theme. les typologies de l`innovation

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theme. les typologies de l`innovation
Management de l’innovation
Adriana BUZDUGAN
THEME. L E S T Y P O L O G I E S D E L ' I N N O V A T I O N
De tout temps les organisations ont dû évoluer pour survivre aux changements de leur
environnement. Les entreprises doivent ainsi veiller au renouvellement constant de leur offre. Très
tôt, l'innovation a été associée à la capacité de survie et de leadership sur des marchés turbulents.
Cet intérêt vital a généré tout au long du XIXe et du XXe siècle un flux constant de contributions
qui apporteront à la fois éclairage et complexité à ce thème.
Utilisé sous de nombreuses acceptions, le terme innovation renvoie à de multiples
dimensions qui en compliquent la définition et la compréhension. D'une part, le concept qualifie à
la fois un résultat, une offre de produits et/ou de services, tout aussi bien qu'un changement dans un
processus de production, administratif ou autre. D'autre part, l'innovation renvoie à des champs de
recherche multiples relevant des domaines de la stratégie de la firme, du marketing ou de la gestion
de projet.
Ces différentes perspectives permettent toutefois de mieux comprendre un phénomène
complexe et il est utile de bien en appréhender toutes les dimensions. A cet effet, ce premier theme
visera à qualifier les contenus de l'innovation de produit (I), de service (II) et de procédé (III), puis
à analyser le rôle et la façon de gérer les technologies sous jacentes (IV) et enfin à cerner l'impact
des concepts de cycle de vie des technologies et des produits sur les stratégies d'innovation (V).
Le bénéfice visé par l'innovation est double. Il s'agit en premier lieu de développer les
ventes profitables d'une entreprise en concevant une offre différenciée et protégée.
Il faut pour cela proposer la meilleure valeur possible au client. La stratégie de l'innovateur
est alors de créer de la valeur tout en établissant les conditions d'une rente de situation qui le mette
à l'abri d'une pression directe sur ses prix. Il s'agit en outre de définir les procédés de fabrication de
l'offre qui permettront sa mise à disposition dans les meilleures conditions d'efficacité et
d'efficience.
Deux dimensions permettent de caractériser l'innovation (voir figure 1.1). Il est possible de
classer les innovations par degré de différenciation croissant de l'offre, allant du plus faible, un
produit me too, à l'offre différente au point de n'avoir aucun équivalent. Mais il est également
possible de caractériser les processus par lesquels l'innovation est produite, selon qu'ils font appel
à des procédés et savoir-faire déjà maîtrisés ou au contraire à des procédés nouveaux. L'incertitude
générée par la nouveauté est ainsi relative à la demande - les clients ne connaissant pas encore une
offre doivent en apprendre l'usage et les bénéfices - ou à la production de l'offre - l'entreprise doit
apprendre à produire cette offre de façon fiable et efficace.
Forte
Innovation
rupture
de
Nouveau pour Ex.
:
l’entreprise Améliorations
de qualité pour
des produits
existants
Legere Innovation
Ex. :
incrémentale
Repositionnements
Legere
Forte
Nouveau
pour le marché
Figure 1.1. Les deux dimensions de la nouveauté
Cette première distinction permet d'expliciter de nombreux qualificatifs attachés à
l'innovation. Lorsque l'innovation résulte de l'évolution des connaissances, on pourra parler
d'innovation Push. Les développements des sciences et de la technologie, et plus généralement des
connaissances et savoir-faire permettent alors d'apporter aux clients des solutions renouvelées,
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produites à l'aide de nouvelles combinaisons productives. Lorsqu'une innovation repose sur
l'identification par le marketing des attentes du client, on parlera d'innovation Pull. Dans cette
perspective, l'écoute des clients, l'identification des besoins et attentes permet d'orienter
l'élaboration de solutions satisfaisantes. Les connaissances et technologies disponibles visent alors
à la production d'une offre concurrentielle, adaptée aux attentes de clients identifiés.
Au-delà de cette première distinction, de nombreux auteurs ont cherché à caractériser les
innovations par leur degré de nouveauté. Les innovations de rupture ou radicales sont
généralement caractérisées par l'emploi de procédés de production inconnus jusqu'alors et
débouchant sur des offres originales pour les clients potentiels. Le bénéfice de telles offres est de
différencier fortement l'entreprise sur ses marchés. Le risque associé est de rester incompris de
ceux-ci ou de ne pas maîtriser un savoir-faire en gestation. Les innovations incrémentales se
caractérisent par des changements plus limités, soit sur l'axe des clients - comme dans le cas des
repositionnements de gamme - soit sur l'axe des procédés - l'adoption d'une nouvelle chaîne de
fabrication automatisée pour produire une offre existante à moindre coût -. Il est facile de
comprendre que les moyens de développement peuvent différer très distinctement dans le premier
ou le deuxième cas, comme il sera développé en 1.2 de ce theme, sans que l'on puisse conclure à la
suprématie d'une stratégie par rapport à l'autre.
Les premières études réalisées (Coopcr, Kleinschmidt et al., 1991) montrent que la
profitabilité d'une position médium est sensiblement plus basse que celle des positions extrêmes
(innovation incrémentale ou innovation de rupture, voir figure 1.1). Cependant, comme c'est
souvent le cas dans le champ de l'innovation, la seule position sur ces deux axes ne permet en rien
d'expliquer les raisons de succès ou d'échec. La gestion des compétences de l'entreprise,
l'articulation des évolutions technologiques et des marchés et l'adaptation aux dynamiques
concurrentielles constituent autant de facteurs explicatifs, comme nous le détaillerons dans les
themes suivants.
Comparer et contraster les différentes innovations pour leur attribuer un degré de
nouveauté sur le marché suppose que l'on ait pu au préalable qualifier chacune des offres. Il faut
pour cela revenir aux sources de ce qui constitue un produit.
I. LES INNOVATIONS DE PRODUITS
Comme nous l'avons fait jusqu'à présent, il est possible de définir un produit dans sa
dimension technique et dans sa dimension client. La première approche définira le produit comme
un ensemble de composants tangibles, qui, assemblés en sous-systèmes et systèmes complets,
remplit une ou plusieurs fonctions pour son utilisateur. Sur l'axe du dispositif technique (voir
figure 1.2), l'innovation réside dans la transformation de la technologie permettant le fonctionnement de l'ensemble. Sont alors modifiés un ou plusieurs des composants élémentaires d'un
sous-système, les sous-systèmes eux-mêmes, voir le système dans son ensemble.
Extension des fonctions Extension fonction &
Nouvelle agenda électronique sur technologie : agenda
ordinateur de bureau
électronique portable
Technologie
Ordinateur de bureau
Actuelle
Actuelle
Extension de la
technologie
ordinateur
portable
Nouvelle
Technologie
Figure 1.2. Innovation et couple Technologie/Fonctions
En exemple, l'évolution des technologies des semiconducteurs, en permettant une
réduction de la taille des composants électroniques et une augmentation des puissances de calcul, a
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permis de proposer de nouveaux systèmes informatiques portatifs comme l'ordinateur portable ou
l'agenda électronique.
Dans cette logique Push, l'entreprise, pour innover, doit tout à la fois veiller à générer de
nouveaux procédés par lesquels les composants, sous-systèmes et systèmes sont produits et
assemblés, et suivre son environnement technologique de façon à repérer dans les évolutions, les
opportunités de développement de nouveaux procédés.
On voit cependant que la réflexion sur la technologie n'a de sens que rapporté à une
fonction ou un usage précis attendu par l'utilisateur. L'innovation produit consiste alors à modifier
ou étendre les fonctions proposées au travers d'un dispositif technique identique ou renouvelé.
Cette dimension fonctionnelle permet alors d'augmenter la valeur apportée au client en multipliant
les usages possibles et leur efficacité, mais également en permettant de toucher une plus grande
diversité d'utilisateurs aux besoins multiples.
Illustration 1.1 : Avec plus de 51 millions d'abonnés mobiles et un taux de pénétration de 81 % en
France, le marché des téléphones mobiles arrive à saturation. Il ne s'agit plus de conquérir de
nouveaux clients mais de les fidéliser. À l'image d'Orange et de son slogan « échanger bien plus que
des paroles », les industriels multiplient les fonctionnalités du téléphone. Les portables deviennent
des appareils à tout faire alors qu'il y a encore quelques années, ils ne servaient qu'à téléphoner, tout
simplement. Très vite, on a pu communiquer avec ses proches par le biais des SMS, les écrans ont
vu apparaître la couleur et en 2000 la technologie du WAP émerge. Avec la généralisation de la
photo et la facilité d'accès à l'Internet mobile, les téléphones proposent de multiples services :
téléchargement de sonneries, jeux, musique et écoute de la radio. La dernière génération de
portable s'apparente à un mini-ordinateur avec des fonctions bureautiques intégrant déjà la
pré-installation de la fonction GPS pour de nombreux modèles.
Cette première vision fonctionnaliste du produit n'est toutefois pas suffisante pour
comprendre les attentes du client. Celui-ci raisonne en effet dans ses achats en termes d'attributs,
ceux-ci pouvant être constitués dans l'exemple de l'agenda électronique, d'une caractéristique
technique -l'encombrement et le poids de l'agenda -, d'une fonction particulière - partager
facilement les informations avec l'ordinateur associé - ou d'un avantage recherché - le design du
produit notamment -, Considérer le produit comme un panier d'attributs, ainsi que l'a initié
Lancaster (1966), permet de comprendre les processus de comparai son et de choix effectués par le
client dans sa décision d'achat. Mesurer l'importance respective de chacun d'entre eux pour son
acheteur permet également de pondérer la valeur de chacune des caractéristiques techniques et
dans certains cas de leur assigner un prix de revient cible. Elle apporte en outre le moyen d'évaluer
l'ensemble des offres faites sur un marché donné et de positionner les différents produits entre eux.
L'adoption d'une perspective de marché sur le produit étend le champ d'action de
l'innovateur. Loin de se contenter de travailler sur le volet technique de l'offre, il doit comprendre
ce que le client en attend, la façon dont il évalue et compare de telle sorte que le choix des attributs
saillants, leur poids dans la décision d'achat permette de maximiser l'utilité produite et partant, les
chances de réussite. Cette perspective fournit l'une des justifications aux processus de développement de nouveaux produits qui seront détaillées par la suite. Formaliser les attentes du client et
mesurer ses réactions face aux propositions faites constitueront quelques-unes des étapes
incontournables du développement.
Le concept d'attribut fournit en outre une clef précieuse pour comprendre la notion
d'innovation dans le domaine des services dont de nombreux auteurs ont souligné la part
prépondérante dans les économies des pays développés.
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II. LES INNOVATIONS DE SERVICES
Selon Gallouj (2003), il faut trouver la raison d'un manque d'attention généralement portée
à l'innovation de service à la fois dans l'histoire de la pensée économique mais également dans les
spécificités des offres elles-mêmes. Une production sans machine, un output immatériel reposant
sur une interaction forte avec le client, l'absence de transfert de droits de propriété et une grande
hétérogénéité du secteur lui-même rendent l'examen des dynamiques d'innovation délicate.
Cependant, les entreprises de service innovent et répondent par cela aux mêmes nécessités
d'évolution de leur environnement que les entreprises industrielles, les premières tentatives de
classification des innovations de service émergeant dans le début des années 1980. Nous
proposons de caractériser l’output dans un premier temps, puis de détailler les facteurs de
production du service pour conclure en montrant les mécanismes nécessaires à l'innovation de
service.
1. La définition des caractéristiques de l'offre de service
A la différence du produit, la valeur économique attendue de la part d'un prestataire n'est
pas délivrée au travers d'un bien matériel. Elle reste ainsi intangible. Si l'on peut affirmer que l'on a
souvent sous estimé l'importance de l'innovation pour les entreprises de service, on pourrait en
trouver la source dans la difficulté à identifier le caractère innovant de l'offre, voire les offres
elles-mêmes.
En effet, parler de service renvoie à un ensemble de prestations, certaines étant par nature
immatérielles (la formation, le conseil) et d'autres constituées d'un mix de produits et de services
(restauration, commerce de détail). De fait, la définition la plus large des services consiste à
admettre qu'un service est délivré dès lors qu'un agent économique met à disposition, à titre gratuit
ou payant, le droit d'usage d'une capacité et/ou de compétences pour produire des effets attendus
par le client. Visant à la transformation d'un état initial individuel et/ou organisationnel, la
prestation est délivrée à travers un processus organisé par le prestataire avec la contribution
passive ou active du client lui-même.
Le caractère très particulier de l'offre s'exprime sur trois dimensions fondamentales du
service qui modifient la perception et les pratiques de l'innovation. En premier lieu, il est affirmé
que la production et la consommation de l'offre sont simultanées. Cette première caractéristique
invalide en partie la dichotomie processus de développement/ mise en marché pertinente pour les
produits. La production de l'offre, son processus de fabrication, est inévitablement perçue pour
tout ou partie par le client. L'innovateur se trouve ainsi dans la position où il lui faut inventer tout à
la fois l'offre de service et son processus de production. Ceci n'est pas sans conséquences sur la
gestion de l'innovation elle-même comme nous le verrons dans le chapitre suivant.
En second lieu, l'implication forte du client implique que, dans de multiples cas, celui-ci
doit être considéré comme co-producteur du service. Dans le processus d'achat en magasin libre
service, le client prend en charge un ensemble de tâches dont la bonne conduite permet de générer
la satisfaction attendue. L'innovation peut consister alors dans une nouvelle répartition des rôles du
prestataire et du client ainsi que présenté dans l'exemple ci-après. L'analyse doit alors porter sur les
processus gérés à la fois par le prestataire et par le client lui-même, l'ensemble des changements
pouvant être qualifiés d'innovation.
Illustration 1.2 : L'exemple du sdf-scanning illustre parfaitement la nouvelle répartition des rôles
du client et du prestataire. À l'origine, il s'agit pour un client de supermarché ou hypermarché de
scanner lui-même ses produits puis de fournir un ticket de caisse à l'hôtesse avant de payer. Le
client prend donc en charge une partie du processus en effectuant lui-même le passage des produits
en caisse. Le self-scanning néanmoins a évolué et offre la possibilité au client, à l'aide des machines
adaptées, de scanner ses articles, de les mettre en sachet et de payer le tout avec un minimum de
supervision de la part des employés du magasin. Ainsi, une chaîne d'hypermarché offre à ses clients
la possibilité de scanner leurs produits devant le rayon avant de les poser dans le caddie pour
ensuite effectuer le paiement auprès d'une borne. Aujourd'hui, les caisses en libre-service
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poursuivent leur percée sur le marché français avec près de 400 unités en magasin, que ce soit en
hypermarché, supermarché ou magasin de sport et bricolage.
Le caractère très interactif de la prestation induit la troisième caractéristique de l'offre de
service. La reproduction à l'identique d'une offre suppose des conditions de délivrement proches
ou identiques. Elle n'est donc acquise que dans les cas très spécifiques où le client s'adapte à un
processus volontairement standardisé. Hors ces cas, la définition même de l'innovation est posée.
A la difficulté d'identifier et de tracer une offre intangible s'ajoute la difficulté de son
hétérogénéité.
L'examen de ces caractéristiques fait apparaître le caractère très intégré des offres de
service. Il faut, pour comprendre toute la richesse et les possibilités multiples offertes dans ces
domaines, renoncer aux dichotomies habituellement utilisées dans l'innovation de produit
(client/entreprise, consommation/production, output/process, variation/standardisation) et mener
une étude qui cherchera à établir les liens résultants de la transformation de tout ou partie de
l'ensemble d'un processus d'interaction complexe.
Pour autant, il est possible d'approcher les logiques d'innovation dans les services à travers
deux dimensions comme l'a fait Gallouj (2003) : identifier la place jouée par la technologie dans la
création de nouvelles offres d'une part et d'autre part, définir le caractère innovant de Y output de
service en adoptant l'approche par attributs définie par Lancaster (1966).
2. Les modalités d'innovation dans le domaine des services
L'accent mis sur l'intangibilité des offres peut laisser à penser que les évolutions
technologiques, qui sont au cœur de l'innovation de produit, n'ont que peu d'intérêt pour le secteur
des services. Une analyse plus approfondie montre que, bien au contraire, les changements de
technologie ont un impact profond sur la capacité des entreprises de services à innover.
De nombreux exemples tirés de la vie quotidienne permettent de mesurer en quoi les
technologies, et notamment les technologies de l'information et de la communication,
transforment en profondeur les processus d'interaction avec le client. Il suffit pour s'en convaincre
d'analyser l'offre bancaire et d'y constater dans les usages quotidiens le poids croissant des
opérations réalisées via des automates ou un accès Internet.
Illustration 1.3 : Le caractère particulièrement impliquant j d'une opération bancaire justifie le fait
que les banques soignent leurs informations en ligne et la fonctionnalité de leur système Web
bancaire. Certaines banques proposent à leurs clients d'effectuer des opérations via Internet. Ainsi,
le Crédit Agricole (Crédit Agricole en ligne) et Société Générale (Logitel Net), proposent à leurs
clients:
-d'avoir accès à la synthèse des comptes, au détail/historique des comptes, d'éditer des RIB et de
commander des chéquiers ;
- d'effectuer un virement, de gérer les prêts et de faire des simulations de prêts ;
- de gérer les comptes titres et de paramétrer des alertes (sur un mot, un solde ou un montant
spécifique au Crédit Agricole).
Le Web bancaire est également possible via l'internet mobile ou les SMS (la fréquence d'envoi est
choisie par le client moyennant un abonnement). Même si les services proposés y sont limités, il est
toujours possible d'avoir accès à des informations importantes comme la localisation d'une agence
ou du distributeur le plus proche.
De fait, les évolutions technologiques, en permettant la réduction des coûts le plus souvent,
sont adoptées dans les processus de Back Office dans un premier temps, puis sont diffusées en
Front Office en transformant les processus existants (Barras, 1990).
Le poids des technologies dans l'interaction établie avec le client ne résume cependant pas
à elle seule la capacité d'innovation de l'entreprise de service. En s'appuyant sur la définition
préalablement donnée du service comme mise à disposition de capacités permettant la production
d'effets attendus par un client, il est possible de définir chacun des effets et des modalités de mise à
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disposition comme autant d'attributs de la prestation. Dès lors, la modification des effets produits,
la transformation des modes de délivrement, la redéfinition des tangibles (bâtiments, mobilier,
salles, matériel divers...) impliqués dans l'interaction, le changement dans la durée du processus
constituent autant de possibilités de renouvellement et de différenciation de l'offre.
Illustration 1.4 : Dans le secteur du transport de colis, de nombreuses entreprises innovent en
jouant sur la réduction des délais et/ou en favorisant l'interaction avec le client. L'entreprise
américaine, FedEx, s'attache particulièrement à ses deux éléments. Elle s'engage à respecter les
délais et propose des simulations de délais de livraison via son site internet. Il suffit pour j cela
d'entrer le point d'origine, le point de destination ainsi que le poids du colis et la date d'envoi pour
recevoir immédiatement des informations. L'entreprise offre également la possibilité à ses clients
de suivre leurs envois par Internet soit en entrant le I numéro de suivi fourni lors de l'envoi du colis,
le numéro de référence ou par email.
On le voit, la décomposition des offres en attributs permet, dès lors que l'on prend soin d'y
inclure les composantes intangibles des services, de définir, tracer et comparer des offres comme
on le ferait pour des produits tangibles.
Comme nous Pavons souligné pour les services, l'insépara-bilité du résultat et du processus
qui l'a produit montre qu'il ne suffit de considérer l'innovation sous l'angle du marché pour
comprendre l'ensemble des dimensions de celle-ci. Le renouvellement des offres repose également
sur la transformation des process ou procédés de production de celles-ci.
III. LES INNOVATIONS DE PROCESS OU DE PROCÉDÉS
On peut parler d'innovation de process ou de procédés dès que l'on transforme les
processus ou procédés de production utilisés pour concevoir, réaliser ou même distribuer l'offre
finale. Les exemples les plus souvent cités sur ce sujet sont ceux des procédés floatglass de
fabrication du verre ou encore du conditionnement en continu du lait en briques Tetra Pack. Dans
ces deux cas, l'invention d'un nouveau procédé a permis l'obtention de gains de productivité et de
qualité substantiels.
Les innovations de procédés peuvent ou non être perçues par le client. Dans le premier cas,
la coulée de verre sur un bain d'étain en fusion, le client perçoit la baisse du prix de vente final
résultant de l'augmentation de la productivité générée par le procédé. Il en va autrement pour le
procédé Tetra Pack qui transforme le conditionnement et par conséquent modifie un des attributs
par lequel le client perçoit le produit.
La question se pose alors très tôt de relier innovation de procédés et innovation de marché.
Deux constats opposés sont faits dans les domaines des produits et dans celui des services. En
analysant les taux d'innovation de produits et de procédés dans le domaine industriel, Abernathy et
Utterback (1978) montrent que l'innovation est dans un premier temps orientée vers la recherche
des attentes clients. Puis, dès lors que ces attentes sont mieux appréhendées, les taux d'innovation
de procédés dépassent significativement ceux de l'innovation de produits. Il s'agit pour l'entreprise
d'optimiser le processus de production par tous les moyens possibles. Enfin dans une dernière
phase, les taux d'innovation déclinent de concert. Sous les contraintes de prix de revient, les outils
industriels ont achevé une spécialisation. Il devient difficile d'incrémenter les systèmes en place
sans remettre en cause les équilibres financiers. Il s'agit d'une phase de rigidifiassions qui peut
conduire au déclin d'un secteur industriel, notamment lorsqu'une technologie de substitution
apparaît. La technologie de l'image numérique fournit un exemple intéressant de cette mutation
technologique.
Illustration 1.5 : En 2005, 4.5 millions d'appareils photo numériques (APN) ont été vendus en
France, ce qui représente un taux d'équipement de 46 %. C'est en 2004 que les APN ont supplanté
les appareils photos argentiques, marché qui a perdu 54 % en valeur en un an. De même, certains
groupes majeurs dont Kodak ont totalement abandonné la technologie argentique. Les
consommateurs étaient séduits par des prix de plus en plus attractifs, par la simplicité d'utilisation
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ou encore la possibilité de prendre gratuitement autant de clichés souhaités. Cependant,
aujourd'hui, du fait d'un manque de maturité, le marché des APN subit un ralentissement de ses
ventes à tel point qu'il doit compter maintenant sur le renouvellement de ses produits.
A ce constat qui montre que l'innovation de procédés est «tirée» par la demande, Barras
(1990) oppose un cycle inverse d'innovation dans le domaine des services. Afin de réduire les
coûts de production, de nombreuses activités de service comme les banques, les assurances mais
également les entreprises de distribution ou de logistique ont transformé leurs processus de
production en adoptant massivement les technologies de l'information et de la communication. Les
taux d'innovation de procédés excèdent alors dans un premier temps ceux de l'innovation de l'offre.
Puis lorsque les procédés de production sont transformés, les moyens mis en place permettent de
concevoir des offres client renouvelées. L'accès à des services en lignes et la prise en charge du
processus par le client lui-même permettent à l'entreprise d'innover cette fois du côté de l'offre. Les
taux d'innovation de services excèdent alors ceux de l'innovation de procédés.
L'évolution des procédés et de la technologie offre des opportunités d'innovation mais pose
le risque de se voir devancer par des entreprises plus actives. Il faut donc chercher à manager la
composante technologique de l'innovation.
IV. L'INNOVATION ET LE MANAGEMENT DES TECHNOLOGIES
L'analyse de l'évolution des technologies numériques suffit à se convaincre qu'on ne peut
comprendre la dynamique de création de nouvelles offres sans y intégrer la transformation des
constituants qui en ont permis la conception et la réalisation. La loi de Moore, qui prédit le
doublement des performances des microprocesseurs tous les dix-huit mois, permet ainsi de
comprendre le foisonnement de nouveautés comme les téléphones portables, les appareils photo
numériques, les GPS et autres consoles de jeux. Les fonctionnalités étendues, un plus grand
confort d'utilisation, des capacités de stockage accrues reposent entre autre sur l'accroissement
constant de la densité des composants assemblés et de la vitesse de transmission des informations
ainsi que sur la miniaturisation des zones magnétiques permettant d'enregistrer les données.
L'exemple des nouvelles technologies, illustre bien la façon dont l'évolution des techniques
et des connaissances scientifiques sous-tendues conditionne la capacité d'innovation. D'une part, le
rythme des lancements est déterminé par celui des technologies sous-jacentes. D'autre part, les
structures de coûts induites vont permettre de faire évoluer les niveaux de demande et massifier
certaines de ces offres. L'entreprise innovatrice se trouve ainsi dans l'obligation d'identifier les
technologies sous-jacentes à son activité et d'en comprendre la logique afin de pouvoir imaginer de
nouvelles combinaisons permettant d'améliorer ou de transformer l'offre et son prix.
Si l'on entend par technologie : l'ensemble des connaissances scientifiques et techniques,
des procédés et des savoir-faire mobilisés dans la conception et la production d'une offre, il est
possible de comprendre les différentes strates technologiques ainsi que leurs logiques d'évolution,
de l'émergence au déclin.
La première strate technologique est constituée des fondements scientifiques liés à
l'activité considérée. Il s'agit dans l'exemple des microprocesseurs de la physique quantique ou
encore de la physique des matériaux. La logique de création des connaissances dans ces domaines
particuliers obéit à une logique propre, elle-même liée aux développements menés en parallèle
dans d'autres secteurs. Si l'exploitation des connaissances produites à ces niveaux est rarement
effectuée par l'entreprise innovatrice, on a pu montrer que la participation aux travaux ou à
minima, la maîtrise du champ scientifique concerné, détermine la capacité à utiliser ces
connaissances dans le renouvellement d'une offre.
Les technologies génériques, très proches des disciplines scientifiques, regroupent un
ensemble de connaissances partageables par de nombreux secteurs différents. La technologie des
fibres optiques permet par exemple de concevoir des applications dans le domaine des
télécommunications comme dans celui de la médecine. Le concept de technologie générique est au
cœur de la réflexion stratégique dès lors que les alternatives de diversifications sont envisagées par
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l'entreprise. Une technologie générique permet de développer des offres sur des secteurs très
divers, chacune de ces voies permettant de déplacer le jeu concurrentiel et par là même les sources
de profit de la firme.
Illustration 1.6 : Dans le secteur de l'automobile et plus particulièrement celui de l'injection des
carburants, la technologie des injecteurs développée initialement dans le domaine des moteurs
diesel est aujourd'hui transférée dans celui des moteurs essence, permettant ainsi de réaliser une
économie substantielle de consommation.
La troisième strate est constituée des concepts technologiques d'application, qui sont
constitués des différentes solutions apportées au sein d'une même technologie générique. Le
développement d'un concept d'application spécifique suppose la maîtrise de connaissances
appliquées et va permettre la protection par brevets.
Illustration 1.7 : Les systèmes d'injection diesel supposent l'utilisation d'injecteurs très
performants, capables, sous une très : forte pression, de faire varier les débits de carburant injectés
dans : les cylindres du moteur en fonction de multiples paramètres analysés au sein d'un
calculateur. Deux concepts d'application ont vu le jour dans ce domaine. Les injecteurs
électromagnétiques fonctionnent comme des valves électromagnétiques et libèrent le carburant en
fonction de l'intensité du courant délivré par le calculateur. Les injecteurs piézoélectriques
substituent la valve électromagnétique par des composants à base de quartz dont une des propriétés
est de changer de dimensions lors de l'application d'une tension électrique. Il est alors également
possible de réguler les flux de carburants sous haute pression de façon efficace et en mobilisant
moins de pièces mécaniques.
La quatrième strate est constituée des adaptations d'ordre technique, qui ne génèrent pas de
création de technologie spécifique, mais permettent l'optimisation des résultats obtenus à
l'intérieur d'un concept donné. Pour reprendre l'exemple de la technologie des systèmes d'injection
directe, de nombreux modèles différents d'injecteurs sont proposés en fonction des contraintes
particulières à chaque moteur. L'exemple retenu dans le domaine automobile met en relief
l'extrême complexité des connaissances mobilisées dans la conception et la production d'un objet
d'utilisation courante.
D'une part, l'innovateur doit être capable d'intégrer des technologies multiples, c'est-à-dire
d'en évaluer la fiabilité, le coût et la valeur ajoutée. Il s'agit en outre de mesurer les implications,
pour la production et l'après vente, des changements induits par une des technologies mobilisées se
répercutant directement et indirectement sur les autres composants de l'objet.
Mais d'autre part, l'innovateur doit initier ou contribuer à l'émergence des technologies. Il
s'agit alors de faire un pari sur le résultat final et d'évaluer les bénéfices escomptés de
l'investissement de recherche et développement initial.
Illustration 1.8 : Pour poursuivre sur la technologie Diesel déjà développée, l'histoire de la
naissance de cette technologie, rapportée par Gallon et Latour (1985) est à ce titre révélatrice. Le
lancement de cette technologie initiée par son inventeur, R. Diesel, aboutit dans un premier temps à
une faillite commerciale et personnelle. Le moteur se révèle peu performant comparé aux autres
alternatives de l'époque. L'innovateur a perdu son pari dans un premier temps. En 1913, les
militaires allemands en recherche d'une motorisation pour les sous marins, reprennent le: concept
initial et consacrent un effort de recherche et développement considérable aboutissant à un moteur
robuste, économe et compact qui sera adopté largement par la marine puis par les transports
routiers. Le pari perdu dans un premier temps est remporté dans un second.
La façon de gérer le développement, les budgets, les ressources et compétences mobilisées
vont permettre ou non l'aboutissement du projet. Dès lors, on comprend que le développement
d'innovations repose en grande partie sur le management des activités de recherche et
développement (R & D).
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1. Le management des activités de R & D
L'association des deux termes de recherche et de développement évoque bien le projet d'un
tel département. Il s'agit de produire des connaissances dans un effort de recherche et les utiliser
dans le développement et la mise au point d'un produit. De fait, les activités d'un département R &
D englobent tous les projets de recherche fondamentale, de recherche appliquée, de
développement de produit, de production et d'assistance technique. Le rôle central de la R & D
dans la création de nouvelles offres a incité les entreprises à investir lourdement dans cette activité.
Le choix des niveaux d'investissements et l'analyse de leurs retours constituent l'une des premières
questions managériales.
Les investissements de R & D sont généralement rapportés au chiffre d'affaires des firmes
ou au PIB du pays, cette démarche permettant de comparer les efforts réalisés. On constate ainsi au
niveau international que les niveaux d'investissements varient considérablement d'un pays à
l'autre. On peut voir se dessiner des différences qui peuvent résulter des politiques volontaristes de
certains pays.
De façon similaire pour les entreprises, on voit se dessiner des différences sensibles. Il faut
toutefois noter que les différences sont en grande partie liées au secteur de référence ainsi que
montré dans l'exemple développé au tableau 1.1.
Cette première approche permet de définir une politique d'investissement basée sur une
comparaison par secteur. Les nombreuses études réalisées n'ont cependant pas réussi à mesurer
clairement les corrélations entre les niveaux d'investissement et l'évolution du chiffre d'affaires.
Tous les auteurs s'accordent par contre à considérer que l'investissement a un impact positif ou
négatif sur le long terme seulement. Dans la pratique, la définition des budgets investis repose sur
:
- les comparaisons inter-firmes : il s'agit alors d'observer les montants investis par les
firmes du secteur et de faire un choix à l'intérieur d'une fourchette ainsi définie ;
- le choix d'un pourcentage du chiffre d'affaires ou des niveaux de profit ;
- la planification des budgets basée sur les investissements réalisés les périodes
précédentes ;
- l'analyse des besoins de financement pour mener à bien les projets de développement
planifiés ;
- la mesure des budgets disponibles pour développer les projets.
Au-delà de la détermination des moyens alloués à l'effort de R & D, la sélection et
l'évaluation des projets et le choix des acteurs impliqués constituent deux décisions majeures dans
le management de l'innovation.
2. Le choix et l'évaluation des projets de R & D
Du fait des cycles de vie rapide des technologies, il est souvent difficile de choisir parmi de
nombreux projets de développement possibles. D'une part, les projets peuvent avoir des buts très
différents allant de la production de connaissances à la production de supports techniques comme
présenté plus haut. D'autre part, il est reconnu que sans liberté de choix, les ingénieurs et
scientifiques du département manqueront de créativité. Enfin, on sait que de nombreuses idées de
développement aboutiront à un nombre très limité de produits lancés. Plusieurs séries de critères
sont alors utilisées.
La mesure des bénéfices apportés par le projet repose sur la construction de grilles
d'évaluation mesurant les performances et contributions de celui-ci dans les domaines des
performances techniques et financières. La cohérence par rapport aux objectifs stratégiques, la
synergie avec les technologies existantes, la « brevetabilité » et la compatibilité avec les systèmes
de production constituent également des critères fréquemment utilisés.
Sachant que la production d'un centre de R & D résulte dans le lancement de nouveaux
produits et/ou la production de connaissances, il est possible en premier examen de mesurer la
9
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contribution des projets gérés à ces deux dimensions. On aboutit alors à un ensemble de
recommandations détaillées dans le tableau 1.2.
3. Les choix d'internalisation/externalisation des projets de R & D
La complexité croissante des technologies et leur cycle de vie de plus en plus rapide
obligent les responsables de départements de R & D à aller chercher à l'extérieur du département
les savoir-faire déjà existants. Ce choix repose d'une part sur la nature des connaissances produites,
d'autre part sur la maîtrise par le département des connaissances recherchées et enfin sur le degré
de contrôle de la technologie acquise.
La nature des connaissances recherchées oriente le choix des partenariats possibles. Ainsi
l'acquisition des savoirs scientifiques fondamentaux repose le plus souvent sur des liens forts
établis avec l'université et les organismes de recherche fondamentale. À l'opposé, les savoir-faire
de supports techniques peuvent être achetés sous forme de prestations à d'autres entreprises.
Tableau 1.2. Les décisions relatives à la gestion de projets d e R &D
Contribution
Action
Contribution directe aux produits Incorporation dans les produits et extension à d'autres
prévus en lancement
domaines
Pas de contribution aux produits Chercher à adapter les connaissances produites à d'autres
en cours
produits
Contribution possible sous réserve Valider l'intérêt des lancements au niveau stratégique
de lancer des offres non prévues
Commercialiser la technologie produite sous forme de brevet
ou de licence
Projet nécessitant le
développement ou l'acquisition
d'autres connaissances
Acquérir les connaissances via achat de brevet, licence ou
alliances
Niveau de
connaissance
environnante
Production de connaissances
protégeables par brevets
Cas n° 3
Acheter les produits
et processus existants
Cas n° 2
Rechercher les alliances
R & D stratégiques
Acheter brevets ou licences
Cas n° 1
Développer un projet de R & D
Cas n° 4
Explorer les possibilités de contrats R
&D
en externe
en interne
Ras
Élevé
Source : Granstrand et al., 1992. Figure 1.4. Matrice d'intégration des connaissances
Illustration 1.9 : L'exemple de l'entreprise Sensitive Object illustre ce passage du développement
technologique aux applications pratiques. Dans un premier temps, le CNRS, organisme public de
recherche, travaille sur la signature acoustique des objets. Lorsque l'on frappe une partie d'un objet
avec le doigt, il est possible de reconnaître de façon précise le heu de l'impact en plaçant des micros,
collés sur la surface, puis en traitant le signal sonore généré à l'aide d'un logiciel. Il est alors
possible de commander un ordinateur ou un interrupteur sur n'importe quel objet ou surface.
L'entreprise Sensitive Object est créée pour développer et exploiter les solutions générées par cette
technologie brevetée. Les applications sont dans un premier temps médicales. Un clavier
traditionnel d'ordinateur, difficile à nettoyer, contient en effet de nombreux germes. Il est possible à
10
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l'aide de cette technologie de remplacer le clavier par la surface du bureau sur laquelle on a collé un
sticker représentant les touches, cette solution permettant un niveau d'hygiène optimum.
Quelle que soit la source de connaissances, université ou entreprise, il est généralement
admis que les modalités de son intégration sont fortement dépendantes des acquis de l'organisation
demandeuse. Ainsi Granstrand et al. (1992) suggèrent un ensemble d'actions facilitant l'intégration
de connaissances, ainsi que décrit dans la figure 1.4.
Quatre situations sont décrites. On voit que la nature des investissements de R & D est
différente pour l'entreprise cherchant à acquérir de nouveaux savoir-faire. Il est opportun de
développer ses propres connaissances lorsque le niveau de savoir environnant est faible (cas n° 1).
Lorsque ce dernier est élevé (cas n°2), il est utile d'acheter les brevets voire de conclure, lorsque
cela est possible, une alliance stratégique. À l'opposé, lorsque l'entreprise acquérant maîtrise mal
les savoir-faire requis, il lui est conseillé d'acheter les savoir-faire et procédés lorsqu'ils existent
(cas n° 3) ou de rechercher des acteurs capables de créer des connaissances lorsqu'elles n'existent
pas (cas n° 4). L'arbitrage internalisation/externalisation repose alors sur le degré de maîtrise des
connaissances par l'entreprise d'une part et par son environnement d'autre part.
Illustration 1.10 : Et le papier devint électronique ! Depuis le i début des années 1990, les
chercheurs travaillent au développement de technologies permettant de proposer un papier
électronique. Il s'agit de produire une fine feuille de plastique capable d'afficher un document avec
les mêmes qualités de lisibilité qu'un support papier traditionnel, tout en permettant le
téléchargement électronique des documents. Il est alors possible de diffuser de l'information à
grande échelle en réduisant les inconvénients du papier : le poids et les impacts écologiques.
Plusieurs technologies ont fait l'objet d'un développement à ce jour. Le MIT a développé la
technologie du papier à particules, Universal Display, entreprise financée par le département de la
défense américaine, celle du papier à diodes, et les entreprises Phillips et Fuji celles du papier à
huile et du papier à cristaux liquides. Les premiers procédés brevetés sont apparus en 2001 et les
premières applications comme le lancement d'une version électronique du journal Les Échos sont
lancées en fin 2007. Ce lancement, tout comme les développements technologiques de l'amont,
pose la question du choix des partenaires à associer au projet, aucun des acteurs n'étant en situation
de gérer l'ensemble du développement.
Ce choix d'internaliser ou non le développement repose enfin sur le niveau souhaité de
contrôle des connaissances produites. Dans le cas où les technologies développées déterminent
l'avantage concurrentiel de l'offre sur son marché, l'entreprise va chercher à s'approprier les
connaissances générées. Il convient donc d'analyser les mécanismes par lesquels une entreprise
doit protéger les technologies développées. La figure 1.5 présente le degré de contrôle des
technologies lié aux choix d'internalisation/externalisation adoptés.
On peut observer que les connaissances produites à l'interne des départements de R & D
permettent une plus grande intégration dans l'organisation et, partant, un plus grand degré de
contrôle. À l'inverse, la veille technologique, par exemple le suivi des dépôts de brevets dans un
domaine particulier, permet l'observation de connaissances que l'entreprise ne pourra pas
s'approprier.
Degré élevé
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Développement par R&D interne
Acquisition d'entreprises disposant des savoir-faire
Joint venture ou projets R&D communs
Coopérations technologiques impliquant ou non des contrats formels
Achats de licences, financement de programmes de recherche universitaires
Veille technologique visant à l'acquisition de savoir-faire et de
connaissances
Degré faible
Source : Granstrand et ni., 1992.
Figure 1.5. Degré de contrôle dans Vacquisition des technologies
La création d'une offre innovante repose donc sur le management des technologies incluant
l'identification des connaissances et savoir-faire pertinents, l'investissement sur la création de
nouvelles connaissances, la gestion des projets de développement, l'acquisition des connaissances
et savoir-faire existants lorsqu'ils ont déjà été développés et enfin la protection des connaissances
générées tout au long du processus. Ces différentes activités prennent une importance particulière
lorsque le cycle de vie des technologies est rapide.
V. L'INNOVATION ET LES CYCLES DE VIE
L'émergence de nouvelles technologies et l'apparition constante de nouveaux concurrents
montrent clairement que chaque position sur le marché est en constante évolution. Les
technologies comme les produits apparaissent, sont plus ou moins largement diffusées, sont
parfois remplacées et enfin disparaissent. Cette vision en dynamique souligne l'importance du
temps dans toutes les approches de l'innovation. Si la position de pionnier ou de suiveur peut être
déterminante dans la dynamique de création de valeur, l'identification des phases du cycle de vie
des technologies et des produits devient cruciale pour analyser la position de l'entreprise et décider
de la planification de mise en marché.
1. Le cycle de vie des technologies
La plus simple opération de production requiert de nombreuses technologies afférentes à la
transformation de la pièce, à la logistique associée, à la définition et à la maintenance de l'outil qui
la produit, et au-delà, aux connaissances scientifiques portant sur les matériaux eux-mêmes,
comme par exemple leurs caractéristiques intrinsèques de résistance et de structure. De par ce rôle
central, les connaissances scientifiques, procédés et savoir-faire tiennent une place prépondérante
dans les processus d'innovation. L'évolution des technologies et des techniques permet en effet
d'apporter des solutions nouvelles aux fonctions attendues par les clients. L'analyse de l'évolution
des supports d'enregistrement du son illustre ce point.
Illustration 1.11 : En 1948 apparaît le disque microsillon 33 tours LP (Long Play). Cela permettait
d'allonger la durée d'audition des disques (par rapport au magnétophone) et pouvait contenir jusqu'à
12 chansons. Un an plus tard, le microsillon 45 tours est créé et devient le support favori pour
l'enregistrement d'une chanson. Face aux demandes des clients et dans un souci de facilité d'usage,
la cassette audio est commercialisée en 1964. Elle permet une bonne restitution du son, est
effaçable et réenregistrable. Cependant, dans les années 1970, le vinyle est supplanté du fait de
l'apparition des technologies numériques. Ainsi, en 1983, le CD de 12 cm est commercialisé et peut
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comporter jusqu'à 1 h 14 de musique. En 1992 et dans un souci de miniaturisation des supports,
Sony invente le mini-disc (MD). Il restitue le même son que le CD mais l'innovation réside plus
dans le fait qu'il est possible d'enregistrer soi-même des MD. De plus, ce format fournit des
indications sur le titre qui est lu sur le contenu du CD ; sa capacité de stockage est plus importante
puisqu'il peut comporter jusqu'à 75 minutes de musique. Cette innovation a ouvert la voie du
numérique qui se développe à la fin du XXe siècle. Apparaît ainsi un nouveau format, le MP3
(Mpeg-1 Audio Laver 3). Il est possible alors d'échanger par voie informatique des morceaux de
musique du fait de la réduction de leur taille. Ce format divise par 12 la taille d'un fichier audio
classique sans modifier la qualité du son.
L'exemple des effets de la numérisation du son montre bien comment l'évolution des
technologies de l'information rend obsolète les savoir-faire basés sur une reproduction analogique.
La carte mémoire et le logiciel permettent de réduire le volume physique de stockage des données
et, combinés à un environnement Internet, de faciliter le transfert de l'information d'un utilisateur à
un autre. Ce faisant, ils se substituent aux cassettes et autres supports. On comprend dès lors que
les technologies ont un cycle de vie, passant par des phases de naissance, de croissance, de
maturité et de vieillissement. Habituellement représentée par une courbe en S, l'évolution de la
technologie est caractérisée par sa performance (en ordonnée) et la somme des investissements de
R & D (en abscisse) comme décrit dans la figure 1.6.
Investissements cumulés en R&D
Figure 1.6. Les cycles de vie de la technologie
Chacun des stades de la courbe correspond à une situation particulière dans l'état des
connaissances et savoir-faire de l'entreprise. La première étape, celle de l'émergence, se caractérise
par un effort intense de recherche et développement visant à comprendre et maîtriser la
technologie en question. À ce stade, les performances à venir ainsi que les applications fritures
sont encore en grande partie inconnues. Les solutions proposées peuvent provenir d'efforts
spécifiques sur les connaissances scientifiques. Elles peuvent découler de l'emprunt à des
technologies connexes dont les applications sont adaptées au champ étudié. Par exemple, les
connaissances développées en informatique pour numériser des images ont été utilisées pour
passer des technologies analogiques aux technologies numériques dans les secteurs de la
photographie et de la vidéo.
L'analyse du potentiel des technologies émergentes est à ce stade difficile. D'une part, la
performance de la technologie n'est pas encore mesurable. D'autre part, les applications de celle-ci
sont à construire. A ce stade, le choix d'un changement de technologie est d'autant plus délicat que
les technologies précédentes, dans leur phase de maturité, ont fait la preuve de leur efficacité. Les
exemples abondent d'entreprises qui, ayant sous estimé le potentiel d'une technologie à son
démarrage, ont laissé des nouveaux compétiteurs émerger sur leur marché.
La deuxième phase, celle de la croissance, correspond au développement du nombre de
produits utilisant le savoir-faire développé lors de la première phase. L'effort d'innovation est
davantage porté sur la recherche des applications permettant d'exploiter au mieux les
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performances de la technologie retenue. De fait, cette recherche se traduit par un accroissement
des performances des produits utilisant la technologie. En retour, la technologie s'enrichit des
adaptations faites sur les différentes applications. La diffusion à grande échelle permet
l'augmentation des investissements de perfectionnement et ainsi l'atteinte de niveaux de
performance supérieurs. Lors de cette phase, le savoir-faire technologique est utilisé comme
avantage concurrentiel. Son appropriation via les brevets et les marques permet alors de générer
une situation profitable de relatif monopole.
La troisième phase dite de maturité se caractérise par une relative stagnation des
performances, les efforts de développement se heurtant aux limites intrinsèques de la technologie.
L'amélioration se révèle alors coûteuse et conduit à une complexité de plus en plus importante de
la technologie initiale. Durant cette période, l'optimisation des performances comme la fiabilité et
le rendement atteignent une forme d'optimum. A ce stade se pose généralement la question de
l'affectation des efforts de développement. Faut-il surinvestir pour faire progresser la technologie
existante ou affecter ces mêmes budgets à la création d'une technologie de substitution qui
permettra en cas de succès d'apporter une réponse nouvelle, porteuse de plus de performances à
terme ?
La quatrième phase, celle du déclin, apparaît dès lors qu'une autre technologie permet
d'atteindre de meilleures performances dans l'accomplissement d'une fonction.
Illustration 1.12 : L'exemple type de substitution par une technologie plus performante est celui
des téléviseurs à écrans plats. En 2006, en France, il s'est vendu plus de 5,35 millions de téléviseurs
(toutes technologies confondues) contre 4,77 millions d'écrans vendus en 2005 (selon l'institut
GfK). C'est en 2004 que les ventes d'écrans plats dépassent, on valeur, celles des téléviseurs à tube
cathodique. Il a fallu attendre 2006 pour que les ventes de téléviseurs à tube cathodique soient
supplantées par celles des écrans plats en volume. De tels chiffres s'expliquent par les bénéfices
dont disposent les écrans plats. Outre l'aspect esthétique, les écrans plats disposent d'un attrait
technologique dont une qualité d'image supérieure et un accès aux nouvelles chaînes numériques
puisque les postes disposent généralement d'un adaptateur TNT. Le graphique ci-dessous permet de
se représenter l'attrait évident pour les écrans plats au détriment des téléviseurs à tube cathodique.
Ce changement des technologies s'effectue toutefois au travers du lancement de produit les
intégrant. Il y a alors une véritable interdépendance entre les cycles de vie des offres et des
technologies. Un renouvellement rapide des produits permet l'intégration rapide des technologies
émergentes. L'innovateur doit ainsi être en veille sur les technologies tout en portant attention au
cycle de vie des produits gérés et à venir.
Tube
cathodique
—■— Ecran plat
i----
■
I
*
i
------- 1
---- 1
----- 1
----- 1
1
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
Source : Les Échos, n° 19 853, 8 février 2007, p. 25. Figure 1.7. Evolution des ventes de
téléviseurs en France
2. Le cycle de vie des produits
La popularité du concept de cycle de vie, très souvent cité, repose en grande partie sur
l'analogie faite avec le monde du vivant. On constate en effet que les produits naissent, se
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Management de l’innovation
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développent et sont finalement retirés du marché. Schématisé par une courbe en forme de S
semblable à la courbe de vie des technologies, il comporte généralement quatre phases :
l'introduction, la croissance, la maturité et le déclin. Bien que de nombreuses limites aient été
soulignées depuis sa formalisation, il a influencé durablement les hommes de marketing. Outre le
fait qu'il amène à anticiper les phases à venir du produit, les auteurs en marketing (Lambin,
Chumpitaz et al., 2005) ont associé à chacune des phases du cycle de vie des problématiques de
marché bien spécifiques ainsi que des recommandations d'actions génériques portant soit sur les
actions marketing à mettre en œuvre soit sur les actions relatives à l'innovation elle-même.
L'examen des situations de marché montre ainsi que les phases d'introduction se
caractérisent par un niveau de demande faible, une situation de relatif monopole et un nombre
d'acheteurs très limité. Les recommandations d'action insistent alors sur la production d'efforts
visant à convaincre les adopteurs précoces (voir chapitre 3) en favorisant les essais, l'apprentissage
et plus généralement toutes les actions permettant de découvrir les caractéristiques de l'offre. Les
phases de maturité présentent une situation très différente, caractérisée par des marchés très
segmentés, monopolisés par un petit nombre de firmes et un niveau de demande stabilisé. En
conséquence, les recommandations d'actions mettent l'accent sur les efforts de fidélisation à la
marque et de différenciation des produits.
Du point de vue de l'innovation elle-même, les phases d’introduction se caractérisent par la
possibilité encore grande de faire évoluer l'offre proposée. D'une part, le système de préférence des
clients n'est pas encore figé et peut conduire à des demandes non anticipées. D'autre part, les
spécifications d'un produit peuvent être revues en fonction des premières expériences clients ou
des premiers apprentissages réalisés lors des phases de production.
Illustration 1.13 : C'est le cas de Newton (Apple), l'ancêtre de l'assistant personnel tel qu'on le
connaît aujourd'hui. En août 1993, Apple sort son assistant personnel qui comporte de nombreux
logiciels. Le développement du produit a demandé un investissement d'un demi-million de dollars.
Malheureusement, en février 1998, la production s'arrête définitivement. Newton n'a pas résisté aux
problèmes financiers rencontrés par Apple à cette époque. Pourtant, ce n'était pas un flop
commercial et les séries ont évolué. Néanmoins, le prix prohibitif n'a pas permis une diffusion
grand public. Cependant, les technologies dont Newton était doté sont aujourd'hui présentes dans
les PDA actuels. L'un des points forts du produit était l'écriture cursive, le dictionnaire et la base de
connaissances mise à jour automatiquement par le système. On retrouve également dans les
différents PDA et smart-phones des processeurs, déjà présents dans le Newton.
Si les phases suivantes du cycle sont moins propices à la modification des spécifications
des produits, l'effort d'innovation se poursuit cependant de façon plus incrémentale. Les phases de
croissance permettent la création de déclinaisons de l'offre initiale qui ont pour but de rapprocher
au mieux l'offre des attentes des différents segments de marché. Les phases de maturité,
caractérisées par une relative stabilité dans les représentations que les clients ont du marché, voient
néanmoins se poursuivre l'effort d'innovation résultant le plus souvent dans une segmentation de
plus en plus fine de l'offre. Enfin, les phases de déclin du produit, qui se traduisent par le
désinvestissement et donc l'orientation des efforts de développement vers de nouvelles offres ou
technologies, se révèlent généralement peu favorables à l'innovation.
À cette définition de priorités par phase se rajoutent les considérations de profitabilité. Les
phases de développement et d'introduction du produit sont ainsi consommatrices de ressources
financières dans la mesure où, durant ces étapes, les ventes sont inexistantes ou faibles. A l'inverse,
les phases de croissance et de maturité voient une croissance forte des ventes et permettent ainsi de
recouvrer l'investissement de développement fait en amont. La question se pose alors d'atteindre le
point mort ou break-even le plus rapidement possible.
Cette approche de la rapidité du retour sur l'investissement consenti influence alors le
rythme d'introduction des nouveaux produits. En fixant comme objectif la réduction du temps et
des investissements de développement, il est possible d'accélérer l'atteinte du point mort et ainsi
d'augmenter, à ressources constantes, le nombre de nouveaux produits mis à disposition du client.
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La capacité à renouveler les gammes dans un temps donné permet ainsi aux entreprises les plus
véloces de prendre l'initiative sur leurs marchés. Cet objectif de compétition basée sur le temps ou
chrono-compétition (voir chapitre 3), formulé dans les années 1980, a incité l'ensemble des
entreprises à repenser en profondeur les processus et l'organisation du développement.
On voit ainsi que le concept de cycle de vie, même s'il comporte des limites - le cycle de vie
ordonné conformément au modèle n'est en effet observé que dans 20 à 30 % des cas - permet de
guider, de façon non normative, la réflexion de l'entrepreneur. Cependant, la dynamique du
marché et celle de la technologie sont insuffisantes pour expliquer à elles seules les logiques et
rythmes d'introduction de nouvelles offres. La capacité à gérer des projets de développement
incertains, à faire les bons choix technologiques mais également de partenaires ou de fournisseurs
conditionne la capacité des acteurs de l'innovation à renouveler leur portefeuille d'offre avec
succès. Le management de l'innovation suppose entre autre savoir-faire de savoir gérer le
processus de développement de l'offre.
Ce chapitre nous a permis de décrire l'innovation dans ses deux dimensions d'offre au
marché et de process de production. Sur l'axe du marché, l'analyse en attributs et en fonctionnalités
offertes permet de comprendre les dynamiques d'innovation, tant dans les produits que dans les
services (I et II). Sur la dimension des procédés de production, la compréhension et le management
des développements des technologies permet également d'expliquer les logiques d'innovation, les
choix faits dans ces domaines conditionnant la capacité de l'entreprise à présenter des offres
performantes et attractives (III et IV). Enfin, la gestion des marchés et des procédés s'inscrit dans
un horizon temporel déterminant. Innover, c'est pouvoir développer plus rapidement que les
concurrents une offre satisfaisant aux besoins du marché (V).
La gestion du développement des offres est alors au centre des préoccupations de
l'innovateur. Une offre innovante se construit dans un projet dont l'innovateur doit définir les
principales étapes et mesurer leur contribution au succès final tout en cherchant à minimiser leurs
durées et budgets. L'étude de ce processus fait l'objet du chapitre suivant.
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