La critique des Inrocks

Transcription

La critique des Inrocks
Dragons 2 de Dean DeBlois
avec les voix de Jay Baruchel, Cate Blanchett,
Gerard Butler, Jonah Hill
Second volet d’un chef-d’œuvre de l’animation :
la relève des magiciens de Pixar est assurée.
D
ans les années 2000, le cœur
battant de l’animation grand
public n’était pas dur à trouver.
Il avait même un nom, Pixar,
qui enchaînait alors des projets
originaux tous plus réussis les
uns que les autres. Le studio logeait ainsi
entre les deuxième (2001) et troisième (2010)
volets de Toy Story six films remarquables
pour et sur l’enfance, ou plutôt justement
quelque part entre l’enfant et l’adulte
(Le Monde de Nemo, Monstres & Cie, Là-haut,
etc.), y projetant des méandres d’angoisses
primales et d’émerveillements candides.
Cet âge d’or est plus ou moins révolu,
néanmoins une question reste : où le
cinéma d’animation palpite-t-il désormais ?
Heureusement au moins une franchise,
signée DreamWorks, déploie aujourd’hui
cette sorte d’envergure indicible, de feu
sacré que Pixar, donc, détenait il y a peu,
ou encore que Disney détenait au XXe siècle.
Soit Dragons, bijou insoupçonné lancé
quelques mois après Avatar dans le sillon
de la 3D. On y découvre des Vikings de carte
postale (barbus, bourrus) vivant à flanc
d’îlots sur un océan désert à perte de vue,
et s’adaptant comme ils le peuvent
à la présence de voisins au tempérament
assez volcanique – voir le titre.
Le précédent volet était affaire
d’apprivoisement : celui de Krokmou
(Toothless) par Harold (Hiccup),
jeune et pataud fils de chef se toquant
de domestiquer les dragons plutôt que
de les chasser. Quatre ans après, Dragons
a, à la façon d’un Toy Story, pris de l’âge,
et accompagne donc le vieillissement
de ses héros autant que de son public. Ici,
c’est l’âge adulte qui pointe le bout de son
nez, avec la douleur des séparations, le poids
des responsabilités. Harold explore le vaste
monde ; trouver sa petite place au village
n’est plus suffisant, puisqu’il n’est pas à
l’abri de devoir bientôt le diriger, c’est-à-dire
de prendre la place de son père (on devine
les résonances intimes que cela augure).
Entre-temps, Dragons 2 a fait de son
binôme central (le garçon et la bête) un
couple fusionnel, où l’un sert pour l’autre
de béquille. Une aile estropiée d’un côté,
une jambe amputée de l’autre, font que
le déplacement se compose forcément à
deux. Et de déplacement, il en est toujours
fortement question dans les Dragons,
blockbusters chorégraphiques par
excellence. Les deux films semblent tout
droit sortis de la turbine encore brûlante
de l’animation, taillés pour le relief : on n’y
bouge que par explosions et par saccades,
dans des déflagrations d’éléments (les airs
bien sûr, mais aussi le feu, très présent,
et mêmes les lames de l’océan qui entraînent
les drakkars). C’est tout le rythme
délicieusement enlevé d’une telle série
où, enfin, les motifs traversent en un éclair
la largeur de l’écran, laissant loin derrière
eux les piétons du cinéma live.
Confirmation donc du très bon
pressentiment perçu il y a quatre ans,
à savoir celui d’une prise de relais
avec le chef-d’œuvre du cinéma
d’animation des années 2000, Toy Story.
A bien des égards, l’un et l’autre se
rapprochent. Ils déploient un foisonnement
similaire à partir du programme
qu’annonce leur titre (sachant que pour
l’un comme pour l’autre il y a bien sûr
du merchandising à la clé), où un dragon
et un jouet, c’est sensiblement la même
chose : une déclinaison de couleurs
et d’attributs, à partir d’un ADN commun.
Surtout, la proximité de Dragons et de
Toy Story repose sur une certaine stature
romanesque, une ampleur cachée qui
survole de bien haut le règne du pitch
et des “personnages secondaires rigolos”
(une tare pourtant très connotée
DreamWorks) qui ne cessent d’accroître
leur emprise sur le cinéma d’animation.
Ici, il y a bien sûr de l’humour
(avec Jay Baruchel, Jonah Hill ou encore
Christopher Mintz-Plasse, un casting
ouvertement apatowien en VO), mais il y a
aussi et surtout ce qui manque à tant
de films adressés au jeune public :
une vraie sérénité, une tenue qui ne trompe
pas son ennui en enfilant les références
pop et les parodies (coucou Shrek) ; un
véritable esprit de conte initiatique, candide
et poignant, qui jaillit somptueusement
dans les airs. Théo Ribeton
retrouvez toute l’actu cinéma sur
2.07.2014 les inrockuptibles