jurassic park» en travaux souterrains
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« JURASSIC PARK» EN TRAVAUX SOUTERRAINS Pierre GONZE Ingénieur conseil ◗ “JURASSIC PARK” EN TRAVAUX SOUTERRAINS Le dessin animé avec effets d’éclairage est vraisemblablement un moyen de communication efficace entre les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre et les entreprises. Ceci peut se réaliser en utilisant l’OpenGL, développé pour la réalisation du film de "Jurassic Park". La nature, et particulièrement en travaux souterrains, peut réserver des surprises. Non seulement par les aléas toujours possibles de la géologie, mais également parce qu’elle présente parfois des comportements non parfaitement élucidés. L’objet de cet article est d’évoquer l’utilité de présenter des études réalisées par éléments finis de manière aussi intuitive que possible. Ceci afin de permettre tant aux praticiens qu’aux scientifiques, qui n’auraient pas un goût immodéré pour la simulation numérique, d’émettre une opinion ou un sentiment conforme à leur expérience ne fût-il peut-être et surtout que de simple bon sens. ◗ “JURASSIC PARk” IN UNDERGROUND WORKS A graphic pre or post processing giving an intuitive presentation like as what it can be obtained with the OpenGL software subroutines, used for the film "Jurassic Park", is an highly valuable tool in order to check and share the results of the numerical simulations with peoples having a limited taste for finite elements. The sharing of the expertise and of the feeling of these peoples, practitioners or scientists, with the modelers is of prime value in order to keep the computing machines under the control of the good sense . Modèle avec 7 015 éléments isoparamétriques 1 - INTRODUCTION Les programmes par éléments finis tentent de reproduire aussi fidèlement que possible le comportement de la nature à l’aide de lois qui restent valables le temps que d’autres ne viennent les remplacer. Bien sûr les techniques graphiques sont utilisées depuis longtemps pour vérifier la production des ordinateurs. Il paraît toutefois d’importance égale d’avoir une approche aussi intuitive que possible de la pertinence des traitements réalisés lors des simulations numériques. Cet aspect semble particulièrement important en génie civil souterrain ou minier. En effet plus on descend sous la surface du sol et plus il est nécessaire de travailler avec l’aide de la nature et donc d’essayer de la comprendre afin de pouvoir adapter les méthodes de travail à ses caprices. Un bon outil pour cela, mais qui ne doit rester qu’un outil, est la simulation numérique. Exprimé de manière plus précise, se faire aider par la nature est par exemple utiliser un revêtement déformable et, pour les calculateurs, en vérifier la stabilité à l’aide de la méthode de convergence/confinement. Des ouvrages souterrains sont construits depuis longtemps avec succès sous des couvertures atteignant le kilomètre ou plus. Il peut être difficile de justifier la stabilité de telles structures sans entrer dans le détail de l’esprit des recommandations techniques. D’où une raison supplémentaire plaidant en faveur de l’approche intuitive suggérée. 2 - UN CHANTIER SURPRENANT Il s’agit d’un chantier datant déjà d’une vingtaine d’années mais qui illustre bien les surprises et les secrets dont est capable la nature. La figure 1 est la photo du toit d’une galerie dans l’argile. Les terrains de couverture, des sables aquifères propres sur une profondeur de 200 mètres, avaient été traversés par un puits foncé sous la protection d’une congélation. Sur base d’essais de résistance réalisés avec le plus grand soin sur des échantillons prélevés par sondage à partir de la surface et reconsolidés avec tout autant de soin, décision fut prise de congeler également l’argile. En effet elle ne paraissait pas présenter une résistance suffisante pour être excavée sans traitement préalable. TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 174 - NOVEMBRE/DECEMBRE 2002 55 « Jurassic Park» en travaux souterrains Figure 1 - Effet de couplage hydro-thermo-mécanique En fait lorsque nous sommes arrivés au niveau du début de l’élargissement du fond du puits pour en réaliser la recette, des pressions considérables se sont développées sur le revêtement jusqu’à le rompre localement. Les parois de l’excavation, de quelque 6 mètres de diamètre, se sont mises à converger à raison d’environ 10 centimètres par jour. Les déformations radiales des terrains risquaient de casser les congélateurs avec possibilité de dégel du mur de glace dans les sables de couverture perméables pouvant entraîner ainsi la noyade de l’ouvrage. Le puits a été terminé le plus vite possible sans l’élargissement nécessaire à l’accrochage de fond tel qu’initialement prévu. La galerie de base a été creusée dans un terrain hautement plastique et poussant fortement tout en étant à l’abri d’une congélation renforcée par rapport à ce qui était prévu. Par après il s’est avéré que cette argile pouvait parfaitement se creuser sans traitement préalable et que son traitement par congélation était tout à fait nuisible. L’explication de ceci est double. La première est que le prélèvement des matériaux argileux brise les feuillets d’argile et leur enchevêtrement. Les reconsolidations ultérieures ne permettent pas de rendre au terrain prélevé par échantillonnage sa résistance initiale in situ. Les essais de laboratoire sur ces matériaux peuvent en sous-estimer les capacités de résistance au point de tromper sur la faisabilité économique d’un projet. La seconde, qui est bien illustrée par la figure 1, est qu’un gradient thermique dans un sol contenant de l’eau crée des forces qui font se déplacer le fluide des zones les plus chaudes vers les zones les plus froides. L’origine de ces forces est semblable à celle qui provoque l’ascension capillaire. Il est donc légitime de supposer que ce phénomène apparaît tant dans le cas d’un refroidissement du terrain que lors de son réchauffement, artificiel ou non. Une particularité de ces forces est qu’elles croissent sans limite pratique dans le temps, sans être arrêtées ni par la résistance des ter- 56 rains ni par celles des revêtements qui finissent tous par se rompre avant les terrains pour peu que ceux-ci soient de résistance suffisante. Le dessin animé permet une vérification rapide du bon sens du traitement numérique réalisé : logique des déplacements et contraintes ainsi que de l’enchaînement des travaux. Quant au calcul de ceci pour un projet ? Le calcul est fait en trois dimensions mais, ici pour gagner du temps, sur un modèle simplifié dans la direction de l’axe de l’ouvrage par l’estimation a priori de facteurs de confinement/déconfinement. Les simulations de propagation du froid ou du chaud ne posent pas problème d’autant plus que les valeurs des paramètres thermiques des terrains varient relativement peu et peuvent s’obtenir sans difficultés particulières. Il en va tout autrement des études de stabilité ou de déformations. En effet de ce point de vue, le couplage des phénomènes mécaniques, hydrauliques et thermiques est intime. En particulier il n’est pas possible, ne serait-ce même que d’approcher ces phénomènes, par des études thermo-mécaniques uniquement qui ne tiendraient pas compte en même temps des mouvements d’eau et des changements éventuels de phases de celle-ci. Lors des travaux, des mesures de convergences ou de tassements sont réalisées. Si l’accord entre les prévisions et les mesures n’est pas satisfaisant la simulation est refaite en modifiant les valeurs des paramètres utilisés. Ceci jusqu'à obtenir une bonne concordance. Lorsque celle-ci est obtenue, ceci signifie que l’on a de bonnes chances d’avoir un modèle fiable qui permette d’améliorer, si nécessaire, l’organisation des travaux. Une tentative d’approche de calcul de stabilité d’ouvrages soumis à ce genre de sollicitation est présentée dans le dernier paragraphe de cet article. Quelques relations de base y sont reprises. Elles ne sont finalement que des tentatives, ou modèles de comportement, de traduire les réactions des terrains. C’est pour comprendre la signification physique pratique et les influences réciproques de ces phénomènes que la présentation graphique suggérée ici a été développée. Cette présentation nous semble également utile pour des situations plus simples et plus courantes. 3 - EXEMPLES DE PRESENTATIONS INTUITIVES 3.1 - Culotte de raccordement d’un nouveau tunnel à un ancien Les mouvements autour d’un tunnel en creusement et les contraintes dans les revêtements, même après les travaux, peuvent dépendre étroitement de la manière dont l’ouvrage a été réalisé : volumes et formes des excavations non soutenues, pré-traitements éventuels, succession dans le temps des opérations de creusement et de soutènement. La figure 2 fournit une prévision de déformations lors de deux phases successives de travail. En fait il s’agit de deux figures extraites d’un dessin animé de présentation des résultats de simulation numérique. Figure 2 - Démolition d’une partie de l’ancien tunnel suivi du bétonnage du radier et de la clef du nouvel ouvrage. Ou d’établir un projet fiable à partir de travaux de reconnaissance sur site analysés de cette façon. La largeur de la culotte est dans cet exemple d’une vingtaine de mètres. L’objet de ce calcul était de voir les contraintes maximales susceptibles d’apparaître dans la voûte. Pour cela on estime un déconfinement relativement faible en cours de travaux et un déconfinement total à la fin de ceux-ci. Pour une évaluation par excès des mouvements de terrains, au contraire, une estimation de déconfinements importants en phases travaux est utilisée. TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 174 - NOVEMBRE/DECEMBRE 2002 « Jurassic Park» en travaux souterrains 3.3 - Propagation du gel lors d’une congélation 3.5 - Immeuble fondé sur pieux et barrettes La figure 6 donne l’évolution du champ des températures avec le temps de mise en froid. Il s’agit du bouchon de fond d’un puits fonçé sous la protection d’une congélation. Ce bouchon était nécessaire car il n’était pas possible de trouver un horizon suffisamment étanche pour fermer l’enceinte gelée à une profondeur raisonnable. Une profondeur raisonnable pour le traitement par congélation de la protection d’un fonçage de puits est de l’ordre de 1 000 mètres si le traitement se fait en un seule passe de forage à partir de la surface. Figure 3 - Contraintes principales et déviateurs des contraintes après travaux On voit que le gonflement du radier a un effet pouvant se révéler critique. 3.2 - Analyse modale : études parasismiques Figure 8 : Un immeuble avec une vue des étages inférieurs 4 - FORMULATION ELEMENTS FINIS Figure 6 - Champs de températures selon le temps de mise en froid Figure 4 - Mode #5, 12.44 Hertz La figure 4 est relative à un ouvrage fondé sur pieux et barrettes. La figure 9 montre des résultats d’une reproduction par simulation numérique de processus hydraulique, mécanique et thermique complètement couplés 3.4 - Cathédrale romane/gothique du XIIème siècle Figure 7 - Vue du chœur Figure 5 - Mode #3, 10.76 Hertz La figure 5 est une vue de l’intérieur de l’ouvrage représenté à la figure 4. Les formes propres sont relatives à deux modes différents. Avec la technique graphique utilisée, il est donc possible de se trouver virtuellement à l’intérieur d’un bâtiment secoué par un tremblement de terre. L’idée générale de ce modèle par éléments finis, dont l’extérieur est montré au début du texte, est de représenter, de l’intérieur d’un ouvrage souterrain, les résultats des simulations et en particulier celles qui peuvent être transitoires : plastifications, mouvements, chocs, liquéfactions, températures, fissurations, écoulements d’eau … Figure 9 - Test minier TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 174 - NOVEMBRE/DECEMBRE 2002 57 « Jurassic Park» en travaux souterrains Table I : relations résolues par incréments dans le code de calculs utilisé [S],[L] et [W] = matrices obtenues à partir des fonctions de forme, où : [∆U] = incréments des déformations, n = porosité de la formation, [∆P] = incréments des pressions du fluide, Efl = module de déformation du fluide, [∆T] = incréments des températures, ∆t = incrément de temps entre deux situations calculées, [∆F] = incréments des forces mécaniques, [Qhydr] = débits hydrauliques, αs = coefficient d’expansion thermique du squelette de la roche ou du sol, [Qtherm] = débits thermiques, [K] = matrice de rigidité tangente élasto-plastique ; [Hhydr], [Htherm] and [Hhydr_therm] = les matrices contenant les propriétés hydrauliques, thermiques et hydro-thermales, Une étude a été réalisée pour vérifier la méthode d’exploitation et la stabilité de la mine d’uranium de Cigar-Lake (Saskatchewan), avec Jean-Luc Narcy comme responsable Cogema, à 450 mètres de profondeur et protégée par une congélation. Le niveau d’eau est pratiquement à la surface du sol. La simulation d’un test minier préalable à l’exploitation a été réalisée afin de vérifier l’épaisseur des panneaux de l’exploitation et de calculer les revêtements des galeries. Le point le plus délicat était de s’assurer que le développement de la succion cryogénique n’allait pas écraser prématurément stots et revêtements. Il n’est pas inintéressant de noter qu’un opérateur minier est satisfait lorsque les galeries tiennent juste le temps nécessaire à l’exploitation. Et donc avec une sécurité descendant jusqu’à une valeur proche de 1.0 au terme de l’exploitation d’une zone de la mine. Des revêtements tenant plus longtemps correspondent en effet à un investissement inutile. L’aspect de l’évolution du comportement des ouvrages miniers avec le temps revêt donc un aspect peut-être plus important que dans les ouvrages de génie civil pour lesquels les coefficients de sécurité utilisés sont habituellement plus élevés et peuvent dès lors masquer cet aspect. Le test minier, pour l’aspect concerné ici, consiste en la réalisation de deux galeries (dont une seule est représentée par raison de symétrie à la figure 9) dans le bed-rock com- αw = coefficient d’expansion thermique du fluide y compris lors des changements éventuels de phases, cv = chaleur spécifique du terrain, fluide compris, λ = un coefficient numérique de relaxation ≈ 0.7 pétent et étanche. Des congélateurs sont forés vers le haut afin de réaliser une voûte de protection qui permet de réaliser une galerie juste sous le gisement dans un rocher fortement altéré et en communication directe avec la nappe. Les valeurs numériques des paramètres introduits dans les relations du tableau I sont modifiées jusqu’à obtenir par le calcul une reproduction convenable des mesures de températures, de déformations et de contraintes relevées sur site. Et ceci en fonction du planning des creusements, des soutènements et des traitements des terrains. La figure 9 reproduit également des constatations faites par ailleurs sur de nombreux chantiers. A savoir que : • des successions de contraintes de traction et de compression se développent dans la roche selon les directions des gradients de températures ; • ces contraintes évoluent inexorablement jusqu’à atteindre la résistance de traction de la roche à laquelle il faut ajouter la poussée du poids des terrains de couverture ; • dans ce cas aucun revêtement rigide ne résiste. Il est nécessaire de prévoir un revêtement déformable : voussoirs de béton avec intercalaires ou cintres coulissants par exemple. Ce phénomène n’apparaît pas dans tous les terrains. Il n’apparaît pas dans les sables propres ou dans les roches d’origines sableuses, telles par exemple que les grès vosgiens, au travers desquels un revêtement souple est inutile. L’échelle de la partie de la figure 9 présentant les hauteurs piézométriques est telle que les zones de couleur : • blanche correspondent à des hauteurs pièzométriques montant en surface ; • bleue ou verte aux environs de l’étage des travaux ; • rouge à des hauteurs piézométriques montant au dessus du terrain naturel. Ceci explique également la figure 1 où, de plus, des diaclases s’ouvrent car elles se remplissent d’eau passant même au travers du mur de glace tant les forces nées des gradients thermiques sont considérables. Ensuite cette eau se transforme aussi en glace. Par parenthèses : • le phénomène de hauteur piézométrique qui monte peut conduire à la mise en boulance des terrains toute considération thermique mise à part et se traite bien avec les deux premières relations du tableau I ; • la gélivité d’une roche devrait s’appréhender en considérant sa profondeur. Une roche peut être gélive en surface mais pas en profondeur. L’augmentation des contraintes effectives diminue en effet la gélivité. Le pré/post processeur graphique du code par éléments finis THM, utilisé ici, est téléchargeable à partir de http://home.tiscali.be/thmfem The pre/post graphical processor of the THM FEM code used here is downloadable from http://home.tiscali.be/thmfem 58 TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 174 - NOVEMBRE/DECEMBRE 2002