droit des entreprises en difficulté

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droit des entreprises en difficulté
19 janvier 2016 Nouvelle
formule
Hebdo
1 3 6 e ANN É E . N O 3
À la une
La Cour de cassation pose la question de confiance
La beauté intrinsèque du temple judiciaire français, classé
monument historique de notre démocratie et unanimement admiré
par de nombreux États qui y ont puisé les principes de leurs
propres systèmes judiciaires, n’est sans doute plus le modèle envié
d’autrefois
Actualité
Avocate, associée, mère de
famille, c’est possible mais…
reportage
De quelques pistes pour
améliorer l’accès au droit
à budget constant
libres propos par Bruno BLANQUER
Jurisprudence
Le régime de la notification des
droits du suspect attachés à la
prolongation de la garde à vue
note par Rodolphe MÉSA
sous Cass. crim., 1er déc. 2015
© Philippe Cluzeau
Chronique de jurisprudence de
droit de la responsabilité civile
sous la coordination de Mustapha MEKKI
La rentrée solennelle de la Cour de cassation du 14 janvier dernier
Gazette Spécialisée
DROIT DES ENTREPRISES
EN DIFFICULTÉ
SOUS LA RESPONSABILITÉ SCIENTIFIQUE DE
•Thierry MONTÉRAN,
Avocat au barreau de Paris, UGGC Avocats
•Pierre-Michel LE CORRE,
Professeur à l’université de Nice Sophia Antipolis
COORDINATION
•Emmanuelle LE CORRE-BROLY
AVEC LA PARTICIPATION DE
Christophe BIDAN, Diane BOUSTANI, Philippe DUPRAT, Natalie FRICERO, Christine GAILHBAUD,
Fabien KENDÉRIAN, Christine LEBEL, Florence REILLE, Corinne ROBACZEWSKI, Isabelle ROHART-MESSAGER,
Richard ROUTIER, Julien THÉRON et Denis VOINOT
www.gazettedupalais.com
Tr i b une
DE BENTHAM À SÉGUÉLA
255f0
255f0
L
e démon de la communication semble s’être emparé de nos modernes rédacteurs de lois ! Il suffit pour s’en convaincre de
considérer l’intitulé de leurs textes récents ; le volontarisme y devient hyperbole : loi « visant à reconquérir l’économie réelle », loi « pour
la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », « Justice
du 21e siècle », jusqu’à ce projet de loi constitutionnelle « de protection
de la Nation ». À lire ce dernier titre bien solennel, le lecteur s’arrêtant
à l’apparence des choses en tirera le sentiment réconfortant que nos
gouvernants font des efforts tangibles pour le protéger. Le juriste quant
à lui s’aperçoit très vite du hiatus entre l’intitulé et le contenu du texte.
En quoi en effet la modification des articles 36 et 34 de la Constitution,
visant à constitutionnaliser l’état d’urgence et à permettre la déchéance
de la nationalité, protègerait mieux la Nation qu’elle ne l’est déjà par son
système juridique existant ? Protéger de quoi ? Du terrorisme, d’éventuelles QPC ou du Parlement lui même ? Le travail rationnel de
François MARTINEAU
Avocat au barreau de Paris
formulation législative cèderait-il donc le pas au souci de communiquer,
au risque d’une déconnexion entre intitulé et contenu et donc d’une
déception ? Souvenons-nous de cette loi Macron et du titre de ses parties « libérer l’activité », « investir », « travailler », trois termes en
singulier décalage avec le corset normatif que la loi continue d’organiser. Ou bien encore de la loi de reconquête de l’économie réelle, dont la
désignation guerrière fait sourire quand on se rappelle ce qu’il
est advenu, ultérieurement de certains fleurons du CAC 40. Et
que dire du projet J21 que le Sénat a lui-même rebaptisé ?
Les techniques de
Le jurisconsulte britannique Bentham avait, au temps des
communication se sont
Lumières, ébauché un traité de légistique ; il y recommandait
aux rédacteurs de lois, la concision, la brièveté et la clarté. Il
invitées dans le processus
déconseillait aussi d’entremêler textes normatifs et opinions,
affections ou jugements de valeur. Si Bentham revenait, nul
d’élaboration des lois
doute qu’il s’effrayerait de la difficulté de compréhension de
nos projets de lois, à force de renvois, d’abus de numérotation ou d’imprécisions conceptuelles ; nul doute qu’il s’attristerait de cette nouvelle
manie de nommer les lois ou leurs parties par des expressions qui sont
autant de vœux pieux, ou qui laissent accroire le contraire de ce que
la loi organise pour le futur ou qui entendent jouer le rôle d’un verrou
moral et dialectique rendant malaisée toute critique ultérieure. Dans
notre contexte tragique, on est embarrassé de contester une loi de
« protection de la Nation ».
De toute évidence les techniques de communication se sont invitées
dans le processus d’élaboration des lois ; Jacques Séguéla semble avoir
remplacé Bentham dans son magistère. Que l’on ne s’étonne pas alors
du discrédit dans lequel s’enfonce la parole politique ! Quand dans le
travail législatif la communication commence à peindre du réel sur
du rien ou du pas grand-chose, c’est qu’une forme de la démocratie a
vieilli ; dans sa « République » Platon appelle cette évolution « dépérissement ». “ ”
•
255f0
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3
S o m m air e
Actualité
■■La
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Cour de cassation pose la question de confiance
■■Avocate,
■■De
associée, mère de famille, c’est possible mais…
quelques pistes pour améliorer l’accès au droit à budget constant
libres propos par Bruno BLANQUER
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Doctrine
■■L’insaisissabilité
de plein droit de la résidence principale
de l’entrepreneur individuel : opportunité ou risque ?
note par Christian GAMALEU KAMENI sous L. n° 2015-990, 6 août 2015
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Jurisprudence
■■
La prescription des indemnités de préavis et de congés payés dues
à la suite d’une requalification de contrats de travail en contrat
à durée indéterminée
avis par Hubert LIFFRAN sous Cass. soc., 16 déc. 2015
régime de la notification des droits du suspect attachés
à la prolongation de la garde à vue
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■■Le
note par Rodolphe MÉSA sous Cass. crim., 1er déc. 2015
■■Chronique
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de jurisprudence de droit de la responsabilité civile
sous la coordination de Mustapha MEKKI
avec la collaboration de Nathalie BLANC, Stéphane GERRY-VERNIÈRES, Anne
GUÉGAN-LÉCUYER et Magali JAOUEN
■■Panorama
de jurisprudence de la Cour de cassation
■■Panorama
de jurisprudence du Conseil d’État
par Catherine BERLAUD
par Philippe GRAVELEAU
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Aux marches du Palais
Carte blanche
■■La
déposition
par Olivia DUFOUR
■■Médias :
la grande fabrique des innocents
par Olivia DUFOUR
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Gazette Spécialisée
DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
Sous la responsabilité scientifique de
Thierry MONTÉRAN et Pierre-Michel LE CORRE
Sous la coordination d’Emmanuelle LE CORRE-BROLY
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Ac tu a l it é
256j2
255z5
La phrase
256h8
Le chiffre
“ L’avocat ne sera
jamais véritablement
un marchand du droit
et participe souverainement
à la construction sans cesse
renouvelée de l’État de droit
qui instaure notre existence
démocratique
”
L’indiscret
3 103
C’est la barre franchie
par le barreau de Lyon
pour le nombre d’avocats
inscrits en janvier 2016
255z5
Une commission « Éthique
& responsabilité sociale
de l’avocat » va être prochainement
créée au barreau de Paris
sous l’égide de Dominique Attias.
C’est Émilie Vasseur, avocate
chez Darrois et membre du conseil
de l’ordre, qui a été nommée
secrétaire générale
de cette commission.
256h8
Jean-Marie Huet, procureur général
à la cour d’appel d’Aix-en-Provence,
lors de la cérémonie de prestation
de serment des nouveaux avocats
de la cour d’appel d’Aix-en-Provence,
le 6 janvier dernier.
256j2
Institutions
La Cour de cassation pose la question de confiance 256d1
Lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation le 14 janvier dernier, Bertrand Louvel a, dans
un contexte d’état d’urgence à la suite des attentats du 13 novembre, ouvert le débat sur la confiance
dans la justice.
C’est la Cour de cassation qui a ouvert le 14 janvier à
Paris le temps des rentrées solennelles, en présence de
Christiane Taubira et de Claude Bartolone.
© Philippe Cluzeau
256d1
Bertrand Louvel, Christiane Taubira et Jean-Claude Marin
On s’attendait à des reproches des juges à l’encontre
de l’exécutif qui les a écartés, via l’état d’urgence, de la
gestion de la réponse aux événements dramatiques du
13 novembre. En réalité, le Premier président Bertrand
Louvel a estimé que ce choix devait amener l’institution
judiciaire à ouvrir le débat sur la confiance dans la
justice. « Les pouvoirs publics sont-ils parfois portés
à prendre leurs distances avec l’autorité judiciaire ? Si
oui, pourquoi ? Quelles défaillances ou quels risques
l’autorité judiciaire présente-t-elle qui justifieraient
que l’État préfère l’éviter lorsqu’il s’agit de la défense
de ses intérêts supérieurs ? Le Premier président de la
Cour de cassation se doit de poser loyalement cette
question ». De même, vis-à-vis du public, l’institution
doit réfléchir: « avons-nous construit collégialement
une éthique assez forte pour nous communiquer, en
toutes circonstances, la clairvoyance dans l’analyse et
la détermination dans l’action adaptées à un tel degré
d’exigence ? Nous préparons-nous avec suffisamment
d’ouverture ?». Tels sont les aspects du débat que le
président Louvel souhaite ouvrir en 2016 et qui ne fera
pas l’économie de la question des moyens, sur laquelle,
après avoir rappelé le dénuement désastreux des
juridictions, le président a fait cette suggestion : « Ne
faut-il pas songer enfin à une gestion qui soit soustraite
aux aléas des changements de politiques ministérielles
et confiée à un organe qui n’en soit pas dépendant ? ».
Le procureur général Jean-Claude Marin a lui aussi
invité à la réflexion : « La beauté intrinsèque du
temple judiciaire français, classé monument historique
de notre démocratie et unanimement admiré par de
nombreux États qui y ont puisé les principes de leurs
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A ct u al i t é
cédure pénale, contient des dispositions dangereuses
pour les libertés et gravement contraires aux droits de
l’Homme. Par exemple, ce texte permettrait :
- l’assignation à résidence par l’autorité préfectorale pour des motifs imprécis et sans autorisation ni
contrôle du juge judiciaire,
- l’extension juridiquement inutile, au regard des critères actuels de la légitime défense, de l’usage des
armes par les forces armées et de sécurité intérieure,
- des perquisitions de nuit dans les domiciles par les
forces de police, en enquête préliminaire, hors flagrant
délit,
- des retenues, à l’initiative de l’autorité préfectorale,
créant une garde à vue administrative.
Les attributions nouvelles créées par ce projet aggravent l’évolution déjà constatée remettant en cause
la place essentielle du juge judiciaire dans la protection des libertés individuelles, tout particulièrement
lorsque l’état de droit est menacé. Elles constituent un
transfert de compétence de l’autorité judiciaire vers
l’autorité administrative, dans la dépendance de l’exécutif, incompatible avec le principe de la séparation des
pouvoirs, fondement de la démocratie.
propres systèmes judiciaires, n’est sans doute plus le
modèle envié d’autrefois. » Des codes ventripotents et
illisibles, des décisions de justice et des juges de plus en
plus attaqués, une séparation des pouvoirs qui a changé
de visage et… des procureurs en quête d’indépendance.
Sur ce point, « il faut que cesse l’assimilation stupide
et blessante d’un parquet « bras armé » du pouvoir
politique ». Cela suppose à ses yeux une réforme
du statut et la création d’un procureur général de la
Nation, seule réforme de nature à assurer la cohésion
du ministère public et à consacrer la rupture du lien
avec l’exécutif. S’agissant de l’état d’urgence, il le juge
utile mais il met en garde : « L’inquiétude naîtrait si,
à la lumière de l’activisme des services dans le cadre
de l’état d’urgence, on en venait à imaginer d’en faire,
certes en l’amodiant, un régime de droit commun ».
Et de rappeler en une formule bien sentie que « Nos
procédures sont légitimement lourdes, en matière civile
comme en matière pénale, pour le plus grand bien des
justiciables, des citoyens et de l’État de droit ».
Délibération adoptée par la conférence
des premiers présidents le 14 janvier
2016
Plusieurs hauts magistrats étrangers
parmi les invités
Plusieurs hauts magistrats de cours étrangères ont
assisté à la rentrée solennelle de la Cour de cassation,
témoignant des liens étroits noués entre magistrats
par-delà les frontières. La présence du Premier président de la Cour de cassation de Tunisie, Khaled Ayari,
et du Procureur général près cette Cour, Ridha Ben
Amor avait une force symbolique particulière, car ce 14
janvier marque le 5e anniversaire de la révolution tunisienne. Il y avait aussi Jean Fahed, Premier président
de la Cour de cassation du Liban, Carlos Lesmes, président de la Cour suprême d’Espagne ainsi que Guido
Raimondi, nouveau président de la Cour européenne
des droits de l’Homme.
Dans un pays tragiquement endeuillé et attaqué dans
ses fondements démocratiques les plus précieux, l’autorité judiciaire doit, plus que jamais, assumer le rôle
et la place qui lui sont reconnus par la Constitution. Il
est essentiel que le juge judiciaire retrouve l’intégralité de ses fonctions premières de garant des libertés
individuelles, notamment de contrôle des mesures
d’enquêtes et de privation des libertés. Les premiers
présidents rappellent que c’est dans toutes ses composantes, civiles aussi bien que pénales, que l’institution
judiciaire contribue à la paix sociale et au mieux vivre
ensemble, indispensables à la prévention de toutes les
formes de dérives.
La France ne saurait sacrifier les valeurs fondamentales de sa justice, au motif qu’un manque cruel et
ancien de moyens l’a affaiblie.
Un projet de loi du Gouvernement, en cours d’élaboration, renforçant la lutte contre le crime organisé et
son financement, l’efficacité et les garanties de la pro-
Olivia Dufour
255e8
Veille normative (du 13 au 19 janv. 2016) 255e8
AVOCATS D. n° 2016-11, 12 janv. 2016, relatif au montant de l’aide juridictionnelle : JO 13 janv.
2016
A. 12 janv. 2016 fixant la majoration des unités de valeur pour les missions d’aide
juridictionnelle : JO 13 janv. 2016
255e8
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Ac tu a l it é
AVOCAT
Avocate, associée, mère de famille, c’est possible mais…
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L’essentiel
Comme tout autre secteur d’activité et profession libérale, la profession d’avocat n’échappe pas aux
discriminations faites aux femmes. Elles concernent des sujets divers allant de la rémunération à l’évolution
de carrière en passant par la maternité. Des conditions de travail dénoncées pour la première fois par le
Défenseur des droits dans une décision rendue le 15 novembre dernier.
T
oujours plus d’heures
pour une rémunération
Delphine IWEINS
plus faible. C’est un sujet
connu, qui devient récurrent lors des campagnes au bâtonnat : récompenser par
une rémunération juste un temps de travail toujours plus
important. L’actuel bâtonnier de Paris, Frédéric Sicard,
avait d’ailleurs jugé excessif qu’un collaborateur dépasse
les 2 000 heures de travail par an. Et les femmes sont les
premières concernées. Selon des chiffres communiqués
par le barreau de Paris en 2013, dès la première année
d’exercice, une collaboratrice gagne en moyenne 10 % de
moins qu’un homme au même poste. Ensuite, les écarts
ne font que se creuser tout au long de leur carrière. Elles
sont, d’ailleurs, les plus nombreuses à quitter la profession alors même qu’elles sont plus nombreuses que les
hommes à intégrer les cabinets. « La première chose à
faire est de sanctionner les abus en matière de temps de
travail. Il faudrait plus de sévérité de la part de l’ordre qui
ne s’interroge pas sur les conditions de travail dans certains cabinets ne conciliant pas vie professionnelle et vie
personnelle », déclare Emmanuelle Boussard-Verrichia,
avocate engagée sur les questions d’égalité professionnelle. Un contrôle des cabinets doit-il être mis en place ?
Et si oui, comment ? « On peut effectivement se poser la
question : faut-il appliquer des décisions coercitives pour
imposer les femmes dans les cabinets ? », reconnaît
Mathilde Jouanneau, membre de l’association Femme &
Droit et ancienne élue au Conseil national des barreaux
(CNB). Cependant, la sanction ne peut pas être l’unique
solution. « Il faut avoir une approche transversale, les discriminations existent et il faut les sanctionner, mais il faut
aussi en amont que nous changions nos représentations »,
insiste Valence Borgia, présidente d’honneur de l’UJA de
Paris. Des formations contre les stéréotypes, comme le
module « Sensibilisation à l’égalité professionnelle » dispensé à l’EFB, dont l’objet est d’alerter les jeunes avocats
sur ces sujets et leur permettre d’être proactifs dans leurs
carrières, doivent être multipliés et accessibles à tous.
Par
Certains cabinets, conscients des enjeux de management
et d’image soulevés par ces questions, ont décidé d’afficher des programmes stricts de mixité et de parité. C’est
le cas du bureau parisien de Baker & McKenzie qui a signé
le programme de l’ONU « Women’s empower principles ».
« Nous avons souhaité très vite nous engager dans la lutte
contre toute forme de discrimination. Un cabinet comme
le nôtre ne peut bien fonctionner qu’en tirant le meilleur
parti de la richesse exceptionnelle de ses collaborateurs
et collaboratrices d’horizons les plus divers », fait valoir
son managing partner Arnaud Cabanes.
© La Radiographie 2015 - Juristes_associés
256g0
La parité dans les instances pour donner l’exemple
aux cabinets. De leurs côtés, le CNB et l’ordre de Paris
ont signé, le 19 juin dernier, le Pacte pour l’égalité dans
les professions libérales réglementées. Un premier pas
important puisque les deux instances sont redevables de
tenir les engagements de ce pacte, c’est-à-dire mener une
politique proactive en faveur de l’égalité et de la mixité,
développer une culture commune contre l’égalité, garantir
la parité au niveau des organes représentatifs et faciliter
l’articulation vie privée et vie professionnelle. Et c’est en
ce sens que s’inscrit un mouvement de parité au sein des
instances représentatives. Les femmes sont de plus en
plus élues et des commissions « égalité professionnelle »
et « égalité », ont été mises en place à l’ordre et au CNB. À
Paris, depuis l’ordonnance du 31 juillet 2015 qui a institué
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
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A ct u al i t é
un scrutin binominal majoritaire à deux tours, chaque binôme devant être composé d’un homme et d’une femme,
le conseil de l’ordre compte désormais 22 femmes sur
un total de 44 membres. « Globalement, les questions
d’égalité homme/femme commencent à être davantage et
mieux débattues », s’accorde à dire Marine Duponcheel,
associée du cabinet Deprez Perrot et coresponsable de la
commission « Égalité professionnelle » de l’UJA, avant
d’ajouter « nous allons dans le bon sens, mais trop lentement ». La mise en place très prochainement d’une
commission « Éthique et responsabilité sociale de l’avocat » au barreau de Paris, afin d’appliquer les principes de
responsabilité sociale au sein des cabinets, semble être
aussi un signe de bonne volonté de la part de l’ordre. (V.
Gaz. Pal. 11 déc. 2015, p 3, n° 251r7)
© La Radiographie 2015 - Juristes_associés
L’impénétrable plafond de verre. La flagrante discrimination de rémunération, qui n’est pas propre à la profession
d’avocat, se transforme petit à petit en plafond de verre
sur lequel le nombre d’heures effectuées n’aura aucune
influence. « Lorsque j’étais managing partner du cabinet,
j’ai fait faire une étude approfondie pour découvrir les
raisons du faible nombre de femmes associées et candidates à l’association. Cette étude a révélé l’existence du
plafond de verre. Une fois le constat établi, nous avons
annoncé notre politique d’égalité et mis en place un accompagnement spécifique des collaboratrices », témoigne
Xavier Chassin de Kergommeaux, associé du cabinet Gide
Loyrette Nouel. Selon la radiographie des cabinets d’avocats d’affaires 2016 de Juristes_associés, les femmes
représentent toujours 83 % des collaborateurs, et seulement 17 % des associés, alors même que la population
totale des associés a augmenté de 6,4 % entre 2014 et
2015. « Tous les cabinets ont des femmes associées, mais
c’est une vitrine. En réalité, les discriminations sont quotidiennes », dénonce Carine Benamouzig. Pourtant, au
1er janvier 2014, la profession comptait 60 223 avocats en
France, soit une augmentation de 41 % en 10 ans et les
femmes représentaient 54 % de la profession en 2014,
selon l’observatoire du Conseil national des barreaux. Les
cabinets n’ont donc plus d’autres choix que de considérer
les avocates comme des confrères comme les autres, tout
aussi performantes et essentielles dans le développement
de la structure que leurs homologues masculins.
8
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
L’étape déterminante de la parentalité. La vie de la famille reste le critère premier expliquant que les femmes
quittent la profession avant 10 ans de carrière, et souvent
proche de l’association. Pour Valérie Duez-Ruff, qui a
mise en place le site d’informations « Moms à la barre »,
« les conditions de collaboration de manière générale
sont difficiles. Mais il existe, effectivement, une cristallisation des tensions autour de la maternité ». Nombreux
sont les cabinets à ne pas voir d’un bon œil l’annonce d’un
heureux événement pour leurs collaboratrices ou associées. Contrairement aux hommes qui, eux, se verront
plus facilement félicités. Sûrement parce qu’il est de coutume de penser que le fait d’être père impactera moins sa
productivité que celle des femmes qui deviennent mères.
Un constat qui en train d’évoluer avec l’instauration du
congé paternité pour les avocats et le nombre croissant
de pères divorcés. « Dès que la parentalité commence, il
y a un prix à payer dans sa carrière. Et la récente décision du Défenseur des droits démontre que ce n’est pas
uniquement du ressenti », insiste Marine Duponcheel.
Ce dernier a été saisi par une avocate qui estimait que
la rupture de son contrat de collaboration libérale était
en lien avec sa grossesse et son sexe. Après instruction, avoir entendu les membres du cabinet en question,
et s’être référé à différents textes législatifs en matière
d’égalité professionnelle, le Défenseur des droits a pour
la première fois, dans sa décision du 25 novembre 2015,
conclu à l’existence d’une discrimination et transmis ses
observations au bâtonnier de Paris pour information. Il a
aussi saisi l’ordre parisien de la procédure, demandant à
être tenu informé des suites qui lui seront données dans
un délai de cinq mois. Une affaire suivie de près par une
audience d’arbitrage qui portait sur le même thème le 26
novembre dernier. Dans cette seconde affaire, une avocate, collaboratrice durant plus de 10 ans au sein d’un
cabinet anglo-saxon réputé sur la place parisienne, avait
saisi son instance représentative estimant que son contrat
de collaboration avait été rompu sans motif après le retour
de son troisième congé maternité. L’audience a été l’occasion pour de nombreuses consœurs de partager leurs
expériences douloureuses. Les critères de discrimination
au sexe et à la maternité n’ont, toutefois, pas été retenus
même si le cabinet s’est vu condamné financièrement.
« Il existe un grand fossé entre les discours publics et
les décisions rendues. Nous demandions au bâtonnier de
faire preuve de courage », dénonce Carine Benamouzig,
à l’origine de cette procédure. « Mon cas est loin d’être
unique, il est même très banal, mais nous sommes peu
nombreuses à dénoncer les abus », continue-t-elle. La
parole ne serait-elle alors pas tout à fait libre ? Plusieurs
avocates concernées ont, en tout cas, refusé de témoigner, par crainte souvent d’être mises à l’écart, de ne
pas retrouver un cabinet par la suite ou tout simplement
ne pas être protégées et entendues par leurs instances.
« Beaucoup de femmes n’osent pas dénoncer les abus.
C’est un travail pédagogique qui se fait à moyen terme »,
reconnaît Valérie Duez-Ruff.
Actual ité
“ Tous les cabinets ont des femmes
associées, mais c’est une vitrine car
en réalité, les discriminations sont
quotidiennes
”
Des efforts aux résultats peu édifiants. Le barreau de
Paris a, pourtant, mis en place l’assurance Chance maternité, dont toutes les avocates inscrites au barreau de Paris,
collaboratrices, associées ou exerçant leur activité à titre
individuel peuvent bénéficier. De plus, selon l’article 14.5
du Règlement intérieur national, une avocate a le droit à
16 semaines de congé maternité, durant lequel le cabinet
doit continuer à lui verser sa rétrocession prise en charge
à hauteur d’environ 3 150 euros par le régime social des
indépendants et l’assurance contractée par l’ordre. Une
aide bienvenue, néanmoins insuffisante, surtout lorsque
l’avocate est à son propre compte. « Chance maternité
reste un acquis fragile. Ce système ne couvre pas toutes
les charges de la parentalité et reste l’un des premiers
postes remis en question dès que l’ordre veut faire des
économies », soutient l’associée de Deprez Perrot. Autre
garantie existante : il ne peut être mis fin au contrat d’une
collaboratrice enceinte qu’en cas de manquement grave
et flagrant aux règles professionnelles. Cette période de
protection est valable huit semaines au delà du congé
maternité. En amont, la déclaration formelle de grossesse peut s’effectuer dans les 15 jours qui suivraient
une rupture à l’initiative du cabinet. Ce qui n’empêche pas
certains cabinets, passé ce délai, de rompre le contrat
de collaboration sans avoir à la justifier. « Les lettres de
ruptures peuvent effectivement ne pas être motivées, mais
cela ne signifie pas qu’une telle lettre non motivée n’est
pas exclusive de discrimination », explique Emmanuelle
Boussard-Verrechia. Des cabinets, de tailles diverses et
variées, ont réalisé l’impact de ces discriminations sur
la carrière de leurs avocates. Chez Baker & McKenzie,
« nous maintenons les rétrocessions des avocats durant
leur congé maternité. Et lorsque nous évaluons nos collaboratrices, nous proratisons l’année sur 9 mois et non
sur 12, en cas de congé maternité, afin de ne pas pénaliser leur productivité » développe Arnaud Cabanes. Au
sein de Gide, plutôt réputé pour être un cabinet peu favorable à la condition féminine, des efforts ont aussi été
fournis, ces dernières années, notamment sous le mandat
de Xavier Chassin de Kergommeaux à la tête du cabinet :
« j’ai mis fin aux discriminations de rémunération liées
aux congés maternités des collaboratrices. Une grille de
rémunération basée sur l’ancienneté a été mise en place.
Il a aussi fallu faire passer le message que les collaboratrices doivent pouvoir organiser leur temps de travail
différemment », témoigne-t-il. Une autre organisation du
temps de travail est possible, la productivité n’en sera pas
pour autant impactée. Ce que confirme Arnaud Cabanes
en confiant son expérience : « la présence tard le soir au
bureau n’est pas une règle absolue. Ce qui compte c’est
le respect des délais indiqués en interne et auprès de nos
clients ». Même si des efforts, somme toute relatifs, sont
à noter en matière de protection des femmes lors de leur
congé maternité, et de parité dans les instances, le bât
blesse dès que l’on se penche sur l’évolution de carrière.
Le constat est sans appel : la situation des femmes avocates n’a quasiment pas évolué.
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Actualité
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PROFESSIONS
De quelques pistes pour améliorer l’accès au droit à budget
constant
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L’essentiel
Une grande réforme de l’aide juridictionnelle implique de repenser intégralement nos systèmes d’accès au
droit. Concernant l’accès au juge, les systèmes d’aide juridictionnelle et de protection juridique ont été mis
en place et réformés indépendamment les uns des autres. Ont été créées d’injustifiables différences entre
l’ensemble des justiciables, y compris avec ceux ne bénéficiant d’aucun de ces régimes. La situation des
professionnels du droit, selon le mode d’accès au droit de leur client, en est exagérément impactée, ce qui
nuit au libre choix du justiciable. À budget constant, les règles applicables pourraient être modifiées pour
réintroduire plus d’égalité et d’équité dans la situation de chacun.
L
a ministre de la Justice,
pendant des mois, a annoncé une grande réforme
de l’aide juridictionnelle.
Libre propos par
Bruno BLANQUER
Ancien bâtonnier du
barreau de Narbonne,
membre du bureau
de la Conférence des
bâtonniers
En lieu et place, il a été envisagé par le Gouvernement,
des mesures aboutissant à
une révision à la baisse de
l’indemnisation des avocats
intervenant à l’aide juridictionnelle et à une ponction
sur les produits des CARPAS
à hauteur de 15 millions
d’euros sur deux ans.
Montant des rétributions,
modes de financements… et
rien d’autre.
Comme si le mode d’accès au droit qu’est l’aide juridictionnelle ne nécessitait aucune autre réforme.
Comme si l’on ne pouvait pas envisager des réformes
améliorant l’accès au droit qui seraient neutres
budgétairement.
Comme si la réflexion à mener sur l’aide juridictionnelle
n’amenait pas à s’interroger sur l’assurance protection
juridique, autre mode d’accès au droit impliquant un financement par un tiers, dont on constatera que les régimes
diffèrent de manière incompréhensible si l’on oublie que
ces deux régimes sont issus de textes différents, pris à des
dates différentes et n’ont jamais fait l’objet d’une tentative
de rapprochement.
Comme si l’on ne devait pas s’émouvoir du sort de la partie
condamnée aux dépens qui, aujourd’hui, est différent en
fonction du mode d’accès au droit de la partie qui a gagné
le procès, au mépris du principe d’égalité de tous qui n’a
aucune raison de ne pas trouver application en l’espèce.
Aujourd’hui, alors que le Gouvernement a renoncé à sa
réforme, il nous faut repenser l’accès au Droit, pas nécessairement, pas exclusivement, sous l’aspect budgétaire.
Un groupe de travail émanant de la Conférence des bâtonniers, sous la présidence de son ancien président,
Jean-Luc Forget, s’y attelle.
L’accès au droit c’est permettre à chacun de pouvoir
connaître ses droits et les faire valoir, le cas échéant,
en justice dans des conditions optimales, sans considération de fortune. En d’autres termes garantir l’égalité
des armes (1) entre les citoyens non assurés en protection
juridique, non bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, les
bénéficiaires de l’aide juridictionnelle (AJ) et ceux qui ont
souscrit un contrat d’assurance protection juridique (PJ).
Les non-assurés PJ non-bénéficiaires de l’AJ n’ont
d’autres limites, dans leur recours à un conseil ou à la
défense, que leur connaissance de l’existence d’un problème juridique, leur volonté d’être conseillés et le budget
qu’ils sont prêts à y consacrer.
Pour les bénéficiaires de l’AJ ou d’une assurance protection juridique si on retrouve, bien évidemment, les mêmes
problématiques (y compris financières en cas d’AJ partielle et de PJ qui laissent subsister une part du coût du
conseil ou de la défense), s’y rajouteront des contraintes
supplémentaires liées aux règles applicables en matière
d’AJ et de PJ.
Améliorer l’accès au droit c’est agir pour réduire ces
contraintes supplémentaires ainsi que les différences
entre ces deux régimes d’accès au droit financé par un
tiers (État ou assureur), afin de rendre l’accès au droit de
tous plus égal.
Il peut être, notamment, constaté que les deux systèmes,
AJ et PJ se rapprochent en ce qu’ils imposent une prise
en charge faible de la rémunération de l’avocat (ce qui est
d’autant plus injuste en matière d’assurance de protection
juridique que la cherté des honoraires d’avocats est mise
en avant dans la communication des assureurs pour obtenir la souscription de leurs contrats) et qu’ils s’éloignent
radicalement concernant les conflits d’intérêts, la gestion
du contentieux entre l’assuré et l’assureur et les régimes
de suspension/interruption de prescription qui y sont
attachés.
De plus, notre droit en la matière est complexe et génère des différences inexplicables qui ne peuvent être
maintenues.
(1) Conv. EDH, art. 6.
10
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Actual ité
I. L’ÉGALITÉ ET UNE PLUS GRANDE
SIMPLICITÉ COMME PRINCIPES
DIRECTEURS
Les études menées sur l’accès au droit relèvent la complexité du système d’aide juridictionnelle qui ne serait
qu’en partie « naturelle » (2).
Il s’agit de permettre à celui qui n’en a pas les moyens de
pouvoir connaître ses droits, et les faire valoir en justice
dans des conditions équivalentes à celles dont il pourrait
bénéficier s’il n’avait pas de difficultés financières. Pour
ce faire, les mesures préconisées pour parvenir à cette
égalité doivent, sauf à manquer leur objet, être les plus
simples possibles.
Il s’agit donc d’améliorer tout en simplifiant.
Toute simplification générant en elle-même une amélioration du système.
L’égalité doit également se retrouver dans le traitement
réservé aux professionnels qui participent à l’accès au
droit.
Force est de constater que ce traitement n’est pas
équitable.
Si un expert qui intervient au « bénéfice » de l’AJ (3) voit
ses honoraires taxés par le juge taxateur à l’identique
d’un dossier où les dépens ne sont pas supportés par le
Trésor, il n’en va pas de même des huissiers (10 € l’acte,
22 € le constat)… outre quelques maigres majorations au
titre des copies faites par l’huissier (3,50 €) et des frais de
transport ou d’affranchissement (4), valorisant un acte de
signification à 20 € en lieu et place des 60 à 80 € ressortant du tarif des huissiers.
L’avocat à la Cour de cassation ne perçoit que 382 €, soit
très loin des honoraires habituellement pratiqués (5), le
notaire, lui, perçoit 18 € pour les actes soumis à droit fixe,
54 € pour ceux soumis à droit proportionnel et 80 € pour
une liquidation du régime matrimonial (6)…
Le barème appliqué aux avocats n’a d’autres ambitions
que de constituer une « indemnisation » et non emporter
rétribution.
Rien ne justifie cette absence d’égalité entre les différents
intervenants, rémunération complète pour l’expert alors
qu’elle n’est que partielle et faible pour les autres.
Cette absence d’égalité de traitement est d’autant moins
justifiable quand, en définitive, ce n’est pas l’État qui est le
payeur final mais la partie qui succombe (7) dès lors qu’elle
doit rembourser au Trésor public les sommes exposées
par l’État.
(2) Rapp. Modernisation de l’Action Publique, Inspection générale des services judiciaires 2013, p. 2 à 7.
(3) Pour les besoins du raisonnement cette contribution est effectuée à droit
constant. Les propositions qu’elle contient pourraient, a priori, être transposées
dans un autre système de rémunération/indemnisation de l’avocat et des autres
professionnels intervenant à l’AJ, sous réserve des changements qui devraient
alors y être apportés, notamment si cette rémunération/indemnisation augmentait très sensiblement…
(4) D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 94.
(5) D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 93.
(6) D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 95.
(7) D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 43.
De plus rien ne justifie que la situation de la partie qui perd
son procès diffère uniquement en fonction des conditions
d’accès au droit du vainqueur de la procédure.
Comment en effet expliquer que la partie qui succombe
et qui n’a pas été condamnée à un article 700 (ou 37 de
la loi de 1991) se voit rajouter au titre des dépens le remboursement à l’État des indemnités AJ versés à l’avocat du
bénéficiaire de l’AJ, alors que si le gagnant n’avait pas l’AJ
il n’aurait, en l’absence de condamnation à un article 700
rien à payer au titre des frais d’avocat adverse.
Pourquoi, la partie qui succombe, va-t-elle rembourser au titre des dépens les frais d’huissier à l’État sur la
base du forfait (faible) payé à l’huissier, alors que si le
gagnant du procès n’avait pas eu l’AJ, le même acte aurait
été remboursé par le perdant sur la base du barème des
huissiers ?
Est-ce logique qu’in fine l’huissier subisse un paiement du
coût de son acte à tarif très réduit au seul motif que cet
acte a été délivré pour le compte d’un bénéficiaire de l’AJ
alors que son coût final sera supporté par l’adversaire du
bénéficiaire de l’AJ ?
Est-il juste que le banquier ou l’assureur qui perd son procès contre un bénéficiaire d’AJ bénéficie d’un tel rabais ?
À cet égard, le mécanisme prévu à l’article 37, alinéa 1, de
la loi qui prévoit que « les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme
correspondant à la part contributive de l’État et poursuivre
contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire
de l’aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments
auxquels ils peuvent prétendre » n’est, pour de nombreux
actes, que purement virtuel.
En effet comment imaginer que l’huissier attende pour
se faire payer une assignation le résultat d’un procès qui
durera de nombreuses années (entraînant par l’effet de
la prescription l’impossibilité d’obtenir son règlement de
l’État, avant que l’on connaisse la partie condamnée aux
dépens).
De plus ce procès peut se passer loin de son lieu d’exercice et la partie succombante peut être domiciliée très
loin de celui-ci, de sorte que vouloir « bénéficier » de ce
régime induirait un coût de gestion et de recouvrement
des émoluments correspondant à chaque acte délivré à
l’AJ sans rapport avec le montant de ceux-ci.
Question effectivité des droits et simplicité, on peut difficilement faire pire.
Dès lors que, dans les faits, l’huissier sera contraint de se
contenter de la faible rémunération de son acte telle que
versée par l’État, dans la très grande majorité des cas,
cela induira une différence injustifiable entre deux justiciables pourtant placés dans des conditions similaires.
Celui plaidant contre un bénéficiaire de l’AJ remboursera
les frais d’huissier à tarif très réduit, alors que l’autre les
remboursera à taux plein.
Sauf à remettre en cause le principe d’égalité de tous devant la loi, les deux devraient se trouver dans une situation
identique.
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A ct u al i t é
II. INCLURE DANS LES DÉPENS
DES SOMMES QUI COMPLÈTENT LA
RÉMUNÉRATION DES PROFESSIONNELS
INTERVENUS POUR UN BÉNÉFICIAIRE
DE L’AJ
Il pourrait être conçu un mécanisme bien plus simple que
l’actuel article 37 de la loi de 1991, tant pour les huissiers
que pour tout professionnel étant intervenu pour un bénéficiaire de l’AJ qui gagne son procès et dont l’adversaire
est condamné aux dépens.
Pourquoi, en pareil cas, le perdant au procès ne paierait-il pas le coût des actes d’huissier au tarif des actes
d’huissier, l’État récupérant ce qu’il a effectivement payé
et l’huissier obtenant au travers de ce complément la juste
rémunération de son travail dont il est injuste qu’il soit,
dans de telles conditions, privé ?
Il s’agirait là d’un système simple, facilement effectif alors
que celui résultant de l’article 37, alinéa 1, de la loi de 1991
est tout le contraire.
Pourquoi, ce qui est manifestement vrai pour les huissiers
ne le serait pas pour les autres acteurs du procès qui ne
sont pas payés au coût de leur intervention mais… juste
indemnisés ?
La correction concernant le complément de rémunération dû à l’huissier, quand il est intervenu pour une partie
bénéficiaire de l’AJ qui gagne son procès, doit également
être imaginée au titre de la rémunération de l’avocat.
Cette réflexion pourrait, au surplus, nous aider à contribuer à régler, au moins en partie, le problème d’application
de l’article 37 de la loi de 1991 pour lequel on constate au
regard des taux et des montants de condamnation sur ce
fondement des pratiques extrêmement variables en fonction des juridictions et des magistrats qui statuent (8).
En effet, la mise en place du mécanisme de l’article 37
suppose une demande à ce titre et une décision du juge,
puis la décision de renoncer au bénéfice de l’AJ, dans
l’année de la décision et donc une décision du BAJ entérinant cette renonciation. Soit beaucoup de travail à faire qui
mobilise de nombreuses énergies et donc de temps, pour
l’avocat (demande, renonciation), le juge (prise de décision
et rédaction), le BAJ (entérinement de la renonciation à
l’AJ). Tout cela explique le faible recours à ce mécanisme
et le coût non négligeable que génère nécessairement sa
mise en œuvre (9).
Ainsi, quand le gagnant à l’AJ, la répétibilité des honoraires d’avocats est soit traitée de manière automatique
par la mise à la charge des dépens du perdant, soit par
la mise à sa charge d’un article 37, sans que le juge ne
sache si le surcroît de travail que lui a occasionné le fait
de statuer sur cette demande entraînera, en définitive, un
quelconque bénéfice pour l’État ou l’avocat dès lors que la
décision d’encaisser l’AFM ou de recouvrer les sommes
au titre de l’article 37 en ces lieux et place sera prise ultérieurement, dans l’année qui suit.
(8) La remarque est transposable aux avocats concernant le taux de formulation de
demande au titre de l’article 37.
(9) Le temps mis par chacun des intervenants pour demander, statuer, gérer,
prendre acte…
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Que de travail, de complications, pour un résultat aléatoire.
Pourtant, il est possible, dans un même élan, de simplifier
le travail du juge, d’améliorer la rémunération des avocats
des bénéficiaires d’AJ qui gagnent leur procès, de ne pas
obliger le BAJ à intervenir pour enregistrer des renonciations à AJ en cas d’article 37 et… d’améliorer le taux de
recouvrement des indemnités payées par l’État, tout en
déchargeant l’État du suivi de ce recouvrement.
Il suffirait pour ce faire que les dépens, mis à la charge
du perdant du procès dont le gagnant bénéficie de l’AJ,
comprennent, de lege ferenda, en plus de l’indemnité
payée par l’État à l’avocat du gagnant, un complément à
cette indemnité fixée à un pourcentage de celle-ci outre
les compléments de rémunération des actes d’huissier.
L’avocat se chargerait de recouvrer les dépens, en ce
compris les sommes revenant à l’État en vertu d’un mandat qui lui serait donné en ce sens par la loi, conserverait
par devers lui le complément de son indemnité, rembourserait à l’État les frais, d’avocat, d’expertise ou d’huissier
pris en charge (10) et verserait aux huissiers les sommes
correspondant au complément du coût de leurs actes.
Ce complément d’indemnité pourrait, compte tenu de la
faiblesse de l’actuel barème de l’AJ s’établir à 100 % des
sommes versées par l’État. (11)
Ainsi, dans les dossiers où le bénéficiaire de l’AJ gagne
son procès, sous réserve de l’encaissement effectif des
dépens, la rémunération de l’avocat abandonnerait le
champ de l’indemnisation pour rejoindre celui d’une certaine rétribution, sans que l’État n’ait à financer une telle
majoration.
L’intervention, sur mandat issu de la loi, de l’avocat
pour recouvrer au titre des dépens les sommes venant
rembourser celles versées par l’État constituerait une
contribution complémentaire de la profession d’avocat au
financement et au fonctionnement du système (sujet au
combien d’actualité, tant par le travail en moins qui incomberait aux greffes et aux trésoreries que par l’amélioration
qui ne peut que découler de ce partenariat gagnant-gagnant entre l’avocat du bénéficiaire de l’AJ et l’État, au
bénéfice également des autres professionnels – huissiers,
notaires, avocat aux Conseils) (12).
III. CETTE NOUVELLE DÉFINITION
DES DÉPENS DEVRAIT ÊTRE ÉTENDUE
DANS TOUTES LES PROCÉDURES
Il ne serait pas juste, pas équitable que la situation de
la partie qui perd son procès soit différente en fonction
des conditions d’accès au droit de la partie qui a gagné le
procès.
Dans tous les cas le perdant doit faire face aux mêmes
sommes, au titre des dépens.
(10) Ou à prendre en charge, afin de tenir compte des nombreux retards que
subissent ces officiers publics ministériels.
(11) Il pourrait bien évidemment être décidé d’un autre pourcentage, inférieur ou
supérieur. Cette très importante réserve pourrait être renouvelée à chaque fois
qu’il sera fait référence à ce mécanisme dans les pages qui suivent.
(12) Ce qui correspondrait à remplir un des objectifs du rapport Gosselin-Langevin
dont la proposition n° 9, p. 65, est intitulée « Poursuivre les efforts tendant à
permettre la mise en œuvre effective des procédures prévues par la loi de mise
en recouvrement des sommes exposées par l’État au titre de l’aide juridictionnelle ».
Actual ité
Afin de ne pas recréer de distorsion d’égalité entre les
justiciables, devrait être incluse dans les dépens une
somme égale à celle définie ci-dessus au titre d’une prise
en charge, dans toutes les procédures, par la partie perdante et condamnée aux dépens, d’une somme minimale
aux titres des honoraires d’avocat de la partie gagnante.
Ainsi serait comprise dans les dépens une somme au titre
des frais d’avocat de la partie gagnante d’un montant égal
au double des sommes qui auraient été prises en charge
par l’État au titre de l’AJ si le gagnant avait été bénéficiaire
de l’AJ.
Les articles 700 du Code de procédure civile et 37 de la loi
de 1991 n’auraient plus vocation à s’appliquer que pour
compléter la prise en charge des frais d’avocats de la partie ayant gagné son procès, sur la partie de ceux-ci qui ne
serait pas comprise dans les dépens, ainsi que les autres
frais irrépétibles.
La nécessité d’égalité de tous devant la loi et son application obligerait à ne pas différencier l’application de ces
dépens ainsi revisités en fonction du fait que le perdant
bénéfice, lui aussi de l’aide juridictionnelle.
En effet il n’est pas juste, qu’actuellement, le bénéficiaire
de l’AJ qui perd son procès, ne rembourse pas à l’État les
frais d’huissiers (et d’avocats) exposés pour le gagnant
bénéficiaire de l’AJ alors qu’il devra le faire si celui est
plus aisé et n’en bénéficie pas.
De plus, rien, ne protège les bénéficiaires de l’AJ qui
perdent leur procès d’une condamnation à un article 700
du Code de procédure civile ou 37 de la loi de 1991.
Leur situation au regard des sommes comprises dans les
dépens, devraient donc être identiques à celle des autres
justiciables, à tout le moins pour le complément revenant
aux professionnels intervenant à l’AJ pour le compte du
gagnant du procès, l’État pouvant continuer à faire ce qu’il
souhaite concernant les sommes à recouvrer pour son
compte sur les perdants bénéficiaires de l’AJ.
Serait ainsi instituée une répétibilité d’une partie de
l’honoraire de l’avocat, dans tous les cas, d’un montant
similaire quel que soit le mode d’accès au droit de la partie
gagnant le procès, en fonction d’un barème minimal basé
sur le barème de l’AJ (13).
IV. L’AIDE JURIDICTIONNELLE PARTIELLE
Une telle réforme qui donnerait l’occasion de rendre plus
lisible et plus efficace notre système d’accès au droit
devrait permettre, en se servant du montant des honoraires d’avocats compris dans les dépens, d’apporter des
réponses claires et précises concernant le montant de la
rémunération de l’avocat en matière d’aide juridictionnelle
partielle.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui et le rapport GosselinLangevin notait fort justement que le justiciable « ignore
le montant total des dépenses qui lui restent à payer avant
(13) Le président Eydoux et le bâtonnier Ducasse dans Avocat et Ordres du
XXIe siècle, Dalloz, 2014, p. 181 proposaient la répitibilité de l’honoraire en
matière d’AJ basée sur une condamnation à prononcer sur le fondement de
l’article 700 du Code de procédure civile, basée soit sur la convention d’honoraires homologuée par le bâtonnier, soit sur un barème minimal.
d’engager une procédure » (14) dès lors que la convention
est régularisée sous le contrôle du bâtonnier, a posteriori.
Ce qui posait déjà problème en 2011, date du rapport précité, ne peut plus être maintenu en 2015, alors que tous
les clients d’avocats doivent, en toutes matières avoir
signé une convention d’honoraires avant l’intervention de
celui-ci (15).
Le bénéficiaire de l’AJ partielle doit, lui aussi, pouvoir
connaître le montant des honoraires d’avocats dès avant
l’engagement de la procédure.
A minima il devrait signer, en même temps que le dossier
d’AJ, une convention précisant le montant de l’honoraire
complémentaire. Éventuellement, au lieu d’être déterminé, celui-ci pourrait être déterminable en fonction du
taux d’AJ qui sera retenu par le BAJ.
Cela étant, il pourrait aussi être décidé d’aller plus loin en
prévoyant que la rémunération globale perçue par l’avocat
s’établira au montant de la somme mise à la charge de
la partie perdante aux titres des honoraires d’avocat de
la partie gagnante au titre des dépens, le bénéficiaire de
l’AJ complétant alors les sommes versées par l’État pour
arriver à cette somme.
En d’autres termes l’avocat percevrait un honoraire complémentaire de la part de son client d’un montant lui
permettant de percevoir le double du montant qu’il percevrait si son client bénéficiait de l’AJ totale.
Pareille somme est sûrement souvent inférieure à ce qui
est convenu. Cela étant, le recours à un tel mécanisme,
dont les montants pourraient bien évidemment être modifiés, permettrait d’offrir au système de l’AJ partielle une
grande lisibilité et prévisibilité.
De plus, le total des sommes perçues par l’avocat pourrait
être complété dans le cadre de conventions d’honoraires
de résultat dont la mise en œuvre pourrait grandement
être simplifiée.
V. LA CONVENTION D’HONORAIRES
DE RÉSULTAT
Ainsi définies et répétibles, les sommes reçues par l’avocat du bénéficiaire de l’AJ pourraient être complétées
par un honoraire complémentaire en fonction du résultat
obtenu qui ne nécessiterait plus d’avoir recours à la complexe procédure de retrait d’aide juridictionnelle.
L’article 36 de la loi de 1991 prévoit que : « Lorsque la
décision passée en force de chose jugée rendue au profit
du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle a procuré à celuici des ressources telles que, si elles avaient existé au jour
de la demande d’aide juridictionnelle, celle-ci ne lui aurait
pas été accordée, l’avocat désigné peut demander des
honoraires à son client après que le bureau d’aide juridictionnelle a prononcé le retrait de l’aide juridictionnelle ».
Pourquoi retirer le bénéfice de l’AJ à la partie gagnante
si l’adversaire doit en tout cas rembourser l’État, on peut
imaginer que si le gagnant a obtenu réellement un complément de ressources tel que décrit à l’article 36 précité,
l’État aura été remboursé de sa mise…
(14) P. 30.
(15) Article 10 de la loi n° 71-1130 de 1971 dans sa rédaction issue de la loi
n° 2015-990 du 6 août 2015.
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A ct u al i t é
Dans ces conditions, il pourrait être prévu que l’avocat et
son client peuvent dans les conditions de l’article 10 de la
loi de 1971 convenir d’un « honoraire complémentaire en
fonction du résultat obtenu ou du service rendu ».
La convention devrait-t-elle, dans ces conditions, continuer à être obligatoirement soumise à l’approbation du
bâtonnier ? Tant pour simplifier le travail des avocats, de
leur bâtonnier, que pour ne pas discriminer une partie
de la population (qui n’aurait qu’une capacité juridique
réduite en la matière nécessitant un contrôle a priori de
leurs actes), on doit pouvoir répondre « non » et s’en tenir
au droit commun du contrôle a posteriori dans le cadre
d’une contestation d’honoraires.
VI. GARANTIR LE LIBRE CHOIX
DE L’AVOCAT EN MATIÈRE
D’ASSURANCE PJ PAR L’ADOPTION
DE MINIMAS EN MATIÈRE DE PRISE
EN CHARGES DES HONORAIRES
D’AVOCATS
Au titre des griefs importants recensés par le rapport
Gosselin-Langevin, figurent les réticences des assureurs
pour mettre en jeu cette garantie, le manque de transparence et de lisibilité des contrats, le rôle marginal des
avocats le plus souvent absents de la phase amiable, « les
missions d’assurance de protection juridique étant de
plus très souvent captées par quelques avocats liés aux
réseaux des assureurs et rémunérés selon des barèmes
préétablis… » (16).
Ce constat est en contradiction avec le libre choix de l’avocat garanti par les textes qui devrait déboucher sur une
large répartition de la clientèle des assurés PJ entre tous
les avocats.
En effet la directive n° 87/344/CEE du Conseil du 22 juin
1987 portant coordination des dispositions législatives,
réglementaires et administratives concernant l’assurance-protection juridique prévoit que « l’assuré a la
liberté de choisir un avocat » (17).
Les deux premiers aliénas de l’article L. 127-4 proclament
également ce droit :
« Tout contrat d’assurance de protection juridique stipule
explicitement que, lorsqu’il est fait appel à un avocat ou
à toute autre personne qualifiée par la législation ou la
réglementation en vigueur pour défendre, représenter ou
servir les intérêts de l’assuré, dans les circonstances prévues à l’article L. 127-1, l’assuré a la liberté de le choisir.
Le contrat stipule également que l’assuré a la liberté de
choisir un avocat ou, s’il le préfère, une personne qualifiée
pour l’assister, chaque fois que survient un conflit d’intérêts entre lui-même et l’assureur ».
L’alinéa 3 de ce texte, sous couvert de le défendre vient en
fait le restreindre.
En effet il est y disposé qu’« aucune clause du contrat ne
doit porter atteinte, dans les limites de la garantie, au libre
choix ouvert à l’assuré par les deux alinéas précédents ».
A contrario, il suffit en effet à l’assureur de stipuler dans le
contrat (d’adhésion) que la garantie porte, concernant la
(16) P. 35.
(17) Dir. Cons. UE, n° 87/344/CEE, 22 juin 1987, art. 4.
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prise en charge des honoraires d’avocats, sur un montant
maximal défini dans le barème « contractuel » pour que,
dans les faits, la liberté ne soit plus vraiment garantie, dès
lors que ce barème va être faible et parfois inférieur aux
montants versés en matière d’AJ.
Les « avocats liés aux réseaux des assureurs et rémunérés selon des barèmes préétablis » pourront accepter
en échange d’un volume certain de n’être rémunérés
qu’à hauteur du barème alors que ces sommes, trop
faibles, amèneront les autres à demander un honoraire
complémentaire.
Entre des avocats demandant un honoraire complémentaire par rapport à ce que verse l’assureur, en raison de la
faiblesse de son barème de prise en charges, et un autre
acceptant de travailler sans honoraires complémentaires,
parce qu’il est l’avocat de la compagnie, malgré la faiblesse du barème de prise en charge, peut-on dire qu’il
n’y a pas une atteinte au libre choix ouvert à l’assuré ?
Il doit donc être prévu, comme en matière de complémentaire santé des salariés par exemple, un minimum
de garantie, afin de garantir l’effectivité du libre choix de
l’assuré, c’est-à-dire un montant minimal et décent de
prise en charge des honoraires d’avocats.
Ce montant pourrait être établi en rapport avec le montant de la somme mise à la charge de la partie perdante
aux titres des honoraires d’avocat de la partie gagnante au
titre des dépens, soit le double de l’indemnité versée par
l’État à l’avocat du bénéficiaire de l’AJ.
Ainsi serait mieux garantie l’effectivité du libre choix proclamé de l’avocat par l’assuré bénéficiant d’une PJ.
La corrélation entre le barème de l’AJ et les montants
minima pris en charge par les assureurs PJ permettraient
en outre au consommateur de pouvoir comparer les prestations de leurs assureurs. En effet, les plafonds garantis
pourraient être mentionnés en euros, et, comme le font en
matière de remboursement de soins les complémentaires
santé en mentionnant leurs garanties en pourcentage des
remboursements de la sécurité sociale, en pourcentage
du barème de prise en charge par l’AJ du type de litige
concerné.
“ La corrélation entre le barème
de l’AJ et les montants minima
pris en charge par les assureurs PJ
permettraient au consommateur
de pouvoir comparer les prestations
de leurs assureurs
”
VII. SYSTÉMATISER LE PAIEMENT DIRECT
DE L’AVOCAT PAR L’ASSUREUR PJ
Devrait aussi être systématisé le paiement direct de l’avocat, quel qu’il soit, par l’assureur qui lui aussi favorise le
libre choix.
Dans la pratique certains assureurs indiquent à leurs
assurés que lorsqu’ils choisissent l’avocat recommandé
par la compagnie d’assurances ils n’auront pas à faire
Actual ité
l’avance des honoraires alors qu’en cas d’exercice du
« libre » choix ils seront remboursés sur facture acquittée.
Cette information est erronée comme incomplète.
Devrait être donnée l’information complémentaire tenant au texte de l’article 8 de « L’engagement relatif à
l’assurance de protection juridique » approuvé par les
assemblées générales de la Fédération française des sociétés d’assurances les 21 juin 2005 et 10 novembre 2011
qui prévoit :
« 8 Règlement direct. En présence d’une délégation d’honoraires consentie par l’assuré à l’avocat et permettant
à celui-ci de s’adresser directement à l’assureur pour le
paiement de ses frais et honoraires, l’assureur s’engage
à régler directement l’avocat à concurrence du plafond
contractuel… ».
Cette information devrait, en l’état de l’impératif de libre
choix, être d’autant plus systématique que l’alinéa 2
de l’article 10 de cet « engagement » prévoit que « ces
engagements sont d’application immédiate et se substituent aux dispositions contractuelles moins favorable aux
assurés ».
Pourquoi, dès lors, ne pas inscrire ce principe de règlement direct dans le Code des assurances afin d’assurer
une plus grande effectivité au libre choix de l’avocat.
VIII. MODIFIER LE RÈGLEMENT
DES LITIGES ENTRE L’ASSUREUR PJ
ET L’ASSURÉ ET UNIFIER
L’INFLUENCE DU RECOURS À L’AJ
OU À LA PJ SUR LA PRESCRIPTION
Le rapport Gosselin-Langevin relève que l’assurance protection juridique qui « doit répondre à des besoins distincts
de ceux couverts par l’aide juridictionnelle y répond de
manière très insatisfaisante » (18).
Les régimes d’AJ et de PJ divergent sur le conflit d’intérêts, très peu présent en matière d’AJ entre le justiciable
et le financeur (sauf lorsque, par exemple, localement on
essaie de réduire le recours aux expertises pour sauvegarder le budget du tribunal), alors qu’il est très prégnant
en matière d’assurance protection juridique ou défense et
recours.
Le rapport Gosselin-Langevin y consacre de longs
développements. (19)
Proposer de remédier à l’ensemble des difficultés liées au
conflit d’intérêts entre l’assureur PJ et son assuré supposerait une étude spécifique et exhaustive sur le sujet.
Cela étant, il n’apparaît pas opportun de maintenir le système actuel de règlement des litiges entre l’assureur et
son assuré.
« En cas de désaccord entre l’assureur et l’assuré au sujet
de mesures à prendre pour régler un différend » celui-ci
(18) P. 39.
(19) P. 36 not.
est soumis à « l’appréciation d’une tierce personne » désignée d’un commun accord ou à défaut par le président du
TGI et rémunéré par l’assureur (C. assur., art. L. 127-4).
L’article L. 127-5 du Code des assurances impose qu’« En
cas (…) entre l’assureur et l’assuré (…) de désaccord quant
au règlement du litige, l’assureur informe l’assuré (…) de
la possibilité de recourir à la procédure mentionnée à
l’article L. 127-4 ».
C’est article n’oblige pas l’assureur à indiquer très précisément les modalités du recours à l’arbitrage ni les
modalités de désignation de l’arbitre (d’un commun accord ou sur décision du président du TGI statuant en la
forme des référés) ni que cette procédure se fait aux frais
de l’assureur.
Peu d’assurés semblent avoir recours à cette procédure, ce qui laisse penser qu’elle est méconnue et que,
trop complexe à mettre en œuvre, elle ne remplit pas son
office.
Comment parler d’un recours effectif pour un assuré
qui se voit refuser la saisine d’une juridiction et donc la
prise en charge des frais d’avocats pour ce faire, qui doit
proposer à son assureur le nom d’un arbitre et en cas
de désaccord, rédiger une assignation en la forme des
référés pour demander au président du TGI de désigner
l’arbitre.
Les autres litiges concernant, le jeu du contrat, l’application des garanties, leur interprétation, le montant des
sommes prises en charge relèvent du droit commun, sauf
à ce que le contrat ne prévoit en l’espèce une obligation
de recours à un arbitrage, et que cette clause ne soit pas,
en son principe ou dans ses modalités de mise en œuvre,
contesté.
On peut donc imaginer qu’un assuré soit contraint de saisir le tribunal pour obtenir la reconnaissance du jeu de la
garantie, l’assureur ayant pu, à tort estimer que les causes
du sinistre (litige de l’assuré avec un tiers) préexistaient à
la conclusion du contrat, puis, saisisse l’arbitre s’il veut
plaider alors que l’assureur ne voudrait pas financer…
On peut noter que seule cette dernière saisine serait suspensive « du délai de recours contentieux ».
En effet la saisine d’une tierce personne visant à « proposer une solution » en cas de désaccord entre l’assureur
et l’assuré au sujet de mesures à prendre pour régler un
différend, suspend le cours de la prescription jusqu’à ce
qu’il formule sa proposition. (20)
En revanche le délai continuerait de courir en cas de
contentieux sur le principe même de la garantie devant les
juridictions du fonds, ce qui est une différence très notable
au détriment de l’assuré PJ par rapport au bénéficiaire
de l’AJ, qui lui bénéficie au terme de l’article 38 du décret
de 1991 d’une véritable interruption de prescription dès le
(20) C. assur., art. L. 127-4, dernier alinéa.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
15
A ct u al i t é
dépôt de la demande d’aide juridictionnelle dans les conditions définies par cet article (21).
Cette différence est d’autant moins justifiée si on tient
compte que le principe de subsidiarité de l’aide juridictionnelle (22) est de nature à imposer à un justiciable
d’avoir recours à son assureur protection juridique (qui
n’interrompt ni ne suspend la prescription), et rester dans
l’attente de sa réponse avant de pouvoir demander en cas
de réponse négative, le bénéfice de l’aide juridictionnelle
qui, lui, interrompt la prescription dont on espère qu’elle
n’est pas intervenue entre-temps.
Si l’on prend en considération l’inutile dualité des régimes
de contentieux assureur/assuré, le caractère complexe
d’un recours à un arbitre et les différences incompréhensibles en termes de prescription entre l’action de l’assuré
PJ concernant « les mesures à prendre pour régler un
différend » qui bénéficie d’une suspension, le contentieux
avec l’assureur sur le jeu du contrat ou des garanties qui
est neutre en termes de prescription et la situation du demandeur d’AJ qui voit la prescription interrompue dès le
dépôt de la demande pour bénéficier d’« un nouveau délai
de même durée » on en vient à la conclusion qu’il faut,
autant que faire se peut, unifier ces deux régimes.
Ainsi pourrait être donnée compétence au BAJ, qui deviendrait dès lors Bureau d’Accès au Droit, pour trancher
toutes les difficultés entre un assureur PJ et un assuré PJ.
Cela permettrait en outre au BAD, de mettre réellement
en œuvre la subsidiarité entre PJ et AJ puisqu’il pourrait,
dans une seule et même décision confirmer le refus de
garantie au titre de la PJ et accorder l’AJ…
Le BAD ou son président pourrait également enjoindre aux
assureurs non diligents de délivrer (le cas échéant sous
astreinte) une attestation sur le jeu ou le non jeu de la PJ.
La date à prendre en considération dans le cadre de l’effet
interruptif de prescription du dépôt du dossier d’aide juridictionnelle, pourrait, à condition que ce dépôt intervienne
dans un certain délai de la réception de l’attestation, celle
de la saisine du BAD ou de son président sur ce point.
(21) D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 38. « Lorsqu’une action en justice doit être
intentée avant l’expiration d’un délai devant la juridiction du premier degré,
devant le premier président de la cour d’appel en application des articles 149-1
et 149-2 du Code de procédure pénale ou devant la Commission nationale
de réparation des détentions provisoires, l’action est réputée avoir été intentée
dans le délai si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au
bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si la demande
en justice est introduite dans un nouveau délai de même durée à compter :
a) de la notification de la décision d’admission provisoire ; b) de la notification
de la décision constatant la caducité de la demande ; c) de la date à laquelle la
décision d’admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ; d) ou,
en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de
justice a été désigné ».
(22) L. n° 91-647, 10 juill. 1991, art. 2, al. 3.
16
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
Afin d’unifier les régimes d’interruption de prescription en matière d’AJ et de PJ, la situation du justiciable
étant similaire, la demande à un tiers d’un accord préalable pour financer une procédure judiciaire, la demande
par un assuré PJ, adressée à son assureur, de prise en
charge d’une procédure à lancer devrait, à l’instar du
dépôt du dossier d’aide juridictionnelle, être interruptive
de prescription. Celle-ci ne recommencerait à courir qu’à
compter de la décision de l’assureur ou du BAD en cas de
recours, comme c’est le cas en matière d’AJ.
Les pistes proposées permettraient :
––de rapprocher la situation de tous les justiciables, quel
que soit leur mode d’accès au droit lorsqu’ils saisissent
le juge ;
––de garantir plus efficacement leur libre choix de l’avocat
tant en matière d’AJ que de PJ ;
––de mettre fin à des disparités de situations pour la personne condamnée aux dépens qui ne dépendrait plus
du mode d’accès au droit de la personne qui a gagné le
procès ;
––d’améliorer la rétribution des professionnels acceptant
d’intervenir à l’AJ quand leur client gagne le procès ;
––d’assurer une prise en charge minimale des honoraires
de l’avocat de la personne qui gagne le procès par celle
condamnée aux dépens ;
––d’unifier les régimes d’interruption de prescriptions en
cas de demande de prise en charge des frais de procédures par l’État en cas demande d’AJ ou par un assureur
protection juridique sans dépenses supplémentaires pour
l’État, voire avec une baisse de charges et un supplément
de rentrées résultant du transfert à la partie gagnant son
procès de la charge de recouvrer les sommes revenant à
l’État.
––de simplifier et rendre réellement effectif le système de
règlement des litiges entre assuré et assureur PJ
––de renforcer la subsidiarité de l’AJ par rapport à la PJ
255z2
D oc tr i ne
255z6
SOCIÉTÉS
L’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale
de l’entrepreneur individuel : opportunité ou risque ?
255z6
L’essentiel
L’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel a été consacrée par
la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. L’institution de cette
mesure dispense désormais l’entrepreneur individuel de procéder à la déclaration notariée d’insaisissabilité
afin de protéger sa résidence principale. Cette mesure qui heurte les droits des créanciers professionnels
du débiteur vise clairement à faciliter la création d’entreprises individuelles.
L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
1. Peut-on considérer la loi
n° 2015-990 du 6 août 2015
Christian GAMALEU
pour la croissance, l’actiKAMENI
vité et l’égalité des chances
Docteur en droit, élève
économiques dite loi Macron
Avocat, chercheur –
comme une loi-fleuve (1) ?
CREDIMI, université de
La réponse nous semble
Bourgogne –Franche
Comté
affirmative. En effet, malgré
la censure par le Conseil
constitutionnel de certaines de ses dispositions (2), la loi
Macron appréhende plusieurs secteurs d’activités économiques (3). Ce qualificatif apparaît idoine dans la mesure
où cette loi (4) vise des objectifs variés : créer la croissance,
libérer et faciliter l’activité économique. L’atteinte desdits
objectifs a justifié l’institution de mesures diverses parmi
lesquelles on peut citer l’insaisissabilité de plein droit de
la résidence principale de l’entrepreneur individuel.
Note par
2. De manière laconique, l’insaisissabilité est le caractère
de ce qui est insaisissable (5). Au sens technique, l’insaisissabilité est une protection spéciale découlant de la loi qui
met en tout ou partie certains biens d’une personne hors
d’atteinte de ses créanciers, en interdisant que ces biens
soient l’objet d’une saisie dans les limites et les exceptions
déterminées par la loi (6). Cette acception coïncide fort heureusement avec la logique de la loi du 6 août 2015. Dans le
cadre de cette loi, l’insaisissabilité de plein droit protège le
patrimoine de l’entrepreneur individuel contre ses créanciers professionnels. Ce qui signifie que dans l’hypothèse
où la créance de l’entrepreneur individuel n’a pas une
(1) Pour M. Véricel, « Les dispositions de la loi Macron sur le travail le dimanche
et le travail de nuit » : RDT n° 10, sept. 2015, p. 505, la loi Macron constitue une loi-fleuve comportant des dispositions touchant à des domaines très
divers ; pour P.-H. Conac et I.-U. Parleani, « Loi Macron : une loi omnibus » :
Rev. sociétés sept. 2015, p. 623, c’est une loi touchant l’ensemble de l’économie… C’est une loi de simplification au domaine plus large. Dans sa parution
du 15 février 2015, le Journal Le Figaro Économie qualifiait la loi Macron de
« texte fleuve ».
(2) La censure de la disposition portant sur le plafonnement de l’indemnisation
des licenciements.
(3) L’on peut citer le transport, la concurrence, la consommation le travail dominical, la fiscalité, etc.
(4) Loi parue dans le Journal officiel n° 181 du 7 août 2015, p. 13537.
(5) Dictionnaire de la langue française Le Petit Robert, éd. Dictionnaire Le Robert,
Paris, 2004, p. 13710.
(6) V. « Insaisissabilité » in Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant.
nature professionnelle, le patrimoine de ce dernier n’est
guère insaisissable. On peut alors lire à l’article 526-1 du
Code de commerce : « par dérogation aux articles 2284
et 2285 du Code civil, les droits d’une personne physique
immatriculée à un registre de publicité légale à caractère
professionnel ou exerçant une activité professionnelle
agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa
résidence principale sont de droit insaisissables par les
créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité
professionnelle de la personne (…) L’insaisissabilité mentionnée aux deux premiers alinéas du présent article n’est
pas opposable à l’administration fiscale lorsque celle-ci
relève, à l’encontre de la personne, soit des manœuvres
frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses
obligations fiscales, au sens de l’article 1729 du Code
général des impôts ». Tout ce qui précède laisse présager que l’insaisissabilité constitue désormais un principe
assorti d’exceptions. Elle n’est plus subordonnée à une
déclaration unilatérale de l’entrepreneur. En tant que
tel, elle est destinée à relancer l’entreprenariat dans un
contexte de crise manifeste. Il convient alors de s’interroger sur l’institution d’une telle mesure. Pourra-t-elle
produire l’effet escompté ?
3. L’analyse de la problématique relative à l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de
l’entrepreneur individuel permet de rappeler qu’avant la
loi Macron notamment sous l’empire de la loi n° 2003-721
du 1er août 2003 pour l’initiative économique, la protection
du patrimoine de l’entrepreneur était assurée au moyen
de la déclaration notariée d’insaisissabilité (7). Cette déclaration, réalisée auprès d’un notaire, était soumise à
des conditions (8) bien déterminées. La loi n° 2008-658
du 4 août 2008 dite Loi de modernisation de l’économie a
permis l’extension (9) du domaine de la déclaration d’insaisissabilité de l’entrepreneur individuel. Grâce à la loi
de 2008, la protection du patrimoine de l’entrepreneur
individuel s’est trouvée renforcée. Outre l’immeuble où
(7) F. Vauvillé, « La déclaration notariée d’insaisissabilité » : Rép. Defrénois 2011,
p. 1292 ; « La déclaration notariée d’insaisissabilité » : Rép. Defrénois, ibid.
(8) M. Dagot, « Conditions de formes (déclaration d’insaisissabilité) », JCP N
2004, 1028, spéc. n° 4,
(9) L. Lauvergnat, « Réflexions sur l’extension du domaine de la déclaration d’insaisissabilité par la LME » : Dr. et procéd. Fév. 2009, p. 68.
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17
D octr i n e
est affectée la résidence principale, « tout bien foncier
bâti ou non bâti non affecté à l’usage professionnel » de
l’entrepreneurpeut être déclaré insaisissable. S’inscrivant
dans la même mouvance, la loi n° 2010-658 du 15 juin
2010 relative à l’Entrepreneur individuel à responsabilité
limitée (EIRL) a permis le cloisonnement du patrimoine
de l’entrepreneur. L’on assiste donc à la distinction patrimoine privé ou domestique et patrimoine affecté ou
professionnel. Grâce à ce statut, les créanciers professionnels ne peuvent poursuivre que le patrimoine affecté.
Les éléments du patrimoine privé demeurent ainsi hors de
portée des créanciers professionnels sauf si l’entrepreneur fait l’objet d’une procédure collective et qu’une action
en réunion du patrimoine ait été initiée par un organe de la
procédure. L’article L. 632-1, I, 12°, du Code de commerce
issu de l’ordonnance du 12 mars 2014 (10) relève en outre
que la déclaration d’insaisissabilité peut être frappée de
nullité si elle est intervenue dans les six mois précédant
la cessation des paiements du débiteur.
4. Il est notable de souligner que l’insaisissabilité bénéficie
exclusivement aux personnes physiques. Les auto-entrepreneurs, les artisans, les exploitants agricoles et tout
professionnel libéral peuvent être cités à titre illustratif.
Cela étant, cette insaisissabilité peut être totale ou partielle suivant l’usage réservé par l’entrepreneur individuel
à sa résidence principale. Dans l’hypothèse où toute la résidence principale est affectée à l’activité professionnelle,
l’insaisissabilité demeure totale. En revanche, lorsque
la résidence principale de l’entrepreneur est utilisée en
partie pour un usage professionnel,« la partie non utilisée
pour un usage professionnel est de droit insaisissable,
sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire » (11).
Dans le même ordre d’idées, le prix de vente de la résidence principale demeure insaisissable sous certaines
conditions. Ainsi, « en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure
insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai
d’un an des sommes à l’acquisition par la personne
mentionnée au premier alinéa de l’article L. 526-1 d’un
immeuble où est fixée sa résidence principale » (12).
5. Une lecture a contrario du texte instituant l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de
l’entrepreneur individuel laisse entendre que tous les
autres biens immobiliers telle la résidence secondaire
de ce dernier ne bénéficient pas de la même protection.
Aussi, une déclaration reste indispensable pour les mettre
à l’abri des poursuites des créanciers professionnels.
Force est de constater que si l’insaisissabilité de plein
droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel constitue une mesure manifestement opportune (I),
elle n’est cependant pas dépourvue de risque (II).
I. L’OPPORTUNITÉ DE LA MESURE
6. Il est important d’entrée de jeu de souligner que l’insaisissabilité de plein droit consacrée par la loi Macron n’a
pas un caractère absolu. C’est ainsi qu’en cas d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales (13) ou
(10) Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 réformant le droit des entreprises
en difficulté.
(11) C. com., art. L. 526-1, al. 1er.
(12) C. com., art. L. 526-3, al. 1er.
(13) Suivant les termes du CGI, art. 1729.
18
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
de manœuvres frauduleuses (14), l’entrepreneur individuel
ne saurait bénéficier de cette mesure vis-à-vis de l’administration fiscale. Il ne saurait davantage en bénéficier si
sa renonciation est exprimée de manière délibérée (15).
Dans ce cas de figure, l’entrepreneur renonce à ladite
insaisissabilité en faveur de telle ou telle personne, afin
sans doute de trouver du crédit (16). Ceci dit, deux arguments permettent d’accréditer la thèse suivant laquelle
l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale
est une mesure opportune : faciliter la création d’entreprises individuelles et l’auto-entreprenariat et résoudre
les incertitudes inhérentes à la déclaration notariée d’insaisissabilité du déclarant en état de procédure collective.
“ L’insaisissabilité de plein droit
consacrée par la loi Macron n’a pas
un caractère absolu
”
7. En ce qui concerne la création d’entreprises individuelles, la loi Macron est dénuée d’ambiguïtés. Cette loi
actionne tous les leviers afin de relancer la croissance,
l’investissement et l’emploi (17) dans un contexte de frémissement de l’activité économique. Le titre premier de
cette loi est d’ailleurs assez évocateur « Libérer l’activité » (18). Ici, il est question, à travers l’insaisissabilité de
plein droit de la résidence principale, de mettre fin à la
réticence et/ou à la pusillanimité de toutes personnes physiques désirant initier une activité économique. Rappelons
que cette réticence ou pusillanimité se trouve accrue au
moment des difficultés ou de la défaillance de l’activité
puisque la résidence principale, bien immobilier généralement unique (19) des personnes physiques, fera alors l’objet
des procédures civiles d’exécution par les créanciers de
l’entrepreneur. L’insaisissabilité instituée met donc en
exergue la sanctuarisation de la résidence principale de
l’entrepreneur individuel. L’opportunité de la mesure
réside par conséquent dans la sécurité offerte aux entrepreneurs individuels lors de la mise en œuvre de leurs
activités économiques. Les créateurs d’entreprises sont
protégés ab initio (20).
8. S’agissant de la déclaration notariée d’insaisissabilité
de la résidence principale de l’entrepreneur individuel,
son opposabilité demeure problématique lorsque l’entrepreneur fait l’objet d’une procédure collective. Avant la loi
(14) En vertu de l’adage« Fraus omnia corrumpit »(« La fraude corrompt tout »),
le droit français sanctionne l’auteur de la fraude par l’inopposabilité du droit
ou de l’acte obtenu.
(15) La renonciation de l’insaisissabilité est prévue par le C. com., art. L. 526-3,
al. 2.
(16) P. Roussel Galle, « Brèves observations sur la loi “Macron” et le droit des entreprises en difficulté » : Rev. Société, sept. 2015, p. 543 ; P. Simler, JCP E 2015,
1222, spéc. n° 12.
(17) M. Véricel, art. préc., p. 505.
(18) La loi Macron comporte trois titres : le titre I est intitulé « Libérer l’activité »,
le titre II et le titre III s’intitulent respectivement « Investir » et « Travailler ».
(19) S’il est notoire de reconnaître que les personnes physiques réalisant les activités
économiques possèdent des biens immobiliers variés, il faut tout de même
reconnaître que la majorité de ces personnes possèdent comme bien immobilier leur résidence principale.
(20) V. Legrand, « L’insaisissabilité de la résidence principale : le cadeau empoisonné
de la loi Macron ? » : LPA 9 sept. 2015, p. 7, n° 180.
Do ctr in e
Macron, la question lancinante était relative à l’efficacité
de cette déclaration spécifiquement lors de la procédure
de liquidation judiciaire du déclarant. La position des juridictions inférieures (21) a été ambivalente confortée par le
caractère équivoque des textes sur la question. Par arrêt
de principe datant du 28 juin 2011 (22) confirmé plus tard (23),
la haute juridiction a énoncé que« le débiteur peut opposer
la déclaration d’insaisissabilité qu’il a effectuée en application de l’article L. 526-1 du Code de commerce, avant
qu’il ne soit mis en liquidation judiciaire, en dépit de la
règle du dessaisissement prévue par l’article L. 641-9 ».
Cette opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité au
liquidateur laisse planer une évidente interrogation : les
créanciers auxquels cette déclaration est inopposable (24)
peuvent-ils saisir la résidence principale de l’entrepreneur ? La réponse est incontestablement affirmative.
Toutefois, vu que l’entrepreneur fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, et sur la base de la discipline
collective, ces créanciers se trouvaient malheureusement
privés du droit de poursuite de la résidence principale lors
de la liquidation judiciaire et même après sa clôture alors
même que la déclaration de ladite résidence leur était
inopposable. Que faire ? Sans être une solution parfaite,
l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale
apparaît comme une mesure propice puisqu’elle permet
de« mettre fin aux incertitudes liées aux effets d’une déclaration d’insaisissabilité à l’égard des créanciers à qui
cette déclaration était inopposable ». Elle cesse d’être réalisée par une déclaration unilatérale avec son lot d’aléas
et se réalise désormais de droit. Pour un auteur (25), à travers la mesure instituée, le législateur s’est contenté de
rajouter du neuf sur l’existant ; une situation qui ne serait
pas dénuée de risque.
II. LE RISQUE INHÉRENT À LA MESURE
9. Définitivement adoptée le 10 juillet 2015 au terme
d’une procédure ponctuée par trois recours du gouvernement à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution et par
(21) Pour CA Aix-en-Provence, 3 déc. 2009 : Act. proc. coll. 2010, comm. n° 164,
obs. J. Vallansan : « La déclaration d’insaisissabilité qui n’a d’effet qu’à l’égard
des créanciers dont les droits naissent postérieurement à la publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant, ne permet pas de déroger au
principe de dessaisissement à l’égard du bien concerné ».La logique propre à
cet arrêt est conforme à celle de la CA d’Orléans, 5 mai 2008 : JCP E 2009,
1008, spéc. n° 9, obs. P. Pétel – CA Douai, 23 sept. 2010 : JCP E 2010, obs.
C. Lebel, s’est en revanche prononcée différemment sur la question : « Une
déclaration d’insaisissabilité régulièrement publiée ne permet pas aux organes
de la procédure collective d’incorporer l’immeuble concerné dans le périmètre
de la saisie des biens appartenant au débiteur ; que les créanciers antérieurs ou
extra professionnels ont seuls qualité pour appréhender et réaliser ce bien ; que
la règle de suspension des poursuites individuelles (…) ne peut leur opposer
dès lors que le bien déclaré insaisissable n’entre pas dans le gage commun de
l’ensemble des créanciers de la procédure collective ».
(22) Cass.com., 28 juin 2011, n° 10-15482 : D. 2011, p. 1751, obs. A. Lienhard ;
JCP E 2011, 1551, note F. Pérochon.
(23) Cass. com., 24 mars 2015, n° 14-10175 : D. 2015, p. 799, obs. A. Lienhard ;
LPA 16 sept. 2015, p. 11, n° 185, note M. Laugier.
(24) Les créanciers privés et les créanciers professionnels antérieurs à la déclaration
d’insaisissabilité et éventuellement les créanciers professionnels postérieurs
bénéficiant de la renonciation.
(25) V. Legrand, « L’insaisissabilité de la résidence principale : le cadeau empoisonné
de la loi Macron ? » : LPA 9 sept. 2015, p. 7, n° 180.
deux motions (26) de censure finalement rejetées (27), la
loi Macron du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et
l’égalité des chances économiques comporte des mesures
notables. Outre l’insaisissabilité de la résidence principale
de l’entrepreneur individuel contre ses créanciers professionnels, la loi institue l’ouverture des commerces le
dimanche, l’épargne salariale, la mobilité bancaire, etc. La
loi simplifie également les règles applicables à la publication des comptes de résultat et les bons de souscription de
parts de créateur d’entreprises afin d’accroître les marges
de manœuvre des petites entreprises. S’agissant de l’insaisissabilité de plein droit, il faut reconnaître qu’elle est
instituée par l’article 206 de la loi précitée. Elle se réalise désormais sans formalités particulières et sans frais.
Dans cette mouvance, elle est censée rassurer les personnes physiques créatrices d’entreprises individuelles.
Ici, la question qui mérite d’être soulevée est la suivante :
en quoi l’insaisissabilité de plein droit de la résidence
principale constitue-t-elle un risque ?
10. Bien qu’elle soit fondée sur un objectif irrécusable,
l’insaisissabilité automatique de la résidence principale peut malencontreusement avoir un effet inattendu.
Autrement dit, destinée à sanctuariser la résidence principale de l’entrepreneur individuel en la mettant hors de
portée de ses créanciers professionnels, l’insaisissabilité
de plein droit amenuise le patrimoine de l’entrepreneur
individuel et est susceptible de réduire sa capacité d’accès
au crédit (28). Très concrètement, le risque inhérent à cette
mesure est la diminution des possibilités de l’entrepreneur à l’accès au financement lors de la création et de
la mise en œuvre de son activité. Mais alors, ce risque
est-il insurmontable ? Aucunement. L’article L. 526-3
du Code de commerce permet en effet à l’entrepreneur
individuel de renoncer à cette insaisissabilité automatique. Pour un auteur (29), « la loi reprend d’une main ce
qu’elle a donné de l’autre ». Dans cette circonstance, il
est logique de penser que les établissements de crédits
et les créanciers institutionnels feront de la renonciation
à l’insaisissabilité de plein droit la condition sine qua non
de l’obtention d’un financement (30). Ces créanciers pourront tout aussi préalablement à l’octroi du financement
exiger des entrepreneurs la constitution d’une autre
forme de société (31) au moyen de laquelle ils contourneront le principe de l’insaisissabilité. De tels faits videraient
l’insaisissabilité automatique de tout son sens et lui priveraient subséquemment d’effectivité. Il apparaît donc que
le risque inhérent à l’insaisissabilité de plein droit de la
résidence principale de l’entrepreneur individuel réside
dans son quasi-ineffectivité. L’exception de renonciation
qui est assortie à l’insaisissabilité de plein droit rendrait
cette mesure contre productive. Nous approuvons le point
de vue d’un auteur selon lequel « faire croire que l’entreprise individuelle est sans risque, afin d’inciter tous les
(26) Les deux motions de censure ontété rejetées respectivement le 19 février et le
18 juin 2015.
(27) M. Plankensteiner et E. Créquer, « Les relations commerciales après la loi
du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » : LPA 4 nov. 2015, p. 14, n° 220.
(28) J.-L. Vallens, art. préc., p. 8.
(29) Ibid.
(30) V. Legrand, « Faut-il supprimer la déclaration notariée d’insaisissabilité ? » :
D. 2015, p. 2388.
(31) Il est fait allusion à l’Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
19
D octr i n e
chômeurs à lancer leur activité, est dangereux (…) pour
l’entrepreneur lui-même ».
11. En somme, s’il est évident que l’insaisissabilité de
plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur
individuel contre ses créanciers professionnels est propice à tous entrepreneurs du fait qu’elle se réalisera
désormais sans frais et sans contrainte, il convient toutefois de relever que la renonciation à cette insaisissabilité
pour des motifs légitimes (32) pourrait faire perdre à cette
mesure son applicabilité réelle. Tout compte fait, une intervention législative reste nécessaire afin d’articuler le
régime de l’insaisissabilité et la liquidation judiciaire (33) de
l’entrepreneur.
255z6
(32) Recherche de tout financement indispensable à la création ou à l’exploitation
de l’activité économique.
(33) A. Lienhard, obs sous Cass.com., 24 mars 2015, n° 14-10.175 : D. 2015,
p. 799.
20
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
Jur i sp rud ence
256c7
TRAVAIL
La prescription des indemnités de préavis et de congés payés
dues à la suite d’une requalification de contrats de travail
en contrat à durée indéterminée
256c7
L’essentiel
Les indemnités de préavis et de congés payés, fussent-elles dues à la suite d’une requalification de contrats
en contrat à durée indéterminée, ont un caractère de salaire ; il en résulte que l’action en paiement de
ces indemnités est soumise à la prescription quinquennale, alors applicable en matière de salaires. Tel est
l’apport de deux arrêts rendus le 16 décembre par la Cour de cassation, dont l’avis de l’avocat général sur le
pourvoi n° 14- 15999, se trouve ici reproduit.
Cass. soc., 16 déc. 2015, no 14-15999, SAEME c/ M. X, FS-D (Cassation partielle sans renvoi, CA Chambéry,
18 févr. 2014), M. Frouin, prés., SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et
Coudray, av. : V. également Cass. soc., 16 déc. 2015, n°14-15997, ECLI:FR:CCASS:2015:SO02205, FS-P+B
(Cassation partielle sans renvoi, CA Chambéry, 18 févr. 2014), M. Frouin, prés., SCP Célice, Blancpain, Soltner
et Texidor, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, av.
M
. Marc X a été embauché
le 30 juillet 1984 par la
Hubert LIFFRAN
société anonyme des Eaux
Avocat général à la Cour
minérales d’Evian (société
de cassation
SAEME) en qualité d’agent
de production, dans le cadre
d’un contrat saisonnier qui a pris fin le 28 septembre suivant. Par la suite, au cours des années 1985 à 1987, M. X a
été embauché par cette même société, toujours en qualité
d’agent de production, dans le cadre de différents contrats
saisonniers et de contrats à durée déterminée.
Avis par
À l’issue d’un contrat dit « de saison » qui a pris fin le
30 septembre 1987, M. X a poursuivi son activité d’agent
de production au sein de la société SAEME dans le cadre
de diverses missions d’intérim, jusqu’au 24 juin 1988.
Après avoir été à nouveau engagé par la société SAEME
par un contrat à durée déterminée pour le mois de juillet
1988, il a poursuivi son activité au sein de cette société
dans le cadre de nouvelles missions d’intérim jusqu’au 4
novembre 1988.
Après une interruption de la relation de travail pendant
près de sept ans, M. X a repris le 22 mars 1995 son activité
d’agent de production au sein de la société SAEME dans le
cadre de missions d’intérim jusqu’au 19 mai suivant.
Par un dernier contrat à durée déterminée du 22 mai 1995,
M. X a été embauché par la société SAEME, au motif du
remplacement d’un salarié absent. À l’issue de ce contrat,
le 8 septembre 1995, la relation de travail a définitivement
pris fin. Le 19 juin 2012, M. X a saisi la juridiction prud’homale de demandes de requalification de sa relation de
travail avec la société SAEME en contrat à durée indéterminée et de paiement de diverses indemnités de rupture
ainsi que de dommages-intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 11 mars 2013, le conseil de prud’hommes
d’Annemasse a accueilli les demandes de M. X. Par arrêt
du 18 février 2014, la cour d’appel de Chambéry a confirmé
le jugement sur tous les chefs de son dispositif, à l’exception du montant des dommages-intérêts pour licenciement
sans cause réelle et sérieuse qu’elle a augmenté. Le 17
avril 2014, la société SAEME s’est régulièrement pourvue
en cassation. En un premier moyen, la société SAEME reproche à l’arrêt attaqué de la condamner verser à M. X la somme de
1 296 € titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre
les congés payés afférents, en faisant valoir que :
- en retenant, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de
la prescription soulevée par la société SAEME, que l’action
en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis
était soumise, au jour de la rupture du contrat de travail de
M. X au mois de septembre 1995, à une prescription trentenaire, alors qu’en vertu de l’article L. 3245-1 du Code
du travail, dans sa version applicable au litige, l’action en
paiement du salaire se prescrit par cinq ans; que l’indemnité compensatrice de préavis ayant un caractère salarial,
l’action en paiement de cette indemnité est donc soumise
à un délai de prescription quinquennale; que l’action du
salarié en paiement d’une indemnité compensatrice de
préavis ayant été engagée le 19 juin 2012, soit plus de cinq
ans après la rupture de son dernier contrat de travail au
mois de septembre 1995, elle était donc frappée de prescription, la cour d’appel a violé l’article L. 3245-1 du Code
du travail (1re branche);
- en appliquant en l’espèce le régime transitoire instauré
par l’article 26-II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et
en décidant, en conséquence, de ne faire courir le délai de
prescription quinquennale qu’à compter du 19 juin 2008,
alors qu’en vertu de l’article 26-II de la loi n° 2008-561 du
17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
21
Jur i s p r u de nc e
civile «les dispositions de la présente loi qui réduisent la
durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à
compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi,
sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue
par la loi antérieure»; que le régime transitoire prévu par
ledit article 26-II n’est applicable qu’aux délais de prescription ayant été réduits par la loi du 17 juin 2008; que tel
n’est pas le cas de la prescription quinquennale en matière de paiement du salaire qui était déjà applicable avant
l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, la cour d’appel
a violé le texte susvisé, ensemble l’article L. 3245-1 du
Code du travail (2e branche);
- en retenant, pour écarter la prescription quinquennale et
faire application d’un délai de prescription trentenaire, que
la demande de M. X en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis était la « conséquence de la demande de
requalification du contrat », alors que cette circonstance
n’était pas de nature à modifier le caractère salarial de
l’indemnité compensatrice de préavis et à faire échec à la
prescription quinquennale, la cour d’appel a encore violé
l’article L. 3245-1 du Code du travail (3e branche).
La SAEME avait fait valoir que les demandes d’indemnité
compensatrice de préavis et de congés payés afférents
formulées par M. X étaient atteintes par la prescription de
cinq ans applicable aux demandes de nature salariale en
application de l’article L. 3245-1 du Code du travail, dans
sa rédaction alors en vigueur.
Mais la cour d’appel avait rejeté cette exception, en retenant en substance que ces demandes n’étaient soumises
à la prescription quinquennale que depuis la loi du 17
juin 2008 et que le délai de prescription de trente ans qui
s’appliquait antérieurement n’était pas expiré à la date
d’entrée en vigueur de cette loi, de sorte que le nouveau
délai de cinq ans débutait à compter de cette date et n’était
de ce fait pas expiré.
On sait que jusqu’en 2008, sauf dispositions contraires, les
actions personnelles ou mobilières se prescrivaient par
trente ans. Toutefois, depuis la loi n° 71-586 du 16 juillet
1971, l’action en paiement des salaires se prescrivait par
cinq ans, ainsi que le précisait l’article L. 143-14 du Code
du travail.
Le délai de droit commun de trente ans a été réduit à
cinq ans par la loi du 17 juin 2008 qui a modifié l’article
2224 du Code civil qui dispose désormais que les actions
personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à
compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait
dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Selon son article 26.II, les dispositions de cette loi qui
réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux
prescriptions à compter du jour de son entrée en vigueur,
sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue
par la loi antérieure.
Ainsi que vous l’avez jugé, dans un arrêt du 19 septembre
2012 (Cass. soc., 19 sept. 2012, n° 11-18020), l’action en
requalification d’un contrat à durée déterminée antérieur
à la loi du 17 juin 2008 était soumise, selon l’état de droit
précédent, à la prescription de droit commun de trente
ans, de sorte que pour l’action entreprise par M. X, c’est
au 18 juin 2008, date d’entrée en vigueur de cette loi, que
le délai de prescription de cinq ans a commencé à courir.
La question qui se pose est alors celle de savoir si les
demandes d’indemnité compensatrice de préavis et
22
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
d’indemnité de congés payés afférente formulées par M.
X à la suite de sa demande de requalification doivent être
considérées comme étant annexes à cette dernière et
suivre, quant à la prescription, le même régime que cette
dernière, ou si elles ne doivent pas être considérées en
elles-mêmes comme étant de nature salariale, atteintes
à ce titre par la prescription quinquennale qui était en
vigueur dès avant la loi du 17 juin 2008.
Dans un arrêt, non publié, du 13 avril 2010 (Cass. soc.,
13 avr. 2010, n° 09-41508), vous avez jugé, sous l’empire
de l’état de droit antérieur à la loi du 17 juin 2008, que la
prescription quinquennale relative aux créances de nature
salariale ne pouvait être opposée à la demande d’un salarié de La Poste tendant à obtenir la condamnation de son
employeur à régulariser sa situation auprès des caisses
de retraite, dès lors que l’obligation pour l’employeur d’affilier son personnel à un régime de retraite et de régler les
cotisations qui en découlent, est soumise à la prescription
trentenaire. Mais deux mois plus tard, dans un arrêt du 16
juin 2010, rendu à propos d’une demande identique formulée par un autre salarié de La Poste (Cass. soc., 16 juin
2010, n° 08-45618), vous avez adopté la solution inverse.
Ultérieurement, dans un arrêt P + B du 22 octobre 2014
(Cass. soc., 22 oct. 2014, n° 13-16936), vous avez mis un
terme à cette contradiction de jurisprudence, en énonçant
que dès lors que le droit au paiement des salaires est
atteint par la prescription, l’action en paiement des cotisations d’assurance vieillesse et retraite complémentaire
assises sur ces salaires est nécessairement prescrite,
refusant ainsi qu’un employeur puisse être condamné
à verser des cotisations sur des salaires fictifs, dans la
mesure où ceux-ci n’ont pas été versés au salariés et ne
peuvent plus l’être par l’effet de la prescription.
Vous avez ainsi repris le fil d’une jurisprudence qui retient
une acception large de la notion de demande de nature
salariale. Ainsi, dans deux arrêts des 23 juin 2010 et 23
octobre 2013 (Cass. soc., 23 juin 2010, n° 08-45241 et
Cass. soc., 23 oct. 2013, n° 12-23722), vous avez jugé que
la prescription quinquennale instituée par l’article 3245-1
du Code du travail s’applique à toute action afférente au
salaire et que tel est le cas d’une action tendant au versement, à la suite de la requalification de contrats à durée
déterminée en contrat à durée indéterminée, de sommes
au titre de la rémunération des journées de travail non
effectuées. C’est conforme à la formulation plus générale énoncée dans un certain nombre de vos décisions
selon laquelle la prescription quinquennale s’applique
à l’ensemble des demandes de nature salariale (Cass.
soc., 5 mars 2014, n° 12-27050 ; Cass. soc., 23 oct. 2013,
n° 12-22730 ; Cass. soc., 20 oct. 2013, n° 12-16153 ; Cass.
soc., 30 mai 2013, n° 12-16153 ; Cass. soc., 20 févr. 2013,
n° 11-21486).
Cela rejoint l’opinion exprimée par le Président Sargos
dans un article paru en 2005 sur l’étendue et les limites
de la prescription quinquennales (Semaine Sociale Lamy
2005, n°1208), cité dans le mémoire ampliatif (p. 6), dans
lequel cet auteur faisait valoir que l’évolution de votre
jurisprudence tendait à étendre le domaine de la prescription à la plupart des actions en justice afférentes à une
créance née d’un travail salarié.
Dans ces conditions, c’est à tort que la cour d’appel a
retenu que la demande d’indemnité compensatrice de
Jur ispr ude nc e
préavis formulée par M. X n’était pas prescrite, alors que
le délai de prescription de cinq ans auquel elle était soumise dès avant la loi du 17 juin 2008 avait commencé à
courir le 9 septembre 1995 et était donc largement expirée
EXTRAIT DE L’ARRÊT RENDU SUR L’AVIS
CONFORME DE L’AVOCAT GÉNÉRAL (POURVOI
N° 14-15999)
Vu l’article L. 3245-1 du Code du travail, en sa rédaction
applicable en la cause, ensemble l’article 26-II de la loi n°
2008-561 du 17 juin 2008 ;
Attendu que pour condamner la société SAEME à payer à M.
X des sommes à titre d’indemnité de préavis et de congés
payés, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la
demande en paiement de l’indemnité compensatrice de
préavis et de congés payés sur préavis doit être analysée,
comme la conséquence de la demande de requalification
du contrat, et que, dès lors si le nouveau délai de cinq ans
n’était pas expiré lors de l’entrée en vigueur de la loi le 19
juin 2008, le nouveau délai de cinq ans s’applique et débute
à cette date, de sorte que le salarié avait donc jusqu’au 19
juin 2013 pour introduire son action sans être frappé par la
prescription ;
Qu’en statuant ainsi, alors que les indemnités de préavis
et de congés payés, fussent-elles dues à la suite d’une
le 19 juin 2012, date à laquelle il avait saisi la juridiction
prud’homale. Il y a donc lieu à une cassation sur les trois
branches du 1er moyen réunies.
requalification de contrats en contrat à durée indéterminée,
ont un caractère de salaire, ce dont il résultait que l’action
en paiement de ces indemnités était alors soumise à la
prescription quinquennale, de sorte que l’article 26-II de la
loi du 17 juin 2008 n’était pas applicable, la cour d’appel a
violé les textes susvisés ;
Vu l’article 627 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne
la SAEME à payer à M. X la somme de 1 296 € à titre
d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 129,60 €
à titre d’indemnité de congés payés, l'arrêt rendu le
18 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel de
Chambéry ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi de ce chef ;
Déclare irrecevable M. X en ses demandes en paiement de
sommes à titre d’indemnité compensatrices de préavis et
de congés.
256c7
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
23
J u ris pr udenc e
255c9
PROCÉDURE PÉNALE
Le régime de la notification des droits du suspect attachés
à la prolongation de la garde à vue
255c9
L’essentiel
L’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 1er décembre 2015 revient sur les modalités
et les sanctions de la notification des droits du suspect en cas de prolongation de la garde à vue.
Cass. crim., 1er déc. 2015, no 15-84874, Mme X c/ MP, PB (rejet pourvoi c/ CA Nancy, ch. instr. 29 juill. 2015),
M. Guérin, prés., M. Parlos, M. Straehli, M. Finidori, M. Monfort, M. Buisson, Mme Durin-Karsenty, M.
Larmanjat, M. Ricard, M. Barbier, M. Talabardon, cons.
E
n l’espèce, une personne
a été placée en garde à
vue au cours d’une information judiciaire ouverte
à la suite de la découverte
d’un cadavre. Les différents droits afférents à
cette mesure, prévus par les
articles 63-1 et suivants du
Code de procédure pénale,
lui ont été notifiés verbaNote par
lement par un officier de
Rodolphe MÉSA
police judiciaire (OPJ), cette
Maître de conférences
notification ayant été suivie
HDR en droit privé et
de la remise d’un document
sciences criminelles,
intitulé « formulaire de notiuniversité Lille – Nord de
France (Ulco – Larj EA
fication des droits d’une
3603)
personne gardée à vue »,
ceci en pleine conformité
avec les articles 63-1 et 803-6 du Code de procédure pénale dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-535 du
27 mai 2014 portant transposition de la directive 20122013/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information
dans le cadre des procédures pénales (1). Le juge d’instruction auquel la personne gardée à vue a été présentée
l’a informée de la prolongation de la mesure. À la suite de
cette audition, une autre audition de cette personne a été
réalisée par un OPJ en présence de l’avocat du suspect,
cette audition ayant débuté avant l’expiration des premières vingt-quatre heures de garde à vue pour prendre
fin après cette première période de vingt-quatre heures,
c’est-à-dire après que la prolongation ait commencé. Ce
n’est qu’à la fin de cette dernière audition que les droits
attachés à la prolongation de la garde à vue ont été notifiés à la personne faisant l’objet de la mesure, ce qui a
conduit l’OPJ à informer le juge d’instruction de la notification hors des délais impartis de ces droits. À la suite
de cette information, le magistrat instructeur a ordonné
la levée de la garde à vue et mis en examen pour meurtre
aggravé la personne qui en faisait l’objet. La chambre de
(1) R. Mésa, « Le renforcement relatif des droits procéduraux du suspect pendant la
phase d’enquête » : Gaz. Pal. 20 sept. 2014, p. 17, n° 192u5 ; S. Pellé, « Garde à
vue : la réforme de la réforme (acte I). À propos de la loi numéro 2014-535 du
27 mai 2014 » : D. 2014, p. 1508.
24
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
l’instruction de la cour d’appel de Nancy a également été
saisie aux fins d’annulation de l’audition ayant eu lieu à
cheval sur la période de garde à vue initiale et sa prolongation. L’arrêt de cette juridiction, qui a été rendu le
29 juillet 2015, a constaté l’irrégularité de cette audition,
l’a annulée et a étendu les effets de cette annulation à différents actes subséquents, au motif que l’audition débutée
au cours de la période initiale de garde à vue s’est prolongée au-delà sans que les droits attachés à la prolongation
de la mesure n’aient été notifiés à la personne concernée
qui a, de ce fait, été privée de la possibilité de solliciter un
second examen médical et un entretien avec son avocat,
cette absence de notification lui ayant nécessairement fait
grief, ceci même si son audition a été réalisée en présence
d’un avocat qui n’a formulé aucune observation. Le pourvoi formé par le procureur général près la cour d’appel
contre cet arrêt a été rejeté par l’arrêt du 1er décembre
2015.
Pour rejeter le pourvoi et approuver l’annulation d’une
audition poursuivie lors du commencement de la prolongation d’une garde à vue et en l’absence de notification
des droits attachés à cette prolongation, la chambre criminelle a considéré, d’une part, que la notification à la
personne concernée des droits attachés à la prolongation
de la garde à vue est une condition d’effectivité de leur
exercice et, d’autre part, que la décision attaquée est parfaitement justifiée. Il en ressort que ces droits attachés
à la prolongation de la garde à vue doivent, en principe
et en toutes circonstances, être notifiés dès le début de
cette prolongation (I), l’absence de cette notification dans
ce temps faisant nécessairement grief aux intérêts de la
personne gardée à vue (II).
I. L’IMPÉRATIF DE NOTIFICATION
DES DROITS DÈS LE DÉBUT DE LA
PROLONGATION DE LA GARDE À VUE
Si les droits attachés à la garde à vue énumérés par les
articles 63-1 et suivants du Code de procédure pénale
doivent en principe être notifiés dès le début de la mesure,
certaines garanties sont reconnues au suspect détenu au
cours de l’enquête, qui concernent tant le placement initial
que la prolongation de la garde à vue. Il en va ainsi du droit
à un examen médical, à propos duquel l’article 63-3 précise que la personne gardée à vue a le droit de demander
à être examinée une seconde fois en cas de prolongation
de la mesure. Il en est de même à propos du droit de
Jur ispr ude nc e
s’entretenir avec un avocat, l’article 63-4 reconnaissant
ce droit à l’entretien dès le début de la garde à vue, mais
également en cas de prolongation. Dans cette dernière
hypothèse, en effet, la personne gardée à vue peut demander à s’entretenir à nouveau avec un avocat dès le début
de la seconde période de vingt-quatre heures. Ces deux
derniers droits devant pouvoir être effectifs, à la demande
de la personne gardée à vue, dès le début de la prolongation, il en ressort naturellement que cette personne doit
en être informée dès ce moment. L’arrêt du 1er décembre
2015 rappelle cet impératif, soumettant de la sorte explicitement et de manière tout à fait logique le régime de
la notification des droits attachés à la prolongation de la
garde à vue à celui des droits attachés au placement initial
en garde à vue. Il en ressort au moins deux conséquences.
La soumission de la notification des droits attachés à
la prolongation de la garde à vue au même régime que
celle des droits attachés au placement initial implique,
en premier lieu, que ces droits, et notamment le droit à
un examen médical et celui à un entretien avec un avocat, doivent être notifiés à la personne gardée à vue, par
référence à l’article 63-1 du Code de procédure pénale,
immédiatement, c’est-à-dire dès le début de la prolongation ou dans un très bref délai suivant la prolongation de
la garde à vue. Si, par référence à la jurisprudence rendue relativement à la notification des droits attachés au
placement initial, une notification quelques minutes (2) ou
un quart d’heures après le début de la prolongation de la
mesure pourrait être considérée comme non tardive (3),
il ne devrait pas en aller de même lorsque la notification
intervient au-delà ou fait totalement défaut.
“ Le droit à un examen médical
et celui à un entretien avec un avocat
doivent être notifiés à la personne
gardée à vue dès le début
de la prolongation
”
L’assimilation du régime de la notification des droits attachés à la prolongation de la garde à vue avec celui de
la notification des droits attachés au placement initial
implique, en second lieu, que seules des circonstances
insurmontables soient de nature à justifier un retard dans
cette notification (4). La chambre criminelle considère en
effet classiquement que tout retard injustifié dans la notification des droits porte atteinte aux intérêts de la personne
qu’elle concerne s’il n’est pas justifié par une circonstance
insurmontable (5).
La combinaison de l’exigence d’immédiateté de la notification des droits attachés à la prolongation d’une mesure
(2) Cass. 1re civ., 27 mai 2010, n° 09-12397 : Bull. civ. I, n° 122 ; RJPF, 1er sept.
2010, p. 15, obs. E. Putman ; AJ pénal 1er sept. 2010, p. 407, obs. J.-B. Perrier.
(3) Cass. crim., 27 juin 2000, n° 00-80411 : Bull. crim., n° 246.
(4) Cass. crim., 31 mai 2007, n° 07-80928 : Bull. crim., n° 146 ; RSC 2008,
p. 651, obs. J. Buisson ; Dr. pén. 2007, comm. n° 45, obs. V. Lesclous ; Dr.
pén. 2008, comm. n° 46, obs. V. Lesclous ; Procédures 2007, comm. n° 229,
obs. J. Buisson.
(5) Cass. crim, 14 déc. 1999, n° 99-84148 : Bull. crim., n° 302 ; Dr. pén. 2000,
comm. n° 39, obs. A. Maron ; Procédures 2000, comm. n° 44, obs. J. Buisson.
de garde à vue avec la circonstance insurmontable comme
seule cause de nature à justifier un retard dans la notification doit logiquement aboutir à ce que la tenue d’une
audition qui est en cours au moment où débute la prolongation de la garde à vue ne peut en aucune manière
permettre un report de la notification de ces derniers
droits, et notamment des droits à un examen médical et à
un entretien avec un avocat. La solution retenue par l’arrêt
du 1er décembre 2015 exige en effet, en pareille hypothèse,
de suspendre l’audition de la personne gardée à vue de
façon à ce que lui soient notifiés les droits attachés à la
prolongation de la mesure. Deux solutions sont alors
concevables après cette suspension. Soit la personne
dont la garde à vue a été prolongée ne demande pas à
bénéficier d’un nouvel examen médical ou d’un nouvel
entretien avec un avocat, auquel cas l’audition suspendue
devrait pouvoir reprendre. Soit, à l’opposé, cette personne
sollicite un nouvel examen médical ou un nouvel entretien avec un avocat. En pareille hypothèse, les enquêteurs
devront mettre en œuvre les diligences nécessaires au
nouvel examen médical selon les modalités prévues par
l’article 63-3 du Code de procédure pénale et, s’agissant du droit à l’entretien avec un avocat, suspendre, en
application de l’article 63-4, l’audition jusqu’à ce que cet
entretien ait pu avoir lieu. Étant précisé, toujours par référence à la solution adoptée par l’arrêt du 1er décembre
2015, d’une part, que le seul fait que l’information délivrée à la personne gardée à vue au moment du placement
initial fasse référence à une éventuelle prolongation de
la mesure ne saurait aucunement dispenser l’OPJ d’une
nouvelle délivrance des informations portant sur les droits
attachés à la prolongation au moment où celle-ci débutera, d’autre part, que la présence de l’avocat au cours
de l’audition pendant laquelle débute la prolongation de la
garde à vue ne peut valoir ni justification du retard dans la
notification des droits ou dispense de notification, ni nouvel entretien avec un avocat au sens de l’article 63-4 du
Code de procédure pénale. Dès lors, l’absence d’interruption de l’audition d’une personne gardée à vue au cours
de laquelle débute la prolongation de la mesure, avec
notification des droits à l’issue de ladite audition, a nécessairement pour conséquence de rendre cette notification
tardive et, naturellement, de rendre irrégulière la partie
de l’audition se poursuivant postérieurement à l’heure du
début de la prolongation.
II. UNE NOTIFICATION TARDIVE FAISANT
NÉCESSAIREMENT GRIEF AUX INTÉRÊTS
DE LA PERSONNE GARDÉE À VUE
La notification tardive des droits attachés à la prolongation de la garde à vue est une cause d’irrégularité qui doit
permettre l’annulation des auditions ou parties d’auditions
recueillies postérieurement au début de la prolongation.
À suivre la solution adoptée par l’arrêt du 1er décembre
2015, la nullité attachée à une telle irrégularité est une
nullité d’ordre public, c’est-à-dire sans grief à prouver.
La chambre criminelle a en effet approuvé les juges de la
chambre de l’instruction d’avoir considéré que l’absence
de notification des droits attachés à la prolongation de
la garde à vue a nécessairement fait grief à la personne
détenue, cette personne n’ayant pas été mise en mesure
de solliciter un second examen médical et un nouvel
entretien avec son avocat. Elle a également affirmé,
pour motiver le rejet du pourvoi, que « la notification à la
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25
Jur i s p r u de nc e
personne concernée des droits attachés à la prolongation
de la garde à vue est une condition d’effectivité de leur
exercice ». L’application du régime de la nullité sans exigence de la preuve d’un grief se trouve ainsi parfaitement
justifiée, l’absence de notification ou la notification tardive
des droits attachés à la prolongation de la garde à vue privant la personne qui fait l’objet de la mesure d’une chance
de solliciter la mise en œuvre de ces différents droits,
donc lui faisant nécessairement grief.
La solution adoptée par l’arrêt du 1er décembre 2015 quant
aux conséquences de l’absence de notification ou de la notification tardive des droits attachés à la prolongation de la
garde à vue appelle trois séries d’observations.
La sanction de la notification tardive des droits attachés à la
prolongation de la garde à vue s’inscrit, tout d’abord, dans
le droit fil de la jurisprudence de la chambre criminelle relativement à la sanction de l’absence de notification ou de
la notification tardive des droits attachés au placement en
garde à vue. S’agissant du placement initial, il est en effet
constamment jugé que l’OPJ a le devoir de notifier immédiatement les droits attachés au placement en garde à vue
et que tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable,
porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne
qu’elle concerne (6). Étant précisé que cette atteinte aux intérêts de la personne gardée à vue est caractérisée quand
bien même il n’aurait été procédé à aucune audition de
celle-ci entre le moment de son placement en garde à vue
et celui de la notification de ses droits (7), et que cette solution, qui est classique s’agissant de l’information relative
au droit à l’assistance d’un avocat et de la mise en œuvre
de ce droit à l’assistance, a été rappelée, pour ce dernier
droit, par un arrêt rendu le 21 octobre 2015 (8). La solution
adoptée par l’arrêt du 1er décembre 2015 reprend également, s’agissant plus spécifiquement de la notification
des droits attachés soit à une prolongation de garde à vue,
soit à un changement de régime de garde à vue, celle d’un
arrêt rendu le 24 juin 2009 à propos d’une enquête pour
trafic de stupéfiants (9). La chambre criminelle y avait en
effet jugé qu’encourt la cassation l’arrêt qui, pour écarter
l’exception de nullité de la garde à vue, retient qu’il a été
notifié à l’intéressé ses droits lors de son placement en
garde à vue pour une infraction de droit commun et que
l’entretien a bien eu lieu dans le délai légal, alors que la
notification du droit de s’entretenir avec un avocat à l’issue d’un délai de soixante-douze heures n’avait pas été
effectuée lors de la notification de l’application du régime
de garde à vue spécifique aux infractions de trafic de stu-
(6) Cass. crim., 30 avr. 1996, n° 69-82217 : Bull. crim., n° 182 ; RSC 1996,
p. 879, obs. J.-P. Dintilhac – Cass. crim., 3 déc. 1996, n° 96-84503 : Bull.
crim., n° 443 ; Procédures 1997. comm. n° 68, obs. J. Buisson – Cass. crim,
29 avr. 1998, n° 98-80121 : Bull. crim., n° 145 ; RSC 1998, p. 785, obs.
J.-P. Dintilhac ; Procédures 1998, comm. n° 265, obs. J. Buisson ; RGDP 1999,
p. 87, chron. D. Rebut – Cass. crim., 18 juin 1998, n° 98-81569 : Bull. crim.,
n° 200 ; Procédures 1999, comm. n° 15, obs. J. Buisson – Cass. crim., 14 déc.
1999, n° 99-84148, préc. – Cass. crim., 2 mai 2002, n° 01-88453 – Cass. crim.,
16 juin 2015, n° 14-87878.
(7) Cass. crim., 10 mai 2000, n° 00-81201 : Bull. crim., n° 182.
(8) Cass. crim., 21 oct. 2015, n° 15-81032 : Gaz. Pal. 7 nov. 2015, p. 19, n° 246v0,
note R. Mésa.
(9) Cass. crim., 24 juin 2009, n° 08-87241 : Bull. crim., n° 136 ; Gaz. Pal. 7 oct.
2009, p. 4, note R. Mésa ; Procédures 2009, comm. n° 427, obs. J. Buisson ; AJ
pénal 2009, p. 413, obs. J. Lasserre Capdeville.
26
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
péfiants. La chambre criminelle de préciser qu’une telle
irrégularité porte nécessairement atteinte aux intérêts
de la personne concernée (10). Il ne semble, s’agissant des
droits à l’information, qu’il n’y ait, en l’état actuel de la
jurisprudence de la chambre criminelle, que le droit à l’information sur le lieu de l’infraction reprochée qui échappe
au domaine de la présomption de grief (11).
“ L’arrêt du 1er décembre 2015 pose
nécessairement la question de la nature
de la nullité attachée aux irrégularités
relatives à l’examen médical, et plus
précisément celle de l’ouverture vers la
présomption de grief s’agissant de telles
irrégularités
”
Ensuite, et toujours s’agissant de la présomption de grief,
l’arrêt du 1er décembre 2015 a appliqué cette présomption
à propos de la notification tardive de l’ensemble des droits
attachés à la prolongation de la garde à vue. La question de
la portée de cette solution doit nécessairement être posée,
particulièrement s’agissant des situations dans lesquelles
l’absence de notification ou la notification tardive ne porterait pas sur l’ensemble des droits attachés à une telle
prolongation, mais uniquement sur l’information relative à
certains de ces droits, le cas échéant envisagés isolément.
Si, sur ce point, l’inclusion de la demande en annulation
pour absence de notification ou notification tardive du droit
à l’assistance de l’avocat dans le domaine des nullités
sans grief est à la fois incontestable et constante (12), ne
serait-ce que parce que les irrégularités portant atteinte
aux droits de la défense sont régulièrement sanctionnées
par une nullité d’ordre public en ce qu’elles sont considérées comme atteignant en elles-mêmes les intérêts de
la personne concernée (13), il n’en va pas nécessairement
ainsi à propos de l’information portant sur le droit à un
examen médical. La chambre criminelle a en effet déjà
refusé d’appliquer la présomption de grief à certaines
irrégularités qui ne touchent pas aux droits de la défense,
desquelles participe la violation de certaines règles relatives à l’examen médical (14). L’arrêt du 1er décembre 2015,
dont la solution est fondée sur le fait que la notification
des droits attachés à la prolongation de la garde à vue est
une condition de l’effectivité de l’exercice desdits droits,
et non sur le fait que ces droits participent des droits de la
défense, pose nécessairement la question de la nature de
(10) R. Mésa, « Garde à vue, comparution immédiate, évocation et détention provisoire en matière d’infractions à la législation sur les stupéfiants » : Gaz. Pal.
7 oct. 2009, p. 4, n° H5031.
(11) Cass. crim., 27 mai 2015, n° 15-81142 : Gaz. Pal. 9 août 2015, p. 33,
n° 236y4, obs. F. Fourment.
(12) R. Mésa, « Caractérisation et conséquences de la transgression du droit à l’assistance d’un avocat au cours de la garde à vue » : Gaz. Pal. 7 nov. 2015, p. 19,
n° 246v0.
(13) Cass. crim., 29 févr. 2000, n° 99-84899 : Bull. crim., n° 92 – Cass. crim.,
29 févr. 2000, n° 99-85573 : Bull. crim., n° 93 – Cass. crim., 19 déc. 2000,
n° 00-86715 : Bull. crim., n° 383 – Cass. crim., 10 mai 2001, n° 01-81441 :
Bull. crim., n° 119.
(14) Cass. crim., 25 févr. 2003, n° 02-86144 : Bull. crim., n° 50.
Jur ispr ude nc e
la nullité attachée aux irrégularités relatives à l’examen
médical, et plus précisément celle de l’ouverture vers la
présomption de grief s’agissant de telles irrégularités.
La dernière série d’observations s’agissant de la sanction
de la notification tardive des droits attachés à la prolongation de la garde à vue a trait à l’intervention de l’avocat.
Dans les faits qui ont donné lieu à l’arrêt du 1er décembre
2015, une audition était en cours au moment où la notification aurait dû avoir lieu, alors que la personne gardée
à vue était assistée de son avocat et que celui-ci n’avait
rien relevé, ni formulé la moindre observation, ce qui n’a
pas empêché le prononcé de la nullité. Il en ressort, d’une
part, que la seule présence de l’avocat n’a pas pour conséquence de légitimer une notification irrégulière des droits
attachés à la prolongation de la garde à vue. Il en ressort,
d’autre part, que l’avocat n’est aucunement obligé d’intervenir, s’il est présent au moment auquel la prolongation
de la garde à vue débute, pour exiger que la notification
des droits ait lieu ou pour invoquer le caractère tardif de
la notification, l’absence d’intervention de sa part n’ayant
pour conséquence ni de fermer la possibilité de requête en
annulation, ni d’écarter le jeu de la présomption de grief.
255c9
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J u ris pr udenc e
253x8
Chronique de jurisprudence de droit de la responsabilité
civile
253x8
L’essentiel
Sous la coordination de
Mustapha MEKKI
Agrégé des facultés
de droit, professeur à
l’université Sorbonne
Paris Cité (Paris 13),
directeur de l’IRDA,
enseignant au CFPNP
Consolider et clarifier : telle est la devise de la jurisprudence la plus récente de la
Cour de cassation en droit de la responsabilité civile.
Nombre de principes ont été, en premier lieu, consolidés. Le rôle de la cause est
particulièrement mis en exergue en matière d’assurance, quoiqu’en dise le projet
de réforme du droit des obligations, où elle demeure une technique utile et juste.
Sont encore consolidés les principes qui régissent la responsabilité du notaire qui,
si elle n’est pas subsidiaire comme le rappelle un arrêt de la Cour de cassation,
n’est pas pour autant envisageable en cas de restitution après anéantissement du
contrat faute de préjudice réparable. Est enfin consolidé le champ d’application de
l’obligation de sécurité de résultat en matière de transport, les accidents de quai
relevant de la responsabilité extracontractuelle.
Plusieurs décisions apportent, en deuxième lieu, de précieuses clarifications. À ce
titre, est précisée que la responsabilité de l’avocat ne peut être engagée pour ne
pas avoir mis en œuvre, par choix stratégique, un moyen inopérant. Est clarifiée
encore la place qu’il convient d’accorder aux barèmes, notamment en matière
de dommage corporel. Est clarifiée, en outre, la place des « poket bike » parmi
la catégorie des véhicules terrestres à moteur. Demain, enfin, c’est la condition
de lien de causalité dans le contentieux des vaccins contre l’hépatite B qui sera
clarifiée grâce à une question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l’Union
européenne.
PLAN
I. LE DROIT COMMUN DE LA
RESPONSABILITÉ CIVILE......................... p. 28
A. La responsabilité contractuelle............ p. 28
B. La responsabilité extracontractuelle......................................... p. 31
II. LE DROIT SPÉCIAL DE LA
RESPONSABILITÉ CIVILE........................ p. 34
A. Les régimes spéciaux............................ p. 34
B. Les responsabilités
professionnelles.................................... p. 36
I. LE DROIT COMMUN DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE
A. La responsabilité contractuelle
Juste cause contre injuste clause 254t0
1
L’essentiel La cause, appelée à disparaître au vu du dernier
projet de réforme du droit des contrats, démontre une fois
de plus son utilité. En l’occurrence, elle permet d’assurer la
cohérence des engagements réciproques en débarrassant
le contrat d’une clause privant de portée l’obligation d’une
partie. L’assureur ne peut ainsi limiter sa garantie à un
temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré.
Cass. 3e civ., 26 nov. 2015, no 14-25761, Sté Axa France IARD
c/ Sté Thelem, F–PB (cassation CA Paris, 10 sept. 2014),
M. Chauvin, prés. ; SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor,
SCP Sevaux et Mathonnet, av.
NDA : Le titre est inspiré, avec l’accord de l’auteur, de celui d’un article paru au
Dalloz, R. Boffa, « Juste cause (et injuste clause). Brèves remarques sur le projet de
réforme du droit des contrats » : D. 2015, p. 335 et s.
28
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
L
a cause n’a pas dit son
dernier mot. Le présent
Nathalie BLANC
arrêt en atteste. En l’esProfesseur à l’université
pèce, des époux ont conclu
Sorbonne Paris Cité
un contrat de construction
(Paris 13), directrice
du master 2 Droit des
de maison individuelle avec
affaires approfondi,
une société. Comme la loi
membre de l’IRDA
l’y oblige, cette société a
souscrit une assurance de
responsabilité civile professionnelle et de responsabilité
civile décennale ainsi qu’une assurance dommages-ouvrage. Les travaux de gros œuvre ont été sous-traités. Le
sous-traitant a également souscrit une assurance, cette
fois facultative. Aux termes de la police, la garantie de
l’assureur était limitée à une durée de dix ans à compNote par
Jur ispr ude nc e
ter de la réception. Au-delà des travaux de gros œuvre,
les maîtres de l’ouvrage ont confié directement au soustraitant la construction d’un mur de soutènement. Un
procès-verbal de réception sans réserves a été établi en
1995.
Se plaignant de fissures dans le mur de soutènement,
les maîtres de l’ouvrage ont déclaré le sinistre en
septembre 2004 auprès de la société assureur dommagesouvrage. Cette société leur a opposé un refus de garantie.
Une expertise lui donna tort : il fut établi que les désordres
provenaient d’un défaut affectant les fondations. Fort de ce
constat, les époux ont assigné en indemnisation l’entrepreneur principal ainsi que son assureur en ses qualités
d’assureur dommages-ouvrage, de responsabilité civile
professionnelle et de responsabilité civile décennale. Par
acte du 4 mai 2006, ce dernier a appelé en garantie l’assureur du sous-traitant. Les juges du fond ont condamné
l’assureur de l’entrepreneur principal à indemniser les
maîtres de l’ouvrage. Tirant les conséquences de la clause
stipulée dans la police souscrite par le sous-traitant, les
juges ont rejeté les demandes de l’assureur principal
contre l’assureur du sous-traitant en raison de leur tardiveté : l’assignation a été délivrée plus de dix ans après
la réception de l’ouvrage. Selon les juges du fond, « la
responsabilité du sous-traitant relevant d’une assurance
facultative, l’assureur [était] libre de fixer la durée de sa
garantie au délai de dix ans à compter de la réception des
travaux ». L’analyse est sèchement censurée par la Cour
de cassation au triple visa des articles 1131 du Code civil,
L. 124-1 et L. 124-3 du Code des assurances. Selon la troisième chambre civile, « toute clause ayant pour effet de
réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps
inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est
génératrice d’une obligation sans cause et doit être réputée non écrite ».
Le principe énoncé est clair : l’assureur ne peut pas limiter
la durée de la garantie à un temps inférieur à la responsabilité de l’assuré. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion
de se prononcer en ce sens en usant du même visa (1). La
décision appelle tout de même plusieurs remarques. Tout
d’abord, on peut relever qu’il s’agit là d’une extension de
la célèbre jurisprudence Chronopost en ce qu’on est bien
en présence d’une clause qui prive de portée l’obligation
essentielle d’une partie. La clause en présence constitue d’ailleurs une clause limitative puisque l’assureur
réduit la durée de sa garantie. La cause permet ainsi de
neutraliser des clauses stipulées dans un contrat entre
professionnels qui auraient été déclarées irréfragablement abusives si le contrat avait lié un professionnel et
un consommateur. Ensuite, il est certain que le caractère
facultatif de l’assurance – invoqué par l’assureur pour justifier la clause – n’y change rien : dès lors que le contrat a
été souscrit et les primes payées par l’assurée, ce dernier
doit pouvoir compter sur la contrepartie attendue. Cela dit,
en l’espèce, l’obligation de l’assureur n’était que partiellement sans cause puisque la garantie était due pendant
dix ans à compter de la réception des travaux. La Cour
de cassation n’entre pas dans ces nuances et prohibe de
manière générale toute clause du contrat d’assurance
qui réduit la durée de la garantie. La cause protège donc
efficacement les professionnels. Pour conclure, on peut
s’interroger sur le sort de telles clauses dans le futur. Le
projet de réforme du droit des contrats, comme chacun
sait, envisage de supprimer la cause. La solution seraitelle la même si le projet venait à être adopté ? On peut le
penser, deux textes venant au secours de l’assuré : l’article 1168 – qui dispose que « toute clause qui prive de sa
substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée
non écrite » – et l’article 1169 – qui prohibe les clauses
qui créent un déséquilibre significatif entre les droits
et obligations des parties. Ainsi, le projet ne paraît pas
susceptible de modifier la solution retenue par la jurisprudence en matière de contrat d’assurance. Mais pourquoi
garder les fonctions de la cause – en conservant ses différentes applications particulières – et faire disparaître la
notion de cause ? La cohérence du contrat d’assurance est
sauve, pas celle du droit des contrats.
(1) En ce sens, v. Cass. com., 14 déc. 2010, nos 08-21606 et 10-10738 : Bull. civ. IV,
n° 200 – Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 03-19820 – Cass. 2e civ., 2 avr. 2005,
n° 03-20683 : Bull. civ. II, n° 108 – Cass. 1re civ., 12 avr. 2005, n° 03-20980 :
Bull. civ. I, n° 185 – Cass. 1re civ., 16 déc.1997, n° 94-17061 : Bull. civ. I, n° 370.
L’irresponsabilité du transporteur de tramway en dehors du temps de l’exécution
du contrat de transport 254s1
1
L’essentiel Faisant application du principe selon lequel
l’obligation de sécurité pesant sur le transporteur en
vertu du contrat de transport commence à partir du moment où le passager commence à monter dans le véhicule
et cesse à partir du moment où il achève d’en descendre,
la Cour de cassation approuve une cour d’appel d’avoir
écarté la responsabilité du transporteur poursuivi sur ce
fondement en présence d’un accident survenu sur le quai
du tramway.
Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, no 14-16209, Mme X c/ Sté SETAO,
D (rejet pourvoi c/ CA Orléans, 17 févr. 2014), Mme Batut, prés. ;
SCP Didier et Pinet, SCP Monod, Colin et Stoclet, av.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
29
Jur i s p r u de nc e
A
lors qu’elle venait de descendre du tramway dans
Magali JAOUEN
lequel elle avait pris place,
Professeur à l’université
une personne avait fait une
de Valenciennes
chute sur les rails lui ayant
occasionné une fracture de la
rotule. Recherchant la responsabilité du transporteur, elle
s’était cependant vu déboutée de sa demande d’indemnisation des préjudices subis. La cour d’appel d’Orléans, dans un
arrêt du 17 février 2014 avait en effet estimé qu’en présence
d’un témoignage imprécis et alors que la chute s’était produite sur les rails, il y avait lieu d’en déduire que la personne
transportée avait achevé de descendre du tramway et avait
déjà posé les pieds sur le quai au moment de l’accident, ce
dont il résultait que le contrat de transport avait pris fin.
Elle avait alors conclu à l’absence de toute responsabilité
du transporteur. Saisie d’un pourvoi formé par la victime, la
Cour de cassation va cependant rejeter le moyen qui soutenait que l’obligation de sécurité du transporteur était encore
due dans la mesure où l’accident était survenu alors que la
personne transportée n’avait pas achevé de descendre du
tramway. La Cour de cassation approuve les juges du fond
d’avoir ainsi statué en décidant « qu’après avoir constaté
que la station de tramway où avait eu lieu l’accident était
équipée de quais de part et d’autre de l’emplacement où
s’arrêtait le véhicule, et retenu qu’après sa descente, Mme X
avait nécessairement parcouru quelques mètres avant de
choir sur les rails, la cour d’appel en a exactement déduit
que, le contrat de transport ayant pris fin lorsque Mme X avait
posé les pieds sur le quai de débarquement, l’obligation de
sécurité n’était plus due lorsque sa chute s’était produite
sur les rails du tramway ». Elle ajoute que « c’est par une
interprétation souveraine, exclusive de toute dénaturation,
rendue nécessaire par le caractère imprécis du témoignage,
que la cour d’appel a estimé qu’il n’était pas établi que Mme X
serait tombée en descendant du tramway ».
Très classique, cet arrêt ne fait que mettre en œuvre la règle
prétorienne constante selon laquelle le transporteur tenu sur
le fondement du droit commun contractuel – comme c’est le
cas en matière de tramway ou encore de transport ferroviaire
interne, faute de texte spécial – est débiteur à l’égard des personnes transportées et munies d’un billet d’une obligation
de sécurité de résultat en vertu de laquelle il s’engage à les
conduire saines et sauves à destination (1). Cette obligation de
sécurité n’existe toutefois que pendant l’exécution du contrat
de transport, période qui s’échelonne entre le moment où le
passager commence à monter dans le véhicule et celui où il
achève d’en descendre (2). Ce cantonnement de l’obligation de
sécurité à la seule phase d’exécution du contrat de transport
signifie-t-il pour autant l’absence de toute responsabilité du
transporteur pour les dommages survenus en dehors de cette
période, tels les accidents de quai ? Une réponse négative s’est
très vite imposée. Seul le fondement de cette responsabilité a
évolué dans un sens favorable à l’indemnisation des victimes.
Après avoir un temps retenu une responsabilité fondée sur une
Note par
(1) Règle posée par Cass. civ., 21 nov. 1911 : S. 1912, 1, 73, note Lyon-Caen.
(2) Cass. 1re civ., 1er juill. 1969 : Bull. civ. I, n° 260 ; D. 1969, p. 640, note G.
C.-M. ; JCP G 1969, II, 16091, concl. R. Lindon, note M. B. et A. R. ;
RTD civ. 1970, p. 184, obs. G. Durry.
30
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
obligation de sécurité de moyens (3), ce qui générait des inégalités de traitement insupportables entre les victimes selon
qu’elles étaient ou non munies d’un billet, la Cour de cassation
décide depuis 1989 que la responsabilité du transporteur en cas
d’accidents survenus par exemple dans l’enceinte de la gare et
notamment sur le quai peut être engagée sur le fondement
délictuel (4). La victime d’un accident de quai peut donc, qu’elle
soit ou non munie d’un billet, s’appuyer sur l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil et bénéficier d’un régime de responsabilité
de plein droit. Cette solution vaut-elle en matière de tramway ?
À la lecture de l’arrêt, on peut être frappé par la radicalité de
la solution qu’il contient. En effet, la responsabilité du transporteur est ici purement et simplement écartée au seul motif
qu’au moment de l’accident l’obligation de sécurité n’était plus
due, sans que la responsabilité délictuelle ne vienne prendre le
relais. Comment interpréter cette solution ? Est-ce parce que la
victime s’était placée exclusivement sur le terrain de l’obligation
de sécurité, sans soulever, à titre subsidiaire par exemple, le
fondement délictuel ? Or, en pareil cas, on sait que la Cour de
cassation retient que si l’article 12 du Code de procédure civile
oblige le juge à redonner aux faits et actes litigieux leur exacte
qualification, il ne lui fait pas obligation de changer la dénomination ou le fondement juridique de leur demande, sauf règles
particulières (5). Cette solution peut paraître contestable surtout
lorsqu’elle aboutit comme en l’espèce à faire jouer le principe
du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle
de manière trop rigide. L’obligation de sécurité rattachée au
contrat de transport n’a rien de spécifiquement contractuel et
son régime est très proche de celui bâti sur le fondement de
l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil. Il est regrettable que le
juge n’ait pas pallié cette carence de la victime.
Il demeure qu’une autre explication de l’arrêt doit être donnée. S’agissant d’un transport en commun, l’accident de
quai est en réalité un accident de la voie publique. Sauf à ce
que la gestion et l’entretien des infrastructures du domaine
public aient été confiés à la société chargée du transport,
c’est donc la collectivité publique propriétaire (la ville par
exemple) qui, seule, sera responsable pour les accidents
survenus sur le quai ou les rails du tramway. Faute d’informations précises dans l’arrêt, il n’est pas possible de
se prononcer sur ce point. À tout le moins peut-on relever
que, si tel était le cas, le conseil de la victime aurait alors dû
diriger l’action en responsabilité, à la fois contre le transporteur, sur le fondement de l’obligation de sécurité et contre
la collectivité publique devant le juge administratif. Cette
précaution s’imposait d’autant plus en l’espèce que, comme
la Cour de cassation le souligne, les témoignages étaient
imprécis en sorte qu’une incertitude planait sur le moment
exact de la réalisation de l’accident.
(3) Cass. 1re civ., 21 juill. 1970, n° 69-11758 : Bull. civ. I, n° 246. Sur les paradoxes de l’obligation de sécurité de moyens et les inégalités engendrées par cette
jurisprudence, v. not. P. Jourdain, « Le fondement de l’obligation de sécurité » :
Gaz. Pal. Rec. 1997, p. 1196.
(4) Cass. 1re civ., 7 mars 1989, n° 87-11493 : Bull. civ. I, n° 118 ; D. 1991, p. 1,
note P. Malaurie ; Gaz. Pal. Rec. 1989, 2, p. 632, note G. Paire ; RTD civ. 1989,
p. 548, obs. P. Jourdain.
(5) Cass. ass. plén., 21 déc. 2007, n° 06-11343 : Bull. civ. ass. plén., n° 10 ; D. 2008,
p. 1102, note O. Deshayes ; JCP G 2008, I, 138, n° 9, obs. S. Amrani-Mekki ;
JCP G 2008, II, 10006, note L. Weiller ; RDC 2008, p. 327, obs. A. Bénabent ; RDC 2008, p. 435, obs. Y.-M. Serinet ; Defrénois 15 juill. 2008, p. 1457
et s., n° 38802, note E. Savaux – V. déjà dans un cas où le fondement contractuel avait été soulevé au lieu du fondement délictuel, Cass. 1re civ, 21 févr. 2006,
n° 03-12004 : Bull. civ. I, n° 86 : RDC 2006, p. 816, obs. G. Viney.
Jur ispr ude nc e
B. La responsabilité extra-contractuelle
Application jurisprudentielle du barème de capitalisation de 2013 diffusé par la Gazette
du palais 254s5
1
L’essentiel La Cour de cassation relève que c’est dans
l’exercice de son pouvoir souverain qu’une cour d’appel a
fait application du barème de capitalisation qui lui a paru
le plus adapté à assurer les modalités de la réparation
des préjudices patrimoniaux de la victime pour le futur.
Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, nos 14-27243 et 14-27244, Sté Pacifica
et M. Y c/ M. X, PB (rejet pourvoi c/ CA Toulouse, 25 nov. 2014),
Mme Flise, prés. ; Me Balat, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP
Ghestin, av.
A
lors que doctrine et
praticiens relèvent en
Stéphane GERRYmaints domaines le déveVERNIÈRES
loppement des barèmes (1),
Professeur à l’université
le droit de la réparation
Grenoble-Alpes,
du dommage corporel se
CRJ EA 1965
présente comme un point
d’observation privilégié. S’y développent différents instruments permettant, au moyen d’une méthode objective
(ou à tout le moins supposée l’être), de proposer des
outils d’aide à la décision et d’uniformiser les pratiques
juridictionnelles sur l’ensemble du territoire. Toutefois,
sous l’expression de barème, se trouvent des réalités
différentes (2). L’on ne saurait ainsi confondre les « référentiels » d’indemnisation qui proposent une évaluation
pécuniaire des préjudices et qui émanent des fonds
d’indemnisation, des compagnies d’assurance ou encore
de réseaux de juridictions (3) et les barèmes de capitalisation qui déterminent une méthode de conversion d’une
rente en capital. Dans le premier cas, le barème sert à
la fixation d’une somme à partir de données factuelles ;
dans le second il s’agit de transformer une somme fixée
sous forme de rente en capital. Si les premiers suscitent
assurément davantage de réserves puisqu’ils emportent
un risque de standardisation de l’évaluation du dommage
qui pourrait compromettre le droit des victimes à une appréciation individualisée de leur situation (4), les formules
arithmétiques de conversion des seconds soulèvent également des difficultés. L’espèce ayant donné lieu à l’arrêt
du 10 décembre 2015 en est une illustration.
Note par
Le conducteur d’un scooter renversé par un véhicule demandait l’indemnisation de ses préjudices. Le conducteur
du véhicule, ainsi que son assureur, ont été condamnés
à payer à la victime la somme de 1 414 440, 43 €. Ils ont
alors formé un pourvoi en cassation. Pour l’essentiel, ils
(1) I. Sayn (dir.), Le droit mis en barèmes ?, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires,
2014.
(2) Sur ce point, O. Leclerc, in Le droit mis en barèmes ?, préc., spéc. p. 117 et s.
(3) Sur ces instruments, v. L. Maurin, « Le droit souple de la responsabilité civile » :
RTD civ. 2015, p. 517 ; F. Bibal, J.-D. Le Roy et M. Le Roy, L’évaluation du
préjudice corporel, LexisNexis, 2015, 20e éd.
(4) Parmi une doctrine abondante, S. Porchy-Simon, « L’utilisation des barèmes
en droit du dommage corporel au regard des principes fondamentaux du droit
de la responsabilité civile », in Le droit mis en barèmes ?, préc., spéc. p. 201 et s.
contestaient la méthode de conversion de la rente en capital et spécialement l’application, pour l’évaluation des
préjudices patrimoniaux permanents, du barème de capitalisation publié en mars 2013 par la Gazette du Palais (5).
Les critiques se concentraient sur le taux de l’inflation
retenu par le barème comme sur le principe même du
recours à un taux d’inflation. Selon les auteurs du pourvoi,
le recours à un taux d’inflation contredirait le caractère
actuel et certain du dommage. Ils ajoutent qu’il serait
sans lien de causalité avec le dommage dans la mesure
où l’inflation future est, dans son existence comme dans
son montant, un événement éventuel et hypothétique sans
lien de causalité direct avec le dommage. La Cour de cassation rejette le pourvoi en énonçant que « tenu d’assurer
la réparation intégrale du dommage actuel et certain de
la victime sans perte ni profit, c’est dans l’exercice de son
pouvoir souverain que la cour d’appel a fait application du
barème de capitalisation qui lui a paru le plus adapté à
assurer les modalités de cette réparation pour le futur ».
La solution appelle plusieurs observations. Premièrement,
l’on peut déduire de cet arrêt que la Cour de cassation n’est
pas hostile à l’utilisation formelle par les juges du fond
d’un barème. Sous cet aspect, la jurisprudence établit une
distinction entre le traitement contentieux des barèmes
de capitalisation et les référentiels. En effet, si la Cour de
cassation n’ignore pas l’utilisation des référentiels par
les juges du fond, elle censure, selon une démarche que
l’on pourra juger critiquable pour son manque de transparence (6), les arrêts qui en font une mention expresse (7).
Deuxièmement, les juges du fond avaient fait application du
barème de capitalisation réalisé par un actuaire et expert
judiciaire, diffusé en 2013 par la Gazette du Palais (8) qui,
bien que concurrencé par d’autres barèmes (9) y compris
les barèmes antérieurs de la Gazette du Palais (10), a déjà eu
les faveurs de plusieurs juridictions du fond (11). Il résulte
de l’arrêt que l’objection tirée du recours à l’inflation par
(5) Gaz. Pal. 28 mars 2013, p. 22, n° 123q5.
(6) L. Bloch, « Barèmes et tables de référence : chut… c’est interdit ! » : RCA
déc. 2013, n° 12, alerte n° 41.
(7) Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, n° 11-25988 : D. 2013, p. 2658, obs. S. PorchySimon – Rappr. : à propos de l’application d’un réferentiel en matière de pensions alimentaires, Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-25301 : Bull. civ. I, n° 203 ;
Dr. Famille 2013, comm. n° 162, J.-C. Bardout ; JCP G 2013, 1269, note
E. Bazin ; RTD civ. 2014, p. 77, obs. P. Deumier.
(8) C. Kleitz, « Barème de capitalisation : le millésime 2013 est arrivé » : Gaz. Pal.,
28 mars 2013, p. 3, n° 124e5.
(9) P. ex. le barème de capitalisation des assureurs diffusé par l’Association française
de l’assurance : Gaz. Pal. 7 juin 2014, p. 6, n° 182e2.
(10) M. Ehrenfeld, « Actualité jurisprudentielle sur le dommage corporel et le
grand handicap. La problématique des barèmes de capitalisation et le recours
des tiers payeurs » : Gaz. Pal. 7 août 2014, p. 19, n° 188s2.
(11) V. not. CA Versailles, 4 juill. 2013, n° 12/00935 : Gaz. Pal. 8 oct. 2013, p. 20,
n° 148u3, note D. Philopoulos – D’autres juridictions judiciaires se sont également ralliées au barème, p. ex. CA Paris, P. 2, ch. 3, 8 sept. 2014, nos 12/20668
et 12/21934 ainsi que le juge administratif, T. Leleu, « Les outils d’appréciation medico-légaux dans le contentieux de la responsabilité publique » :
AJDA 2014, p. 1816.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
31
Jur i s p r u de nc e
ce barème ne convainc pas la haute juridiction. La solution
doit être approuvée sur ce point tant la projection dans
le futur qu’entraîne la conversion de la rente en capital
mérite d’être adossée sur l’inflation (12). Troisièmement, la
Cour de cassation se garde bien de donner la préférence
au barème de capitalisation de la Gazette du Palais de 2013
quoiqu’elle relève que les juges du fond ont pris en compte
le barème qui leur a paru le plus adéquat. On pourra le regretter car les barèmes de capitalisation reposent sur des
méthodes de calcul distinctes qui peuvent, alors même
qu’ils sont appliqués à des sommes identiques, conduire
à des résultats très différents malmenant ainsi l’égalité
(12) V. P. Brun, « Capitalisation des préjudices futurs : quel barème appliquer ? » :
D. 2014, p. 47. Contra : CA Paris, 30 nov. 2012, n° 10/1724 : D. 2013,
p. 2213, note P. Brun, refusant la prise en compte de l’inflation future au motif
qu’elle reposait sur des données incertaines.
des victimes (13). Formulons alors le vœu que les pouvoirs
publics prennent parti pour une méthode de calcul uniforme. Il resterait alors à débattre du point de savoir si un
tel instrument devrait être indicatif ou impératif (14).
(13) A. Coviaux, « L’usage des barèmes de capitalisation ou l’avenir incertain des
victimes » : RLDC 2012, n° 4769.
(14) V. l’article 59, al. 2 in fine du Projet Terré sur la réforme de la responsabilité civile à propos de l’indemnisation au titre des gains professionnels futurs :
« Avec l’accord des parties, ou sur décision spécialement motivée, la rente peut
être convertie en capital selon une table déterminée par voir réglementaire ».
Preuve de la causalité (comme du défaut) par présomptions du fait de l’homme
et vaccin anti-Hépatite B : la Cour de cassation rend les armes ! 254r8
1
L’essentiel L’article 4 de la directive du 25 juillet 1985
s’oppose-t-il, dans le domaine de la responsabilité des
laboratoires pharmaceutiques du fait des vaccins qu’ils
produisent, à un mode de preuve selon lequel le juge du
fond, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, peut estimer que les éléments de fait invoqués
par le demandeur constituent des présomptions graves,
précises et concordantes, de nature à prouver le défaut du
vaccin et l’existence d’un lien de causalité de celui-ci avec
la maladie, nonobstant la constatation que la recherche
médicale n’établit pas de lien entre la vaccination et la
survenance de la maladie ?
Cass. 1re civ., 12 nov. 2015, no 14-18118, Consorts X c/ Sanofi
Pasteur MSD, FS–PBI (renvoi devant la Cour de justice de
l’UE CA Paris, 7 mars 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Bénabent et
Jéhannin ; SCP Gadiou et Chevallier, av.
L
es magistrats de la première chambre civile
Anne GUÉGAN-LÉCUYER
de la Cour de cassation
Maître de conférencesseraient-ils las de se proHDR à l’école de droit
noncer dans les contentieux
de la Sorbonne (Paris 1),
centre de recherche
initiés par ceux qui estiment
en droit privé de
que leurs pathologies, au
l’IRJS-André Tunc
premier rang desquelles la
sclérose en plaques, sont la
conséquence de leur vaccination contre l’hépatite B ? Telle
est l’interrogation qu’on peut formuler en découvrant l’arrêt rendu le 12 novembre dernier par lequel ils choisissent
de faire voyager jusqu’au Luxembourg des questions sur
lesquelles ils ne s’estimaient pas, jusqu’alors, illégitimes
à trancher.
Note par
Au cœur de ces questions, se trouve la preuve de la causalité dans une matière où il n’existe pas de certitude
scientifique quant au lien susceptible d’être établi entre la
32
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
vaccination anti-hépatite B et la sclérose en plaques dont
l’étiologie peine par ailleurs à faire l’objet d’un consensus
scientifique. En 2003, la Cour de cassation en avait tiré
comme conséquence que les demandeurs n’étaient pas
admis à apporter la preuve d’un lien de causalité, non plus
d’ailleurs que la preuve du défaut du vaccin, en recourant
au jeu des présomptions du fait de l’homme. Parce que
la preuve de la causalité ne pouvait être établie scientifiquement, elle ne le serait pas juridiquement, in specie (1).
Puis, par plusieurs arrêts rendus le 22 mai 2008, la Cour
de cassation fit évoluer sa position en jugeant que « si
l’action en responsabilité du fait d’un produit défectueux
exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, une telle preuve peut
résulter de présomptions, pourvu qu’elles soient graves,
précises et concordantes ». Si l’établissement d’une causalité juridique entre le défaut du vaccin et le dommage
aux fins d’une indemnisation n’était ainsi plus interdite
par l’incertitude scientifique, il n’en était pas pour autant
totalement libéré en ce sens que cette incertitude peut
rendre les juges du fond réticents à voir dans les indices
des présomptions utiles. Quoi qu’il en soit, le juge pouvait
désormais forger sa conviction à partir des éléments de
preuve qui lui seraient fournis par le demandeur.
Le contrôle que la Cour de cassation acceptait d’opérer
sur la causalité dans ce débat s’arrêtait là. Le champ
libre laissé au pouvoir souverain d’appréciation des juges
du fond ne tarda donc pas à faire apparaître qu’à partir
des mêmes éléments de preuve (notamment la proximité
temporelle entre l’apparition de la maladie et la vaccination, l’absence d’antécédents neurologiques chez la
victime), ils pouvaient ici être convaincus de la causalité
(1) Cass. 1re civ., 23 sept. 2003, n° 01-13063 : D. 2003, p. 2413, note Y.-M. Serinet et R. Mislawski et le point de vue de L. Neyret ; RTD civ. 2004, p. 101,
obs. P. Jourdain ; JCP G 2004, I, 101, nos 23 et s. obs. G. Viney ; Resp. civ. et
assur. 2003, chron. n° 28 par C. Radé.
Jur ispr ude nc e
et le plus souvent ne pas l’être, sans que leurs décisions
soient remises en cause par la Cour de cassation qui rejette les pourvois en s’appuyant sur le pouvoir souverain
d’appréciation (2).
Sur le terrain de la preuve encore, avec toujours en toile
de fond une tension perceptible entre causalité scientifique et causalité juridique (3), certaines solutions ont
permis d’attester d’un lien entre la causalité et la défectuosité, la Cour de cassation n’étant pas hostile à ce que la
preuve du défaut puisse se déduire de la preuve de la causalité. Il résulte ainsi d’un arrêt de la première chambre
civile de la Cour de cassation du 26 septembre 2012 que
les présomptions graves, précises et concordantes d’une
relation causale entre le vaccin et la pathologie peuvent
faire présumer la défectuosité de ce vaccin (4). En l’espèce,
avait été censurée la décision de la cour d’appel qui avait
admis l’existence de présomptions graves, précises et
concordantes permettant d’établir le lien causal entre la
maladie et la prise du produit, pour ensuite refuser d’examiner ces mêmes circonstances aux fins d’établissement
de la preuve du caractère défectueux du produit.
Ce sont les suites de cet arrêt qui ont conduit la Cour
de cassation à être saisi du pourvoi ayant donné lieu à
l’arrêt commenté. La cour d’appel de renvoi (CA Paris,
7 mars 2014) avait en effet rejeté les demandes qui cette
fois échouaient non seulement sur la preuve de la causalité mais aussi sur celle du défaut. Formant un pourvoi
en cassation, les ayants droit de la victime directe formulaient trois critiques, visant respectivement à remettre en
cause l’appréciation des juges du fond sur les éléments
de preuve apportés au soutien des présomptions graves,
précises et concordantes, l’exigence d’un lien de causalité
entre l’administration du produit et le dommage et l’importance accordée à l’absence de consensus scientifique
sur l’étiologie de la sclérose en plaques. Autrement dit,
il n’y avait là rien de très original, voire aucune véritable
(2) Emblématiques, Cass. 1re civ., 9 juill. 2009, n° 08-11073 : JCP G 2009, 308,
note P. Sargos ; RCA 2009, étude n° 13, note C. Radé ; Gaz. Pal. 13 août 2009,
p. 9, n° H4576, avis A. Legoux ; D. 2010, p. 50, obs. P. Brun ; RTD civ. 2009,
p. 723, obs. P. Jourdain – Cass. 1re civ., 25 nov. 2010, n° 09-16556 : D. 2010,
p. 2909, obs. I. Gallmeister ; D. 2010, p. 2825, édito F. Rome ; D. 2011,
p. 316, chron. P. Brun ; RTD civ. 2011, p. 134, obs. P. Jourdain ; JCP G 2010,
n° 1201, obs. P. Mistretta ; JCP G 2011, n° 79, note J.-S. Borghetti ; RCA 2011,
comm. n° 24, obs. C. Radé. Pour un bilan attestant d’un plus grand nombre de
décisions défavorables, v. P. Jourdain, RTD civ. 2013, p. 131 et 625.
(3) En atteste la formulation d’une exigence d’un double lien causal, un premier
entre le produit et le dommage puis un second entre le défaut et le dommage,
v. Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 12-20903 : D. 2013, p. 1717, obs. I. Gallmeister, note J.-S. Borghetti ; D. 2013, p. 1723, note P. Brun ; RTD civ. 2013,
p. 625, obs. P. Jourdain.
(4) Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-17738 : D. 2012, p. 2853, obs. I. Gallmeister, note J.-S. Borghetti ; D. 2012, p. 2376, entretien C. Radé ; D. 2012,
2013, p. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2013. p. 31, obs. P. Jourdain ; JCP G 2012, n° 1061, obs. P. Mistretta ; JCP G 2012, n° 1199, note
C. Quezel-Ambrunaz ; RCA 2012, comm. n° 350, obs. S. Hocquet-Berg – La
solution fut reproduite par Cass. 1re civ., 10 juill. 2013, n° 12-21314 : D. 2013,
p. 2311 ; D. 2013, p. 2306, avis C. Mellottée ; D. 2013, p. 2312, note P. Brun ;
D. 2013, p. 2315, note J.-S. Borghetti ; RDSS 2013, p. 938, obs. J. Peigné ;
RCA 2013, étude n° 6, par D. Bakouche.
question à laquelle la Cour de cassation n’avait pas déjà
répondu.
Elle décide pourtant de s’en remettre à la Cour de justice de
l’Union européenne (CJUE) et de lui poser trois questions.
Une question principale l’interroge sur le point de savoir
si, « dans le domaine de la responsabilité des laboratoires
pharmaceutiques du fait des vaccins qu’ils produisent »,
les exigences de la directive quant à la preuve du défaut,
du dommage et du lien de causalité entre le défaut et le
dommage (dont la charge pèse sur la victime) s’opposent
à un recours aux présomptions de l’homme pour prouver
le défaut comme le lien de causalité, « nonobstant l’absence de lien scientifiquement établi entre la vaccination
et la maladie ». Faut-il craindre une réponse de nature à
remettre en cause les solutions acquises depuis les arrêts
du 22 mai 2008 ? Avec optimisme, on peut se ranger à l’avis
exprimé par le professeur Suzanne Carval qui propose un
raisonnement fondé sur le principe d’autonomie procédurale des États membres pour conclure en faveur de la
compatibilité des présomptions de fait avec la directive (5).
Quant à la question de savoir si, en cas de réponse négative à la première question, la Cour de cassation peut
aller plus loin et consacrer une présomption de droit en
vertu de laquelle « l’existence d’un lien de causalité entre
le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la
victime serait toujours considérée comme établie lorsque
certains indices de causalité (…) sont réunis » (bref délai
entre l’injection et les premiers symptômes de la maladie,
absence de tout antécédent tant personnel que familial de
cette maladie), la réponse pourrait être différente. S’il est
en effet possible de convoquer à nouveau le principe d’autonomie procédurale, la présomption de droit pourrait être
davantage analysée comme une règle conduisant à mettre
la preuve du défaut et du lien de causalité à la charge du
producteur alors que l’article 4 de la directive veut la voir
supporter par la victime (6).
Que penser enfin de la question de savoir si, en cas de
réponse positive à la première question, « la preuve, à la
charge de la victime, de l’existence d’un lien de causalité
entre le défaut invoqué et le dommage par elle subi, ne
peut être considérée comme rapportée que si ce lien est
établi de manière scientifique » ? Le seul fait de la poser
suppose de pouvoir admettre l’inadmissible, c’est-à-dire
de mettre la causalité juridique définitivement au pas de
la causalité scientifique. Outre le fait qu’on cherchera en
vain la compétence de la CJUE pour le dire, les dommages
de masse rattachés aux drames sanitaires à répétition attestent des limites de la causalité scientifique (7).
(5) Contribution au colloque S. Carval, « La responsabilité du fait des produits
défectueux : 30 ans après la directive », Table ronde sur le lien de causalité : RCA
janv. 2016, à paraître.
(6) S. Carval, op. cit.
(7) Citant à ce propos l’exemple du Médiator, v. S. Carval, op cit.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
33
Jur i s p r u de nc e
II. L
E DROIT SPÉCIAL DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE
A. Les régimes spéciaux
Le « pocket bike » : Quand rouler n’est pas jouer 254s2
1
L’essentiel Une mini-moto (pocket bike) est un véhicule
terrestre à moteur au sens de l’article 1er de la loi du
5 juillet 1985 dès lors qu’elle se déplace sur une route au
moyen d’un moteur à propulsion avec faculté d’accélération. L’absence d’assurance automobile obligatoire est
sans incidence sur la qualification.
Cass. 2e civ., 22 oct. 2015, no 14-13994, M. Y c/ Sté MAAF, F–PB
(cassation partielle CA Aix-en-Provence, 11 déc. 2013), Mme Flise,
prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Bouzidi et Bouhanna,
SCP Rousseau et Tapie, av.
L
a notion de véhicule terrestre à moteur n’est
Mustapha MEKKI
pas définie par la loi n° 85677 du 5 juillet 1985, dite
loi Badinter. La loi dispose seulement qu’un véhicule terrestre à moteur doit être impliqué dans un accident de la
circulation (art. 1er). La jurisprudence a dû, elle-même,
déterminer les contours de cette notion. L’arrivée sur la
voie publique de nouveaux engins motorisés amène les
magistrats de la Cour de cassation à peaufiner les critères
d’identification. Par un arrêt rendu le 22 octobre 2015 (1),
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est
interrogée sur le sort qu’il fallait réserver aux mini-motos
également appelées « pocket bike » (moto de poche).
Note par
Une enfant âgée de six ans se trouvait en vacances chez
ses grands-parents. Alors qu’elle se trouvait sur une
« pocket bike » appartenant à un voisin, elle est victime
d’un accident en perdant le contrôle de la mini-moto et
en heurtant une remorque en stationnement. La mère de
l’enfant a agi en qualité de représentant légal et a assigné le propriétaire de la mini-moto en responsabilité. Le
propriétaire a appelé en garantie, notamment, la compagnie d’assurance auprès de laquelle il avait souscrit une
police d’assurance multirisque habitation. La compagnie
refuse de prendre en charge ce risque relevant d’un accident de la circulation soumis à la loi du 5 juillet 1985, ce
que confirment les juges du fond. Le pourvoi soutient que
l’absence d’obligation légale d’assurance et l’interdiction
d’un tel engin sur la voie publique y compris lorsqu’il a
été réceptionné (enregistrement et attribution d’un numéro de série) font obstacle à la qualification de véhicule
terrestre à moteur. La Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs que « dès lors, en se déterminant par la
seule circonstance que la mini-moto pilotée par Shirley X
se déplace sur route au moyen d’un moteur à propulsion
avec faculté d’accélération, pour en déduire qu’il s’agit
d’un véhicule relevant des dispositions de l’article 1er de la
loi du 5 juillet 1985, sans rechercher si ledit véhicule, non
réceptionné ni immatriculé, était ou non soumis à l’obligation légale d’assurance, la cour d’appel a privé sa décision
(1) Cass. 2e civ., 22 oct. 2015, n° 14-13994, F–PB.
34
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
de base légale au regard des articles L. 211-1 du Code
des assurances et des articles 1 et 4 de la loi du 5 juillet
1985 ».
En plein, l’arrêt confirme la conception extensive de la catégorie des véhicules terrestres à moteurs retenue par les
magistrats de la Cour de cassation. Les « pocket bike » ou
« mini-motos » se sont multipliées ces dernières années.
Depuis la loi n° 2008-491 du 26 mai 2008 (C. route, art.
L. 321-1-1 et L. 321-1-2), ils font partie des engins non
soumis à réception et ne peuvent circuler « sur les voies
ouvertes à la circulation publique ou les lieux ouverts à
la circulation publique ou au public ». Il s’agit d’une version miniature de motos de course de vitesse, souvent
dotées d’un carénage. Le cylindré de ces véhicules varie
entre 39 et 110 cm³ et leur vitesse est généralement de
25 km/h mais peut atteindre pour les modèles de compétition jusqu’à 130 km/h. On peut alors comprendre qu’ils
aient été intégrés à la catégorie des véhicules terrestres
à moteur par la Cour de cassation. Ils répondent bien à
la définition selon laquelle un véhicule terrestre à moteur
est un engin motorisé susceptible de se mouvoir par sa
propre force et capable de transporter des choses et/
ou des personnes (2). Certes, ces mini-motos ne sont pas
censées être utilisées hors d’une voie privée fermée à la
circulation mais cette donnée n’est pas dirimante. En effet,
ces engins rejoignent parmi une liste très importante les
moissonneuses batteuses (3), les voitures tondeuses (4), les
chariots élévateurs (5)… L’argument soulevé par le pourvoi selon lequel l’absence d’obligation légale d’assurance
excluait toute qualification de véhicule terrestre à moteur
avait peu de chance de convaincre car cette obligation
légale est distincte des conditions d’application de la loi
du 5 juillet 1985. Pourtant, un arrêt rendu par la deuxième
chambre civile de la Cour de cassation le 4 mars 1998 avait
pu laisser croire qu’une telle absence d’obligation légale
d’assurance pouvait avoir une incidence sur l’application
de la loi relative aux accidents de la circulation (6). À dire
vrai, l’intervention de l’accident sur une piste de manège
semble être le motif décisif de la solution, l’absence d’obligation légale d’assurance étant rappelée à titre informatif.
Cependant, dans un arrêt du 24 juin 2014, la Cour de cassation avait encore, incidemment, évoqué la soumission
(2) P. Malinvaud, D. fenouillet et M. Mekki, Droit des obligations, LexisNexis,
2014, 13e éd., n° 694, p. 545. Adde : Les développements éclairants de P. Brun,
Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 2014, 3e éd., nos 683 et s.,
p. 462 et s.
(3) Cass. 2e civ., 10 mai 1991, n° 90-11377.
(4) Cass. 2e civ., 24 juin 2004, n° 02-20208.
(5) Cass. 2e civ., 25 mai 1994, n° 92-19455.
(6) Cass. 2e civ., 4 mars 1998, n° 96-12242 : « S’agissant d’un accident survenu sur
la piste d’un manège pour enfants, ayant retenu que la voiture qui a heurté la
victime était un véhicule miniature réservé à des enfants en bas âge en dessous
de cinq ans, assimilable à un jouet et non soumis à l’obligation de l’assuranceautomobile obligatoire, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit qu’il
n’était pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985 ».
Jur ispr ude nc e
à l’assurance automobile obligatoire à propos d’une tondeuse autoportée : « la cour d’appel a exactement déduit
que cet engin était un véhicule terrestre à moteur au sens
de la loi du 5 juillet 1985, assujetti, comme tel à l’assurance automobile obligatoire ». Encore une fois, cette
affirmation incidente est sans portée car c’est la qualification de véhicule terrestre à moteur qui conditionne
l’assujettissement à une assurance automobile obligatoire
et non l’inverse. Dans l’arrêt commenté, en déclarant le
moyen inopérant, la Cour de cassation n’attache donc à
bon escient aucune importance à cet argument.
En creux, la décision de la Cour de cassation renseigne
sur les caractéristiques d’un véhicule terrestre à moteur.
L’engin « se déplace sur route au moyen d’un moteur à
propulsion avec faculté d’accélération ». La fonction de
déplacement sur route n’est pas déterminante à la lecture
des nombreux arrêts où la qualification de véhicule a été
retenue sans qu’il y ait à proprement parler déplacement
sur route. Que l’on songe au chariot élévateur, à la tondeuse à gazon autoportée ou à la moissonneuse batteuse.
Quant à la référence au moteur à propulsion avec faculté
d’accélération, il suscite plus d’interrogations. Tout
d’abord, cette solution ne remet pas en cause la jurisprudence qui qualifie de véhicule terrestre à moteur un engin
dont le moteur serait en panne. Cela a été jugé pour une
automobile (7) et cela a été confirmé pour un solex que le
propriétaire utilisait sans le moteur (8). Ce n’est donc pas la
dangerosité réelle de l’engin dont le moteur est en marche
qui emporte sa qualification de véhicule terrestre à moteur mais l’existence purement objective d’un moteur qu’il
soit en marche, à l’arrêt ou en panne. Quant à la faculté
d’accélération, ce détail permet de régler le sort des bicyclettes avec un moteur intégré qui se met en route dans
les côtes et peut aider le cycliste dans l’effort. Ces engins
n’ont pas cette capacité d’accélération et doivent, si l’on
suit le raisonnement de la Cour de cassation, être exclus
de la catégorie des véhicules terrestre à moteur.
Reste au législateur à prendre le relais de la Cour de cassation : si le pocket bike est un véhicule terrestre à moteur
ne serait-il pas temps d’imposer une assurance obligatoire ? Mais alors il faudra en autoriser la circulation sur la
voie publique ! Il n’est pas simple, on le voit, de mettre en
accord la loi du 5 juillet 1985 et le régime de l’assurance
obligatoire.
(7) Cass. 2e civ., 21 juill. 1986 : Gaz. Pal. Rec. 1986, p. 651, note F. Chabas.
(8) Implicitement, Cass. 2e civ., 13 janv. 1988, n° 86-19029 : Bull. civ. II, n° 14.
Inapplication de la responsabilité du fait des produits défectueux en présence
d’une atteinte au produit défectueux lui-même 254s8
1
L’essentiel La Cour de cassation retient, sur le fondement
de l’article 1386-2, alinéa 2, du Code civil, que le régime
de responsabilité du fait des produits défectueux ne s’applique pas à la réparation du dommage qui résulte d’une
atteinte au produit défectueux lui-même.
Cass. 1re civ., 14 oct. 2015, no 14-13847, Sté Hanse Yachts AG
c/ M. X et Sté Covéa Risks, PB (cassation partielle CA Aix-enProvence, 10 oct. 2013), Mme Batut, prés. ; Me Le Prado, SCP
Delaporte, Briard et Trichet, av.
A
ux termes de l’article 1386-2 du Code
Stéphane GERRYcivil, la responsabilité du
VERNIÈRES
fait des produits défectueux
s’applique à la réparation
au dommage résultant d’une atteinte à la personne ainsi
qu’à celle résultant d’une atteinte à un bien autre que le
produit défectueux lui-même lorsque le dommage excède
la somme de 500 € (1). Si la réparation des atteintes à la
personne ne pose pas de difficultés car elle est au cœur
du mécanisme protecteur de la directive européenne du
25 juillet 1985 à l’origine de la disposition, la réparation
des atteintes aux biens a été plus délicate à mettre en
place. Il a fallu réécrire le texte issu de la loi de transposition de 1998 car il ne comportait pas, contrairement
aux exigences européennes, de franchise permettant
d’exclure du champ de la responsabilité du fait des proNote par
(1) V. fixant cette somme, D. n° 2005-113, 11 févr. 2005, art. 1er.
duits défectueux les atteintes modestes aux biens (2). Il a
aussi fallu s’assurer de la conformité du droit français aux
exigences européennes dans la mesure où, contrairement
à l’article 9 de la directive de 1985, le législateur a fait le
choix de ne pas limiter la réparation d’un dommage causé
à une chose à la condition que celle-ci soit destinée à un
usage ou une consommation privée (3). C’est l’application
de ce texte, passé au double crible de la Cour de justice
de l’Union européenne, qui faisait l’objet de la discussion
En l’espèce, un voilier avait démâté alors que son propriétaire naviguait dans la baie de Bandol. Ce dernier ainsi que
son assureur ont assigné le fabricant du voilier en réparation des préjudices subis. La cour d’appel a condamné le
fabricant à réparer les dommages constitués par le coût
des travaux de remise en état du bateau ainsi que par les
pertes de loyers et le préjudice de jouissance résultant de
l’impossibilité de l’utiliser sur le fondement du régime de
responsabilité du fait des produits défectueux. Un pourvoi
a alors été formé par le fabricant. La Cour de cassation
censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 1386-2, alinéa 2,
(2) CJCE, 25 avr. 2002, n° C-52/00, Commission c/ France : Rec. CJCE 2002,
I, p. 3827 ; D. 2002, p. 2462, chron. C. Larroumet ; D. 2002, p. 1670, obs.
C. Rondey ; D. 2002, p. 2935, obs. J.-P. Pizzio ; Contrats, conc. consom. 2002,
chron. n° 20, obs. C. Laporte ; RTD civ. 2002, p. 523, obs. P. Jourdain ; RTD
civ. 2002, p. 868, obs. J. Raynard ; RTD com. 2002, p. 585, obs. M. Luby.
Adde : G. Viney, « L’interprétation par la CJCE de la directive du 25 juillet 1985
sur la responsabilité du fait des produits défectueux » : JCP G 2002, I, 177.
(3) CJUE, 4 juin 2009, n° C-285/08 ; Rec. CJUE 2009, I, p. 04733 ; JCP G 2009,
spéc. n° 27, note P. Jourdain ; D. 2009, p. 1731, note J.-S. Borghetti ; D. 2009,
p. 2047, note J. Rochfeld ; RDC 2009, p. 1381, note G. Viney et note
C. Aubert de Vincelles.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
35
Jur i s p r u de nc e
du Code civil dont il résulte que le régime de responsabilité
du fait des produits défectueux ne s’applique pas à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte au produit
défectueux lui-même. Elle en déduit que la cour d’appel a
violé la disposition dès lors qu’il n’était pas constaté que la
défectuosité du produit consistait en un défaut de sécurité
ayant causé un dommage à une personne ou à un bien
autre que le produit défectueux lui-même.
Si l’argumentation de la cour d’appel paraissait assurément vouée à la censure, la décision n’en demeure pas
moins intéressante car elle permet de rappeler que la responsabilité du fait des produits défectueux n’a pas vocation
à se substituer aux garanties issues du droit commun de
la vente et, spécialement, à la garantie des vices cachés.
Or c’est précisément le rôle qu’elle a pu remplir dans un
arrêt du 1er juillet 2015 qui, en retenant une conception
très extensive du domaine de la responsabilité du fait des
produits défectueux (4), a apporté un remède à la prescription de l’action en garantie des vices cachés (5).
(4) Rappr. pour une application de la responsabilité du fait des produits défectueux en cas de risque de dommage, CJUE, 5 mars 2015, nos C-503/13 et
C-504/13 ; D. 2015, p. 1247, note J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2015, p. 407, obs.
P. Jourdain ; JCP G 2015, 543, note L. Grynbaum ; RDC 2015, p. 466, note
G. Viney – Contra : Cass. 1re civ., 19 déc. 2006, n° 05-15719.
(5) Cass. 1re civ., 1er juill. 2015, n° 14-18391 : D. 2015, p. 2227, note B. Girard ;
Gaz. Pal. 22 oct. 2015, p. 15, n° 243w3, note M. Jaouen ; Contrats,
conc. consom. 2015, comm. n° 251, note L. Leveneur ; RCA 2015, comm.
n° 295, note L. Bloch ; RDC 2015, p. 852, obs. J-S. Borghetti à propos des
défauts d’une bouteille de vin pouvant provoquer l’apparition de débris de verre.
B. Les responsabilités professionnelles
Moyen de défense inopérant et stratégie judiciaire de l’avocat : l’immunité confirmée
1
254s3
L’essentiel La Cour de cassation rappelle qu’un avocat
n’engage pas sa responsabilité professionnelle en ne
soulevant pas un moyen de défense inopérant.
Cass. 1re civ., 28 oct. 2015, no 14-24616, M. X c/ Sté Allianz, PB
(cassation sans renvoi CA Toulouse, 10 mars 2014), Mme Batut,
prés. ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Waquet, Farge et
Hazan, av.
C
omme elle avait déjà eu
l’occasion de le préciser
Magali JAOUEN
dans un arrêt très commenté du 31 janvier 2008 (1),
la Cour de cassation rappelle qu’« un avocat n’engage
pas sa responsabilité professionnelle en ne soulevant pas
un moyen de défense inopérant ». En l’espèce, plusieurs
avocats avaient été chargés successivement de la défense
des intérêts du nu-propriétaire d’un immeuble dans le
cadre d’une procédure de saisie engagée par l’administration fiscale. L’immeuble ayant été vendu aux enchères
publiques, le nu-propriétaire avait alors agi en responsabilité contre l’avocat qui l’avait assisté jusqu’à l’issue
de la procédure en lui reprochant d’avoir omis d’invoquer
en temps utile un vice de fond tiré de la clause d’inaliénabilité de l’immeuble. Cette demande fut accueillie tant
en première instance qu’en appel. La cour d’appel de
Toulouse avait, par un arrêt du 10 mars 2014, retenu que
« nonobstant la jurisprudence selon laquelle, conformément à l’article 727 de l’ancien Code de procédure civile,
les moyens de nullité tant en la forme qu’au fond doivent
Note par
(1) Cass. 1re civ., 31 janv. 2008, n° 04-20151 : Bull. civ. I, n° 31 ; JCP G 2008, II,
10074, note H. Slim ; JCP G 2009, n° 40, p. 295, obs. G. Pillet ; D. 2008,
p. 1448, note A. Aynès ; RTD civ. 2008, p. 442, obs. P. Deumier.
36
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
être proposés à peine de déchéance, par un dire déposé
cinq jours au plus tard avant le jour initialement fixé pour
l’audience éventuelle et qu’il n’est au pouvoir ni des parties ni du tribunal de modifier la date de cette audience
fixée dans la sommation [l’avocat] aurait dû soulever,
en vue de l’audience éventuelle qui s’est tenue après
plusieurs remises, le moyen tiré de l’inaliénabilité de l’immeuble ». Les juges du fond en avaient alors déduit qu’en
ne soulevant pas un tel moyen, l’avocat avait commis une
faute ayant fait perdre à son client une chance d’éviter la
vente aux enchères de son bien. Sur le pourvoi incident
formé par l’avocat, la Cour de cassation prononce la cassation sans renvoi de cet arrêt au visa de l’article 1147
du Code civil. Pour la Cour de cassation, la responsabilité de l’avocat « ne pouvait être retenue pour ne pas
avoir soumis à l’appréciation du juge un moyen irrecevable en raison de la déchéance encourue de plein droit
conformément aux dispositions alors en vigueur et à une
jurisprudence constante ». L’avocat poursuivi n’ayant été
en charge du dossier que postérieurement à la date fixée
pour l’audience éventuelle, il n’avait pu invoquer un vice
de fond tiré de la clause d’inaliénabilité dans les temps
et formes requises par l’article 727 de l’ancien Code de
procédure civile tel qu’interprété par une « jurisprudence
constante » de la Cour de cassation. Irrecevable, le moyen
était donc inopérant, ce dont il résultait que l’avocat
n’avait pas l’obligation de le soulever.
Si l’avocat est tenu de mettre ses compétences au service
de son client et de faire preuve de toutes diligences utiles
pour assurer la défense de ses intérêts (2), il dispose toutefois d’une certaine marge de manœuvre pour élaborer
la stratégie judiciaire qui lui paraît la plus appropriée à
(2) V. not. H. Slim, note préc.
Jur ispr ude nc e
cette fin (3). Et, de ce point de vue, il y a lieu d’approuver
la solution retenue dans cet arrêt qui préserve la liberté
des avocats tout en évitant une extension illimitée de leur
responsabilité (4). Le moyen inopérant étant défini comme
celui qui n’est susceptible d’avoir aucune influence sur
l’issue du litige, l’avocat qui ne le soulève pas ne fait, par
définition, perdre aucune chance à son client. Autrement
dit, cette appréciation portée sur le terrain de la faute
trouve un écho dans la manière dont est appréhendé le
préjudice réparable en cas de manquement de l’avocat à
sa mission d’assistance. Frappée du sceau du bon sens,
cette solution a en outre le mérite d’assurer une certaine
cohérence du régime de la responsabilité des avocats,
la Cour de cassation retenant à l’inverse qu’un avocat
engage sa responsabilité s’il n’a pas soulevé un moyen
qui était de nature à prospérer, faisant ainsi perdre à son
client une chance sérieuse (5). Toute la difficulté tient alors
dans la détermination du caractère inopérant ou pertinent
d’un moyen. La responsabilité de l’avocat est appréciée
au regard du « droit positif » existant au moment de son
intervention (6), ce qui implique qu’il doive tenir compte,
non seulement d’un revirement de jurisprudence acquis
(3) En ce sens égal., v. G. Pillet, note préc.
(4) En ce sens, v. not. F. Buy, note préc.
(5) V. not. Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n° 02-19286 – Cass. 1re civ., 22 nov. 2007,
n° 04-19774 : Bull. civ. I, n° 364.
(6) En ce sens, v. déjà pour le notaire, Cass. 1re civ., 7 mars 2006, n° 04-10101 :
Bull. civ. I, n° 136 ; RTD civ. 2006, p. 521, obs. P. Deumier. Pour l’avocat,
v. not. Cass. 1re civ., 14 mai 2009, n° 80-15899 : Bull. civ. I, n° 92 ; JCP G 2009,
I, p. 15, obs. G. Pillet et p. 94, note H. Slim ; RTD civ. 2009, p. 493, obs.
P. Deumier ; LPA 10 août 2009, p. 10, note J.-F. Barbièri ; RDC 2009, p. 1373,
obs. S. Carval.
à cette époque (7), mais aussi de l’évolution jurisprudentielle prévisible (8). Le caractère opérant ou non d’un moyen
s’avère donc assez fluctuant. En l’espèce, la Cour de cassation se réfère à la « jurisprudence constante », étant
précisé qu’elle ne vise par-là que de sa propre jurisprudence. À cet égard, il est intéressant de relever les motifs
avancés par les premiers juges pour retenir la responsabilité de l’avocat : répondant à l’argument de l’avocat qui
invoquait la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur le respect du délai fixé par l’article 727 de l’ancien
Code de procédure civile, les juges du fond ont souligné
que « les décisions de justice même émanant de la Cour
de cassation n’ont pas force de loi » et que « de surcroît »
dans d’autres espèces la solution contraire aurait déjà été
retenue. On entrevoit sans peine les graves incertitudes
qui planeraient sur la responsabilité des avocats et de
l’ensemble des professionnels du droit si l’appréciation
de leur comportement professionnel devait s’effectuer
sur des bases aussi mouvantes. Bien qu’elle-même incertaine, la référence à la « jurisprudence constante » paraît
préférable.
(7) Comp. : arrêt préc. Cass. 1re civ., 31 janv. 2008, moyen inopérant au regard
d’un revirement de jurisprudence intervenu postérieurement à l’arrêt d’appel.
(8) Cass. 1re civ., 4 juin 2014, n° 13-14363 : Bull. civ. I, n° 99 ; Gaz. Pal.
10 juill. 2014, p. 20, no 186u3, note M. Jaouen ; JCP G 2014, 1093, spéc.
n° 43, note G. Pillet.
Subsidiaire ne rime pas avec notaire… 254t1
1
L’essentiel Le notaire n’est pas un responsable subsidiaire. Tel est, en substance, le principe énoncé par la
Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 25 novembre 2015.
Ainsi, dès lors que le notaire instrumentaire a commis
une faute, la partie lésée peut mettre en jeu sa responsabilité, même si elle dispose d’un recours contre un autre
débiteur.
Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, no 14-26245, SCP Mathieu X
c/ Sté Élevage d’Ermont, F–PBI (rejet pourvoi CA Bordeaux,
19 nov. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton,
SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, av.
L
a responsabilité des professionnels du droit, y
Nathalie BLANC
compris celle des notaires,
n’est pas subsidiaire. Si le
principe affirmé par la Cour de cassation paraît logique,
sa confrontation aux conditions de la responsabilité civile
peut laisser perplexe. Pour le comprendre, il importe de
rappeler les circonstances du litige ayant donné lieu à
l’arrêt du 25 novembre 2015.
Note par
En l’espèce, un fonds de commerce est cédé. L’acte
authentique est dressé en mars 2010 mais prévoit une
jouissance rétroactive en janvier, le cessionnaire ayant
pris effectivement possession du fonds à cette date.
L’acte comprend la clause suivante : « le cédant déclare
qu’il n’existe au 1er janvier 2010 aucune procédure de
licenciement. Le cessionnaire déclare avoir procédé au
licenciement de Mme Z au cours du mois de janvier 2010.
Le cessionnaire déclare vouloir faire son affaire personnelle de cette situation sans recours contre le vendeur ».
L’ancien salarié, invoquant l’irrégularité de son licenciement, saisit le Conseil des prud’hommes. Après avoir
constaté que le cédant avait la qualité d’employeur au jour
du licenciement, le tribunal condamne ce dernier à payer
diverses sommes au salarié licencié.
Au lieu d’agir contre le cessionnaire, en se fondant sur la
clause stipulée dans l’acte de cession du fonds de commerce, le cédant assigne le notaire pour manquement à
son devoir de conseil et pour ne pas avoir assuré l’efficacité de l’acte dressé. Sa responsabilité est admise pour
manquement à son obligation de conseil. Selon les juges
du fond, le notaire n’aurait pas éclairé le cédant « sur la
portée exacte de la clause convenue qui ne permettait pas
de faire supporter, en toute hypothèse, au cessionnaire
les conséquences financières du licenciement ». Ce faisant, l’officier public aurait, par sa faute, privé le cédant
de la possibilité « de convenir avec le cessionnaire d’une
clause efficace en ce sens ». Le préjudice subi par le cédant consiste en la « perte d’une chance (…) d’obtenir de
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
37
Jur i s p r u de nc e
son cocontractant la prise en charge des condamnations
prononcées à son encontre du fait d’un licenciement qu’il
n’avait pas lui-même décidé ainsi que des frais d’avocat
qu’il a dû exposer pour assurer sa défense devant la juridiction prud’homale ».
Le notaire se pourvoit en cassation et fonde principalement ses critiques sur l’absence de préjudice direct, actuel
et certain. En l’occurrence, c’est le caractère certain du
préjudice qui semble faire défaut. Le notaire soutient ainsi
que le cédant n’a subi aucune perte de chance définitive
puisqu’il dispose d’un recours contre son cocontractant
lui permettant d’obtenir le remboursement des indemnités versées à l’ancienne salariée. Non convaincue, la
Cour de cassation rejette le pourvoi. Par un moyen de pur
droit soulevé d’office, elle juge que « la responsabilité des
professionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire, de sorte que la mise en jeu de la responsabilité
d’un notaire, dont la faute n’est pas contestée, n’est pas
subordonnée à une poursuite préalable contre un autre
débiteur et qu’est certain le dommage subi par sa faute,
quand bien même la victime disposerait, contre un tiers,
d’une action consécutive à la situation dommageable
née de cette faute et propre à assurer la réparation du
préjudice ».
La solution n’est pas nouvelle. Par plusieurs décisions
antérieures, la haute juridiction a statué en ce sens au
sujet d’un avocat (1) mais aussi d’un notaire. S’agissant du
notaire, les arrêts rendus paraissaient davantage contradictoires (2), certains semblant admettre une certaine
subsidiarité (3), quand d’autres l’excluaient totalement (4).
Le présent arrêt réaffirme sans nuance le principe selon
lequel la responsabilité d’un professionnel du droit, et
notamment d’un notaire, ne présente pas un caractère
subsidiaire. Autrement dit, le notaire n’est pas un garant
secondaire qui pourrait faire valoir le bénéfice de discussion : le client qui subit, par sa faute, un préjudice peut
agir immédiatement contre lui sans avoir à agir préalablement contre un autre débiteur potentiel. En soi, la solution
(1) V. not. Cass. 1re civ., 5 févr. 1991, n° 89-13528 : Bull. civ. I, n° 46 : « le moyen,
qui tend à faire reconnaître à la responsabilité de l’avocat un caractère subsidiaire
qu’elle ne possède pas, ne peut être accueilli » – Cass. 1re civ., 19 déc. 2013,
n° 13-11807 : Bull. civ. I, n° 254 ; Y. Avril, « La responsabilité d’un professionnel
du droit n’est pas subsidiaire » : D. 2014, p. 256.
(2) Sur l’admission d’une certaine subsidiarité, v. par ex. Cass. 1re civ., 2 avr. 1997,
n° 94-20352 : Bull. civ. I, n° 116 ; RTD civ. 1997, p. 665 – Cass. 1re civ., 7 nov.
2000, n° 98-13432 : Bull. civ. I, n° 277 ; D. aff. 2000, p. 435, obs. L. Aynès ;
Defrénois 28 févr. 2001, p. 258, obs. J.-L. Aubert.
(3) Sur l’exclusion de toute subsidiarité, v. Cass. 1re civ., 13 févr. 1996, n° 93-18809 :
Bull. civ. I, n° 81 – Cass. 1re civ., 26 oct. 2004, n° 02-20471, F–D : Defrénois
30 déc. 2004, p. 1738, n° 38073, obs. J.-L. Aubert.
(4) Sur cette confusion, v. P. Jourdain, « Certitude du préjudice et responsabilité
notariale (suite) : la confusion s’installe, une clarification s’impose » : RTD civ.
2005, p. 401 ; Adde : Y. Avril, op. cit., loc. cit.
38
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
ne surprend pas. En l’espèce, la faute du notaire était incontestable. La clause insérée dans l’acte de cession du
fonds de commerce s’est en effet révélée inefficace en ce
qu’elle n’a pas permis d’éviter tout recours de l’ancien
salarié licencié contre le cédant alors pourtant que tel
était l’objectif poursuivi par les parties. Sa faute résulte
donc à la fois d’un manquement à son devoir d’assurer
l’efficacité de l’acte dressé et à son devoir de conseil. En
l’espèce, il aurait dû expliciter davantage la portée de la
clause stipulée qui, en vertu du principe de l’effet relatif
du contrat, n’empêchait évidemment pas le salarié d’agir
contre le cédant.
C’est l’existence d’un préjudice, direct, actuel et certain qui
soulève davantage de difficultés. Et c’était justement sur
ce point que se fondait le notaire demandeur au pourvoi.
Son analyse était simple : dès lors que le cédant disposait
d’un recours contre le cessionnaire, sa perte de chance
n’était pas définitive et donc pas certaine. L’argument
semblait fondé. La perte de chance consiste en effet en la
disparition d’une espérance future. Or, en l’espèce, cette
éventualité favorable ne paraissait pas avoir disparu, du
moins définitivement, puisqu’un recours contre le cessionnaire, fondé sur la clause stipulée à l’acte, pouvait
être admis. L’argument est pourtant balayé par la haute
juridiction qui juge : « qu’est certain le dommage subi par
sa faute, quand bien même la victime disposerait, contre
un tiers, d’une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation
du préjudice ». La formule dont use la Cour de cassation
est éclairante. Elle se réfère à la situation dommageable
née de la faute du notaire. Cette situation dommageable
réside dans l’indemnisation de l’ancien salarié et résulte
de l’inefficacité de la clause. Comme l’a parfaitement
explicité un auteur, « à chaque fois que le notaire a mis
par sa faute un créancier dans une situation désavantageuse ou a créé un risque de perte, il doit en supporter les
conséquences préjudiciables, même si la victime dispose
d’actions contre des tiers » (5).
(5) P. Jourdain, op. cit., loc. cit.
Jur ispr ude nc e
Responsabilité du notaire : restituer n’est pas réparer 254s7
1
L’essentiel La restitution d’un dépôt de garantie consécutive à la nullité d’un bail commercial n’est pas en soi un
préjudice indemnisable. Le notaire, garant subsidiaire de
la restitution due au seul créancier en cas de défaillance
du débiteur, ne peut pas être condamné à en garantir le
bailleur quand bien même il serait insolvable.
Cass. 1re civ., 28 oct. 2015, no 14-17518, SCP Y, B, Z, A
c/ Sté GLB, PB (cassation partielle sans renvoi CA Douai, 29 nov.
2012), Mme Batut, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP
Waquet, Farge et Hazan, SCP de Chaisemartin et Courjon, av.
R
estitutions et responsabilité civile sont à
Mustapha MEKKI
l’honneur depuis ces derniers mois. Accolées à la
responsabilité du notaire, cela donne l’occasion de rappeler un principe constant quoique malmené : la restitution
n’est pas une réparation.
Note par
Une société commerciale acquiert un droit au bail portant sur un bail à usage mixte. Le bailleur lui consent,
par acte authentique, un nouveau bail mais cette fois à
usage exclusivement commercial. La société preneuse
demande quelques années plus tard la nullité du contrat
pour violation de l’article L. 631-7 du Code de commerce.
Le changement d’affectation conventionnel des locaux
d’habitation n’a en effet pas été précédé d’une autorisation
administrative. Le bailleur, assigné en nullité et devant
restituer le dépôt de garantie en raison de la nullité du
bail, appelle en garantie le notaire. La cour d’appel prononce la nullité du bail, condamne le bailleur à restituer
le dépôt de garantie et déclare le notaire garant de l’ensemble des condamnations consécutives à l’annulation. La
décision est légitimement cassée : « Qu’en statuant ainsi,
alors que la restitution du dépôt de garantie consécutive à
la nullité d’un bail commercial ne constituant pas en soi un
préjudice indemnisable, le notaire, garant subsidiaire de la
restitution envers la seule partie qui en est créancière, en
cas de défaillance avérée de celle qui en est débitrice, ne
pouvait être condamné à en garantir le bailleur, celui-ci
fût-il insolvable, la cour d’appel a violé » l’article 1382 du
Code civil.
La Cour de cassation rappelle que si restitution n’est pas
réparation, elle le devient lorsqu’elle s’avère impossible.
Restitution n’est pas réparation car la première repose
sur un principe objectif : le rétablissement d’un équilibre
rompu entre les patrimoines (1). Le dépôt de garantie à la
suite du prononcé de la nullité du contrat au même titre
qu’une restitution d’une partie du prix en cas d’erreur de
mesurage sont de simples restitutions et ne relèvent pas
du droit de la responsabilité. Par conséquent, le notaire
n’est pas « responsable » en raison de l’absence d’un
quelconque préjudice indemnisable (2), ce que rappelle
clairement l’arrêt commenté.
Cependant, on sait que ce principe a connu quelques tempéraments depuis un arrêt rendu par la première chambre
civile de la Cour de cassation le 28 janvier 2015 par lequel il
a été jugé que si la restitution d’une partie du prix à la suite
d’une erreur de mesurage n’est pas en soi un préjudice,
elle peut constituer une perte de chance de vendre le bien
au prix demandé et justifier une indemnisation à la charge
du diagnostiqueur fautif (3). Le projet de réforme du droit
des obligations, de son côté, qui consacre un chapitre V
(art. 1353 et s.) aux restitutions ne devrait pas clarifier
la situation, car au lieu de concevoir le mécanisme des
restitutions de manière purement objective, il intègre un
régime variable de restitutions en fonction de la faute ou
de la mauvaise foi du débiteur, brouillant encore les pistes
entre restitution et réparation.
En revanche, si la restitution est impossible, ce fait génère
un préjudice certain pour le locataire ou l’acheteur qui devient alors indemnisable (4). C’est pourquoi le notaire peut
voir dans cette hypothèse sa responsabilité engagée au
fondement de l’article 1382 du Code civil (5). Cette solution
n’est pas remise en cause par l’arrêt commenté. La Cour
de cassation prend la peine de préciser que le notaire est
garant de la restitution qui est due au créancier, à savoir
le locataire. En revanche, il n’est pas garant du bailleur
quand bien même il serait insolvable. C’est ainsi l’appel
en garantie réalisé par le bailleur qui est ici rejeté non
le principe d’une garantie offerte par le notaire sur demande du locataire. Le principe est sauf : restituer n’est
pas réparer.
253x8
(1) En ce sens, v. C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité,
LGDJ, 1992.
(2) Cass. 3e civ., 25 oct. 2006, n° 05-17427 : RTD. civ. 2007, p. 333, obs. J. Mestre
et B. Fages – Adde : Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, n° 13-16290.
(3) Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-27397 : JCP G 2015, 216, note G. Viney ;
D. 2015, p. 320, obs. N. Le Rudulier ; LEDC mars 2015, p. 7, n° 047, obs.
M. Caffin-Moi ; Gaz. Pal. 16 avr. 2015, p. 15, n° 220g6, obs. M. Mekki. Adde :
F. Rouvière, « La distinction entre restitution et indemnisation » : D. 2015,
p. 657, pour qui l’absence de distinction entre restitution et réparation est
opportune.
(4) Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n° 01-16382 : D. 2004, p. 3117 ; RTD civ. 2005,
p. 401, obs. P. Jourdain.
(5) En ce sens not. Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, préc.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
39
J u ris pr udenc e
253x4
Panorama de jurisprudence de la Cour de cassation
Par
Catherine BERLAUD
■■AVOCAT
254w7
Transmission de documents au bâtonnier et secret
professionnel
Justifie sa décision la chambre de l’instruction qui, pour
confirmer l’ordonnance du juge d’instruction disant n’y avoir
lieu à suivre contre quiconque, retient que cette transmission au bâtonnier, qui a la mission de concilier les différends
d’ordre professionnel entre les membres du barreau et
d’instruire toute réclamation formulée par des tiers, a été
effectuée par l’associée dans le cadre d’un tel différend, pour
prévenir une éventuelle mise en cause de la responsabilité
professionnelle de la société d’avocats.
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 14-85068, F–PB (rejet pourvoi
c/ CA Lyon, 27 juin 2014), M. Guérin, prés. – SCP Gadiou et
254w7
Chevallier, SCP Thouin-Palat et Boucard, av.
■■BAUX D’HABITATION ET PROFESSIONNELS
254u4
Défense du preneur contre l’oppression d’un bailleur
professionnel
Un professionnel de l’immobilier loue un logement meublé
pour une durée de trois ans renouvelable, moyennant un loyer
de 6 800 francs, puis signe avec son locataire deux nouveaux
contrats, modifiant les conditions du bail initial relatives
notamment au loyer et à la détermination des charges incombant au locataire. Le bailleur notifie au preneur un congé
« en vue de la réévaluation du loyer » et, postérieurement à
la restitution des lieux par le locataire, l’assigne en paiement
d’une certaine somme. Le locataire soulève l’inopposabilité
ou le caractère abusif de la clause de répartition des charges
stipulée dans les contrats et la nullité du congé.
Si le locataire, informé par le bailleur avec un préavis de trois
mois de son souhait de modifier les conditions du contrat
à son expiration, n’accepte pas les nouvelles conditions, le
contrat est renouvelé aux conditions antérieures. La cour
d’appel qui retient que le congé, qui n’était fondé ni sur la
décision du bailleur de reprendre ou de vendre le logement,
ni sur un motif légitime et sérieux tel que l’inexécution par
le locataire de l’une des obligations lui incombant, mais procédait de la seule intention du bailleur d’augmenter le loyer,
en déduit exactement que ce congé n’est pas conforme aux
dispositions de l’article L. 632-1, alinéa 5, du Code de la
construction et de l’habitation et doit être annulé.
Il résulte des dispositions d’ordre public de l’article L. 632-1
du Code de la construction et de l’habitation, dans sa version
applicable en la cause, que le bailleur qui souhaite, à l’expiration du contrat, en modifier les conditions doit informer le
locataire avec un préavis de trois mois.
Viole ce texte la cour d’appel qui, pour déclarer valable la
clause déterminant les charges incombant au preneur,
retient que cette clause a été stipulée aux termes d’un nouveau contrat signé par les parties et ne peut donc s’analyser
comme une modification du contrat originaire susceptible
de donner lieu à information préalable du preneur dans les
conditions prévues à l’article L. 632-1 précité, alors que les
conditions du bail ne peuvent être modifiées par les parties
qu’à l’occasion de la reconduction du bail donnant naissance
à un nouveau contrat et que la signature d’un nouveau contrat
se substituant au contrat en cours ne peut faire échec aux
dispositions de l’article L. 632-1.
Aux termes de l’alinéa 1 de l’article L. 132-1 du Code de la
consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont
40
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
254w7
253x4
abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer,
au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un
déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Viole ce texte la cour d’appel qui, pour dire que la clause qui
stipule que « Le locataire remboursera au bailleur toutes
les charges, quelle qu’en soit la nature, y compris les frais
d’entretien ou de réparation des parties communes, afférentes tant aux biens loués qu’à l’immeuble dans lequel ils
se trouvent aux seules exceptions de l’assurance de l’immeuble et des honoraires de gestion de l’immeuble et des
biens loués » n’est pas abusive, retient que l’article L. 632-1
du Code de la construction et de l’habitation n’impose aucune
prescription en matière de charges et que, les dispositions
impératives de l’article 23 de la loi du 6 juillet 1989 n’étant
pas applicables s’agissant d’un logement meublé, il était loisible aux parties d’y déroger et de convenir de stipulations
particulières pour ce qui concerne la répartition des charges,
alors que la clause litigieuse qui fait peser sur le locataire
la quasi-totalité des dépenses incombant normalement au
bailleur et dispense sans contrepartie le bailleur de toute
participation aux charges qui lui incombent normalement en
sa qualité de propriétaire, a pour effet de créer, au détriment
du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits
et obligations des parties au contrat.
Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, no 14-25523, FS–PB (cassation
partielle CA Paris, 14 janv. 2014), M. Chauvin, prés. – SCP
Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, SCP Waquet,
254u4
Farge et Hazan, av.
■■BAUX D’HABITATION ET PROFESSIONNELS
254u3
Local d’habitation trop exigu et conséquences
Le propriétaire d’un local à usage d’habitation délivre à son
locataire un commandement visant la clause résolutoire stipulée dans le contrat puis l’assigne en acquisition de cette
clause et en expulsion, tandis que le preneur, soutenant
que ce local n’est pas conforme aux critères d’un logement
décent, sollicite reconventionnellement le remboursement
des loyers versés, l’indemnisation de son préjudice et son
relogement par le bailleur en application de la procédure
d’interdiction d’habiter.
Dès lors qu’elle relève que l’article 27-2 du règlement sanitaire départemental des Hauts-de-Seine dispose que « tout
logement doit comprendre une pièce de 9 mètres carrés au
moins, cette superficie étant calculée sans prise en compte
des salles de bains ou de toilette et des parties formant dégagement ou cul-de-sac d’une largeur inférieure à 2 mètres » et
retient qu’il résulte du rapport du service « Hygiène Sécurité
Prétention » de la commune de Clichy, du diagnostic de mesure effectué le 14 avril 2011 à la demande du bailleur et du
certificat de mesurage de lot de copropriété du 13 mai 2013,
que le logement loué a une surface inférieure à 9 mètres carrés, plus exactement 8, 70 mètres carrés, surface dont doit
en outre être déduite celle du bac à douche installé dans un
coin de la pièce et que ce logement ne répond donc pas aux
règles d’habitabilité prévues par la loi, la cour d’appel, qui
fait, à bon droit, application des dispositions du règlement
sanitaire précité, non incompatibles avec celles du décret du
30 janvier 2002 qui ne l’a pas abrogé et plus rigoureuses que
celles-ci, en déduit exactement que le propriétaire a manqué
à ses obligations.
Ayant retenu que le propriétaire n’a pas respecté son obligation de délivrer un logement décent, la cour d’appel retient
souverainement que ce manquement autorisait le locataire à
suspendre le paiement des loyers.
Mais ne satisfait pas aux exigences de l’article 455 du Code
de procédure civile la cour d’appel qui, pour rejeter les
254u4
Jur ispr ude nc e
■■DROIT PÉNAL
demandes du propriétaire, retient qu’il ne justifie pas que son
logement était habitable, que le bailleur qui délivre un logement indécent ne respecte pas son obligation de délivrance
de sorte qu’il ne peut prétendre au paiement d’un loyer qui ne
serait pas causé, que tel est manifestement le cas en l’espèce
et que le propriétaire doit en conséquence être débouté de
l’ensemble de ses demandes, sans répondre aux conclusions
de celui-ci qui demandait, dans l’hypothèse où le logement
serait déclaré inhabitable en raison de sa surface, l’expulsion
du locataire pour disparition de l’obligation de payer un loyer
en contrepartie de l’occupation des lieux.
Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, no 14-22754, FS–PB (cassation partielle CA Versailles, 6 mai 2014), M. Chauvin, prés. – Me Balat,
254u3
SCP Boré et Salve de Bruneton, av.
254w8
254u3
■■BAUX D’HABITATION ET PROFESSIONNELS
254u9
Loi de 1948 : bénéficiaires du droit au maintien dans les lieux
La cour d’appel qui constate que le bail a été signé par un preneur seul et retient exactement qu’à son décès son épouse,
cotitulaire du bail, est demeurée seule locataire, que le bail
a pris fin par l’effet du congé et que l’épouse, devenue occupante de bonne foi, n’a pu transmettre son droit au maintien
dans les lieux à son fils qui ne figure pas parmi les personnes
énumérées par l’article 5 de la loi du 1er septembre 1948, en
déduit, à bon droit, que le fils est devenu occupant sans droit
ni titre.
Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, no 12-20672, FS–PB (rejet pourvoi
c/ CA Paris, 21 févr. 2012), M. Chauvin, prés. – Me Le Prado, SCP
254u9
Ortscheidt, av.
Cass. crim., 16 déc. 2015, no 14-83140, FS–PB (cassation partielle CA Paris, 10 avr. 2014), M. Guérin, prés. – Me Le Prado,
SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Waquet,
254w8
Farge et Hazan, av.
254w8
■■DROIT PÉNAL
254w9
254u9
La peine de dissolution d’une SCI
Justifie sa décision la cour d’appel qui, pour prononcer la dissolution d’une SCI, après l’avoir déclarée coupable du délit
de blanchiment spécial prévu et réprimé à l’article 222-38 du
Code pénal, retient que, si la création de la société est antérieure de quelques mois aux faits d’infractions à la législation
sur les stupéfiants, la société a été détournée de son objet
à partir du moment où elle a permis le blanchiment d’une
somme en espèces d’un montant de 160 000 euros provenant
de ce trafic, ne faisant ainsi qu’user de la faculté qu’elle tient
des articles 131-39, 1°, et 222-42, alinéa 1, du Code pénal.
■■COPROPRIÉTÉ
254u5
Difficile pour le syndicat de copropriétaires d’échapper à sa
responsabilité pour vice de construction ou défaut d’entretien
Selon l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965, le syndicat des
copropriétaires est responsable des dommages causés aux
copropriétaires par le vice de construction ou le défaut d’entretien des parties communes.
Viole ce texte et l’article 1382 du Code civil la cour d’appel
qui, pour rejeter la demande de l’acquéreur d’un lot de copropriété dirigée contre le syndicat, retient que, les problèmes
d’infiltration dans les locaux de ce copropriétaire existant
depuis 1995, antérieurement à la mise en copropriété de
l’immeuble, le syndicat n’est pas responsable des dommages
causés par le vice de construction de l’immeuble, que le
copropriétaire a pris position dans le même sens que les décisions adoptées par les assemblées générales de 1999, 2006
et 2007 et que le syndicat n’est pas responsable d’un défaut
d’entretien des parties communes qui trouve sa cause dans
le fait que le demandeur s’est constamment opposé au vote
des travaux nécessaires, alors que le syndicat des copropriétaires est responsable de plein droit des vices de construction
de l’immeuble, même antérieurs à la soumission de celui-ci
au statut de la copropriété et sans caractériser une faute du
copropriétaire ayant causé l’entier dommage et de nature à
exonérer le syndicat de sa responsabilité.
Viole l’article 1382 du Code civil la cour d’appel qui, pour
condamner le copropriétaire à payer au syndic une certaine
somme à titre de dommages intérêts pour procédure abusive,
retient que le demandeur a systématiquement refusé d’engager les travaux nécessaires à la suppression des infiltrations
d’eau, alors que le syndic avait attiré l’attention des copropriétaires sur la nécessité d’y procéder, motifs impropres à
caractériser la faute du copropriétaire.
Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, no 14-16372, SCI Acmo c/ Synd.
copr. immeuble Cinémonde et a., FS–PB (cassation partielle CA
Chambéry, 18 févr. 2014), M. Chauvin, prés. – Me Blondel,
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Garreau, Bauer-Violas et
254u5
Feschotte-Desbois, av.
L’enregistrement d’une interview peut faire l’objet du délit
de destruction
Peut faire l’objet d’un abus de confiance et du délit de destruction tout bien susceptible d’appropriation.
Sur la pression d’une personne interviewée, l’assistante du
réalisateur réussit, à l’insu de celui-ci, à se faire confier les
cassettes vidéo, support de l’interview, pour les remettre au
directeur de l’établissement d’enseignement dans lequel
l’entretien s’est réalisé, qui fait effacer l’enregistrement.
Méconnaît les articles 314-1 et 322-1 du Code pénal et le
principe ci-dessus énoncé la cour d’appel qui, pour relaxer
l’assistante et le directeur du chef de destruction d’un bien
appartenant à autrui, énonce que, pour être susceptible
d’appropriation, il faut que ledit enregistrement soit qualifié
d’œuvre de l’esprit au sens des dispositions du Code de la
propriété intellectuelle, et partant protégeable par le droit
d’auteur, et que la partie civile n’ayant pas établi une réalisation matérielle originale, qui en constitue le critère essentiel,
cet enregistrement ne présente pas le caractère d’une œuvre
originale pouvant recevoir une telle qualification, alors qu’un
enregistrement d’images et de sons constitue un bien susceptible d’appropriation.
Cass. crim., 16 déc. 2015, no 14-85667, FS–PB (rejet pourvoi
c/ CA Grenoble, 2 juill. 2014), M. Guérin, prés. – SCP Waquet,
254w9
Farge et Hazan, av.
254w9
■■DROIT PÉNAL
255c7
Récidive : application de la loi dans le temps
Justifie sa décision le président de la chambre de l’application
des peines qui retient qu’en raison de l’abrogation par la loi
du 15 août 2014, applicable à compter du 1er janvier 2015, des
dispositions de l’article 721-1 du Code de procédure pénale
plus sévères à l’encontre des condamnés récidivistes et de
l’absence de dispositions transitoires, prévues par le législateur, dérogeant aux prescriptions de l’article 112-2, 3°, du
Code pénal, les réductions supplémentaires de peine relatives
aux périodes d’incarcération subies par les condamnés en
état de récidive, examinées postérieurement à cette dernière
date, doivent être calculées exclusivement selon les modalités plus favorables prévues par le dispositif légal en vigueur.
Cass. crim., 16 déc. 2015, no 15-81264, FS–PB (rejet pourvoi
255c7
c/ CA Grenoble, 11 févr. 2015), M. Guérin, prés.
■■DROIT PÉNAL
254v6
254u5
Soustraire des produits périmés voués à la destruction n’est
pas du vol
Selon l’article 311-1 du Code pénal, le vol est la soustraction
frauduleuse de la chose d’autrui.
La directrice d’un supermarché est poursuivie du chef de vol
pour avoir soustrait des produits périmés qui avaient été mis
à la poubelle du magasin dans l’attente de leur destruction.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
41
255c7
Jur i s p r u de nc e
■■ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
Ne justifie pas sa décision la cour d’appel qui déclare la prévenue coupable de vol, alors qu’il résulte des énonciations de
l’arrêt que, d’une part, il est constant que les objets soustraits, devenus impropres à la commercialisation, avaient
été retirés de la vente et mis à la poubelle dans l’attente de
leur destruction, de sorte que l’entreprise avait clairement
manifesté son intention de les abandonner, d’autre part, le
règlement intérieur interdisant à la salariée de les appréhender répond à un autre objectif que la préservation des droits
du propriétaire légitime, s’agissant du respect par celui-ci des
prescriptions d’ordre purement sanitaire de l’article R. 11225, alors applicable, du Code de la consommation, et est sans
incidence sur la nature réelle de ces biens.
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 14-84906, FS–PB (cassation CA
Dijon, 21 mai 2014), M. Guérin, prés. – Me Le Prado, SCP Boré
254v6
et Salve de Bruneton, av.
254v4
Cession d’actifs : sanction de l’absence de revendication dans
les délais
La sanction de l’absence de revendication dans le délai légal
n’est pas le transfert du droit de propriété au profit du débiteur mais son inopposabilité à la procédure collective de ce
dernier, de sorte que le propriétaire, qui n’a pas revendiqué
son bien dans le délai légal, est fondé à en obtenir la restitution contre le tiers acquéreur de mauvaise foi.
Cass. com., 15 déc. 2015, no 13-25566, Sté Cleia c/ Sté Ceric technologies, F–PB (rejet pourvoi c/ CA Dijon, 12 sept. 2013), Mme
Mouillard, prés. – SCP Boullez, SCP Yves et Blaise Capron, av.
254v4
254w6
Traite d’être humain mineure malgré le mariage
Selon l’article 225-4-1 du Code pénal, constitue le délit de
traite des êtres humains commise à l’égard d’un mineur le
fait de le recruter, de le transporter, de le transférer, de l’héberger ou de l’accueillir à des fins d’exploitation, notamment
pour le contraindre à commettre tout crime ou délit.
Ayant obtenu la remise d’une mineure, âgée de 13 ans, par
son père, moyennant une somme de 120 000 euros, pour la
marier à son fils et, selon les interceptions téléphoniques
recueillies, pour l’utiliser dans ses équipes de voleuses, un
homme est déclaré notamment coupable du délit de traite
d’être humain à l’égard de la mineure.
Ne justifie pas sa décision la cour d’appel qui, pour le relaxer
du délit de traite des êtres humains commis à l’égard d’un
mineur, énonce que, pour immoral qu’il soit, le comportement
du prévenu n’entre pas dans les prévisions de l’incrimination
définie par le texte précité, lesquelles sont d’éradiquer le
commerce des êtres humains afin de combattre des comportements d’esclavagisme particulièrement destructeurs pour
la dignité humaine et inscrits dans un contexte de déséquilibre économique mondial, que si l’aspect mercantile d’un
« mariage arrangé », même correspondant à une pratique
culturelle, est choquant, il convient d’éviter de banaliser cette
incrimination spécifique laquelle dépasse le cas d’espèce,
alors qu’elle constate que l’achat de la mineure avait pour
finalité de la contraindre à commettre des vols.
254w6
■■DROIT PÉNAL
255c6
Vitesse excessive et mise en danger de la vie d’autrui : office
du juge
Le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir
relevé tous les éléments constitutifs de l’infraction qu’il
réprime.
Ne justifie pas sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer le
prévenu coupable du délit de mise en danger d’autrui, relève
que le comportement du prévenu, qui circulait à la vitesse de
215 km/ h alors que sur cette portion d’autoroute, elle est limitée à 110 km/ h « n’a manifestement pas pris en compte les
autres usagers de la route, nombreux à cette heure de la journée comme en atteste le relevé de la société d’autoroute »,
sans caractériser un comportement particulier, s’ajoutant au
dépassement de la vitesse autorisée, ou l’existence de circonstances de fait particulières, exposant directement autrui
à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à
entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.
Cass. crim., 16 déc. 2015, no 15-80916, FS–PB (cassation CA
Paris, 26 janvier 2015), M. Guérin, prés. – SCP Le Griel, av.255c6
42
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
■■PRESSE ET NTIC
254v5
254v6
■■DROIT PÉNAL
Cass. crim., 16 déc. 2015, no 14-85900, FS–PBI (cassation partielle CA Nancy, 22 juill. 2014), M. Guérin, prés. – SCP Waquet,
254w6
Farge et Hazan, av.
254v4
Apologie de crimes contre l’humanité : les propos non
« proférés »
Plus d’une centaine de véhicules conduits par des gens du
voyage pénètrent sur un terrain appartenant à la ville de
Cholet qui l’avait donné en location à deux agriculteurs. Le
député-maire de la ville, venu exprimer son désaccord à cette
installation, est interpellé par une partie de ces personnes qui
le traitent de raciste et lui adressent, par dérision, des saluts
nazis. En quittant les lieux, l’élu dit : « Comme quoi Hitler n’en
a peut-être pas tué assez, hein ». Les personnes auditionnées
lors de l’enquête, fonctionnaires de police et agriculteurs locataires, n’ont pas entendu ces propos, seul un membre de
la communauté affirmant les avoir perçus en substance et
ajoutant qu’il avait également entendu d’autres propos dont
il est établi qu’ils n’ont pas été tenus. La phrase prononcée a
néanmoins été captée et enregistrée, à l’aide d’un téléphone
mobile, par un journaliste qui se tenait alors derrière l’élu et
qui les a divulgués le lendemain dans son journal, qui a rendu
l’enregistrement accessible sur son site internet.
La cour d’appel qui, pour rejeter l’exception de nullité de la citation introductive d’instance soulevée par le prévenu, retient
que l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 vise à la fois l’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité
et que la mention des propos incriminés, accompagnée de la
précision qu’ils s’adressaient à la communauté des gens du
voyage, permet au prévenu de connaître exactement le crime
dont l’apologie lui est reprochée, en déduit, à bon droit, que
l’exploit introductif d’instance satisfait aux exigences de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881.
Il résulte des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 que
le délit d’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre
l’humanité n’est constitué que si les propos incriminés ont
été « proférés » au sens de l’article 23 de la loi sur la presse,
c’est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics.
Viole ces textes et ce principe la cour d’appel qui, pour déclarer le prévenu coupable du délit susvisé, statue par des
motifs dont il se déduit que les propos ont été tenus par leur
auteur dans des circonstances exclusives de toute volonté de
les rendre publics.
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 14-86132, FS–PB (cassation sans
renvoi CA Angers, 12 août 2014), M. Guérin, prés. – Me Haas,
SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP M. Guérin, prés. – Me Haas, SCP
Bouzidi et Bouhanna, SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor,
254v5
SCP Spinosi et Sureau, av.
■■PRESSE ET NTIC
254w0
255c6
Ce n’est pas forcément la fonction du maire qui est diffamée
En matière de presse, il appartient à la Cour de cassation
de contrôler le sens et la portée des écrits incriminés, et de
vérifier si dans les propos retenus dans la prévention se retrouvent les éléments légaux de la diffamation publique tels
qu’ils sont définis par la loi du 29 juillet 1881.
L’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ne punit de peines
particulières les diffamations dirigées contre les personnes revêtues des qualités qu’il énonce que lorsque ces
254v5
Jur ispr ude nc e
diffamations, qui doivent s’apprécier non d’après le mobile qui
les ont inspirées ou le but recherché par leur auteur, mais
d’après la nature du fait sur lequel elles portent, contiennent
la critique d’actes de la fonction ou d’abus de la fonction, ou
encore que la qualité ou la fonction de la personne visée a
été soit le moyen d’accomplir le fait imputé, soit son support
nécessaire.
Le maire d’une commune fait citer un justiciable directement devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation
publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, pour
avoir publiquement tenu à son encontre les propos suivants :
« fils de crapule, le maire est une crapule, il est où le maire
que je l’étrangle, D... assassin, incendiaire, voleur, vous n’êtes
que des merdes, des sous-merdes, retournez en Corse, il faut
leur tirer dessus et ne pas être lâche comme en 40, il faut les
dénoncer, il faut les étrangler ».
Méconnaît les articles 29, 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881
et le principe ci-dessus rappelé la cour d’appel qui retient
le prévenu dans les liens de la prévention en retenant notamment que les propos litigieux, qui s’inscrivent dans un
contentieux lourd et ancien entre le prévenu et le maire font
référence précisément à un incendie, survenu quelques jours
auparavant, d’un hangar appartenant au premier nommé, qui
en impute la responsabilité au second, alors que le fait imputé
ne constitue ni un acte, ni un abus de la fonction du maire, et
se trouve dépourvu de tout lien avec ladite fonction, la diffamation ne concernant que le particulier.
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 14-85118, FS–PB (cassation sans
renvoi CA Poitiers, 12 juin 2014), M. Guérin, prés. – SCP Spinosi
254w0
et Sureau, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.
■■PRESSE ET NTIC
254v9
L’office du juge en matière de diffamation
Une société pharmaceutique fait citer, du chef de diffamation
publique envers un particulier, un journaliste et directeur de
publication, auteur d’un entretien, et la société Libération en
qualité de civilement responsable, à la suite de la publication
dans ce journal, de divers articles et, notamment, en page une,
du titre : « Après le Mediator, le Protelos Z...récidive, exclusif
Libération révèle que le laboratoire, dont la mise en examen
paraît imminente, a également falsifié des documents relatifs à un autre médicament », et, en page trois, de l’éditorial
suivant rédigé par le prévenu : « Les nouvelles révélations de
Libération confirment que le laboratoire Z...avait bien érigé le
mensonge et la manipulation en modèle économique. Sinistre
manière de transformer des poisons violents en machine à
cash, de multiplier les écrans de fumée pour masquer le rapport entre les médicaments et des patients qui décèdent, de
faire taire ceux dont les doutes, puis les certitudes, menaçaient le chiffre d’affaires. Comme si le Mediator ne suffisait
pas, c’est désormais le Protelos qui fait scandale : là encore
des effets secondaires potentiellement ravageurs, là encore
la manipulation de l’information, là encore des morts suspectes passées sous silence. Chez Z..., seul le cynisme se
concevait dans une chimie d’une telle pureté. (...) Espérons
que le double scandale du Mediator et du Protelos permette
enfin de fissurer les murailles qui entourent un secteur dont
seuls des romanciers, de Le Carré à Boyd, ont su imaginer la
potentielle nocivité ».
Encourt la cassation l’arrêt qui, pour relaxer le prévenu, retient, d’une part, que les mots « Z...récidive » figurant en page
une sont trop vagues pour être qualifiés de diffamatoires, et,
d’autre part, que l’accusation portée est celle d’avoir falsifié
des résultats et masqué certains effets indésirables, reproche
dont il est fait constamment état dans les autres articles et
passages poursuivis, et dont le tribunal, de même que la
partie civile qui n’a pas interjeté appel, ont estimé qu’ils pouvaient être publiés puisque justifiés par une enquête sérieuse
et contradictoire et que, s’agissant d’un éditorial, la bonne
foi ne peut être refusée ni au motif que les propos seraient
dénués d’objectivité et d’impartialité, ni que leur auteur aurait
manqué de prudence et de retenue dans l’expression, l’écrit
en cause étant un billet d’humeur qui permet une plus grande
liberté de ton et le recours à une certaine dose d’exagération
voire de provocation », sans analyser l’ensemble des propos
dont elle était saisie figurant en page une du journal, d’autre
part, sans mieux s’expliquer sur la prudence et la mesure
dans l’expression de la part du prévenu qui imputait à la partie
civile d’avoir érigé le mensonge et la manipulation en modèle
économique afin de diffuser, par cynisme et à des fins purement mercantiles, des poisons violents, et sans rechercher
si les propos reprochés, même figurant dans un éditorial et
traitant d’un sujet d’intérêt général, reposaient sur une base
factuelle suffisante en rapport avec la gravité des accusations
portées.
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 14-82529, FS–PB (cassation CA
Paris, 20 mars 2014), M. Guérin, prés. – SCP Lyon-Caen et
254v9
Thiriez, SCP Thouin-Palat et Boucard, av.
254v9
■■PROCÉDURE CIVILE
254u2
254w0
La procédure de récusation d’un organe disciplinaire examinant la violation d’engagements contractuels
Exclu d’un aéroclub dont il était membre, un justiciable
conteste l’impartialité de l’organe ayant prononcé cette
décision.
Viole les articles 341, 342 et 749 du Code de procédure civile
la cour d’appel qui, pour rejeter sa demande, après avoir
relevé qu’en vertu de l’article 342, alinéa 2, en aucun cas la
demande de récusation ne peut être formée après la clôture
des débats, retient que le demandeur, qui n’a pas usé de la
faculté de récusation pendant l’instance disciplinaire, n’y est
plus recevable, de sorte que la nullité de la décision ne peut
être prononcée pour atteinte au principe d’impartialité objective, alors que les dispositions du Code de procédure civile
régissant la procédure de récusation devant les juridictions
de l’ordre judiciaire statuant en matière civile, commerciale,
sociale, rurale ou prud’homale, ne sont pas applicables aux
organes des groupements examinant la violation d’engagements contractuels.
Cass. 1re civ., 17 déc. 2015, no 13-24544, M. X c/ Association
Aéroclub du Comtat Venaissin, F–PB (cassation CA Nîmes, 6 juin
2013), Mme Batut, prés. – Me Balat, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et
254u2
Hannotin, av.
254u2
■■PROCÉDURE PÉNALE
254w3
Allégation de déloyauté et régularité de l’instruction
Le nombre de points de comparaison pertinents relevés sur
une empreinte digitale, qui constitue un simple élément de
preuve soumis au principe de contradiction et à l’appréciation
des juges, est sans incidence sur la régularité de la procédure.
Si c’est à tort que la chambre de l’instruction, pour rejeter la
requête du mis en examen tendant à l’annulation d’interrogatoires d’autres mis en examen, énonce que celui-ci est sans
qualité pour se prévaloir de la méconnaissance d’un droit
appartenant en propre à une autre personne, alors que le demandeur invoquait la déloyauté d’actes accomplis par le juge
d’instruction, l’arrêt n’encourt pas pour autant la censure, dès
lors que la Cour de cassation est en mesure de s’assurer, par
l’examen des pièces de la procédure, que la déloyauté prétendue demeure à l’état de simple allégation.
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-82013, FS–PB (rejet pourvoi
c/ CA Aix-en-Provence, 17 mars 2015), M. Guérin, prés. – SCP
254w3
Waquet, Farge et Hazan, av.
■■PROCÉDURE PÉNALE
254w5
Le fait constitutif d’une exclusion de serment ne peut être
contesté pour la première fois en cassation
Le moyen pris de ce que le témoin, qui n’est pas l’épouse
de l’accusé, au sens de l’article 335 du Code de procédure
pénale, étant unie à celui-ci par un lien uniquement religieux,
n’a pas prêté serment préalablement à son audition, n’est
pas recevable, le fait constitutif d’une cause d’exclusion du
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
43
254w3
Jur i s p r u de nc e
serment ne pouvant être contesté pour la première fois devant la Cour de cassation.
Cass. crim., 16 déc. 2015, no 14-87234, FS–PBI (rejet pourvoi
c/ C. ass. Gironde, 10 oct. 2014), M. Guérin, prés. – SCP Richard,
254w5
SCP Waquet, Farge et Hazan, av.
254w5
■■PROCÉDURE PÉNALE
255c5
Mainlevée de contrôle judiciaire et interruption de
prescription
Justifie sa décision la chambre de l’instruction qui retient que
l’ordonnance de mainlevée partielle d’un contrôle judiciaire a
fait courir un nouveau délai de prescription, puisque toute ordonnance rendue en matière de contrôle judiciaire par un juge
d’instruction interrompt la prescription de l’action publique.
Cass. crim., 16 déc. 2015, no 15-84179, FS–PB (rejet pourvoi
c/ CA Douai, 3 juin 2015), M. Guérin, prés. – SCP Foussard et
255c5
Froger, SCP Spinosi et Sureau, av.
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-80733, FS–PB (rejet pourvoi
254v8
c/ CA Colmar, 30 déc. 2014), M. Guérin, prés.
254w2
255c5
254w4
Motifs de l’arrêt et impartialité
La référence faite par les motifs de l’arrêt à la jurisprudence
de la Cour de cassation dans les mêmes termes que le réquisitoire du procureur général n’est pas de nature à faire naître
un doute sur l’impartialité de la juridiction.
254w4
■■PROCÉDURE PÉNALE
254v8
Procédure distincte et droits de la défense
À la suite d’une interception de correspondances téléphoniques ordonnée dans le cadre d’une information ouverte pour
vol à main armée, des conversations enregistrées révèlent un
fait nouveau, pour lequel le procureur de la République diligente une enquête qui, ayant recueilli des indices à l’encontre
d’un justiciable, permet de le poursuivre pour subornation
de témoin et recel. Devant le tribunal correctionnel, l’avocat
du prévenu sollicite la jonction de l’intégralité du dossier de
l’instruction à l’origine de cette poursuite puis, l’ayant obtenue, demande l’annulation de l’ordonnance par laquelle le
44
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
254w2
■■PROCÉDURE PÉNALE
254v7
Procédé employé pour interpeler un suspect et principe de
loyauté
Lors d’une instruction menée sur des vols aggravés et confiée
à plusieurs magistrats instructeurs cosaisis, un homme est
interpellé, après que les enquêteurs ont répondu à une annonce diffusée sur internet de la vente de son véhicule et lui
ont donné rendez-vous en se présentant comme des acheteurs potentiels.
Justifie sa décision la cour d’appel qui, pour rejeter la requête
en annulation des procès-verbaux d’interpellation, prise de
la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne
des droits de l’homme, énonce que le procédé utilisé par les
enquêteurs consistant à se faire passer pour des acheteurs
potentiels du véhicule dont ils avaient repéré, en consultant
un site internet, qu’il le mettait en vente ne participe pas d’un
stratagème ou d’une machination dès lors qu’il n’avait pas
pour but de le provoquer à commettre une infraction mais
de l’interpeller en dehors de son lieu de résidence, compte
tenu de sa dangerosité et de l’impossibilité de l’arrêter sur
les lieux où il était susceptible de se trouver sans risquer
de porter gravement atteinte à l’ordre public, dès lors qu’un
procédé qui n’a en rien déterminé les agissements d’une
personne mise en examen ne porte pas atteinte à la loyauté
entrant dans les garanties du droit à la liberté et à la sûreté
et du procès équitable.
■■PROCÉDURE PÉNALE
Recours contre l’ordonnance de renvoi, maintien de la détention provisoire et débat contradictoire
Dès lors que la chambre de l’instruction est saisie d’un appel
portant sur une ordonnance de renvoi, elle n’est amenée à
statuer sur la détention provisoire que par l’effet de cet appel
en application de l’article 213 du Code de procédure pénale et
dans les conditions de l’article 179 du même Code, de sorte
que le maintien éventuel de l’appelant en détention provisoire
est nécessairement soumis au débat devant ladite chambre,
sans que celle-ci soit tenue de faire comparaître la personne
mise en examen.
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-84373, FS–PB (rejet pourvoi
254w2
c/ CA Rennes, 7 nov. 2015), M. Guérin, prés.
254w1
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-84373, FS–PB (rejet pourvoi
254w1
c/ CA Rennes, 7 nov. 2014), M. Guérin, prés.
254v8
■■PROCÉDURE PÉNALE
■■PROCÉDURE PÉNALE
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-82013, FS–PB (rejet pourvoi
c/ CA Aix-en-Provence, 17 mars 2015), M. Guérin, prés. – SCP
254w4
Waquet, Farge et Hazan, av.
président du tribunal de grande instance a désigné le viceprésident, pour remplacer la juge d’instruction qui en avait
initialement la charge.
Si, en application de l’article préliminaire du Code de procédure pénale et de l’article 6 de la Conv. EDH, le prévenu est
recevable à contester la régularité d’une pièce issue d’une
procédure distincte, dès lors qu’il invoque l’atteinte qu’elle
porte à l’un de ses droits, il est sans qualité pour critiquer les
modalités de désignation d’un juge d’instruction chargé d’une
information à laquelle il n’est pas partie.
254w1
Valeur probante du rapport d’un piéton, commissaire de
police
Selon l’article 429 du Code de procédure pénale, tout procès verbal ou rapport a valeur probante s’il est régulier en la
forme, si son auteur a agi dans l’exercice de ses fonctions et
a rapporté sur une matière de sa compétence ce qu’il a vu ou
constaté personnellement.
Selon l’article 537 du même code, les procès-verbaux ou rapports dressés par les officiers ou agents de police judiciaire
font foi jusqu’à preuve du contraire des contraventions qu’ils
constatent et la preuve contraire ne peut être rapportée que
par écrit ou par témoins.
Selon les articles19 du décret 95-654 du 9 mai 1995 et R. 43419 du Code de la sécurité intérieure, tout fonctionnaire de
police est considéré comme étant en service et agissant dans
l’exercice de ses fonctions, dès lors qu’il intervient dans sa
circonscription et dans le cadre de ses attributions, de sa
propre initiative ou sur réquisition, pour prévenir et réprimer
tout acte de nature à troubler la sécurité et l’ordre publics.
Un commissaire de police constate qu’un véhicule, circulant
à une vitesse excessive, lui refuse la priorité alors qu’il était
engagé sur un passage piéton. Le conducteur étant sorti de
son véhicule, le commissaire décline sa qualité et présente sa
carte de police. Sur son rapport, le conducteur est poursuivi
pour circulation à vitesse excessive et refus de priorité à un
piéton régulièrement engagé sur la chaussée.
Méconnaît les textes susvisés et les principes ci-dessus
rappelés la juridiction de proximité qui, pour renvoyer le
conducteur des fins de la poursuite, retient que le rapport
de l’officier de police judiciaire n’a pas de valeur probante
au sens des articles 429 et 537 du Code de procédure pénale
dans la mesure où il n’est pas établi que ce dernier ait agi
dans l’exercice de ses fonctions.
Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-81322, FS–PB (cassation J. prox.
Saint-Maur-des-Fossés, 12 févr. 2015), M. Guérin, prés. – SCP
254v7
Rousseau et Tapie, av.
■■PROTECTION SOCIALE
254v3
Contentieux de la sécurité sociale : question de compétence
Les juridictions du contentieux de la sécurité sociale étant
exclusivement compétentes pour connaitre des litiges à
254v7
Jur ispr ude nc e
■■TRAVAIL
caractère individuel qui se rapportent à l’application des lois
et règlements en matière de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, le contentieux collectif entre employeur
et salariés pour faire juger que l’employeur n’aurait pas appliqué la loi TEPA, relève de la compétence du tribunal de
grande instance.
Cass. 2e civ., 17 déc. 2015, no 14-26093, Sté Dassault systèmes
Provence c/ FEC-FO et a., F–PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-enProvence, 11 sept. 2014), Mme Flise, prés. – SCP Célice, Blancpain,
254v3
Soltner et Texidor, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.
254v1
254v3
■■PROTECTION SOCIALE
254v2
Retard de paiement des cotisations et date d’appréciation de
la bonne foi
La bonne foi s’appréciant à la date d’exigibilité des cotisations
ayant donné lieu à majoration, encourt la cassation le jugement qui, pour valider la demande de remise des majorations
pour un trimestre, relève que le groupement des agriculteurs
biologiques, en sa qualité d’employeur, effectue régulièrement des demandes de remise qui sont systématiquement
acceptées et qu’il n’y a pas de raison différente, pour les cotisations litigieuses, de celle ayant entrainé le retard des autres
cotisations pour lesquelles la caisse a reconnu la bonne foi du
groupement.
Cass. 2e civ., 17 déc. 2015, no 14-14405, CMSA Alpes de HauteProvence et Hautes-Alpes, 11 déc. 2013 c/ AGRIBIO, F–PB
(cassation TASS Digne, 11 déc. 2013), Mme Flise, prés. – SCP
254v2
Vincent et Ohl, av.
Cass. soc., 16 déc. 2015, no 14-23731, M. X c/ CRCAM
Atlantique Vendée, FS–PBRI (rejet pourvoi c/ Cons. prudh.
Nantes, 23 juin 2014), M. Frouin, prés. – SCP Gatineau et
254v1
Fattaccini, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, av.
■■TRAVAIL
255c8
254v2
■■TRAVAIL
254v0
Absence de salaire minimum garanti : les pourboires sont
acquis au salarié
Les pourboires s’ajoutant au salaire fixe en application de
l’article L. 3244-2 du Code du travail sauf dans le cas où un
salaire minimum a été garanti par l’employeur, en l’absence
de disposition contractuelle ou conventionnelle applicable aux
hôtesses de blocs sanitaire de l’aérogare d’Orly, l’employeur
ne justifie d’aucun salaire minimum garanti et une hôtesse
est dès lors fondée en sa demande de remboursement des
retenues sur salaire correspondant à ces pourboires.
Cass. soc., 16 déc. 2015, no 14-19073, Sté ISS Propreté c/ Mme X,
FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 3 avr. 2014), M. Frouin, prés. –
Me Balat, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, av. 254v0
Absences du salarié et droit aux jours de congé
En application de l’article 2.1 de l’annexe 2 chapitre
II à l’accord du 13 janvier 2000 relatif à la durée et
l’organisation du temps de travail au Crédit agricole, l’ensemble des salariés a un droit sur l’année
à cinquante-six jours de congés payés, dont vingtcinq jours ouvrés de congés payés annuels et trente et un
jours dénommés AJC (autres jours de congé) correspondant
aux jours chômés dans l’entreprise et aux demi-journées ou
journées résultant de la réduction du temps de travail. Aux
termes de ce texte, « sans préjudice des règles relatives aux
congés payés annuels, l’acquisition du nombre de jours de
congé est déterminée en fonction du temps de travail effectif
dans l’année ». Il en résulte que l’accord prévoit, non pas la
récupération prohibée des jours d’absence pour maladie du
salarié par le retrait d’autant de jours de congé AJC auxquels
il a droit, mais un calcul de son droit à des jours de congé AJC
proportionnellement affecté par ses absences non assimilées
à du temps de travail effectif, conforme aux dispositions des
articles L. 3141-5 et L. 3141-6 du Code du travail.
Indemnités journalières versées au salarié malade
Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, pour la détermination de la rémunération maintenue
au salarié malade en application de dispositions garantissant
le maintien de salaire, les indemnités journalières versées
par la sécurité sociale sont retenues pour leur montant brut
avant précompte des contributions sociales et impositions de
toute nature que la loi met à la charge du salarié.
Cass., avis, 4 janv. 2016, no 15-70004, Mme X c/ Association pour
adultes et jeunes handicapés de l’Isère (Cons. prud’h. Grenoble, 12
255c8
oct. 2015), M. Louvel, prem. prés.
254v0
NOTE La question posée à la Cour de cassation par un conseil de
prud’hommes était : « la CSG et la CRDS, définies comme des cotisations
sociales, doivent-elles s’appliquer sur les indemnités journalières de sécurité sociale, dans le cadre d’un maintien de salaire net prévu par une
convention collective ? »
Si la question n’était pas nouvelle, et donc ne justifiait pas un avis de la
Cour de cassation, la juridiction prud’homale a relevé qu’en février 2015, la
CJUE avait jugé que la CSG et la CRDS revêtaient, du fait de leur affectation
au financement de régimes obligatoires de sécurité sociale, la qualification
de cotisations de sécurité sociale au sens du règlement CEE n°1408/71,
du Conseil, du 14 juin 1971. S’appuyant sur la qualification de cotisations
sociales retenue par le juge communautaire, le conseil de prud’hommes
a retenu l’existence d’une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse.
Toutefois, le règlement n’a pas vocation à régir des situations purement
internes, il ne s’applique qu’aux personnes qui se déplacent au sein de
l’Union européenne.
253x4
255c8
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
45
254v1
J u ris pr udenc e
253x6
Panorama de jurisprudence du Conseil d’État
revanche, lorsque l’administration notifie la décision fixant
le pays de renvoi postérieurement à l’obligation de quitter le
territoire, il ne saurait être fait grief à l’étranger de ne pas
avoir contesté simultanément ces deux décisions. Dès lors,
dans cette hypothèse, l’étranger conserve la possibilité de
contester la décision fixant le pays de renvoi dans les conditions prévues aux articles L. 512-1 et L. 512-3, alors même
que la mesure d’éloignement et, le cas échéant, la mesure de
placement en rétention, auraient déjà été contestées et que
le recours formé contre ces décisions aurait été rejeté par
le tribunal administratif. L’exercice de cette voie de recours
revêt alors un caractère suspensif et l’obligation de quitter le
territoire ne peut faire l’objet d’une exécution forcée tant que
le tribunal administratif n’a pas statué sur ce recours. Le délai
de recours court à compter de la notification à l’intéressé de
la décision fixant le pays de renvoi. L’exercice de cette voie de
recours n’a pas pour effet de prolonger ni de rouvrir le délai
de recours contentieux contre l’obligation de quitter le territoire notifiée avant la décision fixant le pays de renvoi.
Par
Philippe GRAVELEAU
■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
254h5
Conditions de recevabilité des moyens invoqués après l’expiration du délai d’appel
Le défendeur en première instance est recevable à invoquer
en appel tous moyens, même pour la première fois. Cette
faculté doit cependant se combiner avec l’obligation faite à
l’appelant d’énoncer, dans le délai d’appel, la ou les causes
juridiques sur lesquelles il entend fonder son appel. Il suit de
là que, postérieurement à l’expiration dudit délai et hormis
le cas où il se prévaudrait d’un moyen d’ordre public, l’appelant n’est recevable à invoquer un moyen nouveau que pour
autant que celui-ci repose sur la même cause juridique qu’un
moyen présenté avant l’expiration du délai d’appel. Lorsque
le défendeur en première instance a la qualité d’intimé, il
est recevable à invoquer tout moyen pour la première fois,
en défense comme à l’appui de conclusions d’appel incident,
lesquelles ne doivent pas présenter à juger un litige distinct
de l’appel principal.
Le moyen tiré de ce que, faute d’en avoir inclus le montant
dans son projet de décompte final, l’entreprise n’était recevable à réclamer au maître d’ouvrage ni l’indemnisation du
préjudice lié au retard dans le démarrage du chantier ni la
révision du prix du marché se rattache à la même cause juridique que le moyen tiré du caractère forfaitaire du prix du
marché, dès lors que ces deux moyens sont relatifs à l’exécution d’un même contrat.
CE, avis, 6e et 1re sous-sect., 14 déc. 2015, no 393591, M. A.,
Publiée au Recueil Lebon, C. Olsina, rapp.; S. von Coester, rapp.
254q2
publ.
NOTE cf. CE, sect. cont., 30 déc. 2013, n° 367533, Gaz. Pal. 6 févr. 2014,
p. 29, 164v3
254q2
■■CONTENTIEUX
254g7
EUROPÉENNE
CE, 7e et 2e sous-sect., 16 déc. 2015, no 373509, Ville de Lyon,
Publiée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Lyon, 19 sept.
254h5
2013), F. Dieu, rapp.; O. Henrard, rapp. publ.
NOTE cf. CE, 29 sept. 2000, n° 186916, Sté Dezellus Metal Industrie, Gaz.
Pal. Rec. 2001, somm. p. 1783
254h5
■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
254j0
Avis d’audience : mentions obligatoires
L’avis d’audience adressé au défendeur ne comportait pas les
informations relatives aux conclusions du rapporteur public
prévues par le 2e alinéa de l’article R. 711-2 du code de justice administrative. Cette méconnaissance de ces dispositions
l’a privé d’une garantie, en ne le mettant pas en mesure de
prendre connaissance de la dispense de conclusions du rapporteur public. Le jugement, rendu au terme d’une procédure
irrégulière, est annulé.
CE, 1re et 6e sous-sect., 15 déc. 2015, no 380634, Dpt de la SeineSaint-Denis, Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation TA
Montreuil, 25 mars 2014), F. Puigserver, rapp.; R. Decout-Paolini,
254j0
rapp. publ.
■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
254q2
Voie de recours spéciale contre les mesures relatives à
l’éloignement des étrangers
Le législateur a entendu instituer, à l’article L. 512-1 du code
de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une
voie de recours spéciale ayant un effet suspensif contre les
mesures relatives à l’éloignement des étrangers, parmi lesquelles figure la décision fixant le pays de renvoi. Lorsque
la décision fixant le pays de renvoi est notifiée à l’intéressé
simultanément à l’obligation de quitter le territoire, il appartient à l’étranger souhaitant bénéficier de l’effet suspensif
d’exécution du recours de contester en même temps l’obligation de quitter le territoire et la décision distincte. En
46
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
253x6
254j0
EUROPÉEN
ET
DE
L’UNION
Reversement d’aides communautaires indues : délai de prescription des poursuites
Le délai de prescription des poursuites de quatre années
prévu par le 1er alinéa du § 1 de l’article 3 du règlement n°
2988/95 du 18 décembre 1995 est applicable à l’ensemble des
irrégularités définies au § 2 de l’article 1er de ce règlement,
y compris aux irrégularités intentionnelles susceptibles de
donner lieu aux sanctions administratives mentionnées au
paragraphe 1 de son article 5. La circonstance qu’un opérateur aurait eu un comportement frauduleux est sans influence
sur l’application de ce délai de prescription.
Il résulte clairement de l’article 6, § 1, du règlement n° 2988/95
que la suspension de la procédure de sanction qu’il prévoit ne
peut être prononcée, en cas d’ouverture d’une action pénale
visant la personne en cause à raison des mêmes faits, que
par une décision explicite de l’autorité compétente. La suspension ne peut dès lors résulter du seul comportement de
l’autorité administrative chargée de l’instruction ou des poursuites. L’engagement de la procédure administrative, et sa
suspension ne peuvent résulter de la seule circonstance que
l’administration serait intervenue, en qualité de victime, à la
procédure pénale, en vue d’y défendre ses intérêts civils. Dans
l’hypothèse où l’ouverture de la procédure pénale précède
l’engagement de la procédure administrative, il appartient à
l’administration, si elle s’y croit fondée, d’engager une procédure tendant à l’application de sanctions administratives et de
prendre, lorsqu’elle le juge opportun, une décision expresse
de suspension de l’imposition des sanctions
CE, 3e et 8e sous-sect., 11 déc. 2015, no 380102, FranceAgriMer,
Mentionnée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Nantes, 6
254g7
mars 2014), R. Vicor, rapp.; V. Daumas, rapp. publ.
■■DROIT CONSTITUTIONNEL
254h7
QPC : effet dans le temps d’une déclaration d’inconstitutionnalité
Le Conseil constitutionnel, par une décision n° 2013-672
DC du 13 juin 2013, a déclaré l’article L. 912-1 du code de la
sécurité sociale contraire à la Constitution. Il a énoncé que
cette déclaration d’inconstitutionnalité prenait effet à compter
254g7
Jur ispr ude nc e
de la publication de sa décision mais n’était pas applicable
aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette
publication. Le Conseil constitutionnel a ainsi entendu préserver l’application jusqu’à leur terme, tel qu’il résulte de
leurs stipulations et des dispositions du 1er alinéa de l’article
L. 912-1, des actes contractuels, déjà conclus sur le fondement de cet article, en vertu desquels les entreprises ont
une obligation d’adhésion à un organisme ou une institution
chargé de la mutualisation des risques dont ces accords organisent la couverture. En revanche, sa décision fait obstacle
à ce que l’autorité ministérielle puisse légalement, après la
date à laquelle sa déclaration d’inconstitutionnalité a pris
effet, étendre les stipulations d’un accord prévoyant une
telle obligation d’adhésion et ainsi l’imposer à des entreprises qui, n’étant pas adhérentes à l’une des organisations
d’employeurs signataires de l’accord, n’étaient pas liées par
celui-ci.
préfet par l’article L. 2122-34 du code général des collectivités
territoriales ne s’applique que dans la limite des compétences
des maires qui s’exercent dans le domaine administratif sous
l’autorité ou le contrôle du préfet, et ne s’étend pas, alors
même que les maires agissent au nom de l’État, aux actes
résultant de l’exercice des fonctions d’officier d’état-civil, qui
sont placés sous le contrôle du procureur de la République.
La circulaire du 13 juin 2013 n’a pas méconnu l’article L. 212234 en rappelant qu’il n’autorisait pas le préfet à se substituer
au maire pour procéder à la célébration d’un mariage.
CE, 10e et 9e sous-sect., 18 déc. 2015, no 369834, M. C., Mentionnée au Recueil Lebon, A. Iljic, rapp.; A. Bretonneau, rapp.
254h6
publ.
NOTE Sur renvoi de la QPC au Conseil d’État (18 sept. 2013, n° 369834,
Gaz. Pal. 3 oct. 2013, p. 28, 148a6 et Gaz. Pal. 12 juill. 2014, p. 15, 187b0,
note J. Bonnet), le Conseil constitutionnel a jugé les articles 34-1, 74 et 165
du code civil et l’article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales conformes à la Constitution (Cons. const. 18 oct. 2013, n° 2013-353
QPC, Gaz. Pal. 12 juill. 2014, p. 21, 187b9, note M-A. Granger)
CE, 1re et 6e sous-sect., 15 déc. 2015, no 372880, APAC, Mentionnée au Recueil Lebon, F. Puigserver, rapp.; R. Decout-Paolini,
254h7
rapp. publ.
254h6
■■FONCTION PUBLIQUE
NOTE cf. Cons. const. 13 juin 2013, n° 2013-672 DC, note F. Patris, EDAS,
4 juill. 2013, p. 3
254j5
254h7
Pension de retraite : départ anticipé avec jouissance immédiate pour le parent d’un enfant handicapé
Il résulte du 2e alinéa du I de l’article R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite que le bénéfice d’un
départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate, tel
que défini à l’article L. 24 du même code, est conditionné à
une interruption ou une réduction d’activité du parent fonctionnaire durant les trois ans suivant la naissance de l’enfant
handicapé. La différence de traitement qui résulte de ces
dispositions réglementaires entre les parents d’un enfant
handicapé qui ont réduit ou interrompu leur activité avant que
leur enfant ait atteint l’âge de trois ans et ceux qui ont réduit
ou interrompu leur activité après que leur enfant a atteint cet
âge alors qu’il est encore à leur charge, ne se ne se justifie ni
par un motif d’intérêt général, ni par une différence de situation au regard des préjudices de carrière liées à la charge
supplémentaire qu’impose l’éducation d’un enfant handicapé,
que la mesure vise à compenser. Il suit de là que ces dispositions réglementaires méconnaissent le principe d’égalité
en excluant du bénéfice du départ anticipé à la retraite avec
jouissance immédiate les parents d’enfants handicapés ayant
interrompu ou réduit leur activité après que leur enfant handicapé a atteint trois ans et alors qu’il est encore à leur charge.
■■ÉTRANGERS
254j8
Obligation de quitter le territoire et fixation du pays de
destination
Les décisions par lesquelles l’administration refuse ou retire
à un étranger le droit de demeurer sur le territoire français,
l’oblige à quitter ce territoire et lui signifie son pays de destination sont, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2006-911
du 24 juillet 2006, en principe, regroupées au sein d’un acte
administratif unique. La décision fixant le pays de renvoi
constitue une décision distincte de l’obligation de quitter le
territoire français, qui fait d’ailleurs l’objet d’une motivation
spécifique. La décision fixant le pays de renvoi est ainsi sans
incidence sur la légalité de la décision portant obligation de
quitter le territoire français. L’adoption de la décision fixant
le pays de renvoi conditionne, en revanche, la possibilité pour
l’administration d’exécuter d’office l’obligation de quitter
le territoire. Dès lors, la circonstance que l’administration
n’édicte pas dans un même acte l’obligation de quitter le territoire et la décision fixant le pays de renvoi est sans incidence
sur la légalité de la mesure d’éloignement, mais fait obstacle
à ce qu’elle puisse être exécutée d’office.
Lorsque la rétention administrative est décidée à l’encontre
d’un étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le
territoire français prise moins d’un an auparavant et pour
laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n’a
pas été accordé, la rétention administrative ne peut être légalement décidée que si l’obligation de quitter le territoire
français est elle-même légale. La circonstance que l’autorité
administrative n’ait pas fixé le pays de renvoi concomitamment à l’obligation de quitter le territoire ne fait pas par
elle-même obstacle à ce que l’étranger soit placé en rétention. Toutefois, l’administration ne peut placer l’étranger en
rétention que dans la mesure où cela est strictement nécessaire à son départ et en vue d’accomplir les diligences visant
à permettre une exécution d’office de l’obligation de quitter le
territoire français, notamment celles qui doivent permettre la
détermination du pays de renvoi.
CE, avis, 6e et 1re sous-sect., 14 déc. 2015, no 393591, M. A.,
Publiée au Recueil Lebon, C. Olsina, rapp.; S. von Coester, rapp.
254j8
publ.
■■FAMILLE
254h6
Célébration du mariage pour tous : le préfet ne peut pas se
substituer au maire
Il résulte de l’article 34-1 du code civil, créé par la loi n°
2013-404 du 17 mai 2013, à moins qu’un texte particulier n’en
dispose autrement, que le pouvoir de substitution conféré au
CE, 7e et 2e sous-sect., 16 déc. 2015, no 387815, M. B., Mentionnée au Recueil Lebon, C. Nicolas, rapp.; O. Henrard, rapp.
254j5
publ.
254j5
■■PRESSE ET NTIC
254j3
254j8
Traitements reposant sur un dispositif biométrique : exclusion du champ de l’autorisation unique
La CNIL n’a pas méconnu l’étendue de ses compétences en
prenant la délibération n° 2012-322 du 20 septembre 2012,
qui a exclu du champ de l’autorisation unique les traitements
reposant sur un dispositif biométrique de reconnaissance de
contour de la main ayant pour finalité le contrôle des horaires.
Elle n’a fait une inexacte application de l’article 6 de la loi du
6 janvier 1978 ni en prenant cette délibération ni en refusant
de l’abroger. Elle a apprécié la proportionnalité des données
collectées, qui sont en l’espèce de nature biométrique, à la
finalité poursuivie par le traitement. Elle a pu légalement
estimer que la mise en oeuvre des traitements reposant sur
la reconnaissance du contour de la main et ayant pour seule
finalité le contrôle de la gestion et du respect des horaires
devait faire l’objet d’une autorisation spécifique, eu égard à la
nature des données collectées, afin de lui permettre d’exercer, au cas par cas, le contrôle prévu par ces dispositions.
CE, 10e et 9e sous-sect., 18 déc. 2015, no 381254, SARL Aderanet,
Mentionnée au Recueil Lebon, J. Reiller, rapp.; A. Bretonneau,
254j3
rapp. publ.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
47
254j3
Jur i s p r u de nc e
■■PROFESSIONS
CE, 1re et 6e sous-sect., 15 déc. 2015, no 379389, Sté Janssen-Cilag,
Mentionnée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Versailles, 4
mars 2014), F. Marguerite, rapp.; R. Decout-Paolini, rapp. publ.
254h4
Responsabilité civile professionnelle de l’avocat : réparation
du préjudice moral du client
La circonstance que l’irrecevabilité opposée au pourvoi du
requérant, imputable à une faute de son avocat au conseil
d’État et à la Cour de cassation, ne l’a pas privé d’une chance
sérieuse d’obtenir gain de cause, ne fait pas obstacle à ce qu’il
demande réparation à cet avocat du préjudice moral qui a pu
lui être ainsi occasionné.
254j2
■■TRAVAIL
254h8
Protection des jeunes travailleurs contre les risques pour la
santé : exposition à l’amiante
Si l’article R. 4153-41 du code du travail prévoit que la
demande d’autorisation de déroger précise les travaux nécessaires à la formation professionnelle pour lesquels elle
est présentée, il incombe toutefois au pouvoir réglementaire,
lorsqu’il détermine la liste des catégories de travaux auxquels
les travailleurs de moins de 18 ans peuvent être employés,
par dérogation à l’article L. 4153-8, de vérifier la nécessité de
dérogations pour les besoins de leur formation professionnelle et la possibilité d’assurer la protection de leur sécurité
et de leur santé, dès lors que les travaux sont effectués sous
la surveillance d’une personne compétente.
Le ministre n’a pas justifié des circonstances l’ayant conduit
à estimer que les besoins de la formation professionnelle des
jeunes travailleurs rendaient nécessaires des dérogations
pour des opérations susceptibles d’exposer les mineurs à un
empoussièrement pouvant aller jusqu’à 6 000 fibres par litre,
et de leur faire courir un risque important pour leur santé en
cas de méconnaissance des mesures de protection imposées
par la réglementation en vigueur. Les dispositions du décret
n° 2013-915 du 11 octobre 2013 modifiant le II de l’article D.
4153-18 du code du travail sont illégales en ce qu’elles prévoient qu’il peut être dérogé à l’interdiction fixée au I pour
des opérations susceptibles de générer une exposition des
mineurs au niveau 2 d’empoussièrement de fibres d’amiante.
CE, 6e et 1re sous-sect., 11 déc. 2015, no 384242, Épx B., Mentionnée au Recueil Lebon, C. Beaufils, rapp.; X. de Lesquen, rapp.
254h4
publ.
NOTE cf. CE, 2 oct. 2006, n° 270103, Gaz. Pal. Rec. 2006, somm. p. 4033
254h4
■■PROTECTION SOCIALE
254h9
Suspension du versement du RSA en cas de non respect du
contrat d’insertion
Le président du conseil général est chargé d’orienter le
bénéficiaire du revenu de solidarité active dans le cadre des
démarches qui lui incombent en vertu de l’article L. 262-28
du code de l’action sociale et des familles. Un contrat doit
être conclu avec celui-ci afin de déterminer les engagements
réciproques du département et du bénéficiaire en matière
d’insertion. Il s’ensuit que, si le bénéficiaire du RSA est tenu,
lorsqu’il rencontre des difficultés tenant notamment à son
état de santé faisant obstacle à son engagement dans une
démarche de recherche d’emploi, d’entreprendre des actions
nécessaires à une meilleure insertion sociale, la nature des
engagements pris à ce titre doit figurer dans ce contrat. Le
président du conseil général est en droit de suspendre le versement du RSA lorsque le bénéficiaire, sans motif légitime,
soit fait obstacle à l’établissement ou au renouvellement de
ce contrat par son refus de s’engager à entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale, soit ne
respecte pas le contrat conclu. En revanche, il ne peut légalement justifier une décision de suspension par la circonstance
que le bénéficiaire n’aurait pas accompli des démarches
d’insertion qui ne correspondraient pas aux engagements
souscrits dans un contrat en cours d’exécution.
CE, 1re et 6e sous-sect., 15 déc. 2015, no 377138, M. A., Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation TA Limoges, 22 janv.
2014), M. Thoumelou, rapp.; R. Decout-Paolini, rapp. publ.254h9
■■SANTÉ
254j2
Autorisation de mise sur le marché d’un produit pharmaceutique : résumé des caractéristiques du produit
Le résumé des caractéristiques du produit, dont le projet est
obligatoirement joint à la demande d’autorisation de mise sur
le marché, a pour objet de recenser les informations spécifiques à une spécialité, telles que son nom, sa composition,
sa forme pharmaceutique ou encore ses données cliniques et
pharmaceutiques, à destination des professionnels de santé.
Il comporte notamment, en vertu du point 4.4. de l’article 1er
de l’arrêté du 6 mai 2008, pris pour l’application de l’article
R. 5121-21 du code de la santé publique, tel qu’interprété
à la lumière de l’article 11 de la directive 2001/83/CE du 6
novembre 2001, d’une part, les mises en garde spéciales, qui
ont vocation à s’adresser à l’ensemble des personnels de
santé, et, d’autre part, les précautions particulières d’emploi
qui doivent être spécifiquement prises par les personnes qui
manipulent un médicament et qui l’administrent aux patients.
48
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
254j2
CE, 1re et 6e sous-sect., 18 déc. 2015, no 373968, Assoc. nationale de défense des victimes de l’amiante, Mentionnée au Recueil
Lebon, M. Thoumelou, rapp.; R. Decout-Paolini, rapp. publ.
254h8
254h8
■■URBANISME
254j1
254h9
Droits conférés au bénéficiaire d’un certificat d’urbanisme
L’article L. 410-1 du code de l’urbanisme ne réserve pas à la
personne qui a présenté la demande de certificat les droits
qu’il confère, pendant 18 mois, à l’application des dispositions d’urbanisme, du régime des taxes et participations
d’urbanisme et des limitations administratives au droit de
propriété existant à la date du certificat d’urbanisme. Le bénéfice d’un certificat d’urbanisme peut être invoqué par une
autre personne que celle qui l’a demandé. Aucune disposition
n’exclut la prise en compte d’un certificat d’urbanisme pour
l’examen d’une demande d’autorisation ou d’une déclaration
préalable déposée antérieurement à la délivrance de ce certificat et n’ayant pas encore donné lieu à décision de l’autorité
administrative.
Les articles R. 431-4 et suivants du même code énumèrent de
façon limitative les documents devant être joints à la demande
de permis de construire, sans exiger la production des certificats d’urbanisme portant sur le terrain d’assiette du projet.
Le 4e alinéa de l’article L. 410-1 est applicable à une demande
d’autorisation déposée dans le délai de 18 mois à compter
de la délivrance d’un certificat d’urbanisme, sans qu’y fasse
obstacle la circonstance que le demandeur ne s’en est pas
expressément prévalu lors de l’instruction de sa demande.
CE, 1re et 6e sous-sect., 15 déc. 2015, no 374026, Cne de SaintCergues, Mentionnée au Recueil Lebon, F. Marguerite, rapp.; R.
254j1
Decout-Paolini, rapp. publ.
253x6
254j1
Au x m ar ch es
d u P a l a is
256m6
PROFESSIONS
La déposition
256m6
L’essentiel
Retour sur l’affaire Agnelet mais cette fois-ci du côté du fils de « Maurice », Guillaume qui, après 37 ans de
silence, a décidé de témoigner contre son père. Pascale Robert-Diard, fascinée par cette déposition, a pris
contact avec lui et a reconstitué, grâce à leurs échanges, le fil de l’existence prisonnière de ce terrible secret
jusqu’à sa révélation le 6 avril 2014.
Par
Olivia DUFOUR
Internet a bien failli tuer la chronique judiciaire. Comment prétendre
en effet rendre compte au jour le
jour d’un procès à des lecteurs qui
n’achètent plus qu’épisodiquement
leur quotidien préféré ? Elle est en
réalité en train de trouver un second
souffle grâce aux blogs et aux réseaux sociaux. Parmi les journalistes
passionnés qui se battent au quotidien pour défendre leur art, Pascale
Robert-Diard, journaliste au Monde,
est sans doute la plus célèbre dans
le monde judiciaire mais aussi sur la
toile grâce à son blog « Chroniques
judiciaires » ouvert fin 2006. On s’y
régale de fragments d’audience qui
n’ont pas trouvé leur place dans les
colonnes du quotidien. Ce qui la distingue ? Une sensibilité à fleur de
peau, une connaissance intime du
monde judiciaire, un intérêt profond pour l’humain. Et
surtout, une délicatesse d’aquarelliste pour raconter une
audience.
La journaliste est dans tous les prétoires où se joue une
affaire importante. C’est donc tout naturellement qu’elle
a suivi le troisième procès aux assises de Rennes de
Maurice Agnelet, l’homme accusé d’avoir en 1977 assassiné et fait disparaître le corps d’Agnès le Roux, l’héritière
du Palais de la Méditerranée. Son corps n’a jamais été
retrouvé, mais les soupçons pèsent depuis l’origine sur
cet avocat sulfureux de la famille qui était aussi à l’époque
l’amant de la jeune femme. Débute alors une énigme judiciaire passionnante qui va durer plus de 30 ans. Acquitté
lors de son premier procès à Nice en 2006, Maurice
Agnelet est condamné en appel à Aix-en-Provence l’année
suivante. Son avocat dépose un recours devant la CEDH
et gagne. Un troisième procès est organisé en 2014. Le
6 avril, coup de théâtre : l’un des trois fils de Maurice
Agnelet, Guillaume, qui l’avait défendu jusque-là, fait volteface et confie à la barre sa conviction que son père est
coupable. S’en suivent des moments d’une rare violence
lorsque Guillaume est confronté à sa mère qui continue de
défendre l’innocence de Maurice Agnelet et le menacera
quelques heures plus tard de se suicider. Fascinée par la
déposition de Guillaume Agnelet, Pascale Robert-Diard
décide, à l’issue du procès, de lui écrire une longue lettre.
Il lui répond. Le livre est né de ces échanges. Sa force
est de se tenir soigneusement éloignée de la tentation du
scoop et de la révélation spectaculaire. « Quand je l’ai revu
pour la première fois, sur le quai d’une
gare, j’ai deviné au premier regard qu’il
avait aussi peur que moi (…) L’espace
paraissait soudain trop vaste, trop lumineux. Il n’y avait plus d’huissier, plus ce
silence épais qui accompagne le rituel de
l’audience, plus ce décor de pierre et de
vieux bois, plus cette atmosphère de tragédie qui écrase et élève à la fois. Il n’y
avait qu’une gare pleine de gens pressés.
Et Guillaume Agnelet au milieu d’eux, un
sac à dos, qui me tendait la main ». C’est
la seule confidence du livre. Elle murmure à l‘oreille du lecteur « cette affaire
m’a touchée, j’ai pris le risque fou de sortir du cadre convenu du récit d’audience
pour comprendre l’un des moments les
plus graves auquel j’ai assisté de toute
ma vie de chroniqueuse judiciaire ». Et
la journaliste d’offrir le récit de l’affaire
éclairé par les confidences du fils. On
y découvre, raconté avec infiniment de délicatesse et de
pudeur, l’atmosphère inquiétante qui régnait dans cette
famille étouffée par ce secret souvent évoqué, jamais
avoué, la personnalité séduisante et perverse de Maurice
Agnelet, l’amour inquiet de ses enfants dont il saura si
bien jouer pour assurer sa défense, jusqu’au retournement spectaculaire du 6 avril 2014.
L’on s’assoit à ses côtés sur le banc des journalistes et
l’on partage son émotion lorsque l’avocat général, qui sait
que le fils va témoigner contre son père, regarde l’avocat qui l’ignore encore : « François Saint Pierre pose son
cartable sur le banc de bois clair. Il ne prête pas attention au regard de l’avocat général. Il aurait été étonné de
ce qu’il y aurait vu. Des encouragements. De la bienveillance. De la gêne aussi de savoir, à sa place d’accusateur,
quelque chose que l’avocat de la défense ignore ». Et l’on
retient une larme quand l’avocat de la partie civile, Hervé
Témime, se lève, bouleversé, pour demander au président
de renoncer à une confrontation entre les deux fils Agnelet
qui risquerait de détruire davantage une famille venant
d’exploser devant tout le monde. On referme le livre en
songeant qu’une telle affaire méritait un livre et qu’on ne
pouvait espérer plus belle plume pour l’immortaliser.
Pascale Robert-Diard, La déposition, éd. l’Iconoclaste,
janv. 2016, 235 p., 19 €, disponible sur lgdj.fr.
256m6
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
49
A ux m ar ches
du Pala i s
256m5
PROFESSIONS
Médias : la grande fabrique des innocents
256m5
L’essentiel
Au terme d’une longue enquête au coeur des palais de justice et dans les coulisses des cabinets, Valérie de
Senneville et Isabelle Horlans ont mis au jour les stratégies, les méthodes et les secrets des plus illustres
avocats, tels que Éric Dupond- Moretti, David Koubbi, Jean Veil, Georges Kiejman ou encore Henri Leclerc
dans un contexte où les médias sont devenus des leviers pour faire basculer la justice.
Par
Olivia DUFOUR
Jeudi soir, complément d’enquête était consacré à… l’affaire Kerviel ! Huit ans après, on
se demande ce qui peut bien intéresser des
médias connus pour être en général dénués
de mémoire. Le reportage s’appuie sur les
révélations choc d’une enquêtrice de la brigade
financière. Devant les caméras, elle confie son
sentiment rétrospectif d’avoir été « instrumentalisée » par la Société générale lors de son
enquête en 2008. Le dimanche suivant en fin
de journée, Mediapart sort de nouvelles « révélations exclusives ». Cette fois, il s’agit d’un
substitut du procureur de Paris ayant travaillé
sur le dossier qui confie à la policière qu’à son
avis la banque savait ce que faisait son trader.
Elle ignore qu’elle est enregistrée. La vertueuse policière qui
enquête en privé sur l’affaire livre l’enregistrement à l’avocat
qui le donne à Mediapart. Comme souvent depuis que l’avocat David Koubbi a pris en charge la défense des intérêts de
Jérôme Kerviel, chaque étape de la procédure, chaque plainte,
chaque recours s’appuie sur une opération de communication.
Les révélations de Médiapart sont sorties au moment où le
trader déposait une demande en révision de son procès. Leur
réitération survient alors que la semaine suivante contient pas
moins de deux échéances judiciaires, l’audience de révision le
lundi, celle de la cour d’appel de Versailles le mercredi, dans le
volet civil du dossier. La condamnation pénale du trader pour
abus de confiance est judiciairement définitive, mais pour son
avocat, les médias sont un levier à faire basculer la justice.
Cette affaire illustre de façon spectaculaire la dérive décrite
par Valérie de Senneville et Isabelle Horlans dans leur livre
les grands fauves du barreau, paru le 13 janvier chez CalmannLevy. Ces deux chroniqueuses judiciaires expérimentées
observent depuis des années le déplacement du procès du
prétoire vers les plateaux de télévision. Tout à commencé
avec Jacques Vergès défendant Omar Raddad. C’est là que
l’on a vu un coupable judiciaire devenir un innocent médiatique. Les grands noms du pénal ont alors embrayé. « Les
Kiejman, Vergès, Lombard, Leclerc et Soulez Larivière ont
inauguré le procès moderne sans imaginer qu’ils créaient un
monstre incontrôlable » notent les auteures. Ils ne sont pas
seuls responsables de ce phénomène du procès médiatique.
Dans le même temps, la chronique judiciaire sous l’influence
notamment d’Edwy Plenel empruntait la voie de l’investigation
et avec elle naissait le risque de la manipulation. C’est bien ce
couple infernal qui déclenché l’affaire Bettencourt. Jusqu’au
moment où feu Olivier Metzner a transmis à la presse les
50
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
enregistrements du majordome, son affaire était un dossier
de tutelle, quand Médiapart révèle le contenu des enregistrements, il tourne à l’affaire d’État. On pourrait ne trouver que
des avantages à cette collaboration sulfureuse, mais l’affaire
DSK montre les dangers d’un tribunal médiatique
qui condamne sans avoir tous les éléments en mains
et découvre sidéré au terme du procès que le coupable médiatique était judiciairement innocent.
« Souvent, la réalité du dossier judiciaire diffère de
ce que les limiers de l’investigation ont pu seriner à
l’opinion pendant 3, 4 voire 5 ans. L’affaire du Carlton
est l’exemple ultime : l’hystérisation médiatique y a
été portée à son comble. Au détriment des accusés
mais aussi des femmes parties civiles ex-prostituées
meurtries devenues des personnages publics »
notent les auteures. Faire sortir une affaire, tenter de
restaurer une réputation ou de la détruire, d’infléchir
l’opinion publique et pourquoi pas le juge, de déstabiliser l’adversaire, autant de raisons qui poussent les avocats à
plaider dans les médias comme ils plaident dans les prétoires.
Le livre met également en lumière un phénomène nouveau :
l’irruption des conseillers de communication dans les affaires
judiciaires. Ceux qui organisent la sortie de Kerviel de prison
en chemise rose devant les caméras pour attendrir le public,
qui glissent à l’oreille de Dominique Strauss-Kahn le concept
de faute morale pour le 20h ou à Jérôme Cahuzac celui de
« part d’ombre ». L’ambition ? Séduire l’opinion publique et
à travers, le juge. Le livre dénonce au passage utilement ce
qui parfois se cache sous le terme pompeux de « journalisme
d’investigation ». Ainsi l’avocat Richard Malka, pourtant proche
des médias, dénonce-t-il dans ces pages le journalisme idéologique qui écarte tous les éléments n’allant pas dans le sens
de sa grille de lecture préconçue. Même constat chez Jean
Veil : « il est impossible de débattre avec certains journalistes
d’investigation qui se comportent comme des juges d’instruction, qui ont les préjugés de leurs convictions personnelles ».
Quelques figures de la profession d’avocat résistent à cette
tentation. Par exemple, François Martineau pour qui « la discrétion est souvent plus efficace, c’est un art qu’il faut savoir
cultiver », ou bien encore Hervé Témime : « je n’ai jamais cru à
la défense médiatique. Je ne connais pas d’exemple de procès
gagnés grâce aux seuls médias ». Ou pas encore… Les auteures évoquent à ce sujet cette citation de Giuseppe Tomasi di
Lampedusa, l’auteur du Guépard : « Nous fûmes les guépards,
les lions, ceux qui nous remplaceront seront les chacals et des
hyènes. Et tous, guépards, chacals et moutons, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la Terre ».
V. de Senneville et I. Horlans, Les Grands Fauves du Barreau, éd. Calmann-Levy, janv. 2016, 295 p., 18 €, disponible sur lgdj.fr.
256m5
Gazette Spécialisée
DROIT DES ENTREPRISES
EN DIFFICULTÉ
Sous la responsabilité scientifique de
Thierry MONTÉRAN
Avocat au barreau de
Paris, UGGC Avocats,
président d’honneur du
Centre d’information sur la
prévention des difficultés
des entreprises (CIP
National), président de la
commission Entreprises en
difficulté de l’ACE
Pierre-Michel
LE CORRE
Professeur à l’université
de Nice Sophia Antipolis,
directeur du master 2
Droit des difficultés
d’entreprise, membre
du CERDP (EA 1201)
Sous la coordination de
Emmanuelle LE CORRE-BROLY
Maître de conférences HDR à l’université de Nice Sophia Antipolis, codirectrice du master 2
Droit des difficultés d’entreprise, membre du CERDP (EA 1201)
54
■■ Chronique
de jurisprudence de droit des entreprises en difficulté
sous la direction de Pierre-Michel Le Corre
avec la collaboration de Christophe Bidan, Diane Boustani, Philippe Duprat, Natalie
Fricero, Christine Gailhbaud, Fabien Kendérian, Emmanuelle Le Corre-Broly,
Christine Lebel, Thierry Montéran, Corinne Robaczewski, Isabelle Rohart-Messager,
Richard Routier, Julien Théron et Denis Voinot56
■■ Les
conditions de l’extension de procédure collective
Dix questions-réponses
étude par Florence Reille80
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
51
G a z e tte Sp é cia lisée
É di t o r i al
La procédure de sauvegarde en danger
254u1
254u1
À
Thierry MONTÉRAN
Avocat au barreau de
Paris, UGGC Avocats,
président d’honneur du
Centre d’information
sur la prévention des
entreprises en difficulté
(CIP national), président
de la commission
Entreprises en difficulté
de l’ACE
“ Envisager de ramener
de dix à cinq ans la durée
du plan de sauvegarde
est une hérésie
”
l’occasion de la ratification de l’ordonnance du 12 mars 2014, le
Sénat a adopté en première lecture un certain nombre d’amendements visant à adapter le traitement des entreprises en difficulté.
Bien que le cadre de ces modifications était enfermé dans les limites dites
de clarification, de cohérence ou de fluidité des procédures, l’une de ces
dispositions risque d’entraîner la quasi-disparition de la procédure de sauvegarde. En effet, parmi ces amendements figure la réduction de la durée
des plans de sauvegarde de dix à cinq ans maximum, alors même que plus
de neuf plans sur dix ont une durée supérieure à cinq ans.
Si la procédure de sauvegarde bénéficie d’un certain nombre d’avantages
par rapport à la procédure de redressement judiciaire, dont les plus saillants
sont l’image dont elle bénéficie, sa souplesse au regard de la direction de
l’entreprise, les avantages pour la caution et le rebond qu’elle permet en
cas d’incident du plan de sauvegarde, ces avantages sont destinés à inciter
les chefs d’entreprise à s’adresser au tribunal plus en amont de leurs difficultés, et c’est la raison pour laquelle la sauvegarde n’est accessible qu’aux
entreprises n’étant pas en état de cessation des paiements.
Dans l’esprit des acteurs et des partenaires de l’entreprise, la procédure de
sauvegarde s’apparente à une mesure de prévention, une mesure de réajustement technique qui ne met pas en péril la pérennité de l’entreprise. La
sauvegarde n’est donc pas synonyme de « dépôt de bilan » ou de défaillance. Le plan de sauvegarde est en outre mieux considéré par l’ensemble
des partenaires de l’entreprise, et ce avec raison car 50 % des plans de
sauvegarde sont adoptés par les tribunaux, contre 33 % pour les plans de
redressement judiciaire.
Ramener de dix à cinq ans la durée du plan de sauvegarde est donc une hérésie puisque cela constituera un frein considérable au choix de la procédure
de sauvegarde. Cette réduction de la durée des plans de sauvegarde affectera
également la négociation au sein des comités de créanciers. Or l’institution
des comités de créanciers est une excellente mesure en ce qu’elle associe
les créanciers à l’élaboration du plan. Dès lors, comment convaincre des
créanciers d’accepter de faire des efforts significatifs, et notamment sur la
durée des moratoires si, en cas d’échec du plan présenté devant le comité de
créanciers, c’est le plan de droit commun, d’une durée ramenée à cinq ans,
qui leur sera proposé, comme le voudrait le Sénat ?
Plutôt que de détruire un outil qui fonctionne bien, il serait préférable que
le législateur essaye de le perfectionner, par exemple en rendant les comités
indépendants les uns des autres et en augmentant leur nombre. Il est anormal que le plan négocié et adopté par un comité de créanciers soit anéanti
au seul motif que le plan présenté dans un autre comité a été rejeté par ce
dernier. Le sort de chacun de ces plans ne doit plus être lié mais indépendant. Un comité de créanciers réunissant les créanciers munis de sûretés
pourrait être utilement créé. Les créances fiscales et sociales pourraient en
outre être utilement réunies en un comité de créanciers.
Cette réforme envisagée à l’occasion de la ratification de l’ordonnance du
12 mars 2014 témoigne d’une grave méconnaissance de la pratique de la
restructuration des entreprises en difficulté, et se présente d’ores et déjà
comme la chronique d’une mort annoncée.
La sauvegarde a dix ans. Laissez-lui atteindre sa majorité ! •
254u1
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
53
G a ze tte Spé ci a li s é e
A ctua lité
254t9
Textes
C’est Jean Castelain, ancien bâtonnier de l’Ordre des
avocats à la cour d’appel de Paris, qui lui a remis cette
décoration après l’avoir défini comme un « passeur de
savoir, rêveur de l’impossible, sculpteur de la réalité »,
à l’issue d’un discours chaleureux retraçant le parcours
professionnel de cet avocat engagé notamment auprès
de l’Association des avocats conseils d’entreprises
(ACE) dont il préside la commission « Entreprises en
difficulté », comme auprès de l’Institut français des
praticiens des procédures collectives (IFPPC) dont
il est membre du conseil d’administration et pour
lequel il organise, chaque année depuis onze ans,
les incontournables « Entretiens de la sauvegarde ».
Thierry Montéran est en outre président d’honneur du
Centre d’information sur la prévention des difficultés
des entreprises, également appelé CIP National – dont
il a assuré la présidence pendant trois ans – et siège
depuis dix ans comme expert au sein des commissions
« Droit et Entreprise » et « Statut fiscal et social de
l’avocat » du Conseil national des Barreaux.
Chiffres de la défaillance d’entreprise
254t9
Selon les chiffres de la Banque de France, le cumul
sur douze mois du nombre de défaillances d’entreprise
s’élevait, à fin septembre 2015, à 62 988, soit une
baisse de 0,6 % par rapport à septembre 2014.
Pratiquement stables dans la construction, les
défaillances cumulées sur 12 mois continuent de baisser
dans le transport, l’information et la communication,
l’industrie, le soutien aux entreprises, et le commerce.
En revanche, le cumul des défaillances augmente dans
l’hébergement et la restauration, l’enseignement, la
santé, l’action sociale et les services aux ménages,
l’agriculture, et les activités immobilières. Les défaillances sont quasi stables pour les microentreprises et en
baisse pour les autres PME et davantage encore pour les
ETI et les grandes entreprises.
Les encours de crédits portés par les entreprises
défaillantes sur les 12 derniers mois représentent 0,5 %
du total des encours de crédit déclarés au Service central
des risques de la BDF.
254t2
254t3
Le professeur Laurence Caroline Henry, qui enseigne
à l’université de Nice Sophia-Antipolis et collabore
depuis de nombreuses années aux Gazettes spécialisées
« Droit des entreprises en difficulté », a été nommé
avocat général en service extraordinaire à la Cour de
cassation par décret en date du 6 août dernier.
www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/statsinfo/detail/defaillances-dentreprises.html
254t9
Événement
254t3
Thierry Montéran, chevalier
de la Légion d’honneur 254t2
Le 2 novembre dernier, Thierry Montéran, avocat
au barreau de Paris, membre du conseil de l’Ordre
et codirecteur scientifique depuis dix ans, aux côtés
du professeur Pierre-Michel Le Corre, des Gazettes
spécialisées « Droit des entreprises en difficulté »,
s’est vu remettre l’insigne de chevalier dans l’Ordre
national de la Légion d’honneur dans les locaux de la
bibliothèque de l’Ordre.
© Ph. Cluzeau
254t2
Laurence Caroline Henry nommée
à la Cour de cassation 254t3
254t6
Vient de paraître
Droit des entreprises en difficulté 254t6
Ce Mémento présente, de manière claire et concise,
l’ensemble des dispositions relatives au droit des
entreprises en difficulté.
Sont successivement abordées dans cette édition les
règles juridiques qui gouvernent les mesures en amont
du traitement judiciaire (la prévention hors procédure
et la procédure de conciliation) ; le traitement judiciaire des difficultés d’entreprises, à travers les
procédures mises en place sauvegarde, redressement et
liquidation judiciaires ; l’impact de la procédure sur ses
acteurs, c’est-à-dire les créanciers, les propriétaires et les
personnes sanctionnées.
Cette 7e édition est à jour des dernières évolutions
législatives et jurisprudentielles (notamment la loi
Macron du 6 août 2015).
P.-M. Le Corre, Droit des entreprises en difficulté, éd. Dalloz, coll. Mémentos, 7e éd., nov. 2015, 242 p., 18,50 €, disponible sur www.lgdj.fr
254t6
Jean Castelain et Thierry Montéran
54
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
G a z e tte Sp é cia lisée
A c t u al i t é
254t5
Cours de droit des entreprises
en difficulté 2015-2016 254t5
enjeux du droit des entreprises en difficulté et de
mettre en lumière les nombreuses contradictions qui
irriguent la matière.
Le droit qui s’applique aux entreprises
en difficulté est d’une particulière
importance compte tenu des enjeux de
ces procédures en matière économique,
sociale et financière.
Sont abordés dans ce manuel : le
traitement non judiciaire (prévention,
mandat ad hoc, conciliation), les
procédures judiciaires (sauvegarde, sauvegarde accélérée,
redressement judiciaire), les procédures liquidatives
(liquidation judiciaire, rétablissement professionnel),
les sanctions, les questions de procédure, la protection
des intérêts des salariés, le droit international et le droit
européen des difficultés des entreprises.
Cet ouvrage, qui s’adresse principalement aux étudiants
(en Master Droit, au CRFA), aux candidats à l’ENM et
aux praticiens du droit, est à jour de la loi n° 2015-990
du 6 août 2015, dite loi Macron.
D. Boustani, Les créanciers postérieurs d’une procédure
collective confrontés aux enjeux du droit des entreprises
en difficulté, éd. LGDJ, coll. Thèses, T. 4, oct. 2015, 444 p.,
53,99 €, disponible sur www.lgdj.fr
254t7
254t8
L’essentiel du droit des entreprises
en difficulté 2015-2016 254t8
Cette 5e édition de L’essentiel du Droit
des entreprises en difficulté est une
synthèse rigoureuse, pratique et à jour
de l’ensemble des connaissances que le
lecteur doit avoir de la matière.
Présentée sous la forme de treize
chapitres et à jour des dernières actualités législatives,
elle s’adresse essentiellement aux étudiants (Licence et
Master Droit, CRFPA, ENM) et aux praticiens des
professions juridiques et de l’expertise comptable.
G. C. Giorgini, D. Vidal, Cours de droit des entreprises en difficulté 2015-2016, éd. Gualino, coll. Amphi LMD, 1re éd., oct.
2015, 624 p., 39,50 €, disponible sur www.lgdj.fr
L. Antonini-Cochin, L. C. Henry, L’essentiel du droit des entreprises en difficulté 2015-2016, éd. Gualino, coll. Carrés
« Rouge », 5e éd., sept. 2015, 160 p., 15,50 €, disponible
sur www.lgdj.fr
254t5
254t8
254t7
Les créanciers postérieurs confrontés
aux enjeux du droit des entreprises
en difficulté 254t7
Avec la loi du 26 juillet 2005, le sort
des créanciers postérieurs a subi de
profondes modifications. Répartis en
deux catégories distinctes par l’effet d’un
critère téléologique, leur traitement
par la procédure collective n’est plus
identique : les créanciers postérieurs
non éligibles au traitement préférentiel
subissent les règles contraignantes de
la procédure collective, tandis que seuls les créanciers
postérieurs dits « méritants » bénéficient d’un paiement
à l’échéance et d’un paiement par privilège. Toutefois,
les créanciers postérieurs élus sont également confrontés
à la rigueur de la procédure. La situation des créanciers
postérieurs, dans leur ensemble, contraste avec celle
conférée au débiteur qui n’a plus à craindre l’ouverture
d’une procédure collective devenue une technique
de gestion mise à sa disposition et particulièrement
protectrice de ses droits. Dès lors, le salut des créanciers
postérieurs semble se situer à l’extérieur de la procédure.
Cette thèse, qui impose une approche technique de
la situation des créanciers postérieurs, a surtout pour
ambition de confronter le sort de ces créanciers aux
254t4
Agenda
11es Entretiens de la sauvegarde 254t4
L’IFPPC et l’ACE organisent, en partenariat avec
le CNB et l’ENM, la 11e édition des Entretiens de la
sauvegarde qui se tiendra le lundi 25 janvier 2016,
de 9 h. à 18 h., à la Maison de la Chimie (Paris, 7e),
sous la présidence de Jean-Pierre Rémery, conseiller de
la chambre commerciale de la Cour de cassation.
Après une présentation par Thierry Montéran, avocat
au barreau de Paris, et François Legrand, mandataire
judiciaire, plusieurs problématiques seront abordées :
l’intervention de l’État ; le dispositif d’accompagnement
du chef d’entreprise agriculteur ; un flash d’actualité
sur la réforme du règlement européen ; l’interprétation
des arrêts de la Cour de Cassation ; la découverte des
dispositifs APESA et 60 000 Rebonds.
Se tiendront également des ateliers sur les thèmes
suivants : la dynamique de la prévention ; le droit de
rétention ; le traitement différencié des créanciers dans
les plans de sauvegarde et redressement judiciaire ;
un panorama de jurisprudence 2015 ; la déclaration
et vérification des créances depuis l’ordonnance du
12 mars 2014.
Renseignements : www.ifppc.fr
254t4
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
55
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
253z2
Chronique de jurisprudence de droit des entreprises
en difficulté
253z2
L’essentiel
Sous la direction de
Pierre-Michel
LE CORRE
Professeur à l’université
de Nice Sophia Antipolis,
directeur du master 2
Droit des difficultés
d’entreprise, membre
du CERDP (EA 1201)
Le lecteur retiendra spécialement de cette chronique de jurisprudence trois arrêts.
Le premier, une fois n’est pas coutume, intéresse la prévention, et plus
spécialement le mandat ad hoc (Com., 22 sept. 2015, n° 14-17377). L’arrêt rendu
est fondamental en ce qu’il précise deux points très importants : tout d’abord, il
énonce clairement le principe selon lequel les créanciers sont libres d’accepter
les propositions du mandataire ad hoc, d’où il résulte qu’ils ne peuvent être fautifs
à les refuser ; ensuite, l’arrêt énonce que l’obligation de confidentialité joue non
seulement pendant, mais aussi après la conciliation, de sorte que le mandataire
ad hoc la viole en délivrant une attestation à un débiteur et à sa caution pour
stigmatiser l’attitude d’un participant au mandat ad hoc. Indiquons que dans la
prochaine Gazette spécialisée Droit des entreprises en difficulté sera commenté un
arrêt encore plus important intéressant également l’obligation de confidentialité,
laquelle interdit à un organe de presse de se répandre sur l’existence d’un
mandat ad hoc et sur les négociations menées dans ce cadre (Com., 15 déc. 2015,
n° 14-11500, FS-PBI). Le deuxième arrêt a trait aux effets d’une remise de dette
consentie dans le cadre d’un plan. On sait que ces remises sont caduques si le
plan est résolu. Mais la remise peut-elle être considérée comme acquise lorsque
le plan est complètement exécuté ou suffit-il que le paiement du créancier qui a
consenti cette remise soit totalement intervenu ? C’est cette dernière solution
que choisit logiquement la Cour de cassation (Com., 22 sept. 2015, n° 14-16920).
Le troisième arrêt est relatif à la question du dessaisissement et des droits du
débiteur qui ne sont pas affectés par lui. En question, son droit propre, qui est
reconnu pour exercer un recours contre une décision le condamnant, avant
jugement d’ouverture, à payer une certaine somme d’argent (Com., 8 sept. 2015,
n° 14-14192). Meilleurs vœux aux lectrices et lecteurs, et bonne lecture !
PLAN
I. ASPECTS INTERNATIONAUX................ (néant)
II. PRÉVENTION DES DIFFICULTÉS............. p. 57
III. OUVERTURE ET EXTENSIONS............ (néant)
IV. ORGANES DE LA PROCÉDURE........... (néant)
V. A
SPECTS PROCÉDURAUX........................ p. 58
VI. PÉRIODE D’OBSERVATION..................... p. 59
A. Administration contrôlée répartition des pouvoirs........................ p. 59
B. Contrats en cours.................................. p. 60
C. Délimitation des créances
antérieures et postérieures.................. p. 62
D. Régime des créances postérieures.. (néant)
E. Mesures conservatoires.................... (néant)
VII. SOLUTIONS DE LA PROCÉDURE........... p. 63
A. Plans de continuation, de
sauvegarde et de redressement........... p. 63
B. Liquidation judiciaire............................. p. 68
VIII. PASSIF.................................................. p. 70
A. Situation générale des créanciers
antérieurs.......................................... (néant)
56
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
B. Arrêt des poursuites individuelles.... (néant)
C. Arrêt des voies d’exécutions............. (néant)
D. Interdiction des paiements............... (néant)
E. T
erme, intérêts, cours
des inscriptions................................. (néant)
F. Déclaration, vérification
et admission des créances.................... p. 70
IX. ACTIF....................................................... p. 72
A. N
ullités de la période suspecte action paulienne................................ (néant)
B. Revendications et restitutions.............. p. 72
X. ÉTABLISSEMENTS DE CRÉDIT................ p. 74
A. Instruments de paiement
et de crédit......................................... (néant)
B. Responsabilité des établissements
de crédit................................................. p. 74
XI. SITUATION DES SALARIÉS..................... p. 75
XII. GARANTS ET CONJOINT.................... (néant)
XIII. SANCTIONS........................................... p. 77
A. Sanctions civiles................................ (néant)
B. Sanctions pénales................................. p. 77
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
II. P
RÉVENTION DES DIFFICULTÉS
Portée de l’obligation de confidentialité dans les mesures de prévention 254q8
1
L’essentiel Le conciliateur ne peut s’émanciper de
l’obligation de confidentialité, même après la fin de la
conciliation ayant échoué, pour délivrer au débiteur et à
sa caution une attestation stigmatisant l’attitude d’une
banque. Une telle attestation, contraire à l’obligation de
confidentialité, doit être rejetée des débats.
Cass. com., 22 sept. 2015, no 14-17377, M. L. S. c/ Sté Crédit
du Nord, F–PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 6 mars 2014),
Mme Mouillard, prés. ; SCP Boulez et SCP Delaporte, Briard et
Trichet, av.
Note par
Thierry MONTÉRAN
Avocat au barreau de
Paris, UGGC Avocats,
président d’honneur du
Centre d’information
sur la prévention des
entreprises en difficulté
(CIP national)
A
lors qu’avant la loi de
sauvegarde, les personnes appelées à la procédure de conciliation
étaient soumises au secret,
pénalement sanctionné, le
législateur lui a substitué
une obligation de confidentialité (C. com., art. L. 611-5).
La violation d’une obligation de confidentialité peut théoriquement ouvrir droit à des dommages et intérêts, mais
une telle action n’a, semble-t-il, jamais été ni initiée ni
couronnée de succès.
Sont ici en cause non seulement le respect de la confidentialité mais également, plus généralement, l’obligation de
loyauté dans le débat judiciaire.
En l’espèce, après avoir obtenu la nomination d’un
mandataire ad hoc, un débiteur propose à dix-huit de
ses créanciers une solution de réétalement de leurs
dettes. Dix-sept créanciers acceptent. Seule une banque
refuse... ! L’arrêt permet de rappeler l’évidence : les
créanciers appelés à la négociation sont libres d’accepter
les propositions qui leur sont faites.
Le mandataire ad hoc avait, dans le cadre de ses échanges
avec les différents créanciers, fustigé dans un courrier
l’attitude négative de la banque.
Le débiteur, plusieurs mois après, fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire convertie en liquidation
judiciaire.
Dans le cadre d’un recours de la banque contre la caution,
cette dernière faisait grief à la banque d’avoir abusé de
son droit de refuser la négociation au motif que les dixsept autres créanciers avaient accepté cette négociation.
Comme preuve de ce refus qu’il estimait critiquable, le
débiteur avait produit aux débats le courrier du mandataire ad hoc qui mettait en cause l’attitude de la banque.
Si chaque partie au procès doit prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, toutes les preuves ne
peuvent être retenues, et c’est la raison pour laquelle l’article 9 du Code de procédure civile précise qu’elles doivent
avoir été obtenues « conformément à la loi ».
Par un arrêt de la chambre plénière, la Cour de cassation
avait déjà rappelé que le principe de loyauté dans l’administration de la preuve s’impose au juge (Cass. ass. plén.,
7 janv. 2011, n° 0914316, PB).
La Cour de cassation, dans cet arrêt du 22 septembre 2015,
approuve la cour d’appel d’avoir écarté des débats l’attestation remise à la caution de la société débitrice dans
laquelle le mandataire ad hoc, au mépris de l’obligation de
confidentialité qui le liait par application de l’article 611-15
du Code de commerce, stigmatisait l’attitude de la banque
lors des négociations.
Cette décision permet de rappeler que la confidentialité
est protégée par la loi et que la violation de cette confidentialité justifie son rejet des débats.
Mais l’arrêt ne va-t-il pas au-delà ?
Certes, la cour d’appel rejette à bon droit l’attestation
litigieuse contraire aux articles 9 du Code de procédure
civile et L. 611-5 du Code de commerce. La Cour de cassation semble critiquer également l’attitude du mandataire
ad hoc dont la Cour s’étonne qu’il stigmatise l’attitude
d’une partie, qui plus est dans un écrit dont une copie est
remise au débiteur. Le mandataire, qui ne dispose d’aucun
pouvoir, ne dépasse-t-il pas ainsi sa mission ?
Allons plus loin et posons-nous la question, sans en attendre la réponse, de savoir si en excédant ses pouvoirs, le
mandataire ne commet pas une faute dont il pourrait être
amené à répondre ?
Dans un arrêt du 1er février 2011, la chambre commerciale
de la Cour de cassation avait approuvé la cour d’appel de
Paris, laquelle avait considéré que la faculté d’imposer
une vente n’entrait pas dans les pouvoirs du mandataire
ad hoc qui devait se contenter de trouver un accord entre
les parties et que ce dépassement fautif engageait sa responsabilité (Cass. com., 1er févr. 2011, n° 09-16179).
Le respect de l’obligation de confidentialité est essentiel
non seulement pour les tiers qui participent à la négociation mais également pour notre système de prévention
dont on connaît les excellents résultats et qui nous est
envié par de nombreux pays.
(...)
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
57
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
V. A
SPECTS PROCÉDURAUX
Indivisibilité entre le débiteur, le créancier et le mandataire en matière de vérification
du passif et obligation d’intimer 254n6
1
L’essentiel Il existe un lien d’indivisibilité en matière de
vérification du passif entre le créancier, le débiteur et le
mandataire judiciaire. Dès lors, le recours formé devant
la cour d’appel par le débiteur seul contre une décision
du juge-commissaire admettant une créance, qui intime
le créancier et non le mandataire, doit être déclaré irrecevable par application des dispositions de l’article 553 du
Code de procédure civile.
Cass. com., 29 sept. 2015, no 14-13257, Sté AFL c/ Sté Roma,
PB (cassation CA Orléans, 21 nov. 2013), Mme Mouillard, prés. ;
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av.
L
’appel des décisions
rendues en matière de
Natalie FRICERO
procédures collectives comProfesseur à l’université
porte de nombreux aspects
Nice Sophia Antipolis,
dérogatoires au droit comdirecteur de l’Institut
d’études judiciaires,
mun, et il est parfois délicat
membre du CERDP
d’appliquer cumulativement
(EA 1201)
les dispositions du Code
de procédure civile et les
particularités de la matière. Comme le révèle cet arrêt,
l’indivisibilité entre le débiteur, le créancier et le mandataire peut avoir des incidences redoutables lorsqu’un
recours est formé.
Note par
En l’espèce, la société débitrice avait fait l’objet d’un plan
de sauvegarde, et avait formé un recours contre la décision
du juge-commissaire ayant admis la créance d’une autre
société. Selon l’article R. 624-7 du Code de commerce, ce
recours est formé devant la cour d’appel, selon le droit
commun de l’appel avec représentation obligatoire (1).
(1) CA Paris, 12 juin 2007, n° 06/15428 : D. 2007, AJ, p. 1789.
La société débitrice avait intimé la société créancière,
mais avait omis le mandataire. Or, l’article 553 du Code de
procédure civile prévoit qu’en cas d’indivisibilité entre plusieurs parties, l’appel formé contre l’une n’est recevable
que si toutes sont appelées à l’instance (2).
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir
conclu à l’irrecevabilité de l’appel. Le demandeur au pourvoi invoquait la communauté d’intérêts entre lui-même et
le mandataire pour prétendre être dispensé de l’intimer,
d’autant que le mandataire, en sa qualité de partie à la
procédure de vérification des créances, a toujours la possibilité de se joindre à la procédure d’appel, et que l’appel
formé par l’un des indivisaires conserve le droit d’appel
des autres. Mais la Cour de cassation rappelle qu’au sens
de l’article 553 du Code de procédure civile, il appartient
à l’appelant débiteur d’intimer le mandataire à peine d’irrecevabilité, « sans pouvoir s’en dispenser en invoquant
une prétendue communauté d’intérêts qui l’unirait à ce
dernier ».
La publication au Bulletin de cette décision a pour objectif
d’alerter les parties sur la nécessité de mettre en cause
les organes de la procédure, qui constituent de véritables
« parties ». Dans cette matière indivisible, on ne peut pas
admettre que, sur appel, une créance soit admise au passif avec autorité de la chose jugée à l’égard de certaines
parties, et non admise à l’égard du mandataire qui n’aurait
pas été appelé à l’instance !
(2) Le juge d’appel est même tenu de relever d’office cette irrecevabilité : Cass.
2e civ., 28 mai 1990, n° 88-15257 : Bull. civ. II, n° 118, en respectant le contradictoire.
La régularisation d’une déclaration d’appel qui omet le liquidateur ne peut se faire que
dans le délai d’appel ! 254n7
1
L’essentiel L’appel formé contre un jugement d’ouverture
d’une liquidation judiciaire qui omet d’intimer le liquidateur est irrecevable. L’acte peut être régularisé, mais la
cour d’appel qui admet la régularisation et la recevabilité
de l’appel doit préciser, sous peine de manque de base
légale, dès lors qu’elle y est invitée, si cette régularisation a bien été effectuée dans le délai d’appel.
58
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
Cass. com., 3 nov. 2015, no 14-16750, Sté HK immobilier
c/ Stés Véolia-eau et mandataires judiciaires associés, F–D
(cassation CA Paris, 27 févr. 2014), Mme Mouillard, prés. ;
SCP Odent et Poulet, SCP Gatineau et Fattaccini, av.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
S
i cette décision n’a pas
l’honneur d’une publicaNatalie FRICERO
tion, c’est qu’elle rappelle
indirectement un principe
connu : si une situation donnant lieu à une fin de non-recevoir en appel peut être régularisée avant que le juge
statue (CPC, art. 126), c’est seulement avant la forclusion
résultant de l’expiration du délai d’appel !
Note par
En l’espèce, un appel avait été formé le 7 octobre 2013
contre le jugement ouvrant la liquidation judiciaire (rendu
le 26 septembre 2013), au nom de la société mise en liquidation judiciaire, avec une rédaction pour le moins
ambiguë dans la détermination de l’appelant désigné
ainsi : « SCI HK immobilier ès qualités de mandataire liquidateur de la Selafa MJA en la personne de Maître G. » !
La société MJA, mandataire liquidateur de la SCI HK
immobilier, n’était pas désignée expressément comme
appelante et n’avait pas été intimée en qualité de mandataire, en méconnaissance des dispositions prévues à
l’article R. 661-6-1° du Code de commerce. On peut imaginer que cela était dû à un défaut de vigilance du rédacteur
de l’acte d’appel ! Le 4 novembre suivant, la SCI forme un
nouvel appel qui corrige l’erreur du premier et intime le
liquidateur : la cour d’appel admet la régularisation et la
recevabilité de l’appel, en considérant que l’erreur dans le
premier acte d’appel n’était pas de nature à compromettre
la régularité du premier appel, d’ailleurs corrigée dans le
deuxième acte.
Cet arrêt est cassé pour manque de base légale. En effet, il
est de jurisprudence constante que la régularisation d’un
appel irrecevable ne peut être valablement effectuée que
dans le délai pour former appel : ainsi, par exemple, l’intervention du liquidateur pour régulariser l’appel formé
par le débiteur en liquidation judiciaire ne peut être réalisée valablement que dans le délai d’appel (1) ; de même,
la déclaration d’appel faite par le liquidateur ne peut pas
régulariser l’appel interjeté par le débiteur seul, si elle
est formée après l’expiration du délai d’appel (2). Comme
l’intimé soulevait ce moyen en l’espèce, la cour d’appel ne
pouvait pas admettre la régularisation sans motiver sur
ce point.
Cette règle rigoureuse a pour objectif d’assurer l’effectivité des délais de forclusion : en matière de procédures
collectives, elle impose aux parties et à leur conseil une
particulière diligence, en raison de la brièveté des délais
de forclusion qui limite considérablement la possibilité de
régularisation (C. com., art. R. 661-3 : le délai d’appel est
de dix jours à compter de la notification de la décision de
liquidation judiciaire).
(1) Cass. com., 10 déc. 2003, n° 00-19230 : Bull. civ. IV, n° 204.
(2) Cass. com., 13 nov. 2013, nos 12-28572 et 13-11921 : Bull. civ. IV, n° 165, qui
ajoute que des conclusions postérieures du liquidateur qui s’associe à l’appel du
débiteur ne peuvent pas régulariser l’appel.
VI. P
ÉRIODE D’OBSERVATION
A. Administration contrôlée - répartition des pouvoirs
L’administrateur judiciaire en mission d’assistance a-t-il qualité pour assigner un tiers
en responsabilité contractuelle ? 254q6
1
L’essentiel L’administrateur judiciaire investi d’une mission d’assistance ne peut engager seul une action en
responsabilité contractuelle à l’encontre d’un tiers sans
l’intervention du débiteur, sous peine d’une nullité de
fond de l’action, sans possibilité de régularisation.
Cass. com., 3 nov. 2015, no 13-25510, SCP F. ès-qual. commissaire
au plan de cession de la Sté Métrologie c/ Sté GLS, F–D (rejet
pourvoi c/ CA Paris, 15 mai 2013), Mme Mouillard, prés., M. Le
Mesle, av. gén. ; SCP Vincent et Ohl et Waquet, Farge, Hazan av.
D
ans la droite ligne d’une
récente décision qui
Christophe BIDAN
concernait la saisine du
Administrateur judiciaire
juge-commissaire pour
membre de la SELARL
homologuer une transacAJ Associés inscrite sur la
liste nationale, avocat à la
tion sur le fondement de
cour, barreau de Rennes
l’article L. 622-7 du Code
de commerce (Cass. com.,
23 sept. 2014, n° 13-21686 : Gaz. Pal. 20 janv. 2015,
p. 18, n° 209e6), la chambre commerciale de la Cour de
Note par
Cassation confirme son interprétation stricte des pouvoirs
limités de l’administrateur judiciaire dans le cadre d’une
mission d’assistance du débiteur.
En l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 3 novembre 2015,
l’administrateur judiciaire avec mission d’assistance avait
engagé seul, sans l’intervention du débiteur, une action en
responsabilité contractuelle contre un tiers en réparation
du préjudice causé au débiteur. La cour d’appel avait débouté l’administrateur judiciaire en retenant son absence
de qualité pour agir en justice au visa de l’article 117 du
Code de procédure civile.
L’administrateur avait soutenu dans son pourvoi qu’il
s’agissait d’un simple vice de forme mais la Cour suprême
y a vu une irrégularité de fond et rejette pour ce motif le
pourvoi.
Accessoirement, la Cour de cassation décide que, si le
commissaire à l’exécution du plan a bien qualité, selon
l’article L. 621-28 du Code de commerce alors applicable, pour poursuivre les actions judiciaires engagées
au cours de la période d’observation par l’administrateur
ou le représentant des créanciers, encore faut-il que son
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
59
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
intervention se fonde sur une instance valide, qu’il ne pouvait régulariser faute de disposer lui-même d’un pouvoir
de représentation du débiteur.
En clair, l’administrateur judiciaire ne peut agir seul en
justice que s’il dispose d’une mission de représentation, le
débiteur étant alors frappé de dessaisissement, à l’instar
d’une situation de liquidation judiciaire, le débiteur étant
représenté par le liquidateur.
S’il existe un contentieux fourni relatif au pouvoir du
débiteur de réaliser seul un acte de gestion courante
de l’entreprise, sans l’intervention de l’administrateur
investi d’une mission d’assistance, avec des solutions
variables, en fonction de la nature de l’acte ou de l’activité
de l’entreprise, le juge se montre très rigoureux lorsqu’il
s’agit d’invalider une démarche judiciaire effectuée par
un administrateur judiciaire. La règle est transposable au
mandataire judiciaire, qui engage une action en justice,
quelle qu’elle soit, alors que la nature de sa mission ne
lui confère pas de qualité pour agir, en tout cas, pour agir
seul.
C’est la situation caractéristique de l’administrateur judiciaire avec mission d’assistance, qui, au-delà de simples
actes conservatoires prévus à l’article L. 622-4 du Code de
commerce qu’il lui appartient de réaliser, ne peut, seul,
représenter le débiteur en Justice.
Dans cette même ligne, la cour d’appel de Toulouse, par
une décision du 14 mars 2014, avait notamment indiqué
que l’administrateur judiciaire chargé d’une simple mission d’assistance ne pouvait être le représentant légal
d’une personne morale en redressement judiciaire
(CA Toulouse, 14 mars 2014, n° 12/04114, Avelana
c/ Nestor).
Logiquement, le débiteur assisté d’un administrateur
judiciaire, ne peut pas davantage de son côté agir seul
en justice. L’engagement d’une action en responsabilité
contractuelle à l’encontre d’un tiers ne saurait être qualifié d’acte de gestion courante pouvant être effectué par
le seul débiteur.
C’est donc une nécessaire association entre débiteur et
administrateur qu’il convient de recommander à l’administrateur judiciaire pour s’assurer de la régularité de
la saisine du juge, quel qu’il soit, en dehors des recours,
oppositions ou actions légalement réservées aux organes
de la procédure, telle une action en nullité de période suspecte par exemple.
Cette intervention commune suppose ainsi un accord entre
le débiteur et l’administrateur sur l’opportunité d’engager
une action en justice, puisqu’elle ne peut valablement être
engagée par aucune des deux parties seule, ce qui pose
la question de la capacité de l’administrateur judiciaire à
résister à des demandes inappropriées du débiteur ou, à
l’inverse, de sa responsabilité éventuelle à s’opposer à des
actions qui pourraient se révéler profitables au débiteur.
B. Contrats en cours
Défaut d’exécution d’une transaction signée avant l’ouverture d’une procédure
collective : application des règles relatives aux contrats en cours 254n9
1
L’essentiel En application de l’article L. 622-13, I, du Code
de commerce, le défaut d’exécution par le débiteur d’une
transaction conclue avant son placement en redressement judiciaire ne peut être invoqué par le créancier pour
faire échec à l’autorité de la chose jugée qui s’y attache.
Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, no 14-20917, Sté Intersol c/ Me K., èsqual. liquidateur de la sté AMBTP, F–PB (rejet pourvoi c/ CA Metz,
ch. com., 27 mars 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Lyon-Caen et
Thiriez, av. : LEDEN oct. 2015, p. 3, n° 135, obs. P. Rubellin
Note par
Fabien KENDÉRIAN
Maître de
conférences HDR
à l’université de
Bordeaux, IRDAP
(EA 4191), chargé
d’enseignement
à l’université PanthéonSorbonne (Paris 1)
D
ans cet arrêt du 10 septembre 2015, publié
au Bulletin, la première
chambre civile de la Cour de
cassation précise quelle est
la portée d’une transaction
conclue avant l’ouverture
d’une procédure collective,
en faisant une application
stricte des règles relatives
aux contrats en cours.
Les faits étaient les suivants : après avoir assigné une
société en paiement de travaux de revêtements de sol
effectués entre 2005 et 2009, une autre société avait signé
60
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
avec cette dernière un accord transactionnel (1), en date
du 19 avril 2010, réduisant le montant de sa créance. La
société débitrice s’était engagée à payer par un premier
versement le 15 mai suivant, puis par mensualités ; mais,
le 27 avril 2010, elle a été placée en redressement judiciaire, converti ensuite en liquidation judiciaire. La société
créancière a alors effectué une déclaration de créance
pour son montant initial (228 922,85 €) – et non pour le
montant réduit porté sur le protocole d’accord transactionnel (141 289,97 €) –, avant d’assigner le liquidateur,
ès-qualités, en fixation de celle-ci.
La cour d’appel de Metz avait déclaré la demande de la
société créancière irrecevable au motif que la transaction
avait, conformément aux dispositions de l’article 2052 du
Code civil, autorité de la chose jugée et constituait un titre
exécutoire fixant la créance litigieuse (2).
La première chambre civile de la Cour de cassation, dans
l’arrêt ci-dessus rapporté, rejette le pourvoi formé par la
société créancière, mais en procédant par substitution de
motifs : « Mais attendu que l’arrêt constate que la société
AMBTP a été mise en redressement judiciaire avant la
date de la première échéance de règlement convenue à
(1) V. C. civ., art. 2044.
(2) V. CA Metz, ch. com., 27 mars 2014, n° 14/00169.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
la transaction ; qu’il en résulte, en application de l’article
L. 622-13, I, du Code de commerce, que le défaut d’exécution de la transaction par cette société ne pouvait être
invoqué par le créancier pour faire échec à l’autorité de la
chose jugée qui s’y attachait ; que, par ce motif de pur droit
substitué, dans les conditions prévues à l’article 1015 du
Code de procédure civile, à ceux critiqués par le moyen, la
décision se trouve légalement justifiée ».
Comme on le voit, la Cour de cassation ramène le débat
sur le terrain du droit des procédures collectives, en
traitant la transaction litigieuse comme un contrat en
cours – ce qu’elle n’était pourtant pas forcément ici (3)
– et en lui appliquant de ce fait les règles générales de
continuation des contrats en cours prévues par l’article
L. 622-13 du Code de commerce, texte de la procédure de
sauvegarde applicable en redressement judiciaire. Selon
le I de ce texte, qui est expressément visé par la Cour de
cassation : « Nonobstant toute disposition légale ou toute
clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou
résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul
fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut
d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs
au jugement d’ouverture. Le défaut d’exécution de ces
engagements n’ouvre droit au profit des créanciers qu’à
déclaration au passif ».
Il est bien évident qu’à partir du moment où la société
débitrice avait été placée en redressement judiciaire avant
la date de paiement de la première échéance convenue, la
société créancière ne pouvait, ainsi que le juge la Cour de
cassation, invoquer le défaut d’exécution de la transaction
pour faire échec à l’autorité de la chose jugée qui s’y attachait, et ce dans la mesure où il n’y avait pas eu défaut de
paiement en tant que tel avant l’ouverture de la procédure
collective. C’était donc bien le montant porté sur le protocole d’accord transactionnel qui devait être déclaré à la
procédure.
Il n’en reste pas moins que la solution aboutit à un résultat sévère pour le créancier de l’espèce. En effet, celui-ci
se retrouve lié par un accord transactionnel réduisant
sensiblement sa créance, sans pouvoir se prévaloir de
l’inexécution de la transaction par le débiteur, étant rappelé que ce dernier a été mis en redressement judiciaire…
huit jours après la signature de ladite transaction.
(3) En effet, ainsi qu’il a été relevé, le contrat n’était plus vraiment en cours, puisque
la prestation caractéristique avait eu lieu avant l’ouverture de la procédure collective : v. LEDEN oct. 2015, p. 3, n° 135, P. Rubellin.
Bail commercial et action en contestation de congé : application de la prescription
biennale même en cas de procédure collective du locataire 254p1
1
L’essentiel Le jugement de redressement judiciaire n’a
d’effet interruptif que sur une instance déjà engagée. Le
délai dans lequel l’action en contestation de la validité
d’un congé sans offre de renouvellement ni d’indemnité
d’éviction peut être exercée par le locataire, n’est pas
suspendu par son placement en redressement ou liquidation judiciaire.
Cass. 3e civ., 8 oct. 2015, no 14-18881, Sté Adam c/ Me M.,
ès-qualités liquidateur de la Sté Boucherie de la République,
FS–PB (cassation partielle CA Paris, 9 avr. 2014), M. Chauvin,
prés. ; SCP Spinosi et Sureau, SCP Boré et Salve de Bruneton,
av. : D. 2015, p. 2071 ; LEDEN nov. 2015, p. 2, n° 154, obs.
M.-P. Dumont-Lefrand ; Dalloz actualité 25 oct. 2015, obs.
X. Delpech ; Loyers et copr. 2015, comm. 251, note Ph.-H. Brault
P
ar cet arrêt de cassation
en date du 8 octobre 2015,
Fabien KENDÉRIAN
publié au Bulletin, la troisième chambre civile tranche
une nouvelle difficulté d’articulation entre le statut des baux
commerciaux et le droit des procédures collectives (1). Il était
cette fois question de savoir si le court délai de prescription
énoncé par l’article L. 145-60 du Code de commerce, texte
Note par
(1) Pour un aperçu des nombreuses difficultés qui se posent en la matière, v. F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives. Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires, J. Monéger (préf.), LexisNexis, coll. Droit &
professionnels : droit commercial, 2015, 4e éd.
selon lequel toutes les actions exercées en vertu du statut
précité se prescrivent par deux ans, s’applique à l’action en
contestation de congé introduite après la mise en procédure
collective du preneur.
En l’espèce, une SCI avait consenti à une société un bail
commercial en renouvellement à compter du 1er janvier
1998. La SCI bailleresse avait assigné la société locataire
en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire,
et subsidiairement en résiliation du bail et en validation
d’un congé portant refus de renouvellement sans paiement d’une indemnité d’éviction, délivré le 2 février 2010
à effet du 1er octobre 2010. La résiliation judiciaire du bail
litigieux avait été prononcée le 18 avril 2012. Mais la société locataire avait été placée en redressement judiciaire
le 19 septembre 2012, puis en liquidation judiciaire. C’est
dans ce contexte que le mandataire-liquidateur avait, par
conclusions d’appel du 23 janvier 2013, contesté la validité
du congé et demandé le paiement d’une indemnité d’éviction, ce alors même que plus de deux ans s’étaient écoulés
à compter de la date d’effet dudit congé.
Malgré cette dernière circonstance, la cour d’appel
de Paris avait accueilli les demandes du liquidateur (2).
Pour ce faire, la cour d’appel avait retenu que l’action
en contestation du congé avait été interrompue et non
suspendue par l’effet du jugement de redressement judiciaire le 19 septembre 2012, jusqu’à la reprise d’instance
le 20 décembre 2012, et ce en application de l’article 370
(2) V. CA Paris, pôle 5, ch. 3, 9 avr. 2014, n° 12/08679.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
61
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
du Code de procédure civile, qui prévoit différents cas
d’interruption de l’instance en justice (3). La cour d’appel
en déduisait qu’un délai de deux ans avait recommencé
à courir le 20 décembre 2012, de sorte qu’à la date de
la contestation par le liquidateur, soit le 23 janvier 2013,
l’action en contestation du congé n’était pas prescrite, ni la
demande en paiement d’une indemnité d’éviction.
Comme on pouvait s’y attendre, l’arrêt de la cour d’appel
a été censuré par la troisième chambre civile, sous le
double visa de l’article 370 du Code de procédure civile
et de l’article L. 145-60 du Code de commerce, dans les
termes suivants : « Qu’en statuant ainsi, alors que le jugement de redressement judiciaire n’a d’effet interruptif
que sur une instance déjà engagée et que le délai, dans
lequel l’action en contestation de la validité d’un congé
sans offre de renouvellement ni d’indemnité d’éviction
peut être exercée par le locataire, n’est pas suspendu par
son placement en redressement ou liquidation judiciaire,
la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Ainsi, selon la Cour de cassation, l’action du liquidateur tendant à la contestation du congé était prescrite,
dès lors que le délai de prescription biennale n’avait été
ni interrompu, ni suspendu par la mise en procédure collective de la société locataire.
La solution est juridiquement irréprochable. Rappelons
qu’en application de l’article L. 145-60 du Code de commerce, toutes les actions fondées sur le statut des baux
commerciaux se prescrivent par deux ans. Il ne pouvait,
en l’espèce, y avoir eu interruption du délai de prescription
biennale en raison de la survenance de la procédure collective, puisque l’action en contestation du congé n’avait
pas été introduite avant le jugement d’ouverture, mais
seulement après, le 23 janvier 2013, soit plus de deux
ans après la date d’effet du congé. L’action du liquidateur
était donc nécessairement prescrite. Mais, de toute façon,
comme le souligne la Cour de cassation, le délai de deux
ans n’est pas non plus suspendu par la mise en procédure
collective du locataire.
Il convient donc de retenir de l’arrêt rapporté que la
prescription biennale du statut des baux commerciaux
s’applique même si le preneur est placé en redressement
ou liquidation judiciaires. Une fois n’est pas coutume, il
n’y a pas d’impérialisme du droit des procédures collectives en la matière.
(3) L’article 370 du Code de procédure civile envisage notamment la « cessation
de fonctions du représentant légal d’un incapable », hypothèse susceptible de
s’appliquer à l’ouverture d’une procédure collective avec dessaisissement du
débiteur (v. en ce sens, Dalloz actualité, 25 oct. 2015, X. Delpech, citant Cass.
com., 20 janv. 1998, n° 95-13565 : Bull. civ. IV, n° 31).
C. Délimitation des créances antérieures et postérieures
Fixation du fait générateur de la créance de remboursement détenue à l’encontre
d’un codébiteur solidaire mis en procédure de redressement judiciaire 254p2
1
L’essentiel Saisie une nouvelle fois de la question de la
détermination du fait générateur des créances, la Cour
de cassation décide que la créance de remboursement de
l’État à l’encontre de son codébiteur solidaire pour ses
part et portion naît de l’assignation en réparation du dommage.
Cass. com., 13 oct. 2015, no 14-10664, Me P. ès-qual. mandataire
jud. de la Sté STCM et SCP Taddei-Ferrari-Funel ès-qual. liqu.
jud. de la Sté STCM c/ Min. de l’Écologie, de l’Énergie, du
Développement durable et de l’Aménagement du territoire,
F–PB (cassation sans renvoi CA Aix-en-Provence, 24 oct. 2013),
Mme Mouillard, prés. ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel,
SCP Meir-Bourdeau et Lécuyer, av. : LEDEN déc. 2015, p. 2,
n° 174, obs. P. Rubellin
F
réquemment saisie afin
de déterminer le fait
Diane BOUSTANI
générateur des créances
Docteur en droit, ancienne
détenues à l’encontre d’une
ATER à la faculté de droit
entreprise en difficulté, la
de Nice, membre du
CERDP (EA 1201)
Cour de cassation a dû se
pencher une nouvelle fois
sur cette question dans le cadre de la présente affaire.
Note par
62
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
Si la nature des créances diffère selon les contentieux
auxquels est confrontée la Cour, les enjeux restent les
mêmes. Le sort des créanciers dépend, en effet, de la
qualification de leurs créances dans la procédure. Les
créanciers titulaires de créances antérieures au jugement
d’ouverture sont soumis à l’obligation de déclaration au
passif de la procédure, tandis que ceux qui détiennent
des créances postérieures et méritantes au sens des
articles L. 622-17 et L. 641-13 du Code de commerce en
sont soustraits. On comprend donc tout l’enjeu attaché à
la détermination du fait générateur des créances dans un
contexte de procédure collective, notamment lorsque le
créancier a omis de faire valoir ses droits à la procédure
et qu’il justifie de cet oubli en invoquant le caractère postérieur de sa créance.
Tel était le cas en l’espèce. Les faits étaient les suivants :
une société (la société STCM) s’était vue confier par une
autre société (la société du port) la réalisation de travaux
d’aménagement d’un port de plaisance, l’État ayant assuré
partiellement la maîtrise d’œuvre. Le tribunal administratif, saisi par la société du port en raison de nombreuses
malfaçons constatées, a condamné solidairement la
société STCM et l’État en réparation du dommage qui en
a résulté. Un malheur n’arrivant jamais seul, la société
STCM a par la suite été placée en redressement judiciaire.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
Toute la question était, dès lors, de savoir si l’État qui a
exécuté l’entière obligation et qui entendait répéter contre
son codébiteur solidairement responsable ses part et portion devait ou non déclarer sa créance de remboursement
entre les mains du mandataire judiciaire. L’analyse du fait
générateur, déterminante quant au sort de l’État dans la
procédure, permettait de répondre à cette question.
La Cour de cassation a déjà été amenée à statuer sur le
fait générateur de la créance de remboursement détenue
par une caution, un garant autonome ou un codébiteur
solidaire. Dans cette dernière hypothèse précisément, la
créance de remboursement trouve son origine, selon une
jurisprudence désormais constante, dans l’engagement
solidaire du codébiteur et non dans le paiement effectué
entre les mains du créancier (1). Sans le dire clairement, la
Cour fait donc une stricte application de la thèse volontariste du contrat en vertu de laquelle les créances prennent
vie au jour de la conclusion du contrat et non, par opposition à la thèse matérialiste, au moment de l’exécution de
la prestation.
Toutefois, il n’y avait pas lieu, en l’espèce, de choisir
entre ces deux thèses antagonistes, dans la mesure où,
comme l’ont affirmé les juges du fond, « aucune solidarité n’était expressément stipulée entre les deux débiteurs
antérieurement à leur condamnation ». La créance de
remboursement de l’État n’était pas, en effet, d’origine
contractuelle mais délictuelle puisqu’elle n’existait qu’en
raison du dommage ayant entraîné leur condamnation
in solidum. S’il est classiquement admis qu’en matière de
responsabilité délictuelle, seule la date de la faute ou du
fait dommageable doit être prise en considération, il en va
différemment lorsqu’il s’agit de déterminer la créance de
(1) Cass. com. 30 juin 2004, n° 01-14086 : Bull. civ. IV, n° 142 ; D. 2004, AJ
p. 2156 ; Act. proc. coll. 2004/15, p. 250, note D. Legeais ; RTD com.
2005, p. 171, n° 5, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll. 2005/1, p. 53, obs.
M.-P. Dumont – CA Paris, 2e ch. A, 17 sept. 2007, n° 06/08641.
répétition que détient une personne ayant complètement
exécuté une obligation in solidum contre son coresponsable pour ses part et portion. La solution semble
opportune, puisque le dommage fait naître uniquement
la créance de réparation, la créance de répétition n’étant
que la résultante de l’action menée par la victime en vue
d’obtenir la condamnation des coresponsables du dommage qu’elle a subi.
Dès lors, à quel moment la créance de répétition prendelle naissance ? Au jour de l’assignation ou au jour de la
décision ayant condamné solidairement la société et l’État
à la réparation du dommage ? Les juges du fond ont favorisé la seconde solution en considérant que « la créance
litigieuse est une créance née de la décision de condamnation », de sorte que l’État n’avait pas à déclarer sa créance
au passif de la procédure. La Cour de cassation casse et
annule l’arrêt de la cour d’appel et fixe, au contraire, le
fait générateur de la créance de remboursement plus en
amont, au jour où la victime a assigné l’État en réparation du dommage. L’attendu est parfaitement clair sur
ce point : « (…) c’est au jour où il [l’État] a été assigné
en réparation du dommage que naît sa créance indemnitaire contre son coresponsable ». Ainsi, la créance de
remboursement du codébiteur d’une obligation in solidum
prend-elle naissance au moment où la victime introduit
l’instance en vue d’obtenir la réparation de son dommage.
Cette décision s’inscrit parfaitement dans le prolongement d’un avis donné par la Cour de cassation le 11 avril
2012 dans lequel elle s’était prononcée dans un sens identique (2). La solution de la Cour semble donc faire autorité
et permet, encore un peu plus, de lever les incertitudes
entourant la naissance des créances dans le cadre de la
procédure.
(2) Cass. com., avis, 11 avr. 2012, n° 10-25139.
(...)
VII. S
OLUTIONS DE LA PROCÉDURE
A. Plans de continuation, de sauvegarde et de redressement
Nature juridique du constat de la bonne exécution du plan 254q0
1
L’essentiel Le constat de la bonne exécution du plan,
même non prévu par la loi applicable, ne peut être qualifié
de mesure d’administration judiciaire.
Cass. com., 8 sept. 2015, n 14-11393, Sté d’expansion du
spectacle et a. c/ M. O. et a., F–PB (cassation CA Paris, 3 déc.
2013), Mme Mouillard prés. ; SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Marc
Lévis, av. : JCP G 2015, 1065, obs. J. Théron
o
Note par
Christine LEBEL
Maître de conférences
HDR, membre du
CRJFC (EA 3225) – UFR
SJEPG (université de
Franche-Comté)
ment.
P
ar l’arrêt du 8 septembre
2015, la Cour de cassation apporte une précision
importante quant à la nature
de la décision du tribunal
constatant la bonne exécution d’un plan, qu’il soit de
sauvegarde ou de redresse-
En l’espèce, un redressement judiciaire sous patrimoine
commun a été ouvert à l’égard d’un groupe de sociétés par
jugement du 14 novembre 2002. Le plan de continuation
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
63
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
a été établi en excluant les créances faisant l’objet d’instances en cours. Il a été adopté par décision du 3 août
2004. Par requête du commissaire à l’exécution du plan, le
tribunal a, par jugement du 7 juin 2011, constaté la bonne
exécution du plan de continuation et mis fin à la mission
du commissaire à l’exécution du plan. Les sociétés, dont
les créances faisaient l’objet d’instances toujours en cours
à cette date, ont formé tierce opposition à la décision de
constat de bonne exécution du plan. La cour d’appel a
jugé leur demande irrecevable au motif que le constat du
respect par le débiteur des engagements du plan de continuation ne peut avoir la nature d’un acte juridictionnel,
car il ne tranche aucune contestation entre les parties.
La Cour de cassation censure cette analyse sur le visa de
l’article 537 du Code de procédure civile : « le constat de la
bonne exécution du plan, même non prévu par la loi applicable, ne pouvait être qualifié de mesure d’administration
judiciaire ».
Bien que rendue sous l’empire des dispositions légales
antérieures à la loi de sauvegarde, la décision du 8 septembre 2015 répond clairement à l’interrogation relative
à la qualification de la décision du tribunal constatant
la bonne exécution du plan. Ce constat n’avait pas été
initialement envisagé par le législateur en 1985, par
conséquent, il n’y avait pas formellement de décision
mettant fin aux effets de la procédure collective. L’article
L. 626-28 du Code de commerce prévoit désormais que
le tribunal, saisi par le commissaire à l’exécution du plan
sur requête, constate que l’exécution du plan est achevée.
Toutefois, le législateur n’a pas donné davantage de précision quant à la nature de ce constat. Le doute est permis
dans la mesure où la frontière entre actes juridictionnels
et mesures d’administrations judiciaires ne peut être affirmée avec précision (1). En outre, les études doctrinales
sont peu nombreuses sur cette question (2).
Dans leur pourvoi, les sociétés créancières ont prétendu
que le constat de la bonne exécution du plan entraîne la
clôture consécutive de la procédure collective, mettant
ainsi fin aux fonctions du commissaire à l’exécution du
(1) J. Théron, « Mesure d’administration judiciaire, proposition d’une qualification » : D. 2010, p. 2246.
(2) A. Perdriau, « Les mesures d’administration judiciaire au regard du juge de cassation » : Gaz. Pal. 7 mars 2002, p. 2, n° C6668 ; M. Degoffe et E. Jeuland,
« Les mesures d’administration judiciaire en droit processuel : les problèmes
de qualification », in Mélanges J. Normand, Litec, 2003, p. 147 ; C. Brenner,
« Les décisions dépourvues d’autorité de chose jugée » : Procédures 2007, étude
n° 13.
plan. De même, ce constat rend le débiteur à nouveau
totalement libre de disposer de son actif et rétablit le droit
de poursuite individuelle des créanciers. Pour cette raison,
ce constat ne pourrait être une mesure d’administration
judiciaire. Cette argumentation est partiellement vraie.
Certes, la procédure collective est clôturée, car le débiteur
est redevenu maître de ses biens par le seul jugement arrêtant le plan (3), sous réserve des mesures d’inaliénabilité
arrêtées par le tribunal. Par ailleurs, le droit de poursuite
individuelle des créanciers ne vise que les créances nées
postérieurement à l’adoption du plan, car le débiteur est
in bonis, et éventuellement les créances postérieures privilégiées non réglées à leur échéance (4). À l’opposé, le
constat peut valablement affecter les droits des créanciers de la procédure collective, notamment ceux pour
lesquels une instance relative à la détermination de leur
créance est toujours en cours au jour du constat de bonne
exécution. En effet, tant que l’existence de ces créances
n’est pas reconnue ou tant que leur quantum n’a pas été
déterminé en justice, les créanciers ne sont pas remplis
de leurs droits dans le cadre de l’exécution du plan (5). Pour
ces raisons, la décision de constat n’est pas une mesure
d’administration judiciaire pour la chambre commerciale
de la Cour de cassation, car elle est susceptible d’affecter
les droits des créanciers. Elle doit alors être assimilée à
un jugement (6).
Au final, il semble que dès que la décision critiquée est
destinée à satisfaire uniquement l’intérêt du service public de la justice, il s’agit d’une mesure d’administration
judiciaire (7). À l’opposé, lorsque la décision est destinée à
lever un doute quant aux droits des créanciers, il s’agirait
d’un jugement.
(3) Cass. com., 24 mars 2015, n° 14-11591 : Gaz. Pal. 21 juill. 2015, p. 17,
n° 234c5, obs. C. Lebel – Cass. com., 21 févr. 2006, n° 04-10187 : LPA 27 avr.
2008, p. 18, note C. Lebel.
(4) C. com., art. L. 622-17.
(5) C. com., art. L. 626-21, al. 1er – Cass. com., 22 nov. 2011, n° 10-24129 : Bull.
civ. IV, n° 191 ; Rev. sociétés 2012, p. 196, obs. P. Roussel Galle ; JCP E 2012,
1227, obs. P. Pétel ; Gaz. Pal. 28 avr. 2012, p. 22, n° I9651, obs. C. Lebel.
(6) J. Théron, art. préc. Contra P.-M. Le Corre, op. cit., n° 525.22.
(7) Cass. com., 17 sept. 2013, n° 12-30158 : Bull. civ. IV, n° 133 ; Gaz. Pal. 14 janv.
2014, p. 28, n° 161j5, note P.-M. Le Corre ; Gaz. Pal. 10 déc. 2013, p. 41,
n° 158w8, note J. Théron ; Rev. sociétés 2013, p. 730, note P. Roussel Galle ;
JCP E 2014, 1020, obs. P. Pétel.
La réduction de créance consentie dans le cadre du plan n’est acquise définitivement
qu’après le versement de la totalité des échéances prévues au plan 254p9
1
L’essentiel La réduction de la créance consentie dans le
cadre du plan de sauvegarde n’est définitivement acquise
au débiteur qu’après versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan pour son paiement.
Cass. com., 22 sept. 2015, no 14-16920, Banque populaire
c/ SELARL Gauthier S. ès-qual. et a., F–PB (cassation CA Paris,
6 févr. 2014), Mme Mouillard prés. ; SCP Rousseau et Tapie,
SCP Spinosi et Sureau, av.
64
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
E
n l’espèce, la sauvegarde
du débiteur a été ouverte
Christine LEBEL
par jugement du 9 décembre
2009. Le projet de plan proposé prévoyait deux options de règlement du passif : soit
un paiement de 20 % de la créance en deux échéances
en novembre 2011 et mars 2012, soit un paiement total
suivant dix annuités progressives, la première échéance
étant exigible un an après l’arrêté du plan. Le plan de
Note par
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
sauvegarde a été adopté le 1er juin 2011. N’ayant pas répondu dans les délais, et conformément au projet de plan,
la banque a été réputée avoir accepté la première option
du règlement du passif. Ainsi, la banque a reçu deux
versements, respectivement le 28 décembre 2011 et le
24 juillet 2012, soit 20 % du montant de sa créance, conformément à l’option précitée. Par jugement du 5 décembre
2012, après avoir constaté la cessation des paiements du
débiteur, le tribunal a prononcé la résolution du plan de
sauvegarde et ouvert une liquidation judiciaire (1). Dans le
cadre de cette procédure, la banque a déclaré les 80 % de
sa créance non réglée dans le plan résolu. Le mandataire
judiciaire a contesté cette déclaration considérant que la
créance de la banque avait été définitivement soldée au
titre du plan de sauvegarde. Le juge-commissaire a rejeté
la créance. La banque a interjeté appel. La cour d’appel
a déclaré l’appel irrecevable considérant que la créance
de la banque était éteinte à l’ouverture de la liquidation
judiciaire le 5 décembre 2012, le dernier versement ayant
été effectué le 24 juillet 2012. Au visa de l’article L. 626-19,
alinéa 2, du Code de commerce, dans sa rédaction issue
de l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, la
Cour de cassation censure la cour d’appel pour violation
du texte précité, car « la dernière échéance n’avait pas été
réglée au terme fixé par le plan ».
L’arrêt du 22 septembre 2015 permet d’évoquer la règle
relative à la réduction de créance consentie par un créancier dans le cadre d’un plan. Jusqu’alors, la Cour de
cassation ne s’était prononcée qu’à propos d’un plan de
continuation, sous l’empire des dispositions du Livre VI
du Code de commerce, dans leur version antérieure à la
loi de sauvegarde (2). En 2005, le législateur a précisé à
l’article L. 626-27 du Code de commerce, que le jugement
prononçant la résolution du plan « emporte déchéance de
tout délai de paiement accordé » sans donner davantage
de précisions sur le sort de la remise de créance. Ainsi, le
doute est apparu pour savoir à partir de quand la remise
de créance était acquise au débiteur en cas de résolution
du plan : lors du règlement total de la créance selon les
modalités prévues par le plan (autrement dit sans tenir
compte du paiement des autres créances) ou lors de la fin
de l’exécution du plan (autrement dit à la condition que le
plan soit totalement exécuté) ? Une réponse a été proposée
(1) CA Paris, P. 5, 9e ch., 6 févr. 2014, n° 13/18449.
(2) Cass. com., 3 oct. 2006, n° 04-30779 : Bull. civ. IV, n° 197 ; Gaz. proc. coll.
2007/1, p. 31, obs. D. Voinot ; D. 2006, p. 2734, obs. A. Lienhard ; D. 2007,
p. 42, obs. P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll. 2006, comm. n° 237, obs. J.-C. Boulay ; Rev. proc. coll. sept. 2007 p. 164, note C. Lebel – Cass. com., 9 mai 2007,
n° 06-12111 : Bull. civ. IV, n° 126 ; D. 2007, p. 1509, obs. A. Lienhard ; Act.
proc. coll. 2007, comm. n° 118, obs. J. Vallansan ; Rev. proc. coll. sept. 2007,
p. 131, note C. Lebel.
par la doctrine (3) au moyen d’une interprétation a contrario
de l’article L. 626-19, alinéa 2, dans sa version antérieure à
l’ordonnance n° 2008-1345, du 18 décembre 2008 (4). Ainsi,
pour ces auteurs, aux yeux de cette doctrine, l’échec du
plan anéantit la remise de dette et le créancier recouvre
donc l’intégralité de sa créance. L’article L. 626-19 du Code
de commerce a été modifié par l’ordonnance de 2008 (5)
précitée. Désormais, l’alinéa 2 de ce texte dispose que « la
réduction de créance n’est définitivement acquise qu’après
versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue
par le plan pour son paiement » (6).
En l’espèce, la question était alors de savoir si la résolution du plan intervenue après le paiement intégral des
échéances de la banque répondait ou non aux exigences
légales. La Cour de cassation répond par la négative, car
les dispositions du plan n’avaient pas été respectées dans
la mesure où la première échéance avait été réglée avec
un mois de retard et la seconde, avec presque quatre
mois de retard. Certes, le montant prévu par le plan avait
été réglé mais les modalités de versement n’ont pas été
respectées. Par conséquent, les échéances n’ont pas été
réglées en application du plan. La décision commentée
constitue une première application de cette disposition légale interprétée rigoureusement par la Cour de cassation.
Ainsi, la remise consentie par le créancier dans le cadre
du projet de plan, et par la suite, par le plan arrêté par
le tribunal de la procédure collective, n’est définitivement
acquise au débiteur qu’à la double condition que le plan ait
été correctement exécuté et qu’il l’ait été conformément
aux modalités prévues par le jugement l’ayant arrêté.
Autrement dit, la remise est accordée de façon conditionnelle par les créanciers. Toutefois, le Conseil d’État (7) ne
partage pas cette analyse, considérant que la remise de
dette consentie dans le plan est certaine dans son principe
et dans son montant par le jugement arrêtant le plan. De
ce fait, la remise constituant une augmentation d’actif net,
elle est immédiatement taxable dès ce moment (8).
(3) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, 2006, 7e éd., n° 958 ; M.-H. Monsérié-Bon, « L’effacement des dettes dans le droit des entreprises en difficulté » :
Dr. et patr. sept. 2009, n° 184, p. 64.
(4) C. com., art. L. 626-19, al. 2 : « La réduction de créance n’est définitivement
acquise qu’après le versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par
le plan ».
(5) C. Lebel, « Les plans de sauvegarde et de redressement dans l’ordonnance du
18 décembre 2008 » : Gaz. Pal. 7 mars 2009, p. 46, n° H3521.
(6) S. Saaied, L’échec du plan de sauvegarde de l’entreprise en difficulté, A. Ghozi
(préf.), LGDJ, 2015, t. 3, nos 180 et s.
(7) CE, 9e et 10e ss.-sect. réunies, 21 nov. 2011, n° 340319 : JCP E 2012, 1243,
note P. Fumenier et C. Maignan.
(8) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz, coll. Dalloz
Action, 2015, n° 522.14.
Désignation d’un mandataire ad hoc pour représenter l’intérêt collectif des créanciers
d’une procédure collective non clôturée et recouvrer les actifs résiduels 254r4
1
L’essentiel La procédure collective n’étant pas clôturée,
en présence d’actifs résiduels restant à recouvrer, en
l’absence d’organe pouvant la représenter, un manda-
taire ad hoc peut être désigné pour exercer, dans l’intérêt
collectif des créanciers, l’action en recouvrement des
fonds en vue de leur distribution.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
65
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
Cass. com., 29 sept. 2015, no 14-14727, Caisse de crédit mutuel
c/ Mme B. et a., F–PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 7 févr.
2014), Mme Mouillard prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton,
Me Blondel, av.
L
’arrêt du 29 septembre
2015 permet de préciser
Christine LEBEL
les conditions de la représentation de l’intérêt collectif
des créanciers dans une hypothèse peu évoquée en jurisprudence.
Note par
En l’espèce, un redressement judiciaire a été ouvert en
1995 qui a abouti à un plan de cession adopté la même
année. Le représentant des créanciers désigné dans
cette procédure a été nommé ultérieurement en qualité
de commissaire à l’exécution du plan. Neuf ans plus tard,
la déclaration d’une banque a été jugée irrecevable. La
décision de justice étant devenue irrévocable, elle a entraîné corrélativement l’extinction de la créance. Au cours
de la procédure, la banque a reçu une provision à valoir
sur le paiement de sa créance. En 2006, le commissaire
à l’exécution du plan a assigné la banque en restitution
de celle-ci. Sa demande a été jugée irrecevable tant en
qualité de représentant des créanciers qu’en celle de
commissaire à l’exécution du plan. Les représentants
du débiteur ont demandé la désignation d’un mandataire
ad hoc avec pour mission de recouvrer les fonds. Les juges
du fond ont fait droit à cette demande, la banque ayant
été condamnée à restituer les fonds au mandataire ad hoc
désigné. Le pourvoi du créancier est rejeté par la Cour
de cassation qui a considéré le moyen de la banque non
fondé. En effet, la cour d’appel avait retenu que la procédure collective n’était pas clôturée. Toutefois, aucun
organe n’était plus habilité à agir en restitution des fonds
indûment perçus par la banque. Ne se fondant pas sur les
dispositions de l’ancien article L. 621-68 du Code de commerce relatives à la poursuite des instances auxquelles
le commissaire à l’exécution du plan était partie, la cour
d’appel en a exactement déduit qu’un mandataire ad hoc
pouvait être désigné pour exercer, dans l’intérêt collectif
des créanciers, l’action en recouvrement des fonds en vue
de leur distribution, car il ne s’agissait pas d’une action
poursuivie au sens de l’ancien article L. 621-68 du Code
de commerce.
Ainsi, les juges devaient répondre à la question suivante :
lorsque la mission des organes a pris fin, qui peut introduire une action dans l’intérêt collectif des créanciers de
la procédure collective non clôturée ?
En effet, le commissaire à l’exécution du plan est nommé
pour la durée du plan, lequel ne peut excéder 10 ans.
Le plan ayant été adopté en octobre 1995, la mission a
pris fin 10 ans plus tard, soit en 2005. Par conséquent, il
n’avait plus qualité pour assigner la banque en restitution des fonds indûment perçus, ce qui explique pourquoi
son action a été déclarée irrecevable. Afin de se sortir de
66
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
cette situation sans bourse délier, la banque a prétendu
il n’est pas possible de désigner un mandataire ad hoc
pour introduire une nouvelle procédure dès lors que les
organes n’ont pas usé de leurs pouvoirs. Pour cette raison,
la demande en restitution des fonds devait être jugée irrecevable pour avoir été tardivement engagée.
La difficulté résulte du fait que les dispositions légales et
réglementaires applicables à l’espèce évoquaient seulement les actions introduites avant l’adoption du plan et
celles relatives à l’établissement du passif définitif du débiteur. Par conséquent, les textes étaient silencieux sur la
représentation de l’intérêt collectif des créanciers après
la fin de la mission des organes de la procédure alors
que celle-ci n’a pas encore été clôturée. Concrètement,
l’action en restitution des fonds résulte du rejet définitif
et de l’extinction de la créance qui en découle, intervenus
après la fin de la mission du commissaire à l’exécution
du plan. N’ayant plus la qualité de créancier, la banque
devait restituer la provision reçue à valoir sur sa participation à la répartition des actifs dans la procédure collective.
Pour cette raison, son argumentation ne pouvait prospérer : il ne s’agissait pas d’une action nouvelle qui aurait dû
être intentée par les organes en fonction (CA Montpellier,
19 mars 1996, n° 95/0003980 : JCP E 1996, I, 585, n° 15,
obs. P. Pétel ; Rev. proc. coll. 1996, p. 376, obs. B. Soinne).
Ainsi, les juges du fond ont considéré que les représentants du débiteur, pouvaient demander la désignation d’un
mandataire ad hoc afin d’introduire une action dans l’intérêt des créanciers de la procédure collective, aux fins de
recouvrer une créance résultant d’une décision judiciaire
devenue irrévocable postérieurement à la cessation des
fonctions de l’organe de la procédure qui aurait été habilité à agir. En procédant de la sorte, la collectivité des
créanciers n’est pas privée de son droit d’agir en justice
par l’intermédiaire d’une personne habilitée à la représenter. Le rejet du pourvoi est justifié.
La solution énoncée par l’arrêt du 29 septembre 2015,
bien que rendu sous l’empire des dispositions du Code de
commerce dans leur version antérieure à 2005, est applicable aux procédures ouvertes actuellement. En effet,
l’article L. 626-25 du Code de commerce dispose, dans
son alinéa 3, que le commissaire à l’exécution du plan est
également habilité à engager les actions dans l’intérêt
collectif des créanciers. Cette nouvelle règle ne résout
pas la difficulté de la représentation de la collectivité des
créanciers après cessation des fonctions du commissaire
à l’exécution du plan. Il peut engager de nouvelles actions,
mais la durée de sa mission est toujours limitée à celle de
l’exécution du plan. Par conséquent, après l’achèvement
des fonctions du commissaire à l’exécution du plan, il est
toujours nécessaire de solliciter la désignation d’un mandataire ad hoc. Reste alors à savoir qui est habilité pour
présenter une telle requête au tribunal. Le débiteur ou
ses représentants, comme en l’espèce ? Cela ne semble
pas poser de difficulté. Toutefois, est-ce que les « anciens
organes » de la procédure pourraient le faire et, dans l’affirmative, en quelle qualité ? Le doute est permis.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
Désignation d’un mandataire ad hoc lorsque le commissaire à l’exécution du plan
n’est plus en fonction 254r5
1
L’essentiel La désignation d’un mandataire ad hoc est
obligatoire lorsque le commissaire à l’exécution du plan
n’est plus en fonction, et il n’est pas fait exception à cette
règle lorsque les débiteurs étaient eux-mêmes parties à
l’instance.
Cass. com., 13 oct. 2015, no 14-14327, M. R. et a. c/ Crédit
maritime mutuel, F–PB (irrecevabilité pourvoi c/ CA Montpellier,
10 déc. 2013), Mme Mouillard, prés. ; Me Carbonnier av. et
SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av.
L
’arrêt du 13 septembre
2015 revient sur les
Christine LEBEL
conditions de la représentation de l’intérêt collectif des
créanciers après la fin de la mission du commissaire à
l’expiration du plan. Par ailleurs, il rappelle les effets du
prononcé du jugement de liquidation judiciaire.
Note par
En l’espèce, deux sociétés dont une SARL et une SNC
ainsi que les associés de cette dernière, en qualité de
cautions, ont été assignés par une banque en paiement
de diverses sommes. Un redressement judiciaire a été
ouvert le 4 février 1997 à l’égard de tous ces débiteurs.
Leurs plans de continuation ont été adoptés le 18 septembre 1998 et totalement exécutés en 2004. Au cours de
la période d’observation du redressement judiciaire, les
associés, personnes physiques, ont contesté la déclaration de créances et ont reconventionnellement demandé
des dommages-intérêts en raison d’une facturation de
frais financiers excessive et d’une rupture abusive de
crédits. Le mandataire désigné en qualité de représentant des créanciers a repris l’instance, et l’a continuée
en qualité de commissaire à l’exécution des plans après
l’adoption de ces derniers. Par la suite, un jugement du
22 mars 2013 a placé à nouveau la SARL en redressement
judiciaire. Le mandataire précédemment désigné a été à
nouveau nommé dans cette seconde procédure collective.
Par conclusions du 13 octobre 2013, les deux sociétés, les
deux associés et le mandataire judiciaire, en qualité de
commissaire à l’exécution des plans et de représentant
des créanciers, ont repris la demande de dommages-intérêts non encore jugée.
Le pourvoi du mandataire judiciaire, en qualité de commissaire à l’exécution du plan, a été jugé irrecevable car
les plans avaient été exécutés. La demande du mandataire, en qualité de représentant des créanciers, étant
étrangère à la vérification du passif, celle-ci était également irrecevable. En outre, la déclaration de pourvoi de la
SARL a été déposée au greffe de la Cour de cassation le
21 mars 2014. Or, la liquidation judiciaire de la SARL prononcée par jugement du 21 mars 2014, produit ses effets à
0 heure le jour de son prononcé. Ainsi, la SARL ne pouvait
valablement rédiger seule un pourvoi, sans régularisation du liquidateur dans le délai du dépôt du mémoire en
demande. Enfin, la SNC et ses associés faisaient grief aux
juges du fond d’avoir déclaré leur demande reconventionnelle de dommages-intérêts irrecevable. Leur pourvoi est
jugé non fondé par la Cour de cassation qui précise que
« les instances auxquelles le représentant des créanciers
était partie et qui ont été reprises par le commissaire à
l’exécution du plan doivent, lorsque celui-ci n’est plus
en fonction, être poursuivies par un mandataire de justice spécialement désigné à cet effet ; qu’il n’est pas fait
exception à cette règle lorsque les débiteurs étaient euxmêmes parties à l’instance ».
L’arrêt du 13 octobre 2013 se situe dans le sillage de celui
du 29 septembre 2015 précédemment évoqué. Ainsi, seul
un mandataire spécialement désigné a qualité pour représenter les créanciers de la procédure collective, dès lors
que tous leurs droits collectifs ne sont pas éteints. Dans
la décision de septembre 2015, les actifs étaient à recouvrer ; dans celle d’octobre 2015, une action en réparation
d’un préjudice subi collectivement par les créanciers, et
par les cautions du débiteur n’avait pas encore été définitivement jugée.
En l’espèce, l’arrêt du 13 octobre permet de faire la synthèse. Tout d’abord, l’une des sociétés a éprouvé à nouveau
des difficultés, un second redressement judiciaire a été
ouvert, converti ensuite en liquidation judiciaire. Ce dernier
prend effet à compter de sa date (C. com., art. R. 621-4,
par renvoi art. R. 641-1), c’est-à-dire à compter de 0 heure
de la date du jugement. Ainsi, tous les actes accomplis
le jour du jugement d’ouverture sont réputés l’avoir été
après le prononcé de la liquidation judiciaire (P.-M. Le
Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz
Action 2015-2015, n° 233.41). Cette solution appliquée à
l’espèce conduit, à juste titre, à considérer que le pourvoi
avait été déposé au greffe de la Cour de cassation après
le prononcé de la liquidation judiciaire. En l’absence de
régularisation par le liquidateur, il était irrecevable.
Par ailleurs, le plan de continuation de la SNC a été exécuté en 2004. En 2013, le commissaire à l’exécution du
plan n’est plus en fonction. Même si à l’époque, il n’existait
pas formellement de décision constatant la bonne exécution du plan, le commissaire à l’exécution du plan avait
été désigné plus de dix ans auparavant. En appliquant la
solution formulée par l’arrêt du 29 septembre 2015 adaptée aux faits de l’espèce, il était nécessaire de désigner un
mandataire ad hoc pour représenter l’intérêt collectif des
créanciers de cette procédure collective, ce qui justifiait
la nécessité de désigner un mandataire ad hoc. À défaut
d’avoir demandé une telle désignation, les associés de
la société mettent en avant le fait qu’ils aient été parties
à l’instance. Leur argumentation n’a pas prospéré et le
pourvoi est rejeté car il n’est pas fait exception à cette
règle même lorsque le débiteur est lui-même partie à
l’instance. Une telle solution est logique. Le mandataire
ad hoc représente l’intérêt collectif des créanciers de la
procédure collective, alors que le débiteur protège ses
propres intérêts, qui ne sont pas nécessairement ceux de
ces derniers.
L’arrêt du 13 octobre 2015 précise ainsi le cadre juridique
de l’intérêt collectif des créanciers d’une procédure collective. Ce dernier ne peut être représenté que par un
mandataire de justice spécialement désigné à cet effet :
mandataire de justice au cours de la période d’observation,
liquidateur judiciaire après le prononcé de la liquidation,
commissaire à l’exécution du plan, le cas échéant, et en
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
67
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
dernier recours, mandataire ad hoc désigné à cet effet
par le tribunal. En aucun cas le débiteur ne peut le représenter. À l’époque où le conflit d’intérêts est une notion
d’actualité, il semble que le débiteur ne puisse agir au
nom et pour le compte de la collectivité de ses créanciers,
en raison d’un tel conflit !
B. Liquidation judiciaire
Droit propre du débiteur d’interjeter appel d’une décision le condamnant à payer
une somme d’argent 254n8
1
L’essentiel Lorsqu’une instance, tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent pour
une cause antérieure au jugement d’ouverture de sa liquidation judiciaire, est en cours à la date de ce jugement, le
débiteur a, dans ce cas, le droit propre d’exercer les voies
de recours prévues par la loi contre la décision statuant
sur la demande de condamnation.
Cass. com., 8 sept. 2015, no 14-14192, Ép. B c/ SARL Concept
Ingénierie, Me M. A. ès-qual., M. C, PB (rejet pourvoi c/ CA Aixen-Provence, 12 déc. 2013), Mme Mouillard, prés. ; SCP Célice,
Blancpain, Soltner et Texidor, av. : D. 2015, p. 1839, X. Delpech ;
Act. proc. coll. 2015, n° 256, obs. P. Cagnoli. ; Dr. sociétés 2015,
comm. n° 203, obs. J.-P. Legros ; Procédures 2015, comm. n° 334,
obs. B. Rolland
S
i le jugement qui prononce la liquidation
Denis VOINOT
entraîne de plein droit le
Professeur à l’université
dessaisissement du déde Lille, directeur du
biteur, ce dernier étant
master Droit des contrats
et du recouvrement des
représenté par un liquidacréances, Centre René
teur, cette règle n’est pas
Demogue – CRDP
d’une portée absolue (1) .
Le débiteur peut en effet
exercer des droits propres comme par exemple celui de
contester une décision de justice le condamnant à payer
une somme d’argent à un créancier. Mais le débiteur
peut-il poursuivre personnellement l’instance après le
prononcé de la liquidation judiciaire lorsque le jugement
critiqué a été rendu antérieurement au jugement d’ouverture et que le liquidateur n’a pas constitué avocat ?
Note par
Dans l’espèce ayant conduit à cette interrogation, une société et son dirigeant avaient été solidairement condamnés
à payer une somme d’argent à des époux en réparation de
(1) C. com., art. L. 641-9, I.
différents préjudices résultant de la mauvaise réalisation
de travaux immobiliers. Après avoir interjeté appel de sa
condamnation, la société a été mise en liquidation judiciaire. Les époux, créanciers de l’indemnisation, ont alors
appelé en la cause le liquidateur qui n’a cependant pas
constitué avocat en l’absence de trésorerie suffisante.
Malgré cette circonstance, la cour d’appel a jugé que les
époux devaient être finalement déboutés de leur demande
de réparation. Ceux-ci ont alors formé un pourvoi arguant
du fait que le débiteur n’était pas représenté à l’instance
en raison de son dessaisissement, le liquidateur étant seul
apte à le représenter.
La Cour de cassation juge au contraire « que lorsqu’une
instance, tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent pour une cause antérieure
au jugement d’ouverture de sa liquidation judiciaire, est
en cours à la date de ce jugement, le débiteur a, dans
cette circonstance, le droit propre d’exercer les voies de
recours prévues par la loi contre la décision statuant sur
la demande de condamnation ». Cette décision confirme
une solution antérieurement retenue par la jurisprudence
dans une espèce (2) où le débiteur en liquidation judiciaire
avait été jugé recevable à exercer un pourvoi en cassation
contre une décision l’ayant condamné à payer une somme
d’argent.
Ainsi, les créanciers engagés dans une instance au cours
de laquelle intervient une liquidation judiciaire de leur
débiteur doivent se montrer vigilants. Comme l’a bien
précisé la doctrine (3), ils doivent distinguer entre les instances qui sont poursuivies et qui ne concernent pas un
droit propre du débiteur et celles que le débiteur peut personnellement poursuivre avec ou sans le liquidateur et qui
concernent l’un de ses droits propres.
(2) Cass. com., 11 mai 1993, n° 91-12232 : Bull. civ. IV, n° 180.
(3) J.-P. Rémery, « L’incidence de l’ouverture d’une procédure collective sur l’instance de cassation (civile) : quelques réflexions » : D. 2015, p. 2453.
Efficacité après clôture d’une ordonnance autorisant une cession en liquidation
judiciaire 254r2
1
L’essentiel La vente est parfaite dès l’ordonnance du
juge-commissaire l’autorisant, sous la condition suspensive que cette décision acquière force de chose jugée. La
clôture de la liquidation judiciaire est sans incidence sur
les effets de cette ordonnance. Elle doit recevoir exécution quelles qu’en soient les difficultés.
68
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
Cass. com., 3 nov. 2015, no 14-14170, Mme Z, FS–D
(cassation CA Papeete, 19 déc. 2013), Mme Mouillard, prés.,
Mme Vallansan, rapp., M. Le Mesle, prem. av. gén. ; SCP MeierBourdeau et Lécuyer, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, av.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
E
n l’espèce, dans le cadre
d’une liquidation judiJulien THÉRON
ciaire, le juge-commissaire
Agrégé des facultés,
autorise la cession de gré à
professeur à l’université
gré d’un immeuble le 3 juilToulouse 1 Capitole,
directeur du DU droit des
let 2007. Un offrant évincé
entreprises en difficulté
parvient sur recours à faire
annuler cette ordonnance
par un jugement du 25 février 2008. Le 26 mai suivant ce
dernier obtient l’autorisation d’acquérir le bien en cause.
Il procède à la réalisation de l’acte authentique marquant
l’entrée du bien dans son patrimoine le 24 septembre 2008.
L’acquéreur évincé forme un appel nullité contre, d’une
part, le jugement du 25 février 2008 annulant l’ordonnance
du 3 juillet 2007 et, d’autre part, contre l’ordonnance du
26 mai 2008 autorisant la cession de l’immeuble au deuxième acquéreur. Cet appel nullité est déclaré irrecevable
par un arrêt de la cour d’appel qui est cassé par la Cour
de cassation le 28 juin 2011. Le motif de cette cassation
était simple : le recours exercé par l’offrant évincé contre
l’ordonnance du 3 juillet 2007 n’était pas recevable. Les
offrants évincés n’ont en effet pas qualité pour agir à cette
fin (Cass. com., 31 mai 2011, n° 10-17774 : Gaz. Pal. proc.
coll. 2011, p. 28, obs. J. Théron). La chambre commerciale
casse alors sans renvoi et annule les jugements des 25 février et 26 mai 2008.
Note par
Il résulte de tout cela que seule subsistait l’ordonnance du
3 juillet 2007 au bénéfice du premier acquéreur. Ce dernier
demande alors à ce qu’elle soit exécutée. La Cour d’appel
refuse cependant d’y procéder, d’une part, parce qu’entretemps la clôture de la liquidation avait été prononcée et
que cela empêche les restitutions réciproques auxquelles
il faudrait procéder pour lui attribuer la propriété. D’autre
part, elle relève que l’ordonnance autorisant la cession
subordonnait la cession à la réalisation de l’acte authentique dans un délai de trois mois. Or, ce délai commençait
à courir dès la signification de l’arrêt de cassation prononçant la nullité de la seconde cession et du jugement
annulant la première. Il était par conséquent écoulé, faisant par là même défaillir la condition.
Quant au premier point, à la question de savoir si la clôture
de la procédure de liquidation interdisait la réalisation de
l’ordonnance du 3 juillet 2007, la chambre commerciale
répond par la négative. Pour elle, « la vente est parfaite
dès l’ordonnance du juge-commissaire l’autorisant, sous
la condition suspensive que cette décision acquière force
de chose jugée, et (…) la clôture de la liquidation judiciaire
est sans incidence sur les effets de cette ordonnance ». La
solution semble juridiquement évidente. Pour mémoire,
en matière de cession de gré à gré il faut distinguer deux
moments. La cession est parfaite une fois l’ordonnance
autorisant la cession passée en force de chose jugée, mais
le transfert n’intervient qu’une fois les actes subséquents
– ici l’acte authentique – réalisés. Or, en l’espèce, l’ordonnance du 3 juillet 2007 était définitive. Le principe de la
cession ne pouvait plus être remis en cause et la clôture
de la liquidation ne pouvait y faire obstacle. Ce, même si en
pratique il en résulte certainement des difficultés de mise
en œuvre puisqu’il faudra restituer au second acquéreur le
montant du prix perçu pour la cession qui lui avait été faite
et encaisser par la suite le montant de la cession autorisée
le 3 juillet 2007. Il importera alors de distinguer selon que
la procédure a été close ou non pour insuffisance d’actif.
Le cas échéant, sans doute faudra-t-il demander la réouverture de la procédure sur le fondement de l’article
L. 643-13 du Code de commerce. La deuxième cession
ayant été annulée, l’immeuble est en effet entré rétroactivement dans le patrimoine du débiteur. Et tant qu’il n’est
pas réattribué au premier acquéreur contre paiement de
ce dernier, il ne peut être considéré comme réalisé. On
peut alors considérer qu’il s’agit de l’apparition d’un actif
du débiteur à réaliser.
Quant au deuxième point, à la question de savoir si le
délai de trois mois pour réaliser l’acte authentique était
écoulé depuis la signification de l’arrêt du 28 juin 2011,
l’arrêt répond là encore par la négative au motif que « la
vente » faite au profit du second acquéreur « empêchait,
tant que cette vente n’était pas annulée, de réaliser celle
autorisée au profit » du premier acquéreur « qui n’était
pas ainsi en mesure de respecter la condition de délai
prévue ». On peut comprendre cette solution sur le plan
de l’opportunité. Néanmoins, elle paraît contestable juridiquement. Une fois l’annulation de l’ordonnance autorisant
la seconde cession prononcée le 28 juin 2011, la « vente »
était annulée. En effet, l’ordonnance autorisant la cession
rend la cession parfaite. C’est une condition essentielle à
la cession. La disparition de l’ordonnance entraîne celle
de la cession. Seul subsiste alors l’instrumentum à savoir
l’acte authentique passé par le second acquéreur. Mais
ce dernier n’a nullement besoin d’être « annulé » pour
permettre au premier acquéreur de devenir propriétaire.
Comme tout instrumentum il n’emporte pas d’effet juridique qui lui soit propre. Il ne s’agit nullement de l’acte
juridique à l’origine de la transmission. Si le transfert de
propriété y est attaché, c’est tout simplement comme en
matière de vente immobilière de droit commun que cet
acte est désigné par le negotium comme constituant un
terme. Il découle de tout cela que si, comme en l’espèce,
l’acte juridique à l’origine de la transmission disparaît
rétroactivement, la propriété elle aussi entre rétroactivement dans le patrimoine du débiteur. Et cela de manière
automatique. Le délai pour réaliser l’acte authentique
courait donc bien à compter de la signification de l’acte
authentique.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
69
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
VIII. PASSIF
(...)
F. Déclaration, vérification et admission des créances
Le tiers saisi reste responsable nonobstant le défaut de déclaration de la créance 254p0
1
L’essentiel Une créance qui n’a pas été déclarée au passif
n’est pas éteinte, mais inopposable à la procédure collective. Ainsi, le défaut de déclaration de la créance du
créancier qui a fait pratiquer une saisie attribution avant
le jugement d’ouverture ne le prive pas de la faculté d’agir
contre le tiers saisi sur le fondement de l’article R. 211-5,
alinéa 2, du Code des procédures civiles d’exécution.
Cass. com., 8 sept. 2015, no 14-15831, Sté P. c/ Sté Accueil négoce
chauffage sanitaire, F–PB (cassation CA Toulouse, 7 janv. 2014),
Mme Mouillard, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, av.
D
ans cet arrêt, publié
au Bulletin, la Cour de
Isabelle ROHARTcassation rappelle que les
MESSAGER
créances antérieures non
Magistrat, conseiller à la
déclarées sont inopposables
cour d’appel de Paris
à la procédure collective et
en tire les conséquences
logiques relatives aux droits des tiers.
Note par
En effet, depuis la loi du 26 juillet 2005, la créance antérieure non déclarée n’est plus éteinte et, alors que le
texte ne précisait pas quel en était le régime, la Cour de
cassation (1), suivant en cela la doctrine (2), avait décidé que
la créance, qui n’avait pas été déclarée au passif, est inopposable à la procédure collective.
Le défaut d’extinction de la créance non déclarée a des
incidences importantes sur les rapports des créanciers
avec les tiers. Ainsi, sauf en ce qui concerne les garants
personnes physiques en cas de plan de sauvegarde, le
créancier qui n’a pas déclaré sa créance pourra poursuivre les garants, mais aussi les tiers (3).
L’arrêt commenté illustre parfaitement cette hypothèse.
Les faits étaient les suivants : un débiteur mis en redressement judiciaire le 20 mars 2009, voit son plan de
redressement arrêté le 9 mars 2010.
Muni d’une ordonnance de référé rendue le 17 septembre
2009, ayant condamné le débiteur au paiement d’une
provision, pendant l’exécution du plan, un créancier fait
pratiquer une saisie attribution. Puis, le tribunal prononce
la résolution du plan et la liquidation judiciaire du débiteur.
Le créancier, reprochant au tiers saisi d’avoir effectué
une déclaration inexacte en indiquant à tort qu’il détenait des fonds pour le compte du débiteur, l’assigne en
paiement de dommages-intérêts d’un montant équivalent
aux causes de la saisie sur le fondement de l’article 60,
(1) Cass. com., 3 nov. 2010, n° 09-70312 : Bull. civ. IV, n° 165 ; Gaz. proc.
coll. 2011/1, p. 18, note E. Le Corre-Broly ; Rev. sociétés 2011, p. 194, note
P. Roussel Galle.
(2) D. 2005, p. 2299, obs. P.-M. Le Corre ; Gaz. proc. coll. 10 sept. 2005, p. 17,
n° 13.
(3) F. Pérochon, Entreprises en difficultés, LGDJ, 2014, 10e éd., nos 1570 et s.
70
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992, devenu l’article
R. 211-5 du Code des procédures civiles d’exécution. La
cour d’appel le condamne, à titre de dommages-intérêts,
au paiement d’une somme de 9 000 €.
Le tiers saisi se pourvoit en cassation en reprochant aux
premiers juges de l’avoir condamné, alors que le créancier n’avait pas déclaré sa créance, et en soutenant que la
créance, objet de la saisie, n’était pas une créance postérieure éligible au traitement préférentiel.
La Cour de cassation, sans même analyser si la créance
en question relevait ou non du régime des créances postérieures privilégiées, rappelle que le défaut de déclaration
de créance n’a pas pour effet l’extinction de la créance,
mais son inopposabilité à la procédure collective, et qu’en
conséquence, le créancier, dont la créance n’est pas
éteinte, n’est pas privé de son intérêt à agir contre le tiers
saisi :
« Mais attendu qu’une créance qui n’a pas été déclarée au
passif du débiteur n’est pas éteinte mais inopposable à la
procédure collective de sorte que le défaut de déclaration
de la créance, en recouvrement de laquelle le créancier
a fait pratiquer une saisie attribution avant le jugement
d’ouverture de son débiteur, ne prive pas ce créancier de
son intérêt à agir contre le tiers saisi sur le fondement de
l’article R. 211-5, alinéa 2, du Code des procédures civiles
d’exécution »
Le pourvoi reprochait également à l’arrêt d’avoir
condamné le tiers saisi à une somme de 9 000 € sur le
fondement d’une perte de chance que le créancier aurait
subi, étant précisé que les causes de la saisie étaient d’un
montant de 9 213,72 €.
L’article R. 211-4 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que le tiers saisi doit fournir, sur le champ,
à l’huissier les renseignements et lui communiquer les
pièces justificatives. Les sanctions de la méconnaissance
de cette déclaration par le tiers saisi sont sévères (4). En
effet, s’il ne fournit pas les renseignements prévus, sans
motif légitime, il doit être condamné à payer les sommes
dues au créancier en application de l’alinéa 1 de l’article
R. 211-5 du Code des procédures civiles d’exécution, tandis
qu’en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte
ou mensongère, il peut être condamné à des dommages
et intérêts en application de l’alinéa 2 du même article.
En l’espèce, le tiers saisi avait fourni des renseignements
inexacts ; il s’exposait donc non pas au paiement des
causes de la saisie, mais à des dommages et intérêts calculés selon le préjudice subi par le créancier. Pour casser
l’arrêt, la Cour de cassation fait grief à la cour d’appel de
ne pas avoir suffisamment motivé le montant du préjudice issu de la perte de chance subi par le créancier et
(4) N. Fricero, Procédures civiles d’exécution, Mémentos LMD, Gualino, 2010,
2e éd., p. 119.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
de ne pas avoir recherché quelles étaient les autres
mesures d’exécution qu’il aurait pu diligenter, ainsi que
leur probabilité de succès. Cet arrêt est rendu au visa des
articles R. 211-4 du Code des procédures civiles d’exécution et 1382 du Code civil et rappelle donc aux juges du
fond que les condamnations prononcées sur le fondement
de l’article R. 211-4 obéissent aux principes issus de la
responsabilité civile et qu’il convient donc de caractériser
le lien de causalité entre la faute retenue et le préjudice.
Conséquence de l’oralité des débats devant le juge-commissaire sur la procédure
de contestation des créances 254p6
1
L’essentiel Du fait de l’oralité des débats devant le jugecommissaire, ce dernier n’a pas à prendre en compte les
écritures du créancier, en raison de sa non-comparution.
CA Toulouse, 3e ch., 14 oct. 2015, no 15/02327, Sté Coopérative
de Banque Populaire Crédit Coopératif c/ Scop Terra et Selarl
Brenac et ass.
L
a procédure devant le
juge-commissaire est
Pierre-Michel
orale. Il en résulte que les
LE CORRE
parties doivent se présenter devant lui ou se faire
représenter. Les intéressés peuvent se présenter devant le
juge-commissaire en personne, se faire représenter par un
avocat ou toute personne de leur choix munie d’un mandat
ad litem, à l’exception cependant des contrôleurs qui, s’ils ne
se présentent pas en personne, doivent se faire représenter
par un avocat. On réservera cependant les instances de redressement ou de liquidation judiciaire ouvertes devant les
tribunaux de grande instance où la représentation par avocat n’est pas obligatoire, mais où, par dérogation aux règles
régissant la matière commerciale, la représentation par un
tiers ne peut se faire que par avocat. On réservera également le cas de procédures ouvertes en Alsace-Moselle. La
procédure est alors écrite, même pour les affaires devant la
chambre commerciale du tribunal de grande instance. La
représentation par avocat est en conséquence obligatoire
devant le juge-commissaire (1). Cette solution est préconisée
même pour les procédures de contestation de créance (2).
Note par
L’oralité de la procédure devant le juge-commissaire vaut
dans la procédure de contestation de créance. Il ne suffit
donc pas que le créancier réponde au mandataire judiciaire
qui a contesté sa créance. Si le créancier est convoqué
devant le juge-commissaire, il doit être présent ou représenté, sauf à s’exposer à ce que ses prétentions soient
déclarées irrecevables, si elles sont adressées par courrier
au juge-commissaire.
L’oralité des débats a une incidence. Par application de l’article 871 du Code de procédure civile, les prétentions des
parties sont présumées avoir été contradictoirement débattues (3). Il importe donc, pour se pré-constituer la preuve
que les prétentions ont été formulées, de faire consigner
celles-ci par le greffier, afin qu’elles puissent ensuite être
(1) Cass. com., 14 janv. 1997, n° 93-18596 : Bull. civ. IV, n° 14.
(2) J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), Lamy, 2015, n° 2590.
(3) Cass. 1re civ., 25 nov. 1992, n° 89-16438 : Bull. civ. I, n° 291.
retranscrites dans les ordonnances du juge-commissaire.
La présence du greffier apparaît ainsi indispensable aux
débats (4). L’article 455 du Code de procédure civile doit être
respecté par le juge-commissaire : obligation de rappeler
les prétentions des parties et leurs moyens avant d’y répondre. Cette règle de procédure est prescrite à peine de
nullité de la décision (5).
L’oralité des débats a une autre conséquence : le débiteur
pourra développer devant le juge-commissaire des arguments qu’il n’aurait pas invoqués lors des observations
formulées à l’occasion de la vérification de la créance (6). La
solution se justifie eu égard à l’oralité de la procédure (7).
Comme l’a fait en l’espèce la cour d’appel de Toulouse,
une autre conséquence peut être tirée de l’oralité des
débats. Il peut être fait droit aux prétentions du mandataire judiciaire ou du débiteur de voir écartées des débats
les écritures du créancier, et d’obtenir une décision de
constat de la caducité de l’instance, qui empêchera ensuite le créancier d’obtenir une décision favorable. Si le
juge-commissaire peut revenir sur sa décision de caducité, c’est à la condition que le créancier démontre un
motif légitime d’absence à l’audience. Faute de ce faire,
le juge-commissaire n’a pas à revenir sur sa décision de
caducité de l’instance, et à sa suite, la cour d’appel peut
confirmer la décision du juge-commissaire.
Faisons toutefois état d’une décision de la Cour de cassation
rendue dans une situation voisine. Si le créancier convoqué ne
se rend pas à la contestation, écrivant au juge-commissaire
qu’il n’avait pas reçu le courrier de contestation envoyé à une
mauvaise adresse, la cour d’appel qui, justement, ne déclare
pas l’appel irrecevable, ne peut, pour confirmer l’ordonnance
de rejet, se contenter de s’appuyer sur la non-comparution
du créancier devant le juge-commissaire et sur le fait qu’il
connaissait l’objet de la contestation. L’appel remet la chose
jugée en question devant la juridiction d’appel, qui doit en
conséquence examiner les prétentions des parties (8).
Quoi qu’il en soit, et pour éviter tout ennui, les créanciers
attentifs retiendront cette leçon : ils s’exposent à ne pas participer aux répartitions et dividendes au seul motif qu’ils ne
se présentent pas ou ne se font pas représenter à l’audience
de contestation de créance devant le juge-commissaire.
(4) Obs. B. Soinne : Rev. proc. coll. 1998, p. 63, n° 5.
(5) Cass. com., 31 janv. 1995, n° 92-21490, NP : Rev. proc. coll. 1995, p. 285,
n° 1, obs. B. Dureuil. Adde : CA Douai, 17 juin 1993 : Rev. proc. coll. 1995,
p. 285, n° 1, obs. B. Dureuil.
(6) Cass. com., 19 janv. 1993, n° 91-11462 : Bull. civ. IV, n° 16.
(7) Cass. com., 31 janv. 1995, n° 92-21743 : Bull. civ. IV, n° 30.
(8) Cass. com., 12 avr. 2005, n° 03-20801, NP.
NDA : L’auteur adresse ses remerciements à Maître Alix Brenac pour la transmission
de cette décision.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
71
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
IX. ACTIF
(...)
B. Revendications et restitutions
Le jeu de l’arrêt du cours des intérêts à l’égard de la caution d’un prêt d’une durée
supérieure à un an 254q7
1
L’essentiel Le cours des intérêts est arrêté à l’égard de
la caution qui fait l’objet d’une procédure collective quelle
que soit la durée du prêt garanti par elle.
Cass. com., 8 sept. 2015, nos 14-14175 et 14-14188, Sté Groupe
Caille SA c/ Banque de la Réunion et a., D (cassation partielle
CA Saint-Denis de la Réunion, 20 nov. 2013), Mme Mouillard,
prés. ; SCP Bénabent et Jéhannin et SCP Fabiani, Luc-Thaler et
Pinatel, av.
P
ar une série d’arrêts rendus le 8 septembre 2015,
Emmanuelle
la chambre commerciale de
LE CORRE-BROLY
la Cour de cassation a tranMaître de conférences
ché l’importante question
HDR à l’université de
de savoir si l’ouverture de
Nice Sophia Antipolis,
la procédure collective de la
codirecteur du master 2
Droit des difficultés
caution entraîne l’arrêt du
d’entreprise, membre du
cours des intérêts à l’égard
CERDP (EA 1201)
du garant alors même que
le cautionnement garantit
un prêt d’une durée supérieure à un an.
Note par
En l’espèce, une société mère, placée en sauvegarde,
s’était porté caution d’un prêt d’une durée supérieure à
un an consenti par un établissement de crédit à l’une de
ses filiales. Dans le cadre de la procédure collective touchant la société mère, la banque avait déclaré une créance
comprenant des intérêts post-jugement d’ouverture. Les
juges du fond avaient considéré que la caution, y compris
si elle est soumise à une procédure collective, ne peut se
prévaloir de l’arrêt du cours des intérêts dès lors que sa
garantie est donnée pour un prêt d’une durée supérieure
à une année. Ce faisant, les juges du fond avaient cru faire
une parfaite application de l’article L. 622-28 du Code de
commerce qui prévoit que « le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi
que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu’il
ne s’agisse des intérêts résultant de contrats de prêts
conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de
contrats assortis d’un paiement différé d’un an ou plus ».
Cependant, il apparaît évident que, dans l’esprit du législateur, la règle qu’il éditait visait l’hypothèse dans laquelle
le débiteur sous procédure collective était l’emprunteur
lui-même. Dans le silence du texte, cette règle doit-elle
également trouver à s’appliquer lorsque le débiteur sous
procédure collective n’est pas l’emprunteur mais le garant
ce dernier ? Là où le texte ne distingue pas y a-t-il cependant lieu à distinguer et ainsi scinder le sort de la caution
sous procédure collective de celui de l’emprunteur sous
procédure collective ? C’est en ce sens que se prononce de
la façon la plus claire qui soit la chambre commerciale en
jugeant que « le cours des intérêts est arrêté à l’égard de
la caution qui fait l’objet d’une procédure collective quelle
que soit la durée du prêt garanti ».
Cette solution, qui pourrait peut-être surprendre de prime
abord, doit cependant être approuvée sans réserve. Sa
justification est patente : si le débiteur sous procédure collective est le garant, il n’est pas, à l’égard de la banque,
débiteur au titre d’un contrat de prêt d’une durée supérieure ou égale à un an. Il se trouve en effet en situation
de débiteur au titre de son contrat de garantie. Puisque
le contrat dans les liens duquel la caution s’est engagée
n’est pas un contrat de prêt d’une durée supérieure ou
égale à un an mais un contrat de cautionnement, la garante ne peut donc pas être concernée par l’exception à
la règle de l’arrêt du cours des intérêts posée à l’article
L. 622-28 alinéa premier du Code de commerce.
La solution est lourde de conséquences pour le créancier déclarant au passif de la caution de l’emprunteur :
elle conduira le prêteur à ne déclarer, au titre des intérêts, que ceux qui auront couru au jour de l’ouverture de
la procédure collective de la caution.
Revente avec réserve de propriété d’un bien lui-même initialement vendu avec réserve
de propriété : revendication en nature ou revendication du prix ? 254p8
1
L’essentiel En cas de revente avec réserve de propriété
d’un bien lui-même initialement vendu avec réserve de
propriété, seule une revendication du prix peut prospérer.
Cass. com., 3 nov. 2015, no 13-26811, Mes A. et G. ès-qual.
liquidateur judiciaire SAS Bois et chiffons Retail, F–PB (cassation
partielle CA Pau, 25 sept. 2013), Mme Mouillard, prés. ;
SCP Bénabent et Jéhannin, av.
72
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
L
a chambre commerciale
de la Cour de cassation
Emmanuelle
a, par arrêt du 3 novembre
LE CORRE-BROLY
2015, rendu une intéressante décision en matière
de revendication du vendeur réservataire de propriété. En
l’espèce, l’acquéreur de marchandises vendues avec réserve de propriété les avait, avant même d’en avoir réglé
le prix, revendues avec réserve de propriété à un sousacquéreur qui n’en avait pas davantage réglé le prix. Suite
Note par
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
au placement en redressement judiciaire puis en liquidation de l’acquéreur initial, le vendeur initial réservataire
de propriété a revendiqué les marchandises impayées ou,
à défaut, leur prix. Faisant droit à la demande, les juges
du fond ont ordonné la restitution des marchandises et,
subsidiairement, le paiement du prix des marchandises
revendues. Les liquidateurs se sont alors pourvus en cassation.
Les liquidateurs reprochaient d’abord aux juges du fond
d’avoir ordonné la restitution des marchandises en ayant,
pour statuer ainsi, retenu qu’elles se retrouvaient en
nature dans le patrimoine de l’acquéreur-revendeur à
la date d’ouverture de sa procédure collective dès lors
que le sous-acquéreur, qui n’en avait pas réglé le prix,
ne les avait lui-même acquises qu’avec réserve de propriété et les détenait, en conséquence, pour le compte de
l’acquéreur initial-revendeur. Sur ce point, les liquidateurs obtiennent la cassation partielle de l’arrêt d’appel
car la chambre commerciale juge que le sous-acquéreur
ne détenait pas des marchandises pour le compte de
l’acquéreur-revendeur. Les hauts magistrats s’expriment
en ces termes : « du seul fait de leur revente aux sousacquéreurs, ceux-ci ne pouvaient détenir à titre précaire
des marchandises pour le compte de [l’acquéreur-revendeur sous procédure collective] ». Cette solution doit être
approuvée sans réserve. En effet, si le bien est vendu (que
ce soit avec ou sans réserve de propriété) par un vendeur
qui n’en est pas le propriétaire à un acquéreur qui ignore
qu’il acquiert un bien a non domino, l’acquéreur en est le
possesseur de bonne foi et non le détenteur précaire. Il
est protégé par les dispositions de l’article 2276 du Code
civil. En l’espèce, il en résulte pour le vendeur initial que
seule la revendication du prix de revente est envisageable
et qu’en aucun cas ne peut être ordonnée la restitution
des marchandises elles-mêmes. La cassation de l’arrêt
d’appel qui avait ordonné la restitution des biens revendiqués s’imposait donc pour ce motif.
Les liquidateurs reprochaient également à l’arrêt d’appel
d’avoir subsidiairement accueilli la demande en revendication du prix de revente. Pour cela, ils soutenaient que
lorsque le vendeur réservataire de propriété revendiquait
la créance de prix, il lui appartenait de prouver que cette
créance avait été payée en tout ou en partie par le sousacquéreur après le jugement d’ouverture de la procédure
collective. Ainsi, dans l’esprit des liquidateurs, ne pouvait
être revendiqué que le prix qui aurait été versé au revendeur après l’ouverture de sa procédure collective. C’était
là faire une lecture erronée de l’article L. 624-18 du Code
de commerce qui énonce que « peut être revendiqué le
prix ou la partie du prix des biens visés à l’article L. 624-16
(qui vise notamment les biens vendus avec une clause de
réserve de propriété) qui n’a été ni payé, ni réglé en valeur,
ni compensé entre le débiteur et l’acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure ». C’est ainsi ajouter au texte
que de considérer que seul le prix ayant été versé entre
les mains du débiteur postérieurement à l’ouverture de sa
procédure peut faire l’objet d’une revendication. Pour que
le vendeur initial puisse revendiquer le prix de revente,
il suffit – mais il faut – que la créance de prix de revente
n’ait pas été réglée au jour de l’ouverture de la procédure collective de l’acquéreur-revendeur. En l’espèce,
les juges du fond avaient constaté que les sous-acquéreurs n’avaient jamais payé le prix des marchandises
à l’acquéreur-revendeur sous procédure collective. En
conséquence, la chambre commerciale juge que c’est à
bon droit qu’avait été accueillie la demande en revendication du prix.
Remarquons qu’au stade de la charge de la preuve, il appartient au mandataire qui souhaite résister à la demande
en revendication du prix de revente de prouver que le paiement du prix a été effectué par le sous-acquéreur avant
l’ouverture de la procédure collective du débiteur (1). Ce
succès de l’action réelle en revendication du prix dans la
procédure collective de l’acquéreur-vendeur permettra
alors au revendiquant d’exercer une action personnelle
en paiement de la créance du prix de revente contre le
sous-acquéreur. La revendication par le vendeur initial
de la créance du prix dans la procédure collective de
l’acquéreur-revendeur constitue ainsi l’action réelle en
revendication qui fonde l’action personnelle en paiement
contre le sous-acquéreur, action dont dispose le vendeur
initial suite au succès de son action en revendication de la
créance de prix de revente (2).
Ainsi, dès lors que la créance de prix de revente n’a pas
été réglée à l’acquéreur-revendeur au jour du jugement
d’ouverture de sa procédure, la revendication du prix de
revente sera possible. Le revendiquant dont la demande
aura été accueillie pourra alors exercer l’action personnelle en paiement contre le sous-acquéreur. Dans
l’hypothèse où le sous-acquéreur aurait versé le prix
postérieurement au jugement d’ouverture du débiteur
revendeur, les sommes correspondantes payées par le
sous-acquéreur postérieurement à l’ouverture de la procédure doivent être remises au créancier revendiquant
par le liquidateur ou le mandataire (C. com., art. R. 64131, II, et R. 624-16), et ce, que le prix ait été payé par le
sous-acquéreur avant ou après l’introduction de l’action
en revendication du vendeur initial.
(1) Cass. com., 30 mai 2006, n° 04-18076, F–D : Gaz. proc. coll. 2006/4, p. 32,
note R. Bonhomme – Cass. com., 3 nov. 2015, n° 13-26811, F–PB.
(2) Sur la mise en évidence de ces deux actions, v. Cass. com., 6 oct. 2009,
n° 08-15048 : Bull. civ. IV, n° 122 ; D. 2009. AJ p. 2482, obs. A. Lienhard ;
D. 2010, p. 1822, note F.-X. Lucas ; Gaz. Pal. 3 nov. 2009, p. 42, H5256, note
F. Pérochon ; Act. proc. coll. 2009, comm. n° 283, note G. Blanc ; JCP E 2009,
2144, note S. Reifegerste ; JCP 2009, 566, note A.-S. Dallemagne ; JCP E
2010, 1011, spéc. n° 12, obs. M. Cabrillac ; Lexbase hebdo 22 oct. 2009,
n° 368, note P.-M. Le Corre. V. F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ,
2014, 10e éd., n° 1616.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
73
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
X. É
TABLISSEMENTS DE CRÉDIT
(...)
B. Responsabilité des établissements de crédit
Article L. 650-1 du Code de commerce : rien ne va plus ! 254r1
1
L’essentiel L’article L. 650-1 du Code de commerce s’applique, en raison de la généralité de ses termes, en cas de
concours consentis au débiteur pour financer la création
ou l’acquisition de son entreprise.
Cass. com., 3 nov. 2015, n 14-10274 et 14-18433, M V. èsqual. liquidateur de la SELARL Pharmarcie Damm c/ LCL et a.,
F–D (irrecevabilité pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 7 nov. 2013),
Mme Mouillard, prés. ; SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Barthélemy,
Matuchansky, Vexliard et Poupot, Me Le Prado, SCP Richard, av.
e
os
C
et arrêt rendu sur le
fondement de l’article
Richard ROUTIER
L. 650-1 du Code de comProfesseur à l’université
merce ne manquera pas de
de Strasbourg
retenir l’attention, tant par
la contrariété de sa solution
sur certains points à celles classiquement retenues en
matière de soutien abusif, que par l’excessive portée qu’il
donne implicitement à cette disposition.
Note par
Une acquisition d’un fonds de commerce de pharmacie
avait en l’espèce été signée au prix de 1 000 000 €, financée par une banque à hauteur de 785 000 € et garantie
par la société Interfimo. La banque avait apporté ses
concours au vu d'études de financement effectuées par la
Sté Garinot conseil et sur les conseils de la Sté Opinvest.
Mais moins de dix mois après la vente, l’acquéreur fit l'objet d'une procédure de sauvegarde. Le tribunal ordonna
dans ce cadre une enquête qui conclut à une valorisation
excessive du prix de cession et à l'insuffisance du dossier
de financement. Le mandataire judiciaire assigna alors
en responsabilité la banque et les sociétés Interfimo et
Garinot conseil. Quelque temps plus tard, la procédure de
sauvegarde fut convertie en redressement judiciaire puis
en liquidation judiciaire.
Les juges du fond déboutèrent le liquidateur au motif
que « les dispositions de l’article L. 650-1 du Code de
commerce [seraient] seules applicables à l’action en responsabilité dirigée contre les créanciers dispensateurs de
crédits » et « que le régime dérogatoire de responsabilité
institué par le texte visait tous les concours accordés au
débiteur » et donc les concours finançant les créations
ou acquisitions d’entreprises. Et le pourvoi qu’il forma
ne devait pas davantage être accueilli. Pour les hauts
magistrats, « l’article L. 650-1 du Code de commerce,
qui énonce que, lorsqu’une procédure de sauvegarde, de
redressement ou de liquidation judiciaires est ouverte
à l’égard d’un débiteur, ses créanciers ne peuvent être
tenus pour responsables des préjudices subis du fait des
concours consentis, sauf dans les cas qu’il énumère, s’applique, en raison de la généralité de ses termes, en cas de
concours consentis au débiteur pour financer la création
ou l’acquisition de son entreprise ». Une telle décision,
74
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
rendue à propos de cet article L. 650-1 qui a fait déjà couler beaucoup trop d’encre, pose plus de problèmes qu’elle
n’en résout.
Certes, tous les crédits sont concernés par l’article L. 650-1,
mais cette clé de jugement est trop générale pour fonder ici la solution. Elle semble entériner la motivation des
juges du second degré qui n’était pas à l’abri de la critique. À tout le moins elle méritait d’être recadrée. Sur
le premier point, les hauts magistrats semblent admettre
implicitement l’assertion selon laquelle l’article L. 650-1
du Code de commerce serait exclusif de toute autre action
en responsabilité dirigée contre les créanciers dispensateurs de crédit. Rien n’est moins vrai : l’article L. 650-1 ne
concerne que la responsabilité pour soutien abusif, mais
certainement pas les autres chefs de responsabilité qui
peuvent toujours fonder une action contre le banquier. Il
suffit de lire les travaux préparatoires de la loi de sauvegarde pour s’en convaincre. Sur le second point, il nous
paraît dangereux de faire l’amalgame entre les créations
et les acquisitions d’entreprises. En matière de création, la jurisprudence est en effet suffisamment établie
pour considérer que la circonstance que le crédit ait été
accordé à une entreprise, avant toute activité et pour en
permettre le démarrage n’est pas de nature à lui seul à
caractériser la faute de la banque ; sauf à démontrer le caractère irréaliste des engagements (Cass. com., 22 mars
2005, n° 02-20678 : Bull. civ. IV, n° 68). Un soutien in limine
peut aussi difficilement être abusif puisque la décision du
banquier se fonde sur des documents prévisionnels, qui,
par nature, comportent de nombreuses variables. On ne
saurait reprocher non plus à une banque d’avoir maintenu artificiellement une activité déficitaire par octroi de
concours injustifiés et d’avoir ainsi retardé l’ouverture de
la procédure collective lorsque l’activité n’a précisément
pas encore commencé. En matière d’acquisition, où existe
en revanche une antériorité de l’activité, comme dans
l’espèce qui nous préoccupe, la responsabilité du banquier
devrait plus facilement être admise pour son financement
fautif. Mais encore faudrait-il, s’agissant d’une entreprise
faisant l’objet d’une procédure collective, que toutes les
conditions de l’article L. 650-1 soient remplies. Ce qui
n’était pas assuré en l’espèce. En effet, compte tenu de la
présence de deux sociétés de conseil, le banquier n’était
pas nécessairement fautif en étant fondé, au moment de
l’octroi des concours, à se fier aux études qui lui étaient
présentées. Il a déjà été jugé en effet que la banque peut
s’en tenir à l’apparence créée par les documents qui lui
sont remis si elle n’a pas de raisons de douter de la bonne
santé financière du bénéficiaire de son concours (Cass.
com., 24 sept. 2002, n° 00-10063). Pour parvenir au même
résultat d’une exonération du banquier, il n’était donc nul
besoin, pour la Cour, de donner – ou laisser les juges du
second degré donner – une portée à l’article L. 650-1 que
le législateur n’a manifestement pas voulu lui accorder.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
XI. S
ITUATION DES SALARIÉS
Résolution du plan de sauvegarde, ouverture de la liquidation judiciaire et garantie
de l’AGS 254p4
1
L’essentiel La garantie prévue par le 1° de l’article
L. 3253-8 du Code du travail ne dépend que de la seule
ouverture d’une procédure de redressement ou de
liquidation judiciaire sans qu’il y ait lieu d’établir une distinction entre les diverses causes d’ouverture de cette
procédure.
Cass. soc., 22 sept. 2015, no 14-17837, M. L. c/ Me C. ès-qual.
liquidateur judiciaire Sté Advice Technologies, AGS CGEA,
FS–PB (cassation partielle CA Lyon, 28 mars 2014), M. Frouin,
prés. ; SCP De Nervo et Poupet, av. : Act. proc. coll. 2015/17,
alerte 273, note L. Fin-langer ; LEDEN nov. 2015, p. 7, n° 164,
note G. Dedessus-Le-Moustier ; JCP S 2015, n° 1462, note
G. Duchange
L
a chambre sociale de
la Cour de cassation
Christine GAILHBAUD
tranche, pour la première
Avocat au barreau
fois (1) à notre connaissance,
de Grasse, maître de
une question relative à la
conférences à l’Université
de Nice-Sophia Antipolis,
garantie de l’AGS en cas de
membre du CERDP
résolution du plan de sauve(EA 1201)
garde et d’ouverture d’une
liquidation judiciaire. Au
visa de l’article L. 3253–8, 1°, du Code du travail, la Cour
confirme la garantie de l’AGS pour les créances du salarié antérieures au jugement d’ouverture de la liquidation
judiciaire, ayant également prononcé la résolution du plan
de sauvegarde.
Note par
En l’espèce, le salarié d’une société, en période d’observation à la suite de l’ouverture d’une procédure de
sauvegarde, a pris acte de la rupture de son contrat de travail avant de saisir le conseil de prud’hommes. Au cours
du contentieux prud’homal, un jugement a arrêté un plan
de sauvegarde dont l’exécution a démarré. Moins d’un an
après l’arrêté du plan de sauvegarde, le tribunal de commerce a rendu un jugement prononçant la résolution du
plan de sauvegarde et ouvrant une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société.
L’arrêt attaqué (2) a fixé certaines créances du salarié au
passif de la liquidation judiciaire de la société et a limité
la garantie de l’AGS aux seules créances de rappels de
salaire, commissions et congés payés, aux motifs que ces
créances existaient au jour de l’ouverture de la liquidation
judiciaire tout en estimant que les créances liées à la rupture intervenue en période d’observation de la sauvegarde,
n’étant pas attachées à un licenciement économique, ne
pouvaient être garanties par l’AGS.
Saisie du pourvoi du salarié fondé sur les conditions de
prise en charge par l’AGS de l’article L. 3253-8, 1°, du
(1) Concernant la résolution d’un plan de continuation suivie de l’ouverture d’une
liquidation judiciaire : Cass. soc., 13 mai 2009, n° 07-45356.
(2) CA Lyon, 28 mars 2014, n° 13/3194.
Code du travail, la Cour de cassation ne pouvait que casser, sur ce point, la décision attaquée, en rappelant les
termes clairs du texte : les sommes dues au salarié à la
date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire sont couvertes par
la garantie de l’AGS.
La solution s’imposait. Le tribunal, qui prononce la résolution judiciaire du plan de sauvegarde et place le débiteur
en procédure collective dans le même jugement, ouvre
une nouvelle procédure collective.
En l’espèce, la concomitance de la résolution du plan et
de l’ouverture de la liquidation judiciaire suggère le recours aux dispositions de l’article L. 626–27, I, aliéna 3,
du Code de commerce imposant au tribunal de prononcer
la résolution du plan de sauvegarde en cas de cessation
des paiements et d’ouvrir aussitôt un redressement ou
une liquidation judiciaire selon le cas. Depuis le décret
d’application de la réforme de 2008 (3), le terme « ouvre »
a remplacé le terme « prononce » le redressement ou la
liquidation judiciaire dans le texte (4) relatif au jugement
portant sur la résolution du plan de sauvegarde (5). Il s’agit
donc bien d’un jugement d’ouverture tel que le prévoit
le 1° de l’article L. 3253-8 du Code du travail.
Le principe de la garantie de l’AGS pourrait ainsi s’énoncer
simplement. En ajoutant « sans qu’il y ait lieu d’établir une
distinction entre les diverses causes d’ouverture de cette
procédure », la chambre sociale conduit à s’interroger sur
le sens et la portée de cette mention.
S’il s’agit de ne pas distinguer selon que l’ouverture du
redressement ou de la liquidation judiciaire est consécutive au cas de résolution facultative du plan de sauvegarde
ou au cas de résolution obligatoire du plan, cette formulation serait parfaitement cohérente. Dans l’un comme dans
l’autre cas, la cessation des paiements a précédé l’ouverture de la procédure collective, soit qu’elle ait été la cause
de la résolution du plan soit qu’elle l’ait suivie.
C’est l’emploi de la même formulation que dans la situation de conversion de la procédure de sauvegarde en
redressement judiciaire qui surprend. Dans un arrêt rendu
le 21 janvier 2014 (6), la même chambre avait retenu la garantie de l’AGS pour des créances salariales antérieures
à l’ouverture d’une procédure de sauvegarde convertie en
redressement judiciaire, dans les termes suivants : « dès
lors que la créance du salarié est née avant le jugement de
(3) D. n° 2009-160 du 12 févr. 2009, pris en application de l’ord. n° 2008-1345
du 18 déc. 2008.
(4) C. com., art. R. 626-48, al. 2.
(5) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives 2015-2016, Dalloz,
coll. Dalloz Action, 2014, 8e éd., n° 524.31.
(6) Cass. soc., 21 janv. 2014, n° 12-18421 : Bull. civ. V, n° 25 ; D. 2014, p. 270,
obs. A. Lienhard ; Rev. proc. coll., 2014, comm. n° 55, note D. Jacotot ; JCP E
2014, 1173 ; JCP E 2014, 636, spéc. n° 8, obs. P. Pétel ; Act. proc. coll., 2014,
comm. n° 45, note L. Fin-Langer ; BJE mai 2014, p. 165, n° 111f2, note
L. Driguez ; Gaz. Pal. 1er juil. 2014, p. 36, n° 184w8, note C. Gailhbaud.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
75
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
redressement judiciaire et que la garantie prévue par le 1°
de l’article L. 3253-8 du Code du travail ne dépend que de
la seule ouverture d’une procédure de redressement ou
de liquidation judiciaire, sans qu’il y ait lieu d’établir de
distinction entre les diverses causes d’ouverture de cette
procédure ».
L’emploi erroné des termes « avant le jugement de redressement judiciaire » et l’identité de la formule employée,
« sans qu’il y ait lieu d’établir de distinction entre les diverses causes d’ouverture de cette procédure » laissent
craindre qu’il ne soit pas distingué entre l’ouverture d’une
procédure collective et la conversion de la procédure collective déjà ouverte (7).
« Conversion n’est pas ouverture » (8). La chambre sociale
a déjà eu l’occasion d’articuler créances salariales et
ouverture d’une seconde procédure collective en cas de
résolution d’un plan de continuation, en faisant clairement
application des conséquences attachées à un jugement
d’ouverture : « la résolution du plan de redressement
entraîne l’ouverture d’une nouvelle procédure collective,
de sorte que les créances de la période d’observation de
la précédente procédure collective, clôturée par la continuation de l’entreprise, ont leur origine antérieurement au
jugement d’ouverture de la seconde » (9).
Tel ne pourrait être le cas de la conversion de la procédure
collective. La conversion assure la continuité de la même
(7) Sur cet arrêt : v. F. Pérochon, Entreprises en difficultés, LGDJ, 2014, 10e éd.,
n° 1316 ; P.-M. Le Corre, op. cit., n° 693.11.
(8) P.-M. Le Corre, op. cit., n° 223.65.
(9) Cass. soc., 13 mai 2009, préc.
procédure collective (10). Il ne s’agit alors que de la même
procédure, ouverte antérieurement, qui se poursuit. Une
même procédure collective ne peut faire l’objet que d’un
seul jugement d’ouverture à l’égard du même débiteur. On
ne peut, dès lors, pas faire jouer les effets d’un jugement
d’ouverture (11) à un jugement de conversion (12). Or, seul le
jugement d’ouverture est visé au 1° de l’article L. 3253-8
du Code du travail. Inutile de rajouter « au malheur » de
l’AGS en nommant mal les choses (13).
(10) P.-M. Le Corre, op. cit., n° 223.65.
(11) Arrêt des poursuites individuelles, interdiction des paiements, vérification des
créances, demandes en revendication et restitution par les propriétaires de
meubles…
(12) P. Pétel, « L’AGS et la réforme des procédures collectives » : RJ com. 2006,
p. 174 ; T. Méteyé, « L’intervention de l’AGS dans les procédures de sauvegarde » : Gaz. Pal. 18 juill. 2006, p. 3, n° G1661 ; A. Arseguel et T. Méteyé,
« Les aspects sociaux de la procédure de sauvegarde » : Rev. proc. coll. 2008,
dossier n° 10 ; C. Gailhbaud, « L’AGS dans la procédure de sauvegarde » : LPA
28 nov. 2008, p. 3.
(13) Emprunt à A. Camus, « Sur une philosophie de l’expression », in Œuvres complètes, éd. Gallimard, La Pléiade, 2006, t. I, p. 908 : « Mal nommer un objet,
c’est ajouter au malheur de ce monde », concernant les travaux de B. Parain
sur le langage.
La date d’effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être fixée
qu’au jour de la décision qui la prononce 254p3
1
L’essentiel La liquidation judiciaire n’a pas en elle-même
pour effet de mettre fin au contrat de travail. La résiliation
du contrat de travail ne peut être fixée qu’au jour de la
décision qui la prononce.
Cass. soc., 26 nov. 2015, no 14-19263, AGS c/ M. X et Me Y.
ès qual. liquidateur, F–D (cassation partielle CA Toulouse, 10 avr.
2014), M. Lacabarats, prés. ; SCP Boré-Salve de Bruneton et
Piwnica, av.
L
’instance prud’homale
peut être l’occasion d’asPhilippe DUPRAT
sister à l’affrontement du
Avocat au barreau
droit du travail et du droit
de Bordeaux, ancien
des procédures collecbâtonnier, chargé
d’enseignement à
tives. La confrontation met
l’université de Bordeaux
souvent en exergue des positions parfois inconciliables
car chaque matière a sa logique propre. Il est alors du
rôle régulateur de la Cour de cassation de réduire autant
qu’elle le peut les antagonismes.
Note par
L’arrêt sous examen en donne une parfaite illustration.
76
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
Un salarié engagé en octobre 2008 cesse d’être réglé de
son salaire à compter du mois de septembre 2009. Le
19 janvier 2010, la société employeur est mise en redressement judiciaire, ultérieurement converti en liquidation
judiciaire le 23 mars 2010.
Alors que les premiers juges avaient prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 4 juillet
2012, la cour d’appel, par voie de réformation, fixe la
date de la résiliation au 23 mars 2010, motif pris que la
liquidation judiciaire aurait pour effet de faire cesser définitivement l’activité de la société.
La Cour de cassation, sur pourvoi de l’AGS, tenue, en
l’état des énonciations de l’arrêt déféré, de garantir les
créances salariales résultant de la rupture du contrat de
travail aux torts de l’employeur, casse l’arrêt.
La décision doit être approuvée. La cour d’appel avait
commis plusieurs erreurs de droit.
D’abord, en jugeant que la liquidation judiciaire entraîne
automatiquement la rupture du contrat de travail. Si l’on
peut en effet admettre qu’il est probable que la liquidation
judiciaire qui traduit un état de déliquescence économique
du débiteur tel que celui-ci n’a pas d’autre perspective que
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
de devoir arrêter son activité, il n’est cependant pas acquis
que cela est toujours le cas.
signalera toutefois que des droits étrangers adoptent une
position parfois différente (2).
Le droit des procédures collectives admet parfaitement
que la liquidation judiciaire puisse être assortie d’une
poursuite d’activité si cela est nécessaire à une meilleure
réalisation des actifs du débiteur. L’hypothèse est expressément prévue par les dispositions de l’article L. 641-10
du Code de commerce, pour une durée maximale de trois
mois, éventuellement renouvelable une fois, à la demande
du ministère public (C. com., art. R. 641-18).
La deuxième erreur de droit avait consisté, dans le cadre
d’une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, à fixer la date de la rupture à une date différente, et en
l’occurrence, antérieure à celle de la décision prononçant
ladite résiliation. Or, la Cour de cassation énonce régulièrement que « la date d’effet de la résiliation ne peut être
fixée qu’au jour de la décision qui la prononce » (3). Pour
avoir décidé le contraire, l’arrêt ne pouvait qu’être cassé.
La liquidation judiciaire n’entraîne donc pas ipso facto
cessation définitive de l’activité. C’est probable mais
pas automatique. Les contrats de travail en cours se
poursuivent sauf mise en œuvre de la procédure de licenciement économique.
Pour autant, en disant que le contrat avait été rompu au
jour de la liquidation judiciaire, la cour avait un mobile
louable. Elle voulait faire bénéficier le salarié de la garantie de l’AGS. L’on sait en effet qu’en cas de liquidation
judiciaire la garantie de l’AGS opère selon les dispositions
de l’article L. 3253-8, 5°, b) du Code du travail, c’est-àdire dans les quinze jours de la liquidation judiciaire ou
éventuellement les vingt-et-un jours, lorsqu’un PSE est
élaboré. À défaut, la garantie de l’AGS n’est pas acquise.
En effet, le Code du travail, complété par la jurisprudence,
admet un nombre limité de modes de rupture du contrat
de travail. À l’initiative du salarié, le contrat de travail
sera rompu par la démission, la prise d’acte ou encore
par l’effet d’une décision prononçant la résiliation judiciaire. À l’initiative de l’employeur, c’est uniquement le
licenciement qui entraîne la rupture du contrat de travail.
Le départ en retraite opérera à l’initiative de l’une ou de
l’autre des deux parties selon que le salarié part volontairement ou que, passé l’âge de 65 ans, l’employeur l’y met
d’office.
Cependant, la liquidation judiciaire est sans effet sur le
contrat de travail. L’actuel article L. 641-11-1, VI, du Code
de commerce le rappelle. La Cour de cassation l’a jugé
depuis longtemps (1). Elle le rappelle ici à juste titre. On
(1) Cass. soc., 18 nov. 1992, n° 91-43960 : RJS 1/93, n° 38.
La tentation devient alors grande, pour sauvegarder les
droits du salarié dont la demande en résiliation est fondée, de retenir une date de rupture du contrat qui puisse
lui permettre de bénéficier en cas de procédure collective
de son employeur de la garantie de l’AGS. La cour a peutêtre voulu éviter au salarié de subir les conséquences d’un
choix procédural devenu inadapté à raison de la procédure
collective de son employeur. L’intention est louable mais
la décision juridiquement injustifiée.
(2) Art. 113 du Code allemand de l’insolvabilité ; article L. 125-1 du Code du
travail du Grand-Duché de Luxembourg.
(3) Cass. soc. 14 oct. 2009, n° 07-45257 – Cass. soc., 31 oct. 2013, n° 12-16981.
(...)
XIII. SANCTIONS
(...)
B. Sanctions pénales
Conformité de la faillite personnelle au principe de la nécessité des peines 254r0
1
L’essentiel La question prioritaire de constitutionnalité
relative au caractère automatique de l’interdiction de
diriger toutes entreprises en cas de prononcé de la sanction de la faillite personnelle en application de l’article
L. 653-2 du Code de commerce, n’est ni nouvelle, ni sérieuse.
Cass. com., 1er juill. 2015, no 15-40014, Min. publ. c/ M. X, F–D
(QPC seule, non-lieu à renvoi au Cons. const. de T. com. Nantes,
26 mars 2015), M. Mouillard, prés.
O
n sait que la faillite personnelle et l’interdiction
Corinne ROBACZEWSKI
de gérer présentent la parMaître de conférences à la
ticularité d’être à la fois les
faculté de droit de Douai,
sanctions professionnelles
membre du centre Droit,
éthique et procédures,
qui peuvent s’appliquer, en
université d’Artois
cas de redressement ou de
liquidation judiciaires, aux
dirigeants fautifs (C. com., art. L. 653-3 à 6), et des peines
complémentaires pour ces mêmes dirigeants reconnus
coupables de banqueroute (pour autant qu’ils n’aient pas
déjà été définitivement condamnés par une juridiction
non pénale : C. com., art. L. 654-6). Mais au-delà de cette
double fonction, les deux sanctions peuvent être délicates
Note par
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
77
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
à distinguer dans leurs effets. En application de l’article
L. 653-2 du Code de commerce, la faillite personnelle
« emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou
contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise
commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou
toute entreprise ayant toute autre activité indépendante
et toute personne morale » ; et ce, pour la durée fixée par
le tribunal. Quant à l’interdiction de gérer, elle est précisément, et aux termes de l’article L. 653-8 du Code de
commerce, « l’interdiction de diriger, gérer, administrer
ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute
entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation
agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs
de celles-ci », pour une durée également fixée par le tribunal. De la comparaison de ces deux textes, il apparaît
tout d’abord, que la différence essentielle entre les deux
sanctions réside dans le fait que l’interdiction de gérer
donne la possibilité de « doser » plus spécifiquement la
portée l’interdit que la faillite personnelle. Mais il résulte
aussi de cette comparaison que l’interdiction de gérer se
trouve en quelque sorte englobée dans la définition même
de la faillite personnelle, qui consiste en cette interdiction
dont elle est l’effet principal.
Faut-il en déduire une atteinte au principe de la nécessité
des peines, pour considérer l’interdiction de gérer comme
une sanction automatique, découlant de plein droit, et surtout sans possibilité d’individualisation, du prononcé d’une
faillite personnelle ? La chambre commerciale de la Cour
de cassation n’est pas de cet avis. S’opposant à la transmission d’une question de constitutionnalité, de nature à
confronter l’article L. 653-2 au principe de la nécessité des
peines, la haute juridiction considère que « sous le couvert
d’une contestation du caractère automatique de l’interdiction de diriger toute entreprise qui est attachée à la
faillite personnelle, la question entend remettre en cause
la définition même de cette mesure, la faillite personnelle
consistant en cette interdiction dont elle est l’effet principal, et méconnaît à la fois le caractère facultatif de son
prononcé pour le juge, même si les conditions en sont
réunies, et la possibilité, prévue par l’article L. 653-8 du
Code de commerce, de lui substituer une simple mesure
d’interdiction de gérer ne s’appliquant qu’à la direction de
certaines entreprises ». Elle en déduit que la question ne
présente pas de caractère sérieux.
Réparation du préjudice résultant de la banqueroute par comptabilité incomplète
et irrégulière 254p7
1
L’essentiel Dans le cadre d’une poursuite pour délit de
banqueroute par comptabilité incomplète ou irrégulière,
le liquidateur est recevable à demander réparation à hauteur du montant des dettes accumulées par la société,
lorsque la carence comptable du prévenu a retardé durablement le constat de la cessation des paiements et ainsi
aggravé le montant du passif social.
Cass. crim., 8 juill. 2015, no 14-84075, Min. pub. c/ Michelle X,
F–D (rejet pourvoi c/ CA Lyon, 12 mars 2014), M. Guérin, prés. ;
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, av.
S
i nous avons pu nous
interroger dans de préCorinne ROBACZEWSKI
cédentes chroniques sur la
recevabilité de la constitution de partie civile, en raison de la qualité de demandeur,
celle-ci ne faisait aucune difficulté dans l’arrêt rapporté.
Le liquidateur appartient à la liste des personnes pouvant
saisir la juridiction répressive, en application de l’article
L. 654-17 du Code de commerce, d’une constitution de
partie civile dans le cadre d’une poursuite du chef de banqueroute.
Note par
Mais l’arrêt du 8 juillet 2015 présente un tout autre intérêt : celui de l’évaluation du montant du dommage subi par
la partie civile. En effet, la chambre criminelle considère
ici que les juges du fond ont pu apprécier souverainement
qu’en raison de l’absence d’une comptabilité complète
et régulière, le constat de la cessation des paiements a
été durablement retardé et qu’ainsi, le passif social s’est
trouvé aggravé. C’est donc à hauteur du montant des
dettes accumulées que la réparation peut être fixée.
78
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
Conformément au principe de la réparation intégrale, il
ne fait pas de doute que le montant de l’indemnisation
doit compenser tout le dommage, la victime devant être
replacée dans l’état où elle se trouvait avant sa réalisation.
Mais dans le cadre d’une banqueroute par comptabilité
incomplète ou irrégulière, cette indemnisation peut-elle
correspondre à l’intégralité du passif social ?
Admettre cette solution suppose de considérer que ce passif découle directement du délit. En effet, selon l’article 2
du Code de procédure pénale, « l’action civile en réparation
du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement
souffert du dommage directement causé par l’infraction ».
En l’espèce, les irrégularités comptables commises par le
dirigeant constituent-elles la cause directe de l’intégralité
du passif de la société ? C’est ce qu’affirme la Cour de
cassation puisqu’il résulte, selon elle, des constatations
des juges du fond que « le dommage subi par la partie
civile découle directement du délit de banqueroute ». Ainsi
la faute de comptabilité, constitutive du délit de banqueroute, peut conduire à faire supporter la totalité des dettes
sociales au dirigeant condamné, sans qu’il soit nécessaire
de vérifier s’il n’existe pas d’autres causes à ces dettes (1).
Un tel raisonnement pourrait être de nature à réduire
l’intérêt d’une action en responsabilité pour insuffisance
d’actif. On sait que cette dernière, ayant un objet différent
(1) À propos de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, le même raisonnement consiste à considérer que le dirigeant peut être condamné à supporter la totalité des dettes sociales même si la faute de gestion qu’il a commise
n’est que l’une des causes de l’insuffisance d’actif (Cass. com., 30 nov. 1993,
n° 91-20554 : Bull. civ. IV, n° 440 ; BJS avr. 1994, p. 410, n° 122, note P. Pétel –
Cass. com., 17 févr. 1998, n° 95-18510 : Bull. civ. IV, n° 78 ; BJS juin 1998,
p. 644, n° 215, note J.-J. Daigre).
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
de l’action en réparation du dommage, peut s’exercer
concurremment à une constitution de partie civile devant
les juridictions pénales. Mais en aucun cas l’ouverture des
deux voies ne peut aboutir à un cumul de condamnations.
Récemment, la chambre criminelle a considéré que les
montants obtenus dans le cadre d’une action en comblement de passif doivent nécessairement s’imputer sur la
condamnation à réparation civile (2). L’arrêt rapporté met
à nouveau en exergue les rapports ténus entre les cas de
sanction personnelle des dirigeants de sociétés en redressement ou liquidation judiciaire et ceux constitutifs du délit
de banqueroute.
253z2
(2) Cass. crim., 11 mars 2015, n° 13-86155 : Gaz. Pal. 5 mai 2015, p. 46, n° 224e5,
note C. Robaczewski.
G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3
79
G a ze tte Spé ci a li s é e
Te chni qu e
254q1
ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
Les conditions de l’extension de procédure collective
254q1
Dix questions-réponses
L’essentiel
Depuis plusieurs décennies, la Cour de cassation affine les conditions de l’extension de procédure, mécanisme
prétorien que la loi de sauvegarde n’a consacré qu’en son principe. Au regard de certaines pratiques, un
rapide rappel des exigences en la matière peut s’avérer utile.
I
ndéniablement, l’extension
de procédure est un mécanisme remarquable.
De son originalité, ce « grand
classique des prétoires » (1)
tire sans aucun doute sa
popularité. Celle-ci peut
cependant laisser perplexe lorsque l’on considère
le caractère hautement
dérogatoire et les effets poÉtude par
tentiellement dévastateurs
Florence REILLE
de cette « institution », certes
Maître de conférences
propre au droit des entreà l’université de Toulon,
prises en difficulté, mais qui
membre du CDPC
Jean-Claude Escarras
heurte, en réalité, jusqu’à
(UMR-CNRS 7318)
la très civiliste théorie du
patrimoine. D’autant que la
popularité dont jouit l’extension ne va pas toujours avec une
parfaite maîtrise ou un parfait respect du mécanisme, de
ses conditions d’application, comme de ses conséquences.
Sans prétendre à l’exhaustivité, les dix questions-réponses présentées dans cette rubrique technique de la
Gazette du Palais proposent de rappeler synthétiquement
les principales interrogations soulevées par les conditions
de l’extension, et les principales réponses qui y sont apportées en droit positif, ou qui pourraient être envisagées (2).
consécration de principe puisque, ne disant rien de plus de
l’extension que ce qui en constitue les deux seules causes
possibles (5), elle renvoie pour tout le reste à ce qu’en décident ou ce qu’en décideront les juges. Si l’ordonnance
du 18 décembre 2008 (6), celle du 12 mars 2014 (7), leurs
décrets d’application (8) et, plus marginalement, la loi
du 12 mars 2012 (9) ont précisé, voire innové, en matière
d’extension, il faut remarquer qu’à ce jour, l’essentiel du
dispositif reste d’origine jurisprudentielle. C’est donc, aujourd’hui comme hier, très essentiellement dans l’étude
de la jurisprudence que le praticien trouvera les réponses
aux questions qu’il se pose sur l’extension. Il se référera
tout de même utilement aux articles L. 621-2, alinéa 2 (10)
et R. 621-8-1 (11) du Code de commerce, ainsi qu’à l’article
R. 641-7 du même code (uniquement pour la liquidation
judiciaire), qui règlent un certain nombre de questions
importantes.
2. Quelles procédures peuvent être étendues ?
L’extension vise à attraire un tiers et, à travers lui, l’intégralité de son patrimoine, à la procédure d’un débiteur
initial, aux fins, dans le cadre de cette procédure, de traiter ces patrimoines comme s’ils n’en constituaient qu’un
seul. À ce titre, l’extension ne peut avoir de sens qu’appliquée aux procédures qui appréhendent le patrimoine des
débiteurs, c’est-à-dire les procédures collectives.
L’extension de procédure collective est l’un des plus
beaux exemples du pouvoir créateur de la jurisprudence.
Inaugurée, selon toute vraisemblance, par un arrêt du
29 juin 1908 (3), lentement affinée au cours du XXe siècle
par les juges, avant d’être l’objet d’une véritable doctrine
jurisprudentielle élaborée par la Cour de cassation à partir des années 1990, ce n’est qu’en 2005, à l’occasion de
la loi de sauvegarde (4), que la loi consacrera expressément le mécanisme. Elle se contentera cependant d’une
Il ne saurait être question d’appliquer l’extension de
procédure aux procédures amiables de traitement des
difficultés des entreprises : le mandat ad hoc, comme
la conciliation, sont donc exclus du champ d’une mesure d’extension. À ce titre encore, il ne devrait pas être
question de procéder à une extension dans le cadre d’un
rétablissement professionnel, qui n’est pas une procédure collective. Si des signes de confusion patrimoniale
sont détectés en cours de rétablissement professionnel,
sans doute conviendrait-il de « basculer » en procédure
de liquidation judiciaire. La chose peut cependant s’avérer
délicate, au regard des motifs de « basculement » énoncés
par l’article L. 145-9 du Code de commerce, qui cadrent
NDA : Indiquons aux lecteurs qu’une prochaine étude « Technique » sera consacrée
aux effets de l’extension de procédure.
(1) P. Pétel, « La vie après la confusion des patrimoines », in Mélanges P. Merle, Dalloz, 2012, p. 577 et s.
(2) Nous nous limiterons à l’extension classique, en mettant de côté les aspects
propres à la réunion des patrimoines d’un EIRL visée par l’article L. 621-2,
al. 3, du Code de commerce.
(3) Cass. ch. req., 29 juin 1908 : DP 1910, I, p. 233, note Percerou.
(4) L. n° 2005-845, 26 juill. 2005, art 15.
(5) V. infra.
(6) Ord. n° 2008-1345, 18 déc. 2008, art. 13.
(7) Ord. n° 2014-326, 12 mars 2014, art. 16.
(8) D. n° 2009-160, 12 févr. 2009, art. 16 et D. n° 2014-736, 30 juin 2014, art. 34.
(9) L. n° 2012-346, 12 mars 2012 (dite loi Pétroplus), art. 1.
(10) Applicable en redressement et liquidation judiciaires par renvoi des articles
L. 631-7 et L. 641-1 du même code.
(11) Applicable en redressement par renvoi de l’article R. 631-7 du même code.
Applicable en ses trois premiers alinéas à la liquidation judiciaire par renvoi
de l’article R. 641-1.
1. Quelle est la source du mécanisme d’extension
de procédure ?
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G a z e tte Sp é cia lisée
Technique
mal avec l’extension, laquelle n’est pas une sanction, reste
largement étrangère à la notion de bonne ou de mauvaise
foi, et ne s’apparente, ni de près, ni de loin, aux nullités de
la période suspecte.
Parmi les procédures collectives traditionnelles, il n’y
a pas lieu de faire de distinction. Les textes sont clairs
sur ce point : la sauvegarde, comme le redressement
judiciaire et la liquidation judiciaire, sont susceptibles
d’extension. Si l’extension de ces deux dernières procédures ne suscite pas de discussion, il n’en est pas allé de
même de la procédure de sauvegarde, dont certains ont
considéré, dès l’adoption de la réforme de 2005, que son
caractère volontaire et sa nature de procédure d’anticipation cadraient mal avec l’application d’une mesure
aussi radicale (12). Force est cependant de constater que
ces voix n’ont pas été entendues. Elles ne l’ont pas été
par le législateur de 2005 qui a, au contraire, pris soin de
consacrer l’extension dans un texte régissant précisément la sauvegarde et applicable aux autres procédures
par « simple » renvoi de textes. Elles ne l’ont pas été au
moment de l’adoption de la réforme de 2008, alors même
que le débat restait ouvert sur le sujet (13). Parce que les
textes propres à la sauvegarde accélérée et à la procédure de sauvegarde financière accélérée (14) ne dérogent
pas à l’article L. 621-2, alinéa 2, du Code de commerce, il
y a lieu de considérer qu’il n’y a pas d’obstacle, en théorie
du moins, au prononcé d’une mesure d’extension. En pratique, cependant, il faut reconnaître qu’une telle mesure
est assez peu adaptée à la stratégie que portent les sauvegardes accélérées, comme elle est assez peu compatible
avec les délais qui sont les leurs.
Notons enfin que la Cour de cassation penche pour une
limitation du mécanisme d’extension aux seules procédures du livre VI du Code de commerce. Ainsi a-t-elle pu
juger, dans le contexte particulier d’une liquidation judiciaire « Code de commerce » faisant suite à une liquidation
judiciaire spéciale régie par le Code des assurances, que
l’extension n’était envisageable que dans le cadre de la
seconde de ces procédures (15).
3. Quelles sont les conditions de la soumission à une procédure collective par extension ?
Au fil des décennies, la jurisprudence a clairement dégagé
deux causes d’extension de procédure que sont la fictivité
d’une personne morale et la confusion des patrimoines. Le
livre VI du Code de commerce, dans sa rédaction issue de
la loi de sauvegarde, a très clairement consacré la ferme
position de la jurisprudence sur ce point.
Ces causes d’extension sont alternatives et exclusives de
toute autre. La rédaction même de l’article L. 621-2 du
(12) Not. F.-X. Lucas, « Le sort du débiteur » : LPA 14 juin 2007, p. 60.
(13) Not. M.-H. Monsérié-Bon et C. Thévenot, « Comment améliorer la procédure de sauvegarde ? » : Rev. proc. coll. 2008, dossier n° 6.
(14) Et pour cette dernière, tant dans sa version issue de la loi du 22 octobre 2010
que dans celle issue de celle du 12 mars 2014.
(15) Cass. com., 26 janv. 2010, n° 08-70369 : Bull. civ. IV, n° 16 ; D. 2010,
p. 438 ; LEDEN mars 2010, p. 3, obs. I. Parachkévova ; Gaz. Pal. 17 avr.
2010, p. 18, n° I1264, note F. Reille.
Code de commerce est sans ambiguïté, tant sur le premier
de ces caractères que sur le second.
“ La jurisprudence a clairement
dégagé deux causes d’extension
de procédure que sont la fictivité
d’une personne morale et la confusion
des patrimoines
”
L’exclusivité des causes d’extension appelle deux remarques de grande importance pratique.
La première est que toute autre cause de soumission à
une procédure unique par le jeu d’une extension, ou d’une
ouverture de procédure commune ab initio, doit être exclue. Aussi ne doit-on pas s’étonner, comme le relève le
professeur Pierre-Michel Le Corre (16), que les pratiques
conduisant les juges du fond à placer deux personnes
(ou plus) sous une procédure commune, sans avoir préalablement caractérisé une confusion des patrimoines ou
une fictivité, soient systématiquement censurées par la
Cour de cassation (17).
La seconde est que ces conditions de l’extension que sont
la confusion des patrimoines et la fictivité, doivent être
entendues comme évinçant les conditions classiques
de soumission à la procédure collective. C’est ainsi que
la Cour de cassation considère légitime que l’extension
puisse être prononcée à l’égard d’une personne qui ne
serait ordinairement pas éligible aux procédures collectives, soit qu’elle n’ait pas la qualité requise, soit qu’elle ne
soit pas dans la situation requise, pourvu qu’une confusion
des patrimoines ou une fictivité soit établie (18). Il n’en va
différemment que lorsqu’est envisagée l’extension d’une
procédure collective ouverte en France, à une entreprise
d’un autre État européen. La CJUE (19), suivie en cela par
la Cour de cassation (20), a en effet décidé qu’en ce cas,
l’extension n’est possible que dans la mesure où sont
remplies les conditions ordinaires d’ouverture, en France
et par le juge français, d’une procédure à l’entreprise
étrangère selon le règlement européen relatif aux procédures d’insolvabilité.
Terminons en constatant que, depuis quelque temps déjà,
le recours à la fictivité de la personne morale pour fonder
une demande d’extension et son prononcé s’est nettement
raréfié. Aujourd’hui, la confusion patrimoniale est, de très
loin, la première cause d’extension de procédure. C’est
donc autour de cette notion de confusion patrimoniale
que s’articule le mécanisme d’extension tel que nous le
connaissons actuellement.
(16) P.-M. le Corre, « Halte à la jonction de procédures avec poursuites sous patrimoine commun » : Gaz. Pal. 5 mai 2015, p. 3, n° 224k4.
(17) V. récemment Cass. com., 16 déc. 2014, n° 13-24161, PB : BJE janv. 2015,
p. 83, n° 112a0, note T. Favario ; D. 2015, p. 1970, obs. P.-M. le Corre.
(18) V. Cass. com., 15 juin 1971, n° 70-10334 : Bull. civ. IV, n° 171 ;
RTD com. 1972, p. 484, n° 16, obs. R. Houin – Cass. com., 26 mars 1985,
n° 82-16002 : Bull. civ. IV, n° 108.
(19) CJUE, 1re ch., 15 déc. 2011, n° C-191/10. Parmi les nombreux commentaires, not D. 2012, p. 403, note J.-L. Vallens ; JCP E 2012, 1227, obs. P. Pétel.
(20) Cass. com., 10 mai 2012, n° 09-12642, FS–PB.
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Te chni qu e
4. Quelles circonstances caractérisent une confusion des
patrimoines, cause principale d’extension de procédure ?
De cette confusion des patrimoines, la doctrine jurisprudentielle de la Cour de cassation nous enseigne avec
insistance, depuis quelques décennies, qu’elle repose sur
deux « critères » que sont la confusion des comptes et
l’entretien de relations financières anormales (21).
La confusion des comptes peut se définir comme un
désordre comptable, voire une absence de comptabilité,
qui conduit à une impossible attribution d’éléments d’actif et/ou de passif au patrimoine de l’une ou l’autre des
personnes confuses en biens (22). Le critère des relations
financières anormales est, quant à lui, un peu plus difficile
à saisir. À l’analyse de la jurisprudence, on peut cependant
en donner un profil général en notant qu’il s’agit de flux
non justifiés d’un patrimoine à un autre ou, au contraire,
de l’absence, tout aussi injustifiée, de flux dans les cas où
il aurait été normal que des flux existent (23). L’anormalité,
souvent évoquée comme une « absence de contrepartie »
à un flux appauvrissant, se caractérise plus justement
par l’absence d’intérêt qu’a une personne à consentir un
sacrifice au profit d’une autre (24), cette absence d’intérêt
étant établie de manière flagrante lorsque les sacrifices
consentis vont jusqu’à mettre en péril la survie économique de leur auteur. Cette approche de l’anormalité
permet une certaine souplesse dans son appréciation.
Notamment, la Cour de cassation a eu l’occasion de
mettre en œuvre une appréciation adaptée de l’anormalité dans le cadre de groupes de sociétés au sein desquels
il est naturel que les rapports entre les membres du
groupe soient influencés par l’appartenance à cet ensemble (25). Rappelons enfin que les relations financières
anormales entretenues par les parties doivent être d’une
ampleur suffisante pour caractériser une confusion patrimoniale (26). Seules des relations financières anormales
(21) D. Tricot, « La confusion des patrimoines et les procédures collectives »,
Rapp. Cour de cassation 1997, La documentation française 1998, p. 165 ;
P. Delmotte, « Les critères de la confusion des patrimoines dans la jurisprudence de la Cour de cassation » : RJDA 6/06, p. 539.
(22) Not. Cass. com., 24 oct. 1995, n° 93-11322, D – V. égal. rejetant la confusion
des comptes Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-15833 : Gaz. Pal. 21 juill. 2007,
p. 26, n° G4339, obs. F. Reille.
(23) Tel est d’ailleurs le sens du changement terminologique adopté dans les années
2000 par la Cour de cassation, laquelle a délaissé les flux financiers anormaux
au profit des relations financières anormales car, précisait alors M. Daniel Tricot
« on ne peut pas toujours parler de flux (…) parce que parfois, l’anormalité
tient à ce qu’il n’y a pas de flux » : D. Tricot, « Débats in Droit patrimonial de
la famille et entreprises en difficulté » : LPA 24 avr. 2003, p. 16.
(24) On peut en effet avoir un intérêt à un sacrifice consenti au profit d’un tiers.
Pour illustration, v. Cass. com., 26 mars 2013, n° 12-14809 : LEDEN
mai 2013, p. 5, n° 072, note I. Parachkévova ; Gaz. Pal. 13 juill. 2013, p. 13,
n° 140b1, obs. F. Reille, affaire dans laquelle la prise en charge de travaux
importants par le preneur trouvait une contrepartie dans la réduction du
montant du loyer dû au bailleur.
(25) Cass. com., 19 avr. 2005, n° 05-10094 : Bull. civ. IV, n° 92, très largement
commenté.
(26) La haute cour se réfère souvent à « une volonté réitérée et systématique » de
la part des acteurs à la confusion, par exemple la volonté réitérée et systématique du bailleur de ne pas recouvrer les loyers impayés : not. Cass. com.,
8 janv. 2013, n° 11-30640 : BJE mars 2013, p. 77, obs. A. Cerati-Gauthier ;
Gaz. Pal. 4 mai 2013, p. 15, n° 129j4, obs. F. Reille.
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entretenues antérieurement au jugement d’ouverture de
la procédure ensuite étendue peuvent justifier l’extension
en cause (27).
Comme les causes d’extension précédemment évoquées,
la confusion des comptes et les relations financières anormales sont des critères de confusion patrimoniale qui
présentent un caractère exclusif et alternatif. De la même
manière encore que pour les causes d’extension, on remarque un usage très prépondérant de l’un des critères
par rapport à l’autre : rarement invoquée depuis quelque
temps déjà, la confusion des comptes a très largement
laissé la place aux relations financières anormales, qui
soutiennent le plus fréquemment la preuve d’une confusion des patrimoines. La souplesse de ce dernier critère
explique sans doute largement cette réalité.
5. Quelles sont les personnes pouvant être parties
à la confusion patrimoniale ?
Une première interrogation surgit à propos de la personne
visée par l’extension. Doit-elle nécessairement être une
personne morale ?
Certaines idées reçues sont tenaces. Il en va ainsi de la
conviction, dont certains ont des difficultés à se défaire,
que l’extension de procédure ne peut se produire qu’en
présence d’une personne morale. L’idée qui sous-tend
cette croyance tient sans doute à la difficulté de concevoir que deux personnes réelles puissent être soumises à
la même procédure collective. Selon cette idée, la confusion des patrimoines ne serait en fait qu’une variante de
la fictivité.
Or, tel n’est pas le cas. L’extension de procédure est une
véritable dérogation à la règle selon laquelle la procédure
collective ne peut appréhender qu’une seule personne
et son patrimoine. À ce titre, elle est envisageable, pour
confusion des patrimoines, d’une personne morale à une
autre personne morale, d’une personne physique à une
personne morale ou en sens inverse, ou encore, et c’est
là l’essentiel de la démonstration, entre deux personnes
physiques (28). L’extension de procédure ni ne postule une
personnalité juridique unique, ni n’entraîne une personnalité juridique unique. Il n’y a que les patrimoines qui,
rassemblés, seront traités comme s’il n’y en avait qu’un (29).
“ L’extension de procédure peut
viser une personne in bonis, comme
une personne elle-même déjà soumise
à une procédure collective
”
Une autre interrogation surgit à propos de la personne
visée par l’extension. Doit-elle nécessairement être
in bonis ?
(27) V. Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10083 : Bull. civ. IV, n° 187 ; JCP E 2001,
p. 750, n° 1, obs. P. Pétel ; D. aff. 2001, p. 309, obs. A. Lienhard ; BJS
mars 2001, p. 249, § 67, note B. Saintourens – Cass. com., 8 juill. 2003,
n° 01-15480, D – Cass. com., 24 juin 2003, n° 00-20236, D – Cass. com.,
16 oct. 2012, n° 11-23036, D : Gaz. Pal. 19 janv. 2013, p. 19, n° 114h2,
note F. Reille.
(28) Not. Cass. com., 3 déc. 2003, n° 01-00354 – Cass. com., 10 juill. 2001,
n° 98-20657 : Act. proc. coll. 2000/6, n° 59, obs. C. Regnaut-Moutier.
(29) V. infra.
G a z e tte Sp é cia lisée
Technique
La réponse est négative. En effet, l’extension de procédure
peut viser une personne in bonis, comme une personne
elle-même déjà soumise à une procédure collective. En
revanche, dans ce dernier cas, les facultés d’extension
sont limitées en fonction de la nature de la procédure
qu’il s’agit d’étendre et de celle à laquelle est soumise
la personne que l’on souhaite attraire à cette procédure.
C’est ainsi qu’une sauvegarde ou un redressement judiciaire, qui peuvent être étendus à une personne soumise
à une procédure de même nature (30), ne pourraient être
étendus à une personne déjà soumise à une liquidation
judiciaire (31), alors que l’inverse est possible tant que la
première procédure n’a pas trouvé d’issue (32).
Lorsque l’extension vise une personne déjà soumise à
une procédure collective, son prononcé aura pour effet de
ramener la personne visée à la procédure qu’il s’est agi
d’étendre. Il s’ensuit que le tribunal initialement saisi de
la procédure collective de la personne visée par l’extension sera en quelque sorte dépossédé de cette procédure
au profit du tribunal ayant prononcé l’extension, lequel
conduira la procédure désormais commune qu’il avait initialement ouverte au débiteur concerné (33).
6. Quelles sont les modalités procédurales de l’action
en extension et de la décision statuant sur l’extension ?
Quelques incertitudes, dont certaines ont été assez tôt dissipées par la jurisprudence, ont existé quant à la question
des personnes habilitées à agir en extension. Aujourd’hui,
l’article L. 621-2 du Code de commerce, depuis l’ordonnance du 18 décembre 2008, précise clairement les
personnes ayant qualité pour agir en extension.
En 2008, le législateur désignait comme ayant cette qualité, le mandataire judiciaire, le ministère public et – ce
qui avait été plus sujet à discussion auparavant, mais avait
déjà été admis par la Cour de cassation (34) – l’administrateur judiciaire.
À cette liste, il est nécessaire de rajouter le liquidateur judiciaire – même si une décision, un peu obscure,
semble conditionner la qualité à agir de ce dernier dans un
contexte spécial de liquidation ouverte suite à la résolution
d’un plan (35) – mais également les contrôleurs, habilités
à agir aux lieu et place du mandataire judiciaire dans
les conditions définies par le premier alinéa de l’article
L. 622-20 du Code de commerce (36).
L’ordonnance de 2008 précitée précisait encore que le
tribunal pouvait se saisir d’office aux fins de prononcer
l’extension. L’ordonnance du 12 mars 2014 a modifié le
(30) V. Cass. com., 4 janv. 2000, n° 97-11712 : Bull. civ. IV, n° 3 ; D. 2001, p. 72,
obs. A. Lienhard ; JCP E 2000, 698, spéc. n° 1, obs. P. Pétel.
(31) Not. F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, 2014, 10e éd., n° 340.
(32) Cass. com., 4 janv. 2000, n° 97-11712, préc.
(33) V. infra.
(34) Cass. com., 15 déc. 2009, n° 08-20934 : Bull. civ. IV, n° 170 ; D. 2010, p. 86,
obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. 17 avr. 2010, p. 20, n° I1264, note F. Reille.
(35) Cass. com., 16 oct. 2012, nos 11-23086 et 11-23324 : Bull. civ. IV, n° 185 ;
D. 2012, p. 2514, obs. A. Lienhard ; LEDEN déc. 2012, p. 3, n° 173, obs.
I. Parachkévova ; Gaz. Pal. 19 janv. 2013, p. 17, n° 114h0, note F. Reille.
(36) Cass. avis, 3 juin 2013, n° 13-70003 : Bull. avis, n° 9 ; Rev. proc. coll. 2013,
étude n° 18, concl. R. Bonhomme ; D. 2013, p. 2363, note F.-X. Lucas ; Dalloz actualité 25 juin 2013, note A. Lienhard ; Rev. sociétés 2013, p. 520, obs.
L.-C. Henry ; Act. proc. coll. 2013, alerte n° 167, obs. P. Cagnoli ; LEDEN
juill. 2013, p. 3, n° 102, obs. F.-X. Lucas ; Gaz. Pal. 1er oct. 2013, p. 7,
n° 148e1, note F. Reille.
texte. Désormais, et pour les procédures ouvertes depuis
le 2 juillet 2014, le débiteur lui-même est également habilité à agir en extension. En revanche, le tribunal se trouve
désormais privé du droit de se saisir d’office.
Les créanciers agissant individuellement (37), comme la
personne qui souhaiterait qu’une procédure collective lui
soit étendue, restent, quant à eux, dénués de la qualité
pour agir en extension.
Le tribunal est saisi de la demande en extension par voie
d’assignation lorsque la demande est formée par les mandataires de justice ou un contrôleur. Elle est présentée par
voie de requête et selon la procédure de l’article R. 631-4,
lorsque c’est le ministère public qui exerce l’action. C’est
déjà ainsi que procédaient les demandeurs avant que le
décret du 12 février 2009 ne vienne confirmer cette pratique dominante, à l’occasion de l’insertion d’un article
R. 621-8-1 au livre VI du Code de commerce.
Contrairement à la demande tendant à l’ouverture classique d’une procédure collective, la demande visant à
obtenir l’extension de procédure n’est plus exclusive de
toute demande depuis que la Cour de cassation, par un revirement de jurisprudence (38), a décidé que les dispositions
des textes (39), suivant lesquelles la demande d’ouverture
d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est, à peine d’irrecevabilité qui doit être soulevée
d’office, exclusive de toute autre demande, ne s’appliquent
pas à la demande d’extension d’une telle procédure (40).
Le tribunal compétent pour connaître de la demande en
extension est le tribunal saisi de la procédure dont l’extension est sollicitée. C’est ainsi qu’il faut comprendre
les termes de l’article L. 621-2 du Code de commerce qui
désigne « le tribunal ayant ouvert la procédure initiale ».
À ce titre, si l’action est dirigée contre une personne qui
se trouve déjà soumise à une procédure collective, il n’y
a pas lieu de s’interroger sur la date à laquelle chacun
des tribunaux a ouvert la procédure qui le concerne : la
compétence ne revient pas au tribunal qui aurait ouvert
la procédure la plus ancienne, mais bien au tribunal ayant
ouvert la procédure dont l’extension est requise (41).
L’examen des règles procédurales régissant la décision
statuant sur l’extension permet de constater que le mécanisme présente des spécificités marquées par rapport à
une ouverture classique de procédure.
Est-ce à dire que l’extension déroge systématiquement à toute règle, notamment procédurale, applicable
à l’ouverture de la procédure collective ? Ainsi posée la
généralité de l’affirmation, qui pourrait se recommander
(37) Cass. com., 19 févr. 2002, n° 99-12776, D – Cass. com., 15 mai 2001,
n° 98-14560 : Bull. civ. IV, n° 91 ; BJS oct. 2001, p. 979, n° 223, note P. Pétel ;
D. 2001, p. 3425, obs. A. Honorat ; D. 2001, p. 1949, obs. A. Lienhard –
Cass. com., 16 mars 1999, n° 96-19537 : Bull. civ. IV, n° 67 ; Defrénois
oct. 1999, p. 865, n° 37023, obs J.-P. Sénéchal.
(38) V. antérieurement Cass. com., 1er déc. 1992, n° 90-20409 : Bull. civ. IV,
n° 383 – Cass. com., 17 févr. 1998, n° 95-14839 : Bull. civ. IV, n° 74.
(39) C. com., art. R. 631-2, al. 2, rendu applicable à la liquidation judiciaire par
renvoi de l’article R. 640-1.
(40) Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-16635 : Bull. civ. IV, n° 119 ; D. 2013,
p. 1831, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. 29 sept. 2013, p. 16, obs. F. Reille.
(41) Cass. com., 19 nov. 2013, nos 12-25290 et 12-29197 : Bull. civ. IV, n° 167 ;
D. 2013, p. 2766, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. 14 janv. 2014, p. 16, n° 161h0,
obs. F. Reille.
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Te chni qu e
d’une interprétation littérale des textes (42), peut être
discutée. Car si l’extension est un « incident » de la procédure collective qui en est l’objet, elle n’en provoque pas
moins, à l’égard de celui qui se trouve visé par l’action, une
« ouverture » dans le sens d’une soumission à une procédure collective (43). Le fait que cette procédure collective
soit celle d’un autre ne change rien à cet état de fait.
cadre de la procédure à étendre (49), à défaut de quoi ledit
jugement devrait être considéré nul.
De cette nature hybride de l’instance en extension et du
jugement auquel elle donne naissance, il convient de tirer
toutes les conséquences au niveau procédural.
Du côté des voies de recours, on notera que rien n’était
précisé par les textes avant que l’ordonnance du 18 décembre 2008 ne mette fin à ce silence. Le jugement
statuant sur l’extension de procédure est susceptible d’appel ou de pourvoi en cassation de la part du débiteur initial,
du débiteur « par extension », des mandataires de justice
et du ministère public (50), dans les délais classiques énoncés à l’article R. 661-3 du Code de commerce. La tierce
opposition est encore ouverte à ceux qui n’auraient pas
été partie à l’instance (51). Le régime des voies de recours
est donc voisin de celui applicable au jugement d’ouverture, comme l’admettait déjà la Cour de cassation avant
l’ordonnance du 18 décembre 2008 (52), sans être tout à fait
identique. Notamment, l’appel du ministère public quant à
la décision statuant sur l’extension est suspensif (53), quelle
que soit la nature de la procédure étendue (54). Les articles
R. 621-8-1 (55) et R. 641-7 du Code de commerce adaptent
à cette règle les mesures de publicité du jugement qui
prononce l’extension : en cas d’appel du ministère public,
ou en cas d’arrêt de l’exécution provisoire, ces publicités
ne sont effectuées par le greffier du tribunal qu’au vu de
l’arrêt de la cour d’appel qui lui est transmis par le greffier
de cette cour dans les huit jours de son prononcé.
Parce que la procédure d’extension tend à l’ouverture
d’une procédure collective pour la personne visée par
l’extension, il paraît légitime de l’entourer des mêmes
garanties procédurales que la procédure d’ouverture ordinaire d’une procédure collective. C’est en ce sens que
penchait déjà la Cour de cassation évoquant notamment
la nécessité d’entendre l’ordre professionnel ou l’autorité compétente dont relèverait le défendeur à l’action en
extension (44), avant que l’ordonnance du 12 mars 2014 ne
consacre cette règle (45). C’est ainsi encore que les règles
de signification, de communication et de publicité du jugement d’extension, précisées par le décret du 19 février
2009, s’apparentent à celles prévues pour le jugement
d’ouverture (46). Dans la même logique, il nous semblerait
nécessaire de considérer que le tribunal doit entendre ou
dûment appeler en chambre du conseil les représentants
du comité d’entreprise ou des délégués du personnel de
la personne visée par l’extension (47). Sans doute encore
serait-il opportun d’accorder au tribunal la possibilité de
commettre un juge pour recueillir tout renseignement sur
la situation, notamment financière, de la personne contre
laquelle l’action est portée (48). Certes, dans la situation
en cause, il ne s’agirait pas d’évaluer ses difficultés, auxquelles la décision ou le refus d’extension est indifférent,
mais d’évaluer la force de la probabilité d’une confusion
patrimoniale ou d’une fictivité de la personne morale.
Parce que la procédure d’extension tend à élargir le
périmètre d’une procédure en cours, il y a cependant
lieu d’adapter les règles, notamment procédurales,
applicables à une ouverture ordinaire de la procédure
collective. Si les textes prévoient des modalités procédurales propres à la procédure d’extension, leur silence
sur d’autres points n’exclut pas que soient mobilisées
des règles procédurales générales qu’il appartient aux
tribunaux de veiller à combiner avec les précédentes.
Notamment, il convient, à notre avis, d’être extrêmement
vigilent sur le fait que tout jugement d’extension devrait
être rendu sur avis du juge-commissaire désigné dans le
(42) V. Act. proc. coll. 2013, alerte n° 278, obs. P. Cagnoli. Égal. nos obs. sous
Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-16635 : Gaz. Pal. 1er oct. 2013, p. 16, n° 148g7.
(43) Cela n’est évidemment vrai que dans les cas, sans doute les plus fréquents, où
l’extension vise un débiteur encore in bonis.
(44) Cass. com., 5 nov. 2013, n° 12-21799 : Bull. civ. IV, n° 163 ; LEDEN déc.
2013, p. 3, n° 186, obs. I. Parachkévova ; D. 2013, p. 2692, obs. A. Lienhard ;
Rev. sociétés 2013, p. 724, obs. P. Roussel Galle, Act. proc. coll. 2013, alerte
n° 278, obs. P. Cagnoli : Gaz. Pal. 14 janv. 2014, p. 14, n° 161g8, obs. F. Reille.
(45) C. com., art. L. 621-2, al. 5.
(46) C. com., art. R. 621-8-1, al. 2 et 4 et art. L. 641-7, al. 1er.
(47) C. com., art. L. 621-1, al. 1er.
(48) C. com., art. L. 621-1, al. 3.
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De son originalité fondamentale, le mécanisme de l’extension de procédure collective tire un atypisme procédural
qui recèle un certain nombre de pièges. Si l’on peut se
réjouir que la jurisprudence de la Cour de cassation permette d’en déjouer certains, la vigilance reste de mise.
“ Si l’action en extension n’est
enfermée dans aucun délai spécial,
elle est cependant soumise à certaines
limites temporelles ”
7. Quelles sont les limites temporelles de l’action
en extension ?
L’action en extension n’est enfermée dans aucun délai
spécial. Ni la loi de sauvegarde, ni les réformes qui l’ont
modifiée par la suite, ne sont venues imposer un tel délai.
Est-ce à dire que l’action en extension ne connaît aucune
limite temporelle ? Certes pas.
La Cour de cassation juge en effet avec constance que
la procédure collective ne peut plus être étendue après
(49) V. C. com., art. R. 662-12.
(50) C. com., art. L. 661-1, I, 3e.
(51) C. com., art. L. 661-2– V. antérieurement Cass. com., 16 mai 2006,
n° 05-14595 : Bull. civ. IV, n° 122 – Cass. com. 8 oct. 2003, n° 00-19730, D.
(52) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives 2015-2016, Dalloz,
coll. Dalloz Action, 2014, n° 213-35.
(53) Le principe est que le jugement d’extension est exécutoire par provision. Il est
cependant possible de solliciter un arrêt de cette exécution provisoire (C. com.,
art. R. 661-1).
(54) C. com., art. L. 661-1, II. Comp. avec le jugement d’ouverture, visé par le
même article.
(55) Dans sa rédaction issue du décret du 30 juin 2014.
G a z e tte Sp é cia lisée
Technique
adoption d’un plan de continuation (56), après clôture de la
liquidation judiciaire (57) – sauf réouverture de celle-ci –, ni
après adoption d’un plan de cession (58).
Ces limites temporelles apportées à l’extension de procédure trouvent sans aucun doute leur source essentielle
dans une logique « technique » conduisant à considérer
que les limites de l’extension de procédure doivent tout
naturellement épouser les limites de la procédure collective elle-même : le mécanisme d’extension de procédure
ne peut tout simplement pas survivre à son objet.
Dans le pur prolongement de cette idée, on relèvera avec
intérêt un arrêt de la cour d’appel de Besançon (59), qui juge
possible l’extension après adoption d’un plan de cession
sous l’empire de la loi de sauvegarde, là où une telle extension était empêchée sous l’empire de la loi de 1985, au
motif que depuis le 1er janvier 2006, l’adoption du plan de
cession ne marquerait plus la fin de la procédure (60).
Cependant, sans doute aussi ces limites sont-elles parfois
dictées par une logique économique, pragmatique, ou un
souci de ne pas porter trop lourdement atteinte à la sécurité juridique, notamment lorsque la Cour de cassation
refuse l’extension d’une procédure en considération de ce
que la personne visée par l’extension, qui était elle-même
soumise à une procédure collective, a vu celle-ci se solder
par l’adoption d’un plan (61).
L’extension de procédure se trouve alors contrainte par
l’impératif de sauvetage de l’entreprise ou par la protection des droits des tiers. Dès lors qu’un plan est adopté,
une issue favorable à la survie de l’activité a été trouvée
et l’extension n’a donc plus lieu d’être, outre qu’elle pourrait même perturber le sauvetage espéré ou remettre en
cause les droits acquis par des cessionnaires.
8. La recevabilité de l’action en extension est-elle soumise à l’existence d’un préjudice subi par le débiteur
initial ?
Longtemps, cette problématique n’a pas été directement
soumise à la Cour de cassation. Si bien que, en dépit d’arrêts marquant une volonté implicite mais nette de la haute
cour de tenir à distance la question du préjudice comme
condition de recevabilité de l’extension de procédure (62), le
doute restait permis.
(56) Cass. com., 22 oct. 1996, n° 95-13024 : Bull. civ. IV, n° 256 – Cass. com.,
18 janv. 2005, n° 03-18264, D.
(57) Cass. com., 11 juill. 1995, n° 93-15525 : Bull. civ. IV, n° 208.
(58) Not. Cass. com., 28 nov. 2000, n° 97-12265, D.
(59) CA Besançon, 2e ch. com., 12 mars 2014, n° 13/02031 : BJE juill.-août 2014,
p. 231, n° 111k0, note F. Reille.
(60) J. Deharveng : « Le plan de cession dans la nouvelle architecture des procédures collectives : un événement et non plus une issue du cours de la procédure » : D. 2006, p. 1047.
(61) Pour un plan de cession, v. Cass. com., 12 nov. 1991, n° 90-14255 : Bull.
civ. IV, n° 343. Pour un plan de redressement, v. Cass. com., 4 janv. 2000,
n° 97-11712 : Bull. civ. IV, n° 3.
(62) Maintes fois, la Cour de cassation n’a trouvé rien à redire à des extensions
prononcées de l’enrichi par les relations financières anormales à l’appauvri :
not. Cass. com., 20 janv. 2009, n° 07-17026 : JCP E 2009, 1391, obs.
P. Pétel ; RPC 2009, comm. n° 201, obs. B. Saintourens ; Gaz. Pal. 26 avr.
2009, p. 18, et nos obs. – V. égal. à titre d’illustration, Cass. com., 3 avr. 2002,
n° 99-12008 – Cass. com., 5 mars 2002, n° 99-13302 – Cass. com., 4 juill.
2000, n° 97-15156 – Cass. com., 22 oct. 1996, n° 94-18285. De même
admet-elle l’extension en cas de relations financières anormales appauvrissant
et enrichissant tour à tour les personnes concernées : v. par ex. Cass. com.,
16 juin 2009, n° 08-15883.
Il l’était d’autant plus que la Cour de cassation rendait,
en 2013 (63), un avis qui, rapidement appréhendé, pouvait
laisser penser que la haute juridiction penchait désormais pour une approche indemnitaire de l’extension de
procédure. De cet avis, il ressort que « L’article L. 622-20
du Code de commerce confère au créancier nommé
contrôleur, en cas de carence du mandataire judiciaire,
qualité pour agir en extension d’une procédure collective
sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de
la fictivité de la personne morale ». L’avis ainsi formulé
doit être lu à la lumière de la question qui était posée :
« L’article L. 622-20 du Code de commerce qui autorise un
contrôleur à suppléer la carence du mandataire judiciaire
est-il applicable dans le cadre d’une action en extension
d’une procédure collective alors que cette action ne sert
pas nécessairement l’intérêt collectif des créanciers et n’a
pas pour effet de recouvrer des sommes d’argent et de les
faire entrer dans le patrimoine du débiteur ? ». Même si, à
notre sens, la réponse de la haute cour à la question qui lui
était posée, ne méritait pas d’être comprise ainsi (64), beaucoup ont entendu, dans la réponse formulée par la Cour
de cassation, une confirmation de ce que l’extension de
procédure se résume à un mécanisme destiné à satisfaire
l’appétit des créanciers et, ce faisant, à réparer un préjudice causé au débiteur du fait des relations anormales
entretenues.
Si un doute pouvait donc subsister, il ne le peut plus depuis
un arrêt du 16 juin 2015 (65) par lequel la Cour de cassation a pu affirmer que « pour caractériser des relations
financières anormales constitutives d’une confusion des
patrimoines, les juges du fond n’ont pas à rechercher si
celles-ci ont augmenté, au préjudice de ses créanciers, le
passif du débiteur soumis à la procédure collective dont
l’extension est demandée » (66). La chose est donc désormais entendue : l’extension de procédure, qui n’a pas une
finalité indemnitaire ou de financement, reste indifférente
au caractère avantageux ou désavantageux du résultat
qu’elle est susceptible de produire. À ce titre, l’action en
extension ne saurait être conditionnée par l’existence d’un
préjudice subi par le débiteur initial, que l’extension serait
censée venir réparer. Outre que les choses ont désormais
le mérite d’être clairement affirmées, on se réjouira de
cette affirmation, tant il est vrai qu’en pratique, la mise en
œuvre du conditionnement de la recevabilité de l’action
en extension aurait été difficile. Rappelons à cet égard
(63) Cass. avis, 3 juin 2013, n° 13-70003 : Bull. avis, n° 9 ; Rev. proc. coll. 2013,
étude n° 18, concl. R. Bonhomme ; D. 2013, p. 2363, note F.-X. Lucas ;
Dalloz actualité 25 juin 2013, note A. Lienhard ; Rev. sociétés 2013, p. 520,
obs. L.-C. Henry ; Act. proc. coll. 2013, alerte n° 167, obs. P. Cagnoli ;
LEDEN juill. 2013, p. 3, n° 102, obs. F.-X. Lucas ; Gaz. Pal. 1er oct. 2013,
p. 7, n° 148e1, note F. Reille.
(64) V. nos obs. Gaz. Pal. 1er oct. 2013, p. 7, n° 148e1.
(65) Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-10187 : Rev. sociétés 2015, p. 545, note
P. Roussel Galle ; Dalloz actualité 1er juill. 2015, obs. A. Lienhard ; BJE
sept. 2015, p. 282, n° 112r2, note L. Le Mesle ; JCP E 2015, 1422, note
P. Pétel ; BJS sept. 2015, p. 458, n° 113x8, note E. Mouial-Bassilana ;
Gaz. Pal. 20 oct. 2015, p. 27, n° 243y5, note F. Reille.
(66) Par un arrêt du 16 septembre 2014 (n° 13-19127), la Cour de cassation
affirmait déjà sa position en des termes clairs : « que par ces constatations et
appréciations caractérisant des relations financières anormales constitutives
d’une confusion des patrimoines, peu important l’absence d’appauvrissement
de la débitrice, la cour d’appel (…) a légalement justifié sa décision ». L’arrêt
n’ayant cependant pas eu les honneurs de la publication, il pouvait être envisagé comme un arrêt d’espèce.
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Te chni qu e
que si la loi Pétroplus (67) a étendu au cas de l’extension la
possibilité offerte au tribunal, en matière de sanction des
dirigeants, d’ordonner des mesures conservatoires dès
lors qu’une action en extension était engagée (68), elle n’a
pas transposé à l’extension la possibilité qui lui est offerte
d’obtenir toute information sur la situation patrimoniale
de la personne visée par l’extension (69). Et si, certes, on
pourrait imaginer qu’une enquête puisse être ordonnée
par jugement avant dire droit, préalablement à la décision statuant sur la demande d’extension (70), on constate
qu’en pratique, cette possibilité est très peu utilisée, outre
que l’on ne sait dans quelle mesure elle pourrait suffire à
assoir une certitude.
Ces mêmes considérations devraient conduire à pousser
plus loin encore le raisonnement consistant à ne pas tenir
compte du résultat escompté – favorable ou défavorable –
de l’extension de procédure pour apprécier l’opportunité
de l’action y tendant. En effet, l’amélioration ou la dégradation de la situation des créanciers de la société, du fait
de l’extension de la procédure à l’associé, ne dépend pas
seulement du « volume » des créances qui viendront
s’ajouter aux leurs pour être payées sur les actifs rassemblés, mais aussi, et parfois surtout, de la nature de
ces créances (71). Les créanciers d’un entrepreneur sans
salarié ont-ils un intérêt à voir l’assiette de leur gage augmentée des actifs d’un tiers si, dans le même temps, ils
ont à subir la concurrence des salariés superprivilégiés
de ce dernier (72) ?
“ La question du caractère
favorable ou défavorable du résultat
de l’extension de procédure doit rester,
à tout niveau, étranger à la recevabilité
de la demande
”
On le voit, la question du caractère favorable ou défavorable du résultat de l’extension de procédure doit rester,
à tout niveau, étranger à la recevabilité de la demande.
Cela est non seulement souhaitable en pratique, mais,
plus fondamentalement, indispensable du point de vue de
la légitimité même du mécanisme. De longue date, nous
plaidons pour une certaine appréhension de l’extension de
procédure, qui ne trouve de justification qu’en ce qu’elle
permet seule (73) de neutraliser une situation de désordre
patrimonial objectif, à laquelle restent étrangères les notions de fraude, de faute, ou de préjudice (74). À ce titre, on
ne peut qu’adhérer à cette approche que la Cour de cassation confirme adopter par l’arrêt précité du 16 juin 2015.
9. Des mesures conservatoires sont-elles envisageables
avant le jugement statuant sur la demande d’extension ?
Jusqu’en 2012, il n’était prévu, ni par la loi, ni par la jurisprudence que des mesures conservatoires puissent être
prises entre le moment où était engagée l’action en extension de procédure et le moment où le juge statuait sur
cette demande.
La loi dite Pétroplus du 12 mars 2012 (75) a rajouté un quatrième alinéa à l’article L. 621-2 du Code de commerce,
applicable à la procédure de sauvegarde, mais également aux procédures de redressement et de liquidation
judiciaire par renvoi des articles L. 631-7 et L. 641-1, I du
même code. Il y est prévu qu’en cas d’action en extension
pour confusion des patrimoines ou fictivité d’une personne
morale, le président du tribunal peut ordonner toute mesure conservatoire utile à l’égard du défendeur à l’action.
L’article 4 de la loi du 12 mars 2012 a créé également un
nouvel article L. 663-1-1 dans le Code de commerce, dont
il ressort que, lorsque les mesures conservatoires ordonnées en application des dispositions précitées portent sur
des biens dont la conservation ou la détention engendre
des frais, ou qui sont susceptibles de dépérissement, le
juge-commissaire a la possibilité d’autoriser leur cession. Le fruit de la vente devrait être versé à la Caisse des
dépôts et consignations. La loi Pétroplus rajoutait à cela
une disposition incluse dans l’alinéa 2 du même article,
prévoyant que les sommes puissent être utilisées pour
couvrir « les frais engagés (…) pour la gestion des affaires
du propriétaire, y compris pour assurer le respect des
obligations sociales et environnementales résultant de la
propriété de ces biens, si les fonds disponibles n’y suffisent pas ». Ces dernières dispositions ont cependant été
éliminées par l’ordonnance du 12 mars 2014 pour toutes
les procédures ouvertes depuis le 2 juillet 2014.
10. Quel est le pouvoir d’appréciation du juge saisi d’une
demande d’extension ?
Le juge saisi d’une demande en extension de procédure
apprécie souverainement – mais sous un contrôle assez
étroit de la Cour de cassation – l’existence des conditions
requises en la matière. Il lui appartient donc d’apprécier
si la fictivité ou la confusion des patrimoines est bien
caractérisée.
Dans l’hypothèse où le juge considère que la fictivité ou
la confusion des patrimoines est établie, il est dans l’obligation de prononcer l’extension de procédure. Le juge n’a
pas seulement la possibilité de prononcer l’extension,
mais le doit, lorsque les conditions désormais légales
sont remplies (76). À ce titre, il est regrettable que l’article
L. 621-2 du Code de commerce soit maladroitement rédigé, indiquant que la procédure « peut » être étendue en
cas de confusion des patrimoines ou de fictivité (77).
254q1
(67) L. n° 2012-346, 12 mars 2012.
(68) V. supra.
(69) C. com., art. L. 651-4.
(70) V. infra.
(71) V. P. Pétel, « Extension de procédure collective : limites des droits des créanciers » : BJS oct. 2001, p. 979, n° 223.
(72) V. sur ce point P.-M. Le Corre, D. 2015, p. 1970.
(73) Le désordre étant inextricable.
(74) F. Reille, La notion de confusion des patrimoines, Litec, 2006.
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(75) V. supra.
(76) V. Cass. com., 26 mars 1985, n° 82-16002 : Bull. civ. IV, n° 108.
(77) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives 2015-2016, Dalloz,
coll. Dalloz Action, 2014, n° 213-31.

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