« Soif de paix : Les religions en dialogues » 30 ans de l`esprit d

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« Soif de paix : Les religions en dialogues » 30 ans de l`esprit d
« Soif de paix : Les religions en dialogues »
30 ans de l’esprit d’Assise pour le dialogue interreligieux
Tout d’abord, qu’il me soit permis de souhaiter un bon anniversaire à la
communauté de Sant’Egidio pour ce trentième anniversaire de
l’organisation des journées d’Assises. Et, ceci étant fait, permettez-moi
de m’excuser pour - je le confesse humblement - le peu d’attention que
j’y avais porté jusqu’à présent. Honte à moi ! Je sais. Mais je crois que
j’ai des circonstances atténuantes… et que vous me pardonnerez quand
vous les connaitrez. Parce que depuis que je suis entré dans le ministère
pastoral, (et même avant !) aussi loin que je me souvienne, ce qui a été
au cœur de mes engagements et soucis ce fut… la difficile et
douloureuse ‘problématique’ des relations œcuméniques au sein de
l’Eglise Chrétienne. Rien qu’avec ça, je me sentais (et me sens souvent
encore) déjà complètement dépassé et investi dans un mouvement
dont, le moins que l’on puisse dire, est que s’il y a eu des avancées
notables ces dernières décennies, les plus marquantes furent celles
observables dans des rapprochements vécus entre croyants, entre
individus, plutôt que dans ceux manifestés au niveau des ‘institutions’
ecclésiales. Mais ce n’est pas le sujet ce soir. Seulement, avec cette
petite entrée en matière, vous aurez compris que lorsque François
Delooz m’a demandé si j’accepterais de participer à une soirée
d’échanges dans l’esprit d’Assise… sur l'apport des religions à la paix
dans le monde et dans notre société, j’ai dit oui… tout en me demandant
si j’étais vraiment bien qualifié pour le faire… et sur quelle pente
savonneuse je m’aventurais.
D’autant plus que je n’ai pu m’empêcher de réagir immédiatement à
l’affirmation sous-jacente que j’y décelais : les religions (comme) vecteur
ou instrument de paix dans le monde et dans notre société !
Y a-t-il là vraiment quelque chose qui soit de l’ordre de l’évidence ? Pour
ma part, il me semble que le moins que l’on puisse dire c’est que, de
prime abord, une telle affirmation résonnera probablement pour bon
nombre de nos contemporains comme plutôt ‘politiquement
incorrecte’, voire complètement ‘décalée’.
Et pour cause. Ce que ce que l’on entend le plus souvent sur ‘Radio
trottoir’, ou qu’on lit dans tant de messages likés… sur Facebook, n’estce pas plutôt : « marre de toutes ces religions et des religieux ! Combien
de guerres, de conflits, de tueries, de massacres n’ont pas été perpétrés
au nom d’un dieu ou d’une compréhension de la foi, quand ce n’est pas
de Sa volonté ? Et même, lorsque la religion n’était pas ou n’est pas au
cœur du conflit, combien de ceux-ci n’ont pas été perpétrés par des soidisant croyants qui, si on en croit ce qu’on nous dit de leurs livres sacrés,
auraient dû se comporter autrement. »
Et chacun de gloser sur l’appel à la violence qu’il croit pouvoir discerner
dans tel ou tel livre sacré, dans telle ou telle religion.
Mais il faut bien le reconnaitre, à l’heure de la mondialisation où l’on
sait tout ce qui se passe n’importe où sur la terre, les péripéties des
diverses ‘caricatures’ ayant nourris tant foyers de violences,
d’incompréhensions mais aussi de rejets ces dernières années, les
images de Djihadistes démolissant des monument millénaires, tuant des
gens au nom d’Allah, celles de chrétiens en arme pour se défendre mais
aussi parfois usant de représailles… ont beau jeu pour nourrir ces propos
relayés par ‘Radio trottoir’ ou Facebook qui sonnent alors tellement
‘justes’ pour tant de nos contemporains occidentaux.
Et c’est là que j’apprécie alors tout particulièrement le titre des journées
d’Assises 2016 : Soif de paix !
Soif !!! Comme un irrépressible et vital besoin !
Soif !!! Comme un retour – excusez-moi le jeu de mot – aux sources…
des fondamentaux des religions et de notre humanité !
Soif !!! Comme une quête jamais inassouvie de cet état de grâce et de
sérénité : Soif… de paix !
Tout un programme… qui commence par une prise de conscience
édifiante et mobilisatrice : qu’est-ce qui me rend plus humain que
l’autre, que celui qui ne pense pas comme moi, qui ne prie pas comme
moi, qui croit être plus fort, plus malin ou plus juste que moi ?
Rien ! Si ce n’est de nous savoir frères et sœurs en humanité, et que ce
ne sont jamais par la violence et la force que je pourrai me rapprocher
tant de lui que de Dieu.
Mais revenons un instant à la question de départ : l'apport des religions
à la paix dans le monde et dans notre société.
Quand j’évoque ou entend les échos de ‘Radio trottoirs’ et Facebook, je
ne peux m’empêcher de me dire : qu’avons-nous fait, nous et nos
religions, pour qu’un tel jugement puisse être ainsi tenus ? Qu’avonsnous fait ou n’avons-nous pas fait (!), pourrai-je aussi me demander.
Petite option méthodologique : si je me place dans une perspective
‘protestante’, c’est vers mes fondamentaux - à commencer par La
Bible – que je vais essayer de chercher une réponse.
Or, que nous dit la Bible ? Que Dieu est un Dieu de paix ! (Jg 6, 24)
Il s’agit là d’un de ses attributs spécifiques (quoi qu’en disent et pensent
certains). Mieux, elle précise aussi dans les premiers chapitres de la
Genèse qu’Il est le Seigneur du Ciel et de la terre. Et si je creuse un peu
plus loin, j’observe que le premier nom de Dieu dans l’Ecriture est un
pluriel (Elohim) ! Sauf erreur de ma part, il me semble que les
commentaires rabbiniques ont interprété ce pluriel comme la marque
qu’Adonaï ‘inclurait’ ou ‘récapitulerait’ les autres dieux. Ce qui ouvre
d’emblée, me semble-t-il, un champ de ‘possibles’ pour le dialogue
entre les religions… Mais bon. Je laisse la question ouverte. On ne va
certainement pas tout régler ce soir. 
Evidemment, en tant que chrétien, c’est en me tournant vers le Christ,
son enseignement et son message que je vais essayer aussi de chercher
une réponse.
Or, si l’on regarde attentivement ce que nous en disent les évangiles, le
message de l’amour et de la grâce que le Christ est venu partager – à
commencer avec les exclus, les marginaux, les soi-disant ‘mal priant’ ou
désobéissant par rapport à la loi - ne nous indique-t-il pas une
ouverture, une brèche par rapport à nos lectures exclusivistes ?
Si l’on se penche sur ses paraboles, si l’on relit ne fut-ce que le Sermon
sur la montagne (Mt 5 à 7), n’y discerne-t-on pas une invitation à être des
témoins de l’amour du Père et des artisans de paix, en passant outre les
limites de nos institutions ou compréhensions humaines ?
En Mt 7, 21 à 23 Jésus déclare : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent :
“Seigneur, Seigneur,” qui entreront dans le Royaume des cieux, mais
seulement ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux.
Au jour du Jugement, beaucoup me diront : “Seigneur, Seigneur, c’est en
ton nom que nous avons été prophètes ; c’est en ton nom que nous avons
chassé des esprits mauvais ; c’est en ton nom que nous avons accompli
de nombreux miracles. Ne le sais-tu pas ?”
Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus ; allez-vous-en loin
de moi, vous qui commettez le mal !” »
On pourrait au départ de cette affirmation dire beaucoup de choses à
propose de ce qu’est ‘le mal’. Nous n’en avons malheureusement pas le
temps ici. Mais rien que cette mise en garde déjà devrait (et je parle ici
en tant que chrétien, bien sûr) nous interpeller et nous donner du cœur
à l’ouvrage pour chercher inlassablement en quoi et comment nous
pouvons contribuer à mettre davantage à l’honneur cet attribut divin
qu’est la paix à laquelle nous sommes tous conviés en Dieu !
Soif de paix !
N’ayant pas plus de temps pour creuser ce sujet, j’aimerais nouer la
gerbe de cette ébauche de réflexion par quelques interpellations que je
poserai (proximité de la fête de la Réformation et de son 500 e
anniversaire obligent) sous forme de thèses.
1. La ‘violence’ n’est pas tant le ‘produit’ des religions que de la
nature humaine et de l’ignorance.
2. A l’exemple de Luther qui au 16e siècle se lève pour recentrer le
peuple de l’Eglise sur l’Evangile… en lui en ouvrant l’accès direct
par la lecture (une approche qui sera à la base de
l’alphabétisation de nombres de croyants par la suite puisque la
Bible devient un moyen d'apprendre à lire et chercher par soimême des réponses à ses questionnements intérieurs !), c’est
par l’instruction, le partage des connaissances et les respects en
la capacité de tous les humains d’être au bénéfice de l’action de
l’Esprit et de la bénédiction de Dieu que l’on ouvre la porte à ce
qui élève, pacifie et humanise.
3. C’est en commençant par faire une lecture critique de ce que
l’Eglise (je me situe ici en tant que chrétien !) vit et dit par
rapport à ce que la Bible enseigne, ainsi qu’en portant un regard
critique sur nos manières (et ici c’est valable pour toutes les
religions !) de penser, de fonctionner, de juger et
d’instrumentaliser souvent nos livres sacrés et les passages qui
nous arrangent (pour des motivations qui n’ont souvent rien à
voir avec la foi) que nous retrouverons un message crédible qui
atteste réellement de notre ‘soif de paix’ et désir de dialogue.
4. Comme le disait Dietrich Bonhoeffer, le commencement de
l’amour du prochain consiste à apprendre à l’écouter. C’est dans
l’écoute réciproque et le respect des convictions de l’autre que
la confiance et la paix se construisent. Il nous faut apprendre à
vivre cela sans crainte et sans peur en appuyant notre démarche
sur des convictions solides qui ouvrent la porte à un dialogue
véritable.
5. Enfin, si entre les religions les barrières et séparations semblent
importantes pour les hommes, Jésus par sa capacité d’accueil,
d’écoute et d’empathie, nous a indiqué une voie toute autre :
celle du dialogue et de l’approche bienveillante fondée sur
l’amour et la liberté à laquelle Dieu nous convie.
Et je m’arrête là, à ce stade de notre dialogue. En laissant toutefois le
dernier mot de mon exposé à Jésus, le Christ. J’y vois une proclamation
quasi ‘universaliste’ du mérite de tous les artisans de paix, de quelques
religions ou convictions qu’ils proviennent, ainsi qu’une invitation à ne
pas nous arrêter sur le chemin du dialogue, de l’écoute et de la quête
de sens…
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu !
Matthieu 5:9
Vincent Tonnon