise aux conditions de l’article 24 alinéa 1 lettre a ou b CPP
et qu’aucune autorité cantonale de poursuite pénale ne soit saisie de l’affaire ou
«alors, dans le cas contraire, que l’autorité cantonale sollicite la reprise de la
poursuite par le Ministère public de la Confédération»6. Ajoutons que la poursuite
et le jugement de la manipulation de cours et du délit d’initiés sont soumis à la
juridiction fédérale7 depuis le 1er mai 20138.
3.
Le blanchiment d’argent et le défaut de
vigilance en matière d’opérations financières
3.1.
En Suisse
Le blanchiment d’argent consiste en un acte entravant la découverte de l’origine
illicite de valeurs patrimoniales. Selon la conception qui prévaut en Suisse, cette
infraction constitue une mise en danger abstraite de l’administration de la justice.
L’acte d’entrave est réprimé indépendamment de son résultat9. Quant au défaut de
vigilance en matière d’opérations financières, il consiste, pour une personne exerçant une activité professionnelle dans le secteur financier, à accepter, garder en
dépôt ou aider à placer ou transférer des valeurs patrimoniales sans avoir vérifié
l’identité de l’ayant droit économique avec la vigilance exigée par les circonstances. Ces deux infractions sont sanctionnées respectivement par les articles
305bis et 305ter CPS, entrés en vigueur le 1er août 199010.
L’importance de la place financière suisse et la volonté d’éviter que celle-ci soit
utilisée à des fins criminelles ont justifié l’adoption de ces dispositions. Le Conseil
fédéral (CF) a admis dans son Message du 12 juin 198911 que, si la nécessité d’une
disposition sur le blanchiment d’argent a été ressentie dans le milieu des années
quatre-vingt, l’urgence d’une telle mesure s’est fait ressentir en écho aux affaires
du «Banco Ambrosia», de la «Pizza connexion» et de la «Lebanon Connection»12. Il
était nécessaire de légiférer, afin d’éviter que la Suisse ne soit le paradis de l’argent
sale, de la drogue et d’autres activités illicites.
6
7
8
9
10
11
12
BERTOSSA, N. 8 ad art. 24, p. 123.
Article 44 de la Loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (LBVM).
RO 2013 1103; FF 2011 6329.
DUPUIS et al., N. 6 ad art. 305bis CPS, p. 1773.
Introduits par le ch. I de la LF du 23.03.1990 (RO 1990 p. 1077; FF 1989 II 961 ss.).
Message du 12.06.1989 concernant la modification du code pénal suisse (Législation sur le
blanchissage d’argent et le défaut de vigilance en matière d’opérations financières), FF 1989 II
961 ss.
FF 1989 II 966.
338
DROIT PÉNAL DANS LE DOMAINE DE LA CRIMINALITÉ ÉCONOMIQUE
3.2.
Au niveau européen
L’incrimination du blanchiment au niveau de l’UE a été traitée dans la Directive
91/308/CEE du Conseil, du 10 juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation
du système financier aux fins du blanchiment de capitaux13. Elle a pourvu les
recommandations du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux
(GAFI) relatives à la lutte contre le blanchiment d’une force contraignante au
niveau de l’Union européenne, afin d'éviter que des mesures nationales de lutte
contre le blanchiment ne désorganisent le fonctionnement du marché commun14.
A l’origine, le législateur européen voulait imposer aux États membres une obligation d’introduire des sanctions pénales contre le blanchiment d'argent. Étant donné que l’UE d'avant Maastricht n'avait pas de compétence en matière pénale, la
version finale de la directive s’est contentée de demander aux États membres de
«prohiber» le blanchiment15. La transposition de cette recommandation dans les
droits nationaux des États membres a donné lieu à l’adoption de lois rendant obligatoires pour les banques et les institutions non financières, l'identification des
clients et la mise sur pied de systèmes de signalement des transactions douteuses.
La Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la
saisie et à la confiscation des produits du crime du 8 novembre 199016 oblige les
États parties à adopter les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires
pour conférer le caractère d'infraction pénale conformément à son droit interne17
aux actes relevant du blanchiment d’argent. La question du blanchiment d’argent
avait néanmoins déjà été évoquée de manière indirecte par le Conseil de l’Europe
à travers sa Recommandation R (80) 10 relative aux mesures contre le transfert et
la mise à l'abri des capitaux d'origine criminelle (adoptée le 27 juin 1980 par le
Comité des Ministres)18. La recommandation encourageait les États parties à prévoir, dans leur système bancaire, l'identification du client et d'autres mesures de
précaution aptes à décourager le recyclage de l'argent sale. Il était entre autres
conseillé aux États de demander à leurs banques de prendre certaines mesures
internes de sécurité et de disposer d’un personnel ayant suivi une formation adéquate. Si cette recommandation était de nature non contraignante et avait d'abord
pour objet une réglementation de droit bancaire, la protection pénale du devoir
d'identification semblait cependant en être le corollaire.
13
14
15
16
17
18
Journal officiel de l’UE (JO) L 166 du 28.06.1991, p. 77.
HÄGEL, p. 1 ss.
Idem.
RS 0.311.53.
Art. 6, ch. 1 de la Convention (cf. n. 17).
https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=1358419&SecMode=1&DocId=668574&Usage=2 (05.12.2014).
339
BERTRAND PERRIN / PASCAL DE PREUX
3.3.
De l’influence du droit européen sur le droit suisse en
matière de blanchiment d’argent
En matière de blanchiment d’argent, il est difficile d’admettre une influence à
proprement parler du droit européen sur le droit suisse. Les législations relatives
au blanchiment d’argent de l’UE, tout comme du Conseil de l’Europe, relatives au
blanchiment d’argent ne sont intervenues qu’après celui de la Suisse. Toutefois, la
décision de cette dernière de légiférer en la matière n’en est pas pour autant isolée.
Elle semble avoir été également influencée par d’autres États européens. Bien que
moins spécifiques, il existait déjà des mesures punissant indirectement le blanchiment dans d’autres pays européens. En Autriche, par exemple, le recel du produit
de substitution était déjà punissable conformément à la jurisprudence relative au
paragraphe 164 du Code pénal. L'Italie, quant à elle, pouvait se prévaloir de
l'arsenal technique et juridique le plus ancien, mais aussi le mieux développé avec
celui des États-Unis contre le blanchissage d'argent. Il était cependant orienté vers
la prévention et non vers la répression.
La recommandation du Conseil de l’Europe, les recommandations du Comité de
Bâle et celles du GAFI sont autant de normes qui ont guidé le choix du législateur
helvétique concernant l’incrimination du blanchiment d’argent. Le GAFI a notamment eu un rôle clé concernant le développement du catalogue des infractions
sous-jacentes au blanchiment d’argent. En outre, comme nous l’avons signalé19, la
Convention du Conseil de l’Europe a eu une influence sur l’interprétation de
l’article 305bis CPS par les juges de notre Haute Cour.
4.
Criminalité organisée/organisation criminelle
4.1.
L’incrimination en Suisse
La notion de criminalité organisée est relativement connexe à celle de criminalité
économique. Dans les deux cas, les criminels sont guidés par la recherche du profit
sans égard à la morale, à l’éthique ou encore à la loi. Toutefois, la criminalité organisée se distingue de la criminalité économique en particulier par la possibilité de
recourir à l’usage de la violence. Cette différence n’a pas semblé importante au
législateur suisse, vu qu’il n’en a fait aucune mention dans l’article 260ter CPS
relatif à l’organisation criminelle20. Cette disposition comprend aussi bien les infractions commises par le recours à la violence, que celles destinées à procurer un
avantage économique. Elle était très attendue, car jusqu’à son adoption, l’apparte-
19
Cf. n. 4.
20
Introduit par le ch. I de la LF du 18.03.1994, en vigueur depuis le 01.08.1994 (RO 1994 p. 1614;
FF 1993 III 269 ss.).
340
DROIT PÉNAL DANS LE DOMAINE DE LA CRIMINALITÉ ÉCONOMIQUE
nance et la participation à une organisation criminelle n’étaient punissables qu’à
travers des dispositions générales qui avaient parfois montré leurs limites.
Le CF a jugé utile de renforcer l’arsenal juridique suisse en matière de lutte contre
la fraude organisée, en introduisant une disposition spécifique sanctionnant la
participation à une organisation criminelle21. Il s’agissait d’offrir des moyens légaux supplémentaires après l’incrimination du blanchiment en 1990 avec les
articles 305bis (et 305ter CPS)22. «La nouvelle disposition relative à l'organisation
criminelle (art. 260ter P-CP) permet de réprimer la participation à une organisation
criminelle ou le soutien d'une telle organisation. Il sera ainsi possible de punir les
protagonistes du crime organisé, même dans les cas où la division extrêmement
poussée des tâches et les mesures de dissimulation adoptées par l'organisation criminelle empêchent de prouver leur participation à des infractions déterminées»23.
4.2.
L’incrimination de l’organisation criminelle au niveau
européen
L’incrimination de l’organisation criminelle a été réalisée par étapes au niveau de
l’UE. Il existait quelques normes de portée plus ou moins générale, notamment les
résolutions du Conseil européen du 23 novembre 199524 et du 20 décembre
199625 relatives à la protection des témoins et collaborateurs à l'action de la justice
dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée internationale. Mais, l’UE
ne s’est formellement engagée dans la lutte contre la criminalité organisée que
depuis le traité d'Amsterdam et le Conseil européen des 16 et 17 juin 1997, qui ont
abouti au premier Plan d'action de lutte contre le crime organisé26. Une année
après, un texte d’incrimination de la participation à une organisation criminelle a
été adopté: l’Action commune 98/733/JAI du 21 décembre 1998 relative à
l'incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les États
membres de l'Union européenne27. Par la ratification de ce texte, les États se sont
engagés à prendre des sanctions pénales effectives et dissuasives à l’encontre des
personnes qui appartiennent ou soutiennent une organisation criminelle.
C’est après le 11 septembre 2001 que le Conseil de l’Europe s’est prononcé sur la
question de l’organisation criminelle. En effet, suite aux attentats, c’est dans sa
croisade contre le terrorisme qu’il a évoqué la question de l’incrimination de
21
22
23
24
25
26
27
Message du 20.06.1993 concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal
militaire (Révision du droit de la confiscation, punissabilité de l'organisation criminelle, droit
de communication du financier), FF 1993 III 269 ss.
Cf. n. 10.
FF 1993 III 270.
JO C 327 du 07.12.1995, p. 5.
JO C 10 du 11.01.1997, p. 1.
FONTANAUD, p. 193.
JO L 351 du 29.12.1998, p. 1.
341
BERTRAND PERRIN / PASCAL DE PREUX
l’appartenance et du soutien à une organisation criminelle. Dans sa Recommandation Rec(2001)11 du 19 septembre 2001 du Comité des Ministres aux États
membres concernant des principes directeurs pour la lutte contre le crime organisé28, il a suggéré aux États membres de s'efforcer d’ériger en infraction pénale
l'appartenance de toute personne à un groupe criminel organisé, tel que défini
dans la recommandation, quel que soit le pays membre du Conseil de l'Europe
dans lequel ce groupe est basé ou dans lequel il se livre à ses activités criminelles.
4.3.
De l’influence du droit européen sur le droit suisse en
matière d’organisation criminelle
Vu les étapes chronologiques des différentes dispositions légales que nous venons
de mentionner, nous pouvons retenir que le droit européen n’a pas eu d’influence
sur le droit suisse en matière d’incrimination de la participation à une organisation
criminelle. En effet, la Suisse a été proactive en la matière. En légiférant sur la
participation à une organisation criminelle, elle a pris les devants sur l’UE et le
Conseil de l’Europe. Toutefois, certaines activités des organisations criminelles
assimilables à des actes de terrorisme pourraient tomber sous le coup de la Convention du 27 janvier 1977 du Conseil de l’Europe pour la répression du terrorisme29. Il s’agit, entre autres, des infractions mentionnées à l’article 1er de la
Convention, à savoir: «les infractions graves constituées par une attaque contre la
vie, l'intégrité corporelle ou la liberté des personnes ayant droit à une protection
internationale, y compris les agents diplomatiques; les infractions comportant
l'enlèvement, la prise d'otage ou la séquestration arbitraire, les infractions comportant l'utilisation de bombes, grenades, fusées, armes à feu automatiques, ou de
lettres ou colis piégés dans la mesure où cette utilisation présente un danger pour
des personnes». Dans ce contexte, nous pourrions admettre une influence indirecte du droit européen, notamment celui du Conseil de l’Europe, sur le droit
suisse.
A un autre niveau, si l’influence du droit européen, pris dans le contexte qui est le
nôtre, sur le droit suisse est réfutable, il se pourrait que la Suisse se soit inspirée de
la législation de certains de ses voisins, à savoir, la France, l’Italie, l’Allemagne et
l’Autriche. Cette argumentation trouve son fondement dans la motion Segond du
4 octobre 1989 concernant l’association de malfaiteurs30. Celle-ci chargeait le CF
de proposer, dans les meilleurs délais, l’introduction dans la partie générale du
Code pénal des dispositions sanctionnant la participation à une association de
malfaiteurs et de procéder aux adaptations nécessaires à la partie spéciale, afin
que la Suisse puisse participer plus efficacement à la répression internationale du
crime organisé dans tous les domaines (drogue, trafic d'armes, proxénétisme,
28
https://wcd.coe.int/wcd/ViewDoc.jsp?id=224763 (05.12.2014).
29
http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/090.htm (05.12.2014).
30
FF 1993 III 278.
342
DROIT PÉNAL DANS LE DOMAINE DE LA CRIMINALITÉ ÉCONOMIQUE
traite des femmes, crimes de sang, etc.), et suivre ainsi l’exemple des États voisins,
notamment la France, l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche31. Maria Luisa Cesoni
estime que la définition suisse d’organisation criminelle a été élaborée en référence aux organisations de types mafieux existant dans les pays tels que l’Italie, car
la Suisse ne connaissait pas à proprement dit des infractions typiques des organisations criminelles, hormis le blanchiment d’argent32.
5.
L’incrimination du financement du terrorisme
5.1.
En droit suisse
Le financement du terrorisme est sanctionné par l’article 260quinquies CPS33. Si cette
incrimination intervient quelque temps après l’approbation par l’Assemblée fédérale de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme34, elle s’inscrit fondamentalement dans le contexte de l’après 11 septembre
2001. En effet, au lendemain des attentats de New York et Washington, l’ONU, à
travers la Résolution 1373 du Conseil de sécurité35, demandait aux États de
prendre des mesures en vue de lutter contre le terrorisme et en particulier son
financement. Le 19 décembre 2001, après approbation du CF, la Suisse a transmis
à l’ONU un rapport qui résume l’engagement de la Suisse contre le terrorisme aux
niveaux tant international que national et exposant l’application faite de la
résolution 1373 en matière de lutte contre le terrorisme et de coopération internationale36. Il s’en est suivi plusieurs autres rapports dont les buts étaient d’étayer
la position de la Suisse.
Afin d’exclure toute ambiguïté sur ladite position, le CF a entrepris un projet de
modification du droit interne et international suisse, dont il expose les motifs dans
son Message du 26 juin 200237. Le CF y présente la nécessité d’adhérer aux deux
derniers instruments de l’ONU, à savoir la Convention pour la répression du
financement du terrorisme et la Convention pour la répression des actes terroristes
31
32
33
34
35
36
37
Idem.
CESONI, p. 50.
Introduit par le ch. I 1 de la LF du 21.03.2003 (Financement du terrorisme), en vigueur depuis
le 01.10.2003 (RO 2003 p. 3043; FF 2002 pp. 5014 ss.).
RS 0.353.22.
http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1373%282001%29
(05.12. 2014).
Lettre datée du 19 décembre 2001, adressée au président du Comité du Conseil de sécurité
créé par la Résolution 1373.
Message du 26 juin 2002 relatif aux Conventions internationales pour la répression du
financement du terrorisme et pour la répression des attentats terroristes à l’explosif ainsi
qu’à la modification du code pénal et à l’adaptation d’autres lois fédérales, FF 2002 pp. 5014
ss.
343
BERTRAND PERRIN / PASCAL DE PREUX
à l'explosif, afin de permettre à la Suisse de coopérer de manière plus intense à la
répression du terrorisme sur le plan international.
Sur le plan interne, le CF entendait compléter l'arsenal des dispositions pénales en
proposant une révision du CPS. «Le renforcement du dispositif de droit pénal
qu’elle induit vise à garantir que la Suisse ne devienne pas un pays attrayant pour
le terrorisme et pour ceux qui le soutiennent. Par ailleurs, en ratifiant la Convention pour la répression du financement du terrorisme, la Suisse manifestera sa
ferme volonté de continuer à s’opposer à ce que l’on abuse de sa place financière
pour financer des activités terroristes»38. Cette révision s'articule autour d'une
disposition pénale spécifiquement consacrée au financement du terrorisme39, afin
d’en faire une infraction propre indépendamment de l’acte terroriste lui-même.
«Le fait de réaliser une transaction financière en ayant l’intention de mettre des
fonds à disposition de terroristes ou en sachant qu’ils seront utilisés à des fins
terroristes constitue déjà un acte pénalement répréhensible en tant que tel»40. Le
financement du terrorisme ne dépend pas de l’exécution ou de la tentative
d’exécution d’un acte terroriste. L’acte répréhensible, sous l’angle de cette disposition, est bel et bien la mise à disposition de fonds à des fins de terrorisme. Seront
ainsi sanctionnées, sur la base de cette disposition, les personnes qui, dans le
dessein d'appuyer des opérations terroristes, réunissent ou mettent à disposition
des fonds en amont de ces opérations. Ce projet, adopté par le Parlement le 21
mars 2003, est entré en vigueur le 1er octobre 200341.
5.2.
L’incrimination du financement du terrorisme au niveau
européen
En application de la Résolution 137342, l’UE a arrêté la Position commune
2001/931/PESC du Conseil du 27 décembre 2001 relative à l’application de
mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme43 et la Position commune
2001/930/PESC44 «qui donne le panorama à travers ses articles de l’interdiction
de toute forme de soutien ou d’appui à des mouvements terroristes»45. Ces textes
complètent la Résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies. La
Position 2001/931 établit, en particulier, une liste de personnes, de groupes et
d’entités impliqués dans des actes de terrorisme, auxquels il faut appliquer la
mesure du gel des fonds et des autres avoirs financiers ou ressources économiques
38
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41
42
43
44
45
FF 2002 p. 5015.
Le terrorisme lui-même n’est pas incriminé.
FF 2002 p. 5026.
RO 2003 p. 3043.
Cf. n. 35.
JO L 344 du 28.12.2001, p. 93.
Idem, p. 90.
GAFNER, N. 370, p. 141.
344
DROIT PÉNAL DANS LE DOMAINE DE LA CRIMINALITÉ ÉCONOMIQUE
dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme46. Nous relèverons
aussi l’existence du Règlement CE 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001
concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines
personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme47. Ce Règlement
a pour objet la lutte contre toute forme de financement des activités terroristes.
Le Conseil de l’Europe n’est pas non plus resté inactif. Dans sa Recommandation
1584 (2002) «Nécessité d’une coopération internationale intensifiée pour neutraliser les fonds destinés à des fins terroristes», adoptée par la Commission
permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 18 novembre 200248, il souligne
combien il est important, dans la lutte contre le terrorisme, d’identifier et de neutraliser les fonds destinés à des fins terroristes. Il recommande aux États membres
d’incriminer le financement du terrorisme «afin de réussir à dépister l’origine –
légale ou non – ainsi que le cheminement des fonds prévus à des fins terroristes,
en vue de leur saisie ou confiscation»49.
5.3.
De l’influence du droit européen sur le droit suisse en
matière de financement du terrorisme
L’incrimination du financement du terrorisme s’inscrit dans la vague générale de
la lutte contre le terrorisme qui a suivi les attentats terroristes du 11 septembre
2001. La Suisse, tout comme l’UE et le Conseil de l’Europe, se sont harmonisés
avec les résolutions onusiennes en la matière. L’incrimination du financement du
terrorisme a permis à la Suisse de mettre en application à la fois les résolutions de
l’ONU et les conventions du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre le
terrorisme. En la matière, au-delà de toute autre influence, celle de l’ONU est prépondérante.
6.
La corruption
6.1.
L’incrimination en droit suisse
Le droit suisse sanctionne aussi bien la corruption publique que la corruption
privée. La corruption publique est punie en vertu du Titre 19 du Livre 2 du CPS
(art. 322ter à 322septies)50. La corruption privée, quant à elle, peut notamment être
sanctionnée, sur plainte uniquement, en vertu de la loi fédérale du 19 décembre
46
47
48
49
50
http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/fight_against_terrorism/
l33208_fr.htm (05.12.2014).
JO L 344 du 28.12.2001, p. 70.
http://assembly.coe.int/Main.asp?link=http%3A%2F%2Fassembly.coe.int%2FDocuments%2F
AdoptedText%2Fta02%2FFREC1584.htm (05.12.2014).
Idem.
Introduit par le ch. I de la LF du 22.12.1999 (Révision du droit pénal de la corruption), en
vigueur depuis le 01.05.2000 (RO 2000 p. 1121; FF 1999 pp. 5045 ss.).
345
BERTRAND PERRIN / PASCAL DE PREUX
1986 contre la concurrence déloyale (LCD; RS 241)51, en application de ses
articles 4a et 23.
6.2.
L’incrimination en droit européen
L’UE a pris des initiatives de manière assez précoce pour lutter efficacement contre
la corruption. Après l’adoption d’un protocole additionnel52 à la Convention
relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes53,
en date du 27 septembre 1996, elle a conclu en 1997 un accord autonome sur le
caractère punissable de la corruption active et passive des fonctionnaires de l’UE et
des États membres, se fondant sur les efforts consentis pour protéger les intérêts
financiers des Communautés européennes dans le cadre du troisième pilier du
Traité de l'Union54.
La Convention du 26 mai 1997, établie sur la base de l'article K.3 paragraphe 2
point c) du traité sur l'Union européenne, relative à la lutte contre la corruption
impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne55, constitue le principal outil
juridique de lutte contre la corruption. Elle exhorte les États membres de l’UE à
s’assurer que les comportements constituant des actes de corruption active ou
passive soient poursuivis pénalement. Il s’agissait de sanctionner non seulement
les actes à proprement parler de corruption active ou passive, mais également la
complicité et l'instigation et de faire en sorte que les comportements les plus graves soient passibles de peines privatives de liberté pouvant entraîner l'extradition.
Les États membres étaient également tenus de prendre les mesures nécessaires
pour permettre que les chefs d'entreprise ou toute personne ayant le pouvoir de
décision ou de contrôle au sein d'une entreprise puissent être déclarés pénalement
responsables en cas d'actes de corruption active, commis par une personne
soumise à leur autorité pour le compte de l'entreprise.
L’UE a adopté deux positions communes faisant suite au projet de Convention de
l’OCDE de lutte contre la corruption. Il s’agit de la Position commune 97/661/JAI
du 6 octobre 1997 définie par le Conseil sur la base de l'article K.3 du traité sur
51
52
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54
55
Modifiée par l’article 2 ch. 1 de l’Arrêté fédéral du 07.10.2005 portant approbation et mise en
œuvre de la Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption et du Protocole
additionnel à ladite convention, en vigueur depuis le 01.07.2006 (RO 2006 p. 2371; FF 2004 pp.
6549 ss.).
Protocole du 27.09.1996, établi sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, à
la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes,
JO C 313 du 23.10.1996, p. 1.
Convention du 26.07.1995, établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne,
relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à
Bruxelles, JO C 316 du 27.11. 1995, p. 48.
FF 1999 pp. 5058 s.
JO C 195 du 25.06.1997, p. 1.
346
DROIT PÉNAL DANS LE DOMAINE DE LA CRIMINALITÉ ÉCONOMIQUE
l'Union européenne concernant les négociations au sein du Conseil de l'Europe et
de l'OCDE en matière de lutte contre la corruption56 et de la Deuxième position
commune 97/783/JAI du 13 novembre 1997 définie par le Conseil sur la base de
l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, concernant les négociations au sein
du Conseil de l'Europe et de l'OCDE en matière de lutte contre la corruption57.
Le Conseil de l’Europe a été particulièrement actif dans l’adoption de normes de
lutte contre la corruption. Nous pouvons citer entre autres la Résolution (97) 24
portant les vingt principes directeurs pour la lutte contre la corruption, adoptée
par le Comité des Ministres le 6 novembre 199758, qui a été suivie plus tard par la
Convention pénale sur la corruption (ci-après CPC) 59 et la Convention civile du
4 novembre 1999 sur la corruption60.
La Convention pénale sur la corruption va plus loin en particulier que celle de
l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Elle ne se limite pas aux transactions commerciales internationales et contient des exigences auxquelles doit satisfaire la
répression pénale des différentes formes de corruption, aussi bien active que
passive, dans le secteur public et privé. En effet, en plus de l'obligation de réprimer
la corruption active et passive d'agents publics nationaux et de membres d'assemblées parlementaires nationales (art. 2 à 4 CPC), les États signataires sont également tenus d'ériger en infraction pénale la corruption active et passive d'agents
publics étrangers et de membres d'assemblées parlementaires étrangères (art. 5 et
6 CPC). La même règle s'applique aux fonctionnaires internationaux, aux membres d'assemblées parlementaires internationales et aux juges et agents de cours
internationales (art. 9 à 11 CPC). La convention prévoit ensuite l'obligation de
poursuivre la corruption active et passive dans le secteur privé (art. 7 et 8 CPC), de
même que le trafic d'influence au niveau national et international (art. 12 CPC).
Comme nous l’avons signalé, la lutte contre la corruption se fait également au
niveau de l’OCDE, qui a adopté la convention mentionnée précédemment le 17
56
57
58
59
60
JO L 279 du 13.10.1997, p. 1.
JO L 320 du 21.11.1997, p. 1.
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/documents/Resolution%2897%2924_fr.pdf (05.
12. 2014). Il s'agit en fait de principes relativement généraux qui ne sont pas juridiquement
contraignants et s'adressent en partie aux législateurs et en partie aux autorités judiciaires
des États membres.
Adoptée le 04.11.1998 par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe et ouverte à
l'adhésion depuis le 27.01.1999 (Cf. http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous. asp?CL=FRE&NT=173 (05.12.2014), cette convention a été approuvée par
l’Assemblée fédérale le 07.10.2005 et est entrée en vigueur pour la Suisse le 01.07.2006
(RS 0.311.55; RO 2006 p. 2371).
http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?CL=FRE&NT=174
05. 12.2014.
347
BERTRAND PERRIN / PASCAL DE PREUX
décembre 199761. Ce texte trouve son origine dans la volonté de maintenir
l’égalité entre les entreprises exportatrices face à la concurrence et d’éviter que
cette dernière ne soit faussée.
6.3.
De l’influence du droit européen sur le droit suisse en
matière de lutte contre la corruption
Le droit suisse a été fortement influencé par le contexte international, notamment
européen, en matière de lutte contre la corruption. Le CF a d’ailleurs souligné dans
son Message du 19 avril 199962 que son objectif était de «remédier aux insuffisances du droit en vigueur en matière de lutte contre la corruption en Suisse et sur
le plan international»63. Le CF trouvait que le législateur suisse ne devait pas rester
indifférent à la corruption internationale et que le pays devait suivre l’exemple
international en la matière64.
La Suisse a ratifié aussi bien la Convention de l’OCDE que celle du Conseil de
l’Europe65. L’adoption de ces différentes conventions impliquait que la Confédération devait les introduire dans son dispositif national. C’est ce qui a donné lieu,
entre autres, aux incriminations de la corruption active et passive d’agents publics
suisse (art. 322ter et 322quater CPS), dans leur nouvelle version, et de la corruption
active d’agents publics étrangers (322septies CPS).
S’agissant de la répression de la corruption privée, on relèvera que l’article 4a LCD
a été introduit suite à l’approbation de la Convention pénale du Conseil de
l’Europe sur la corruption et de son Protocole additionnel. Dans ses nouveaux
atours, il est en vigueur depuis le 1er juillet 200666. Il réprime sur plainte la corruption privée active et passive. Le CF envisage toutefois d’intégrer les dispositions
réprimant la corruption privée dans le Code pénal et d’en faire des infractions
poursuivies d’office, afin de satisfaire aux recommandations du groupe d’États
contre la corruption (GRECO)67.
61
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67
RS 0.311.21, http://www.oecd.org/fr/corruption/conventionsurlaluttecontrelacorruptiondagentspublicsetrangersdanslestransactionscommercialesinternationales.htm (05.12.2014).
Message du 19.04.1999 concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal
militaire (révision des dispositions pénales applicables à la corruption) et l'adhésion de la
Suisse à la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les
transactions commerciales internationales, FF 1999 pp. 5045 ss.
FF 1999 p. 5046.
FF 1999 pp. 5058 ss.
Cf. n. 59 et 61.
Voir l’article 2 ch. 1 de l’Arrêté fédéral portant approbation et mise en œuvre de la Convention
pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption et du Protocole additionnel à ladite convention, RO 2006 p. 2371, FF 2004 pp. 6549 ss.
Message du 30.04.2014 concernant la modification du code pénal (Dispositions pénales
incriminant la corruption), FF 2014 pp. 3433 ss.
348
DROIT PÉNAL DANS LE DOMAINE DE LA CRIMINALITÉ ÉCONOMIQUE
7.
Les infractions contre le patrimoine
7.1.
État des lieux de la législation suisse
Les infractions contre le patrimoine relèvent des dispositions du Titre 2 du Livre 2
du CPS, qui regroupe une grande partie des crimes et délits économiques. Ce titre
a une nouvelle teneur selon le chiffre I de la loi fédérale du 17 juin 1994, en
vigueur depuis le 1er janvier 199568. Selon le CF, cette révision s’inscrivait dans la
stratégie globale de lutte contre la criminalité économique et le crime organisé,
mise en œuvre depuis un certain temps69. C’est en cela que le projet de révision du
CPS visait à «intégrer dans le droit pénal les développements enregistrés récemment dans les domaines des relations sociales et de la technique, notamment dans
le traitement électroniques des données et les nouveaux moyens de paiement
(cartes-chèques et cartes-crédit)»70 qui exerçaient «une influence durable sur les
modes de comportements délictueux»71. Cette loi permettrait, selon le CF, de
mettre le droit suisse en conformité avec les recommandations du 24 avril 1989
pour la création de normes pénales dans le secteur de la criminalité informatique,
que le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe avait adoptées le 13 septembre
1989 à l'intention des États membres72. Le CF affirmait également avoir renoncé,
dans la mesure du possible, aux sanctions de moindre importance, conformément
à la Recommandation R (87) 18 du Comité des Ministres aux États membres du
Conseil de l’Europe concernant la simplification de la justice pénale73.
7.2.
L’influence du droit européen
L’influence la plus notable du droit européen sur le droit suisse est ici à trouver
dans le domaine des infractions informatiques. Le CF avoue clairement s’être
inspiré du droit d’autres pays. Il précise dans son Message74 s’être basé sur une
étude de l'Institut suisse de droit comparé, qui avait fourni une base essentielle
aux travaux de révision75. Cette étude portait sur la législation en matière de criminalité informatique et d'abus de cartes-chèques et de cartes de crédit en République fédérale d'Allemagne, en Italie, en France, en Autriche, en Grande-Bretagne, en Suède, en Norvège et aux États-Unis. Concernant la définition du délit
68
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75
RO 1994 p. 2290, FF 1991 II 933 ss.
Message du 24.04.1991 concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal
militaire (Infractions contre le patrimoine et faux dans les titres), FF 1991 II 933, p. 935.
Idem.
Idem.
Idem, pp. 950 ss.
https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=608038&SecMode=1&DocId=694300&Usage=2 (05.12.2014).
Cf. n. 69.
FF 1991 II 933, p. 1085.
349
BERTRAND PERRIN / PASCAL DE PREUX
de manipulations de données, le CF a tenu compte du § 263a al. 1 du Code pénal
allemand76.
En résumé, dans le domaine des infractions contre le patrimoine, la Suisse s’est
inspirée des législations de certains pays européens. Les modifications intervenues
dans son droit ont également été entreprises à l’instigation du Conseil de l’Europe.
L’impact a donc été important.
8.
Conclusion
L’influence du droit européen sur le droit suisse est non négligeable en matière de
criminalité économique. En effet, même dans les domaines où la Suisse semble
avoir pris de l’avance sur l’UE et le Conseil de l’Europe, elle a souvent été influencée par le droit des pays voisins ou, du moins, elle s’en est inspirée. Quoique
dans la majorité des cas l’harmonisation de sa législation avec le droit européen fût
justifiée, voire recommandée, certains auteurs, dont Maria Luisa Cesoni, lui reprochent d’avoir introduit des dispositions que le contexte national n’imposait pas.
Selon elle, la Suisse est allée trop vite en matière d’infraction d’organisation criminelle. L’article 260ter CPS n’était pas nécessaire à ses yeux. Elle affirme que «l’infraction d’organisation criminelle a été introduite dans le Code pénal suisse en
l’absence d’organisations criminelles d’envergure actives sur le territoire national»77 et que «pratiquement toutes les activités illicites que l’on attribue aux organisations criminelles peuvent être appréhendées au moyen des infractions existantes»78.
Ces réticences ne sont pas, ou plus, justifiées à notre avis. En effet, d’une part, des
exemples récents montrent que des organisations structurées et hiérarchisées sont
actives en Suisse. La qualification d’organisation criminelle au sens de l’article
260ter CPS a ainsi été admise par les autorités judiciaires helvétiques à quelques
occasions. D’autre part, même si l’article 260ter CPS est subsidiaire et qu’il ne
s’applique pas si tous les aspects de l’acte ou des actes réalisés par l’auteur sont
couverts par d’autres dispositions pénales79, il permet de réprimer des agissements
qui ne sont pas appréhendés par d’autres infractions de notre ordre juridique.
Enfin, il faut souligner que l’influence du droit européen dans les domaines plus
76
«Wer in der Absicht, sich oder einem Dritten einen rechtswidrigen Vermögensvorteil zu verschaffen, das Vermögen eines anderen dadurch beschädigt, dass er das Ergebnis eines
Datenverarbeitungsvorgangs durch unrichtige Gestaltung des Programms, durch Verwendung unrichtiger oder unvollständiger Daten, durch unbefugte Verwendung von Daten oder
sonst durch unbefugte Einwirkung auf den Ablauf beeinflusst, wird mit Freiheitsstrafe bis zu
fünf Jahren oder mit Geldstrafe bestraft.»
77
CESONI, p. 49.
78
Idem, p. 51.
79
ATF 133 IV 235, consid. 4.2, pp. 239 s.
350
DROIT PÉNAL DANS LE DOMAINE DE LA CRIMINALITÉ ÉCONOMIQUE
globaux du droit pénal économique suisse s’inscrit dans le cadre d’une nécessaire
coopération internationale. La lutte contre la criminalité économique ne peut en
effet porter ses fruits qu’avec un minimum d’harmonisation législative et une
entraide judiciaire efficace entre les États.
Bibliographie
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extirper?, in I. AUGSBURGER-BUCHELI & J-L. BACHER, La criminalité économique:
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351

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