premières pages - R

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Art conceptuel
une entologie
Art conceptuel
une entologie
sous la direction de Gauthier Herrmann,
Fabrice Reymond & Fabien Vallos
Cet ouvrage a été publié avec le concours
de la Région Île-de-France
www.editionsmix.org
© les auteurs pour leurs contributions, 2008
© éditions mix. pour l’ensemble, 2008
ISBN : 978-2-914722-69-8
éditions
28, av. de Laumière - Paris 19
Comité de direction :
Gauthier Herrmann, Fabrice Reymond, Fabien Vallos
Traduction :
Lore Gablier, Pierre Gaconnet, Gauthier Herrmann,
Fabrice Reymond, Fabien Vallos
Consultant :
Ghislain Mollet-Viéville
Préface, notes :
Gauthier Herrmann, Fabrice Reymond, Fabien Vallos
Dossier :
Emmanuel Hocquard, Dean Inkster, Ghislain Mollet-Viéville,
François Piron, Gilles A. Tiberghien.
La réalisation de ce projet a demandé l’aide des artistes et de nombreuses personnes, galeristes, éditeurs et
collectionneurs que nous tenons à remercier chaleureusement pour leur soutien, leur amabilité et le temps
qu’ils ont consenti à nous accorder.
Nous tenons à remercier tout spécialement Ghislain Mollet-Viéville pour l’aide inestimable qu’il a bien voulu
apporter à la réalisation de cet ouvrage ainsi que Juliette Valéry pour ses précieuses relectures.
Nous remercions tout particulièrement Martine Aboucaya, Meike Aden, Mary Sue Ader, Germana Agnetti,
Sarina Basta, Alicia Beattie, John Berndt, Fiona Biggiero, Agata Boetti, Sylvie Boulanger, Thomas Boutoux,
Lauren Boyle, Christophe Chérix, Marie de Brugerolle, Céline Chazalviel, Laura Cherubini, Corinne
Diserens, Victoire Dubruel, Patricia Falguières, Agnès Fierobe, Marcel Fleiss & David Fleiss (Galerie 19002000), Simone Forti, Galerie Marian Goodmann, Galerie Nelson-Freeman, Galerie Jérôme de Noirmont,
Galerie Micheline Szwajcer, Aurélie Guitton, Heather Harmon, Jon Hendricks, Jonas Herbsman, Emmanuel
Hocquard, Darcy Huebler, Dean Inkster, Elisabeth Klotz, Françoise Lambert, Sofia LeWitt, Éric Mangion,
Sanna Marander, Philippe Méaille, Jan Mot, Xavier Person, Marie Philippon, François Piron, Xan Price,
Michel Rhein, Pierre Rusch, Jacques & Myriam Salomon, Guy Schraenen, Annemarie Sauzeau-Boetti, AnneClaire Schmitz, Suzanna Singer, Bruna Soletti, Pietro Sparta, Niklas Svennung, Ann Noel Williams.
Vito Acconci
Hans Haacke
Bas Jan Ader
Douglas Huebler
Vincenzo Agnetti
Joseph Kosuth
Art & Language
Christine Kozlov
Terry Atkinson
Sol LeWitt
Michael Baldwin
Lee Lozano
Ian Burn
Robert Morris
Mel Ramsden
Matt Mullican
John Baldessari
Maurizio Nannucci
Robert Barry
Bruce Nauman
Bernd & Hilla Becher
Yoko Ono
Alighiero e Boetti
Adrian Piper
George Brecht
Allan Sekula
Victor Burgin
Robert Smithson
Donald Burgy
Alan Sonfist
Gino de Dominicis
Bernar Venet
Walter De Maria
Lawrence Weiner
Hans-Peter Feldmann
Faith Wilding
Henry Flynt
Emmett Williams
Simone Forti
Ian Wilson
Dan Graham
Préface
Art conceptuel, une entologie
Une boîte avec le son de sa propre fabrication. Voilà à quoi se résume l’œuvre que
Robert Morris réalisa en 1961 et qu’il présenta officiellement deux ans plus tard (le 24
mars 1963) à la Gordon Gallery de New York. Parce qu’une fois disposée sur le sol, elle ne
donnait pas grand chose de plus à voir (et à entendre) que ce que promettait son simple
énoncé, on peut tenir cette œuvre pour l’une des formes inaugurales de ce qui allait
bientôt prendre le nom d’« art conceptuel ». La désinvolture de son geste d’une part, son
bouclage auto-référentiel d’autre part, permettent de la situer à la fois dans le prolongement
du mouvement Fluxus (très actif au début des années soixante) et en rupture avec lui.
Dans son prolongement parce qu’elle dynamitait toute velléité de savoir-faire et jouait
manifestement de l’auto-dérision caractéristique de Fluxus. Mais en rupture aussi car,
on le constaterait bientôt, l’art conceptuel allait prendre très au sérieux les conséquences
théoriques et formelles de ce resserrement de l’œuvre autour de son propre énoncé, de
même qu’il exploiterait systématiquement le potentiel des structures auto-réflexives. L’année
suivante, ces enjeux se verraient confirmés comme le nerf de la guerre conceptuelle dans une
pièce du même Robert Morris (Card File [fichier], où un fichier se nourrissait exclusivement
des remarques et informations relatives à sa propre élaboration).
Quelques mois après la réalisation de la « boîte » de Morris, c’est pourtant d’un autre
artiste et essayiste (aujourd’hui apparenté à tort au groupe Fluxus), Henry Flynt, que
viendra la première définition explicite de ce que ce dernier appelle alors le Concept Art
[l’art concept] : « Le concept art, dit-il, est avant tout un art dont les concepts sont le
matériau, de même que le son, par exemple, est le matériau de la musique. Dans la mesure
où les concepts sont étroitement liés au langage, le concept art est une forme d’art dont
le matériau est le langage. » (in An Anthology… sous la direction de La Monte Young et
Jackson McLow, 1962). Point de départ plus tard contesté (à la fois dans son caractère
fondateur des pratiques conceptuelles et dans son contenu théorique), cette définition n’en
reste pas moins la plus ergonomique pour aborder, en tant que spectateur/lecteur, l’œuvre
d’art conceptuelle : ce qu’elle nous montre, c’est du langage mis en forme au même titre
que n’importe quel matériau (tôle, peinture, etc.). 10
Reste que le mode de présentation et la mise en forme du langage dans le langage
sont d’une nature très différente de celles, disons, d’un cube en acier. S’il n’y a pas, dans
ce dernier cas, à tergiverser longtemps sur ses tenants matériels (les trois dimensions de
l’espace), l’œuvre conceptuelle, en revanche, semble se prêter à d’infinies traductions
formelles. Du manuscrit à la feuille dactylographiée, de la feuille dactylographiée à
son encadrement au mur, du cadre à la page du livre ou au magazine, elle se présente
souvent comme une structure abstraite qui joue de toutes les modalités possibles, sinon
de l’inscription, du moins de l’impression. Bien qu’on ne puisse non plus le réduire
à un simple élan de subversion institutionnelle, l’art conceptuel échappait ainsi, par
voie d’édition, au socle économique et esthétique de la galerie. Mais il se pourrait,
en définitive, qu’à vouloir systématiquement biaiser les protocoles conventionnels de
l’apparition de l’art, l’histoire des avant-gardes ait engendré là, au début des années
soixante, une sorte d’enfant bâtard de la littérature ; l’artiste dans son atelier allait se
retrouver dans une posture fort comparable à celle d’un écrivain devant sa machine
à écrire. Partant de ce constat simple de la similarité des outils et des modes de
production plastiques et littéraires, en tout cas dans l’art « textuel », c’est avec cette
image en tête que l’ouvrage que nous proposons aujourd’hui voudrait tenter, pour
une fois, de « lire » les conceptuels. À commencer par en faire une entologie donc, et non une anthologie. Où il s’agirait
précisément d’enter, de greffer certaines des productions de ce mouvement artistique
sur la branche de la littérature générale (plutôt que d’en « faire un bouquet » comme
le terme traditionnel l’entend). Une entologie littéraire par conséquent, une greffe pour
voir, dont seul le temps dira si elle est effectivement viable. Par ailleurs, la traduction et la diffusion en français de nombre d’œuvres majeures,
qu’elles soient américaines, anglaises, allemandes ou italiennes, relevait, pour ainsi dire, de
la lacune. Ainsi, la plupart des textes qu’on trouvera plus loin, sont lisibles en français pour
la première fois. Aucune édition française n’avait jamais rassemblé un tel corpus d’œuvres
(près de 300) produites par des artistes pourtant destinés à avoir une influence profonde et
durable sur ceux de la fin du xxe siècle. Sans parler d’un certain nombre d’inédits (Alighiero
e Boetti, Bas Jan Ader, Victor Burgin, Art & Language, etc.), ce livre est aussi l’occasion
de revenir sur des œuvres méconnues ou rarement publiées (celles de Donald Burgy, de
Lee Lozano ou encore de Faith Wilding et Alan Sonfist, par exemple). Indépendamment
de la perspective particulière qu’il s’est choisie, ce travail de compilation et de traduction
des productions écrites de l’art conceptuel semblait pour le moins nécessaire.
Préface 11
Réalisées en étroite collaboration avec Ghislain Mollet-Viéville, nos recherches dans
les multiples parutions périodiques, catalogues d’expositions et monographies d’artistes
de l’époque, ont rapidement révélé plusieurs centaines d’œuvres remplissant, à quelques
nuances près, les critères que nous nous étions fixés : des œuvres textuelles (ayant la lettre
– voire parfois le signe – pour seul matériau), des œuvres dépourvues d’images (à de rares
exceptions près – chez Adrian Piper ou Allan Sekula, par exemple – toutes les œuvres
de l’Entologie respectent cette donne), des œuvres autonomes (dont la lecture comme
œuvre ne demande aucune autre explication une fois présentée dans l’espace de la page),
enfin, des œuvres en anglais, en italien ou en allemand qui, de préférence, n’avaient
jamais pu être lues en français (précisons au passage que les pratiques conceptuelles
ne se sont bien sûr pas limitées à ces quelques langues, mais que des considérations
techniques nous ont contraints de renoncer pour l’instant à traduire celles issues, à la
même période, des pays d’Europe de l’Est ou de l’Amérique Latine). On ne trouvera
donc dans cet ouvrage ni reproduction photographique ni fac-similé (quoique les œuvres
de Bas Jan Ader et Robert Smithson flirtent parfois avec cette dernière catégorie) ; les
textes s’y succèdent dans une seule et même police de caractère, par ordre alphabétique
d’auteurs, reprenant ainsi la formule habituelle de l’anthologie. La grande majorité
des œuvres présentées ici ayant un jour existé dans les pages d’une publication, leur
présentation originale a, bien entendu, été respectée au plus près.
Quant au travail de traduction, il a été effectué collectivement – et on profitera
de cette précision pour remercier une fois encore, pour leur engagement et leur
perspicacité, Lore Gablier et Pierre Gaconnet qui se sont joints à nous pour
accomplir ce travail. Le choix des textes s’est fait à la fois dans le souci de rendre
compte le plus justement possible du paysage conceptuel, tout en en profitant
pour illustrer la plus grande variété possible de genres littéraires : autobiographie
(Alan Sonfist, Alighiero e Boetti), biographie (Matt Mullican, Faith Wilding),
journal (Lee Lozano), fiction (Hans-Peter Feldmann), poésie (Vito Acconci, Bernar
Venet), dialogue (Ian Wilson, Robert Barry), énumération (Barry encore), cut up
de citations (Joseph Kosuth), jusqu’au testament (Alan Sonfist) et au télégramme
(Christine Kozlov) ! ce large éventail de genres, en s’ouvrant progressivement au
fil du travail, nous semblait aussi en quelque manière confirmer, sinon la validité,
du moins l’opportunité de notre hypothèse.
Parce que nous avons fait le choix de ne présenter que des œuvres textuelles,
certaines figures majeures de l’art conceptuel manquent finalement à l’appel : soit
que leurs œuvres n’aient pas rencontré le texte à proprement parler (comme Hanne